Al-Nowaïri

En-Noweïri (AL-NOWAÏRI)

 

 

HISTOIRE DE LA SICILE

Traduit de l’arabe par le citoyen J. J. A. CAUSSIN

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 


AL-NOWAÏRI

HISTOIRE DE LA SICILE

Traduit de l’arabe par le citoyen J. J. A. CAUSSIN[1]

Professeur de langue arabe, au Collège de France

 

 

INTRODUCTION

[2]Ahmed ibn Abdal wehab, surnommé le Nowaïri,[3] mourut l'an de l'hégire 732 [1331 — 1332]. Son histoire de Sicile fait partie d'un ouvrage beaucoup plus considérable, dédié au sultan Mohammed ibn Kélaoun de la dynastie des Mameluks Baharites, et intitulé : Néhayet al-areb si fonoun al-adeb, (le dernier degré d'habileté dans les divers genres de connaissances). Cet ouvrage, qu'on peut appeler avec raison une encyclopédie) est divisé en cinq parties (fenn), dont les quatre premières renferment tout ce qui concerne la physique en général, l'histoire naturelle et la morale. La cinquième partie, divisée comme les précédentes en cinq sections (casm), traite seulement de l'histoire. Celle de l'Afrique et de ses dépendances forme le sixième chapitre (bab) de la dernière section. C'est dans ce chapitre que se trouve l'histoire de Sicile.

Je l'ai traduite il y a environ quinze ans sur deux exemplaires qui font partie des manuscrits de la bibliothèque nationale, manuscrits dont la garde m'était alors confiée. Ces deux manuscrits sont indiqués dans le catalogue imprimé sous les nos 702[4] et 702 A. Il y a dans le premier une lacune depuis l'an de l'hégire 236 jusqu'en l'an 353.[5] La liaison de l'histoire d'Afrique avec celle de Sicile est cause que l'auteur arabe, en traitant cette dernière, ne fait aucune mention de plusieurs faits dont il a eu occasion de parler auparavant. Pour suppléer à ce silence et compléter autant qu'il a été possible ce petit ouvrage, j'ai extrait de l'histoire d'Afrique par le Nowaïri, tout ce que j'ai pu trouver concernant la Sicile, persuadé que ce travail ne pourrait qu'être agréable aux sa vans qui s'appliquent à la recherche des monuments historiques.

Cette traduction me fut demandée dans le temps par l'auteur d’Anacharsis. Je la fis en français, ne sachant pas qu'elle devait être insérée dans un recueil de morceaux du même genre traduits en latin. Une version française ne pouvant entrer dans ce recueil, l'éditeur à qui mon ouvrage fut remis, accompagné de notes et du texte que j'avais pris soin de faire copier par une main habile, n'a eu que la peine de traduire le français en latin ; mais en affectant de vouloir paraître, en quelques endroits, plus littéral, il lui est échappé des contresens qui prouvent que la langue arabe lui est peu familière; ce qui est encore confirmé par les fautes nombreuses dont son texte arabe est rempli. Ce morceau peut donc être regardé à plusieurs égards comme un morceau neuf, et l'on a cru qu'il ne serait pas déplacé ici.


 

AL-NOWAÏRI

HISTOIRE DE SICILE.

Contenant les expéditions des Musulmans dans cette île, les conquêtes qu'ils y ont faites, et la manière dont les Francs s'en sont rendus maîtres.

Par Ahmed, Ibn Abd Al-Wehab, Ibn Mohammed, Ibn Abd Al-Dayem, Al-Becri, Al-Teïmi.

 

 

Nous avons donné, dans le premier volume de cet ouvrage, en traitant des îles, une description exacte de la Sicile, des rivières et des fontaines qui l'arrosent, des fruits, des arbres, des plantes, des fourrages qu'on y trouve, et des villes les plus célèbres qu'elle renferme. Nous allons maintenant l'envisager sous un point de vue différent.[6]

Abd Allah ibn Caïs al-Fezari fut le premier Musulman qui fit une descente en Sicile, où il fut envoyé de la province d'Afrique par Moavia ibn Khodaïj,[7] sous le califat de Moavia ibn Abou sofian. Il s'empara de plusieurs villes, fit beaucoup de prisonniers et emporta un grand butin parmi lequel étaient des idoles[8] d'or et d'argent ornées de perles. Abd Allah les porta au calife Moavia qui les envoya dans l'Inde pour en tirer un plus grand prix, attendu l'aversion des Musulmans pour ces sortes d'images.

Mohammed ibn Abou Edris al-Ansari fit une seconde descente en Sicile, sous le califat de Iézid ibn Abd al-Malik.[9] Il en revint pareillement chargé de butin et emmenant avec lui beaucoup de prisonniers.

La troisième descente se fit sous le califat de Hesham ibn Abd al-Malik.[10] Bashar ibn Safouan al-Kalbi la commandait ; elle eut le même succès que les précédentes.

Habib ibn Abou Obéidah fit encore une descente en Sicile, l'an de l'hégire 122 [739—740 de l'ère vulgaire]. Son fils, Abd al-Rahman, qui commandait la cavalerie, mit en fuite tous ceux qui se présentèrent devant lui, et s'avança jusqu'à Syracuse, qui était la capitale. Les ennemis l'ayant attaqué en cet endroit, il les battit, les poursuivit jusqu'à la porte de la ville, et la frappa si rudement de son épée que les traces du coup y restèrent. Les Chrétiens, saisis de frayeur, consentirent à lui payer une contribution. Dès qu'il l'eût reçue, il s''en alla rejoindre son père, et ils retournèrent en Afrique.

Abd al-Rahman revint en Sicile, l'an de l'hégire 130 [747 — 748], et y remporta plusieurs victoires. Les gouverneurs de la province d'Afrique furent ensuite occupés à apaiser les séditions qui s'élevèrent dans leur pays, et la Sicile demeura tranquille. Pendant ce temps-là les Grecs la fortifièrent de tous côtés. Ils y bâtirent des forteresses; et il n'y eut point de montagne sur laquelle on ne construisit un château.

L'an de l'hégire 201 [816 — 817], l'empereur de Constantinople donna le gouvernement de la Sicile à un patrice,[11] surnommé Souda. Celui-ci ayant équipé une flotte l'envoya en Afrique, sous le commandement de Fimi,[12] un des principaux patrices, qui enleva les marchands qu'il trouva dans plusieurs parages. Quelque temps après, l'empereur de Constantinople écrivit au gouverneur de Sicile d'ôter à Fimi son commandement, et de le punir pour certaines choses qu'il avait apprises sur son compte.[13] Fimi en ayant eu avis, se rendit à Syracuse, s'empara de la ville et se révolta ouvertement.

Le gouverneur marcha contre lui; on en vint aux mains : Fimi remporta la victoire, et le gouverneur fut tué sur le champ de bataille. Après cet avantage, Fimi se fit proclamer roi, et donna le gouvernement d'une partie de l'île à un nommé Platha,[14] du nombre de ceux qui avaient embrassé son parti : celui-ci s'étant ensuite révolté contre lui, il se donna une bataille dans laquelle l'armée de Fimi fut mis en fuite ; mille de ses gens périrent, et le vainqueur entra dans Syracuse. Alors Fimi s'embarqua avec ceux qui l'accompagnaient, et se rendit en Afrique auprès de Ziadet Allah ibn Ibrahim ibn al-Aglab,[15] pour lui demander du secours. Ziadet ayant fait assembler les principaux de Cairouan et les Fakihs, les consulta sur le projet d'envoyer une flotte en Sicile. Quelques-uns étaient d'avis de piller seulement l’île sans s'y établir. Sahioun ibn Cadem demanda à quelle distance elle était du continent qui appartenait aux Grecs? on lui répondit qu'on pouvait y aller et en revenir deux ou trois fois par jour. Il demanda ensuite à quelle distance elle était de l'Afrique? on lui répondit que le trajet était d'un jour et d'une nuit. Alors, il s'écria : « Quand je serais oiseau je n'y volerais pas.[16] » Tous ceux qui restaient conseillèrent de faire seulement une descente. On s'y prépara avec ardeur, et chacun en attendait le moment avec impatience. Dans le même temps, Fimi reçut ordre du roi de se rendre au port de Sousa,[17] et d'y rester jusqu'à ce qu'on eut rassemblé des vaisseaux et des soldats. La flotte étant prête, le cadi Assad ibn Ferat en eut le commandement. Elle partit du port de Sousa, composée d'environ cent vaisseaux sans compter ceux de Fimi, la septième férie, dans le milieu du mois de rabi premier, l'an 212,[18] sous le califat d’al-Mamoun, et arriva à Mazara la troisième férie. Le général fit aussitôt débarquer ses troupes qui montaient à dix mille hommes d'infanterie et sept cents chevaux. Trois jours se passèrent pendant lesquels on ne vit paraître qu'un petit corps de Grecs, qui fut pris d'abord et relâché ensuite, parce qu'il était composé des amis de Fimi. Le cadi Assad marcha vers Taabia, pour combattre Platha, campé dans une prairie qui porte son nom.[19] Il rangea son armée en bataille, et mit à part Fimi avec ses camarades dont il ne voulut pas emprunter le secours. Le combat s'étant engagé, l'armée de Platha fut mise en fuite : il perdit beaucoup de monde, et les Musulmans firent un grand butin. Après cet échec, Platha se retira dans Enna[20] ; mais craignant de n'y être pas en sûreté, il en sortit pour se rendre en Calabre, où il fut tué. Le cadi Assad marcha de là vers une église appelée Afimia, près de la mer, donna le gouvernement de Mazara à Abou Zaki al-Kenani, et s'avança vers l'église d'al-Meslakin.[21] Pendant qu'il était en route, les principaux de Syracuse vinrent le trouver pour se soumettre à lui ; mais seulement dans l'intention de le tromper, car les habitants du pays se rassemblaient, pendant ce temps-là, dans la forteresse d’al-Kerat,[22] et y faisaient entrer toutes leurs richesses; tandis que ceux de Syracuse travaillaient à se fortifier. Fimi, voyant les choses dans cet état, commença à vouloir favoriser les infidèles, leur fit dire de se préparer à la guerre et de se défendre courageusement. Cependant le cadi Assad étant resté quelque temps où il était, s'aperçut que ceux de Syracuse l'avaient trompé pour avoir le temps de mettre leur château en état de défense, et d'y retirer toutes les richesses répandues dans les faubourgs et dans les églises. Alors il s'avança vers la ville, commença les hostilités et envoya de tous côtés des partis pour piller. Dans le même temps il lui vint des secours de l'Afrique, et de l'Espagne, et le siège fut pressé si vivement que les habitants demandèrent à se rendre. Le cadi Assad était prêt à écouter leurs propositions, mais ses troupes s'y opposèrent et voulurent continuer la guerre. Sur ces entrefaites, il tomba malade et mourut dans le mois de shaaban, l'an de l'hégire 213 [828 — 829].

Le cadi Assad al-Ferat étant mort, les Musulmans mirent à leur tête Mohammed ibn Abou al-Jouari. Les assiégés étaient tous les jours plus resserrés, quand il arriva de Constantinople une flotte et une armée considérable. Les Musulmans résolurent alors de retourner en Afrique, abandonnèrent le siège et se rembarquèrent ; mais les Grecs s'étant portés à l'entrée du grand port, les empêchèrent de sortir. Dans cette extrémité, ils mirent le feu à leurs vaisseaux, et se retirèrent accompagnés de Fimi, vers la forteresse de Mineo, dont ils se rendirent maîtres, ainsi que du château de Girgenti. Après cela, Fimi marcha lui-même vers Enna, dont les habitants offrirent d'abord de se soumettre et de se réunir à lui et aux Musulmans, pour secouer le joug de l'empereur. En même temps, ils demandèrent qu'on leur accordât ce jour là pour délibérer sur les conditions. Fimi y consentit ; et le lendemain matin se présenta devant la ville avec peu de monde. Ils en sortirent comme pour se prosterner devant lui ; mais quand il fut près d'eus, ils saisirent les armes qu'ils avaient cachées auparavant, se jetèrent sur lui et le tuèrent.[23] Dans le même temps, le patrice Toudath[24] arriva de Constantinople avec une armée nombreuse, composée d'Italiens et de soldats d'autres nations. Il se rendit d'abord à Enna, et étant ensuite sorti pour combattre les Musulmans, il fut mis en fuite, perdit un grand nombre de soldats, et quatre vingt-dix patriciens. Peu de temps après, Mohammed ibn al-Jouari mourut, et les Musulmans mirent à leur tête Zahar ibn Bargout. Après plusieurs combats livrés aux infidèles, les Musulmans furent assiégés dans leur château, et tellement pressés que les vivres leur manquant absolument, ils furent obligés de manger leurs chevaux. Cet état dura jusqu'à l'arrivée d'Asbag ibn Ouakil al-Haouari, qui était parti d'Espagne avec un grand nombre de vaisseaux, dans le dessein de faire des prises, et de Soleïman ibn Afia al-Tartousi, qui avait aussi avec lui plusieurs vaisseaux. Aussitôt qu'ils parurent, les assiégés leur envoyèrent demander du secours. Ils marchèrent contre Toudath, qui était alors devant Mineo, et l'obligèrent à se retirer dans Enna. Cet événement arriva dans le mois de joumadi second, l'an de l'hégire 215 [26 juillet — 23 août 830].

Dans le même temps, on commença le siège de Palerme, qui dura jusqu'au mois de rajab de l'an 220 [1er — 30 juillet 835], où elle fut prise par composition, sous le gouvernement de Mohammed ibn al-Aglab.[25]

L'an 225 [829 — 830], plusieurs forteresses se rendirent. De ce nombre furent Gerace, Calat al-ballout,[26] Ablathanou,[27] Calat Caroun,[28] Mirta et plusieurs autres.

Mohammed ibn Abd Allah ibn al-Aglab mourut l'an de l'hégire 236, le 10 du mois de rajab, [17 janv. 851], après avoir gouverné l’espace de dix-neuf ans. Pendant tout ce temps là, il ne sortit point de Palerme 5 mais il faisait marcher les troupes sous la conduite de ses généraux. Al-Abbas ibn al-Fadl fut choisi par le peuple pour lui succéder, et son élection fut confirmée par l'émir Mohammed ibn al-Aglab, qui régnait à Cairouan. Le nouveau gouverneur faisait quelquefois des courses lui-même, et quelquefois envoyait ses partis désoler et ruiner le pays des ennemis, qui lui abandonnaient leurs biens pour obtenir de lui la paix.

Avant la prise de Palerme, la ville de Syracuse était la capitale des Grecs ; mais depuis cet événement, ils s'étaient retirés à Enna, place très forte, et en avaient fait leur capitale.

L'an 244 [858—859], al-Abbas s'étant mis à la tête des troupes, fit des courses jusqu'aux portes d'Enna et de Syracuse. En même temps, il mit en mer plusieurs vaisseaux de guerre, commandés par son frère Ali. Celui-ci ayant été rencontré par un officier arabe, surnommé le Crétois,[29] qui avait avec lui quarante vaisseaux, il y eut entre eux un grand combat, dans lequel Ali remporta la victoire, et s'empara de dix vaisseaux avec les hommes qui les montaient. Lorsqu'il fut de retour de cette expédition, al-Abbas envoya secrètement un corps de troupes du côté d'Enna. Ses soldats y firent un grand butin, et se saisirent d'un infidèle qu'ils lui amenèrent. Al-Abbas avait déjà donné ordre de le faire mourir, lorsqu'il offrit de livrer Enna, si on voulait lui laisser la vie. Al-Abbas accepta la proposition, et ayant pris avec lui mille chevaux et sept cents fantassins, partit de nuit accompagné de l'infidèle, et s'avança à une certaine distance du mont Gadir. Là, s'étant arrêté, il envoya en avant son oncle Rabbakh, avec les plus braves de ses soldats, et se tint lui-même caché avec le reste. Rabbakh et ses gens s'étant glissés sans être aperçus jusqu'au pied de la montagne, l'infidèle leur montra l'endroit où ils devaient appliquer leurs échelles pour monter. Le jour ne paraissait pas encore, et la garnison était endormie. Arrivés près des murs, ils trouvèrent une ouverture par où l'eau entrait dans la place, et s'en servirent pour y pénétrer. Cependant, al-Abbas continuant son chemin, arriva à la porte de la ville vers la pointe du jour, la cinquième férie, 15 du mois de shoual.[30] Toute la garnison fut passée au fil de l'épée. On trouva dans la ville des richesses immenses, aussi bien que les enfants de plusieurs patriciens et de grands seigneurs qu'on y avait retirés. Al-Abbas fit construire le même jour une mosquée, et élever une tribune sur laquelle on fit la prière la sixième férie.[31] Il ne cessa de faire la guerre en personne aux ennemis, jusqu'à sa mort, qui arriva la sixième férie, 4 de joumadi second, de l'an 247,[32] après un gouvernement de deux ans.

Les Musulmans mirent d'abord à sa place Ahmed ibn Iacoub, et ensuite Abd Allah ibn al-Abbas. En même temps, ils écrivirent à l'émir de Cairouan, qui leur envoya Khafaja ibn Sofian, l'an 248. Celui-ci continua de faire des incursions dans le pays ennemi, jusqu'à ce qu'il fût tué par un de ses soldats, nommé Khalfoun ibn Abou Ziad al-Haouazi, la troisième férie, 1er de rajab, l'an 255.[33] Son fils Mohammed fut choisi pour lui succéder, et confirmé par l'émir de Cairouan. Il fut tué pareillement par un de ses eunuques, le 4 de rajab, l'an 257.[34] Mohammed ibn Abou al-Hossaïn fut mis à sa place, en attendant les ordres de l'émir, qui donna le gouvernement de l'île à Rabbakh ibn Iacoub, et celui de la grande terre,[35] à Abd Allah ibn Iacoub. Rabbakh mourut dans le mois de moharram 258,[36] et son frère dans celui de safar de la même année. On choisit pour lui succéder Abou al-Abbas ibn Abd Allah, ibn Iacoub, qui mourut au bout d'un mois, et fut remplacé par son frère. Peu après, l'émir d'Afrique donna le gouvernement à Hossaïn ibn Rabbakh. Il le lui ôta ensuite, et en revêtit d'abord Abd Allah ibn Mohammed, ibn Ibrahim ibn al-Aglab, dans le mois de shoual 259,[37] et ensuite Abou Malik Ahmed ibn Omar, ibn Abd Allah, ibn Ibrahim, ibn al-Aglab, connu sous le nom de Habashi, qui occupa cette place pendant vingt-six ans.[38]

Abou al-Abbas ibn Ibrahim, ibn Ahmed, lui succéda en 287 [900—901] ; mais ayant été rappelé en Afrique, il eut pour successeur son père Ibrahim ibn Ahmed ibn al-Malik.

Ibrahim fit lui-même plusieurs expéditions contre les ennemis, et mourut les armes à la main. Il fut remplacé d'abord par Mohammed ibn al-Sarcousi, et ensuite l'an 290 [902—903], par Ali ibn Mohammed, ibn Abou al-Faouares. Celui fut déposé par Ziadet Allah, qui mit à sa place Ahmed ibn Abou al-Hossaïn ibn Rabbakh. Peu de temps après, les Siciliens ayant appris les conquêtes d'Abou Abd Allah al-Shii en Afrique, se révoltèrent contre Ahmed, pillèrent ses richesses, le renfermèrent en prison, et mirent à sa place Ali ibn Abou al-Faouares, le 11 de rajab 296.[39] En même temps, ils envoyèrent ibn Abou al-Hossaïn, vers Abou Abd Allah al-Shii, pour, lui demander la confirmation d'Ali. Abou Abd Allah, accorda ce qu'on lui demandait, et écrivit à Ali pour l'exhorter à attaquer les infidèles par terre et par mer.

Ahmed ibn Abou al-Hossaïn fut, comme on voit, le dernier des gouverneurs de la Sicile pour les Aghlabides. Parmi tous ceux dont nous avons fait mention, il n'y en a aucun qui ne se soit distingué par des expéditions contre les infidèles, et par une grande ardeur pour la guerre.

Al Mahadi ayant succédé aux Aghlabides, Ali lui demanda la permission de venir en Afrique. Al-Mahadi la lui accorda, et lorsqu'il fut arrivé, il le fit mettre en prison dans la ville de Racada. Le gouverneur[40] qu'il mit à sa place arriva en Sicile le 10 dhou al-haja l'an 297 [le 20 août 910]. L'année suivante, une révolte éclata contre lui, on se saisit de sa personne. Voici qu'elle fut la cause de cet événement. Ses officiers exerçaient centre le peuple toutes sortes d'injustices. Un jour qu'il avait invité à dîner les principaux de la ville, l'un d'eux crut voir ses esclaves s'armer d'épées nues Aussitôt tous prennent l'alarme, ouvrent les fenêtres de la salle, et se mettent à crier: aux armes! aux armes! Le peuple accourt à leur secours, environné le palais, et met le feu aux portes. Tandis que les principaux des habitants qui étaient dans le palais se sauvaient entre les bras de la multitude, le gouverneur protestait qu'il n'avait pas eu dessein de leur faire aucun mal. Comme on ne l'écoutait pas, et qu'on l'accablait de reproches, il voulut sauter dans la maison voisine, se laissa tomber, et se cassa la jambe. Le peuple se saisit de lui, et le mit en prison. Khalil, maître d'Alcamo,[41] prit en main le gouvernement de la ville. On écrivit en même temps à Mahadi, qui accorda le pardon de ce qui s'était passé, déposa le gouverneur, et mit à sa place Ali ibn Omar al-Balaoui, qui arriva à Palerme le 27 du mois dhou al-haja, l'an 299.[42] C’était un vieillard doux et humain envers le peuple, mais qui ne put plaire aux Siciliens. Ahmed ibn Corhab souleva les esprits contre lui, et les engagea à se soumettre à Moctader billah, Calife Abbaside. Plusieurs y consentirent, et choisirent Ahmed pour gouverneur. Moctader envoya l'an 300 [912] des ambassadeurs qui lui apportèrent les provisions de sa charge, les robes d'honneur, les étendards, le collier d'or et les bracelets[43] ; mais le peuple s'étant révolté, écrivit à Mahadi, et les mutins, ayant à, leur tête Abou al-Gaffar, s'avancèrent vers Ahmed ibn Corhab, et lui ordonnèrent de sortir de l'île, et de se retirer où il voudrait. Il refusa de le faire et se battit contre eux ; après leur avoir résisté quelque temps, il fut tué à la fin de l'an 300 [913]. Son gouvernement avait duré onze mois.

Après sa mort, Mahadi nomma pour gouverneur Moussa ibn Ahmed, et lui donna des troupes capables de résister aux Siciliens, s'ils voulaient entreprendre quelque chose contre lui. A son arrivée, il reçut les principaux de Girgenti, qu'il traita avec distinction, et leur fit des présents. Peu de temps après, s'étant saisi d'Abou al-Gaffar, il le fit charger de chaînes et conduire en prison. Son frère Ahmed se sauva à Girgenti, et fit soulever le peuple contre Moussa. Après une guerre opiniâtre, les habitants demandèrent la paix, Moussa la leur accorda, et en écrivit à Mahadi, qui, n'étant pas apparemment content de sa conduite, mit à sa place Salem ibn Assad[44] al-Kennai, l'an 305 [917 — 918].

L'an 316 [928 — 929], Sareb al-Saclabi[45] se rendit en Afrique avec trente vaisseaux de guerre. Salem s'étant joint à lui, ils descendirent en Calabre, où ils prirent d'assaut la ville de Tarente. Ils marchèrent ensuite vers Otrante, où ils firent beaucoup de ravage ; mais la maladie qui se mit dans l'armée, les obligea de revenir à Palerme.

Ils en sortirent peu après, et imposèrent aux habitants de la Calabre un tribut qu'ils furent obligés de payer pendant tout le règne de Mahadi.

Son fils al-Caïm, qui lui succéda, envoya une flotte ravager le pays des Francs.[46] Iacoub ibn Ishak qui la commandait, prit la ville de Gênes, passa de là en Sardaigne, fit beaucoup de mal aux habitants, et brûla grand nombre de vaisseaux. La même année, il y eut en Sicile une inondation qui renversa plusieurs maisons.

L'an….., les habitants de Girgenti se révoltèrent contre Salem, et chassèrent son lieutenant ibn Abou Hamran.[47] Salem envoya d'abord contre eux une armée qui fut battue ; mais les ayant ensuite attaqués lui-même, il les mit en fuite. Peu de temps après, la ville de Palerme s'étant aussi révoltée, les habitants marchèrent contre lui avec Ishak al-Bostani et Mohammed ibn Hamou. Après plusieurs combats, Salem les obligea à prendre la fuite, et les assiégea dans la ville. Al-Caïm ayant appris ces nouvelles, envoya à son secours une armée commandée par Khalil ibn Ishak. Alors les Siciliens lui écrivirent pour lui protester de leur obéissance, et lui témoigner en même temps leur mécontentement de la conduite de Salem. Al-Caïm mit à sa place Khalil ibn Ishak, qui entra dans Palerme à la fin de l'an 325 [957]. Le nouveau gouverneur déposa les lieutenants de Salem, et traita fort bien le peuple, qui le récompensa par son obéissance. Au bout de quatre ans, il passa en Afrique, et eut pour successeur, an 334 [945 — 946], Mohammed ibn al-Ashat. Celui-ci se conduisit aussi avec beaucoup de douceur, jusqu'à l'an 336 [947 — 948], qu'il écrivit à al-Mansor pour l'informer de la peine que lui donnaient les habitants et du mauvais état des affaires. Al-Mansor mit à sa place al-Hassan ibn Ali ibn Abou al-Hossain al-Kalbi,[48] qu'il estimait beaucoup à cause de l'attachement qu'il avait pour sa personne, et des services qu'il avait rendus à ses prédécesseurs.

Al Hassan resta en Sicile deux ans et quelques mois, et revint en Afrique sous le règne de Moez ledin Allah ibn al-Mansor,[49] qui voulut bien, sur sa demande, accorder sa place à son fils Ahmed Abou al-Hossaïn l'an 345 [954 — 955].

Ce fut sous lui que les Musulmans se rendirent maîtres de Taormina[50] qui était la plus forte place des Gr.ecs. Elle fut prise le 25 du mois de dhou al-caada l'an 351,[51] après sept mois et demi de siège. L'émir Ahmed envoya en Afrique les prisonniers qui étaient au nombre de quinze cent soixante-dix ; et al-Moez ordonna que la ville fut appelée de son nom al-Moezia.

Après que les Musulmans s'y furent établis, et qu'ils l'eurent fortifié, la ville de Rometta se révolta et appela le Domestec[52] à son secours. Aussitôt Ahmed envoya, par l'ordre d'al-Moez, al-Hassan ibn al-Ammar, pour l'assiéger et en faire sortir tous les habitants. Ibn al Ammar arriva devant la ville la cinquième férie dernier jour du mois de rajab, l'an 352.[53] Il dressa aussitôt ses machines et livra tous les jours des assauts. Il fit construire aussi un fort où il demeura, et ses gens, à son exemple, se bâtirent des maisons.

Le Domestec, ayant appris ces nouvelles, fit assembler les troupes et leur ordonna de se rendre en Sicile sous le commandement de Manuel. L'embarquement se fit la quatrième férie, 4 de shoual de l'an 353[54] : l'armée qui était très nombreuse fut neuf jours à faire le trajet. Les troupes à leur arrivée environnèrent la ville de Messine d'un fossé et élevèrent les murailles. L'émir Ahmed averti par al-Hassan se mit à la tête de ses troupes, en même temps les infidèles sortirent de Messine et marchèrent vers al-Hassan qui était à Rometta.

Ce fut dans le milieu de shoual 353 [25 octobre 964], que Manuel s'avança à la tête d'une armée composée principalement de Mages,[55] d'Arméniens et de Russes; et plus nombreuse que toutes celles qu'on avait vues jusque-là en Sicile. Al-Hassan ibn al-Ammar ayant appris qu'il s'avançait se prépara à marcher à sa rencontre, et posta d'abord un corps de troupes dans chacun des deux défilés[56] par lesquels on pouvait venir à lui. Manuel en ayant eu avis, détacha pareillement deux corps de troupes pour attaquer ceux d’al-Hassan, et en envoya un troisième du côté du chemin de Palerme, pour empêcher que l'ennemi ne fût secouru.

Al Hassan ayant laissé quelques troupes devant Rometta,[57] s'avança à la tête d'une armée déterminée à vaincre ou à périr. Les ennemis partagés en huit corps eurent bientôt enveloppé les Musulmans de toutes parts. En même temps, les habitants de Rometta fondirent sur ceux qu'ils avaient en tête, et l'attaque devint générale. Après un long combat, les Musulmans décourages et désespérant de la victoire, dont les ennemis se croyaient assurés, ne cherchaient plus qu'à mourir les armes à la main, regardant la mort comme ce qu'ils pouvaient obtenir de plus heureux. Al-Hassan voyant l'action se ralentir,[58] s'écria de toutes ses forces: Grand Dieu ! si les hommes m'abandonnent, ne m'abandonne pas ! Al-Hassan et ceux qui étaient autour de lui, fondirent en même temps sur l'ennemi, avec l'impétuosité d'un seul homme. Manuel de son côté criant de toutes ses forces, demandait aux soldats où était la bravoure qu'ils faisaient paraître devant l'empereur, où étaient les promesses qu'ils lui avaient faites de tailler en pièces cette poignée d'hommes. Le combat s'échauffe de part et d'autre, Manuel fondant sur les Musulmans, en tue un de sa main. Il reçut alors plusieurs coups de lance qui ne lui firent aucun mal, à cause de la bonté de sa cuirasse ; mais un soldat s'étant jeté sur lui, perça son cheval, lui coupa les jarrets, et le tua lui-même. Il survint ensuite un grand orage, accompagné d'éclairs et de tonnerre, l'air s'obscurcit, le secours de Dieu se manifesta en faveur des Musulmans, et les infidèles prirent la fuite. Le carnage alors augmenta. Les ennemis en déroute s'étaient portés vers un endroit qu'ils croyaient uni; ils rencontrèrent des chemins difficiles; on les poussa jusque sur le bord d'un fossé large et profond, dans lequel ils tombèrent et se tuèrent les uns les autres. Le fossé fut tellement rempli de cadavres, que la cavalerie passant par dessus en courant, tailla en pièces tout ce qui se trouva dans ces lieux d'un accès difficile et dans ces retranchements épouvantables. Le combat dura depuis le commencement du jour jusqu'après midi. On tua encore beaucoup de fuyards pendant la nuit, et il périt dans cette journée plus de dix mille hommes. Plusieurs des chefs furent faits prisonniers. Le butin fut immense, en chevaux,[59] armes et choses précieuses. On y trouva un sabre sur lequel étaient gravés ces mots : « Ce sabre est indien, son poids est de cent soixante dix mithcal. Il fit couler bien du sang sous les ordres de l'envoyé de Dieu.[60] » Al-Hassan ibn al-Ammar l'envoya à Moez, avec une grande quantité d'armes, de cuirasses, et deux cents prisonniers des plus distingués. Il ne se sauva qu'un petit nombre d'infidèles qui s'embarquèrent. L'émir Ahmed apprit la nouvelle de cette victoire, comme il était en marche pour joindre al-Hassan. Dans le même temps, il perdit son père Hassan ibn Ali, ibn Abou al-Hossaïn.

Le Domestec ayant appris cette défaite lorsqu'il assiégeait la ville de Mopsueste, s'en retourna aussitôt à Constantinople. Le siège de Rometta dura encore quelques mois. La famine ayant obligé mille des ennemis à sortir de la ville, al-Hassan les fit conduire à Palerme, et continua l'attaque de la place, qui se rendit peu de temps après. Il se donna encore plusieurs combats considérables, principalement celui du détroit, dans lequel il périt un si grand nombre d'infidèles, que la mer fut teinte de leur sang; enfin la paix se fit entre Moez et le Domestec, l'an 356 [966—967]. Moez ayant reçu ses présents, en donna avis à l'émir Ahmed, et lui ordonna en même temps de réparer les murs de la ville de Palerme, de la fortifier sans perdre de temps,[61] et de bâtir dans les différentes parties de l'ile une ville forte, avec une mosquée et une tribune, afin d'y rassembler les habitants, et de ne pas souffrir qu'ils demeurassent dispersés dans les campagnes. L'émir Ahmed se hâta de remplir ces ordres, et envoya dans Pile des cheikhs pour veiller à ces diverses constructions.

L'an 358 [968—969], al-Moez reçut des présents de l'empereur de Constantinople, et commanda qu'on détruisit les villes de Taormina et de Rometta. Ahmed chargea son frère Abou al-Cassem et son oncle Jaafar de se rendre sur les lieux pour l'exécution de cet ordre, qui fit beaucoup de peine aux Musulmans. Les deux villes furent détruites, et tout fut consumé par le feu. La même année, al-Moez ordonna à l'émir Ahmed de quitter la Sicile. Il s'embarqua donc et aborda en Afrique, suivi de trente vaisseaux, sur lesquels étaient toute sa famille, ses enfants, ses frères et toutes ses richesses. Son gouvernement avait duré seize ans ; il laissa en partant pour remplir sa place Iaïsh, affranchi de son père.

Au milieu de shaaban de l'an 359 [24 juin 970], l'émir Abou al-Cassem vint en Sicile en qualité de lieutenant de son frère Ahmed : celui-ci mourut la même année, et Abou al-Cassem reçut le diplôme d'al-Moez pour lui succéder. Il fit plusieurs expéditions contre les ennemis, la première répond à l'an 365 [975—976]. La même année, il fit rétablir la forteresse de Rometta, et en donna le commandement à un de ses esclaves.[62] Il mourut dans sa cinquième expédition, au mois de moharam 372.[63] L'émir Jaber ibn Abou al-Cassem lui succéda, et fut confirmé par le calife al-Aziz billah ibn al-Moez. Au bout d'un an, il fut déposé et remplacé par Jaafar ibn Mohammed ibn Hossaïn, qui vint en Sicile l'an 373 [983—984]. Celui-ci mourut en 375, [985—986]. Son frère Abd Allah ibn Mohammed lui succéda. Abd Allah mourut dans le mois de ramadhan 379,[64] et désigna pour lui succéder son fils Abou al-Fatha Ioussef.

Ioussef ayant été confirmé par al-Aziz, gouverna l'île avec sagesse, et se distingua par son amour pour le peuple, jusqu'à ce qu'ayant été attaqué d'une hémiplégie, en 388 [998—999], il perdit absolument l'usage du côté gauche, et resta fort incommodé du côté droit. Son fils Jaafar gouverna pour lui, ayant déjà le diplôme pour lui succéder. Al-Hakem lui envoya ensuite les marques d'honneur de sa place, avec l'étendard, et lui donna le surnom de Taj al-doulat, saif al-millat.[65] L'an 405, le dernier du mois de rajab,[66] son frère l'émir Ali ibn Abou al'fatha, voulant lui disputer l'empire, rassembla près de Palerme des Barbaresques et des esclaves qu'il avait engagés dans son parti. Jaafar marcha à sa rencontre. La bataille se donna la quatrième férie, 23 de shaaban [6 fév. 1015]. Les troupes d'Ali furent taillées en pièces. Il fut fait lui-même prisonnier, et conduit devant son frère, qui le fit mourir, et termina ainsi la guerre huit jours après s'être mis en campagne. La mort d'Ali fit beaucoup de peine à leur père Abou al-fatah. Jaafar ordonna ensuite qu'on chassât de l'ile les Barbaresques qui y étaient, et fit mourir tous les esclaves, sans en épargner un seul. Il voulut aussi que sa garde ne fût composée que de Siciliens, n'eut pas soin d'entretenir les troupes, et facilita par là le soulèvement qui se fit contre lui, pour les raisons que nous allons rapporter.

Hassan ibn Mohammed al-Bagaï, secrétaire de Jaafar, jouissait d'une très grande autorité. Cet homme, d'un caractère dur et avare, maltraitait le peuple, et commettait tous les jours des injustices. Il avait conseillé à Jaafar d'exiger des Siciliens le dixième des grains et des fruits, selon l'usage établi pour certains objets. Cela était contraire à la coutume de Sicile, où l'on payait seulement un droit pour chaque paire de bœufs, quelle que fut la récolte.[67] Outre cela, on reprochait au gouverneur de traiter la multitude avec mépris, et les grands avec hauteur. Le peuple irrité par tant de motifs, s'assembla enfouie autour du château, en détruisit une partie, assiégea le reste avec tant d'opiniâtreté, qu'il passa sous les armes la nuit de la seconde férie, 7 de moharram 410.[68] Le lendemain, comme ils étaient sur le point de s'en rendre maîtres, Ioussef, père de Jaafar, dont la personne imprimait le respect, se fit porter en litière au-devant des séditieux. Sa présence et ses discours arrêtèrent leur fureur. Il les flatta, promit de se conformer à leurs sentiments, écouta les plaintes qu'on lui fit sur les innovations de son fils, répondit de lui, s'engagea à le contenir, et permit de nommer un nouveau gouverneur. Le choix tomba sur son fils Ahmed al-Akhal.

Ahmed commença à gouverner la seconde férie 6 de moharram 410.[69] Son premier soin fut de se saisir du secrétaire Hassan al-Bagaï, et de le livrer aux Siciliens, qui lui coupèrent la tête, la portèrent en triomphe, et brûlèrent son corps. Ioussef épouvanté par cette exécution, et craignant pour son fils Jaafar, s'embarqua avec lui sur un vaisseau qui faisait voile pour l'Egypte. Les richesses qu'ils emportaient avec eux se montaient à six cent soixante et dix mille pièces d'or. Malgré cela, lorsque Ioussef mourut en Egypte, il était réduit à n'avoir qu'une seule bête de somme,[70] lui à qui l'on comptait autrefois treize mille chevaux, outre les mulets et les autres animaux.

Al Akhal ayant pris en main le gouvernement, se conduisit avec la prudence que demandaient les circonstances, il apaisa les troubles, rétablit par tout le bon ordre, et mérita qu'al-Hakam lui donnât le surnom de Taïd al-doulat.[71]

Ses troupes firent des courses dans le pays ennemi, portèrent partout le fer et la flamme, et forcèrent toutes les forteresses à se rendre. Souvent il marchait lui-même à leur tête, et alors il remettait son autorité entre les mains de son fils, nommé Jaafar, qui n'imitait point la justice et la bonté de son père. Cependant al-Akhal assembla un jour les Siciliens, et leur dit qu'il allait faire sortir de l'île tous les Africains qui y étaient, et qui partageaient avec eux leur pays et leurs richesses. Les Siciliens lui représentèrent que la chose était impossible, que les deux peuples étaient unis par des mariages, et tellement confondus qu'ils ne faisaient plus qu'un. Al-Akhal, piqué de ce refus, les congédia, et envoya sur le champ faire les mêmes propositions aux Africains, par rapport aux Siciliens. Les Africains les acceptèrent, et se rendirent auprès de lui. Alors al-Akhal commença à affranchir leurs biens et à lever des impositions sur ceux des Siciliens seulement. Plusieurs de ceux-ci mécontents, allèrent trouver en 427 [1035— 1036], al-Moez ibn Badis,[72] et lui dirent qu'ils étaient déterminés à se soumettre à lui, ou à livrer le pays entre les mains des Grecs. Al-Moez envoya en Sicile son fils Abd Allah, avec une armée composée de trois mille hommes de cavalerie et autant d'infanterie. Après plusieurs combats, al-Akhal fut assiégé dans son château de Khalisa. Réduit à cette extrémité, quelques-uns des habitants étaient d'avis de le secourir ; mais ceux qui avaient fait venir les Africains lui tranchèrent la tête, et la portèrent à Abd Allah. Bientôt après la division éclata parmi les Siciliens, et plusieurs d'entre eux se repentirent d'avoir appelé Abdallah dans leur pays. S'étant donc rassemblés, ils lui livrèrent bataille. Son armée fut mise en fuite, il perdit environ trois cents hommes, et le reste s'étant rembarqué, repassa en Afrique. Dans le même temps, al-Samsam, frère d’al-Akhal, fut élu gouverneur; mais les troubles subsistant toujours, les partis, se séparèrent et s'établirent de divers côtés. Les principaux de Palerme s'emparèrent du gouvernement et chassèrent al-Samsam. L'alcaïde Abd Allah ibn Menkout se rendit maître de Mazara, de Trapani, de Xacca, de Marsala et des environs; Enna, Girgenti, Castronuovo et le pays d'alentour tombèrent sous la puissance de l'alcaïde Ali ibn Nimat, surnommé ibn al-Jaouas. Syracuse fut soumise à ibn Thémama, qui marcha ensuite contre Catane, s'en rendit maître, et tua ibn Kelabi, qui avait épousé la sœur de l'alcaïde Ali ibn Nimat, appelée Meimouna. Cette femme étant ainsi devenue veuve, ibn Thémama la demanda à son frère, et l'obtint. Ce mariage eut, comme on va voir, les suites les plus funestes. Meimouna, qui avait beaucoup d'esprit, eut un jour une dispute avec son mari. On en vint de part et d'autre aux injures. Ibn Thémama qui était ivre, entra dans une grande colère, et ordonna qu'on lui ouvrît les veines des deux bras, et qu'on la laissât mourir dans cet état. Son fils Ibrahim en ayant été informé, accourut à son secours, et fit venir des médecins qui la rappelèrent à la vie. Le lendemain ibn Thémama fut fâché de son action, et demanda pardon à sa femme, s'excusant sur son ivresse. Celle-ci fit semblant de lui pardonner, et quelque temps après, elle lui demanda la permission d'aller voir son frère. Ibn Thémama le lui permit, et envoya avec elle toutes sortes de présents. Arrivée près de son frère, Meimouna lui raconta ce qui s'était passé, et sut si bien l'intéresser en sa faveur, qu'il jura de ne point la renvoyer à son mari. Ibn Thémama l'ayant donc redemandée, et n'ayant pu l'obtenir, assembla ses troupes qui étaient très nombreuses; car il était maître de la plus grande partie de l'île, et l'on faisait la prière en son nom dans Palerme. S'étant mis à leur tête, il s'avança vers Enna. Ibn al-Jaouas marcha à sa rencontre, le mit en fuite, et lui tua beaucoup de monde.

Ibn Thémama voyant son armée taillée en pièces, résolut d'implorer le secours des Chrétiens. Il alla donc à Balthia, dont les Francs s'étaient emparés l'an 372 [982 — 988]. Il y trouva Roger qui régnait alors, et lui promit de le rendre maître de toute l'île. Ils se mirent donc en campagne dans le mois de rajab de l'an 444, [27 novembre — 26 décembre 1052], et ne trouvant aucune résistance, ils s'emparèrent de tout ce qui se rencontra sur leur passage jusqu'à Enna, Ibn al-Jaouas en étant sorti pour les combattre, fut mis en fuite et obligé de rentrer dans sa forteresse. Les Chrétiens passèrent outre, et se rendirent maîtres de plusieurs places. Alors les personnages les plus distingués d'entre les Musulmans par leurs vertus et leur savoir, abandonnèrent le pays, et beaucoup de Siciliens s'étant, retirés auprès d’al-Moez ibn Badis, lui rendirent compte du mauvais état des affaires, et des conquêtes des Francs. Sur ces nouvelles, al-Moez ayant fait équiper une flotte considérable, l'envoya en Sicile. On était alors dans l'hiver, et comme la flotte faisait voile vers Cossyre,[73] il s'éleva une tempête furieuse qui fit périr presque tous les vaisseaux. Ce malheur affaiblit beaucoup al-Moez, et fut cause que les Arabes remportèrent sur lui plusieurs avantages. D'un autre côté, Roger, profitant de la circonstance, poursuivit sa conquête sans trouver de résistance, pendant qu’al-Moez était occupé de la guerre qui lui était survenue. L'an 453 [1061—1062], al-Moez mourut. Son fils Tamim lui ayant succédé, envoya une flotte et une armée en Sicile, sous le commandement de ses deux fils Ayoub et Ali. Ayoub débarqua d'abord avec l'armée à Palerme, et Ali descendit à Girgenti. Ayoub y vint aussi peu après, et s'attira l'affection des habitants. Ibn al-Jaouas en conçut de la jalousie, et leur écrivit de le renvoyer. Comme ils n'en voulurent rien faire, il marcha contre eux à la tête de son armée. La bataille s'étant donnée, il fut tué d'un coup de flèche, et Ayoub ibn Tamim fut proclamé roi. Peu après ses soldats prirent querelle avec le peuple ; on en vint aux mains, et comme la division allait toujours en augmentant, Ayoub et son frère retournèrent avec la flotte en Afrique, l'an 461 [1068—1069] accompagnés d'un grand nombre des principaux de l'île. Les Francs devinrent alors les maîtres de tout le pays. Il n'y eut qu'Enna et Girgenti qui tinrent contre eux. Les Musulmans qui les défendaient furent si pressés par les assiégeants qu'ils mangèrent les cadavres, jusqu'à ce qu'enfin cette nourriture leur manqua. Girgenti se rendit l'an 481 [1088—1089]. Enna tint encore trois ans, et ne se rendit qu'en 484 [1091 — 1092] L'île fut alors habitée par les Grecs, les Francs et les Musulmans. Roger, qui en était roi, ne laissa à personne ni bain, ni boutique, ni four, ni moulin. Sa mort arriva avant 490 [1096—1097]. Son fils Roger lui ayant succédé, ne suivit pas les coutumes des Francs ; mais imita celles des princes Musulmans.

Il établit un tribunal où les opprimés allaient porter leurs plaintes, et il leur faisait rendre justice même contre son fils. Cette conduite lui attira l'amour des Musulmans, qu'il traitait avec distinction et qu'il protégeait contre les Francs.

Ayant fait équiper une grande flotte, il se rendit maître d'abord des îles qui sont entre Mahadie et la Sicile, comme Malte, Cossyre et autres. Ensuite il porta ses armes en Afrique, et s'empara de Mahadie et de plusieurs autres villes, qui furent ensuite reprises par Abd al-Moumen ibn Aly, de la dynastie des al-Monades.


 

Extraits concernant l'histoire de Sicile

tirés de l'HISTOIRE D'AFRIQUE de

AL-NOWAÏRI.

L’an de l'hégire 511 [1117—1118] Roger, roi de Sicile., voulant secourir un nommé Rafi, qui était en guerre avec Ali ibn Yahia de la dynastie de Zeïrides, mit en mer une flotte composée de vingt-quatre vaisseaux. Elle s'avança seulement jusqu'à la hauteur de Mahadie et retourna ensuite en Sicile.

L'an 529, [1134 — 1135], les Francs se rendirent maîtres de l'île de Gerbes,[74] située près de la côte d'Afrique. Comme les habitants faisaient difficulté de se soumettre à un prince étranger, ils furent environnés par une flotte sicilienne, et attaqués en même temps par des troupes qui en tuèrent un grand nombre; les femmes et les enfants furent faits prisonniers : toutes les richesses devinrent la proie du vainqueur.

L'an 541 [1146 — 1147], Roger, roi de Sicile, ayant équipé une flotte considérable, fit assiéger la ville de Tripoli par mer et par terre. Les attaques commencèrent le 3 de moharram,[75] et la place fut prise au bout de trois jours à cause des divisions qui y régnaient. Ceux des habitants qui échappèrent au carnage, se refugièrent chez les Arabes et les Barbaresques. Ils revinrent bientôt après, dès qu'on eut publié un édit de sûreté pour eux. Les Francs restèrent six mois dans la ville pour la fortifier; en partant ils emmenèrent des otages qu'ils renvoyèrent lorsque leur domination fut solidement établie.

L'an de l'hégire 537 [1142 — 1143], la famine commença à se faire sentir en Afrique. L'an 542 [1147 — 1148], elle fut si grande que les hommes se mangeaient les uns les autres. Un grand nombre d’habitants quittèrent le pays, et la plupart se retirèrent en Sicile. Roger, profitant de la circonstance, envoya cent cinquante vaisseaux attaquer l'île de Cossyre, qui est entre la Sicile et l'Afrique. En arrivant, ils y trouvèrent un vaisseau venant de Mahadie : ceux qui étaient dessus ayant été pris, on les conduisit devant Gergi, commandant de la flotte, qui les interrogea sur l'état de l'Afrique. Leurs réponses lui firent concevoir un dessein qu'il exécuta par ce stratagème. Il y avait sur ce vaisseau des pigeons destinés à porter des avis. Gergi obligea celui qui en avait soin d'écrire une lettre dont le contenu était que les Musulmans étaient arrivés à Cossyre, qu'ils y avaient trouvé des navires siciliens et qu'ils avaient appris d'eux que la flotte avait fait voile pour Constantinople. On lâcha aussitôt les pigeons qui portèrent cette nouvelle à Mahadie. Tandis que l'émir et le peuple s'en réjouissaient, la flotte ennemie arriva devant la ville le 2 du mois de safar de l'an 545.[76] Le commandant envoya dire à al-Hassan que son intention était seulement de venger Mohammed ibn Rashid, qui avait été chassé de la ville de Cabès dont il était maître. Il ajoutait que Mohammed était l'ami et l'allié des Francs, qu'al-Hassan s'était engagé avec eux à le secourir, et il demandait qu'on lui donnât une armée qu'il joindrait à la sienne afin de le rétablir. Al-Hassan fit aussitôt assembler les fakihs et les principaux de la ville qui rejetèrent tous la demande de Gergi, et furent d'avis de se défendre si on les attaquait. Al-Hassan, au contraire, qui sentait qu'il n'était pas en état de résister, résolut de sortir de la ville. Il partit donc avec ce qu'il put emporter. La plupart des habitants imitèrent son exemple, et emmenèrent avec eux leurs femmes et leurs enfants. Pendant ce temps-là le vent empêchait la flotte ennemie d'aborder et favorisait la retraite des Musulmans. Les Francs s'emparèrent ainsi de la place sans éprouver de résistance. Gergi se saisit du château qui renfermait des richesses infinies. La ville fut livrée au pillage pendant deux heures; après quoi on fit publier un édit de sûreté. Ceux qui s'étaient cachés se montrèrent, et la plupart des habitants revinrent dans la ville. Le lendemain Gergi envoya des députés aux Arabes qui étaient proche, pour les engager à venir pareillement s'y établir, et leur donna des biens considérables.

Huit jours après sa conquête, Gergi envoya une partie de sa flotte à Safacas et une autre à Sousa. Ali ibn al-Hassan était gouverneur de Sousa. Dès qu'il eut appris ce qui était arrivé à Mahadie, il alla rejoindre son père al-Hassan. Les habitants en firent au tant ; et la place fut ainsi abandonnée aux Francs, le 12 du mois de safar.[77] La ville de Safacas ayant reçu du secours des Arabes, résolut de se défendre. On fit une sortie sur les ennemis, qui furent mis en fuite. Ils revinrent à l'attaque, et la plupart des habitants étant sortis de la ville, ils s'en rendirent maîtres, le 13 de safar.[78] Roger, roi de Sicile, fit publier un édit de sûreté pour tous les Africains, et promit de les bien traiter.

La domination des Francs s'étendit depuis Tripoli jusqu'auprès de Tunis, et depuis les déserts d’al-Garb jusqu'à ceux de Caïrouan.

L'an de l'hégire 548 [1153— 1154], le roi de Sicile, ayant appris que les tribus arabes se préparaient à faire la guerre à Abd al-Moumen, de la dynastie des almohades, envoya des députés aux émirs pour les exciter encore davantage et leur offrir de sa part un secours de cinq mille cavaliers s'ils voulaient lui donner des otages pour leur sûreté.[79] Les émirs le remercièrent en disant qu’ils ne se servaient point du secours des étrangers contre les Musulmans.

Les Francs s'étant rendus maîtres de la ville de Mahadie, l'an de l'hégire 543 [1148—-1149], commirent toutes sortes d'indignités dans celle de Zawila, tuant, pillant, saccageant tout ce qu'ils rencontrèrent. Ceux des habitants qui échappèrent au carnage, se réfugièrent auprès d'Abd al-Moumen, qui régnait à Maroc, et lui demandèrent du secours, comme au seul prince musulman qui fut en état de leur en accorder. Abd al-Moumen promit de les venger, et commença dès-lors à faire préparer tout ce qui est nécessaire pour une armée, et à amasser des vivres. L'an 554 de l'hégire, au mois de safar,[80] il partit de Maroc, à la tête d'une armée de plus de cent mille hommes, qu'il eut soin de contenir toujours dans la plus exacte discipline. Al-Hassan, qui avait été maître de Mahadie et de la province d'Afrique, se joignit à lui pendant qu'il était en chemin. Le 24 de joumadi second,[81] il arriva devant la ville de Tunis, qui se rendit à lui après une courte résistance. On proposa aux Chrétiens et aux Juifs qui y étaient de se faire Musulmans, et ceux qui ne voulurent pas y consentir furent tués. Au bout de trois jours, Abd al-Moumen marcha vers Mahadie.-Sa flotte qui l'avait joint à Tunis le suivait par mer. Il arriva devant cette ville le 12 du mois de rajab,[82] et logea son armée dans la ville de Zawila, qui n'en est éloignée que de la portée du trait. Elle avait été détruite, comme nous l'avons dit, par les Francs, et elle se trouva alors rétablie en une heure. La ville de Mahadie était bien fortifiée, et défendue par des princes et par les plus braves chevaliers. On ne pouvait l'attaquer que par un endroit, le reste étant environné par la mer. Abd al-Moumen vit bien qu'il ne pouvait pas la prendre d'assaut; c'est pourquoi ayant donné ordre à sa flotte de l'environner par mer, il fit construire un mur du côté de la terre, pour empêcher les sorties des assiégés, et résolut d'attendre tout du temps et de traîner le siège en longueur. Pendant cet intervalle, les villes de Safacas, de Tripoli, de Cafsa et plusieurs autres se soumirent à lui, et il emporta d'assaut celle de Cabès. Le lundi, 21 du mois de shaaban,[83] il arriva de Sicile une flotte de cent cinquante vaisseaux, qui fut battue et mise en fuite par celle d'Abd al-Moumen. Alors les assiégés perdirent toute espérance d'être secourus, et les vivres leur ayant manqué, ils furent obligés de manger leurs chevaux. Enfin, le dernier du mois de dhou al-haja,[84] dix chevaliers vinrent trouver Abd al-Moumen et lui demandèrent pour tous les Francs la liberté de sortir de la ville et de se retirer dans leur pays. Abd al-Moumen, pour toute réponse, leur offrit de se faire Musulmans. Ils le refusèrent, et firent tant par leurs instances, qu'ils obtinrent ce qu'ils désiraient. On leur fournit des vaisseaux, et ils s'embarquèrent pour la Sicile ; mais très peu y abordèrent, car on était alors dans l'hiver, et ils furent presque tous submergés. Les Francs avaient été maîtres de Mahadie pendant douze ans.

 


 

[1] Il s’agit là du « citoyen » Jean Jacques Antoine Caussin de Perceval, orientaliste français, né à Montdidier en 1759 et mort en 1835.

[2] Ce texte, sa traduction et ses notes (non corrigées) sont un peu vieillots, mais les traductions de l’historien al-Nowaïri (orthographié En-Noweïri, Noveïri, Novaïri…) sont rares. Il en existe cependant une autre sur ce même site.

[3] L’expression du traducteur « le Nowaïri » vient de l’arabe al-Nowaïri. Caussin a traduit al par le. C’était usuel il y a deux siècles.

Né à Al-Niwaireh en Égypte, il a laissé une encyclopédie historique, intitulée Nihayat al-arab fi fonoun al-adab (c'est-à-dire « tout ce qu'on peut désirer savoir concernant les différentes branches des belles-lettres »), divisée en cinq parties, de cinq livres chacune. Aussi, il a écrit Chronique de Syrie et Histoire des Almohades d'Espagne et d'Afrique et de la conquête de la ville de Maroc. (Wikipédia)

[4] Ce manuscrit est de la main même du Nowaïri, comme on le voit par une note à la fin. L'écriture qui est rapide, quoique belle et très correcte, les points diacritiques qui sont omis dans les mots, où l'on peut aisément les suppléer, et placés ailleurs avec une économie et une intelligence rares; enfin, l'âge du manuscrit résultant des caractères paléographiques, qui ne permettent pas de lui donner beaucoup moins de cinq cents ans d'antiquité, tout concourt à prouver que cet exemplaire est réellement autographe. En le comparant avec le ms. 702 A, on remarque entre eux des différences qui ne viennent que de mots mal lus, mal ponctués, ou d'expressions plus communes substituées à des expressions d'un usage plus rare. Je me suis attaché invariablement dans ma traduction à la leçon du manuscrit de l'auteur.

[5] J'ai fait remplir autrefois cette lacune au moyen du second manuscrit.

[6] Littéralement : « Nous rapporterons maintenant, dans cet endroit, les choses qui la concernent et qui sont d'un genre différent de celles que nous avons rapportées précédemment. » J'avais traduit, il y a quinze ans, en interprétant la pensée de l'auteur, et la rendant peut-être d'une manière plus claire et plus succincte: « Nous allons exposer maintenant les événements dont elle a été le théâtre. »

[7] Moavia ibn Khodaïj fut envoyé dans la province d'Afrique, nom que les Arabes donnent à la partie orientale de la côte de Barbarie, l'an de l'hégire 45 (665— 666), par le calife Moavia pour continuer la conquête de ce pays qui avait été commencée sous le calife Othman. Ce fut après sa victoire qu'il envoya Abd Allah en Sicile. Le Nowaïri, Histoire d'Afrique, chap. i.

[8] Les Mahométans appellent idoles toutes les images religieuses.

[9] Le règne de ce prince s'étend depuis l'an 720 jusqu'à 724 de l'ère vulgaire.

[10] Depuis l'an 724 jusqu'en 745 de l'ère vulgaire.

[11] Ce patrice est appelle dans un manuscrit Casantin, et dans l'autre Phasantin, et même dans un endroit Phastin. Le premier nom pourrait être une corruption de Constantin, ou seulement une faute de copiste. Le second, surtout si l'on fait attention à la leçon qui porte Phastin, semblerait convenir au patrice Photin à qui le gouvernement de la Sicile fut donné par l'empereur Michel le Bègue vers l'an 824. (Cedrène, tome II, page 510, Histoire du Bas-Empire, par Le Beau, tome XIV.)

Si dans l'auteur arabe on lit l'an de l'hégire 201, qui répond à l'an 816, c'est probablement une faute de copiste, qui aura oublié le mot asher (dix), lequel donne l'année de l'hégire 211 (826). En effet, l'auteur fait mention immédiatement après, de l'an 212, et il est évident par son récit qu'il y a eu fort peu d'intervalle entre tous les faits qu'il rapporte. D'ailleurs, le gouverneur dont il ici question est le même, d'après l'auteur arabe, que celui sous lequel arriva la révolte d'Euphémius en 827. Or, un gouverneur établi en 816 ne pouvait plus être en place en 827, puisque le gouvernement fut donné à Photin en 824.

[12] C'est le même qu'Euphémius, dont il est parlé dans les historiens grecs. Le nom de Fimi se retrouve encore aujourd'hui dans celui de Calata Fimi, et l'île des Femmes (isola delle Femine) s'appelait autrefois Fimi.

[13] Euphémius avait enlevé une religieuse qu'il aimait. Le Beau, Hist. du Bas-Empire, tome XIV, page 403.

[14] Le texte ajoute eulej min Alamaniin. Le premier mot désigne, en général, tous ceux qui ne sont pas Arabes, et répond au Barbarus des Latins. Le second, dérivé d'Alamani, désigna quelquefois les Italiens, comme on le voit par ce passage d'Aboulfaradj, page 108. La ville de Rome fait partie de l’Alamanie.

[15] Troisième prince de la dynastie des Aghlabides, qui régna depuis 817 jusqu'en 858 de l'ère vulgaire. Deguignes, Hist. gén. des Huns, tome I, page 563.

[16] Ou « Je ne volerais pas au-dessus. » (Dans la crainte d'être surpris par les Grecs à portée d'y descendre en tous temps.)

[17] Et non Sous, comme on lit dans l'Histoire générale des Huns, tome I, page 363.

[18] 16 du mois de rabi premier, qui répond au 15 juin 827.

[19] Le nom propre Platha pourrait se lire aussi Balatha. Il y a en Sicile beaucoup d'endroits qui portent ce nom.

[20] Célèbre dans l'antiquité par la fable de l'enlèvement de Proserpine. Depuis Castro Janni, Janna ou Giovanni.

[21] Ne trouvant aucune trace de ce mot dans la topographie actuelle de la Sicile, j'avais conjecturé autrefois qu'il fallait peut-être lire al-Shakiin au lieu d’al-Meslakin, d'autant plus que dans le n° 702 A on lit al-Shalkin, et que le lam qui est dans ce mot aurait pu avoir été mis par erreur au lieu d'un alif. Le mot de Shakiin désignerait les habitants de Xacca ou Sciacca, ville peu éloignée de Mazara. Le mot al-Meslakin est écrit si distinctement, dans le manuscrit que je regarde comme l'autographe de l'auteur, qu'il y aurait de la témérité à le changer.

[22] M. Gregorio nous apprend que dans un diplôme du comte Roger, de l'an 1082, il est question d'un lieu nommé Castrum Alcharet in valle Dominae.

[23] Selon Cedrène, Euphémius fut tué près de Syracuse. Les circonstances sont à peu près les mêmes. Le Beau, Hist. du Bas Empire, tome XIV, page 404.

[24] C'est le même que Théodotos, donc il est parlé dans la Chron. Sicil. Cantab., an 831.

[25] Ce fut le premier gouverneur de la Sicile pour les Aghlabides, comme le rapporte le Nowaïri dans son Hist. d'Afrique. « Sous le règne de Ziadet Allah la Sicile fut soumise aux Musulmans. Assad ibn al-Ferat, qui y fut envoyé avec dix mille hommes, battit le général grec qui en avait cent cinquante mille, et se rendit maître du pays. Ziadet en donna le gouvernement à Mohammed ibn Abd Allah ibn al-Aglab. »

[26] La forteresse des chênes, aujourd'hui Calatabellota.

[27] Platanella ruinée, près du Platano ou Fiume di Platani.

[28] Coronia.

[29] C'est Abou Hafs Omar ibn Shoaïb al-Andoulousi qui acheva la conquête de l'île de Crète, sous le califat d’al-Mamoun, et fut surnommé à cause de cela le Crétois.

[30] Le 24 janvier 859; c'était une troisième et non une cinquième férie. Cet événement est rapporté par Aboulféda à l'an 237 de l'hégire; la férie ne s'accorde pas davantage.

[31] Qui était le lendemain de la prise de la ville, selon l'auteur.

[32] Le 15 août 861.

[33] Le 15 juin 869.

[34] Le 28 mai 871.

[35] Cette expression doit désigner ici principalement les côtes d'Italie que les Sarrasins infestaient à cette époque.

[36] Depuis le 18 novembre jusqu'au 17 décembre 871:

[37] Depuis le dernier juillet jusqu'au 28 août 873.

[38] « L'an de l'hégire 264, au mois de ramadhan (7 mai — 25 juin 878), la ville de Syracuse fut prise par Ahmed ibn al-Aglab, sous le règne d'Abou Ishak Ibrahim ibn Ahmed ibn Mohammed ibn al-Aglab, après un siège de neuf mois. On y tua plus de quatre mille hommes ; le reste des habitants fut fait prisonnier, et il ne s'en sauva aucun. Le butin fut immense et plus considérable que dans aucune ville des infidèles. Les Musulmans n’y restèrent deux mois, après lesquels ils détruisirent la ville, et s'en retournèrent. » Le Nowaïri, Hist. d'Afrique.

« L'an 284, Abou Ishak Ibrahim envoya son fils Abou al-Abbas en Sicile, pour faire la guerre aux habitants. Il partit dans le mois de joumadi second. » Idem, ibid. (La suite manque.)

[39] Le 5 avril 909.

[40] Son nom est omis dans le manuscrit; c'est peut-être le même qui est appelé Ibn Ziyaj dans la chronique de Sicile de l'université de Cambridge, an 909.

[41] Voyez la chronique de Sicile publiée d'après un manuscrit de la bibliothèque de Cambridge, an 913.

La ville d'Alcamo est située à l'occident de Palerme. Les mots saheb al-Khams ou Khoms que j'ai traduit, d'après la chronique, par maître d'Alcamo, pourraient signifier que Khalil était fermier, percepteur pour le domaine d'un droit de quint. Le nommé Amran appelé de même dans la chronique saheb al-Khams et qui fut tué à Palerme en 910, ne dut peut-être sa mort qu'à la charge qu'il exerçait.

[42] Le 15 août 912.

[43] C'étaient les marques de l'investiture. Voyez les annales d'Aboulféda, année 265.

[44] Il est appelé dans Aboulféda, Salem ibn al-Rashed.

[45] L'esclavon. Les écrivains occidentaux font mention de ravages exercés vers ce temps-là dans la Pouille par des corsaires esclavons, et de la prise de Tarente par les Sarrasins. L'un de ces écrivains parle d'un Michael Sclabus qui s'empara de Siponto en 926.

[46] La date de cette expédition manque dans le manuscrit. Elle est rapportée par Aboulféda à l'an 323 (934 — 935).

[47] La date et les suites de cet événement sont rapportées dans le passage suivant extrait des annales d'Aboulféda : « L'an de l'hégire 325 (936—937), Salem ibn al-Rashed, qui cornet mandait en Sicile au nom d’al-Caïra, irrita tellement le peuple « par ses injustices que la ville de Girgenti se révolta. Al-Caïm en ayant été instruit, envoya une armée pour en faire le siège. La place fut secourue par l'empereur de Constantinople, et se défendit jusqu'en 329 (940 — 941). Une partie des habitants sortit de la ville, le reste se rendit à condition d'avoir la vie sauve. Salem fit embarquer les principaux pour les présenter à al-Caïm ; mais le général de ce prince donna ordre en mer de percer le vaisseau qui les portait. Ils furent tous submergés. »

[48] C'est ainsi que ce surnom est écrit dans Aboulféda ; le manuscrit du Nowaïri, n° 702 A, porte al-Halebi.

[49] Moez ledin Allah monta sur le trône l'an 341 de l'hégire. Il y avait alors plus de deux ans et quelques mois qu'al-Hassan était gouverneur de Sicile, puisqu'il commença à l'être en 336. Cette erreur se trouve corrigée dans le passage suivant d'Aboulféda. « L'an de l'hégire 336 al-Mansor donna le gouvernement de la Sicile à al-Hassan ibn Ali ibn Abou al-Hossaïn al-Calbi. Pendant tout le règne d’al-Mansor, il fit la guerre avec succès contre les ennemis. Al-Mansor étant mort, et al-Moez lui ayant succédé, al-Hassan revint en Afrique l'an 342, après avoir gouverné la Sicile cinq ans et deux mois.»

[50] Autrefois Tauromenium.

[51] 25 décembre 962.

[52] Domesticus. Voyez sur cette dignité les écrivains de l'histoire Byzantine. Selon les auteurs arabes qui se servent souvent du mot al-domestec, c'était le lieutenant de l'empereur de Constantinople dans les provinces situées à l'orient du canal. Aboulféda, an 316.

[53] Le 24 août 963 ; c'était une seconde férie.

[54] Le 14 octobre 964 ; c'était une sixième férie.

[55] Persans, sectateurs de Zoroastre.

[56] Ces défilés sont nommés dans le texte ; mais on ne peut lire leurs noms que par conjecture, la plupart des lettres étant destituées des points d'où dépendent leurs valeurs.

[57] J'avais cru autrefois pouvoir resserrer un peu ce récit, élaguer quelques longueurs, d'autant plus qu'on ne demandait alors de Sicile qu'une traduction, et que j'ignorais qu'on voulut faire imprimer le texte. Comme c'est précisément ce morceau que M. Gregorio a choisi pour mettre en parallèle nos deux traductions, je suis obligé d'indiquer ici d'une manière plus suivie les contresens qui défigurent la sienne. M. Gregorio traduit dès le commencement: Nonnullis in castello (Romettae) relictis militibus. C'est, je crois, un contresens : al-Hassan n'était pas maître de Rometta, puisqu'il en faisait le siège. Il ne pouvait donc pas laisser du monde dans la place, mais bien devant, pour faire tête à la garnison, tandis qu'il combattrait lui-même l'ennemi qui s'avançait.

[58] Fekhamanat al-harb; c'est la leçon du manuscrit n° 702. L'autre manuscrit porte fehamiat al-harb ; (le combat s'échauffait.) J'avais d'abord suivi cette dernière leçon ; mais je remarque actuellement que cette circonstance est rapportée plus bas, et qu'elle serait ici en contradiction avec le découragement dont l'auteur vient de parler. Je reviens donc à la leçon du manuscrit autographe dont l'autorité est infiniment supérieure.

[59] Khaïl (chevaux), vexilla militaria, selon le dictionnaire arabe de M. Gregorio.

[60] Ce sabre était tombé autrefois au pouvoir des Grecs, et fut alors repris par les Arabes. Son poids, en évaluant le mithcal avec Golius à un et trois septièmes de la drachme, n'aurait été que d'une livre et demie environ, ancien poids de marc. M. Gregorio a suivi encore ici ma traduction plutôt que le mot à mot: multum it sanguinem fudit. Mais en voulant se rapprocher de la lettre dans les mots qui suivent immédiatement, in manibus apostoli dei, il s'est fort éloigné du sens. Beïn yédeï, littéralement in manibus, ne signifie cependant pas en arabe, dans les mains, mais en présence; coram, in conspectu. Voilà un exemple bien frappant de l'abus des traductions trop littérales.

[61] Mot à mot, lui faisant savoir qu'il vaut mieux bâtir le jour même que le lendemain.

[62] « L'an de l'hégire 561, ni Moez céda à Abou al-Foutouh, de la dynastie des Zeïrides, la province d'Afrique et le Maghreb avec leurs dépendances. Il en excepta seulement la Sicile qui était entre les mains d'Abou al-Cassem Ali ibn al-Hassan, et Tripoli qu'il avait donné à Abd Allah. » Le Nowaïri, Histoire d'Afrique, C'est par erreur qu'il est dit, dans l’Histoire générale des Huns, tom. I, p. 570, que Moez donna la Sicile à Abou al-Foutouh.

[63] Depuis le 26 juin jusqu'au 25 juillet 982.

[64] Depuis le 5 décembre 989 jusqu'au premier janvier 990.

[65] La couronne de l'état, l'épée de la religion.

[66] Depuis le 26 décembre de l'an 1014 jusqu'au 24 janvier suivant.

[67] On pourrait peut-être donner à ces mots un autre sens.

[68] 15 mai 1019 ; c'était une sixième férie.

[69] 13 mai 1019.

[70] Ou mauvaise monture.

[71] Le soutien de l'état.

[72] De la dynastie des Zeïrides.

[73] Cossyre aujourd'hui Pantalaria. L'auteur de l’Hist. génér. des Huns, tome I, page 372, s'est trompé en traduisant Cousira par la Corse.

[74] Zerbi ou Gerbi, autrefois Meninx, Lotophagites et postérieurement Girba. Elle est appelée mal à propos Harba dans l'Hist. génér. des Huns, tom. I, p. 372.

On lit un peu auparavant dans le même auteur que Tamim s'empara, l'an 491, des îles de Harba et de Majorque. Il faut mettre à la place Gerbes et Kerkeni (autrefois Cercina). Cette dernière est aussi appelée Cherchara ou Cercare.

[75] 18 juin 1146.

[76] 22 juin 1148.

[77] 2 juillet 1148.

[78] 3 juillet 1148.

[79] Il est dit dans l’Hist. génér. des Huns, que le roi de Sicile leur envoya les cinq mille hommes; c'est une erreur, comme il pareil par ce passage et par la réponse fière et patriotique des émirs.

[80] 22 février – 23 mars 1159.

[81] 15 juillet 1159.

[82] 30 juillet 1159.

[83] 7 septembre 1159.

[84] 2 janvier 1160.