Térence
INTRODUCTION
INTRODUCTION Suivant
Suétone (Vita Terenti), Térence (P. Terentius Afer)
naquit à Carthage; mais il n'était pas Carthaginois; autrement il
aurait reçu le surnom de Poenulus, et non celui d'Afer.
Le mot Afer s'appliquait aux Africains, en grec Λίβυες.
Il y avait à Carthage un grand nombre d'Africains esclaves. Térence
eut sans doute pour père un de ces esclaves. On hésite sur la date de
sa naissance. En 160, c'est-à-dire après avoir donné ses six
comédies. il n'avait pas plus de 25 ans, au dire de Suétone. Il serait
donc né en 185 av. J.-C., un an après la mort de Plaute. Ennius et
Cécilius vivaient encore. Mais dès l'antiquité, cette date a été
contestée. L'historien Fenestella, qui vécut sous Auguste et Tibère,
et peut-être le grammairien Santra, qui lui est un peu antérieur, ont
pensé qu'il fallait reculer la naissance de Térence de quelques
années, Quand l'Andrienne parut, l'auteur n'avait pas vingt
ans.. Est-il vraisemblable que ses adversaires n'eussent pas fait
allusion à son extrême jeunesse, s'il avait composé l'Andrienne
à dix-neuf ans? Le vieux poète mal intentionné, qui s'est acharné
après toutes les pièces de son jeune rival, aurait-il- pu dire de lui
qu'il s'était appliqué tout d'un coup à l'art théâtral, s'il y
avait débuté à dix-neuf ans? Et les anciens ne se seraient-ils pas
extasiés sur une telle précocité? Ils ignoraient, comme nous, la date
exacte de la naissance de Térence; mais, comme ils savaient qu'il avait
été le familier de Scipion l'Africain, il est bien possible qu'ils
l'aient fait naître en 185, parce que Scipion était né en cette
année-là. Aussi plusieurs critiques modernes sont portés à croire
que Térence naquit quatre ou cinq ans plus tôt (01).
Quoi qu'il en soit, il fut amené à Rome, encore enfant, dans la maison
du sénateur Térentius Lucanus, par quelle voie, achat ou cadeau, nous
n'en savons rien. En tout cas, ce n'était pas à titre de prisonnier de
guerre, attendu, dit Fenestella, qu'il naquit et mourut entre la fin de
la deuxième guerre punique et le commencement de la troisième. Frappé
de son intelligence et de sa beauté, son maître le fit élever comme
un homme libre et l'affranchit de bonne heure. Le jeune affranchi prit,
comme c'était l'usage, le nom de son patron, et garda comme surnom son
nom d'esclave : il s'appela dès lors P. Terentius Afer. C'était le
temps où, selon le mot d'Horace, la Grèce vaincue commençait à
conquérir son vainqueur. Dans le milieu où Térence fut élevé, la
culture grecque était en grand honneur. Térence y fut initié comme
les jeunes patriciens qui fréquentaient la maison du sénateur. Il dut
étonner ses maîtres par sa précocité, et ceux-ci le poussèrent
sans doute vers la carrière littéraire où ses goûts et ses talents
le portaient. Il se tourna vers la palliata, c'est-à-dire le
genre de comédie grecque qu'on a appelé, la comédie nouvelle. Ce
genre avait jeté en Grèce un vif éclat et les poètes Diphile,
Apolodore, Philémon, Ménandre et Posidippe avaient fait applaudir au
troisième siècle av. J.-C,; sir le théâtre d'Athènes une multitude
de chefs-d'œuvre. Introduite à Rome en 240 par Livius Andronicus, la palliata
avait été cultivée par Naevius, Plaute, Ennius, Cécilius. Elle
penchait vers son déclin, lorsque Térence essaya à son tour de mettre
sur la scène , quelques-unes des pièces qu'il admirait dans le
théâtre grec. Il débuta par l'Andrienne qui parut avec succès
en 166 et fit représenter la même année l'Eunuque, dont le
succès fut tel que la pièce fut jouée deux fois de suite. L'année
suivante l'Hécyre, qui devait être donnée aux jeux
Mégalésiens, ne put être représentée, parce que le public déserta
la scène pour aller voir un funambule. Elle eut la même infortune en
160, aux jeux funèbres en l'honneur de Paul-Émile : le premier acte
seul put être joué. Enfin, reprise la même année, aux jeux Romains,
elle réussit. En 163, parut l'Heautontimorumenos (le Bourreau de
soi-même); en 161, le Phormion, et enfin les Adelphes en
160, aux jeux funèbres organisés par les fils de Paul-Émile en
l'honneur de leur père (02). A l'exception
de l'Hécyre et du Phormion, tirés de l'Hécyre et
de l'Epidicazomenos d'Apollodore de Carystos, Térence avait pris
toutes ses pièces dans Ménandre. Ses
amitiés. Il
avait connu dans la maison de Térentius les fils des principales
familles romaines et il s'était lié particulièrement avec trois
d'entre eux, Scipion, le futur vainqueur de Numance et de Carthage, le
sage Lélius et le jeune Furius Philus. Ses ennemis firent courir le
bruit qu'il se faisait aider par eux dans la composition de ses pièces.
Il s'en défendit mollement dans le prologue des Adelphes, et se
contenta de répondre qu'il était fier de plaire à des gens qui
plaisaient à tout le peuple. Une telle réponse n'était pas de nature
à couper court à la calomnie; aussi fit-elle son chemin et passa de
l'antiquité aux modernes, si bien que notre Montaigne va jusqu'à lui
retirer la paternité de ses oeuvres pour en faire honneur à Scipion et
à Lélius. Mais elle ne soutient pas l'examen. Térence est bien
l'auteur de ses pièces, et tout ce qu'il doit à ses nobles amis,
c'est d'avoir appris en leur compagnie la langue de la belle société
et peut-être, à l'occasion, quelques conseils sur le choix de ses
oeuvres ou sur quelque détail de composition. L'Oeuvre de Térence. Bien
que tous les poètes latins de la palliata aient puisé aux
mêmes modèles et que le mérite de l'invention appartienne en très
grande partie aux originaux grecs, il n'y en a pas moins de grandes
différences entre les premiers et les derniers venus. Les premiers,
ayant affaire à des spectateurs presque tous étrangers aux
délicatesses de l'art grec, n'eurent aucun scrupule à modifier leurs
modèles suivant les goûts du public et même suivant leurs goûts
personnels. Sur le déclin de la palliata, au contraire, à
côté de la foule ignorante, un public lettré s'était formé peu à
peu, qui prisait de plus en plus la perfection grecque. L'école de
Luscius Lanuvinus demandait qu'on la respectât, et que les poètes
latins se bornassent au simple rôle de traducteurs. Térence était
trop artiste pour être un copiste servile, et d'autre part trop épris
de perfection pour se permettre les libertés que Naevius et Plaute
s'étaient données. Il usa comme eux de la contamination, mais au lieu
de développer outre mesure une situation plaisante, au détriment de la
symétrie et de la régularité du plan, il sut fondre adroitement ses
additions avec la pièce principale et observer la mesure et l'harmonie
dans l'ordonnance de ses pièces, à part peut-être dans les Adelphes
où la suture est trop visible. Pour jeter de la variété et mettre du
mouvement dans certaines scènes un peu lentes, il substitua plus d'une
fois le dialogue au monologue. C'est ainsi qu'il remplaça le monologue
qui ouvrait l'Andrienne de Ménandre par un dialogue emprunté à
la Périnthienne, et le monologue de Chéréa dans l'Eunuque
par un dialogue étincelant de verve et d'esprit. L'intérêt essentiel
de la comédie nouvelle venait de la peinture des caractères. Il prit
le plus grand soin de leur conserver l'exactitude, la justesse, le
naturel avec lesquels ils avaient été tracés. Mais ici encore il
essaya de pousser plus loin la perfection, en accusant certains traits,
sans jamais dépasser la mesure et la vraisemblance. Dans Ménandre, le
rude Déméa répondait au salut de son frère; chez Térence, il
attaque aussitôt, sans lui rendre sa politesse, melius quam Menander,
dit Donat, cum hic ilium ad jurgium promptiorem quam ad resalutandum
fecit (Adelphes, V, 81). , Dans la même pièce, jugeant que
Micion consentait trop vite à l'absurde mariage où Déméa veut
l'embarquer (apud Menandrum senex de nuptiis non gravatur, dit
Donat), il lui prête une vive résistance et de vertes ripostes. Si
nous possédions les oeuvres d'Apollodore et de Ménandre, nous
pourrions sans doute faire un grand nombre de remarques de ce genre.
Nous pourrions voir aussi quelle part exacte lui revient dans ces
expositions si parfaites, si naturelles de ton, si vives de style, où
le récit, clair et alerte, court droit au but, sans que rien soit
oublié, rien superflu. Mais sa principale originalité, celle qui a
fait de lui un grand artiste, c'est le style. Ici toutes les voix sont
unanimes. Cicéron, dans un fragment en vers cité par Suétone, vante
l'élégance, la délicatesse, la douceur des traductions que Térence a
données de Ménandre : Les
comédies de Térence après sa mort. Les
comédies de Térence furent parfois remises à la scène après sa
mort, moins souvent, il est vrai, que celles de Plaute; mais elles
conservèrent toujours beaucoup de lecteurs. Dès la deuxième moitié
du second siècle avant J.-C., les savants romains, à l'imitation des
grammairiens grecs, s'occupèrent de la palliata. Ils revirent le texte
des comédies et rédigèrent pour chacune d'elles des notices ou
didascalies qui contenaient l'histoire de la pièce et de ses
représentations. Ils composèrent aussi des traités spéciaux sur des
particularités historiques, littéraires, scéniques et linguistiques
relatives aux anciens poètes. Il faut citer parmi eux le poète
tragique L. Accius, Porcius Licinus, Volcacius Sedigitus, Elius Stilo,
Q. Cosconius et avant tous Terentius Varro (116 - 27 av. J.-C.), dont
les travaux ont été la source des historiens de la littérature qui
out suivi. Les manuscrits. Les manuscrits de Térence se divisent en deux classes. L'une est formée par le seul Bembinus qu'on désigne par la lettre A; il est du Ve siècle. Il a été en la possession de Bernard Bembo, puis de Pierre Bembo. De là son nom. Il nous fournit le plus ancien texte de Térence qui existe, avec les corrections d'un certain Joviales, grammairien du Ve ou VIie siècle. L'autre comprend un grand nombre de manuscrits qui remontent tous à la recension d'un certain Calliopius, dont on place l'existence au IIIe ou IVe siècle de notre ère. Les manuscrits de cette recension désignés collectivement par la lettre Σ, se répartissent en deux groupes, le groupe γ et le groupe δ. Les principaux représentants du premier groupe sont le Parisinus P (n° 7899 de la bibl. nationale) et le Vaticanus C; ils sont tous les deux du IXe siècle, et tous les deux ont des images qui représentent des personnages de chaque pièce. L'autre groupe est représenté par le Victorianus D (bibl. Laurentienne) du Xe siècle, le Decurtatus (bibl. du Vatican), et surtout par le Parisinus p (n° 10304). Umpfenbach avait donné en 1870 une édition critique détaillée qui a été la base de toutes les éditions qui ont été publiées depuis. Mais en 1926 a paru l'édition de Kauer et Lindsay à Oxford, qui comprend les leçons de 7 nouveaux manuscrits, parmi lesquels se trouve le manuscrit p, dont Lindsay fait grand état. Ce n'est pas seulement dans ces collations nouvelles que consiste la nouveauté de cet ouvrage, mais aussi dans un certain nombre de nouveautés orthographiques, et surtout dans la préférence donnée au groupe δ, en particulier à p, et aux leçons tirées des commentateurs, en particulier de Donat. C'est sur le travail de Kauer et Lindsay qu'est basé l'établissement du texte de notre édition. Mais nous n'avons pas cru devoir suivre Lindsay dans sa prédilection pour δ, et nous avons souvent rétabli la leçon du Bembinus là où il l'a rejetée pour la leçon de δ ou de Donat. Le théatre à Rome au temps de Térence. Au
temps de Térence, il y avait quatre fètes où l'on donnait
régulièrement des représentations dramatiques : les jeux Mégalésiens,
en l'honneur de la grande déesse ou mère des dieux, Cybèle,
célébrés en avril sous la présidence des édiles curules; les jeux Apollinaires,
en juillet, sous celle du préteur urbain; les jeux Romains
ou ludi maximi, en septembre, sous celle des édiles curules, et
les jeux plébéiens, en novembre, sous celle des édiles
plébéiens. Les magistrats chargés d'organiser ces fêtes recevaient
de l'État une somme déterminée, à laquelle ils ajoutaient de leur
poche un surcroît considérable. Acteurs et chefs de troupe. Les
acteurs (actores, histriones) étaient des esclaves; car le
métier d'acteur, honorable à Athènes, passait à Rome pour
déshonorant. Le nombre des acteurs n'était pas fixe, comme en Grèce
(cinq, dans la comédie nouvelle); mais naturellement le directeur avait
intérêt à en restreindre le nombre autant qu'il était possible, et
le même acteur jouait plusieurs personnages. Les rôles de femme
étaient tenus par des hommes, comme en Grèce, excepté dans le mime.
La comédie nouvelle avait supprimé le chœur; la comédie latine n'en
eut pas non plus. Décors et costumes. Les
décors et les costumes étaient fournis par des entrepreneurs (conductores,
choragi), commissionnés pour cela par ceux qui donnaient les
jeux. La représentation et le public. Les
représentations se donnaient l'après-midi, entre le déjeuner (prandium)
et le dîner (cena). Un héraut annonçait d'abord au public les
divertissements de la fête; puis le moment de la représentation venu,
le directeur de la troupe proclamait devant les spectateurs le titre de
la pièce, avec le nom des auteurs, le Grec et le Latin : c'était la
pronuntiatio tituli. La pièce. Les
critiques anciens distinguaient, suivant que l'action était plus ou
moins mouvementée, trois genres de comédies : les motoriae, les
statariae, les mixtae. Presque toutes les pièces de
Plaute étaient, au dire des grammairiens, des motoriae ; celles
de Térence étaient mixtes, sauf le Phormion qui est une motoria,
et l'Heautontimorumenos une stataria. Diverbia et Cantica. La
pièce se divise en diverbia et en cantica. Les diverbia,
ou dialogues simplement parlés, étaient écrits en iambiques sénaires
et occupaient une bonne moitié de la comédie, en particulier le 1er
acte. Pour les cantica, on distinguait ceux qui étaient
déclamés, mais non chantés, avec accompagnement musical, et ceux qui
étaient chantés par un chanteur qui se plaçait debout près du joueur
de flûte, tandis que l'acteur faisait les gestes. Les cantica de
la première espèce étaient écrits en septénaires iambiques ou
trochaïques, ou en octonaires: iambiques. Les autres, les cantica
proprement dits, étaient en octonaires trochaïques, alternant avec
d'autres vers, tetramètres crétiques ou bacchiaques, ou quaternaires
iambiques complets et quaternaires iambiques et trochaïques
catalectiques. (01)
Tel est l'avis de Dziatzko, dans les excellentes notices qui précèdent
son édition critique de Térence (Tauchnitz, 1884) et son édition du Phormion
(Leipzig, 1885). |