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Térence

PHORMIO - PHORMION

 

introduction - texte latin seul - traduction française seule

 

 

DIDASCALIA

INCIPIT TERENTI PHORMIO:ACTA LUDIS ROMANIS L. POSTUMIO ALBINO L. CORNELIO MERULA AED. CUR. EGERE L. AMBIVIUS TURPIO L. HATILIUS PRAENESTINUS MODOS FECIT FLACCUS CLAUDI TIBIIS IMPARIBUS TOTA GRAECA APOLLODORU EPIDICAZOMENOS FACTA III C FANNIO M. VALERIO COS.

Periocha Sulpici Apollinaris

Chremetis frater aberat peregre Demipho,
relicto Athenis Antiphone filio.
Chremes clam habebat Lemni uxorem et filiam,
Athenis aliam coniugem et amantem unice
fidicinam gnatum. Mater e Lemno advenit
Athenas; moritur; virgo sola (aberat Chremes)
funus procurat. Ibi eam visam Anthipho
cum amaret, opera parasiti uxorem accipit.
Pater et Chremes reversi fremere. Dein minas
triginta dant parasito, ut illam coniugem
haberet ipse. Argento hoc emitur fidicina.
Uxorem retinet Antipho a patruo adgnitam.

Personae

PROLOGUS
DAVOS SERVOS
GETA SERVOS
ANTIPHO ADULESCENS
DEMIPHO SENEX
PHORMIO PARASITUS
HEGIO ADVOCATUS
CRATINUS ADVOCATUS
CRITO ADVOCATUS
DORIO LENO
CHREMES SENEX
SOPHRONA NUTRIX
NAUSISTRATA MATRONA
(CANTOR)

PHORMION

DIDASCALIE

Voici le Phormion de Térence, comédie qui fut donnée aux jeux Romains sous les édiles curules L. Postumius Albinus etCornelius Merula. Elle fut représentée par L. Ambivius Turpion et L. Hatilius de Préneste. La musique est de Flaccus, esclave de Claudius, et tout entière pour flûtes inégales. C'est la pièce grecque d'Apollodore Épidicazomenos. Elle fut composée la quatrième sous le consulat de C. Fannius et M. Valerius.

SOMMAIRE DE C. SULPICIUS APOLLINAIRE

Démiphon, frère de Chrémès, était parti pour l'étranger, laissant à Athènes son fils Antiphon. Chrémès avait secrètement à Lemnos une femme et une fille, et à Athènes une autre femme et un fils qui aimait éperdument une joueuse de lyre. La femme de Lemnos vient à Athènes et y meurt. La jeune orpheline (Chrémès était absent) s'occupe des funérailles. Antiphon l'y voit et s'éprend d'elle, puis l'épouse grâce à l'adresse d'un parasite. Son père et Chrémès, de retour, font éclater leur mécontentement, puis ils donnent trente mines au parasite, afin qu'il la prenne pour femme. L'argent sert au rachat de la joueuse de lyre. Antiphon garde sa femme, en qui l'oncle reconnaît son enfant.

PERSONNAGES

PROLOGUE.
DAVE, esclave.
GÉTA, esclave.
ANTIPHON, jeune homme, fils de Démiphon. 
PHÉDRIA, jeune homme, fils de Chrémès. 
DÉMIPHON, vieillard.
PHORMION, parasite.
HÉGION,
conseil de Démiphon. 
CRATINUS, conseil de Démiphon. 
CRITON,
conseil de Démiphon. 
DORION, marchand d'esclaves.
CHRÊMES, vieillard
SOPHRONA, nourrice de Phanium.
NAUSISTRATA, matrone, femme de Chrémès. 
Le CHANTEUR.
PHANIUM, fille de Chrémès
DORIUM, servante personnages muets. 

La scène est à Athènes

PROLOGUS

Postquam poeta vetuspoetam non potest
retrahere a studio et transdere hominem in otium,
maledictis deterrere ne scribat parat;
qui ita dictitat, quas ante hic fecit fabulas,
tenui esse oratione et scriptura levi: 5
quia nusquam insanum scripsit adulescentulum
cervam videre fugere et sectari canes,
et eam plorare, orare ut subveniat sibi.
Quod si intellegeret, quom stetit olim nova,
actoris opera mage stetisse quam sua, 10
minus multo audacter quam nunc laedit laederet.
Nunc siquis est qui hoc dicat aut sic cogitet:
« Vetus si poeta non lacessisset prior,
nullum invenire prologum potuisset novos
quem diceret, nisi haberet cui malediceret. » 15
Is sibi responsum hoc habeat, in medio omnibus
palmam esse positam qui artem tractent musicam.
Ille ad famem hunc a studio studuit reicere:
hic respondere voluit, non lacessere.
Benedictis si certasset, audisset bene: 20
quod ab illo adlatumst, [id] sibi esse rellatum putet.
De illo iam finem faciam dicundi mihi,
peccandi quom ipse de se finem non facit.
Nunc quid velim animum attendite; adporto novam
Epidicazomenon quam vocant comoediam 25
Graeci, Latini Phormionem nominant,
quia primas partis qui aget, is erit Phormio
parasitus, per quem res geretur maxume,
voluntas vostra si ad poetam accesserit.
Date operam, adeste aequo animo per silentium, 30
ne simili utamur fortuna atque usi sumus
quom per tumultum noster grex motus locost:
quem actoris virtus nobis restituit locum
bonitasque vostra adiutans atque aequanimitas.

PROLOGUE

Le vieux poète (11) ne pouvant arracher l'auteur à son art et le réduire à ne rien faire, tache de le détourner d'écrire en décriant ses oeuvres. Il va répétant que les pièces qu'il a composées jusqu'ici sont pauvres d'invention et faibles de style, et cela parce qu'il n'a jamais mis en scène un jeune homme en délire, qui voit fuir une biche, des chiens la poursuivre, et la bête en pleurs le prier de venir à son secours (12). S'il se rendait compte que, si sa comédie réussit jadis en sa nouveauté, ce fut grâce au talent des acteurs plus qu'au sien, il serait beaucoup moins hardi dans ses attaques qu'il ne l'est à présent. Maintenant s'il y a quelqu'un qui dise ou pense : « Si le vieux poète n'avait pas attaqué le premier, le nouveau ne pourrait trouver aucun prologue à débiter, faute d'avoir de qui médire, » voici la réponse qu'on lui fait : la palme est proposée à tous ceux qui s'appliquent à l'art dramatique. Cet homme-là a cherché à dégoûter notre auteur de son étude pour le réduire à la famine; lui n'a voulu que répondre, non attaquer. Il n'avait qu'à rivaliser de bonnes paroles, il n'aurait entendu qu'aménités. Ce qu'il a apporté, on le lui rend : voilà ce qu'il doit se dire. Mais je ne veux plus rien dire de lui, quoique lui de son côté ne fasse pas trêve à ses mauvais procédés.
Maintenant écoutez ce que j'ai à dire. Je vous apporte une comédie nouvelle qui s'appelle en grec Epidicazomenos, mais en latin Phormion, parce que celui qui tiendra le premier rôle, ce sera Phormion, un parasite, qui mènera l'intrigue presque à lui seul, si vous voulez bien vous montrer favorables au poète. Accordez-nous votre attention, prêtez-nous une oreille favorable, et faites silence, que nous n'ayons pas le même sort que le jour où notre troupe dut céder la place devant le tumulte (13), place que nous a rendue le mérite du chef de troupe, aidé de votre bienveillance et de votre équité.

 

ACTUS I

SCENA I. 

DAVOS

DAVOS
Amicus summus meus et popularis Geta 35
heri ad me venit. Erat ei de ratiuncula
iampridem apud me relicuom pauxillulum
nummorum: id ut conficerem. Confeci: adfero.
nam erilem filium eius duxisse audio
uxorem: ei credo munus hoc conraditur. 40
Quam inique comparatumst, i qui minus habent
ut semper aliquid addant ditioribus!
Quod ille unciatim vix de demenso suo,
suom defrudans genium conpersit miser,
id illa univorsum abripiet, haud existumans 45
quanto labore partum. Porro autem Geta
ferietur alio munere ubi era pepererit;
porro autem alio, ubi erit puero natalis dies;
ubi initiabunt. omne hoc mater auferet:
puer causa erit mittundi. Sed videon Getam? 50

ACTE PREMIER

SCÈNE I

DAVE

DAVE
Mon grand ami et compatriote Géta est venu me voir hier. Depuis longtemps je lui redevais sur un petit compte, un tout petit reliquat, qu'il m'a prié de lui solder : la somme est faite, je la lui apporte. Le fils de son maître, m'a-t-on dit, vient de prendre femme : c'est sans doute pour en faire cadeau à la mariée qu'il ramasse cet argent. Comme les choses sont mal faites ! c'est toujours ceux qui ont peu qui ajoutent à la fortune des riches. Ce que le pauvre homme a épargné à grand'peine, sou par sou, en fraudant son génie (14), elle va le rafler en une fois, sans se douter du travail qu'il lui en a coûté. Puis Géta sera frappé d'un nouvel impôt, quand la dame accouchera, puis d'un autre encore à chaque anniversaire du marmot, à chacune de ses initiations (15) : la mère empochera tout cela. L'enfant sera un prétexte à cadeaux. Mais ne vois-je pas Géta?

 

SCENA II. 

GETA, DAVOS

GETA 
Siquis me quaeret rufus...
DAVOS 
Praestost, desine. 
GETA 
oh,
at ego obviam conabar tibi, Dave. 
DAVOS 
Accipe, em:
lectumst; conveniet numerus quantum debui.
GETA 
Amo te, et non neglexisse habeo gratiam.
DAVOS 
Praesertim ut nunc sunt mores. Adeo res redit: 55
si quis quid reddit, magna habendast gratia.
Sed quid tu es tristis? 
GETA 
Egone? Nescis quo in metu et
quanto in periclo simus.
DAVOS 
Quid istuc est? 
GETA 
Scies,
modo ut tacere possis. 
DAVOS 
Abi, sis, insciens.
Quoius tu fidem in pecunia perspexeris, 60
verere verba ei credere, ubi quid mihi lucrist
te fallere? 
GETA 
Ergo ausculta. 
DAVOS 
Hanc operam tibi dico.
GETA 
Senis nostri, Dave, fratrem maiorem Chremem
nostin? 
DAVOS 
Quidni? 
GETA 
Quid? Eius gnatum Phaedriam?
DAVOS 
Tam quam te. 
GETA 
Evenit senibus ambobus simul 65
iter illi in Lemnum ut esset, nostro in Ciliciam
ad hospitem antiquom. Is senem per epistulas
pellexit, modo non montis auri pollicens.
DAVOS 
Quoi tanta erat res et supererat? 
GETA 
Desinas:
sic est ingenium. 
DAVOS 
Oh, regem me esse oportuit! 70
GETA 
Abeuntes ambo hic tum senes me filiis
relinquont quasi magistrum. 
DAVOS 
O Geta, provinciam
cepisti duram. 
GETA 
Mi usu venit, hoc scio:
memini relinqui me deo irato meo.
Coepi advorsari primo: quid verbis opust? 75
Seni fidelis dum sum scapulas perdidi.
DAVOS 
Venere in mentem mi istaec: namque inscitiast
advorsus stimulum calces. 
GETA 
Cepi is omnia
facere, obsequi quae vellent. 
DAVOS 
Scisti uti foro.
GETA 
Noster mali nil quicquam primo; hic Phaedria 80
continuo quandam nactus est puellulam
citharistriam, hanc ardere coepit perdite.
Ea serviebat lenoni inpurissimo,
neque quod daretur quicquam; id curarant patres.
Restabat aliud nil nisi oculos pascere, 85
sectari, in ludum ducere et redducere.
Nos otiosi operam dabamus Phaedriae.
In quo haec discebat ludo, exadvorsum ilico
tonstrina erat quaedam. Hic solebamus fere
plerumque eam opperiri, dum inde iret domum. 90
Interea dum sedemus illi, intervenit
adulescens quidam lacrumans. Nos mirarier.
Rogamus quid sit. « Numquam aeque » inquit « ac modo
paupertas mihi onus visumst et miserum et grave.
Modo quandam vidi virginem hic viciniae 95
miseram suam matrem lamentari mortuam.
Ea sita erat exadvorsum, neque illi benivolus,
neque notus neque vicinus, extra unam aniculam,
quisquam aderat, qui adiutaret funus. Miseritumst.
Virgo ipsa facie egregia. » Quid verbis opust? 100
Commorat omnis nos. Ibi continuo Antipho
« Voltisne eamus visere? » Alius :  « Censeo:
eamus: duc nos, sodes.» Imus, venimus,
videmus. Virgo pulchra, et quo mage diceres,
nil aderat adiumenti ad pulchritudinem: 105
capillus passus, nudus pes, ipsa horrida,
lacrumae, vestitus turpis: ut, ni vis boni
in ipsa inesset forma, haec formam exstinguerent.
Ille qui illam amabat fidicinam tantummodo;
« Satis » inquit, « scitast »; noster vero... 110
DAVOS 
iam scio:
amare coepit. 
GETA 
Scin quam? Quo evadat vide.
Postridie ad anum recta pergit: obsecrat
ut sibi eius faciat copiam. Illa enim se negat
neque eum aequom facere ait: illam civem esse Atticam,
bonam bonis prognatam: si uxorem velit, 115
lege id licere facere: sin aliter, negat.
Noster quid ageret nescire: et illam ducere
cupiebat, et metuebat absentem patrem.
DAVOS 
Non, si redisset, ei pater veniam daret?
GETA 
Ille indotatam virginem atque ignobilem 120
daret illi? Numquam faceret. 
DAVOS 
Quid fit denique?
GETA 
Quid fiat? Est parasitus quidam Phormio,
homo confidens: qui illum di omnes perduint!
DAVOS 
Quid is fecit? 
GETA 
Hoc consilium quod dicam dedit:
« Lex est ut orbae, qui sint genere proxumi, 125
is nubant, et illos ducere eadem haec lex iubet.
Ego te cognatum dicam et tibi scribam dicam;
paternum amicum me adsimulabo virginis:
ad iudices veniemus: qui fuerit pater,
quae mater, qui cognata tibi sit, omnia haec 130
confingam, quod erit mihi bonum atque commodum;
quom tu horum nil refelles, vincam scilicet.
Pater aderit: mihi paratae lites: quid mea?
Illa quidem nostra erit. » 
DAVOS 
Iocularem audaciam!
GETA 
Persuasit homini: factumst: ventumst: vincimur: 135
duxit.
DAVOS 
Quid narras? 
GETA 
Hoc quod audis. 
DAVOS 
O Geta,
quid te futurumst? 
GETA 
Nescio hercle; unum hoc scio,
quod fors feret feremus aequo animo. 
DAVOS 
Placet:
em istuc virist officium. 
GETA 
In me omnis spes mihist.
DAVOS 
Laudo. 
GETA 
Ad precatorem adeam, credo, qui mihi 140
sic oret: « Nunc amitte quaeso hunc; ceterum
posthac si quicquam, nil precor. » Tantummodo
non addit: « Ubi ego hinc abiero, vel occidito. »
DAVOS 
Quid paedagogus ille qui citharistriam ?
Quid rei gerit? 
GETA 
Sic, tenuiter. 
DAVOS 
Non multum habet 145
quod det fortasse? 
GETA 
Immo nil nisi spem meram.
DAVOS 
Pater eius rediit, an non? 
GETA 
Nondum. 
DAVOS 
quid? Senem
quoad exspectatis vostrum? 
GETA 
Non certum scio,
sed epistulam ab eo adlatam esse audivi modo
et ad portitores esse delatam: hanc petam. 150
DAVOS 
Numquid, Geta, aliud me vis? 
GETA 
Ut bene sit tibi.
Puer, heus. Nemon hoc prodit? Cape, da hoc Dorcio.

SCÈNE II 

GETA, DAVE

GÉTA (partant à la cantonade).
Si l'on vient me demander, un rousseau (16)...
DAVE
Tais-toi : le voici.
GÉTA
Ah ! moi qui voulais aller à ta encontre, Dave !
DAVE
Prends, tiens ! C'est en bel argent; tu y trouveras la somme que je te devais.
GÉTA
Tu es gentil, et je te remercie de n'avoir pas oublié.
DAVE
Il y a de quoi, par le temps qui court. On en est venu à ce point que, quand un homme paye ses dettes, il faut lui en savoir beaucoup de gré. Mais d'où vient que tu es soucieux?
GÉTA
Moi? Tu ne sais pas dans quelles transes, dans quel péril nous sommes.
DAVE
Que veux-tu dire?
GÉTA
Tu le sauras, si tu es homme à te taire.
DAVE
Allons ! tu n'es, s'il te plaît, qu'un benêt. Tu viens d'éprouver ma probité en fait d'argent, et tu crains de me confier des paroles ! Et puis quel profit pourrais-je avoir à te tromper en cette affaire?
GÉTA
Écoute-donc.
DAVE <
Je suis tout oreilles.
GÉTA
Dave, tu connais Chrémès, le frère aîné de mon vieux maître?
DAVE 
Sans doute.
GÉTA
Et son fils Phédria?
DAVE
Comme je te connais.
GÉTA
Il est arrivé que les deux vieux sont partis en même temps, l'un pour Lemnos, le nôtre pour la Cilicie, chez un ancien hôte, qui l'a attiré par ses lettres; car c'est tout juste s'il ne lui promettait pas des montagnes d'or.
DAVE
De l'or à lui, qui en avait déjà tant et plus?
GÉTA
Que veux-tu? Il est comme cela.
DAVE
Oh ! j'aurais bien dû être roi (17), moi !
GÉTA
Or les deux vieux en partant me laissèrent près de leurs fils, en manière de gouverneur.
DAVE
O Géta, on t'a chargé là d'un fâcheux gouvernement.
GÉTA
Je le sais par expérience. C'est mon mauvais génie, j'en suis sûr, qui m'a valu cette charge. Au début, j'ai voulu me mettre en travers; mais que te dirai-je? en restant fidèle au vieux, il en a cuit à mes épaules.
DAVE
C'est ce que j'ai pensé : c'est folie de regimber contre l'aiguillon.
GÉTA
Je me mis entièrement à leur service et me soumis à leurs volontés.
DAVE
Tu as su te plier aux circonstances.
GÉTA
Notre jeune homme ne fit d'abord rien de mal. L'autre, Phédria, rencontra tout de suite une fillette, une joueuse de cithare et se mit à l'aimer éperdument. Elle était esclave d'un marchand de femmes, infâme coquin, et nous n'avions rien à donner : nos pères y avaient mis bon ordre. Il ne lui restait qu'à repaître ses yeux de sa belle, à la suivre, à l'accompagner à ses leçons et à la reconduire. Nous, par désoeuvrement, nous tenions compagnie à Phédria. En face de l'école où elle prenait ses leçons, il y avait une boutique de barbier : c'était là que nous avions l'habitude de l'attendre, jusqu'à ce qu'elle rentrât chez elle. Un jour que nous étions assis à notre poste, survient un jeune homme en larmes; étonnés, nous lui demandons ce qu'il a « Jamais, dit-il, je n'ai trouvé le fardeau de la pauvreté aussi pénible et aussi lourd qu'aujourd'hui. Je viens de voir ici dans le voisinage une jeune fille au désespoir. Sa mère est morte, elle se lamentait devant le corps. Pas une bonne âme, pas une connaissance, pas un parent pour l'aider aux funérailles, hormis une petite vieille. C'est à fendre le coeur. La jeune fille est elle-même d'une figure charmante. » Que te dirai-je ? il nous avait tous attendris. Soudain Antiphon prend la parole : « Voulez-vous que nous allions la voir? — C'est mon avis », dit un autre; « allons-y, conduis-nous, je te prie. » On part, on arrive, on voit. La charmante enfant ! on pouvait d'autant mieux le dire qu'elle n'avait rien sur elle pour faire valoir sa beauté. Cheveux épars, pieds nus, aspect négligé, des larmes, des vêtements pitoyables; si sa beauté n'eût pas été si éclatante par elle-même, il y avait là de quoi l'obscurcir (18) L'autre, l'amoureux de la joueuse de lyre, se borne à dire : « Elle est assez jolie »; mais mon jeune maître...
DAVE
Je devine : il devint amoureux.
GÉTA
Mais à quel point, le devines-tu? Écoute où il en est venu. Le lendemain, il se rend tout droit chez la vieille; il la supplie de lui donner accès chez la jeune fille. Elle refuse net. Elle déclare que son procédé n'est pas convenable, que la jeune fille est citoyenne d'Athènes, de bonne vie, de bon lieu; s'il la veut pour femme, il n'a qu'à procéder légalement; autrement, on ne l'écoutera pas. Notre garçon ne sait à quoi se résoudre : épouser, il ne demandait pas mieux; mais il craignait son père absent.
DAVE
Le bonhomme, à son retour, n'aurait pas donné son consentement?
GÉTA
Lui? Donner à son fils une fille sans dot et sans parents? Il ferait beau voir !
DAVE
Et après?
GÉTA
Après? Il y a un certain parasite du nom de Phormion, un homme qui ne doute de rien... Que tous les dieux le confondent !
DAVE
Qu'a-t-il fait?
GÉTA
Il lui a donné le conseil que voici : « Il y a une loi qui veut que les orphelines épousent leurs plus proches parents, et la même loi enjoint à ceux-ci de les prendre pour femmes. Je dirai, moi, que tu es parent de la jeune fille, et je t'assignerai en justice, en me donnant pour un ami de son père. Nous irons devant les juges; paternité, maternité, parenté, je te fabriquerai tout cela, au profit et avantage de ma cause. Comme de ton côté tu ne réfuteras rien de mes dires, je gagnerai certainement. Ton père reviendra; j'aurai des procès sur la planche; je m'en moque. Nous aurons toujours la fille. »
DAVE
Plaisante effronterie!
GÉTA
Mon homme se laisse persuader. La sommation est lancée, on se présente, nous perdons, il épouse.
DAVE
Que me contes-tu là?
GÉTA
Ce que tu entends.
DAVE
O Géta, que vas-tu devenir?
GÉTA
Je n'en sais, ma foi, rien; la seule chose que je sache, c'est que, quoi qu'il advienne, je le supporterai sans faiblesse.
DAVE
Bien ! voilà qui est agir en homme.
GÉTA
Je ne compte que sur moi.
DAVE
Fort bien.
GÉTA
Irai-je par exemple recourir à un intercesseur qui plaidera pour moi en disant : « Quitte-le, je t'en prie, pour cette fois; mais s'il recommence, je te l'abandonne. » Pour un peu, il ajouterait : « Quand j'aurai tourné les talons, assomme-le, si tu veux. »
DAVE
Et ce beau pédagogue, avec sa joueuse de cithare? Comment vont ses affaires? 
GÉTA
Comme cela, maigrement.
DAVE
Il n'a peut-être pas beaucoup à donner.
GÉTA
Il n'a même rien, sinon de simples espérances.
DAVE
Son père est-il enfin revenu?
GETA
Pas encore.
DAVE
Et votre vieux, quand l'attendez-vous?
GÉTA
Je ne sais rien de sûr; mais on m'a dit tout à l'heure qu'il est arrivé une lettre de lui, qu'on a remise aux préfets de la douane (19) : je vais la réclamer.
DAVE
As-tu encore, Géta, quelque chose à me dire?
GÉTA
Rien, Si ce n'est de te bien porter. (A la cantonade.) Holà ! garçon ! Personne ne sort? (A un esclave qui vient.) prends et remets ceci à Dorcium. (Ils sortent.)

SCENA III. 

ANTIPHO, PHAEDRA

ANTIPHO 
Adeon rem redisse ut qui mi consultum optume velit esse,
Phaedria, patrem ut extimescam, ubi in mentem eius adventi venit!
Quodni fuissem incogitans, ita eum exspectarem ut par fuit. 155
PHAEDRIA 
Quid istuc [est]? 
ANTIPHO 
Rogitas, qui tam audacis facinoris mihi conscius sis?
Quod utinam ne Phormioni id suadere in mentem incidisset,
neu me cupidum eo inpulisset, quod mihi principiumst mali!
Non potitus essem: fuisset tum illos mi aegre aliquot dies,
at non cotidiana cura haec angeret animum...
PHAEDRIA 
Audio. 160
ANTIPHO 
Dum exspecto quam mox veniat qui adimat hanc mi consuetudinem.
PHAEDRIA 
Aliis quia defit quod amant aegrest; tibi quia superest dolet.
Amore abundas, Antipho.
Nam tua quidem hercle certo vita haec expetenda optandaque est.
Ita me di bene ament, ut mihi liceat tam diu quod amo frui, 165
iam depecisci morte cupio. Tu conicito cetera,
quid ego ex hac inopia nunc capiam, et quid tu ex ista copia,
ut ne addam quod sine sumptu ingenuam, liberalem nactus es,
quod habes, ita ut voluisti, uxorem sine mala fama palam:
beatus, ni unum desit, animus qui modeste istaec ferat. 170
Quod si tibi res sit cum eo lenone quo mihist tum sentias.
Ita plerique ingenio sumus omnes: nostri nosmet paenitet.
ANTIPHO 
At tu mihi contra nunc videre fortunatus, Phaedria,
quoi de integro est potestas etiam consulendi quid velis:
retinere, amare, amittere; ego in eum incidi infelix locum
ut neque mihi eius sit amittendi nec retinendi copia. 175
Sed quid hoc est? Videon ego Getam currentem huc advenire?
Is est ipsus. Ei, timeo miser quam hic mihi nunc nuntiet rem. 

SCÈNE III 

ANTIPHON, PHÉDRIA

ANTIPHON
Faut-il que les choses en soient là, Phédria, que l'homme qui me veut le plus de bien, mon père, soit pour moi un objet de terreur, quand je songe à son retour ! Si je n'avais pas agi en étourneau, je l'attendrais avec les sentiments qui conviennent à un fils.
PHÉDRIA
Qu'est-ce que tu dis là?
ANTIPHON
Tu le demandes, toi, le complice d'un acte si hardi? Si seulement Phormion n'avait pas eu l'idée de me donner ce conseil et n'avait pas encouragé cette passion, qui est le principe de mon malheur ! Je n'aurais pas possédé ma maîtresse; t'eût été alors un chagrin de quelques jours; mais je ne serais pas tourmenté par cette inquiétude de tous les instants...
PHÉDRIA
J'entends.
ANTIPHON
En attendant l'arrivée imminente de celui qui doit briser cette union.
PHÉDRIA
Les autres sont malheureux parce qu'ils n'ont pas ce qu'ils aiment, toi, tu souffres parce que tu l'as au delà de tes voeux. L'amour te combla, Antiphon. Ton sort est, par Hercule, souhaitable et digne d'envie. Grâce aux dieux, qu'il me soit donné de posséder aussi longtemps celle que j'aime, et je consens à payer ce bonheur de ma mort. Juge par là de ce que la privation fait sur moi, et la possession sur toi. Je n'ajouterai pas que tu as trouvé, sans bourse délier, une femme de naissance libre et bien élevée; tu as, comme tu le voulais, une épouse que tu peux avouer sans t'exposer à la médisance, heureux, s'il ne te manquait une chose, un esprit capable de supporter comme il convient tes ennuis. Ah ! si tu avais affaire à mon marchand d'esclaves, tu verrais ! Voilà comme nous sommes presque tous : jamais contents de ce que nous avons.
ANTIPHON
C'est toi au contraire, Phédria, que je trouve heureux en ce moment, toi qui as encore la pleine liberté de décider ce que tu voudras, garder, aimer, quitter, tandis que moi, je suis tombé dans une situation telle que je n'ai plus le droit ni de quitter ni de garder celle que j'aime. Mais qu'y a-t-il? N'est-ce pas Géta que je vois accourir à toutes jambes? C'est lui-même. Hélas ! malheureux, j'ai peur de ce qu'il va m'annoncer.

SCENA IV. 

GETA, ANTIPHI, PHAEDRIA

GETA 
Nullus es, Geta, nisi iam aliquod tibi consilium celere reperis,
ita nunc inparatum subito tanta te inpendent mala, 180
quae neque uti devitem scio, neque quo modo me inde extraham,
quae si non astu providentur, me aut erum pessum dabunt;
nam non potest celari nostra diutius iam audacia.
ANTIPHO 
Quid illic commotus venit?
GETA 
Tum temporis mihi punctum ad hanc rem est: erus adest. 
ANTIPHO 
Quid illuc malist?
GETA 
Quod quom audierit, quod eius remedium inveniam iracundiae? 185
Loquarne? incendam; taceam? instigem; purgem me? laterem lavem.
Heu me miserum! quom mihi paveo, tum Antipho me excruciat animi:
eius me miseret, ei nunc timeo, is nunc me retinet: nam absque eo esset,
recte ego mihi vidissem et senis essem ultus iracundiam:
aliquid convasassem atque hinc me conicerem protinam in pedes. 190
ANTIPHO 
Quam hic fugam aut furtum parat?
GETA 
Sed ubi Antiphonem reperiam, aut qua quaerere insistam via?
PHAEDRIA 
Te nominat. 
ANTIPHO 
Nescio quod magnum hoc nuntio exspecto malum. 
PHAEDRIA 
Ah !
sanus es? 
GETA 
Domum ire pergam: ibi plurimumst.
PHAEDRIA 
Revocemus hominem. 
ANTIPHO 
Sta ilico. 
GETA 
Hem, 195
satis pro imperio, quisquis es. 
ANTIPHO 
Geta. 
GETA 
Iipsest quem volui obviam.
ANTIPHO 
Cedo quid portas, obsecro? atque id, si potes, verbo expedi.
GETA 
Faciam. 
ANTIPHO 
Eloquere. 
GETA 
Modo apud portum...
ANTIPHO 
Meumne?
GETA 
Intellexti. 
ANTIPHO 
Occidi. 
PHAEDRIA 
Hem.
ANTIPHO 
Quid agam? 
PHAEDRIA 
Quid ais? 
GETA 
Guius patrem vidisse me, et patruom tuom.
ANTIPHO 
Nam quod ego huic nunc subito exitio remedium inveniam miser? 200
Quod si eo meae fortunae redeunt, Phanium, abs te ut distrahar,
nullast mihi vita expetenda. 
GETA 
ergo istaec quom ita sunt, Antipho,
tanto mage te advigilare aequomst: fortis fortuna adiuvat.
ANTIPHO 
Non sum apud me. 
GETA 
Atqui opus est nunc quom maxume ut sis, Antipho;
nam si senserit te timidum pater esse, arbitrabitur 205
commeruisse culpam. 
PHAEDRIA 
Hoc verumst. 
ANTIPHO 
Non possum inmutarier.
GETA 
Quid faceres, si aliud quid gravius tibi nunc faciundum foret?
ANTIPHO 
Quom hoc non possum, illud minus possem. 
GETA 
Hoc nil est, Phaedria: ilicet.
Quid hic conterimus operam frustra? Quin abeo? 
PHAEDRIA 
Et quidem ego? 
ANTIPHO 
Obsecro,
quid si adsimulo? Satinest? 
GETA 
Garris.  210
ANTIPHO 
Voltum contemplamini: em,
satine sic est? 
GETA 
Non. 
ANTIPHO 
Quid si sic? 
GETA 
Propemodum. 
ANTIPHO 
Quid sic? 
GETA 
Sat est:
em istuc serva; et verbum verbo, par pari ut respondeas,
ne te iratus suis saevidicis dictis protelet. 
ANTIPHO 
Scio.
GETA 
Vi coactum te esse invitum. 
PHAEDRIA 
Lege, iudicio. 
GETA 
Tenes?
Sed hic quis est senex quem video in ultima platea? Ipsus est. 215
ANTIPHO 
Non possum adesse. 
GETA 
Ah, quid agis? Quo abis Antipho?
Mane inquam. 
ANTIPHO 
Egomet me novi et peccatum meum:
vobis commendo Phanium et vitam meam.-
PHAEDRIA 
Geta, quid nunc fiet? 
GETA 
Tu iam litis audies;
ego plectar pendens, nisi quid me fefellerit.
Sed quod modo hic nos Antiphonem monuimus,
id nosmet ipsos facere oportet, Phaedria.
PHAEDRIA 
Aufer mi « oportet »: quin tu quid faciam impera.
GETA 
Meministin olim ut fuerit vostra oratio
in re incipiunda ad defendendam noxiam,
iustam illam causam facilem vincibilem optumam?
PHAEDRIA 
Memini. 
GETA 
Em nunc ipsast opus ea aut, si quid potest,
meliore et callidiore. 
PHAEDRIA 
Fiet sedulo.
GETA 
Nunc prior adito tu, ego in insidiis hic ero
succenturiatus, si quid deficias. 
PHAEDRIA
Age.

SCÈNE IV

GÉTA, ANTIPHON, PHÉDRIA

GÉTA (sans voir les deux jeunes gens).
C'est fait de toi, Géta, si tu ne trouves quelque prompt expédient, tant je suis pris au dépourvu et menacé des maux les plus graves ! Comment y échapper, comment me tirer de là, je ne le vois pas. A moins de parer le danger par une bonne ruse, c'est fait de moi ou de mon maître. Impossible en effet de cacher plus longtemps notre audacieuse équipée.
ANTIPHON (à Phédria).
Pourquoi accourt-il tout bouleversé?
GÉTA
Et puis je n'ai qu'une minute à moi pour aviser : le patron est sur mes talons.
ANTIPHON (à Phédria).
Qu'est-ce que cela peut bien être?
GÉTA
Quand il saura la chose, quel remède trouverai-je à sa colère ? Parler? c'est le mettre en feu. Me taire? c'est l'exciter. Me justifier? c'est laver une brique (20). Ah ! malheureux que je suis ! J'ai peur pour ma peau; mais je suis encore plus tourmenté pour Antiphon. J'ai pitié de lui; c'est pour lui que je crains, c'est lui qui me retient; sans lui, j'aurais mis bon ordre à mes affaires et pris ma revanche de la mauvaise humeur du vieux; j'aurais raflé de quoi faire un bon paquet et j'aurais gagné au pied.
ANTIPHON
Quelle fuite et quel larcin mijote-t-il?
GÉTA
Mais où trouver Antiphon? dans quelle rue aller le chercher?
PHÉDRIA
C'est de toi qu'il parle.
ANTIPHON
J'appréhende je ne sais quel grand malheur de la nouvelle qu'il apporte.
PHÉDRIA
Oh ! perds-tu la tête?
GÉTA
Je m'en vais rentrer au logis : c'est là qu'on le trouve le plus souvent.
PHÉDRIA
Rappelons-le.
ANTIPHON
Arrête, et tout de suite.
GÉTA
Hein ! tu n'es pas mal impérieux, qui que tu sois.
ANTIPHON
Géta !
GÉTA
Le voilà devant moi, celui que je cherchais.
ANTIPHON
Voyons; au nom du ciel, quelle nouvelle apportes-tu? Explique-toi d'un mot, si c'est possible.
GÉTA
Je vais le faire.
ANTIPHON
Parle.
GÉTA
Tout à l'heure, au port...
ANTIPHON
C'est de mon...
GÉTA
Tu y es.
ANTIPHON
Je suis mort.
PHÉDRIA
Hein !
ANTIPHON
Que faire?
PHÉDRIA (à Géla).
Que dis-tu?
GÉTA
Que j'ai vu son père, ton oncle.
ANTIPHON
Ah! quel remède trouver à ce malheur inattendu? Infortuné! si le sort veut qu'on m'arrache de tes bras, Phanium, je ne tiens plus à la vie.
GÉTA
S'il en est ainsi, Antiphon, c'est une raison de plus de te tenir sur tes gardes : la fortune aide les gens de coeur.
ANTIPHON
Je n'ai plus la tête à moi.
GÉTA
C'est pourtant le moment ou jamais de l'avoir, Antiphon; car, si ton père s'aperçoit que tu as peur, il te croira  coupable.
PHÉDRIA
C'est vrai.
ANTIPHON
Je ne peux pas me refaire.
GÉTA
Où en serais-tu, si tu avais quelque chose de plus difficile à faire?
ANTIPHON
Ne pouvant faire l'un, je ferais encore moins l'autre.
GÉTA
Il n'y a rien à en tirer, Phédria, c'est réglé. Pourquoi perdre notre temps ici? Je m'en vais.
PHÉDRIA
Et moi aussi.
ANTIPHON
Je vous en prie. (Cherchant à prendre un air assuré.) Si j'essayais de simuler la hardiesse? Est-ce bien comme  cela?
GÉTA
Tu veux rire.
ANTIPHON
Regardez cette contenance, hein ! Est-ce bien ainsi?
GÉTA
Non,
ANTIPHON
Et de cette façon?
GÉTA
Cela approche.
ANTIPHON
Et comme ceci?
GÉTA
C'est bien. Allons, garde cette attitude et tâche à répondre mot pour mot, du tac au tac, que sa colère et ses duretés ne te mettent pas en déroute.
ANTIPHON
Je comprends.
GÉTA
Tu as été contraint par la force, en dépit de ta volonté...
PHÉDRIA
Par la loi, par le jugement.
GÉTA
Tu te rappelleras? Mais quel est ce vieillard que j'aperçois au bout de la rue? C'est ton père.
ANTIPHON
Je ne peux pas soutenir sa présence.
GÉTA
Eh bien, que fais-tu? Où vas-tu, Antiphon? Reste donc.
ANTIPHON
Je me connais et je sais ma faute. Je vous recommande Phanium et ma vie. (Il s'enfuit.)
PHÉDRIA
Géta, que va-t-il arriver?
GÉTA
Que toi, tu vas entendre une bonne mercuriale, tandis que moi, suspendu en l'air, je recevrai les étrivières, ou je serais bien trompé (21). Mais ce que nous recommandions ici tout à l'heure à Antiphon, voilà ce que nous devrions faire, Phédria.
PHÉDRIA
Laisse-moi ce « nous devrions » et commande plutôt ce que tu veux que je fasse.
GÉTA
Te rappelles-tu ce que vous disiez précédemment en engageant l'affaire pour excuser votre faute? La cause était juste, facile, gagnée d'avance, excellente.
PHÉDRIA
Je me le rappelle.
GÉTA
Eh bien, c'est le moment d'user de cette apologie, et s'il se peut, d'une apologie meilleure encore et plus habile.
PHÉDRIA
J'y ferai de mon mieux.
GÉTA
Maintenant aborde-le le premier; moi, je vais me tenir ici en embuscade et en réserve, si tu viens à plier.
PHÉDRIA
Fais.

ACTUS II

SCENA I

DEMIPHO, PHAEDRIA, GETA 

DEMIPHO 
Itane tandem uxorem duxit Antipho iniussu meo?
Nec meum imperium, ac mitto imperium, non simultatem meam
revereri saltem! non pudere! o facinus audax, o Geta
monitor! 
GETA 
Vx tandem. 
DEMIPHO 
Quid mihi dicent aut quam causam reperient?
demiror. 
GETA 
Atqui reperiam: aliud cura. 
DEMIPHO 
An hoc dicet mihi: 235
« Invitus feci. Lex coegit »? Audio, fateor. 
GETA 
Places.
DEMIPHO 
Verum scientem, tacitum causam tradere advorsariis,
etiamne id lex coegit? 
PHAEDRIA 
Illud durum. 
GETA 
Ego expediam: sine!
DEMIPHO 
Incertumst quid agam, quia praeter spem atque incredibile hoc mi
optigit:
ita sum irritatus animum ut nequeam ad cogitandum instituere. 240
Quam ob rem omnis, quom secundae res sunt maxume, tum maxume
meditari secum oportet quo pacto advorsam aerumnam ferant,
pericla damna exsilia: peregre rediens semper cogitet
aut fili peccatum aut uxoris mortem aut morbum filiae,
communia esse haec : fieri posse, ut ne quid animo sit novom; 245
quidquid praeter spem eveniat, omne id deputare esse in lucro.
GETA 
O Phaedria, incredibile[st] quantum erum ante eo sapientia,
meditata mihi sunt omnia mea incommoda, erus si redierit.
Molendum esse in pistrino, vapulandum; habendae compedes,
opus ruri faciundum, horum nil quicquam accidet animo novom. 250
quidquid praeter spem eveniet, omne id deputabo esse in lucro.
Sed quid cessas hominem adire et blande in principio adloqui?
DEMIPHO 
Phaedriam mei fratris video filium mi ire obviam.
PHAEDRIA 
Mi patrue, salve. 
DEMIPHO 
Salve; sed ubist Antipho?
PHAEDRIA 
Salvom venire...
DEMIPHO 
Credo; hoc responde mihi. 255
PHAEDRIA 
Valet, hic est; sed satin omnia ex sententia?
DEMIPHO 
Vellem quidem. 
PHAEDRIA 
Quid istuc est? 
DEMIPHO 
Rogitas, Phaedria?
Bonas, me absente, hic confecistis nuptias.
PHAEDRIA 
Eho, an id suscenses nunc illi? 
GETA 
Artificem probum!
DEMIPHO 
Egon illi non suscenseam? Ipsum gestio 260
dari mi in conspectum, nunc sua culpa ut sciat
lenem patrem illum factum me esse acerrimum.
PHAEDRIA 
Atqui nil fecit, patrue, quod suscenseas.
DEMIPHO 
Ecce autem similia omnia! omnes congruont:
unum quom noris, omnis noris. 
PHAEDRIA 
Haud itast. 265
DEMIPHO 
Hic in noxast, ille ad defendundam causam adest;
quom illest, hic praestost: tradunt operas mutuas.
GETA 
Probe horum facta inprudens depinxit senex.
DEMIPHO 
Nam ni haec ita essent, cum illo haud stares, Phaedria.
PHAEDRIA 
Si est, patrue, culpam ut Antipho in se admiserit, 270
ex qua re minus rei foret aut famae temperans,
non causam dico, quin quod meritus sit ferat.
Sed si quis forte malitia fretus sua
insidias nostrae fecit adulescentiae
ac vicit, nostran culpa east an iudicum, 275
qui saepe propter invidiam adimunt diviti
aut propter misericordiam addunt pauperi?
GETA 
Ni nossem causam, crederem vera hunc loqui.
DEMIPHO 
An quisquam iudex est qui possit noscere
tua iusta, ubi tute verbum non respondeas, 280
ita ut ille fecit? 
PHAEDRIA 
Functus adulescentulist
officium liberalis: postquam ad iudices
ventumst, non potuit cogitata proloqui,
ita eum tum timidum ibi obstupefecit pudor.
GETA 
Laudo hunc, sed cesso adire quam primum senem? 285
Ere, salve: salvom te advenisse gaudeo. 
DEMIPHO 
Oh,
bone custos, salve, columen vero familiae,
quoi commendavi filium hinc abiens meum.
GETA 
Iamdudum te omnis nos accusare audio
inmerito, et me omnium horunc inmeritissimo. 290
Nam quid me in hac re facere voluisti tibi?
Servom hominem causam orare leges non sinunt,
neque testimoni dictiost. 
DEMIPHO 
Mitto omnia.
Do istuc : « inprudens timuit adulescens »; sino
« tu servo's »; verum si cognata est maxume, 295
non fuit necessum habere; sed id quod lex iubet,
dotem daretis, quaereret alium virum.
Qua ratione inopem potius ducebat domum?
GETA 
Non ratio, verum argentum deerat. 
DEMIPHO 
Sumeret
alicunde. 
GETA 
Alicunde? nil est dictu facilius. 300
DEMIPHO 
Postremo si nullo alio pacto, fenore.
GETA 
Hui, dixti pulchre! siquidem quisquam crederet
te vivo. 
DEMIPHO 
Non, non sic futurumst: non potest.
egon illam cum illo ut patiar nuptam unum diem?
Nil suave meritumst. Hominem conmonstrarier 305
mihi istum volo, aut ubi habitet demonstrarier.
GETA 
Nempe Phormionem? 
DEMIPHO 
Istum patronum mulieris.
GETA 
Iam faxo hic aderit. 
DEMIPHO 
Antipho ubi nunc est? 
GETA 
Foris.
DEMIPHO 
Abi, Phaedria, eum require atque huc adduce. 
PHAEDRIA 
Eo:
recta via quidem illuc. 
GETA 
Nempe ad Pamphilam. 310
DEMIPHO 
Ego deos penatis hinc salutatum domum
devortar; inde ibo ad forum atque aliquos mihi
amicos advocabo, ad hanc rem qui adsient,
ut ne inparatus sim si veniat Phormio 

ACTE II

SCÈNE I

DÉMIPHON, PHÉDRIA, GÉTA

DÉMIPHON
Ainsi donc Antiphon s'est marié sans mon aveu ! Ni mon autorité, mais laissons là mon autorité, ni mon ressentiment tout au moins ne l'a retenu; il n'a pas eu honte. quelle audace ! Ah ! Géta le conseiller !
GÉTA (à part).
Enfin, il songe à moi.
DÉMIPHON
Que vont-ils me dire? Quelle raison trouveront-ils? Je me le demande.
GÉTA (à part)
On trouvera; ne t'inquiète pas de cela
DÉMIPHON
Me dira-t-il : je l'ai fait malgré moi; la loi m'y a contraint? J'entends cela, je ne dis pas non.
GÉTA (à part)
Cet aveu me plaît.
DÉMIPHON
Mais sciemment, sans mot dire, donner gain de cause à ses adversaires, est-ce que la loi l'y a forcé aussi?
PHÉDRIA (bas à Géta.)
Voilà l'enclouure.
GÉTA (bas à Phédria).
Je la guérirai. laisse-moi faire.
DÉMIPHON
Je ne sais à quoi me résoudre, tant ce qui m'arrive est inattendu, incroyable ! Je suis dans une telle colère que je ne peux fixer mon esprit et réfléchir. Aussi est-ce quand nos affaires vont le mieux que nous devrions le plus songer tous tant que nous sommes aux moyens de supporter l'adversité. Quand on revient de voyage il faut toujours se représenter des dangers, des pertes, l'inconduite d'un fils, la mort d'une femme, la maladie d'une fille. Il faut se dire que ces accidents sont communs, qu'ils peuvent nous arriver, afin que notre esprit ne soit surpris de rien, et tout ce qui arrive contrairement à ces prévisions, il faut le compter pour un gain (22).
GÉTA (bas à Phédria).
O Phédria, on n'imaginerait pas combien je dépasse le patron en sagesse. J'ai médité, moi, sur toutes les disgrâces qui m'attendent, au retour du maître : il me faudra moudre au moulin, être battu, porter des entraves, travailler aux champs. Rien de tout cela ne surprendra mon esprit. Tout ce qui arrivera contrairement à mes prévisions, tout cela, je le compterai pour un gain. Mais que tardes-tu à l'aborder et à lui parler d'abord gentiment?
DÉMIPHON
J'aperçois Phédria, le fils de mon frère, qui vient à ma rencontre.
PHÉDRIA
Cher oncle, bonjour.
DÉMIPHON
Bonjour, mais où est Antiphon?
PHÉDRIA
Ton heureux retour...
DÉMIPHON
C'est bon. Réponds à ma question.
PHÉDRIA
Il se porte bien ; il est ici. Mais tout va-t-il comme tu le souhaites?
DÉMIPHON
Je le voudrais.
PHÉDRIA
Qu'y a-t-il donc?
DÉMIPHON
Tu le demandes, Phédria? Et ce beau mariage que vous avez bâclé en mon absence?
PHÉDRIA
Ah ! est-ce pour cela que tu es fâché contre lui?
GÉTA (à part).
Le bon comédien !
DÉMIPHON
N'ai-je pas sujet d'être fâché? Je suis impatient de le voir en ma présence; je lui ferai voir que, par sa faute, le plus indulgent des pères est devenu le plus intraitable.
PHÉDRIA
Il n'a pourtant rien fait, mon oncle, qui mérite ta colère.
DÉMIPHON
Les voilà bien ! tous pareils ! Ils s'entendent tous. Qui en connaît un, les connaît tous.
PHÉDRIA
Pas du tout.
DÉMIPHON
L'un est-il en faute, l'autre est là pour plaider sa cause. Que celui-ci fasse une sottise, le premier est là pour le défendre : service pour service.
GÉTA (à part).
Il a bien dépeint sans le savoir la conduite de mes deux godelureaux, le vieux.
DÉMIPHON
Si ce n'était pas cela, Phédria, tu ne prendrais pas son parti.
PHÉDRIA
S'il est vrai, mon oncle, qu'Antiphon ait commis une faute qui ait compromis ta fortune ou son honneur, je ne plaide pas pour lui : qu'il subisse la peine qu'il a méritée. Mais si justement un intrigant, fort de sa coquinerie, a tendu un piège à notre jeunesse et nous y a fait tomber, à qui s'en prendre, à nous ou à la justice? Les juges, par envie, enlèvent souvent au riche ou, par pitié, avantagent le pauvre (23).
GÉTA (à part).
Si je ne savais ce qui en est, je croirais qu'il dit la vérité.
DÉMIPHON
Mais quel juge pourrait reconnaître que le droit est pour toi, quand toi-même tu ne réponds pas un mot, comme ill'a fait, lui. 
PHÉDRIA
Il s'est conduit en jeune homme bien né. Quand on s'est trouvé devant les juges, il lui a été impossible de prononcer la défense qu'il avait préparée, tellement la honte, ajoutée à sa timidité, lui a ôté tous ses moyens.
GÉTA (A part.) 
Bravo, Phédria ! Mais qu'est-ce que j'attends pour aborder le bonhomme? (A Démiphon) Maître, salut. Je suis bien aise de te revoir bien portant.
DÉMIPHON
Ah ! salut, excellent gouverneur, appui de ma maison, à qui j'ai recommandé mon fils en partant d'ici.
GÉTA
Il y a une heure que je t'entends nous faire le procès à tous, sans que nous le méritions, et moi, moins que tout autre. Car que voulais-tu que je fisse pour toi en cette conjoncture? Un esclave n'a pas le droit de plaider : la loi le défend; son témoignage même n'est pas reçu.
DÉMIPHON
Passons là dessus. Mon fils est un enfant qui s'est laissé intimider : soit ! Tu n'es qu'un esclave : je l'accorde. Mais la fille eût-elle été cent fois sa parente, il n'y avait pas nécessité d'épouser; vous n'aviez, aux termes de la loi, qu'à la doter et à l'envoyer chercher un mari ailleurs. Par quelle raison a-t-il préféré amener chez nous une indigente?
GÉTA
Ce n'est pas la raison, c'est l'argent qui a manqué.
DÉMIPHON
Il n'avait qu'à en prendre ailleurs.
GÉTA
Ailleurs? rien n'est plus facile à dire.
DÉMIPHON
Enfin, s'il n'en pouvait trouver autrement, il fallait en prendre à usure.
GÉTA
Oh ! c'est bien dit, si quelqu'un eût consenti à prêter, toi vivant.
DÉMIPHON
Non, ça ne se passera pas ainsi, c'est impossible. Moi, je souffrirais qu'elle reste mariée avec lui un seul jour ! Ils n'ont pas droit à tant de complaisance. Qu'on me fasse voir cet homme; je veux qu'on me le montre, lui ou sa demeure.
GÉTA
C'est de Phormion que tu parles?
DÉMIPHON
Je parle de cet avocat de la donzelle.
GÉTA
Je vais te l'amener.
DÉMIPHON
Et Antiphon, où est-il à présent?
GÉTA
Il est sorti.
DÉMIPHON
Va le chercher, Phédria, et amène-le ici.
PHÉDRIA
J'y vais tout droit.
GÉTA (à part).
Oui, chez Pamphila.
DÉMIPHON
Moi, je vais entrer à la maison saluer mes dieux pénates; de là j'irai à la place chercher quelques amis pour m'assister dans cette affaire. Je veux être en mesure quand Phormion viendra.

SCENA II

PHORMIO, GETA

PHORMIO 
Itane patris ais adventum veritum hinc abiisse? 
GETA 
Admodum. 315
PHORMIO
Phanium relictam solam? 
GETA 
Sic. 
PHORMIO 
Et iratum senem?
GETA 
Oppido. 
PHORMIO 
Ad te summa solum, Phormio, rerum redit:
tute hoc intristi: tibi omnest exedendum. Accingere.
GETA 
Obsecro te. 
PHORMIO 
Si rogabit...
GETA 
In te spes est. 
PHORMIO 
Eccere,
quid si reddet? 
GETA 
Tu inpulisti. 
PHORMIO 
Sic opinor. 
GETA 
Subveni. 320
PHORMIO 
Cedo senem: iam instructa sunt mi in corde consilia omnia.
GETA 
Quid ages? 
PHORMIO 
Quid vis, nisi uti maneat Phanium atque ex crimine hoc
Antiphonem eripiam atque in me omnem iram derivem senis?
GETA 
O vir fortis atque amicus. Verum hoc saepe, Phormio,
vereor, ne istaec fortitudo in nervom erumpat denique. 
PHORMIO 
Ah, 325
non ita est: factumst periclum, iam pedum visast via.
Quot me censes homines iam deverberasse usque ad necem,
hospites, tum civis? quo mage novi, tanto saepius.
Cedo dum, enumquam iniuriarum audisti mihi scriptam dicam?
GETA 
Qui istuc? 
PHORMIO 
Quia non rete accipitri tennitur neque miluo, 330
qui male faciunt nobis: illis qui nil faciunt tennitur,
quia enim in illis fructus est, in illis opera luditur.
Aliis aliundest periclum, unde aliquid abradi potest:
mihi sciunt nil esse. Dices : « Ducent damnatum domum. »
Alere nolunt hominem edacem et sapiunt mea sententia, 335
pro maleficio si beneficium summum nolunt reddere.
GETA 
Non potest satis pro merito ab illo tibi referri gratia.
PHORMIO 
Immo enim nemo satis pro merito gratiam regi refert.
Ten asymbolum venire unctum atque lautum e balineis,
otiosum ab animo, quom ille et cura et sumptu absumitur! 340
Dum tibi fit quod placeat, ille ringitur: tu rideas,
prior bibas, prior decumbas; cena dubia apponitur.
GETA 
Quid istuc verbist?
PHORMIO 
Ubi tu dubites quid sumas potissimum.
Haec quom rationem ineas quam sint suavia et quam cara sint,
ea qui praebet, non tu hunc habeas plane praesentem deum? 345
GETA 
Senex adest: vide quid agas: prima coitiost acerrima.
Si eam sustinueris, postilla iam ut lubet ludas licet. 

SCÈNE II 

PHORMION, GÉTA

PHORMION
Tu dis donc qu'il a pris peur à l'arrivée de son père et qu'il s'est enfui de la maison?
GÉTA
Oui, vraiment.
PHORMION
Qu'il a laissé Phanium seule?
GÉTA
Oui.
PHORMION
Et que le bonhomme enrage.
GÉTA
Furieusement.
PHORMION (à lui-même).
C'est sur toi seul, Phormion, que va rouler toute l'affaire. Tu as trempé la soupe : il te faut l'avaler toute. Prépare-toi.
GÉTA
Je te supplie.
PHORMION
S'il demande...
GÉTA
Nous n'avons espoir qu'en toi.
PHORMION
C'est cela. Et si on la rendait...
GÉTA
C'est toi qui nous as poussés.
PHORMION
C'est bien ainsi, je crois.
GÉTA
Viens à notre aide.
PHORMION
Passe-moi le vieux. J'ai maintenant tout mon plan dans la tête.
GÉTA
Que vas-tu faire?
PHORMION
Que veux-tu que je fasse, sinon de vous garder Phanium, de mettre Antiphon hors de cause et de dériver sur moi toute la colère du bonhomme?
GÉTA
Ah ! tu es un brave et un ami. Mais je me prends à craindre, Phormion, que tant de bravoure n'aboutisse au cachot à la fin.
PHORMION
Ah ! que non pas. Mon apprentissage est fait; je sais à présent où poser le pied. Combien crois-tu que j'aie déjà battu de gens jusqu'à la mort, étrangers et même citoyens? Plus je connais le métier, plus je le pratique. Or çà, as-tu jamais entendu dire qu'on m'ait assigné en réparation d'injures?
GÉTA
Comment cela se fait-il?
PHORMION
C'est qu'on ne tend pas de filets à l'épervier ni au milan qui nous font du mal; c'est à ceux qui n'en font pas qu'on dresse des pièges. Avec eux, il y a profit; avec les premiers, c'est peine perdue. D'un côté ou d'un autre, le danger guette ceux à qui l'on peut arracher pied ou aile; mais moi, on sait que je n'ai rien. Tu me diras qu'un plaignant peut me faire condamner et m'emmener dans sa maison. On ne veut pas nourrir un si gros mangeur; et l'on a raison, à mon avis, de ne pas vouloir payer mes méfaits d'un grand bienfait.
GÉTA
Antiphon ne pourra jamais assez reconnaître ce que tu fais pour lui.
PHORMION
C'est plutôt ce que le riche fait pour nous que nous ne saurions assez reconnaître. Te vois-tu arriver sans payer ton écot, parfumé au sortir du bain, l'esprit en repos, alors que lui est absorbé par les soins et la dépense? Tandis qu'on apprête de quoi te faire plaisir, lui se fait du souci (24); toi, tu ris, tu bois le premier, tu t'assieds le premier à table. On sert un repas ambigu.
GÉTA
Qu'entends-tu par là?
PHORMION
Un repas où tu ne sais que prendre de préférence. Quand Lu repasses en ton esprit combien ces plaisirs sont agréables et ce qu'ils coûtent à celui qui les fournit, ne faut-il pas le regarder comme un dieu vraiment tutélaire?
GÉTA
Voici le vieux. Vois à te bien tenir. C'est le premier choc qui est le plus rude. Si tu le soutiens, tu pourras alors jouer à ton aise.

SCENA III

DEMIPHO, GETA, PHORMIO

DEMIPHO 
Enumquam quoiquam contumeliosius
audistis factam iniuriam quam haec est mihi?
Adeste quaeso. 
GETA 
Iratus est. 
PHORMIO 
Quin tu hoc age: 350
iam ego hunc agitabo. Pro deum inmortalium,
negat Phanium esse hanc sibi cognatam Demipho?
Hanc Demipho negat esse cognatam? 
GETA 
Negat.
PHORMIO 
Neque eius patrem se scire qui fuerit? 
GETA 
Negat.
DEMIPHO 
Ipsum esse opinor de quo agebam. Sequimini. 355
PHORMIO 
Nec Stilponem ipsum scire qui fuerit? 
GETA 
Negat.
PHORMIO 
Quia egens relictast misera, ignoratur parens,
neglegitur ipsa: vide avaritia quid facit.
GETA 
Si erum insimulabis malitiae male audies.
DEMIPHO 
O audaciam! etiam me ultro accusatum advenit? 360
PHORMIO 
Nam iam adulescenti nil est quod suscenseam,
si illum minusnorat; quippe homo iam grandior,
pauper, quoi opera vita erat, ruri fere
se continebat; ibi agrum de nostro patre
colendum habebat. Saepe interea mihi senex 365
narrabat se hunc neglegere cognatum suom:
at quem virum! quem ego viderim in vita optumum.
GETA 
Videas te atque illum ut narras! 
PHORMIO 
I in malam crucem !
Nam ni ita eum existumassem, numquam tam gravis
ob hanc inimicitias caperem in vostram familiam, 370
quam is aspernatur nunc tam inliberaliter.
GETA 
Pergin ero absenti male loqui, inpurissime?
PHORMIO 
Dignum autem hoc illost. 
GETA 
Ain tandem, carcer? 
DEMIPHO 
Geta.
GETA
Bonorum extortor, legum contortor!
DEMIPHO 
Geta.
PHORMIO 
Responde. 
GETA 
Quis homost? Eem. 
DEMIPHO 
Tace. 
GETA 
Absenti tibi 375
te indignas seque dignas contumelias
numquam cessavit dicere hodie. 
DEMIPHO 
Desine.
Adulescens, primum abs te hoc bona venia peto,
si tibi placere potis est, mi ut respondeas:
quem amicum tuom ais fuisse istum, explana mihi, 380
et qui cognatum me sibi esse diceret.
PHORMIO 
Proinde expiscare quasi non nosses. 
DEMIPHO 
Nossem? 
PHORMIO 
Ita.
DEMIPHO 
Ego me nego: tu qui ais redige in memoriam.
PHORMIO 
Eho tu, sobrinum tuom non noras? 
DEMIPHO 
Enicas.
Dic nomen. 
PHORMIO 
Nomen? Maxume. 
DEMIPHO 
Quid nunc taces? 385
PHORMIO 
Perii hercle, nomen perdidi. 
DEMIPHO 
Quid ais?
 PHORMIO 
Geta,
si meministi id quod olim dictumst, subice. Hem,
non dico: quasi non nosses, temptatum advenis.
DEMIPHO 
Ego autem tempto? 
GETA
Stilpo. 
PHORMIO 
Atque adeo quid mea?
Stilpost. 
DEMIPHO 
Quem dixti? 
PHORMIO 
Stilponem inquam noveras. 390
DEMIPHO 
Neque ego illum noram nec mihi cognatus fuit
quisquam istoc nomine. 
PHORMIO 
Itane? Non te horum pudet?
At si talentum rem reliquisset decem !
DEMIPHO 
Di tibi malefaciant! 
PHORMIO 
Primus esses memoriter
progeniem vostram usque ab avo atque atavo proferens. 395
DEMIPHO 
Ita ut dicis. Ego tum quom advenissem qui mihi
cognata ea esset dicerem: itidem tu face.
cedo qui est cognata? 
GETA 
Eu noster, recte. Heus tu, cave.
PHORMIO 
Dilucide expedivi quibus me oportuit
iudicibus. Tum id si falsum fuerat, filius 400
quor non refellit? 
DEMIPHO 
Filium narras mihi?
Quoius de stultitia dici ut dignumst non potest.
PHORMIO 
At tu qui sapiens es magistratus adi,
iudicium de eadem causa iterum ut reddant tibi,
quandoquidem solus regnas et soli licet 405
hic de eadem causa bis iudicium adipiscier.
DEMIPHO 
Etsi mihi facta iniuriast, verum tamen
potius quam litis secter aut quam te audiam,
itidem ut cognata si sit, id quod lex iubet
dotis dare, abduce hanc, minas quinque accipe. 410
PHORMIO 
Hahahae, homo suavis 
DEMIPHO 
Qid est? Num iniquom postulo?
An ne hoc quidem ego adipiscar, quod ius publicumst?
PHORMIO 
Itan tandem, quaeso, itidem ut meretricem ubi abusus sis,
mercedem dare lex iubet ei atque amittere?
An, ut nequid turpe civis in se admitteret 415
propter egestatem, proxumo iussast dari,
ut cum uno aetatem degeret? Quod tu vetas.
DEMIPHO 
Ita, proxumo quidem. At nos unde? Aut quam ob rem?
PHORMIO 
Ohe,
« Actum » aiunt « ne agas ». 
DEMIPHO 
Non agam? Immo haud desinam
donec perfecero hoc. 
PHORMIO 
Ineptis. 
DEMIPHO 
Sine modo. 420
PHORMIO 
Postremo tecum nil rei nobis, Demipho, est:
tuos est damnatus gnatus, non tu; nam tua
praeterierat iam ducendi aetas. 
DEMIPHO 
Omnia haec
illum putato, quae ego nunc dico dicere;
aut quidem cum uxore hac ipsum prohibebo domo. 425
GETA 
Iratus est. 
PHORMIO 
Tu te idem melius feceris.
DEMIPHO 
Itan es paratus facere me advorsum omnia,
infelix? 
PHORMIO 
Metuit hic nos, tam etsi sedulo
dissimulat.
GETA 
Bene habent tibi principia.
PHORMIO quin quod est
Ferundum fers? Tuis dignum factis feceris, 430
ut amici inter nos simus? 
DEMIPHO 
Egon tuam expetam
amicitiam? aut te visum aut auditum velim?
PHORMIO 
Si concordabis cum illa, habebis quae tuam
senectutem oblectet: respice aetatem tuam.
DEMIPHO 
Te oblectet, tibi habe. 
PHORMIO 
Minue vero iram. 
DEMIPHO 
Hoc age: 435
satis iam verborumst: nisi tu properas mulierem
abducere, ego illam eiciam. Dixi, Phormio.
PHORMIO 
Si tu illam attigeris secus quam dignumst liberam,
dicam tibi inpingam grandem. Dixi, Demipho.
Si quid opus fuerit, heus, domo me. 
GETA 
Intellego. 440

SCÈNE III 

DÉMIPHON, GÉTA, PHORMION

DÉMIPHON (à ceux qui le suivent).
Avez-vous jamais entendu parler d'une injustice plus outrageante que celle qu'on m'a faite? Soutenez-moi, bien, je vous prie.
GÉTA (à Phormion).
Il est en colère.
PHORMION (à Géta).
Fais attention. Tu vas voir comme je vais le mener. Dieux immortels ! Il ose nier que Phanium soit sa parente, ce Démiphon? Démiphon ose le nier?
GÉTA (feignant de ne pas voir son maître).
Il le nie.
PHORMION (même jeu).
Et qu'il ait jamais connu son père?
GÉTA (même jeu).
Il le nie.
DÉMIPHON (à ses amis).
Voilà précisément l'homme dont je parlais. Suivez-moi.
PHORMION (même jeu).
Et qu'il ait jamais su qui était Stilpon lui-même?
GÉTA (même jeu).
Il le nie (25).
PHORMION (même jeu).
C'est parce que la pauvre enfant a été laissée dans l'indigence qu'on ne connaît pas son père et qu'on l'abandonne elle-même. Voilà ce que fait l'avarice.
GÉTA (même jeu).
Si tu accuses mon maître d'être un méchant homme, je te dirai ton fait, moi.
DÉMIPHON (à ses amis).
Quelle audace ! Il vient encore m'accuser le premier.
PHORMION (même jeu).
Pour le jeune homme, je n'ai pas sujet de lui en vouloir s'il ne connaissait pas le père; car le bonhomme était déjà vieux, il était pauvre, il travaillait pour gagner sa vie et ne quittait guère la campagne, où il cultivait un champ que lui affermait mon père. Vingt fois je l'ai entendu alors se plaindre de l'abandon où le tenait son parent. Et pourtant quel homme ! ce que j'ai connu de plus honnête au monde.
GÉTA
Tâche donc de ressembler toi-même au portrait que tu en fais !
PHORMION
Va te faire pendre ! Si je ne l'avais pas jugé tel, jamais je ne me serais exposé à la redoutable inimitié de votre famille pour une fille qu'il repousse aujourd'hui si malhonnêtement.
GÉTA
Vas-tu continuer, vaurien, à dire du mal de mon maître, en son absence?
PHORMION
Je ne dis rien qu'il ne mérite.
GÉTA
Oses-tu donc le soutenir, gibier de prison?
DÉMIPHON
Géta !
GÉTA
Escroc, faussaire !
DÉMIPHON
Géta !
PHORMION (bas à Géta).
Réponds-lui.
GÉTA
Qui est-ce? Ah !
DÉMIPHON
Tais-toi.
GÉTA (avec une feinte colère).
Tandis que tu n'étais pas là, il n'a pas cessé depuis ce matin de te charger d'injures que tu ne mérites pas, mais qu'il mérite, lui.
DÉMIPHON (à Géta).
Allons, assez ! (A Phormion.) Jeune homme, permets-moi d'abord une question, si tu veux bien consentir à me répondre. Explique-moi qui était cet ami dont tu parles, et à quel titre il prétendait être mon parent.
PHORMION
Tu t'en informes, comme si tu ne le connaissais pas !
DÉMIPHON
Je le connaissais, moi?
PHORMION
Oui, toi.
DÉMIPHON
C'est ce que je nie; toi qui l'affirmes, aide ma mémoire.
PHORMION
Oh ! oh ! tu ne connaissais pas ton cousin?
DÉMIPHON
Tu es impatientant. Dis-moi son nom.
PHORMION
Son nom? Parfaitement.
DÉMIPHON
Pourquoi ne dis-tu mot?
PHORMION (à part).
Foin de moi ! Le nom m'est échappé.
DÉMIPHON
Que dis-tu? 
PHORMION (bas à Géta).
Géta, si tu te souviens du nom qui a été produit au procès, souffle-le-moi. (Haut.) Non, je ne le dirai pas; tu viens me tâter, comme si tu ne le connaissais pas.
DÉMIPHON
Moi, te tâter !
GÉTA (bas à Phormion).
Stilpon.
PHORMION
Au fait, que m'importe? Il se nommait Stilpon.
DÉMIPHON
Comment as-tu dit?
PHORMION
Stilpon, te dis-je. Tu le connaissais bien.
DÉMIPHON
Non, je ne l'ai pas connu, et je n'ai jamais eu de parent de ce nom.
PHORMION
Est-ce possible? N'as-tu pas honte devant ces témoins? Ah ! s'il avait laissé un héritage de dix talents !
DÉMIPHON
Que les dieux te confondent !
PHORMION
Comme tu aurais bonne mémoire ! Tu serais le premier à nous dérouler toute ta généalogie depuis ton bisaïeul et ton trisaïeul.
DÉMIPHON
J'aurais fait comme tu dis. En comparaissant, j'aurais expliqué à quel titre elle était ma parente. Fais de même, toi. Dis comment elle est notre parente.
GÉTA
Bravo ! notre maître, voilà qui est bien. (Bas à Phormion.) Hé, toi ! prends garde.
PHORMION
J'ai clairement expliqué le fait, en son lieu, devant les juges. Si mon dire était faux, pourquoi ton fils ne l'a-t-il  pas réfuté?
DÉMIPHON
Tu parles de mon fils? lui dont la sottise est inqualifiable !
PHORMION
Eh bien, toi qui es sage, va demander aux magistrats que, par considération pour toi, ils rendent un nouveau jugement sur la même cause. Aussi bien tu es seul à régner ici, et, seul, tu as le droit de faire juger une même affaire deux fois.
DÉMIPHON
Je suis victime d'une injustice. Cependant plutôt que d'avoir des procès à poursuivre ou d'avoir à t'entendre, je veux bien faire comme si elle était ma parente, et lui donner la dot fixée par la loi. Emmène-la : voilà cinq mines que je te remets.
PHORMION
Ha ! ha ! ah ! tu es bon, toi!
DÉMIPHON
Qu'est-ce à dire? Est-ce que ma demande est injuste? Et ne pourrai-je même pas obtenir ce que le droit accorde à tout le monde?
PHORMION
La loi t'ordonne-t-elle donc, dis-moi, de la traiter comme une courtisane qu'on paye et qu'on renvoie, après s'en être servi? N'est-ce pas pour empêcher qu'une citoyenne se laissa entraîner à quelque action déshonnête que la loi la donne à son plus proche parent, afin qu'elle passe sa vie avec un seul mari? Et c'est ce que tu ne veux pas, toi.
DÉMIPHON
Oui, à son plus proche parent. Mais d'où sommes-nous parents, et pourquoi épouserions-nous?
PHORMION
Allons ! suis le proverbe : ne reviens pas sur ce qui est fait.
DÉMIPHON
Que je n'y revienne pas? Au contraire, je n'aurai de cesse que je n'en sois venu à bout.
PHORMION
Tu ne sais ce que tu dis.
DÉMIPHON
Laisse-moi faire seulement.
PHORMION
Pour en finir, Démiphon, ce n'est pas à toi que nous avons affaire. C'est ton fils qui a été condamné, et non toi : tu avais passé l'âge d'épouser.
DÉMIPHON
Ce que je te dis à présent, persuade-toi que c'est lui qui le dit. Autrement, je le chasserai de chez moi avec celle qu'il a épousée.
GÉTA (bas).
Le voilà hors des gonds.
PHORMION
Tu feras mieux de t'en chasser toi-même.
DÉMIPHON
As-tu juré de me contrecarrer en tout, misérable?
PHORMION (bas à Géta).
Il a peur de nous, malgré tous ses efforts pour le dissimuler.
GÉTA (bas à Phormion).
Bon début pour toi.
PHORMION
Allons, prends ton mal en patience et, si tu veux te conduire comme il convient, devenons bons amis.
DÉMIPHON
Moi, rechercher ton amitié? je ne veux ni te voir ni t'entendre.
PHORMION
Si tu t'accordes avec elle, tu auras en elle de quoi charmer ta vieillesse. Songe à ton âge.
DÉMIPHON
Qu'elle te charme toi-même : garde-la pour toi.
PHORMION
Là, tout doux.
DÉMIPHON
Écoute : en voilà assez. Si tu ne te hâtes pas d'emmener cette femme, je la jette à la porte. J'ai dit, Phormion.
PHORMION
Si tu la touches autrement qu'avec les égards dus à une femme libre, je t'intente un beau procès. J'ai dit, Démiphon. (Bas à Géta.) Si l'on a besoin de moi, hé toi ! c'est au logis que...
GÉTA (bas à Phormion).
Compris.

SCENA IV

DEMIPHO, GETA, HEGIO, CRATINUS, CRITO 

DEMIPHO
 
Quanta me cura et sollicitudine adficit
gnatus, qui me et se hisce inpedivit nuptiis!
Neque mi in conspectum prodit, ut saltem sciam
quid de hac re dicat quidve sit sententiae.
Abi, vise redieritne iam an nondum domum. 445
GETA 
Eo.- 
DEMIPHO 
Videtis quo in loco res haec siet.
Quid ago? Dic, Hegio. 
HEGIO 
Ego? Cratinum censeo,
si tibi videtur. 
DEMIPHO 
Dic, Cratine. 
CRATINUS 
Mene vis?
DEMIPHO 
Te. 
CRATINUS 
Ego quae in rem tuam sint, ea velim facias. Mihi
sic hoc videtur: quod, te absente, hic filius 450
egit, restitui in integrum aequomst et bonum,
et id impetrabis. Dixi. 
DEMIPHO 
Dic nunc, Hegio.
HEGIO 
Ego sedulo hunc dixisse credo; verum itast,
quot homines tot sententiae: suos quoique mos.
Mihi non videtur quod sit factum legibus 455
rescindi posse; et turpe inceptust. 
DEMIPHO 
Dic, Crito.
CRITO 
Ego amplius deliberandum censeo:
res magnast. 
CRATINUS 
Numquid nos vis? 
DEMIPHO 
Fecistis probe:
incertior sum multo quam dudum.- 
GETA 
Negant
redisse. 
DEMIPHO 
Frater est exspectandus mihi: 460
is quod mihi dederit de hac re consilium, id sequar.
Percontatum ibo ad portum, quoad se recipiat.-
GETA 
At ego Antiphonem quaeram, ut quae acta hic sint sciat.
Sed eccum ipsum video in tempore huc se recipere.

SCÈNE IV

DÉMIPHON, GÉTA, HÉGION, CRATINUS, CRITON

DÉMIPHON
Que de soucis et d’inquiétudes me donne mon fils avec ce mariage où il nous a empêtrés, lui et moi ! S'il se montrait encore, je saurais du moins ce qu'il en dit et ce qu'il en pense. (A Géta.) Va-t'en voir s'il est, ou non, de retour au logis.
GÉTA
J'y vais. —
DÉMIPHON
Vous voyez où en est mon affaire. Que dois-je faire, Hégion? dis-moi.
HÉGION
Moi je suis d'avis que Cratinus, si tu le veux bien...
DÉMIPHON
Parle, Cratinus.
CRATINUS
Tu veux que ce soit moi?
DÉMIPHON
Oui.
CRATINUS
Moi, je voudrais que tu fasses ce qui peut servir tes intérêts. Et voici mon avis : ce que ton fils a fait ici en ton absence doit être infirmé; ainsi le veulent le droit et la raison, et tu l'obtiendras. J'ai dit.
DÉMIPHON
Parle à présent, Hégion.
HÉGION
Moi, je suis persuadé que Cratinus a parlé en conscience; mais, vous le savez, autant de têtes, autant d'avis. Chacun a sa manière de voir. Je pense que là où la justice  a passé, il n'y a pas à revenir et qu'il serait mal de le tenter.
DÉMIPHON
A toi, Criton.
CRITON
Je crois qu'il y a lieu à plus ample délibéré. Le cas est grave.
HÉGION (à Démiphon).
As-tu encore besoin de nous?
DÉMIPHON
Je vous suis fort obligé. — (Les trois amis se retirent.) Me voici beaucoup plus incertain que je ne l'étais.
GÉTA
On m'a dit qu'il n'était pas rentré.
DÉMIPHON
Il me faut attendre mon frère. Je suivrai le conseil qu'il me donnera sur cette affaire. Je vais aller au port m'informer de son arrivée. —
GÉTA
Et moi, je vais chercher Antiphon pour le mettre au courant de ce qui s'est passé ici. Mais le voici justement qui rentre fort à propos.

ACTUS III

SCENA I

ANTIPHO, GETA

ANTIPHO
 
Enimvero, Antipho, multimodis cum istoc animo es vituperandus: 465
itane te hinc abisse et vitam tuam tutandam aliis dedisse ?
Alios tuam rem credidisti mage quam tete animum advorsuros?
Nam, utut erant alia, illi certe quae nunc tibi domist consuleres,
nequid propter tuam fidem decepta poteretur mali.
Quoi nunc miserae spes opesque sunt in te uno omnes sitae. 470
GETA 
Et quidem, ere, nos iamdudum hic te absentem incusamus, qui abieris.
ANTIPHO 
Te ipsum quaerebam. 
GETA 
Sed ea causa nihilo mage defecimus.
ANTIPHO 
Loquere obsecro, quonam in loco sunt res et fortunae meae?
Num quid patri subolet? 
GETA 
Nil etiam. 
ANTIPHO 
Ecquid spei porrost? 
GETA
Nescio. 
ANTIPHO 
Ah !
GETA 
Nisi Phaedria haud cessavit pro te eniti. 
ANTIPHO 
Nil fecit novi. 475
GETA 
Tum Phormio itidem in hac re, ut in aliis strenuom hominem praebuit.
ANTIPHO 
Quid is fecit? 
GETA 
Confutavit verbis admodum iratum senem.
ANTIPHO 
Eu, Phormio! 
GETA 
Ego quod potui porro. 
ANTIPHO 
Mi Geta, omnis vos amo.
GETA 
Sic habent principia sese ut dico: adhuc tranquilla res est,
mansurusque patruom pater est, dum huc adveniat. 
ANTIPHO 
Quid eum? 
GETA ut aibat, 480
de eius consilio sese velle facere quod ad hanc rem attinet.
ANTIPHO 
Quantum metus est mihi videre huc salvom nunc patruom, Geta!
nam per eius unam, ut audio, aut vivam aut moriar sententiam.
GETA 
Phaedria tibi adest. 
ANTIPHO 
Ubinam? 
GETA 
Eccum ab sua palaestra exit foras. 

ACTE III

SCÈNE I

ANTIPHON, GÉTA

ANTIPHON (sans voir Géta).
Véritablement, Antiphon, tu es impardonnable avec ta timidité. T'enfuir ainsi et laisser à d'autres le soin de défendre ta vie ! Croyais-tu qu'ils feraient tes affaires mieux que toi-même? Sans parler du reste, tu aurais dû songer à celle qui est maintenant chez toi, et empêcher que sa confiance en tes promesses ne lui valût quelque mauvais traitement. La malheureuse n'a plus d'espoir et de ressources qu'en toi seul.
GÉTA
Ma foi, maître, il y a longtemps que nous te blâmons entre nous d'avoir pris la fuite.
ANTIPHON
C'est justement toi que je cherchais.
GÉTA
Mais nous n'avons pas fait défection pour cela.
ANTIPHON
Parle, de grâce. En quel état sont mes affaires? A quoi dois-je m'attendre? Mon père a-t-il vent de quelque chose?
GÉTA
De rien, jusqu'à présent.
ANTlPHON
Quel espoir me reste-t-il?
GÉTA
Je l'ignore.
ANTIPHON
Ah!
GÉTA
Tout ce que je sais, c'est que Phédria n'a pas cessé de travailler pour toi.
ANTIPHON
Je le reconnais là.
GÉTA
Phormion, de son côté, s'est ici, comme toujours, conduit en brave.
ANTIPHON
Qu'a-t-il fait?
GÉTA
Il a rabattu par ses coups de langue la violente colère du bonhomme.
ANTIPHON
Brave Phormion !
GÉTA
Moi aussi, j'ai fait ce que j'ai pu.
ANTIPHON
Mon cher Géta, je vous aime tous.
GÉTA
Les commencements sont comme je te dis; jusqu'ici la situation est calme. Ton père a résolu d'attendre l'arrivée de ton oncle.
ANTIPHON
Pourquoi de mon oncle?
GÉTA
Parce qu'il veut, disait-il, se gouverner en cette affaire d'après le conseil qu'il en attend.
ANTIPHON
Ah ! Géta, que j'ai peur à présent de voir mon oncle arriver ici sans encombre ! Car, d'après ce que tu dis, ma vie et ma mort dépendent uniquement de son avis.
GÉTA
Voilà Phédria qui vient à toi.
ANTIPHON
Où est-il donc?
GÉTA
Tiens : il sort de sa palestre (26).

SCENA II

PHAEDRIA, DORIO, ANTIPHO, GETA

PHAEDRIA 
Dorio, 485
audi obsecro. 
DORIO 
Non audio. 
PHAEDRIA 
Parumper. 
DORIO 
Quin omitte me.
PHAEDRIA 
Audi quod dicam. 
DORIO 
At enim taedet iam audire eadem miliens.
PHAEDRIA 
At nunc dicam quod lubenter audias. 
DORIO 
Loquere, audio.
PHAEDRIA 
Non queo te exorare ut maneas triduom hoc? Quo nunc abis?
DORIO 
Mirabar si tu mihi quicquam adferres novi. 
ANTIPHO 
Ei, 490
metuo lenonem ne quid suo suat capiti. 
GETA
Idem ego vereor.
PHAEDRIA 
Nondum mihi credis? 
DORIO 
Hariolare. 
PHAEDRIA 
Sin fidem do? 
DORIO 
Fabulae!
PHAEDRIA 
Feneratum istuc beneficium pulchre tibi dices. 
DORIO 
Logi!
PHAEDRIA 
Crede mi, gaudebis facto: verum hercle hoc est. 
DORIO 
Somnium!
PHAEDRIA 
Experire: non est longum. 
DORIO 
Cantilenam eandem canis. 495
PHAEDRIA 
Tu mihi cognatus, tu parens, tu amicus, tu...
DORIO 
Garri modo.
PHAEDRIA 
Adeon ingenio esse duro te atque inexorabili
ut neque misericordia neque precibus molliri queas!
DORIO 
Adeon te esse incogitantem atque inpudentem, Phaedria,
me ut phaleratis ducas dictis et meam ductes gratiis! 500
ANTIPHO 
Miseritumst. 
PHAEDRIA 
Ei, veris vincor! 
GETA 
Quam uterquest similis sui!
PHAEDRIA 
Neque Antipho alia quom occupatus esset sollicitudine,
tum hoc esse mihi obiectum malum! 
ANTIPHO 
Quid istuc est autem, Phaedria?
PHAEDRIA 
O fortunatissime Antipho. 
ANTIPHO 
Egone? 
PHAEDRIA 
Quoi quod amas domist.
neque cum huius modi umquam [tibi] usus venit ut conflictares malo. 505
ANTIPHO 
Mihin domist? immo, id quod aiunt, auribus teneo lupum;
nam neque quo pacto a me amittam, neque uti retineam scio.
DORIO 
Ipsum istuc mihi in hoc est. 
ANTIPHO 
Heia, ne parum leno sies.
Numquid hic confecit? 
PHAEDRIA 
Hicine? Quod homo inhumanissimus,
Pamphilam meam vendidit. 
ANTIPHO 
Quid? Vendidit? 
GETA 
Ain? Vendidit? 510
PHAEDRIA 
Vendidit. 
DORIO 
Quam indignum facinus, ancillam aere emptam suo!
PHAEDRIA 
Nequeo exorare ut me maneat et cum illo ut mutet fidem
triduom hoc, dum id quod est promissum ab amicis argentum aufero.
Si non tum dedero, unam praeterea horam ne oppertus sies.
DORIO 
Optunde. 
ANTIPHO 
Haud longumst id quod orat: Dorio, exoret sine. 515
Idem hoc tibi, quod boni promeritus fueris, conduplicaverit.
DORIO 
Verba istaec sunt. 
ANTIPHO 
Pamphilamne hac urbe privari sines?
Tum praeterea horunc amorem distrahi poterin pati?
DORIO 
Neque ego neque tu. 
PHAEDRIA 
Di tibi omnes id quod es dignus duint!
DORIO 
Ego te compluris advorsum ingenium meum mensis tuli 520
pollicitantem et nil ferentem, flentem; nunc contra omnia haec
repperi qui det neque lacrumet: da locum melioribus.
ANTIPHO 
Certe hercle, ego si satis commemini, tibi quidem est olim dies,
quam ad dares huic, praestituta. 
PHAEDRIA 
Factum. 
DORIO 
Num ego istuc nego?
ANTIPHO 
Iam ea praeteriit? 
DORIO 
Non, verum haec ei antecessit. 
ANTIPHO 
Non pudet 525
vanitatis? 
DORIO 
Minime, dum ob rem. 
GETA 
Sterculinum! 
PHAEDRIA 
Dorio,
itane tandem facere oportet? 
DORIO 
Sic sum: si placeo, utere.
ANTIPHO 
Sicin hunc decipis? 
DORIO 
Immo enimvero, Antipho, hic me decipit:
nam hic me huius modi scibat esse, ego hunc esse aliter credidi:
iste me fefellit, ego isti nihilo sum aliter ac fui. 530
Sd utut haec sunt, tamen hoc faciam: cras mane argentum mihi
miles dare se dixit: si mi prior tu attuleris, Phaedria,
mea lege utar, ut potior sit qui prior ad dandumst. Vale. 

SCÈNE II

PHÉDRIA, DORION, ANTIPHON, GÉTA

PHÉDRIA
Dorion. écoute, je te prie.  
DORION
Je n'écoute rien.
PHÉDRIA
Un instant.
DORION
Laisse-moi tranquille.
PHÉDRIA
Écoute ce que j'ai à dire.
DORION
Non : je m'ennuie d'entendre répéter cent fois les mêmes choses.
PHÉDRIA
Ce que j'ai à te dire cette fois te fera plaisir.
DORION
Parle; j'écoute.
PHÉDRIA
Ne puis-je obtenir que tu attendes encore trois jours? (Dorion fait mine de s'en aller.) Où vas-tu à présent?
DORION
Je m'étonnais bien que tu eusses quelque chose de nouveau à me dire.
ANTIPHON (à Géta).
Je crains que le drôle ne s'attire quelque apostrophe.
GÉTA
C'est ce que je crains, moi aussi.
PHÉDRIA
Tu n'as pas confiance en moi?
DORION
Tu l'as deviné.
PHÉDRIA
Mais si je te donne ma parole?
DORION
Contes en l'air !
PHÉDRIA
Ce service te rapportera gros, tu peux y compter.
DORION
Des mots !
PHÉDRIA
Crois-moi, tu t'en féliciteras : c'est la vérité pure.
DORION
Purs songes!
PHÉDRIA
Essaye : ce n'est pas long.
DORION
Tu chantes toujours la même note.
PHÉDRIA
Tu seras pour moi un parent, un père, un ami, un...
DORION
Jase à ton aise.
PHÉDRIA
As-tu le coeur si dur, si inflexible que ni pitié ni prières ne puissent l'amollir?
DORION
Es-tu assez simple, assez effronté, Phédria, pour prétendre m'amuser par de belles paroles et emmener mon esclave sans payer?
ANTIPHON
Il me fait pitié.
PHÉDRIA (à part).
Hélas ! il a raison et me voilà confondu.
GÉTA (à Antiphon).
Que les voilà bien tous les deux dans leur caractère !
PHÉDRIA
Et c'est au moment où Antiphon est occupé par un autre souci que ce malheur fond sur moi !
ANTIPHON
Qu'est-ce que tu dis-là, Phédria?
PHÉDRIA
O trop heureux Antiphon...
ANTIPHON
Moi !
PHÉDRIA
Qui possèdes chez toi l'objet de ta tendresse et qui n'as jamais eu à lutter avec un aussi méchant homme !
ANTIPHON
Je le possède chez moi ! Oui, je tiens, comme on dit, le loup par les oreilles; car je ne sais comment le lâcher, ni comment le retenir.
DORION
Voilà précisément où j'en suis avec ton cousin.
ANTIPHON (à Dorion).
As-tu peur de n'être maquereau qu'a moitié? (A Phédria.) Est-ce qu'il t'a fait quelque trait?
PHÉDRIA
Lui ! Il m'a fait la dernière des cruautés. Il a vendu ma Pamphila.
GÉTA
Comment, vendu?
ANTIPHON
Vendu, est-ce possible?
PHÉDRIA
Oui, vendu.
DORION
Voilà qui est révoltant ! vendre une esclave que j'ai achetée de mon argent.
PHÉDRIA
Et je ne puis obtenir qu'il reprenne sa parole à l'autre, et qu'il attende trois jours, que je lui apporte l'argent que mes amis m'ont promis. (A Dorion.) Si je ne te le remets pas au jour dit, n'attends pas une heure de plus.
DORION
Veux-tu donc me rompre les oreilles?
ANTIPHON
Il n'est pas long, Dorion, le délai qu'il demande. Laisse-toi fléchir, fais-lui ce plaisir : il te le revaudra au double.
DORION
Des mots, tout cela.
ANTIPHON
Tu permettras que Pamphila soit exilée d'ici, et tu pourras souffrir que ces deux amants soient arrachés l'un à l'autre?
DORION
Je n'y puis rien, non plus que toi.
GÉTA
Que tous les dieux te donnent ce que tu mérites !
DORION
Voilà des mois que contre mes habitudes je te supporte promettant, pleurant, et n'apportant rien. Aujourd'hui j'ai trouvé le contraire, un homme qui donne et qui ne pleure pas. Fais place à qui vaut mieux que toi.
ANTIPHON
Mais par Hercule, si j'ai bonne mémoire, tu as toi-même, il n'y a pas longtemps, fixé un jour pour lui livrer la jeune fille.
PHÉDRIA
Il l'a fait.
DORION
Est-ce que je le nie?
ANTIPHON
Le jour est-il déjà passé?
DORION
Non; mais aujourd'hui est avant demain.
ANTIPHON
Tu n'as pas honte de manquer à ta parole?
DORION
Pas du tout, quand j'y gagne.
GÉTA
Fosse à fumier !
PHÉDRIA
Dorion, est-ce ainsi que l'on doit agir?
DORION
Je suis comme cela : si je te plais, prends-moi.
ANTIPION
Et tu le trompes de la sorte !
DORION
C'est bien plutôt lui, Antiphon, qui me trompe. Il me connaissait pour ce que je suis; mais moi je le croyais un autre homme. C'est lui qui m'a trompé; car pour moi, je suis absolument le même que j'étais à son égard. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, voici ce que je vais faire. Le capitaine s'est engagé à me donner l'argent demain matin. Si tu m'apportes le tien avant lui, Phédria, je suivrai la loi que je me suis faite, de donner la préférence à qui paye le premier. Adieu.

SCENA III

PHAEDRIA, ANTIPHO, GETA

PHAEDRIA
 
Quid faciam? Unde ego nunc tam subito huic argentum inveniam miser,
quoi minus nihilost? Quod, hic si pote fuisset exorarier 535
triduom hoc, promissum fuerat. 
ANTIPHO 
Itane hunc patiemur, Geta,
fieri miserum, qui me dudum ut dixti adiuerit comiter?
Quin, quom opust, beneficium rursum ei experiemur reddere?
GETA 
Scio equidem hoc esse aequom. 
ANTIPHO 
Age ergo, solus servare hunc potes.
GETA 
Quid faciam? 
ANTIPHO 
Invenias argentum. 
GETA 
Cupio; sed id unde edoce. 540
ANTIPHO 
Pater adest hic. 
GETA 
Scio; sed quid tum? 
ANTIPHO 
Ah, dictum sapienti sat est.
GETA 
Itane? 
ANTIPHO 
Ita. 
GETA 
Sane hercle pulchre suades: etiam tu hinc abis?
Non triumpho, ex nuptiis tuis si nil nanciscor mali,
ni etiamnunc me huius causa quaerere in malo iubeas crucem?
ANTIPHO 
Verum hic dicit. 
PHAEDRIA 
Quid? Ego vobis, Geta, alienus sum? 
GETA 
Haud puto; 545
sed parumne est quod omnibus nunc nobis suscenset senex,
ni instigemus etiam ut nullus locus relinquatur preci?
PHAEDRIA 
Alius ab oculis meis illam in ignotum abducet locum? Hem !
tum igitur, dum licet dumque adsum, loquimini mecum, Antipho,
contemplamini me. 
ANTIPHO 
Quam ob rem? aut quidnam facturu's? Cedo. 550
PHAEDRIA 
Quoquo hinc asportabitur terrarum, certumst persequi
aut perire. 
GETA 
Di bene vortant quod agas! pedetemptim tamen.
ANTIPHO 
Vide si quid opis potes adferre huic. 
GETA 
« Si quid »? Quid? 
ANTIPHO 
Quaere, obsecro,
ne quid plus minusve faxit quod nos post pigeat, Geta.
GETA 
Quaero. Salvos est, ut opinor; verum enim metuo malum. 555
ANTIPHO 
Noli metuere: una tecum bona mala tolerabimus.
GETA 
Quantum opus est tibi argenti, loquere. 
PHAEDRIA 
Solae triginta minae.
GETA 
Triginta? Hui, percarast, Phaedria. 
PHAEDRIA 
Istaec vero vilis est.
GETA 
Age age, inventas reddam. 
PHAEDRIA 
O lepidum! 
GETA 
Aufer te hinc. 
PHAEDRIA
Iam opust. 
GETA 
Iam feres:
sed opus est mihi Phormionem ad hanc rem adiutorem dari. 560
PHAEDRIA 
Praestost: audacissime oneris quidvis inpone, ecferet;
solus est homo amico amicus. 
GETA 
Eeamus ergo ad eum ocius.
ANTIPHO 
Num quid est quod opera mea vobis opus sit? 
GETA 
Nil; verum abi domum,
et illam miseram, quam ego nunc intus scio esse exanimatam metu,
consolare. Cessas? 
ANTIPHO 
Nil est aeque quod faciam lubens.- 565
PHAEDRIA 
Qua via istuc facies? 
GETA 
Dicam in itinere: modo te hinc amove.

SCÈNE III

PHÉDRIA, ANTIPHON, GÉTA

PHÉDRIA
Que faire? Où trouver si vite cet argent, moi qui, hélas ! possède moins que rien? Si j'avais pu obtenir ces trois jours, j'avais promesse. 
ANTIPHON
Le laisserons-nous, Géta, tomber dans le désespoir, lui qui, dis-tu, m'a tantôt si généreusement appuyé? N'essaierons-nous pas, maintenant qu'il est dans le besoin, de lui rendre service à notre tour?
GÉTA
Ce ne serait que juste, assurément.
ANTIPHON
Eh bien! allons. Toi seul peux le sauver.
GÉTA
Que puis-je faire?
ANTIPHON
Trouver l'argent.
GÉTA
Je ne demande pas mieux. Mais où le prendre? Dis-le-moi.
ANTIPHON
Mon père est ici.
GÉTA
Je le sais; mais après?
ANTIPHON
A bon entendeur salut.
GÉTA
Oui-da?
ANTIPHON
Oui.
GÉTA
Tu me donnes là, par Hercule, un joli conseil. Va te promener. Ne suis-je pas trop heureux de m'être tiré indemne de ton mariage, sans que tu viennes encore m'engager à me jeter pour l'amour de lui de Charybde en Scylla?
ANTIPHON (à Phédria).
Il a raison.
PHÉDRIA
Eh quoi ! Géta, suis-je un étranger pour vous?
GÉTA
Telle n'est pas ma pensée. Mais n'est-ce pas assez qu'à cette heure le bonhomme nous en veut à tous tant que nous sommes, sans aller encore le pousser à bout et nous ôter tout espoir de pardon?
PHÉDRIA
Un autre l'emmènera donc loin de mes yeux dans un endroit inconnu? Eh bien ! tandis que vous le pouvez encore et que je suis là, Antiphon, parlez-moi, regardez-moi.
ANTIPHON
Pourquoi? Que veux-tu donc faire? Parle.
PHÉDRIA
En quelque lieu du monde qu'on l'emmène, je suis résolu à la suivre ou à mourir.
GÉTA
Le ciel te conduise ! Va doucement toutefois.
ANTIPHON
Vois si tu peux faire quelque chose pour lui.
GÉTA
Faire quelque chose? Quoi?
ANTIPHON
Cherche, je t'en conjure. Ne le poussons pas, Géta, à quelque extrémité dont nous serions fâchés plus tard.
GÉTA
Je cherche. (Après un moment de réflexion.) Il est sauvé, je crois; mais je crains pour ma peau.
ANTIPHON
Sois sans crainte. Nous sommes de moitié avec toi pour le mal comme pour le bien.
GÉTA (à Phédria).
Combien te faut-il d'argent? Dis.
PHÉDRIA
Seulement trente mines.
GÉTA
Trente mines ! Peste ! Elle est un peu chère, Phédria.
PHÉDRIA
Elle ! c'est la donner pour rien.
GÉTA
Allons ! Allons ! on te les trouvera.
PHÉDRIA
Que tu es gentil !
GÉTA
Éloigne-toi d'ici.
PHÉDRIA
Il me les faut tout de suite.
GÉTA
Tu les auras tout de suite. Mais j'ai besoin de Phormion pour m'aider à les avoir.
ANTIPHON
Tu peux disposer de lui. Mets-lui hardiment n'importe quelle charge sur les épaules, il la portera. Il n'y en a pas deux comme lui pour aimer ses amis.
GÉTA
Allons donc le trouver au plus vite.
ANTIPHON
Puis-je vous servir en quelque chose?
GÉTA
En rien. Rentre à la maison et va consoler cette pauvre femme qui, j'en suis sûr, s'y meurt de peur en ce moment. Va vite.
ANTIPHON
Il n'y a rien que je fasse avec autant de plaisir. —
PHÉDRIA
Comment vas-tu t'y prendre?
GÉTA
Je te le dirai en route. Viens-t'en d'ici.

ACTUS IV

SCENA I

DEMIPHO, CHREMES

DEMIPHO 
Quid? Qua profectus causa hinc es Lemnum, Chreme,
adduxtin tecum filiam? 
CHREMES 
Non. 
DEMIPHO 
Quid ita non?
CHREMES 
Postquam videt me eius mater esse hic diutius,
simul autem non manebat aetas virginis 570
meam neglegentiam, ipsam cum omni familia
ad me profectam esse aibant. 
DEMIPHO 
Quid illi tam diu,
quaeso, igitur commorabare, ubi id audiveras?
CHREMES
Ool me detinuit morbus. 
DEMIPHO 
Unde? aut qui? 
CHREMES 
Rogas?
Senectus ipsast morbus. Sed venisse eas 575
salvas audivi ex nauta qui illas vexerat.
DEMIPHO 
Quid gnato optigerit, me absente, audistin, Chreme?
CHREMES 
Quod quidem me factum consili incertum facit.
Nam hanc condicionem siquoi tulero extrario,
quo pacto aut unde mihi sit dicundum ordinest. 580
Te mihi fidelem esse aeque atque egomet sum mihi
scibam. Ille, si me alienus adfinem volet,
tacebit dum intercedet familiaritas;
sin spreverit me, plus quam opus est scito sciet.
Vereorque ne uxor aliqua hoc resciscat mea: 585
quod si fit, ut me excutiam atque egrediar domo,
id restat; nam ego meorum solu' sum meus.
DEMIPHO 
Scio ita esse, et istaec mihi res sollicitudinist,
neque defetiscar usque adeo experirier,
donec tibi id quod pollicitus sum effecero. 590

ACTE IV 

SCÈNE I

DÉMIPHON, CHRÉMÈS

DÉMIPHON
Eh bien, Chrémès, as-tu fait ce que tu allais faire à Lemnos? As-tu amené ta fille?
CHRÉMÈS
Non.
DÉMIPHON
Pourquoi non?
CHRÉMÈS
Sa mère, voyant que je restais trop longtemps ici et que l'âge de la jeune fille ne s'accommodait plus de ma négligence, s'était, m'a-t-on dit, mise en route avec toute sa maisonnée pour venir me trouver.
DÉMIPHON
Pourquoi, je te prie, as-tu donc fait un si long séjour là-bas, une fois instruit de leur départ?
CHRÉMÈS
Par Pollux, c'est que la maladie m'y a retenu.
DÉMIPHON
Comment? Quelle maladie?
CHRÉMÈS
Quelle maladie? La vieillesse : c'est bien assez. Mais j'ai su qu'elles étaient arrivées à bon port du pilote qui les a amenées.
DÉMIPHON
As-tu appris, Chrémès, ce qui est arrivé à mon fils pendant mon absence?
CHRÉMÈS
Tu m'en vois tout déconcerté; car, si je cherche un parti hors de notre famille, il me faudra expliquer tout au long comment j'ai eu cette fille, et de qui. Avec toi, j'étais aussi sûr de ta discrétion que de la mienne. L'étranger qui recherchera mon alliance se taira, tant que nous serons bien ensemble; mais s'il vient à me prendre en grippe, il en saura beaucoup trop long, et je tremble que la chose n'arrive d'une manière ou d'une autre aux oreilles de ma femme. En ce cas, je n'aurais plus qu'à plier bagage et à quitter la maison; car de ce que j'ai chez moi, la seule chose qui m'appartienne, c'est moi-même.
DÉMIPHON
Je le sais, et c'est ce qui m'inquiète. Aussi je ne me lasserai pas de tenter tous les moyens, jusqu'à ce que je vienne à bout de ce que je t'ai promis.

SCENA II

GETA, DEMOPHO, CHREMES

GETA
 
Ego hominem callidiorem vidi neminem
quam Phormionem. Venio ad hominem, ut dicerem
argentum opus esse, et id quo pacto fieret.
Vixdum dimidium dixeram, intellexerat:
gaudebat, me laudabat, quaerebat senem, 595
dis gratias agebat tempus sibi dari,
ubi Phaedriae esse ostenderet nihilo minus
amicum sese quam Antiphoni. Hominem ad forum
iussi opperiri: eo me esse adducturum senem.
Sed eccum ipsum. Quis est ulterior? Attat Phaedriae 600
pater venit. Sed quid pertimui autem belua?
An quia, quos fallam, pro uno duo sunt mihi dati?
Commodius esse opinor duplici spe utier.
Petam hinc unde a primo institi: is si dat, sat est;
si ab eo nil fiet, tum hunc adoriar hospitem. 605

SCÈNE II

GÉTA, DÈMIPHON, CHRÉMÈS

GÉTA (à part)
Je n'ai jamais vu d'homme plus fin que ce Phormion. J'arrive chez lui pour lui dire que nous avons besoin d'argent et comment nous pourrions nous en procurer. Je n'avais pas dit la moitié de mon affaire qu'il avait tout compris. Il ne se sentait pas de joie, il me félicitait, il réclamait le vieux, il remerciait les dieux de lui donner l'occasion de faire voir qu'il n'était pas moins dévoué à Phédria qu'à Antiphon. Je lui ai dit d'attendre sur la place, que j'y amènerais le bonhomme. Mais le voilà justement. Qui donc est derrière lui? Aïe! aïe ! le père de Phédria. Suis-je bête d'avoir peur ! Est-ce parce qu'au lieu d'un, il s'en présente deux à duper? C'est un avantage, je présume, d'avoir deux cordes à son arc. Je vais m'adresser où j'avais résolu d'abord; si je réussis, c'est parfait; si je n'en tire rien, alors j'attaque le nouveau débarqué.

SCENA III

ANTIPHO, GETA, CHREMES, DEMIPHO

ANTIPHO 
Exspecto quam mox recipiat sese Geta.
Sed patruom video cum patre astantem. Ei mihi,
quam timeo adventus huius quo inpellat patrem !
GETA 
Adibo hosce. O noster Chreme...
CHREMES 
Salve, Geta.
GETA 
Venire salvom volup est. 
CHREMES 
Credo. 
GETA 
Quid agitur? 610
Multa advenienti, ut fit, nova hic? 
CHREMES 
Compluria.
GETA 
Ita. De Antiphone audistin quae facta? 
CHREMES 
Omnia.
GETA 
Tun dixeras huic? Facinus indignum, Chreme,
sic circumiri! 
CHREMES 
Id cum hoc agebam commodum.
GETA 
Nam hercle ego quoque id quidem agitans mecum sedulo 615
inveni, opinor, remedium huic rei. 
CHREMES 
Quid, Geta?
DEMIPHO 
Quod remedium? 
GETA 
Ut abii abs te, fit forte obviam
mihi Phormio.
CHREMES 
Qui Phormio? 
DEMIPHO 
Is qui istanc...
CHREMES 
Scio.
GETA 
Visumst mihi ut eius temptarem sententiam.
Prendo hominem solum: « Quor non, » inquam, « Phormio, 620
vides inter nos sic haec potius cum bona
ut componamus gratia quam cum mala?
Erus liberalis est et fugitans litium;
nam ceteri quidem hercle amici omnes modo
uno ore auctores fuere ut praecipitem hanc daret. » 625
ANTIPHO 
Quid hic coeptat aut quo evadet hodie? 
GETA 
« An legibus
daturum poenas dices si illam eiecerit?
Iam id exploratumst. Heia sudabis satis,
si cum illo inceptas homine: ea eloquentiast.
Verum pone esse victum eum; at tandem tamen 630
non capitis eius res agitur sed pecuniae. »
Postquam hominem his verbis sentio mollirier :
« Soli sumus nunc hic » inquam: « eho [dic] quid vis dari
tibi in manum, ut erus his desistat litibus,
haec hinc facessat, tu molestus ne sies? » 635
ANTIPHO satin illi di sunt propitii? 
GETA 
« Nam sat scio,
si tu aliquam partem aequi bonique dixeris,
ut est ille bonus vir, tria non commutabitis
verba hodie inter vos. » 
DEMIPHO 
Quis te istaec iussit loqui?
CHREMES 
Immo non potuit melius pervenirier 640
eo quo nos volumus. 
ANTIPHO 
Occidi! 
DEMIPHO 
Perge eloqui.
GETA 
A primo homo insanibat. 
CHREMES 
Cedo quid postulat?
GETA 
Quid? nimium; quantum libuit. 
CHREMES 
Dic. 
GETA 
« Si quis daret
talentum magnum. »
DEMIPHO 
Immo malum hercle: ut nil pudet!
GETA 
Quod dixi adeo ei:  « Quaeso, quid si filiam 645
suam unicam locaret? Parvi retulit
non suscepisse: inventast quae dotem petat. »
Ut ad pauca redeam ac mittam illius ineptias,
haec denique eius fui> postrema oratio:
« Ego » inquit « a principio amici filiam, 650
ita ut aequom fuerat, volui uxorem ducere;
nam mihi veniebat in mentem eius incommodum,
in servitutem pauperem ad ditem dari.
Sed mi opus erat, ut aperte tibi nunc fabuler,
aliquantulum quae adferret qui dissolverem 655
quae debeo: et etiamnunc si volt Demipho
dare quantum ab hac accipio quae sponsast mihi,
nullam mihi malim quam istanc uxorem dari. »
ANTIPHO 
Utrum stultitia facere ego hunc an malitia
dicam, scientem an inprudentem, incertus sum. 660
DEMIPHO 
Quid si animam debet? 
GETA 
« Ager oppositust pignori ob
decem minas est. » 
DEMIPHO 
Age, age, iam ducat: dabo.
GETA 
« Aediculae item sunt ob decem alias. » 
DEMIPHO 
Oiei,
nimiumst. 
CHREMES 
Ne clama: <re>petito hasce a me decem.
GETA 
« Uxori emunda ancillulast; tum pluscula 665
supellectile opus est; opus est sumptu ad nuptias:
his rebus pone sane », inquit « decem minas. »
DEMIPHO 
Sescentas perinde scribito iam mihi dicas:
nil do. Inpuratus me ille ut etiam inrideat?
CHREMES 
Quaeso, ego dabo, quiesce: tu modo filium 670
fac ut illam ducat nos quam volumus. 
ANTIPHO 
Ei mihi !
Geta, occidisti me tuis fallaciis.
CHREMES 
Mea causa eicitur: me hoc est aequom amittere.
GETA 
« Quantum potest me certiorem », inquit « face,
si illam dant, hanc ut mittam, ne incertus siem; 675
nam illi mihi dotem iam constituerunt dare. »
CHREMES 
Iam accipiat: illis repudium renuntiet;
hanc ducat. 
DEMIPHO 
Quae quidem illi res vortat male!
CHREMES 
Opportune adeo argentum nunc mecum attuli,
fructum quem Lemni uxoris reddunt praedia: 680
inde sumam; uxori tibi opus esse dixero. 

SCÈNE III

ANTIPHON, GÉTA, CHRÉMÈS, DÉMIPHON

ANTIPHON (qui reste à part pendant toute cette scène).
J'attends si Géta va bientôt revenir ici. Mais je vois mon oncle en compagnie de mon père. Que j'appréhende la décision que son arrivée va lui faire prendre ! 
GÉTA (à part).
Abordons nos gens. (Haut.) Ah ! notre cher Chrémès !
CHRÉMÈS
Bonjour, Géta.
GÉTA
Je suis ravi de te voir de retour en bonne santé.
CHRÉMÈS
Je le crois.
GÉTA
Comment cela va-t-il? Tu trouves ici bien du nouveau : il faut s'y attendre au retour d'un voyage.
CHRÉMÈS
Beaucoup de nouveau, en effet.
GÉTA
Mais oui. Tu sais ce qui s'est passé à propos d'Antiphon?
CHRÉMÈS
Oui, tout.
GÉTA (à Démiphon).
C'est toi qui le lui as dit? (A Chrémès.) Quelle indignité, Chrémès ! Circonvenir ainsi les gens !
CHRÉMÈS
C'est justement de quoi je m'entretenais avec mon frère.
GÉTA
Moi aussi par Hercule, je m'en entretenais en moi-même, et activement; et j'ai trouvé, je crois, un remède à notre mal.
CHRÉMÈS
Qu'as-tu trouvé, Géta?
DÉMIPHON
Quel remède?
GÉTA
En te quittant, le hasard m'a fait rencontrer Phormion.
CHRÉMÈS
Qui est ce Phormion?
GÉTA
L'homme à la donzelle.
CHRÉMÈS
J'entends.
GÉTA
L'idée m'est venue de le sonder. Je le tire à part. « Phormion, lui dis-je, pourquoi ne pas voir à régler cette affaire entre nous à l'amiable, au lieu de nous faire la guerre? Mon maître est galant homme et il a horreur des procès. Tous ses amis au contraire lui conseillaient unanimement tantôt de jeter cette femme par la fenêtre. »
ANTIPHON (à part).
Qu'est-ce qu'il entame ici, et où va-t-il en venir à présent?
GÉTA
« Tu me diras qu'il sera puni par la loi, s'il la chasse. Nous avons examiné le cas. Ah ! tu auras à suer, si tu t'attaques à cet homme-là : c'est l'éloquence en personne. Mais prenons qu'il ait le dessous; au bout du compte il n'y va pas de sa tête, il ne s'agit que d'argent. » Voyant mon homme ébranlé par ces paroles : « Nous sommes seuls ici », ai-je dit; « voyons, combien veux-tu qu'on te donne de la main à la main pour que mon maître renonce à plaider, que la donzelle déguerpisse de chez nous et que tu cesses de nous importuner? »
ANTIPHON (à part).
Les dieux lui font-ils perdre l'esprit?
GÉTA
« Je peux te le garantir : pour peu que ta demande soit juste et raisonnable, mon maître est si bon que vous n'aurez pas trois mots à échanger ensemble. »
DÉMIPHON
Qui t'a chargé de parler ainsi?
CHRÉMÈS
Mais il ne pouvait mieux faire pour en arriver où nous  voulons.
ANTIPHON (à part).
Je suis perdu.
DÉMIPHON
Poursuis.
GÉTA
D'abord mon homme a battu la campagne.
CHRÉMÈS
Voyons, que demande-t-il?
GÉTA
Ce qu'il demande? Des choses exorbitantes, fantastiques.
CHRÉMÈS
Précise,
GÉTA
« Si l'on m'offrait, dit-il, un grand talent... »
CHRÉMÈS
Une grande volée de coups de bâton, par Hercule ! Il n'a pas honte?
GÉTA
C'est justement ce que je lui ai dit : « Que crois-tu donc, je te prie, qu'il donnerait, s'il mariait sa fille unique? Il n'a pas gagné beaucoup à n'en point élever : en voilà une toute trouvée qui réclame une dot. » Pour faire court et laisser de côté ses impertinences, sa 650 conclusion : « J'ai eu d'abord, a-t-il dit, l'intention d'épouser moi-même la fille de mon ami; car je prévoyais ce qu'elle aurait à souffrir : donner une fille pauvre à un riche, c'est en faire une esclave. Mais, à te parler franchement, il me fallait une femme qui m'apportât quelque petite chose pour payer mes dettes. Néanmoins encore à présent, si Démiphon veut me donner l'équivalent de ce que je dois recevoir de ma prétendue, il n'y a pas de femme que je préfère à la fille de mon ami. »
ANTIPHON (à part).
Est-ce bêtise ou trahison? Parle-t-il sciemment ou sans réflexion? Je ne sais que dire.
DÉMIPHON
Mais s'il a des dettes par-dessus la tête?
GÉTA
« J'ai, m'a-t-il dit, un lopin de terre engagé pour dix mines. »
CHRÉMÉS
Allons, allons, qu'il épouse. Je les donne.
GÉTA
« Item une maisonnette grevée d'autant. » 
DÉMIPHON
Ouais ! il abuse.
CHRÉMÉS
Ne crie pas : je te les rendrai, ces dix mines-là.
GÉTA
« Il me faut acheter à ma femme une petite servante. J'ai besoin en outre d'un petit surcroît de mobilier et d'argent pour la noce. Pour cela, a-t-il dit, tu peux bien mettre dix mines. »
DÉMIPHON
Cent procès plutôt, s'il veut. Je ne donne rien. Le coquin viendrait encore se moquer de moi.
CHRÉMÈS
Calme-toi, c'est moi qui payerai. Toi, fais seulement que ton fils épouse celle que nous voulons.
ANTIPHON
Malheur à moi ! Tu m'as perdu, Géta, avec tes fourberies.
CHRÉMÈS
C'est pour l'amour de moi qu'on la met à la porte; il est juste que ce soit à mes dépens.
GÉTA
« Avertis-moi au plus tôt, a-t-il ajouté, s'ils me la donnent, pour que je renvoie l'autre et qu'on ne me tienne pas le bec dans l'eau; car les parents ont décidé de me remettre la dot tout de suite. »
CHRÉMÈS
Il aura l'argent tout de suite. Qu'il leur notifie la rupture; qu'il épouse celle qui est chez nous.
DÉMIPHON
Et que ce mariage lui porte malheur!
CHRÉMÈS
Fort à propos j'ai apporté de l'argent avec moi : c'est le revenu des propriétés de ma femme à Lesbos. Je vais prendre là-dessus; je dirai à ma femme que tu en as besoin. (Chrémès sort avec Démiphon.)

SCENA IV

ANTIPHO, GETA

ANTIPHO 
Geta. 
GETA 
Hem. 
ANTIPHO 
Quid egisti? 
GETA 
Emunxi argento senes.
ANTIPHO 
Satin est id? 
GETA 
Nescio hercle: tantum iussus sum.
ANTIPHO 
Eho, verbero, aliud mihi respondes ac rogo?
GETA 
Quid ergo narras? 
ANTIPHO 
Quid ego narrem? Opera tua 685
ad restim miquidem res redit planissume.
Ut tequidem omnes di deaeque, superi, inferi,
malis exemplis perdant! Em, si quid velis,
huic mandes, quod quidem recte curatum velis.
Quid minus utibile fuit quam hoc ulcus tangere 690
aut nominare uxorem? Iniectast spes patri
posse illam extrudi. Cedo nunc porro: Phormio
dotem si accipiet, uxor ducendast domum:
quid fiet? 
GETA 
Non enim ducet. 
ANTIPHO 
Novi. Ceterum
quom argentum repetent, nostra causa scilicet 695
in nervom potius ibit. 
GETA 
Nil est, Antipho,
quin male narrando possit depravarier.
Tu id quod bonist excerpis, dicis quod malist.
Audi nunc contra: iam si argentum acceperit,
ducendast uxor, ut ais, concedo tibi: 700
spatium quidem tandem apparandi nuptias,
vocandi sacruficandi dabitur paullulum.
Interea amici quod polliciti sunt dabunt:
inde iste reddet. 
ANTIPHO 
Quam ob rem? aut quid dicet? 
GETA Rogas?
« Quot res postilla monstra evenerunt mihi! 705
Intro iit in aedis ater alienus canis;
anguis per inpluvium decidit de tegulis;
gallina cecinit; interdixit hariolus;
haruspex vetuit; ante brumam autem novi
negoti incipere! » Quae causast iustissima. 710
Haec fient. 
ANTIPHO 
Ut modo fiant! 
GETA 
Fient: me vide.
pater exit: abi, dic esse argentum Phaedriae. 

SCÈNE IV

ANTIPHON, GÉTA

ANTIPHON
Geta!
GÉTA
Hein?
ANTIPHON
Qu'est-ce que tu as fait?
GÉTA
J'ai soutiré de l'argent à nos vieux.
ANTIPHON
Est-ce bien tout?
GÉTA
Ma foi, je l'ignore; ce que je sais, c'est qu'on ne m'a pas demandé davantage.
ANTIPHON
Hé ! drôle, tu me réponds autre chose que ce que je te demande.
GÉTA
Que veux-tu donc dire?
ANTIPHON
Ce que je veux dire? C'est que tu as si bien travaillé que j'en suis tout simplement réduit à me pendre. Que tous les dieux et les déesses du ciel et de l'enfer te frappent d'un terrible châtiment ! Ah ! si vous désirez quelque chose, vous n'avez qu'à vous en remettre à lui, pour vous jeter d'une mer tranquille sur un écueil. Y avait-il rien de moins à propos que d'aller mettre le doigt sur la plaie et de parler de ma femme? Tu as fait espérer à mon père qu'il pourrait la jeter dehors. Allons, parle à présent. Si Phormion touche la dot, il faut qu'il épouse. Que se pas-sera-t-il?
GÉTA
Il n'épousera pas certainement.
ANTIPHON
Je sais; mais quand on lui redemandera l'argent, vous verrez que pour l'amour de nous il se fera plutôt mettre en prison.
GÉTA
Il n'est rien, Antiphon, qu'on ne puisse déformer en l'expliquant de travers. Toi, tu supprimes le bien pour ne relever que le mal. Tourne maintenant la médaille. S'il touche la dot, il faut qu'il épouse, dis-tu. Je te l'accorde. Mais enfin on lui accordera bien un peu de temps pour préparer la noce, pour faire les invitations, pour sacrifier. Dans l'intervalle les amis donneront la somme qu'ils ont promise. Phormion la prendra pour restituer.
ANTIPHON
Sous quel prétexte? Quelle raison donnera-t-il?
GÉTA
Belle demande ! « Que d'affaires, depuis les accords ! dira-t-il; que de présages effrayants me sont survenus ! Un chien noir étranger est entré dans ma maison; un serpent est tombé du toit dans l'impluvium; une poule a chanté; le devin s'y oppose; l'aruspice le défend ; et puis entreprendre quelque chose de nouveau avant l'hiver! » C'est là la meilleure défaite. Voilà comment les choses se passeront.
ANTIPHON
Dieu veuille qu'elle se passent comme tu dis !
GÉTA
Elles se passeront ainsi, c'est moi qui t'en réponds. Voilà ton père qui sort. Va dire à Phédria que nous avons l'argent.

SCENA V

DEMIPHO, CHREMES, GETA

DEMIPHO 
Quietus esto, inquam: ego curabo nequid verborum duit.
Hoc temere numquam amittam ego a me quin mihi testis adhibeam.
Quom dem, et quam ob rem dem commemorabo. 
GETA 
Ut cautust ubi nil opust! 715
CHREMES 
Atque ita opus factost: et matura, dum lubido eadem haec manet;
nam si altera illaec magis instabit, forsitan nos reiciat.
GETA 
Rem ipsam putasti. 
DEMIPHO 
Duc me ad eum ergo. 
GETA 
Non moror. 
CHREMES 
Ubi hoc egeris,
transito ad uxorem meam, ut conveniat hanc prius quam hinc abit.
Dicat eam dare nos Phormioni nuptum, ne suscenseat; 720
et magis esse illum idoneum, qui ipsi sit familiarior;
nos nostro officio nil digressos esse: quantum is voluerit,
datum esse dotis. 
DEMIPHO 
Quid tua, malum, id refert? 
CHREMES 
Magni, Demipho.
Non sat[is] est tuom te officium fecisse si non id fama adprobat:
volo ipsius quoque voluntate haec fieri, ne se eiectam praedicet. 725
DEMIPHO 
Idem ego istuc facere possum. 
CHREMES 
Mulier mulieri mage convenit.
DEMIPHO 
Rogabo. 
CHREMES 
Ubi illas nunc ego reperire possim cogito.

SCÈNE V

DÉMIPHON, CHRÉMÈS, GÉTA

DÉMIPHON
Sois tranquille, te dis-je, je veillerai à ce qu'il ne me friponne point. Je ne lâcherai pas cet argent à la légère, sans prendre de témoins, et je spécifierai à qui et pour quoi je donne.
GÉTA (à part).
Comme il est précautionné, quand il n'est plus temps!
CHRÉMÈS
C'est ce qu'il faut faire, et tout de suite, pendant que cette envie lui dure; car si l'autre femme revenait à la charge, il pourrait bien nous envoyer promener.
GÉTA
Cela est bien pensé.
DÉMIPHON
Conduis-moi donc chez lui.
GÉTA
Je suis à tes ordres.
CHRÉMÉS
Quand tu auras terminé, passe chez ma femme et prie-la d'aller voir cette jeune femme avant qu'elle quitte ta ne maison. Qu'elle lui dise que nous la marions à Phormion, qu'elle ne peut s'en formaliser, que ce mari lui convient mieux, étant plus connu d'elle, que nous n'avons manqué à aucune de nos obligations, qu'on lui a donné en dot la somme qu'il a voulue.
DÉMIPHON
Que diantre cela t'importe-t-il?
CHRÉMÈS
Il m'importe beaucoup, Démiphon. Il ne suffit pas de faire son devoir; il faut encore avoir l'approbation du public. Je veux que la jeune femme elle-même donne les mains à ce que nous faisons, pour qu'elle n'aille pas dire qu'on l'a mise à la porte.
DÉMIPHON
Mais cette commission, je puis la faire moi-même.
CHRÉMÈS
Une femme s'entend mieux avec une femme.
DÉMIPHON
Je vais le dire à ta femme.
CHRÉMÈS
Et moi, je me demande où je pourrais bien trouver mes voyageuses.

ACTUS V

SCENA I

SOPHRONA, CHREMES 

SOPHRONA 
Quid agam? Quem mi amicum inveniam misera? Aut quoi consilia haec
referam?
Aut unde auxilium petam?
Nam vereor era ne ob meum suasum indigne iniuria adficiatur: 730
ita patrem adulescentis facta haec tolerare audio violenter.
CHREMES 
Nam quae haec anus est exanimata a fratre quae egressast meo?
SOPHRONA 
Quod ut facerem egestas me inpulit, quom scirem infirmas nuptias
hasce esse, ut id consulerem, interea vita ut in tuto foret.
CHREMES 
Certe edepol, nisi me animus fallit aut parum prospiciunt oculi, 735
meae nutricem gnatae video. 
SOPHRONA 
Neque ille investigatur, 
CHREMES 
Quid ago?
SOPHRONA 
Qui est pater eius. 
CHREMES 
Adeo, maneo dum haec quae loquitur mage cognosco?
SOPHRONA 
Quodsi eum nunc reperire possim, nil est quod verear. 
CHREMES 
east ipsa:
conloquar. 
SOPHRONA 
Quis hic loquitur? 
CHREMES 
Sophrona. 
SOPHRONA 
Et meum nomen nominat?
CHREMES 
Respice ad me. 
SOPHRONA 
Di obsecro vos, estne hic Stilpo? 
CHREMES 
Non. 740
SOPHRONA 
Negas?
CHREMES 
Concede hinc a foribus paullum istorsum, sodes, Sophrona.
Ne me istoc posthac nomine appellassis. 
SOPHRONA 
Quid? Non, obsecro, es
quem semper te esse dictitasti? 
CHREMES 
St. 
SOPHRONA 
Quid has metuis fores?
CHREMES 
Conclusam hic habeo uxorem saevam. Verum istoc de nomine,
eo perperam olim dixi ne vos forte inprudentes foris 745
effuttiretis atque id porro aliqua uxor mea rescisceret.
SOPHRONA 
Em istoc pol nos te hic invenire miserae numquam potuimus.
CHREMES 
Eho dic mihi quid rei tibist cum familia hac unde exis?
Ubi illae sunt? 
SOPHRONA 
Miseram me! 
CHREMES 
Hem, quid est? Vivontne? 
SOPHRONA 
Vivit gnata.
Matrem ipsam ex aegritudine hac miseram mors consecutast. 750
CHREMES 
Male factum. 
SOPHRONA 
Ego autem, quae essem anus deserta egens ignota,
ut potui, nuptum virginem locavi huic adulescenti,
harum qui est dominus aedium. 
CHREMES 
Antiphonin? 
SOPHRONA 
Em isti<c> ipsi.
CHREMES 
Quid? Duasne uxores habet? 
SOPHRONA 
Au, obsecro, unam illequidem hanc solam.
CHREMES 
Quid illam alteram quae dicitur cognata? 
SOPHRONA 
Haec ergost. 
CHREMES
 
Quid ais? 755
SOPHRONA 
Cmposito factumst quo modo hanc amans habere posset
sine dote. 
CHREMES 
Di vostram fidem, quam saepe forte temere
eveniunt quae non audeas optare! Offendi adveniens
quicum volebam et ut volebam conlocatam <gnatam>.
Quod nos ambo opere maxumo dabamus operam ut fieret, 760
sine nostra cura, maxuma sua cura solu' fecit.
SOPHRONA 
Nunc quid opus facto sit vide.  Pater adulescentis venit,
eumque animo iniquo hoc oppido ferre aiunt. 
CHREMES 
Nil periclist.
Sed per deos atque homines meam esse hanc cave resciscat quisquam.
SOPHRONA 
Nemo e me scibit. 
CHREMES 
Sequere me: intus cetera <audietis> 765

ACTE V

SCÈNE I

SOPHRONA, CHRÉMÈS

SOPHRONA (sans voir Chrémès).
Que faire? Où trouver un ami, malheureuse? A qui faire part de mes réflexions? A qui demander du secours? J'ai bien peur que ma maîtresse, pour avoir suivi mon conseil, ne soit indignement maltraitée, tellement le père du jeune homme est outré, dit-on, de ce qui s'est passé !
CHRÉMÈS (à part).
Quelle est donc cette vieille qui sort toute tremblante de chez mon frère?
SOPHRONA
C'est la misère qui m'a forcée à faire ce que j'ai fait. Je savais bien que ce mariage n'était pas valide; mais il me fallait en attendant pourvoir à notre subsistance.
CHRÉMÈS
Par Pollux, si je ne me trompe et si je n'ai pas la berlue, c'est la nourrice de ma fille que je vois..
SOPHRONA
Et nulle trace...
CHRÉMÈS
Que dois-je faire?
SOPHRONA
De celui qui est son père.
CHRÉMÈS
Faut-il l'aborder ou attendre, pour être mieux renseigné?
SOPHRONA
Si je pouvais le trouver à présent, je n'aurais plus rien à craindre.
CHRÉMÈS
C'est bien elle. Je vais lui parler.
SOPHRONA
Qui parle ici ?
CHRÉMÈS
Sophrona.
SOPHRONA
Et prononce mon nom?
CHRÉMÈS
Retourne-toi vers moi.
SOPHRONA
Dieux, je vous prie, n'est-ce pas Stilpon?
CHRÉMÈS
Non.
SOPHRONA
Non, dis-tu ?
CHRÉMÈS
Écarte-toi de cette porte et pousse un peu plus loin, s'il te plaît, Sophrona, et ne m'appelle plus de ce nom-là.
SOPHRONA
Pourquoi? N'es-tu pas, je te prie, l'homme que tu as toujours dit que tu étais?
CHRÉMÈS
Chut!
SOPHRONA
Pourquoi cette porte te fait-elle peur?
CHRÉMÈS
Parce que j'ai, enfermée là-dedans, une peste de femme. J'ai pris autrefois ce faux nom, de peur que vous n'allassiez étourdiment jaser dehors, et que, par une voie ou Par une autre, ma femme ne découvrît mon secret.
SOPHRONA
Voilà pourquoi, par Pollux, nous avons eu la malchance de ne point te trouver ici.
CHRÉMÈS
Or çà, dis-moi quelle affaire tu as dans cette maison d'où tu sors. Où sont tes maîtresses?
SOPHRONA
Malheureuse que je suis !
CHRÉMÈS
Eh bien, quoi? Elles sont en vie, j'espère!
SOPHRONA
Ta fille, oui; mais sa pauvre mère est morte du chagrin de ne pas te retrouver.
CHRÉMÈS
Quel malheur !
SOPHRONA
Et moi, me voyant vieille, sans appui, sans argent, inconnue, j'ai fait comme j'ai pu : j'ai donné ma jeune maîtresse en mariage à un jeune homme qui est le maître de cette maison.
CHRÉMÈS
A Antiphon?
SOPHRONA
Oui, à lui-même.
CHRÉMÈS
Comment? Il a deux femmes?
SOPHRONA
Ho ! je te prie; il n'a que celle-là.
CHRÉMÈS
Et l'autre, qu'on dit être sa parente?  
SOPHRONA
Eh bien, c'est elle.
CHRÉMÈS
Que dis-tu là?
SOPHRONA
On s'est concerté pour que notre amoureux pût l'épouser sans dot.
CHRÉMÈS
Bonté divine ! comme le hasard amène souvent à l'improviste des événements qu'on n'oserait pas souhaiter ! En arrivant ici, je trouve ma fille mariée à qui je voulais et comme je voulais. Ce que nous tâchions tous deux de réaliser à toute force, Antiphon, sans notre aide, à force de peine en est venu à bout seul.
SOPHRONA
C'est à toi d'aviser à présent à ce qu'il faut faire. Le père du jeune homme est revenu, et l'on dit qu'il ne veut pas entendre parler de cette union.
CHRÉMÈS
Il n'y a rien à craindre. Seulement, au nom des dieux et des hommes, garde qu'on ne vienne à savoir qu'elle est ma fille.
SOPHRONA
Ce n'est pas par moi qu'on le saura.
CHRÉMÈS
Suis-moi : je vous dirai le reste à l'intérieur.

SCENA II

DEMIPHO, GETA

DEMIPHO
 
Nostrapte culpa facimus ut malis expediat esse,
dum nimium dici nos bonos studemus et benignos.
Ita fugias ne praeter casam, quod aiunt. Nonne id sat erat,
accipere ab illo iniuriam? etiam argentumst ultro obiectum,
ut sit qui vivat dum aliud aliquid flagiti conficiat. 770
GETA
Planissime. 
DEMIPHO 
Is nunc praemiumst qui recta prava faciunt.
GETA
Verissime. 
DEMIPHO 
Ut stultissime quidem illi rem gesserimus.
GETA
Modo ut hoc consilio possiet discedi, ut istam ducat.
DEMIPHO 
Etiamne id dubiumst? 
GETA
Haud scio hercle, ut homost, an mutet animum.
DEMIPHO 
Hem mutet autem? 
GETA
Nescio; verum, si forte, dico. 775
DEMIPHO 
Ita faciam, ut frater censuit, ut uxorem eius huc adducam,
cum ista ut loquatur. Tu, Geta, abi prae, nuntia hanc venturam.-
GETA
Argentum inventumst Phaedriae; de iurgio siletur;
provisumst ne in praesentia haec hinc abeat. Quid nunc porro?
Quid fiet? In eodem luto haesitas; vorsuram solves, 780
Geta: praesens quod fuerat malum in diem abiit: plagae crescunt,
nisi prospicis. Nunc hinc domum ibo ac Phanium edocebo,
nequid vereatur Phormionem aut eius orationem. 

SCÈNE II 

DÉMIPHON, GÉTA

DÉMIPHON
C'est bien notre faute si les méchants trouvent du profit à l'être : nous tenons trop à passer pour bons et généreux. Fuis sans perdre de vue ta maison (27), dit le proverbe. N'était-ce pas assez de subir l'injustice de ce coquin, sans aller encore lui offrir de l'argent pour le faire vivre jusqu'à  ce qu'il commette une autre canaillerie?
GÉTA
Parfaitement.
DÉMIPHON
Aujourd'hui la récompense est pour ceux qui donnent au mal l'apparence du bien.
GÉTA
Ce n'est que trop vrai.
DÉMIPHON
Aussi avons-nous été des imbéciles d'en passer par ses volontés.
GÉTA
Pourvu que notre plan réussisse et qu'il l'épouse ?
DÉMIPHON
Comment ! ce ne serait même pas sûr?
GÉTA
Ma foi, du bois dont il est fait, je ne sais pas s'il ne serait pas homme à se dédire.
DÉMIPHON
Quoi! à se dédire !
GÉTA
Je ne sais; je dis seulement qu'il se pourrait.
DÉMIPHON
Je vais faire ce que m'a conseillé mon frère : je vais amener sa femme ici pour qu'elle parle à l'autre. Toi, Géta, prends les devants, et annonce-lui sa venue.
GÉTA
Nous avons trouvé l'argent pour Phédria; on se tait, au lieu de nous chercher querelle; on a pourvu à ce que l'expulsion n'ait pas lieu pour le moment. Mais maintenant, que va-t-il arriver? Tu restes empêtré dans le même bourbier. Tu fais un trou pour en boucher un autre, Géta. Le mal d'aujourd'hui est remis à demain, et les coups de fouet s'accumulent, si tu n'y prends garde. En attendant je vais rentrer au logis et faire la leçon à Phanium pour qu'elle ne s'effraye pas des projets de Phormion ni des discours de la matrone.

SCENA III

DEMIPHO, NAUSITRATA, CHREMES 

DEMIPHO 
Agedum, ut soles, Nausistrata, fac illa ut placetur nobis,
ut sua voluntate id quod est faciundum faciat. 
NAUSISTRATA 
Faciam. 785
DEMIPHO 
Pariter nunc opera me adiuves ac re dudum opitulata es.
NAUSISTRATA 
Factum volo. Ac pol minus queo viri culpa quam me dignumst.
DEMIPHO 
Quid autem? 
NAUSISTRATA 
Quia pol mei patris bene parta indiligenter
tutatur; nam ex is praediis talenta argenti bina
statim capiebat: vir viro quid praestat! 
DEMIPHO 
Bina quaeso? 790
NAUSISTRATA 
Ac rebus vilioribus multo, tamen duo talenta. 
DEMIPHO 
Hui !
NAUSISTRATA 
Qid haec videntur? 
DEMIPHO 
Scilicet. 
NAUSISTRATA 
Virum me natam vellem:
ego ostenderem, 
DEMIPHO 
Certo scio. 
NAUSISTRATA 
Quo pacto...
DEMIPHO 
Parce, sodes,
ut possis cum illa, ne te adulescens mulier defetiget.
NAUSISTRATA 
Faciam ut iubes. sed meum virum ex te exire video. 795
CHREMES 
Ehem, Demipho,
iam illi datumst argentum? 
DEMIPHO 
Curavi ilico. 
CHREMES 
Nollem datum.
Ei, video uxorem: paene plus quam sat erat. 
DEMIPHO 
Quor nolles, Chreme?
CHREMES 
Iam recte. 
DEMIPHO 
Quid tu? Ecquid locutu's cum istac quam ob rem hanc ducimus?
CHREMES 
Transegi. 
DEMIPHO 
Quid ait tandem? 
CHREMES 
Abduci non potest. 
DEMIPHO 
Qui non potest?
CHREMES 
Quia uterque utrique est cordi. 
DEMIPHO 
Quid istuc nostra? 
CHREMES 
Magni. Praeterhac 800
cognatam comperi esse nobis. 
DEMIPHO 
Quid? Deliras. 
CHREMES 
Sic erit.
Non temere dico: redii mecum in memoriam. 
DEMIPHO 
Satin sanus es?
NAUSISTRATA 
Au, obsecro, vide ne in cognatam pecces. 
DEMIPHO 
Non est. 
CHREMES 
Ne nega:
patris nomen aliud dictum est: hoc tu errasti. 
DEMIPHO 
Non norat patrem?
CHREMES 
Norat. 
DEMIPHO 
Quor aliud dixit? 
CHREMES 
Numquamne hodie concedes mihi 805
neque intelleges? 
DEMIPHO 
Si tu nil narras? 
CHREMES 
Perdis. 
NAUSISTRATA 
Miror quid hoc siet.
DEMIPHO 
Equidem hercle nescio. 
CHREMES 
Vin scire? At ita me servet Iuppiter,
ut propior illi quam ego sum ac tu homo nemost. 
DEMIPHO 
Di vostram fidem.
Eamus ad ipsam: una omnis nos aut scire aut nescire hoc volo. CHREMES 
Ah !
DEMIPHO 
Quid est? 
CHREMES 
Itan parvam mihi fidem esse apud te? 
DEMIPHO 
Vin me credere? 810
Vin satisquaesitum mi istuc esse? Age, fiat. Quid ? Illa filia
amici nostri quid futurumst? 
CHREMES 
Recte. 
DEMIPHO 
Hanc igitur mittimus?
CHREMES 
Quidni? 
DEMIPHO 
Illa maneat? 
CHREMES 
Sic. 
DEMIPHO 
Ire igitur tibi licet, Nausistrata.
NAUSISTRATA 
Sic pol commodius esse in omnis arbitror quam ut coeperas,
manere hanc; nam perliberalis visast, quom vidi, mihi.- 815
DEMIPHO 
Quid istuc negotist? 
CHREMES 
Iamne operuit ostium? 
DEMIPHO 
Iam. 
CHREMES 
O Iuppiter,
di nos respiciunt: gnatam inveni nuptam cum tuo filio. 
DEMIPHO 
Hem,
quo pacto potuit? 
CHREMES 
Non satis tutus est ad narrandum hic locus.
DEMIPHO 
At tu intro abi. 
CHREMES 
Heus, ne filii quidem hoc nostri resciscant volo.

SCÈNE III

DÉMIPHON, NAUSISTRATA, puis CHRÉMÈS

DÉMIPHON
Allons, Nausistrata, déploie ton adresse ordinaire; adoucis ses préventions contre nous, afin qu'elle fasse de bonne volonté ce qu'il faut qu'elle fasse.
NAUSISTRATA
J'y tâcherai.
DÉMIPHON
Aide-moi maintenant de ton obligeance, comme tu m'as aidé tantôt de ton argent.
NAUSISTRATA
Compte sur moi, et, si je ne fais pas autant que je devrais, c'est la faute de mon mari.
DÉMIPHON
Comment cela ?
NAUSISTRATA
C'est qu'il administre sans diligence la fortune si bien acquise par mon père. Mon père tirait régulièrement de ces propriétés deux talents par année. Quelle différence d'un homme à un homme !
DÉMIPHON
Deux talents, dis-tu?
NAUSISTRATA
Oui, deux talents, et en un temps où tout se vendait beaucoup moins cher.
DÉMIPHON
Peste !
NAUSISTRATA
Qu'en dis-tu?
DÉMIPHON
Eh mais !
NAUSISTRATA
Je voudrais être un homme; je lui ferais voir,
DÉMIPHON
J'en suis sûr.
NAUSISTRATA
De quelle façon...
DÉMIPHON
Ménage tes forces, de grâce, pour pouvoir soutenir sans les épuiser le débat avec cette femme qui est jeune.
NAUSISTRATA
Je suivrai ton conseil. Mais je vois mon mari sortir de chez toi.
CHRÉMÈS (sans voir Nausistrata).
Hé, Démiphon, lui a-t-on déjà remis l'argent?
DÉMIPHON
Oui, j'en viens.
CHRÉMÈS
Tant pis ! (Apercevant Nausistrata.) Aïe l ma femme! J'ai failli trop parler.
DÉMIPHON
Pourquoi tant pis, Chrémès?
CHRÉMÈS
Non, c'est bien.
DÉMIPHON
Et toi, as-tu dit à cette femme pourquoi nous lui amenons Nausistrata?
CHRÉMÈS
J'ai arrangé l'affaire.
DÉMIPHON
Que dit-elle en fin de compte?
CHRÉMÈS
La séparation n'est pas possible.
DÉMIPHON
Comment? pas possible.
CHRÉMÈS
Parce qu'ils tiennent trop l'un à l'autre.
DÉMIPHON
Et que nous importe?
CHRÉMÈS
Il nous importe beaucoup. D'ailleurs, j'ai découvert qu'elle est notre parente.
DÉMIPHON
Quoi? tu es fou?
CHRÉMÈS
Tu verras. Je sais ce que je dis. La chose m'est revenue à la mémoire.
DÉMIPHON
As-tu perdu la tête?
NAUSISTRATA
Ah ! je t'en prie, ne va pas faire affront à une parente.
DÉMIPHON
Elle ne l'est pas.
CHRÉMÈS
Ne dis pas cela. On a dit un autre nom pour le père; c'est ce qui t'a trompé.
DÉMIPHON
Elle ne connaissait pas son père?
CHRÉMÈS
Si.
DÉMIPHON
Pourquoi a-t-elle dit un autre nom?
CHRÉMÈS
Ne me croiras-tu pas, ne m'entendras-tu pas d'aujourd'hui?
DÉMIPHON
Si tu ne dis rien.
CHRÉMÈS
Tu gâtes notre affaire?
NAUSISTRATA
Je n'entends rien à tout ceci.
DÉMIPHON
Ma foi, ni moi non plus.
CHRÉMÈS
Veux-tu que je te dise? Eh bien ! que Jupiter me protège aussi vrai que personne ne lui touche de plus près que toi et moi.
DÉMIPHON
Grands dieux ! allons la trouver. Il faut que nous sachions tous ensemble ce qu'il en faut croire ou non.
CHRÉMÈS
Ah!
DÉMIPHON
Quoi?
CHRÉMÈS
Faut-il que je trouve chez toi si peu de créance?
DÉMIPHON
Tu veux que je te croie? Tu veux que je cesse de te questionner là-dessus? Allons, soit ! Mais cette fille de notre ami, que devient-elle?
CHRÉMÈS
Tout va bien de ce côté.
DÉMIPHON
Alors nous la congédions?
CHRÉMÈS
Sans doute.
DÉMIPHON
C'est l'autre qui reste?
CHRÉMÈS
Oui,
DÉMIPHON
Cela étant, Nausistrata, tu peux te retirer.
NAUSISTRATA
Par Pollux, je crois qu'il y a avantage pour tous à renoncer à ton premier dessein et à la garder : elle m'a paru très distinguée, quand je l'ai vue. (Elle sort.)
DÉMIPHON
Qu'est-ce que cette histoire-là?
CHRÉMÈS
A-t-elle bien fermé la porte?
DÉMIPHON
Oui.
CHRÉMÈS
O Jupiter, les dieux nous sont propices. C'est ma fille que je retrouve dans la femme de ton fils.
DÉMIPHON
Comment cela s'est-il pu faire?
CHRÉMÈS
L'endroit n'est pas assez sûr pour te l'expliquer.
DÉMIPHON
Eh bien ! entre chez moi.
CHRÉMÈS
Écoute ! Je désire que nos enfants non plus n'en sachent rien.

SCENA IV

ANTIPHO

ANTIPHO
Laetus sum, utut meae res sese habent, fratri optigisse quod volt. 820
Quam scitumst eius modi in animo parare cupiditates
quas, quom res advorsae sient, paullo mederi possis ?
Hic simul argentum repperit, cura sese expedivit;
ego nullo possum remedio me evolvere ex his turbis,
quin, si hoc celetur, in metu, sin patefit, in probro sim. 825
Neque me domum nunc reciperem, ni mi esset spes ostenta
huiusce habendae. Sed ubinam Getam invenire possim, ut
rogem quod tempus conveniundi patris me capere iubeat? 

SCÈNE IV

ANTIPHON

ANTIPHON
Quel que soit l'état de mes propres affaires, je suis content que mon cousin ait obtenu ce qu'il désire. Que l'on fait bien de n'ouvrir son coeur qu'à des passions comme la sienne, qu'on peut guérir à peu de frais, quand les choses tournent mal ! Dès qu'il a eu trouvé de l'argent, il s'est vu hors de peine; mais moi, nul expédient ne peut me sortir d'embarras : si mon secret reste caché, ce sont des transes continuelles; s'il se découvre, c'est le déshonneur. Maintenant même je ne remettrais pas les pieds dans cette maison, si l'on ne m'avait pas fait luire l'espérance de garder ma femme. Mais où trouver Géta pour lui demander quel moment il me conseille de prendre pour me présenter à mon père?

SCENA V

PHORMIO, ANTIPHO

PHORMIO 
Argentum accepi, tradidi lenoni, abduxi mulierem,
curavi propria ut Phaedria poteretur; nam emissast manu. 830
Nunc una mihi res etiam restat quae est conficiunda, otium
ab senibus ad potandum ut habeam; nam aliquot hos sumam dies.
ANTIPHO
Sed Phormiost. Quid ais? 
PHORMIO 
Quid? 
ANTIPHO
Quidnam nunc facturust Phaedria?
Quo pacto satietatem amoris ait se velle absumere?
PHORMIO 
Vicissim partis tuas acturus est. 
ANTIPHO
Quas? 
PHORMIO 
Ut fugitet patrem. 835
Te suas rogavit rursum ut ageres, causam ut pro se diceres;
nam potaturus est apud me. Ego me ire senibus Sunium
dicam ad mercatum, ancillulam emptum dudum quam dixit Geta:
ne quom hic non videant me, conficere credant argentum suom.
Sed ostium concrepuit abs te. 
ANTIPHO
Vide quis egreditur. 
PHORMIO 
Getast. 840

SCÈNE V 

PHORMION, ANTIPHON

PHORMION (sans voir Antiphon).
J'ai touché l'argent, payé le marchand d'esclaves et emmené la fille. J'ai pris mes mesures pour qu'elle appartienne à Phédria en toute propriété : elle est affranchie. A présent, il ne me reste plus qu'une chose dont il faut que je vienne à bout, c'est d'avoir les coudées franches du côté des vieux pour faire un peu la fête; car je veux prendre ces quelques jours pour moi.
ANTIPHON
Tiens ! Phormion ! Quelle nouvelle?
PHORMION
Quelle nouvelle?
ANTIPHON
Que compte faire à présent Phédria? Comment va-t-il s'y prendre pour jouir à son aise de ses amours?
PHORMION
A son tour, il va jouer ton rôle.
ANTIPHON
Quel rôle?
PHORMION
Jouer à cache-cache avec son père. En revanche, il te prie de jouer le sien et de plaider sa cause; car il va venir faire la fête chez moi. Moi, je dirai aux vieux que je vais à Sunium, au marché, pour y acheter la petite esclave dont Géta leur a parlé tantôt. Je ne veux pas que, ne me voyant plus, ils aillent s'imaginer que je fricasse leur argent. Mais ta porte (28) a résonné. 
ANTIPHON
Vois qui sort.
PHORMION
C'est Géta.

SCENA VI

GETA, ANTIPHO, PHORMIO

GETA
O Fortuna, o Fors Fortuna, quantis commoditatibus,
quam subito meo ero Antiphoni ope vostra hunc onerastis diem!
ANTIPHO
Quidnam hic sibi volt? 
GETA
Nosque amicos eius exonerastis metu!
Sed ego nunc mihi cesso, qui non umerum hunc onero pallio,
atque hominem propero invenire, ut haec quae contigerint sciat. 845
ANTIPHO
Num tu intellegis quid hic narret? 
PHORMIO 
Num tu? 
ANTIPHO
Nil. 
PHORMIO
Tantundem ego.
GETA
Ad lenonem hinc ire pergam: ibi nunc sunt. 
ANTIPHO
Heus, Geta! 
GETA
Em tibi.
Num mirum aut novomst revocari, cursum quom institeris? 
ANTIPHO
Geta.
GETA
Pergit hercle. Numquam tu odio tuo me vinces. 
ANTIPHO
Non manes?
GETA
Vapula. 
ANTIPHO
Id quidem tibi iam fiet nisi resistis. Verbero. 850
GETA
Familiariorem oportet esse hunc: minitatur malum.
Sed isne est quem quaero, an non? Ipsust, congredere actutum. ANTIPHO
Quid est?
GETA
O omnium quantumst qui vivont, hominum homo ornatissime!
Nam sine controvorsia ab dis solus diligere, Antipho.
ANTIPHO
Ita velim; sed qui istuc credam ita esse mihi dici velim. 855
GETA
Satine est si te delibutum gaudio reddo? 
ANTIPHO
Enicas.
PHORMIO 
Quin tu hinc pollicitationes aufer et quod fers cedo. 
GETA
Oh,
tu quoque aderas, Phormio? 
PHORMIO 
Aderam. Sed tu cessas. 
GETA
Accipe, em:
ut modo argentum tibi dedimus apud forum, recta domum
sumus profecti; interea mittit erus me ad uxorem tuam. 860
ANTIPHO
Quam ob rem? 
GETA
Omitto proloqui; nam nil ad hanc rem est, Antipho.
Ubi in gynaeceum ire occipio, puer ad me adcurrit Mida,
pone reprendit pallio, resupinat: respicio, rogo
quam ob rem retineat me: Ait esse vetitum intro ad eram accedere.
« Sophrona modo fratrem huc » inquit, «senis introduxit Chremem 865
eumque nunc esse intus cum illis.
» Hoc ubi ego audivi, ad fores
suspenso gradu placide ire perrexi accessi, astiti,
animam compressi, aurem admovi: ita animum coepi attendere,
hoc modo sermonem captans. 
PHORMIO 
Eu, Geta! 
GETA
Hic pulcherrimum
facinus audivi: itaque paene hercle exclamavi gaudio. 870
ANTIPHO
Quod? 
GETA
Quodnam arbitrare? 
ANTIPHO
Nescio. 
GETA
Atqui mirificissimum:
patruos tuos est pater inventus Phanio uxori tuae. 
ANTIPHO
Hem,
quid ais? 
GETA
Cum eius consuevit olim matre in Lemno clanculum.
PHORMIO 
Somnium! utine haec ignoraret suom patrem? 
GETA
Aliquid credito,
Phormio, esse causae. Sed censen me potuisse omnia 875
intellegere extra ostium intus quae inter sese ipsi egerint?
ANTIPHO
Atque ego quoque inaudivi illam fabulam. 
GETA
Immo etiam dabo
quo mage credas: patruos interea inde huc egreditur foras;
haud multo post cum patre idem recipit se intro denuo;
ait uterque tibi potestatem eius adhibendae dari : 880
denique ego sum missus, te ut requirerem atque adducerem. 
ANTIPHO
Quin ergo rape me; quid cessas? 
GETA
Fecero. 
ANTIPHO
Heus, Phormio,
vale. 
PHORMIO 
Vale, Antipho. GBene, ita me di ament, factum: gaudeo. 

SCÈNE VI

GÉTA, ANTIPHON, PHORMION

GÉTA
O Fortune, ô Bonne Fortune, de quelles faveurs soudaines votre puissance a comblé aujourd'hui Antiphon, mon maître !
ANTIPHON
A qui en a-t-il donc?
GÉTA
Et nous, ses amis, de quelle crainte nous avez-vous délivrés ! Mais je perds mon temps. Vite, le manteau sur l'épaule, et courons chercher notre homme pour lui apprendre le bonheur qui lui arrive.
ANTIPHON (à Phormion).
Comprends-tu quelque chose à ce qu'il débite?
PHORMION
Et toi?
ANTIPHON
Pas un mot.
PHORMION
Moi, pas davantage.
GÉTA
Je vais de ce pas chez le marchand d'esclaves : c'est là qu'ils sont à présent.
ANTIPHON
Hé ! Géta!
GÉTA (sans reconnaître son maître).
C'est toi qu'on appelle, Géta. Ce serait bien étonnant et nouveau de n'être pas rappelé, quand on se met à courir.
ANTIPHON
Géta !
GÉTA
Il continue, ma foi ! Ne m'ennuie pas; tu perds ta peine.
ANTIPHON
T'arrêteras-tu?
GÉTA
Une grêle de coups pour toi !
ANTIPHON
C'est ce qui t'attend, pendard, si tu ne t'arrêtes pas.
GÉTA
Il faut que ce soit quelqu'un de la maison : il menace de me battre. Mais est-ce celui que je cherche ou ne l'est-ce pas? C'est lui. Viens ici, et vivement.
ANTIPHON
Qu'y a-t-il?
GÉTA
O de tous les mortels, le mortel le plus fortuné qui existe sur la terre ! car il n'y a pas à en douter, les dieux n'aiment que toi, Antiphon.
ANTIPHON
Je le voudrais; mais comment le croire? C'est ce qu'il faudrait aussi me dire.
GÉTA
Seras-tu satisfait, si je te fais nager dans la joie?
ANTIPHON
Tu me fais mourir.
PHORMION
Allons ! trêve de promesses, et dis ce que tu as à nous apprendre.
GÉTA
Oh ! tu étais là, toi aussi, Phormion?
PHORMION
Oui; mais dépêche.
GÉTA
Écoute, voici : tantôt, après t'avoir remis l'argent sur la place, nous sommes revenus droit à la maison. (A Antiphon.) A ce moment, le patron m'envoie chez ta femme.
ANTIPHON
Pourquoi?
GÉTA
Je me dispense de te le dire : cela ne fait rien à l'affaire, Antiphon. Je me dirigeais vers le gynécée, lorsque Mida, le petit esclave, court à moi, saisit mon manteau par le dos et me tire en arrière. Je me retourne et lui demande pourquoi il me retient. Il me répond qu'on lui a défendu de laisser entrer personne chez sa maîtresse. « Sophona, ajoute-t-il, vient d'y introduire Chrémès, le frère du vieux bonhomme, et il est là dedans à cette heure avec elle. » En entendant ces mots, je me dirige sur la pointe du pied, doucement vers la porte; je m'en approche, je m'y colle, je retiens mon souffle, j'approche mon oreille, et je tends mon attention pour saisir ainsi leur conversation.
PHORMION
Bien, Géta !
GÉTA
Alors j'ai entendu la plus merveilleuse histoire, au point que, par Hercule, j'ai eu grand'peine à ne pas crier de joie.
ANTIPHON
Quelle histoire?
GÉTA
Devine.
ANTIPHON
Je ne saurais.
GÉTA
C'est une histoire extraordinaire : ton oncle se trouve être le père de Phanium, ta femme.
ANTIPHON
Hein ! que dis-tu?
GÉTA
Il a eu jadis un commerce secret avec sa mère à Lemnos.
PHORMION
Tu rêves. Phanium ne connaîtrait pas son père?
GÉTA
Sois sûr, Phormion, qu'il y a une raison pour cela. Crois-tu d'ailleurs que j'aie pu saisir à travers la porte tout ce qu'ils ont dit entre eux à l'intérieur?
ANTIPHON
Moi aussi, par Hercule, j'ai entendu quelque chose de cette histoire.
GÉTA
Mais voici un fait qui va t'aider à me croire. Pendant que j'étais là, ton oncle est sorti, puis un moment après il est rentré avec ton père, et tous les deux sont d'accord que tu peux garder ta femme. Bref, ils m'ont dépêché pour te chercher et t'amener.
ANTIPION
Alors enlève-moi donc. Qu'attends-tu?
GÉTA
Je suis à tes ordres.
ANTIPHON
Hé ! Phormion, adieu.
PHORMION
Adieu, Antiphon. Les dieux me sont témoins que ton bonheur me remplit de joie.

SCENA VII

PHORMIO

PHORMIO
Tantam fortunam de inproviso esse his datam!
Summa eludendi occasiost mihi nunc senes 885
et Phaedriae curam adimere argentariam,
ne quoiquam suorum aequalium supplex siet.
Nam idem hoc argentum, ita ut datumst, ingratiis
ei datum erit: hoc qui cogam re ipsa repperi.
Nunc gestus mihi voltusque est capiundus novos. 890
Sed hinc concedam in angiportum hoc proxumum;
inde hisce ostendam me, ubi erunt egressi foras.
Quo me adsimularam ire ad mercatum, non eo. 

SCÈNE VII

PHORMION

PHORMION
Tant de bonheur pour eux, quand ils ne s'y attendaient pas! C'est aussi pour moi une bonne occasion d'attraper 886 les deux vieux, d'enlever à Phédria ses soucis d'argent et de le dispenser d'aller supplier ses amis. Cet argent que les vieux m'ont donné à leur corps défendant ils le lui laisseront de même : j'ai trouvé un bon moyen de les y contraindre. Il ne s'agit que de prendre une nouvelle contenance et un autre visage. Mais je vais me retirer dans la ruelle à côté, puis je me présenterai à eux, dès qu'ils sortiront. Je voulais faire semblant d'aller au marché : je n'y vais plus.

SCENA VIII

DEMIPHO, CHREMES, PHORMIO

DEMIPHO 
Dis magnas merito gratias habeo atque ago,
quando evenere haec nobis, frater, prospere. 895
Quantum potest, nunc conveniundust Phormio,
prius quam dilapidat nostras triginta minas,
ut auferamus. 
PHORMIO 
Demiphonem si domist
visam, ut quod...
DEMIPHO 
At nos ad te ibamus, Phormio.
PHORMIO 
De eadem hac fortasse causa? 
DEMIPHO 
Ita hercle. 
PHORMIO 
Credidi: 900
quid ad me ibatis? 
DEMIPHO 
Ridiculum. 
PHORMIO 
Verebamini
ne non id facerem quod recepissem semel?
Heus, quanta quanta haec mea paupertas est, tamen
adhuc curavi unum hoc quidem, ut mi esset fides.
CHREMES 
Estne ita ut<i> dixi liberalis? 
DEMIPHO 
Oppido. 905
PHORMIO 
Idque ad vos venio nuntiatum, Demipho,
paratum me esse: ubi voltis, uxorem date.
Nam omnis posthabui mihi res, ita uti par fuit,
postquam id tanto opere vos velle animum advorteram.
DEMIPHO 
At hic dehortatus est me ne illam tibi darem: 910
« Nam qui erit rumor populi » inquit, « si id feceris?
olim quom honeste potuit, tum non est data:
eam nunc extrudi turpest. » Ferme eadem omnia
quae tute dudum coram me incusaveras.
PHORMIO 
Satis superbe inluditis me. 
DEMIPHO 
Qui? 
PHORMIO 
Rogas? 915
Quia ne alteram quidem illam potero ducere;
nam quo redibo ore ad eam quam contempserim?
CHREMES 
« Tum autem Antiphonem video ab sese amittere
invitum eam » inque.
DEMIPHO 
Tum autem video filium
invitum sane mulierem ab se amittere. 920
Sed transi, sodes, ad forum atque illud mihi
argentum rursum iube rescribi, Phormio.
PHORMIO 
Quodne ego discripsi porro illis quibus debui?
DEMIPHO 
Quid igitur fiet? 
PHORMIO 
Si vis mi uxorem dare
quam despondisti, ducam; sin est ut velis 925
manere illam apud te, dos hic maneat, Demipho.
Nam non est aequom me propter vos decipi,
quom ego vostri honoris causa repudium alterae
remiserim, quae dotis tantundem dabat.
DEMIPHO 
In' in malam rem cum istac magnificentia, 930
fugitive? Etiam nunc credis te ignorarier
aut tua facta adeo? 
PHORMIO 
Irritor. 
DEMIPHO 
Tune hanc duceres,
si tibi daretur? 
PHORMIO 
Fac periclum. 
DEMIPHO 
Ut filius
cum illa habitet apud te, hoc vostrum consilium fuit.
PHORMIO 
Quaeso quid narras? 
DEMIPHO 
Quin tu mi argentum cedo. 935
PHORMIO 
Immo vero uxorem tu cedo. 
DEMIPHO 
In ius ambula.
PHORMIO 
Enimvero si porro esse odiosi pergitis...
DEMIPHO 
Quid facies? 
PHORMIO 
Egone? Vos me indotatis modo
patrocinari fortasse arbitramini:
etiam dotatis soleo. 
CHREMES quid id nostra? 
PHORMIO 
Nihil. 940
Hic quandam noram quoius vir uxorem... 
CHREMES 
Hem. 
DEMIPHO 
Quid est?
PHORMIO 
Lemni habuit aliam, 
CHREMES 
Nullus sum. 
PHORMIO 
Ex qua filiam
suscepit; et eam clam educat. 
CHREMES 
Sepultus sum.
PHORMIO 
Haec adeo ego illi iam denarrabo. 
CHREMES 
Obsecro,
ne facias. 
PHORMIO 
Oh, tune is eras? 
DEMIPHO 
Ut ludos facit! 945
CHREMES 
Missum te facimus. 
PHORMIO 
Fabulae! 
CHREMES 
Quid vis tibi?
Argentum quod habes condonamus te. 
PHORMIO 
Audio.
Quid vos, malum, ergo me sic ludificamini
inepti vostra puerili sententia?
Nolo, volo; volo, nolo rursum; cape cedo; 950
quod dictum indictumst; quod modo erat ratum inritumst.
CHREMES 
Quo pacto aut unde hic haec rescivit?
DEMIPHO 
Nescio,
nisi me dixisse nemini certo scio.
CHREMES 
Monstri, ita me di ament, simile. 
PHORMIO
Inieci scrupulum. 
DEMIPHO 
hem,
hicine ut a nobis hoc tantum argenti auferat 955
tam aperte inridens? Emori hercle satius est.
Animo virili praesentique ut sis para.
Vides peccatum tuom esse elatum foras
neque iam id celare posse te uxorem tuam:
Nunc quod ipsa ex aliis auditura sit, Chreme, 960
id nosmet indicare placabilius est.
Tum hunc inpuratum poterimus nostro modo
ulcisci. 
PHORMIO 
Attat, nisi mi prospicio, haereo.
Hi gladiatorio animo ad me adfectant viam.
CHREMES 
At vereor ut placari possit. 
DEMIPHO 
Bono animo es: 965
ego redigam vos in gratiam, hoc fretus, Chreme,
quom e medio excessit unde haec susceptast tibi.
PHORMIO 
Itan agitis mecum? Satis astute adgredimini.
Non hercle ex re istius me instigasti, Demipho.
Ain tu? Ubi quae lubitum fuerit peregre feceris, 970
neque huius sis veritus feminae primariae
quin novo modo ei faceres contumeliam,
venias nunc precibus lautum peccatum tuom?
Hisce ego illam dictis ita tibi incensam dabo
ut ne restinguas lacrumis si exstillaveris. 975
DEMIPHO 
Malum quod isti di deaeque omnes duint!
Tantane adfectum quemquam esse hominem audacia!
Non hoc publicitus scelus hinc asportarier
in solas terras! 
CHREMES 
In id redactus sum loci
ut quid agam cum illo nesciam prorsum. 
DEMIPHO 
Ego scio: 980
in ius eamus. 
PHORMIO 
In ius? Huc, si quid lubet.
CHREMES 
Adsequere, retine, dum ego huc servos evoco.
DEMIPHO 
Enim nequeo solus: accurre. 
PHORMIO 
Una iniuriast
tecum. 
DEMIPHO 
Lege agito ergo. 
PHORMIO 
Alterast tecum, Chreme.
CHREMES 
Rape hunc. 
PHORMIO 
Sic agitis? Enimvero vocest opus: 985
Nausistrata, exi! 
CHREMES 
Os opprime inpurum: vide
quantum valet. 
PHORMIO 
Nausistrata! inquam. 
DEMIPHO 
Non taces?
PHORMIO 
Taceam? 
DEMIPHO 
Nisi sequitur, pugnos in ventrem ingere.
PHORMIO 
Vel oculum exclude: est ubi vos ulciscar probe.

SCÈNE VIII

DÉMIPHON, CHRÉMÈS, PHORMION

DÉMIPHON
Je rends, comme je le dois, mon frère, de grandes actions de grâces aux dieux de ce que les choses ont si heureusement tourné pour nous. Il s'agit maintenant de joindre ce Phormion au plus vite, afin de rattraper nos trente mines avant qu'il les ait dilapidées.
PHORMION (feignant de ne pas les voir).
Je vais voir si Démiphon est chez lui, pour lui dire que...
DÉMIPHON
Et nous, Phormion, nous allions chez toi.
PHORMION
Sans doute pour le même sujet qui m'amène?
DÉMIPHON
Sans nul doute.
PHORMION
Je m'en doutais. Mais pourquoi vous déranger?
DÉMIPHON
Tu es bon avec ta question!
PHORMION
Aviez-vous peur de me voir manquer à l'engagement que j'ai pris? Oh ça ! si grande que soit ma pauvreté, il y a pourtant une chose qui m'a toujours tenu à cœur, c'est d'être homme de parole.
CHRÉMÈS
Je te l'ai bien dit : c'est un honnête homme (29).
DÉMIPHON
Tout à fait.
PHORMION
Et je viens précisément t'annoncer que je suis prêt, Démiphon. Donnez-moi la femme, quand vous voudrez. J'ai fait passer, comme de juste, toutes mes affaires au second rang, quand j'ai vu que vous teniez tant à celle-ci.
DÉMIPHON
Oui; mais mon frère m'a dissuadé de te la donner. « Quels bruits on va faire courir, m'a-t-il dit, si tu fais cela ! Tantôt, quand on pouvait la marier honnêtement, on ne l'a pas voulu; la traiter aujourd'hui en veuve qu'on expulse, serait une honte. » Ce sont à peu près les mêmes reproches que toi-même tu m'adressais naguère en face.
PHORMION
Vous vous moquez de moi, par Pollux, d'une façon assez cavalière.
DÉMIPHON
Comment?
PHORMION
Tu le demandes? Parce que je ne pourrai même plus épouser l'autre. De quel front en effet retourner à une femme que j'ai dédaignée?
CHRÉMÈS (bas à Démiphon).
« Et puis je vois qu'Antiphon a trop de peine à se séparer d'elle. » Dis-lui cela.
DÉMIPHON
Et puis je vois que mon fils a vraiment trop de peine à se séparer de cette femme. Passe donc à la place, s'il te plaît, Phormion, et fais-moi rembourser l'argent. 
PHORMION
Un argent que j'ai aussitôt réparti entre mes créanciers?
DÉMIPHON
Comment faire en ce cas?
PHORMION
Donne-moi la femme que tu m'a promise, et je l'épouse. Te plaît-il, au contraire, de la garder? Moi je garde la dot, Démiphon. Il n'est pas juste que je sois frustré à cause de vous; car c'est à votre considération que j'ai rompu avec l'autre qui m'apportait une dot équivalente.
DÉMIPHON
Va-t'en au diable avec tes grands mots, esclave échappé. Crois-tu qu'on ne te connaisse pas encore et qu'on ignore tes faits et gestes?
PHORMION
Tu m'échauffes les oreilles.
DÉMIPHON
Tu épouserais cette femme, si on te la donnait?
PHORMION
Essaye.
DÉMIPHON
Pour que mon fils vive avec elle chez toi. C'était votre marché.
PHORMION
Comment dis-tu, s'il te plaît?  
DÉMIPHON
Çà, mon argent, vite !
PHORMION
Çà, ma femme, vite !
DÉMIPHON
Viens devant les juges.
PHORMION
En vérité, si vous continuez à m'impatienter...
DÉMIPHON
Que feras-tu?
PHORMION
Moi ! vous croyez peut-être que je ne plaide que pour les femmes sans dot; j'en ai de bien dotées aussi dans ma clientèle.
DÉMIPHON
Qu'est-ce que cela nous fait?
PHORMION
Oh ! rien. Seulement j'en connais une ici dont le mari avait...
CHRÉMÈS
Hein !
DÉMIPHON
Quoi?
PHORMION
Une seconde femme à Lemnos,
CHRÉMÈS
Je suis mort,
PHORMION
Dont il a eu une fille qu'il élève en cachette.
CHRÉMÈS
Et enterré.
PHORMION
Voilà justement ce que je vais lui conter de point en point.
CHRÉMÈS
Je t'en conjure, n'en fais rien.  
PHORMION
Ah ! c'était toi !
DÉMIPHON
Comme il se joue de nous !
CHRÉMÈS
Nous te tenons quittes.
PHORMION
Chansons!
CHRÉMÈS
Que veux-tu encore? L'argent que tu as, nous t'en faisons grâce.
PHORMION
J'entends. Mais pourquoi diantre vous jouez-vous ainsi de moi, sots que vous êtes, avec vos indécisions d'enfant? « Je ne veux pas, je veux; je veux, puis à nouveau je ne veux plus; prends, redonne »; vous dites, vous dédites, vous faites, vous défaites.
CHRÉMÈS
Comment et par où a-t-il appris cela?
DÉMIPHON
Je l'ignore; en tout cas je ne l'ai dit à personne : cela, j'en suis sûr.
CHRÉMÈS
Les dieux me pardonnent ! cela tient du prodige.
PHORMION
Je leur ai mis la puce à l'oreille.
DÉMIPHON
Quoi ! il nous soustraira une pareille somme et il se gaussera de nous à notre barbe ! Ah ! non, plutôt mourir. Prépare-toi à montrer du courage et du sang-froid. Tu vois que ta faute est ébruitée et que tu ne peux plus la cacher à ta femme. Eh bien ! ce qu'elle apprendrait par d'autres, Chrémès, disons-le-lui nous-mêmes : c'est le meilleur moyen de l'apaiser. Nous pourrons alors nous venger à notre guise de cet infâme coquin.
PHORMION (bas).
Ouais ! si je ne veille pas au grain, je suis pris. Ils viennent sur moi avec des intentions de spadassins.
CHRÉMÈS
C'est que j'ai bien peur qu'elle ne veuille rien entendre.
DÉMIPHON
Sois tranquille, je me charge de faire votre paix, Chrémès, en m'appuyant sur ce fait que la femme de qui tu as eu cette fille n'est plus de ce monde.
PHORMION
Est-ce ainsi que vous le prenez avec moi? L'attaque est assez adroite. Par Hercule ! tu n'entends pas les intérêts de ton frère, Démiphon, en me poussant à bout. (A Chrémès.) Ah ! tu crois qu'on peut aller faire des siennes en pays étranger, se jouer d'une femme de condition, l'outrager d'une manière inouïe, et que tu n'as qu'à te présenter la prière à la bouche pour te faire pardonner? Je lui dirai tout, moi, et je l'enflammerai si bien contre toi que tu n'éteindras pas sa colère, dusses-tu verser toutes les larmes de ton corps.
DÉMIPHON
Que tous les dieux et les déesses punissent ce coquin l Est-il possible qu'il y ait au monde un homme d'une telle audace? et qu'un arrêt de justice ne relègue pas un pareil scélérat dans quelque contrée déserte?
CHRÉMÈS
J'en suis réduit au point que je ne sais plus du tout que faire avec cet homme.
DÉMIPHON
Je le sais, moi. Allons en justice.
PHORMION
En justice ! Oui, ici, si tu veux. (Il se dirige vers la maison de Chrémês.)
DÉMIPHON
Cours après lui et retiens-le, pendant que j'appelle mes gens.
CHRÉMÈS
Je ne peux vraiment pas tout seul. Viens à mon aide.
PHORMION (à Démiphon).
C'est une première plainte à porter contre toi.
CHRÉMÈS
Eh bien ! poursuis-le en justice.
PHORMION
Et une deuxième contre toi, Chrémès.
DÉMIPHON
Traîne-le.
PHORMION
Ah ! c'est comme cela ! Je vois bien qu'il faut donner de la voix. Nausistrata, sors.
CHRÉMÈS
Ferme-lui sa bouche infâme. Vois comme il est fort.
PHORMION
Nausistrata, je t'appelle.
CHRÉMÈS
Te tairas-tu?
PHORMION
Me taire?
DÉMIPHON
S'il ne te suit pas, enfonce-lui tes poings dans le ventre.
PHORMION
Tu peux même me crever un oeil; voici de quoi prendre ma revanche.

SCENA IX

NAUSISTRATA, CHREMES, DEMIPHO, PHORMIO

NAUSISTRATA 
Qui nominat me? Hem, quid istuc turbaest, obsecro, 990
mi vir? 
PHORMIO 
Ehem, quid nunc obstipuisti? 
NAUSISTRATA 
Quis hic homost?
Non mihi respondes? 
PHORMIO 
Hicine ut tibi respondeat,
qui hercle ubi sit nescit? 
CHREMES 
Cave isti quicquam cred<u>as.
PHORMIO 
Abi, tange: si non totus friget, me enica.
CHREMES 
Nil est. 
NAUSISTRATA 
Quid ergo? quid istic narrat? 
PHORMIO 
Iam scies: 995
ausculta. 
CHREMES 
Pergin credere? 
NAUSISTRATA 
Quid ego, obsecro,
huic credam, qui nil dixit? 
PHORMIO 
Delirat miser
timore. 
NAUSISTRATA 
Non pol temerest quod tu tam times.
CHREMES 
Egon timeo? 
PHORMIO 
Recte sane: quando nil times.
Et hoc nil est quod ego dico, tu narra. 
DEMIPHO 
Scelus, 1000
tibi narret? 
PHORMIO 
Ohe tu, factumst abs te sedulo
pro fratre. 
NAUSISTRATA 
Mi vir, non mihi narras. 
CHREMES 
At...
NAUSISTRATA 
Quid  « at » ?
CHREMES 
Non opus est dicto. 
PHORMIO 
Tibi quidem; at scito huic opust.
in Lemno...
DEMIPHO 
Hem quid ais? 
CHREMES 
Non taces? 
PHORMIO 
Clam te ...
CHREMES 
Ei mihi!
PHORMIO 
Uxorem duxit. 
NAUSISTRATA 
Mi homo, di melius duint! 1005
PHORMIO 
Sic factumst. 
NAUSISTRATA 
Perii misera! 
PHORMIO 
Et inde filiam
suscepit iam unam, dum tu dormis. 
CHREMES 
Quid agimus?
NAUSISTRATA 
Pro di inmortales, facinus miserandum et malum!
PHORMIO 
Hoc actumst. 
NAUSISTRATA 
An quicquam hodiest factum indignius?
Qui mi, ubi ad uxores ventumst, tum fiunt senes! 1010
Demipho, te appello: nam cum hoc ipso distaedet loqui.
Haecin erant itiones crebrae et mansiones diutinae
Lemni? Haecin erat ea quae nostros minuit fructus vilitas?
DEMIPHO 
Ego, Nausistrata, esse in hac re culpam meritum non nego;
sed ea qui sit ignoscenda. 
PHORMIO 
Verba fiunt mortuo. 1015
DEMIPHO 
Nam neque neglegentia tua neque odio id fecit tuo.
Vinolentus fere abhinc annos quindecim mulierculam
eam compressit unde haec natast, neque postilla umquam attigit.
Ea mortem obiit, e medio abiit qui fuit in re hac scrupulus.
Quam ob rem te oro, ut alia facta tua sunt, aequo animo hoc feras. 1020
NAUSISTRATA 
Quid ego aequo animo? Cupio misera in hac re iam defungier.
Sed quid sperem? aetate porro minus peccaturum putem?
Iam tum erat senex, senectus si verecundos facit.
An mea forma atque aetas nunc magis expetendast, Demipho?
Quid mi hic adfers quam ob rem exspectem aut sperem porro non fore? 1025
PHORMIO 
Exsequias Chremeti quibus est commodum ire, em tempus est.
Sic dabo: age nunc, Phormionem qui volet lacessito:
« Faxo tali sum mactatum atque hic est infortunio. »
Redeat sane in gratiam iam: supplici satis est mihi.
Habet haec ei quod, dum vivat, usque ad aurem ogganniat. 1030
NAUSISTRATA 
At meo merito credo. Quid ego nunc commemorem, Demipho,
singulatim qualis ego in hunc fuerim? 
DEMIPHO 
Novi aeque omnia
tecum. 
NAUSISTRATA 
Merito[n] hoc meo videtur factum? 
DEMIPHO 
Minime gentium.
Verum iam, quando accusando fieri infectum non potest,
ignosce: orat confitetur purgat: quid vis amplius? 1035
PHORMIO 
Enimvero prius quam haec dat veniam, mihi prospiciam et Phaedriae.
heus Nausistrata, prius quam huic respondes temere, audi. NAUSISTRATA 
Quid est?
PHORMIO 
Ego minas triginta per fallaciam ab illoc abstuli:
eas dedi tuo gnato: is pro sua amica lenoni dedit.
CHREMES 
Hem, quid ais? 
NAUSISTRATA 
Adeo hoc indignum tibi videtur, filius 1040
homo adulescens si habet unam amicam, tu uxores duas?
Nil pudere! Quo ore illum obiurgabis? Responde mihi.
DEMIPHO 
Faciet ut voles. 
NAUSISTRATA 
Immo ut meam iam scias sententiam,
neque ego ignosco, neque promitto quicquam, neque respondeo
prius quam gnatum videro: eius iudicio permitto omnia. 1045
Quod is iubebit faciam. 
PHORMIO 
Mulier sapiens es, Nausistrata.
NAUSISTRATA 
Satis tibi<n> est? 
PHORMIO 
Immo vero pulchre discedo et probe
et praeter spem. 
NAUSISTRATA
Tu tuom nomen dic quid est. 
PHORMIO
 
Mihin? Phormio:
vostrae familiae hercle amicus et tuo summus Phaedriae.
NAUSISTRATA 
Phormio, at ego ecastor posthac tibi quod potero, quae voles 1050
faciamque et dicam. 
PHORMIO 
Benigne dicis. 
NAUSISTRATA 
Pol meritumst tuom.
PHORMIO 
Vin primum hodie facere quod ego gaudeam, Nausistrata,
et quod tuo viro oculi doleant? 
NAUSISTRATA 
Cupio. 
PHORMIO 
Me ad cenam voca.
NAUSISTRATA 
Pol vero voco. 
DEMIPHO 
Eeamus intro hinc. 
NAUSISTRATA 
Fiat. Sed ubist Phaedria
iudex noster? 
PHORMIO 
Iam hic faxo aderit. 
CANTOR
Vos valete et plaudite!

SCÈNE IX

NAUSISTRATA, CHRÉMÈS, DÉMIPHON, PHORMION

NAUSISTRATA
Qui m'appelle? Ah ! Pourquoi tout ce tapage, mon mari, je te prie?
PHORMION
Eh bien! te voilà muet à présent?
NAUSISTRATA (à Chrémès).
Qui est cet homme? Tu ne me réponds pas?
PHORMION
Lui répondre ! lui qui ne sait plus, par Hercule, où il en est !
CHRÉMÈS
Garde-toi de croire un mot de ce qu'il va dire.
PHORMION
Approche et touche-le. Je veux être pendu, s'il n'est glacé de la tête aux pieds.
CHRÉMÈS
Ce n'est rien.
NAUSISTRATA
Qu'y a-t-il donc? que dit cet homme?
PHORMION
Tu vas le savoir; écoute.
CHRÉMÈS
Vas-tu encore le croire?
NAUSISTRATA
Croire quoi? je te prie. Il n'a rien dit.
PHORMION
La peur lui fait perdre la tête, à ce pauvre homme.
NAUSISTRATA
Par Pollux, ce n'est pas sans raison que tu es si effrayé.
CHRÉMÈS
Effrayé? moi?
PHORMION
A la bonne heure ! Puisque tu ne crains rien, puisque ce que je dis n'est rien, parle toi-même.
DÉMIPHON
Le dire pour te faire plaisir à toi, scélérat !
PHORMION
Hé! toi, tu es bien zélé à défendre ton frère !
NAUSISTRATA
Mon mari, ne me diras-tu pas?...
CHRÉMÈS
Mais...
NAUSISTRATA
Quoi, mais?
CHRÉMÈS
Je n'ai pas besoin de parler.
PHORMION
Toi, oui; mais elle a besoin de savoir, elle. A Lemnos...
CHRÉMÈS
Hein ! que dis-tu?
DÉMIPHON
Veux-tu te taire?
PHORMION
En cachette de toi...
CHRÈMÈS
Malheur à moi !
PHORMION
Il a pris une autre femme...
NAUSISTRATA
Mon bon ami, me préservent les dieux !
PHORMION
C'est comme je te le dis.
NAUSISTRATA
Malheureuse ! je me meurs.
PHORMION
Et il en a déjà eu une fille, pendant que tu dormais.
CHRÈMÈS
Qu'allons-nous devenir?
NAUSISTRATA
Dieux immortels ! quelle indigne malhonnêteté !
PHORMION
Voilà ce qu'il a fait.
NAUSISTRATA
Vit-on jamais rien de plus révoltant? Voilà les hommes : approchent-ils de leur femme, ils font les vieux. Démiphon, c'est à toi que je m'adresse; car il me répugne de parler à cet homme : voilà donc ce qu'étaient ces fréquents voyages, ces interminables séjours à Lemnos ! Le voilà, ce bas prix des denrées qui diminuait nos revenus !
DÉMIPHON
Pour moi, je ne nie pas qu'il ait commis une faute en ceci, mais je ne pense pas qu'elle soit impardonnable.
PHORMION
C'est parler pour un mort.
DÉMIPHON
Car ce n'est point par indifférence ni par aversion pour toi qu'il a fait cela. Il était ivre, quand, il y a de cela une quinzaine d'années, il abusa de cette misérable femme qui devint mère de cette jeune fille; et il ne l'a jamais plus touchée dans la suite. Cette femme est morte et avec elle a disparu ce qui aurait pu te faire ombrage. C'est pourquoi je te prie qu'en cette rencontre, comme tu l'as fait dans mainte autre, tu prennes les choses avec douceur.
NAUSISTRATA
Comment, avec douceur? Je voudrais, malheureuse, en être quitte pour cette dernière folie; mais comment l'espérer? Puis-je croire que l'âge le rendra plus sage? Il était déjà vieux alors, si c'est la vieillesse qui rend les hommes réservés. Est-ce que ma beauté et mon âge me rendent à présent plus désirable, Démiphon? Que peux-tu m'alléguer ici pour me faire croire ou espérer que cela n'arrivera plus?
PHORMION
On enterre Chrémès; que ceux qui ont le loisir de suivre le convoi se dépêchent ! on part à l'instant. Voilà de mes tours. Allons, maintenant; vienne qui voudra se frotter à Phormion. Je me charge de l'accommoder comme j'ai fait celui-ci. Il peut faire la paix tant qu'il voudra, je suis assez vengé. Sa femme a de quoi lui corner aux oreilles pour le reste de ses jours.
NAUSISTRATA
Il y a eu de ma faute apparemment ! A quoi bon, Démiphon, te rappeler de point en point ce que j'ai été pour lui?
DÉMIPHON
Je sais tout cela aussi bien que toi.
NAUSISTRATA
Trouves-tu que je méritais ce qu'il m'a fait?
DÉMIPHON
Pas le moins du monde; mais puisque tes plaintes ne sauraient faire que ce qui est ne soit pas, pardonne. Le voilà suppliant, avouant, s'excusant : que veux-tu de plus?
PHORMION (à part).
Oui, mais avant qu'elle accorde son pardon, il faut prendre mes sûretés pour Phédria et pour moi. (Haut.) Hé ! Nausistrata, avant de répondre à la légère, écoute.
NAUSISTRATA
Quoi?
PHORMION
Par mes ruses j'ai soutiré trente mines à ton mari. Je les ai remises à ton fils, et ton fils les a données à un marchand d'esclaves pour une fillette dont il est amoureux.
CHRÉMÈS
Hein ! que dis-tu?
NAUSISTRATA
Vas-tu crier à l'indignité, parce que ton fils, qui est jeune, a une maîtresse, alors que toi, tu as deux femmes? N'as-tu pas de honte? De quel front le gronderas-tu? réponds.
DÉMIPHON
Il fera comme tu l'entendras.
NAUSISTRATA
Eh bien ! si vous voulez savoir ma décision, je ne veux ni pardonner, ni promettre, ni répondre, avant de voir mon fils; j'abandonne tout à sa décision. Ce qu'il ordonnera, je le ferai.
PHORMION
Tu es une femme de sens, Nausistrata.
NAUSISTRATA
Es-tu satisfait?
PHORMION
Oui, certes, c'est un bel et bon succès pour moi, et qui dépasse mon espérance (30).
NAUSISTRATA
Maintenant dis-moi ton nom.
PHORMION
Mon nom ! Phormion, ami dévoué, je l'atteste, de votre maison, et surtout de ton Phédria.
NAUSISTRATA
Eh bien ! Phormion, demande-moi ce que tu voudras, et j'en jure par Castor, s'il faut agir ou parler pour toi, je ferai ce qui dépendra de moi.
PHORMION
C'est trop de bonté.
NAUSISTRATA
Par Pollux, ce n'est que justice.
PHORMION
Pour commencer, Nausistrata, veux-tu faire aujourd'hui même à moi, un grand plaisir, et une bonne pièce à ton mari?
NAUSISTRATA
Je ne demande pas mieux.
PHORMION
Invite-moi à souper.
NAUSISTRATA
Oui, par Pollux, je t'invite.
DÉMIPHON
Et maintenant rentrons.
NAUSISTRATA
Mais où est Phédria, notre arbitre?
PHORMION
Il sera ici dans un instant : je m'en charge.
LE CHANTEUR
Vous, portez-vues bien et applaudissez.

NOTES SUR LE PHORMION

(11) Luscius Lanuvinus dont il a déjà été question dans, les prologues de l'Andrienne, de l'Eunuque et de l'Héautontimoruménos.
(
12)
Luscius avait sans doute fait une comédie, où il avait représenté un homme que l'amour avait rendu fou et qui croyait voir sa bien aimée s'enfuir sous la forme d'une biche, qui, poursuivie par les chiens, le priait de venir à son secours. Une scène de cette nature convenait mieux à la tragédie qu'à la comédie.
(
13)
Allusion aux deux premières représentations de l'Hécyre, où le public abandonna la scène pour courir voir un funambule et des gladiateurs.
(
14
C'est-à-dire en épargnant sur sa bouche. Le génie est un être supérieur, un dieu, qui veille sur chacun des hommes, préside à sa naissance, le suit dans toute son existence, prend part à ses joies et à ses peines, et, après sa mort, est placé parmi les dieux Lares.
(
15
Donat nous dit que Térence suit ici Apollodore chez qui on lit que les enfants étaient initiés aux mystères de Samothrace.
(
16)
Les esclaves portaient sur la scène une perruque rousse.
(
17)
Dave veut dire qu'il aurait fait un tout autre usage de sa richesse que n'en fait Démiphon.
(
18)
Molière à imité ce passage dans tes Fourberies de Scapin, I, 2. « Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d'une servante qui faisait des regrets, et d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu'on puisse jamais voir... Une autre aurait paru effroyable en l'état où elle était; car elle n'avait pour habillement qu'une méchante petite jupe, avec des brassières de nuit, qui étaient de simple futaine, et sa coiffure était une cornette jaune retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules; et cependant, faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n'était qu'agréments et que charmes que toute sa personne... Ses larmes n'étaient point de ces larmes désagréables qui défigurent un visage; elle avait à pleurer une grâce touchante, et sa douleur était la plus belle du monde. »
(
19) Ces préfets de la douane contrôlaient l'entrée et la sortie des marchandises et encaissaient les péages. Ils avaient aussi le droit, pour se renseigner sur le chargement des vaisseaux, d'ouvrir les lettres expédiées avec ces vaisseaux.
(20
Expression proverbiale grecque qui signifie : faire une besogne inutile.
(21)
« J'ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies, et je vois se former de loin un nuage de coups de bâton qui crèvera sur mes épaules. » Fourberies de Scapin, I, 1.
(22
« Pour peu qu'un père de famille ait été absent de chez lui, il doit promener son esprit sur tous les fâcheux accidents que son retour peut rencontrer, se figurer sa maison brûlée, son argent dérobé, sa femme morte, son fils estropié, sa fille subornée, et ce qu'il trouve qui ne lui est point arrivé, l'imputer à bonne fortune. Pour moi, j'ai pratiqué toujours cette leçon dans ma petite philosophie; et je ne suis jamais revenu au logis que je ne me sois tenu prêt à la colère de mes martres, aux réprimandes, aux injures, aux coups de pied au cul, aux bastonnades, aux étrivières; et ce qui a manqué à m'arriver, j'en ai rendu grâces à mon destin. » Fourberies de Scapin, II, 8.
(23)
Phédria exploite ici au profit d'Antiphon la partialité bien connue des tribunaux athéniens contre les riches.
(24)
Ce passage, au dire de Donat, n'est pas d'Apollodore; il est tiré du VIe livre des Satires d'Ennius, qui dit: 
Quippe sine cura, lætus, lautus quom advenir,
Infertis matis, expedito brachio,
Alacer, celsus, lupino exspectans impetu
Mox dum alterius abligurias bona,
Quid censes dominis esse animi? Pro divum fidem!
Ille tristis cibum dum servat, tu ridens voras.

« Car tu n'as qu'à te présenter, sans souci, joyeux, lavé, les mâchoires garnies, le bras retroussé, gai, la tête levée, attendant la proie comme un loup. Puis, quand tu te régales du bien d'autrui, que crois-tu que pense le maître? Bons dieux ! il regarde les mets d'un air triste, tandis que toi, tu les dévores en riant. »
(25)
Ce vers s'accorde mal avec le vers 386, où Phormion avoue à Géta qu'il a oublié le nom du père de Phanium, qu'il a donné aux juges. On le considère comme interpolé.
(26)
C'est la maison du marchand d'esclaves que Géta appelle plaisamment la palestre ou gymnase de Phédria. Phédria y passe en effet son temps près de Pamphila, comme les jeunes gens pas­saient le leur au gymnase.
(27)
Ce proverbe a été interprété de bien des façons. Il semble qu'il faut le comprendre ainsi : celui qui cherche à se soustraire à un danger par la fuite, doit prendre garde à ne pas abandonner sa maison à ceux qui le poursuivent.
(28
La porte ouvrait sur la rue, et la rue était étroite. Pour ne heurter personne, quand on sortait de la maison, on frappait, du dedans, à la porte, pour être entendu des passants. C'est à cet usage que se rapporte l'expression qui revient souvent dans les comédies : ostium concrepuit : ta porte a claqué, on a fait du bruit à ta porte. Frapper à la porte, du dehors, pour demander l'entrée, se dit chez Plaute et chez Térence pultare fores ou ostium.
(29)
Dziatzko applique ce vers à Pamphila et le transpose après le vers 895. Mais ne peut-il donc pas s'appliquer à Phormion qui vient de protester de son honnêteté? La rancune de Chrémès contre lui s'est évanouie, dès qu'il a su que c'était pour le bonheur de sa fille que Phormion avait travaillé, et il n'y a rien d'étonnant, ce me semble, à ce que, la joie aidant, il lui sache gré de sa con-duite, et le tienne pour honnête, et que Démiphon acquiesce à cette opinion, jusqu'au moment où Phormion refusera de rendre l'argent. 
(30) Les manuscrits donnent cette réplique à Phormion, et on peut la lui conserver. Mais l'expression satis tibin est? s'adresserait mieux à Démiphon, et l'expression præter spem s'applique mieux à Chrémès. Aussi Dziatzko, ajoutant ici le personnage de Démiphon, et substituant Chrémès à Phormion, a-t-il refait le vers de la manière suivante :
NAUSISTRATA (à Démiphon).
Satin tibist?
DEMIPHON
<Ita>.
CHREMES
Immo vero pulchre discedo et probe
Et præter spem.
C'est une correction qu'il faudrait adopter, si elle n'avait contre elle tous les manuscrits.