Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
DE
Mouyin ed-din Esfizâri dans le VIIe et le VIIIe livre de sa Chronique, a donné une étendue fort inégale à l’histoire des rois Ghourides et des Kurt. Tandis que ceux-ci occupent la presque totalité de ces deux livres (fol. 87 à 141, ms. Gentil), les événements relatifs sur rois du Ghour y sont racontés avec une extrême sécheresse au début du livre VII (fol. 85 à 88). Les faits mêmes qui se lient le plus étroitement à l’histoire de la Perse orientale, comme là prise de Herat par Ala ed-din Djihansouz n’y sont l’objet d’aucune mention particulière, et l’on doit supposer que l’auteur manque de matériaux, ou qu’il croit inutile d’insister sur une période secondaire dans le plan de son livre. Sa narration, à part les omis les inexactitudes qu’elle présente, ne diffère pas du chapitre de Mirkhond dont M. Defrémery publie une traduction accompagnée de notes historiques et philologiques (Journal asiatique, 1843). Le travail de mon savant confrère me dispense donc de revenir sur ce sujet. Il n’en est pas de même du règne des Kurt. Ici les documents authentiques ne font plus défaut à l’auteur ; il trouve dans le Kurt Nameh de Rebi’y, l’épopée du règne orageux de Fakhr ed-din ; la Chronique de Seïfi lui donne l’histoire des cinq premiers souverains de cette maison, les monuments de Herat lui racontent encore leurs exploits, et le souvenir de leurs bienfaits comme de leurs revers est resté gravé dans la mémoire du peuple. Le baron C. d’Ohsson, frappé de l’importance de ce morceau, en a fait usage dans les tomes III et IV de son Histoire des Mongols ; mais il s’est borné à signaler les rapports des rois kurt avec le Khans de la Perse, sans étudier les premiers sous leur physionomie particulière. Les Kurt, durant leur courte domination, personnifient, si je ne me trompe, l’antagonisme latent, mais obstiné du sang iranien contre les envahissements des hordes sorties du Touran. D’abord simples gouverneurs de Herat ils obtiennent des successeurs de Djenghiz Khan tout le territoire qui s’étend entre Nischapour, la Bactriane et l’Indus. Mais ce n’est pas assez pour leur ambition. Le riche domaine qui leur a été conféré à titre de bénéfice, ils veulent le convertir en alleu, et toute leur conduite dénote cette tendance analogue à la lutte qui précéda en France l’établissement de la féodalité, du ve au viiie siècle. Si, pour détourner un danger immédiat, ils combattent avec le souverain de la Perse contre les princes djaghatéens, d’autre part ils profitent de la faiblesse du suzerain pour s’affranchir des liens de vassalité. La jalousie de leurs propres vassaux, les troubles que les Mongols fomentent sans relâche dans le Khorasan, entravent, pendant longtemps, leur rêve ambitieux. Cependant l’habileté de Ghyas ed-din, l’énergie de Mo’ezz ed-din triomphent de tous les obstacles ; Herat est à la veille de devenir la capitale d’un royaume indépendant lorsque Tamerlan traverse l’Oxus. Le vertige s’empare alors du dernier prince kurt ; au lieu de suivre la politique cauteleuse de ses ancêtres et de courber la tête sous l’orage, il tente une résistance impossible ; Herat, après une défense honorable, ouvre ses portes au conquérant et bientôt des flots de sang emportent un trône auquel semblaient encore promises de brillantes destinées. Telles sont les conséquences qu’on peut tirer du récit de Mouyin ed-din, récit prolixe surchargé de vers de concetti, de gigantesques descriptions de batailles qu’on ne me reprochera pas, je l’espère, d’avoir bannis de ma traduction.
Afin de rectifier la liste donnée par d’Herbelot et reproduite par de Guignes, je crois devoir ajouter ici le tableau généalogique de la dynastie des Kurt d’après les documents nationaux :
Tadj ed-din Osmân Merghani.
Mélik Rokn ed-din Abou Bekr.
Schems ed-din premier roi kurt (1245-1283).
Rokn ed-din (Schems ed-din II) (1278-1283)
Fakhr ed-din (1285-1307) Ghyas ed-din (1308-1328)
Schems ed-din III (1328) Mélik Hafiz (1329-1331) Moezz ed-din (1333
Ghyas ed-din Pir Ali (1370-73).
Mélik Schems ed-din était fils[46] de Mélik Rokn ed-din Abou Bekr, dont le père était Tadj ed-din Osman Merghani. Cet Osman était frère d’Izz ed-din Omar Merghani, ministre favori du sultan ghouride Ghyas ed-din Mohammed.[47] Omar Merghani profita du crédit dont il jouissait à la cour du sultan ghouride pour conférer des charges et de hautes dignités à sa propre famille. C’est ainsi qu’il donna à son frère Osman le commandement de la citadelle de Khaïçâr. Osman en mourant transmit son autorité à son fils Rokn ed-din Abou Bekr, qui épousa une fille du roi ghouride Ghyas ed-din, et le fruit de cette union fut Schems ed-din Mohammed, premier roi de la dynastie kurt.[48] Les qualités que ce jeune prince avait reçues de la nature furent développées par une brillante éducation, et son intelligence, autant que sa bravoure et sa générosité, le plaça de bonne heure au-dessus de ses rivaux. L’an 643 (1245), la mort de son père fit passer dans ses mains le gouvernement du Ghour jusqu’aux frontières de l’Indus. L’année suivante, il accompagna Sali Nouyân dans une expédition que ce chef dirigeait contre le souverain de l’Inde, et il prit une part active au siège de Moultân dont la défense était dirigée par un jeune officier nommé Djenghiz Khan. Au bout de treize jours de siège, le cheik ul-Islam Béha ed-din Zakaria, sur la demande de cet officier, sortit de la porte des Forgerons chargé de propositions de paix ; il s’aboucha avec Mélik Schems ed-din, le gagna sans difficulté à sa cause, et Sali Nouyân consentit à lever le siège une rançon de cent mille pièces d’or. Le chef mongol marcha ensuite sur Lahore et en fit le blocus pendant deux semaines. Kurt Khan, gouverneur de cette ville, après une défense vigoureuse, envoya plusieurs imams à Mélik Schems ed-din pour traiter de la reddition la place ; il se soumettait au kharadj et offrait au général ennemi 30.000 dinars, trente charges de drap fin et cent esclaves. Schems ed-din fut encore chargé des négociations, et, grâce à son habileté, il fit accepter ces conditions, et obtint pour lui-même le commandement militaire de Lahore. Cependant les principaux officiers de l’armée mongole, jaloux de Schems ed-din dont le crédit les privait des avantages qu’ils espéraient retirer de cette expédition se rendirent d’un commun accord chez Sali Nouyân et lui dirent : « Mélik Schems ed-din a des intelligences secrètes avec les infidèles de ce pays, et il est entièrement dévoué à leur cause. Il a déjà reçu 50.000 dinars, tant de Djenghiz Khan que de Kurt Khan et nous ne doutons pas que, si nous sommes attaqués par les troupes de Delhi, il ne se révolte[49] pour passer dans les rangs de l’ennemi. Veuillez donc nous autoriser à faire périr ce traître, ou tout du moins le chasser du camp. » Ces insinuations firent impression sur l’esprit de Sali Nouyân, qui demanda seulement quelque délai pour s’éclairer sur les menées de Schems ed-din. Ce dernier fut instruit de ce complot et, convaincu que sa perte était jurée, il résolut d’aller chercher un refuge auprès de Thaher Behadour, jusqu’à ce que l’armée de Sali-Nouyân se fût éloignée. En effet, dès que la nuit fut venue, il sortit du camp avec une vingtaine de soldats dévoués et alla se cacher dans une pagode aux environs de Guédjourân. Rassuré par l’accueil bienveillant des gens de ce pays, il leur dit qu’une affaire importante l’amenait chez Thaher Behadour, et les pria de lui prêter des armes et des chevaux afin qu’il puisse offrir quelques présents à Thaher. Mais Fakhr ed-din, chef de Guédjourân informé par des gens mal intentionnés que le prince kurt cherchait soulever la population contre lui, envoya en toute hâte Emad ed-din la tête de cent cinquante cavaliers, avec ordre de s’emparer du fugitif et de l’enfermer dans la forteresse de Guédjourân.
Emad ed-din avant de s’acquitter de cette mission, crut devoir informer Thaher Behadour de ce qui se passait et obtenir son agrément. Mais Thaher, après avoir mûrement réfléchi, lui dit : « Rokn ed-din, l’ancien chef de la ville de Khaïcâr, était mon ami et il m’a recommandé son fils. Je t’ordonne de m’amener Schems ed-din afin que je l’interroge en présence de tous les officiers ; si sa culpabilité est reconnue, je le remettrai entre les mains de Ghazan Khan ; dans le cas contraire, tu seras seul puni. » Bien que cette décision inquiétât vivement Emad ed-din, il dut s’y soumettre et un émir fut chargé de conduire Schems ed-din dans le pavillon que Thaher occupait sur le sommet d’une colline. Thaher reçut le prince kurt avec une grande affabilité et lui, dit : « Ces bourgs et ces domaines qui sont à ma droite, quel en est le propriétaire ? C’est vous, prince, répondit Schems ed-din. Ces champs et ces vergers qui s’étendent en face de nous, qui les possède ? Vous encore, répliqua Schems ed-din, et il fit la même réponse à mesure que Thaher lui désignait une localité. Puis l’émir se tourna vers Emad ed-din et lui demanda : « Et toi, où sont tes biens ? Je ne possède ici, répondit-ils qu’une pauvre maison et je n’ai eu jusqu’à présent que de rares relations avec cette contrée. » Le prince sourit et ajouta : « Sache donc qu’elle appartient en grande partie à Mélik Schems ed-din, qu’il est ici chez lui et qu’il peut mettre en réquisition les habitants sans se rendre coupable de rébellion. » Emad ed-din n’osa répliquer, et cette nuit même, il quitta le camp du prince. Quant à Schems ed-din, il fut comblé de présents et vécut auprès de son protecteur jusqu’à ce que l’armée de Sali Nouyân revînt de l’Inde avec un riche butin.
Mais Thaher mourut en 645 (1247), et son fils Halkatou Nôuyân, de concert avec un autre émir nommé Kara-Nouyân, écrivit au prince Djaghataï une lettre dans laquelle il se plaignait amèrement de Schems ed-din. Ce dernier se rendit sur le champ dans le Turkestan afin de se disculper ; mais lors qu’il arriva dans ce pays, Djaghataï venait d’expirer et son fils lui avait succédé. A la suite des sanglantes querelles qui divisèrent les héritiers de Djenghiz Khan, Mangou Khan s’empara du trône. Schems ed-din s’empressa d’aller lui rendre hommage, et arriva au camp le jour même du couronnement. Les officiers qui l’introduisirent firent à l’empereur un pompeux éloge du mérite du prince kurt et des services rendus par ses ancêtres ; aussi Mangou le reçut avec distinction, loua fort sa bonne mine et lui conféra un ierligh. En vertu de ce diplôme, Schems ed-din reçut l’investiture de toute la province de Herat, Djam, Bakherz, Kousouyeh Fouschendj, Toulek, le Ghour et Khaïçâr, Firouz-Kouh, le Ghardjistan, Mourghâb, Meroutchak, Fariâb jusqu’à l’Oxus, Esfizâr, Ferrah, le Sedjestan, Kaboul, Tirah et l’Afghanistan jusqu’à l’Indus et aux frontières de l’Hindoustan. Le lendemain, le roi kurt fut reçu en audience particulière et obtint un vêtement d’honneur (khilât), une plaque en métal, [50] 10.000 pièces d’or, un cimeterre indien, une lance du Khatt et d’autres armes de prix ; puis il fut autorisé à retourner à Herat. Ayant de rentrer dans cette ville, Schems ed-din se détourna de sa route pour saluer Arghoun khan dans son camp et toucher cinquante tomans qu’un ordre de l’empereur avait accordés à son navab. Son premier soin en arrivant à Herat fut de condamner au dernier supplice Cheref ed-Dîn Betoukdji[51] dont l’odieuse tyrannie avait ruiné le pays ; il réprimanda sévèrement Korlogh, intendant militaire de Herat, et prit d’une main ferme les rênes du gouvernement.
(647-1249) Tous les chefs du Khoraçan avaient envoyé des présents à Schems ed-din afin de se concilier son amitié, lorsque Seïf ed-din Ghardjistàni refusa de reconnaître sa suprématie. Quatre cents hommes furent envoyés contre ce rebelle ; Seïf ed-din, prévenu à temps, put se réfugier auprès d’Arghoun ; mais ce roi, sans vouloir entendre la justification de son hôte, le chargea de chaînes et le livra au messager du roi de Herat. Seïf ed-din, dès son arrivée à Herat, périt écrasé sous les pieds des chevaux près de la porte Khosch, et son cadavre resta exposé pendant trois jours dans le grand bazar.
(652-1254) Le roi kurt alla mettre le siège devant une ville du Guermsir, nommée Mostabig.[52] Les chefs du Guermsir, Schahinschah, Behram chah et Miranschah, s’enfermèrent dans la forteresse de Khaçek avec cinq mille hommes. Le roi fit aussitôt le blocus de cette place ; après une défense énergique, qui dura dix jours, les assiégés étant réduits aux abois, Miranschah réussit à se frayer un chemin pendant la nuit à travers le flanc de l’ennemi et prit la fuite avec une poignée d’hommes. Le lendemain, le roi entra dans Khaçek et fit exécuter les deux autres chefs avec quatre-vingt-dix de leurs parents ou alliés. Il alla ensuite assiéger Hiçar-Tiri, autre forteresse du pays des Afghans et ne put s’en rendre maître qu’après deux mois de siège. Elmar, chef afghan, qui défendait cette place fut coupé en deux (dou-nim), et ses principaux officiers subirent la peine de mort ou la bastonnade. Trois autres forteresses, Kehberâr, Douki et Sadji (cette dernière fut rasée), tombèrent au pouvoir de l’armée de Herat, et un grand nombre d’Afghans périrent pendant cette expédition.
(656-1258). Mélik Schems ed-din revenait du camp de Badeghis, où il était allé complimenter Boulgha et Toumar, petits-fils de Djenghiz Khan, lorsque certains officiers de son armée informèrent secrètement le prince Batou, que Schems ed-din violait les dispositions du ierligh impérial et méprisait les envoyés des Schahzadehs mongols. Batou, que cette conduite irrita, envoya à son frère Boulgha un officier nommé Gueraï-Beg pour le prier de s’emparer du roi kurt. Boulgha, qui était alors dans le Mazandéran fit partir un Mongol dont le nom était Betoukdji avec un message qui enjoignait à Kebtouka Nouyân[53] d’arrêter Schems ed-din et de le diriger sous bonne escorte vers le Mazandéran. Or, un peu avant l’arrivée de ce message, Schems ed-din s’était rendu dans le Sedjestân pour y affermir son autorité, et avait rencontré en route Mélik Ali Méç’oud, son délégué dans cette province. Méç’oud, prétextant une affaire qui l’appelait en toute hâte auprès de Kebtouka Nouyân, fit prévenir ses fils de l’arrivée du roi kurt, leur enjoignit de le recevoir avec les honneurs qui lui étaient dus, et continua son chemin en promettant d’être de retour au bout d’un mois.
Mais le roi, peu rassuré par cette soumission apparente, dépêcha sur ses traces Schems ed-din Esfizâzi, qui devait le tenir au courant des menées de Maç’oud. Cet émissaire arriva au camp de Kebtouka au moment même où les ennemis de son maître communiquaient au prince l’ordre signé par le schahzadeh Boulgha d’arrêter Schems ed-din. Maç’oud eut en outre une longue conférence avec Kebtouka ; il lui représenta que, si on laissait le roi kurt en liberté, il ne tarderait pas à arracher tout le Khorasan à l’autorité des Mongols ; que déjà son pouvoir s’étendait jusqu’aux frontières de l’Inde, et que les principales forteresses du Khorasan lui appartenaient. Kebtouka, cédant à ces suggestions, ne s’opposa plus à l’arrestation du roi kurt. Mais l’agent secret que ce dernier, avait envoyé au camp mongol courut transmettre ces informations à son maître. Il fut suivi de près par Mélik Maç’oud et par Dendaï, qui était chargé de prêter main-forte à Méç’oud avec une troupe de dix mille fantassins et cavaliers. Cependant le roi kurt s’étant fortifié dans le château qu’il habitait et paraissant décidé à s’y défendre jusqu’à la dernière extrémité, Dendaï lui demanda une audience, se présenta devant lui avec une suite peu nombreuse, et le pria de sortir pour recevoir la lettre et le vêtement d’honneur que Kebtouka lui envoyait. Schems ed-din ne se laissa pas prendre à ce piège ; il refusa de quitter l’enceinte de son palais en disant :
« S’il est vrai que vous ayez un ierligh et une robe d’honneur à me remettre, veuillez me les porter ici, afin que je me conforme aux ordres du prince. Mais je vous conseille de vous éloigner promptement et quand même Mélik Maç’oud serait revenu dans ce pays avec des intentions conciliantes ; quant à moi, je ne me fierai jamais à cet homme. « Après de longues conférences, dans lesquelles toutes les ruses ourdies par Maç’oud restèrent infructueuses, Schems ed-din invita ce traître à venir le trouver pour aviser aux moyens de terminer le différend. Mélik Maç’oud crut pouvoir accepter cette entrevue ; mais il prévint son parti qu’il en profiterait pour assassiner le roi, et il ajouta : « Dès que vous verrez sa tête rouler par-dessus les murailles, envahissez le château. » De son côté, Schems ed-din plaça dix soldats à chacune des portes, avec ordre de retenir successivement tous ceux qui accompagneraient Maç’oud. En effet, lorsque ce dernier arriva devant la quatrième porte, il ne lui restait plus que trois hommes d’escorte. Schems ed-din, qui se tenait caché derrière un rideau, s’élança alors sur lui, le tua et jeta sa tête par-dessus les murs de la salle d’audience : les soldats de Kebtouka et les Sindjariens, [54] prenant cette tête pour celle du roi kurt, se précipitèrent dans le château ; mais à la vue de Schems ed-din, qui les attendait de pied ferme, ils reculèrent en désordre et se débandèrent. Le roi sortit alors avec les siens et fit proclamer le nom de Mengou Khan comme celui de son suzerain. Le lendemain il fit périr les trois principaux kelaunters du Sedjestan et désarma les Sindjariens ; puis il distribua un grand nombre de khilât et 30.000 pièces d’or aux savants et aux pauvres. Il se dirigea ensuite vers le camp d’Houlagou ; mais il rencontra sur sa route les envoyés de Toumar et de Boulgha, qui venaient pour s’emparer de sa personne. Vainement il leur représenta qu’obligé de se rendre en présence d’Houlagou Khan, il ne pouvait déférer à l’invitation de ces deux princes ; les Turcs, avec la grossièreté naturelle de leur nation, essayèrent de le retenir de force. Le roi, dans un trait de colère, déchira à coups de fouet le visage du Mongol qui avait saisi la bride de son cheval. Le péril devenait imminent, lorsque les ambassadeurs de l’empereur arrivèrent sur ces entrefaites ils délivrèrent Schems ed-din et le conduisirent au camp impérial avec ceux qui avaient voulu l’arrêter. Houlagou, fit bâtonner les récalcitrants puis il reçut Schems ed-din avec bonté et le renvoya à Herat comblé d’honneurs.
(657-1258). Schems ed-din assiégea Bikr, forteresse qui était au pouvoir des Afghans. Cette place forte, bâtie sur un rocher au milieu de la mer, [55] passait pour imprenable, et c’est ce qui lui avait valu son nom de Bikr (vierge). En dix-huit jours le roi construisit trente vaisseaux et une centaine de barques ; puis il attaqua la place de deux côtés à la fois. Après douze jours de combats, dans lesquels plusieurs officiers de l’armée de Herat furent tués, les notables de la ville firent leur soumission et acceptèrent l’impôt foncier et la capitation ; leur gouverneur offrit en outre au vainqueur 10.000 dinars, dix charges d’étoffe de soie, cinq chevaux arabes et cinquante esclaves chargés d’objets précieux. Après cette victoire, le roi entré dans Zemin-Davêr, poursuivit Miranschah, qui à son approche était sorti de Khaçek, s’en empara et le mit à mort.
(665-1266) Mélik Schems ed-din, qui s’était rendu dans l’Irak au campement du roi, Abaka se disposait à prendre congé de Quverain, lorsqu’on reçut la nouvelle que le prince Bereket Khan[56] s’était révolté et qu’il occupait Derbend Bakouyeh avec une nombreuse armée. Abaka marcha aussitôt contre le rebelle et retint Schems ed-din en lui promettant une récompense magnifique s’il voulait combattre à ses côtés et accepter le commandement de deux cents cavaliers d’élite. Le roi de Herat jura de sacrifier sa vie, s’il le fallait, pour assurer le triomphe de son suzerain et partit avec lui. Lorsque les deux armées en vinrent aux mains et tandis que « des flots de sang roulaient depuis Derbend jusqu’a l’Oxus, » le roi kurt se débarrassa de son casque, se précipita tête nue au plus fort de la mêlée et fit des prodiges de valeur La hardiesse de cette action fut remarquée par Bereket Khan qui demanda à un de ses officiers « quel est le nom de ce redoutable adversaire. » Cet officier lui apprit et ajouta : C’est ce même roi du Ghour qui a jadis donné tant de preuves de sa bravoure en combattant sous les yeux de Mengou Khan. Cependant Schems ed-din, quoique blessé grièvement, continuait à se battre comme un lion. Abaka Khan lui envoya ses meilleurs chirurgiens pour panser ses blessures, et, parmi tous les généraux qui tombaient autour de lui, il semblait n’avoir d’inquiétude que pour le roi kurt. Enfin la journée, suivante donna la victoire à Abaka, et son adversaire Bereket Khan se retira avec des pertes considérables. Abaka, après avoir assuré son triomphe, accorda à Schems ed-din un diplôme, un drapeau et des timbales et il lui permit de retourner à Herat avec un riche butin.
(675-1276.) Schems ed-din fit une seconde visite à Abaka qui résidait alors à Ispahan, et il fut reçu à son arrivée par Khadjeh Mohammed secrétaire du divan. Mais ses ennemis avaient profité de son absence pour indisposer le monarque contre lui. Il ne put obtenir une audience, et Abaka dont on entretenait la méfiance en lui répétant que, s’il laissait Schems ed-din retourner à Herat, il aurait en lui un ennemi dangereux, le retint prisonnier à Ispahan et enrôla ses deux fils dans le corps d’armée en garnison à Bakou. Khadjeh Mohammed et d’autres émirs essayèrent sans succès de rappeler les services rendus par le roi kurt à la famille de Djenghiz Khan. Abaka ne lui permit pas même de se disculper en sa présence. L’année suivante parut s’ouvrir sous de meilleurs auspices ; grâce aux incessantes démarches de l’émir Tekneh, qui était un des plus grands dignitaires de la cour, Schems ed-din pouvait de regagner bientôt les bonnes grâces du roi, lorsque la mort vint briser ses espérances. Dans le courant du mois de chaban se trouvant dans un bain de la ville de Tabriz où on l’avait transféré, il goûta à une pastèque empoisonnée qu’Abaka lui avait envoyée, et il rendit le dernier soupir après avoir accompli tous les actes de la plus fervente piété. La méfiance d’Abaka Khan était telle, que, redoutant encore un piège et craignant que cette mort fût simulée pour favoriser une tentative d’évasion, il chargea un de ses courtisans de présider à l’ensevelissement du corps et de fermer ce cercueil avec des chaînes de fer. Le corps de Schems ed-din fut envoyé à Djam et déposé dans une chapelle funéraire (turbeh) qui existe encore.
Voici comment ce prince fut appelé à succéder à Schems ed-din son père. En 657 (1278), Bischin ou Pischin-Oghoul, [57] petit-fils de Djenghiz Khan passant à Herat à son retour de Ghazna, trouva cette ville en proie à l’anarchie. Il jugea avec raison que l’ordre et la prospérité dont elle jouissait sous le règne précédent ne lui seraient rendus que si elle était gouvernée par un chef puissant : apprenant qu’un fils du roi Schems ed-din se trouvait dans l’armée d’Abaka Khan, il profita du passage d’Abaka à Herat, pour obtenir de lui que cette province fût rendue son légitime possesseur. Abaka manda Rokn ed-din, l’investit de l’autorité et voulut qu’il porte comme son père le surnom honorifique de Schems ed-din, auquel il ajouta l’épithète de Kihin (le petit) pour le distinguer du roi précédent. Pendant trois ans Rokn ed-din régna sans contestation et reçut l’hommage des chefs du Khorasan, à l’exception du gouverneur de Kandahar. Pour se venger de cet affront, il assiégea cette ville en 680 (1281).[58] Les habitants se défendirent courageusement pendant treize jours, mais voyant, au moment de l’assaut, que les portes de leur ville allaient être incendiées, ils demandèrent l’aman et achetèrent la paix à prix d’or. L’an 682 (1283), Rokn ed-din Kurt laissa le gouvernement de Herat à son fils Ala ed-din, avec le titre de Naïb, et se retira dans la forteresse de Khaïçâr.[59] L’année suivante, Ala ed-din reçut la visite d’Arghoun mais un incident fâcheux vint troubler la sécurité dont jouissaient les princes kurts.
Hindou Nouyân, qui était un des principaux généraux d’Arghoun Khan, s’étant révolté, avait cherché un refuge dans les murs de Khaïçar. Le roi Rokn ed-din s’était empressé de livrer le rebelle et avait reçu comme récompense de sa fidélité un diplôme, un étendard et des timbales, insignes de la royauté. Mais les parents et les amis de Hindou Nouyân ne pardonnèrent pas au roi kurt cet oubli des devoirs de l’hospitalité, et ne négligèrent aucune occasion de le perdre dans l’esprit d’Arghoun. Rokn ed-din, instruit de ces menées, jugea prudent de ne plus sortir de Khaïçar, et il rappela auprès de lui son fils Ala ed-din. Le départ du vice-roi plongea Herat dans une nouvelle anarchie ; les plus riches habitants émigrèrent ; un Mongol nommé Amadji-Nigoudéri, se mit à la tête d’un millier de factieux, usurpa le pouvoir, commit toute sorte d’excès et décima la population, à ce point que dans les quartiers qui comptaient jusqu’a cent ketkhôdas on n’en trouvait plus que deux ou trois. L’émir Nôrouz, envoyé dans le Khorasan par Ghazan Khan avec cinq mille hommes, mit un terme à ces désordres. Il fit main basse sur les troupeaux de Déreh-Guez et les conduisit dans les campagnes de Herat ; il enjoignit aux chefs d’Esfizâr, de Ferrah et du Sedjestân de rapatrier tous les fugitifs ; enfin il exempta le peuple de toute contribution pendant deux ans, et ramena ainsi la prospérité dans notre malheureuse ville. Nôrouz voulut couronner son œuvre en rappelant le roi Rokn ed-din ; mais ce prince, pour les motifs que nous avons indiqués ci-dessus, crut devoir décliner cette invitation et demeura à l’abri derrière les remparts de Khaiçâr.
L’émir Nôrouz n’ignorait pas la mésintelligence qui régnait entre le roi Rokn ed-din et son fils aîné Fakhr ed-din, homme doué de grandes qualités mais dont le caractère était indomptable. Emprisonné pendant sept ans dans la citadelle de Khaïçâr par l’ordre de son père, Fakhr ed-din avait brisé ses chaînes, tué ses gardiens, et s’était réfugié avec deux ou trois serviteurs sur la montagne qui dominait Khaiçâr, en déclarant qu’il ne reconnaissait plus l’autorité paternelle. Nôrouz résolut de s’attacher ce jeune prince, et il écrivit en sa faveur au roi Rokn ed-din. Émir-Hadji, chargé de porter cette lettre, ayant échoué dans sa mission, se rendit dans la retraite de Fakhr ed-din et lui fit part des intentions amicales de Nôrouz à son égard. Fakhr ed-din s’en montra vivement touché, mais il déclara en même temps qu’il jugeait prudent de ne pas sortir avant que son père eût signé son pardon. Rokn ed-din finit par se laisser fléchir ; mais il exigea que l’émir Nôrouz s’engageât par écrit à ne pas le rendre responsable des fautes que Fakhr ed-din pourrait commettre plus tard. Ces formalités accomplies, Fakhr ed-din vint à Herat ; Nôrouz le reçut à bras ouverts[60] et le présenta à Ghazan Khan comme l’un des sujets les plus dévoués de la dynastie mongole. Fakhr ed-din trouva bientôt l’occasion de prouver sa reconnaissance. Mohammed (ou Mahmoud) Djejdi s’était révolté dans le district de Khâf et le ravageait avec un millier de partisans. Fakhr ed-din se joignit à l’émir Dendaï, frère de Nôrouz, qui conduisait cinq mille hommes contre ce rebelle. Mohammed rentra alors dans la forteresse de Djejd où on l’assiégea sans succès pendant quatre mois. Néanmoins le prince kurt déploya une grande valeur pendant cette campagne et remit tout le district de Khâf sous l’autorité de Nôrouz. Ce fut en récompense de ce service qu’il reçut l’investiture de la province de Herat.
Sur ces entrefaites, Mélik Inaltekin, voulant venger son frère Djémal ed-din, que Nôrouz retenait captif dans une forteresse du Ghardjistân, sortit de l’Irak avec une armée nombreuse, s’empara de plusieurs villes dont Nôrouz avait fait la conquête, et tua un grand nombre de ses partisans ; puis il se fortifia dans Ferrah. Mais, redoutant l’issue d’une lutte dans laquelle il aurait Fakhr ed-din pour adversaire, il se déclara disposé à entrer en arrangement, si ce dernier voulait se rendre caution de la mise en liberté de Djémal ed-din, ce qui fut accordé sans difficulté. A la même époque, Doua, fils de Borak, envahissait le Khorasan à la tête de cent mille hommes, et chargeait Bereket Khan son parent, d’attaquer Fakhr ed-din dans le Ghardjistân. Bereket tomba avec vingt-deux de ses officiers dans un piège que lui tendit le roi kurt, et fut conduit sous bonne escorte chez l’émir Nôrouz, qui était alors à Thous. Nôrouz mena ces prisonniers au camp de Ghazan dans l’Irak ; il présenta Fakhr ed-din à l’empereur, et obtint pour lui, outre les honneurs d’usage, mille serviteurs mongols et dix tomans d’argent comptant. Mais, peu de temps après, ce même Nôrouz se révolta contre Ghazan Khan et une armée de vingt mille hommes commandée par Soutaï, [61] poursuivit le rebelle dans le Khorasan. Un détachement de cette armée, ayant rencontré en route le roi Fakhr ed-din, s’empara de ce roi après une lutte acharnée et le conduisit en présence de Soutaï. Heureusement le roi kurt réussit à s’échapper et retourna à Herat. L’an 696 (1296), Nôrouz, qui avait réuni des forces imposantes, se préparait à envahir l’Irak, lorsque son frère Ourdaï, qui était à Nischapour, lui écrivit : « L’empereur sait que vous voulez le détrôner et assurer le triomphe de l’islamisme sur l’idolâtrie ; il sait que vous avez dans ce but demandé du secours au soudan d’Egypte[62] et il a juré d’exterminer votre parti. Déjà ceux de vos fils ou de vos frères qui se trouvaient dans le camp impérial ont été tués par son ordre, et Soutaï Nouyân avance en ce moment contre vous avec une armée redoutable ; tenez-vous donc sur vos gardes. » L’émir Nôrouz, voyant son complot découvert, tomba dans un découragement profond ; la plus grande partie de ses troupes l’abandonna. Chassé de Djam par Danischmend Behadour, il vint se mettre sous la protection du roi kurt dans la citadelle (d’Ikhtiar ed-din) à Herat.
Le roi promit de le défendre jusqu’à la mort, mais, quatre jours après l’arrivée de Nôrouz, l’émir Kotlok chah se présenta devant Herat avec soixante dix mille cavaliers. Le siège durait depuis dix-huit jours lorsque le roi, abandonnant subitement la cause de Nôrouz, le sépara de ses trois cents compagnons à l’aide d’une ruse et l’envoya à Kotlok, pieds et poings liés. Nôrouz fut exécuté sur-le-champ, et c’est ainsi que Herat échappa aux horreurs d’un long siège.
(698-1298) Le roi Fakhr ed-din eut l’imprudence d’autoriser l’émir Nigouder[63] à s’établir dans un quartier de Herat, avec trois cents aventuriers venus de l’Irak. Cette petite troupe fit de fréquentes incursions dans le Kouhistân, le Sedjestan à Ferfah, Djorzouàn, etc. et répandit la terreur dans ces contrées. Khodabendeh, sur l’invitation de Ghazan Khan, son frère, sortit du Mazandéran et vint à Nischapour, d’où il réclama l’extradition immédiate de Nigouder et des brigands qui l’entouraient. Comme le roi Fakhr ed-din cherchait à éluder cet ordre, Khodabendeh se porta sur les rives du Herat-roud et fit les préparatifs du siège. Il voulut d’abord se rendre maître de la forteresse d’Amân-Kouh (aujourd’hui Iskélédjeh), où le roi s’était enfermé ; mais, après un combat qui coûta deux mille hommes au prince mongol, Fakhr ed-din sortit du fort pendant la nuit avec quelques hommes résolus, traversa le camp ennemi, passa à Herat sans s’arrêter et se jeta dans les montagnes du Ghour. Une fois maître de l’Aman-Kouh, Khodabendeh reprit avec ardeur le siège de Herat ; la lutte se poursuivit vigoureusement pendant dix-huit jours et dix mille hommes furent tués de part et d’autre. Enfin, cédant aux conseils de ses officiers et aux prières de cheikh Chebab ed-din Djami, qui était venu le supplier d’épargner Herat, puisque Fakhr ed-din n’était plus dans ses murs, Khodabendeh consentit à lever le siège et se contenta d’une contribution de guerre de trente mille pièces d’or. Fakhr ed-din put rentrer alors dans sa capitale et mit tous ses soins à effacer les maux que la guerre lui avait fait souffrir. En 699 (1299), il répara les fortifications et les ouvrages avancés de la ville ; [64] il bâtit deux bastions hauts de quatorze guez et séparés par un talus de six guez de large ; il fortifia aussi les abords de la place. Une vaste place qui s’étendait sous la forteresse fut destinée aux fêtes publiques et entourée d’un mur circulaire. Le roi fit construire dans le marché royal un couvent qui existe encore et répara la mosquée d’Abd Allah, fils d’Amir, ainsi que la mosquée nommée Tereh Parouschi, sur l’Amân-Kouh. Il établit sous les murs de la forteresse le grand marché qui porte encore le nom de marché royal. Tous les mois mille dinars étaient distribués aux pauvres et aux derviches et on leur donnait mille couvertures à l’entrée de l’hiver ; en outre, il ordonna que dix mille menn de pain et dix moutons seraient partagés chaque jour entre les pauvres. Ces mesures bienfaisantes le rendirent cher à la population et firent bénir son nom. L’an 700 de l’hégire (1300), il défendit aux femmes de se montrer en public, sous peine d’être promenées couvertes d’un voile noir dans les rues et marchés ; il proscrivit les pleureuses et les psalmodieurs du Coran dans les funérailles. Ceux qui s’adonnaient aux jeux de hasard furent exposés dans la ville la tête et la barbe rasées ; enfin, il ordonna que les ivrognes, après avoir subi la peine que la loi religieuse leur infligeait, seraient condamnés à travailler, le fers aux pieds, dans les tuileries de Herat. Les poètes et les savants eurent part aux générosités du roi, et Seïfi Héravi, qui composa quatre-vingts odes et cent cinquante roubaï (quatrains) en son honneur, dit, dans sa Chronique, que quarante poètes vivaient à sa cour.[65]
(701-1301) Le roi Fakhr ed-din alla réprimer la révolte de Hoçam ed-din, gouverneur d’Esfizâr. Ce chef mourut au moment où il allait être attaqué, et son fils Rokn ed-din concentra ses forces dans la citadelle de Doubâh. Le roi appela à lui plusieurs mercenaires mongols et trois mille Ghouriens que son frère lui amena ; il s’empara alors d’Esfizâr et tous ceux qui échappèrent à la mort furent envoyés dans les tuileries de Herat. Quant à Rokn ed-din, il se rendit, le mois suivant, auprès du vainqueur ; mais l’accueil amical qu’il en reçut ne calma pas ses appréhensions, et il chercha son salut dans la fuite ; son fils Izz ed-din fut gardé comme otage.
(703-1303) Khodabendeh, qui était fils d’Arghoun, fils d’Abaka, fils d’Houlagou, succéda à son frère Ghazân khan et prit en arrivant au trône le nom de Sultan Oldjaïtou. Le roi Fakhr ed-din fut mandé à la cour ; mais il trouva un prétexte pour éluder cette invitation. En 705 son père, le vieux roi Schems ed-din Mohammed Kurt, mourut dans la forteresse de Khaïçar où il s’était renfermé depuis de longues années, ainsi que nous l’avons raconté ; ses funérailles furent célébrées avec pompe dans la grande mosquée de Herat.
Le refus du roi kurt de venir saluer le nouvel empereur, et la méfiance que sa conduite passée inspirait à Sultan Oldjaïtou déterminèrent ce dernier à envoyer Danischmend Behadour avec dix mille cavaliers pour s’emparer de Fakhr ed-din et des Nigoudériens qu’il avait accueillis à Herat. En arrivant sur les bords du Herat-roud, Danischmend envoya en parlementaires Toutouk-Bela et Hindou-djak, qu’il chargea non seulement de réclamer les Nigoudériens et l’arriéré de l’impôt depuis trois ans, mais aussi d’exiger que le nom d’Oldjaïtou fut gravé sur le sceau de l’Etat et de la monnaie. Fakhr ed-din ne se laissa pas intimider par les menaces qui accompagnaient ces demandes et répondit par un refus formel. Danischmend Behadour mit alors en réquisition tous les chefs voisins et se prépara à l’attaque. Molla Vedjih ed-din Nésefi, qui était à cette époque grand juge de Herat et qui depuis longtemps exerçait un empire absolu sur l’esprit de Danischmend lui persuada qu’un blocus rigoureux le rendrait maître de la ville sans coup férir. En conséquence toutes les issues furent fermées par les Mongols, et la disette se déclara dans la capitale. Le roi ouvrit les greniers de réserve, épuisa son trésor pour nourrir la garnison et les habitants et, ranimant leur courage, il fit des sorties très meurtrières. Kotb ed-din Djeschti[66] se présenta à son tour parlementaire et lui dit : « L’émir Danischmend agit en vertu des ordres de Sultan Oldjaïtou, et peut lever le siège sans avoir obtenu un succès apparent. Mais l’affection qu’il a pour vous est le plus sûr garant de ses dispositions conciliantes ; consentez donc pour la forme à vous retirer pendant quelques jours sur le mont Aman, afin, qu’un fils de Danischmend prenne possession de Herat comme votre délégué, et rien ne s’oppose plus à la conclusion de la paix. »
Après bien des hésitations, Fakhr ed-din obtint par écrit la promesse que la vie et les biens des Heratiens seraient respectés ; [67] puis il se dirigea vers l’Amân-Kouh, non toutefois sans avoir laissé d’instructions secrètes à Djémal ed-din Mohammed auquel il avait confié la défense du château d’Ikhtiar ed-din. Danischmend Behadour entra à Herat par la porte Khosch. Frappé de la force de cette ville, il forma le projet de la démanteler, dispersa les postes d’observation et fit répandre de sévères proclamations parmi le peuple. Il somma Djémal ed-din de sortir du château, mais n’en obtint qu’un refus insolent et il l’aurait attaqué sur le champ si Molla Ved ed-din ne lui avait inspiré un autre stratagème. Le cheikh Kotb ed-din se présenta de nouveau chez le roi kurt, retranché sur l’Amân-Kouh, et lui dit : « L’émir Danischmend est sur le point de faire partir son fils Laghiri pour rendre compte au sultan de votre conduite soumise ; cependant Oldjaïtou ne manquera pas d’interroger cet envoyé au sujet du château d’Ikhtiar ed-din, et il est indispensable que Laghiri y soit admis avec faible escorte, afin de pouvoir répondre au sultan d’une manière satisfaisante. Ecrivez donc à Djémal ed-din de ne pas s’opposer à cette visite. Le roi céda aux insinuations du cheikh et lui remit une lettre à cet effet. Danischmend enchanté du succès de cette ruse, voulut visiter lui-même le château ; il y envoya ses deux fils Dhogaï et Laghiri avec quatre-vingts soldats d’une bravoure à toute épreuve et leur dit : « Dès que vous me verrez porter la main à mon arc, jetez-vous sur Djémal ed-din et garrottez-le lui et ses compagnons. Ensuite il se rendit au bain du Tchehar-sou et consulta sur le succès de son entreprise un Indien qui jouissait d’une grande réputation comme astrologue et géomancien. Cet homme eut beau lui représenter que ni la conjonction des astres, ni les lignes du reml ne donnaient une réponse satisfaisante, Danischmend, cédant aux instances du mollah, qui ne cessait de lui dire que ces sortes de présages étaient réprouvés par le Coran, déclara qu’il entrerait dans le château. De son côté, Djémal ed-din reçut les deux fils de Danischmend avec magnificence et leur offrit un festin, où le vin ne fut pas épargné. Un convive qui était sorti un instant de la salle du festin, aperçut quatre Ghouriens armés jusqu’aux dents, qui se tenaient en embuscade sur la plate-forme de la forteresse. Il vint faire part de sa découverte ; Djémal ed-din protesta hautement de son innocence et, prenant un bâton, il chassa ces quatre soldats : Danischmend n’hésita plus à pénétrer dans le château avec une escorte de cent quatre hommes. Djémal ed-din le reçut avec les marques du plus grand respect, lui tint l’étrier tandis qu’il descendait de cheval, et le conduisit jusqu’à l’escalier du grand salon (talâr). Danischmend posait le pied sur la première marche, lorsqu’un officier, nommé Tadj ed-din Yeldiz, après lui avoir baisé la main, le saisit par le collet et lui asséna sur le crâne un violent coup de massue ; un autre conjuré lui coupa la tête et la jeta par-dessus les murs du château.[68] Les Mongols de l’escorte, se voyant trahis, tirèrent leurs poignards et se précipitèrent sur les portes mais elles étaient fermées, et les soldats de Djémal ed-din s’élancèrent sur eux et les massacrèrent tous jusqu’au dernier ; puis ils envahirent le harem de Danischmend, le pillèrent et enlevèrent sa femme Schirin Khatoun et ses filles. (Septembre 1306.)
Cependant, Inaltekin, Toutouk et les autres officiers mongols, campés auprès du réservoir nommé Filbend, étaient plongés dans la plus grande sécurité, lorsqu’un Sédjestanien vint avertir le chef de Ferrah de ce qui se passait.[69] Aussitôt ils cherchèrent à s’évader par la porte de Firouz Abad ; mais ils durent en briser les chaînes afin de se réfugier dans la campagne. Djémal ed-din, quand le carnage fut terminé alluma un grand feu sur la plate-forme du château pour avertir le roi du succès de leur complot. Cependant Fakhr ed-din eut assez de prudence pour ne pas manifester la joie que cet événement lui inspirait ; il affecta au contraire de le déplorer, et écrivit à Djémal ed-din qu’il ne voulait prendre aucune part à la défense du château et de la ville, s’ils venaient à être attaqués. En effet, un fils de Danischmend, l’émir Bodjaï, qui était alors dans l’Asie Mineure, se préparait déjà à venger le meurtre de son père. En attendant, le blocus de Herat fut repris avec vigueur, et l’armée mongole, divisée en trois corps ; en surveillait toutes les issues. Après de longues négociations, dans lesquelles le cheikh Kotb ed-din Djeschti joua un rôle important, Schirin Khatoun, veuve de Danischmend fut mise en liberté. Cette princesse se vengea de son incarcération en faisant égorger deux cents prisonniers de guerre, et ordonna de massacrer tous les Heratiens qu’on trouverait à quarante farsakhs à la ronde. Cependant l’armée mongole, campée sous les murs de Herat depuis cinq mois, était continuellement décimée par les sorties que Fakhr ed-din, fortifié sur l’Amân-Kouh opérait avec sa petite troupe, lorsque l’arrivée de Bôdjaï changea cette situation, ainsi que nous le raconterons ailleurs.[70]
Au commencement du mois de chaban 706 (mars 1307), le roi Fakhr ed-din tomba dangereusement malade et il expira le 24 du même mois en proie à de cruelles souffrances. Sa mort plongea Herat dans une consternation profonde.
Ghyas ed-din, fils de Mélik Schems ed-din II, avait su par son heureux naturel et sa conduite soumise se concilier les bonnes grâces son père, qui se plaisait à lui prédire de brillantes destinées et le saluait comme futur roi de Herat. Cependant les débuts de sa carrière furent difficiles. Ala ed-din n’attendit même pas que son frère Fakhr ed-din Kurt eût rendu le dernier soupir pour s’emparer de ses trésors et commença à lutter sourdement contre Ghyas ed-din. Ce dernier, obéissant aux inspirations de la prudence, prétexta le désir de visiter l’Irak et se rendit à la cour d’Oldjaïtou. Il y fut bien accueilli d’abord et un ierligh lui conféra la souveraineté du Khorasan (oriental) jusqu’à l’Indus ; mais il fut ensuite jeté en prison par ordre de l’empereur, qui prêta l’oreille aux insinuations des ennemis de la dynastie des Kurt.[71] Enfin la mort de Fakhr ed-din, la prise de Herat et les représailles exercées par Bodjaï, fils de Danischmend calmèrent l’irritation d’Oldjaïtou, et Ghyas ed-din fut autorisé (707-1308) à retourner au siège de son gouvernement. Il consacra les premières années de son règne effacer, par sa justice et ses bienfaits la trace des maux qui avaient désolé Herat sous le règne précédent et à visiter les provinces soumises à son autorité.
En 710 (1310), plusieurs chefs mongols de l’armée du Khorasan, tels que l’émir Yeçaoul, Toukal, Khadjeh-Ala ed-din Hindou, Djémal ed-din Schah Mohammed etc. se rendirent à Herat Le roi chercha par ses caresses et ses prévenances à se concilier leur amitié, et il y réussit. Mais Ala ed-din Hindou, qui était d’un naturel envieux et méchant, profita du départ de ses collègues pour adresser, de concert avec Dildaï et Bodjaï, fils de Danischmend une longue lettre où ils représentaient Ghyas ed-din en traître qui se fortifiait dans ses États jusqu’à ce qu’il pût secouer l’autorité du sultan. On choisit le moment où Oldjaïtou était troublé par les fumées du vin, et l’on plaça sous ses yeux cette dépêche et d’autres lettres particulières que Hindou écrivait à ses amis. Le sultan conserva cependant assez de raison pour décider que le roi kurt viendrait se disculper en sa présence, et il ordonna, un de ses chambellans nommé Eutek, d’aller le chercher à Herat. Le roi obéit sans hésitation ; il confia le gouvernement à son oncle Schems ed-din Omer Schah Khondouri, donna le titre de vizir à Molla Naçir ed-din Obeïd Allah, celui de naïb es-salthanet à Schems ed-din Verneh puis il quitta Hérat le 19 du mois de rebi’ oul evvel 711 (août 1311). Oldjaïtou ne voulut pas recevoir l’accusé et chargea ses principaux conseillers de l’interroger. Le roi kurt démontra, dans un langage ferme et sincère que le respect et l’obéissance dus au padischah avaient toujours été le mobile de sa conduite ; que son but en fortifiant quelques places de guerre et en augmentant les cadres de son armée était de protéger les frontières de l’empire contre les ennemis du dehors et qu’enfin sa présence même la cour était la meilleure preuve de son innocence et de la fausseté d’accusations portées contre lui. Cette réponse calma la colère d’Oldjaïtou, mais il retint Ghyas ed-din en prison jusqu’à ce qu’il pût le confronter avec ses accusateurs. La cabale hostile au roi kurt mit à profit ce délai, et les deux fils de Danischmend, qui étaient demeurés dans la province de Herat, ne cessaient d’y commettre toute sorte de désordres afin de pousser les habitants à la révolte.
La Providence déjoua toutes ces intrigues. Un des ennemis les plus acharnés du roi kurt, son frère aîné Ala ed-din, mourut sur ces entrefaites. L’an 714 (1314), les princes de l’Olous Douakhâni traversèrent l’Oxus avec cinquante mille cavaliers, marchèrent sur Fariâb et vinrent camper à Mourghâb. L’émir Yeçaoul qui commandait l’armée mongole forte de quatre-vingt mille hommes, s’avança avec Dildaï et Bodjaï jusqu’à cinq farsakhs (25 kilomètres) de l’ennemi, et déclara, qu’il l’attaquerait dès le lendemain. Mais une terreur panique dispersa son armée, et ces trois généraux s’enfuirent en laissant un riche butin aux princes Douakhâni. Tandis que la guerre délivrait ainsi Ghyas ed-din de ses plus dangereux adversaires, la généreuse coopération du scheik Nour ed-din Abd er-Rahman Esferaïni lui donnait deux auxiliaires puissants. Ce cheikh étant à Bagdad, où le sultan avait fixé sa résidence pendant cette année, reçut la visite des deux ministres les plus influents, Reschid ed-din, et Tadj ed-din Ali Schah. Il profita de cette circonstance pour leur retracer la conduite basse et perfide des ennemis de Ghyas ed-din, les troubles qu’ils avaient suscités dans le Khorasan, et finit par les convaincre de la nécessité d’une réconciliation entre le sultan et Ghyas ed-din Cette intervention eut un plein succès, et peu de jours après le roi kurt reçut un rescrit impérial qui lui rendait, avec la liberté, le pouvoir sur toute partie du Khorasan située entre l’Oxus et les frontières de l’Afghanistan.[72]
Le lendemain, dès qu’il eut prêté serment en présence de tous les grands, il obtint une audience solennelle, et après avoir pris congé du sultan, qui le combla d’honneurs et de présents, il rentra à Herat l’an 715 (1315). Son retour inaugura une nouvelle ère de prospérité, et la paix la plus profonde régna dans toute la contrée. En 716, le roi kurt marcha contre un chef nigoudérien, nommé Ardji-béla, qui, du Kouhistân, avait pénétré dans le Guermsir avec mille aventuriers. Il dispersa facilement cette troupe et revint à Herat chargé de butin.
La même année fut signalée par un événement plus important. Le prince Yaçaour, maître des pays au delà de l’Oxus se prépara à passer ce fleuve et fit demander préalablement une entrevue à l’émir Yeçaoul, en promettant de reconnaître l’autorité de Sultan Oldjaïtou. Yeçaoul accompagné des principaux chefs du Khorasan, parmi lesquels se trouvait le roi kurt, traversa l’Amouyeh et trouva Yaçaour aux prises avec le prince Kepek et l’aida à triompher de cet ennemi. Les chefs khorasaniens se retirèrent alors à Badeghis, Thous et Nischapour, et Ghyas ed-din retourna à Khaïçar. Quant à Yaçaour, il resta campé avec son armée entre Schoubroughân et Mourghâb, et il obtint bientôt après de Sultan Oldjaïtou l’investiture des provinces comprises entre le Mazandéran et l’Oxus. Il invita alors Ghyas ed-din à venir le trouver ; mais le roi, redoutant un piège, éluda poliment cette invitation, sous prétexte qu’il avait juré à Oldjaïtou de ne voir aucun souverain étranger sans son autorisation. La suite prouva combien cette conduite était prudente. En effet, l’émir Yeçaoul demanda à Yaçaour la main de sa fille, et, après avoir prélevé avec toute sorte de violences une somme de trois cent mille dinars[73] sur l’impôt du Khorasan, il se dirigea pendant le mois de moharrem 717 (mars 1317) vers le camp du Schah. On persuada sans peine à Yaçaour que cette démarche cachait un complot et que Yeçaoul prenait ses dispositions pour l’attaquer. En conséquence ordre fut donné à Bektout[74] de s’emparer de l’émir, cet officier commença par faire prisonnier Doghaï, fils de Danischmend, qui accompagnait Yeçaoul. Ce dernier, comprenant tout le danger de sa situation, s’enfuit avec précipitation et laissa son riche bagage à la merci des princes Douakhâni. Cinquante cavaliers conduits par Mubarek Schah, fils de Bodjaï, se mirent à sa poursuite et l’atteignirent non loin de son camp. Yeçaoul, qui n’avait avec lui qu’une trentaine de soldats, fut tué après une lutte désespérée et ce meurtre soumit le Khorasan au joug de Yaçaour. (Mars 1317.)
Ce prince conduisit alors son armée sur les bords du Herat-roud, non loin de Gazurgâh mais il ne voulut pas entrer dans Herat, en disant que cette ville avait été fatale à tous les rois qui avaient pénétré dans son enceinte. Le roi kurt, bien que peu flatté d’avoir un tel voisin, envoya son fils Mélik Hafiz le complimenter, et les assurances de la plus sincère amitié furent échangées de part et d’autre. Cependant la présence de cette armée aussi nombreuse qu’indisciplinée, faisait naître chaque jour des scènes de pillage dans la campagne de Herat, et quoique, sur la demande du roi, Yaçaour eût établi un cordon de troupes autour des terres ensemencées, la population ne respira que lorsque le schahzadeh transporta son camp à Badeghis.
Telle était la situation du Khorasan, lorsque la mort de Sultan Oldjaïtou fit passer la couronne, sur la tête de son fils Abou Saïd Khan.[75] Le premier soin du nouveau sultan fut de conclure avec Yaçaour et les princes de l’Olous Douakhâni un traité d’alliance offensive et défensive. Mais, au début de l’année suivante (718-1318), le roi Ghyas ed-din fut informé, par les chefs de Ghiznin et du Guermsir, que depuis deux mois Yaçaour engraissait ses chevaux, et qu’il préparait une formidable attaque contre le Khorasan. Ghyas ed-din transmit cette nouvelle aux chefs de cette province et les invita à se tenir sur leurs gardes. Presque aussitôt, Djouki, fils de Yaçaour, arrivait à Djescht avec un corps d’armée, et sommait Ghyas ed-din de réunir son contingent à l’armée des princes Douakhâni. Le roi ne négligea rien pour effrayer ces princes sur l’issue de la lutte qu’ils allaient entreprendre et leur refusa sa coopération : « Soumettez d’abord, leur écrivait-il, le Khorasan tout entier, enlevez toutes les forteresses de ce pays jusqu’au Mazandéran, dispersez l’armée impériale, et alors vous me verrez dans votre camp. Djouki, comprenant que la fidélité du roi ne saurait être ébranlée, s’éloigna momentanément de Herat et se rendit à Djam sous prétexte de visiter le saint mausolée de cette ville. Cependant les chefs du Khorasan, malgré les messages de Ghyas ed-din, ne pouvaient croire que Yaçaour osât rompre le traité, et ils oubliaient au sein des plaisirs le danger qui les menaçait. Ils ne sortirent de leur sommeil que lorsque Yaçaour, pénétrant au cœur du Mazandéran, envoya Bektout à Dameghàn, fit, mille prisonniers et revint à son campement de Kara-tepeh avec un immense butin. La défense commença alors à s’organiser, et les villes se fermèrent à l’approche de l’ennemi. Le cheikh Schebab ed-din Ismail Djâmi donna le noble exemple de la résistance en refusant d’ouvrir les portes de Djam aux princes qui ravageaient les environs. Le roi Ghyas ed-din, que ses espions instruisaient de tout, envoya des informations exactes à la cour d’Abou Saïd, et l’émir Djoubân, en le remerciant au du sultan, lui annonça le départ de Hussein avec une armée considérable, et le chargea, de seconder les opérations de ce général en harcelant l’ennemi par des escarmouches incessantes. Par suite de cet ordre plusieurs régiments de l’armée de Herat pénétrèrent par surprise dans Badeg enlevèrent les femmes et les enfants de Mubarek Schah, ainsi que le harem de Bektout, et rentrèrent dans Herat avec cette précieuse capture. Yaçaour, employa, d’abord la douceur pour obtenir la restitution de ces prisonniers, et, ne pouvant y parvenir, il envoya Mubarek Schah et six mille cavaliers contre Herat avec ordre de ne pas faire de quartier. Ghyas ed-din, informé que Yaçaour ne tarderait pas à se présenter avec le gros de son armée, ordonna aux paysans de la banlieue de se réfugier dans la citadelle de Herat avec leurs bestiaux et leurs récoltes, puis il fit ravager la campagne. Mubarek Schah, ne trouvant qu’un désert, dut se replier sur la vallée de Pashtan, où il se tint en embuscade. Le mercredi 15 safer 719 (mars 1319), il enveloppa le bourg de Beloudjân, tandis qu’avec sa cavalerie il soutenait le choc de l’armée heratienne ; mais il perdit le bétail qu’il avait enlevé à Beloudjân et fut repoussé avec perte jusqu’au bourg de Kourkh ; Yaçaour lui envoya alors un renfort de dix mille hommes commandés par Bektout et Sulthan. Ces généraux arrivèrent sous les murs de Herat le vendredi 5 rebi oul evvel (avril) de la même année, et dès la première rencontre ils subirent un grave échec. Le cheikh (Abou) Ahmed Djeschti se présenta chez Ghyas ed-din de la part de Bektout et chercha par les plus séduisantes promesses à obtenir la mise en liberté des femmes et des enfants de Mubarek Schah.
Dites à Bektout, répondit le roi, que, lors même qu’il aurait avec lui toutes les armées de la terre, je ne lui rendrais pas un seul de mes prisonniers ; ma confiance est en Dieu. Sachez d’ailleurs que le lendemain du jour où Yaçaour sera obligé de se réfugier dans le Guermsir, je vendrai ces prisonniers aux Sedjestaniens et l’argent que j’en retirerai sera consacré à l’approvisionnement de ma capitale. » Cette réponse exaspéra les généraux mongols et ils se ruèrent avec toutes leurs forces sur la porte de Firouz-Abad et Derb-Khosch. Ghyas ed-din se porta dans ce quartier, et, après un combat sanglant, les rejeta de l’autre côté du pont de Rikineh. On raconte que cinq soldats de la garnison de Herat défendirent pendant plusieurs heures cette tête de pont contre sept cents cavaliers, et ne lâchèrent pied que lorsque Mubarek Schah arriva avec des troupes fraîches. Deux de ces héros, Cheikh Ali et Musafir Schekibâni périrent dans la lutte. Pendant ce temps le roi kurt était aux prises avec les trois mille soldats de Sulthan. Ce général essaya de tourner l’armée de Herat par le pont de Dereh-Kara ; mais son cheval fut tué sous lui et Sulthan tomba dans le canal, où il aurait péri sous les flèches de l’ennemi, si ses soldats n’étaient venus le tirer de cette position critique. Le lendemain, Bektout ouvrit les écluses dans la campagne et envoya encore le cheikh Ahmed auprès du roi kurt, avec menace de détruire tous les travaux d’irrigation, s’il persistait dans son refus. Ghyas ed-din ne se laissa pas ébranler, et le cheikh retournait transmettre sa réponse à Bektout quand il vit, avec la plus profonde surprise, que l’armée mongole avait disparu, Ghyas ed-din, ne pouvant croire à la possibilité d’un événement si heureux, poussa une reconnaissance dans les environs et apprit que l’émir Yaçaour, alarmé par la nouvelle de la marche rapide de l’armée impériale, avait rappelé le contingent de Bektout.
Mais Yaçâour ne tarda pas à savoir par une source plus exacte que cette armée ne pourrait se mettre en mouvement avant deux mois, et il n’hésita plus à envahir l’Irak ; il confia son avant-garde à Bektout et à Mubarek Schah, et vint lui-même camper dans le bocage de Neschourân. Ghyas ed-din doubla les postes gardés par la garnison et se prépara avec ardeur à une nouvelle lutte, malgré les sollicitations de ses officiers, qui le pressaient d’entrer en arrangement. Loin de là ayant remarqué que Yaçaour avait planté son pavillon sur l’Amân-Kouh, Ghyas ed-din, en signe de défi, plaça sur la plate-forme du château celui que Sultan Ahou Saïd lui avait donné. Lorsque les deux armées en vinrent aux mains, Yaçaour, au plus fort de la mêlée, aperçut le pavillon du roi kurt et s’écria : « Voyez avec quelle insolence ce Ghourien ose se comparer aux fils de Djenghiz Khan ! » Il n’avait pas achevé ces paroles qu’une flèche vint tomber à ses pieds, et ses soldats, effrayés du danger que courait leur chef, durent reculer sa tente. Les Heratiens, enhardis par ce mouvement de retraite, se portèrent en avant, et le combat se poursuivit jusqu’au soir avec des chances diverses. Il recommença le lendemain, et pendant dix jours, avec le même acharnement. Enfin Yaçaour, convaincu de l’inutilité de ses efforts contre une ville aussi puissante, ravagea les environs, détruisit les villages et les châteaux, et, après une dernière et inutile démarche en faveur des prisonniers de Badeghis, il se retira avec ses quarante mille hommes dans le Guermsir. Ghyas ed-din, suivi de plusieurs chefs du Khorasan qui étaient accourus son appel, poursuivit l’ennemi jusqu’à Meidân-Zérir et massacra deux cents traînards, ainsi que leur chef, nommé Karadjah.
Mélik Kotb ed-din Esfizâri n’avait jamais dissimulé la haine que lui inspirait le roi kurt. Non content de combattre dans l’armée de Yaçaour, il semait l’or parmi les conseillers de Sultan Abou Saïd afin d’être investi du district d’Esfizâr, et, ne pouvant y réussir, il avait obtenu de Ghyas ed-din le titre de commissaire (moubaschir) dans cette contrée. Lorsque Yaçaour fit occuper le district d’Esfizâr par un corps d’armée de cinq mille cavaliers, Mélik Kotb ed-din noua des intelligences avec lui et finit par se révolter ouvertement contre le roi kurt. Il s’enferma avec sa famille et ses partisans dans la citadelle, puis il chargea un ses officiers nommé Schadi, de surprendre la forteresse d’Abkal mais ce complot fut déjoué par la vigilance du commandant de cette place. Cependant Émir Ali Khototaï, qui gouvernait Esfizâr au nom du roi kurt, mit le siège devant la citadelle où Kotb ed-din s’était retranché, ce dernier fit connaître sa position critique à Inaltekin, chef de Ferrah, et en obtint la promesse d’un renfort de dix mille soldats. Sur ces entrefaites, le roi de Herat arriva à un farsakh d’Esfizâr avec une nombreuse armée. Afin d’éviter l’effusion du sang, il chercha d’abord à parlementer avec son adversaire ; mais il comprit que les mesures pacifiques échoueraient, et il investit complètement la citadelle d’Esfizâr. Inaltekin arriva presque en même temps avec le renfort promis ; mais il fut si effrayé d’avoir été devancé par le roi kurt, qu’il retourna aussitôt à Ferrah, et ne laissa que quatre mille hommes dans ces parages. Ghyas ed-din, sans perdre du temps, attaqua et mit en fuite facilement cette troupe, qui n’avait plus de chef. Les fugitifs se dispersèrent dans les montagnes voisines, et deux mille d’entre eux, exténués de fatigue et mourants de faim, furent faits prisonniers. Ghyas ed-din ordonna de les exposer, chargés de chaînes sous les murs de la citadelle, afin d’intimider les rebelles. En effet, ce spectacle découragea les partisans de Kotb ed-din ; la discorde se mit dans leurs rangs, et ils finirent par se rendre à discrétion. Kotb ed-din et son fils, Khosrou furent gardés à vue dans le camp ; un grand nombre de leurs complices périrent dans les tourments, et le reste fut amnistié à la prière de plusieurs cheikhs vénérables. Le roi kurt donna le gouvernement d’Esfizâr à son neveu Mohammed (fils d’Alâ ed-din), auquel il adjoignit en qualité de naïb ; puis il rentra à Herat. Kotb ed-din fut jugé au Mehkemeh, condamné à une forte amende et à la peine du bâton, supplice qu’il subit au milieu du Tchehar-sou. Plusieurs autres rebelles furent envoyés dans les tuileries de Herat. Au mois de chaban de la même année, Sultan Abou Saïd reçut Molla Nacir ed-Dîn qui était venu lui annoncer l’heureuse issue de la campagne contre Yaçaour et Kotb ed-din Esfizâri. Abou Saïd témoigna la satisfaction que lui donnait la conduite fidèle de Ghyas ed-din en lui transmettant, par son envoyé, un cadeau de cinquante mille dinars et un diplôme qui exemptait Hérat d’impôts pendant trois ans, et ajoutait à cette province les possessions de Mohammed Kâfi, de Kotb ed-din Esfizâri, de Ferrokh-Zad Touleki et d’autres partisans de Yaçaour.
Malgré ses préoccupations politiques et les guerres ruineuses dans lesquelles l’entraîna la rivalité des princes mogols, le roi Ghyas ed-din dota sa capitale de splendides et utiles monuments. La mosquée de Herat, qui avait été négligée depuis le règne de Mohammed, fils de Sam Ghouri, et qui commençait à tomber en ruines, fut réparée par d’habiles architectes et devint plus magnifique qu’elle ne l’avait jamais été.[76] On bâtit, au nord de la citadelle, une grande salle de réception (barguiâh) d’un style élégant et hardi ; des peintres célèbres furent chargés de l’ornementation. Sur le mur occidental, ils représentèrent l’armée victorieuse de Sultan Abou Saïd ; sur le côté opposé, on voyait le schahzadeh Yaçaour abattu et défait au milieu d’un monceau de cadavres. Cette scène d’heureux augure ne tarda pas à se réaliser, comme on le verra bientôt Parmi les autres embellissements dus à Ghyas ed-din, il faut citer encore des bains somptueux dans le voisinage des fossés de la citadelle, deux caravansérails, et un bazar, qui, partant de la citadelle, aboutissait au Tchehar-Sou ; un vaste couvent près du jardin blanc (une citerne et un caravansérail non loin de la mosquée Tereh-Furouschi. Outre ces monuments, dont plusieurs existent encore, un grand nombre de villes et de forteresses reçurent de notables améliorations sous ce règne. L’année 720 (1320) ne fit qu’accroître la puissance du roi kurt. Indépendamment de la prise de certaines places du voisinage, comme Zerreh, Niaz-Abad et Barin Abad, il fut délivré du prince Yaçaour, ce mortel ennemi de la famille kurte. A diverses reprises, Ghyas ed-din avait averti l’émir Kepek que Yaçaour se préparait à envahir le Khorasan et l’avait pressé de conjurer l’orage. Kepek, après avoir hésité longtemps, se décida à mettre sur pied quarante mille hommes, et concerta ses opérations avec émir Hussein, général en chef de l’armée impériale dans le Khorasan mais la coopération de ce général et de Ghyas ed-din devint inutile. En effet, lorsque Kepek fut arrivé à deux farsakhs du camp de Yaçaour, il se créa des intelligences parmi les principaux officiers de l’ennemi et les gagna sans peine à sa cause aussi Yaçaour eût beau combler ses soldats de cadeaux ou de promesses, lorsqu’on, en vint aux mains, ses généraux l’abandonnèrent. Bektout, le plus ferme soutien de son armée, fut tué, et Yaçaour s’enfuit à toute bride avec un petit nombre de cavaliers ; mais il fut atteint et tué, lui et les siens, par la cavalerie ennemie. Cette nouvelle fut saluée dans le Khorasan comme le signal d’une ère de paix et de repos. Le contingent de Hussein rentra dans ses foyers, et le roi Ghyas ed-din fut récompensé par de nouveaux honneurs. Avant de rentrer à il assiégea Toulek, dont le gouverneur Ferrokh-Zâd avait pris le parti de Yaçaour. Après une faible résistance, ce rebelle sortit au-devant du roi en portant sur son cou, en signe de soumission, un cimeterre et un linceul. Il subit le même sort que Kotb ed-din Esfizâri, et le gouvernement de Toulek fut donné à Seradj ed-din Omar.
La tranquillité rendue au Khorasan, le roi Ghyas ed-din put enfin réaliser un de ses plus chers projets et accomplir le pèlerinage de la Mecque ; il laissa donc la régence[77] à son fils Schems ed-din Mohammed et sortit de sa capitale, accompagné de plusieurs émirs, au mois de redjeb (juillet 1326) ; son cortège fut grossi en route par tout ce que les villes principales qui étaient sur son passage comptaient de cheikhs et de docteurs. A Bagdad, il reçut l’étoffe de soie (mahmil) et le titre d’émir el-hadj. Il arriva ainsi à la Mecque entouré de la considération générale. Après avoir terminé les cérémonies d’usage, il se rendit à Médine, laissa d’abondantes aumônes aux deux villes saintes, et retourna à Herat avec la même pompe et la même sécurité. Le roi Ghyas ed-din mourut dans le courant de l’année 729 (1328-1329).
Son fils aîné Mélik Schems ed-din, qui lui succéda, était un prince doux et instruit ; mais il avait un penchant si prononcé à la débauche, que, pendant les dix mois[78] que dura son règne, il ne passa pas un seul jour sans s’enivrer. Il mourut en 730 et laissa le trône à son frère Mélik Hafiz. Ce jeune roi, qui était remarquable par la beauté de sa physionomie et son talent d’écrivain, n’avait aucune des qualités nécessaires à un souverain. Les Ghouriens, profitant de sa faiblesse, s’immiscèrent dans le gouvernement, et l’anarchie désola Herat et toute la province. Mélik Hafiz périt en 733-1133 de la main de ces usurpateurs.
La mort de Sultan Abou Saïd[79] et les querelles qui éclatèrent entre les compétiteurs au trône plongèrent le Khorasan dans de nouveaux troubles, et la principauté de Herat en aurait cruellement souffert si les mesures énergiques que prit Mo’ezz ed-din, dès son avènement au trône, n’avaient promptement étouffé l’incendie. Grâce sa vigueur et à sa justice, les rebelles, qui s’étaient emparés de l’autorité sous les deux règnes précédents, rentrèrent dans le devoir, et la population paisible, que la guerre civile avait chassée de Herat, retourna dans ses foyers. Mais la paix fut bientôt troublée par l’agression des Serbédariens de Sebzevar, qui avaient pris pour chef l’émir Abd er-Rezzaq Beïhaqi, l’an 737. Disciple du cheikh Haçan Djouri, cet émir, poursuivi comme meurtrier d’un reis important, s’était entouré d’une troupe de gens perdus de crimes qui avaient juré de combattre sous ses ordres et de se défaire de tous les agents du gouvernement ou de porter leur tête au gibet (ser-bè-dar). Telle est l’origine que l’on donne généralement à leur nom de Serbédariens. Abd er-Rezzaq s’empara de Sebzevar, et il allait étendre au loin sa domination, lorsqu’il périt assassiné, à la suite d’une querelle par son propre frère Vedjih ed-din Meç’oud (12 zilhiddjeh 738, juillet 1338). Ce dernier, voulant se faire pardonner le crime auquel il devait le pouvoir, et accroître le nombre de ses partisans, s’empara par un hardi coup de main de la citadelle de Yazer, et délivra le cheikh Haçan Djouri, que l’émir Arghoun Schah, alarmé par ses ardentes prédications, retenait prisonnier depuis longtemps. Les disciples du cheikh, qui prenaient la qualification de derviches (et leurs descendants sont encore connus sous ce nom), n’attendaient que cette occasion pour faire cause commune avec Vedjih ed-din. Maîtres de Sebzevar et de Nischapour, les Serbédariens ne doutèrent plus que le Khorasan entier ne fût pour eux une conquête facile, et ils se préparèrent à attaquer Mélik Mo’ezz ed-din ; mais le roi kurt, effrayé de leurs progrès, ne leur laissa pas le temps d’envahir ses États, et, après avoir réuni à son armée les contingents du Ghour, de Khaïçar, les Sindjariens (du Seïstân) et les Nigoudériens, il sortit de Herat s’avança jusque dans le canton de Zaveh, qui dépend de Nischapour. Une bataille sanglante fut livrée en cet endroit, et la fortune sembla se déclarer d’abord en faveur des Serbédariens ; déjà les plus braves généraux du roi kurt avaient perdu la vie, et l’armée de Herat commençait à se débander, lorsque le roi qui se tenait avec sa garde sur une éminence, fit sonner la charge et déployer les étendards, puis se mettant à la tête des fugitifs, il le ramena au combat. La lutte recommençait avec une nouvelle ardeur lorsque le cheikh Haçan, qui avait voulu prendre part à l’action, tomba sous le poignard d’un de ses propres disciples. Cette nouvelle se répandit promptement parmi les Serbédariens et, malgré les efforts de Vedjih ed-din, ils furent saisis d’une panique soudaine et s’enfuirent dans toutes les directions. L’armée du roi kurt les poursuivit avec vigueur, et la plupart de ces infidèles furent égorgés ou faits prisonniers. Parmi ces derniers se trouvait l’émir Ibn Yemin, qui fut épargné à cause de son talent poétique. Après cette éclatante victoire, Mo’ezz ed-din rentra dans Herat avec un riche butin.[80] Cette expédition ayant assuré au roi kurt la possession du Kouhistân, il consolida son triomphe en soumettant les districts de Schoubroughàn et d’Endekhoud ; puis il surprit dans Badeghis les chefs des tribus Erlat et Eperdi (Aïbirdi), les dispersa, et construisit deux colonnes avec les têtes des prisonniers, qu’il fit décapiter ; ces colonnes, placées de chaque côté du Khiabân (voyez 1er article, p. 480)., dans le voisinage du tombeau de Fakhr ed Razi, sont encore debout aujourd’hui.
A la même époque, l’émir Kazghân, un des principaux chefs de l’olous de Djenghiz Khan, disputait la Transoxiane au prince Kazân Khan et finissait par triompher de son rival.[81] Le roi Mo’ezz ed-din jugea le moment favorable pour se rendre indépendant et il se fit rendre les honneurs royaux, tels que les cinq fanfares (nôobet) et d’autres prérogatives de ce genre ; mais ses ennemis, c’est-à-dire les chefs qu’il avait vaincus à Badeghis, s’empressèrent, de concert avec les cheikhs de Djam, de dénoncer ses projets ambitieux à l’émir Kazghân. Ce prince manifesta une vive indignation et jura de punir sur le champ cet insolent tadjik ; il réunit à Balkh toutes les troupes campées entre Endekhoud et Kachgar et les conduisit contre Herat. Le roi kurt, informé de son approche par un de ses officiers, qu’il avait envoyé en éclaireur jusqu’aux rives du Mourghâb, prit à la hâte ses dispositions. Mettant les derrières de son armée sous la protection de la citadelle, il traça un camp retranché du nord à l’est de la ville, depuis Kehdistân jusqu’au village de Bouï-Mourgh, et en confia la défense à quatorze mille soldats. Bientôt arriva le fils de Kazghân avec Bian-Qouly, [82] Sitilmisch, Oldjaïtou et trente mille hommes qui occupèrent les hauteurs qui entourent Kazurgàh. Les dispositions prises par le roi kurt étaient fautives, car non seulement il était dominé par l’ennemi, mais ses soldats avaient le soleil en face et étaient aveuglés par les flots de poussière que chassait sur eux un violent vent du nord. Kazghân comprit tout l’avantage de sa position et donna aussitôt le signal du combat. L’armée de Herat, malgré des prodiges de valeur et l’exemple de son roi, qui combattait au premier rang, ne put tenir longtemps contre les Mongols, secondés par les avantages du terrain ; elle lâcha pied et rentra en désordre à Herat, non sans laisser un grand nombre des siens dans les canaux inondés par l’ennemi. Le roi kurt, de retour dans sa capitale, sut du moins racheter sa faute par l’énergie de sa défense, et, pendant quarante jours consécutifs, il déjoua les surprises et repoussa les assauts de l’ennemi. Le prince Kazghân prêta l’oreille aux conseils de ses officiers, qui l’invitaient à différer jusqu’à l’année suivante la prise de cette ville redoutable ; il se contenta donc d’un faible tribut et leva le siège, après avoir obtenu de Mo’ezz ed-din la promesse qu’il viendrait lui-même dans la Transoxiane pour conclure une paix définitive.
Les disgrâces qui accablèrent le roi kurt après le départ du prince mongol hâtèrent l’exécution de cette promesse, qui, de sa part, n’était peut-être pas entièrement sincère. Les Ghouriens, qui depuis longtemps formaient une faction turbulente et hostile, [83] cherchaient l’occasion de le détrôner en faveur de son frère Mélik Bakir. Un jour, le roi étant à la promenade, se vit entouré d’une troupe de Ghouriens dont les intentions lui parurent menaçantes ; il eut la présence d’esprit de leur montrer quelques Mongols qui étaient venus de Badeghis pour vendre des chevaux, et leur conseilla de piller ces marchands. Profitant du désordre qui en résulta, il sortit précipitamment de Herat et se réfugia sur l’Amân-Kouh ; là il apprit que Mélik Bakir venait d’être proclamé roi, et il n’hésita plus à se rendre dans la Transoxiane. Lorsqu’il arriva sur les frontières de cette contrée, il rencontra le prince Kazghân, qui chassait avec ses familiers ; aussitôt il mit pied à terre, et, suivi de deux domestiques, il aborda le prince avec assurance. Kazghân l’embrassa et lui dit : « Ami ou ennemi, tu es toujours un homme de cœur. » Lorsque le roi l’eut informé du complot qui l’avait chassé de Herat, Kazghân chercha à le consoler et lui promit de le ramener triomphant dans ses Etats ; mais les officiers du prince mongol virent avec un secret dépit la faveur dont Mo’ezz ed-din était l’objet, et ils résolurent de le tuer, persuadés que le meurtre d’un étranger ne pouvait les exposer à un châtiment rigoureux. Kazghân devina leur dessein ; il en instruisit son hôte et l’invita à se dérober par la fuite à un danger contre lequel il était impuissant à le défendre. Mo’ezz ed-din s’enfuit cette nuit même sur un excellent cheval que le prince lui donna, et retourna à Herat à marches forcées. Il y entra sans être reconnu, pénétra dans la citadelle, se fit acclamer par ses partisans et ordonna d’arrêter son frère Mélik Bakir. Ce jeune prince, qui, pendant son règne si court, n’avait été que le jouet de ceux qui l’avaient porté au pouvoir, fut exilé dans le Fars et y demeura jusqu’à sa mort. Dès que Mo’ezz ed-din fut remonté sur le trône, il envahit le Kouhistân, dont le chef était Sitilmisch Beig. Ce dernier, trop faible pour repousser l’armée du roi kurt, demanda du secours à l’émir Mohammed Khadjeh. Ce chef, qui possédait Endekhoud, Schoubroughân[84] et toute la Bactriane jusqu’aux rives de l’Amouyeh, saisit avec empressement cette occasion de se défaire d’un voisin trop puissant, et, quittant le littoral de l’Oxus, il conduisit son armée à Badeghis, où il opéra sa jonction avec Sitilmisch. Mo’ezz ed-din sortit de Herat avec toutes ses forces et rencontra l’ennemi à Firamourzân, localité située sur la route de Sérakhs. L’action était à peine engagée lorsque Sitilmisch et Mohammed Khadjeh, n’écoutant que leur courage, s’avancèrent jusqu’aux avant-postes des Heratiens. Deux flèches, dirigées par l’archer du destin, vinrent les frapper en même temps, et leurs troupes, saisies de terreur, s’enfuirent en désordre.[85] Après cette victoire, remportée presque sans coup férir, le roi revint à Herat, où il reçut l’émir Tchakou, envoyé par Timour Gourekân (Tamerlan) pour sonder ses dispositions. Mo’ezz ed-din accueillit cet ambassadeur avec la plus grande déférence, et promit d’aller à Sérakhs pour y attendre Timour et conclure avec lui un traité d’alliance. Timour savait trop bien la part que les rois kurt avaient prise au meurtre de l’émir Nôr Danischmend et de Tchoupân pour se fier aux promesses de Mo’ezz ed-din ; mais il crut devoir dissimuler son ressentiment jusqu’à ce qu’une occasion favorable se présentât, et, afin de répondre au vœu exprimé par le roi, il envoya à Herat son propre fils Djihanguir, sous la conduite de Mubarek Schah Sindjâri. Peu de temps après, l’an 771 (1369), tandis que Timour, délivré de son ennemi, l’émir Hussein, chef de Balkh, s’emparait d’une couronne achetée par tant de victoires, le roi Mo’ezz ed-din fut atteint d’une maladie dont les progrès rapides déjouèrent les efforts des médecins. Sentant sa fin approcher, il convoqua en audience solennelle tous les chefs qui avaient reconnu son autorité, et leur fit prêter serment de fidélité à son fils Ghyas ed-din Pir Ali, qu’il leur désigna comme son successeur. Son autre fils Mélik Mohammed, dont la mère était de la tribu des Erlat, reçut la principauté de Sérakhs titre de fief. Mo’ezz ed-din fit jurer à son héritier Ghyas ed-din qu’il ne toucherait pas aux possessions de son frère et qu’il vivrait en bonne intelligence avec lui, puis il lui donna de sages conseils sur l’art de gouverner les hommes. « Si tu veux, lui dit-il en terminant, que ton autorité soit stable et respectée, conforme ta conduite aux règles de la justice et aux prescriptions de la loi religieuse car l’expérience du passé nous montre que Dieu et son saint Prophète n’ont jamais permis qu’un souverain injuste et impie régnât longtemps à Herat. Quand Mo’ezz ed-din eut rendu le dernier soupir, [86] son corps fut enterré sous la coupole septentrionale de la grande mosquée, près des tombeaux de Ghyas ed-din Mohammed, son père, et de Mohammed, fils de Sam, roi ghouride.
Le nouveau roi, fidèle aux recommandations de son père, fit tous ses efforts pour vivre en paix avec son frère Mélik Mohammed mais ce dernier se laissa séduire par de perfides conseils ; il supprima le nom du roi dans le prône (khotbah) du vendredi, et fit graver son propre nom sur la monnaie. Le roi Pir Ali, croyant voir dans ces menées l’indice de projets plus ambitieux, alla mettre le siège devant Sérakhs et en dirigea lui-même les opérations ; mais les rigueurs de l’hiver le forcèrent à l’interrompre ; il consentit donc à entrer en arrangement. Mélik Mohammed sortit de Sérakhs et eut avec le roi une entrevue, après laquelle les deux frères se séparèrent, réconciliés en apparence. D’autres embarras plus sérieux exigeaient d’ailleurs le retour de Mélik Pir Ali à Herat. Khadjeh Ali Moueyyed profitait de la puissance qu’il exerçait dans le district de Sebzevâr pour y propager les dogmes chiites, et faisait battre monnaie à l’effigie des douze imams. Le roi, l’instigation de plusieurs oulémas hanéfites, qui lui représentèrent que son devoir était de s’opposer aux progrès de cette secte, envahit pendant plusieurs années consécutives le district de Nischapour, gouverné par des agents dévoués à Khadjeh Moueyyed. La troisième expédition contre ce pays fut signalée par des rigueurs inouïes ; le roi fit dévaster les campagnes et les vergers, déraciner des arbres séculaires et ensabler les canaux. On lit à ce sujet l’anecdote suivante dans le Matla es-Saadeïn :
« Un jour, un paysan des environs de Nischapour fut pris et conduit en présence du roi kurt, qui, voulant connaître sa croyance religieuse, lui demanda : « Brave homme ! combien y a-t-il de dogmes fondamentaux dans l’islamisme ? » Le paysan lui répondit sans hésiter : « Sire, dans votre secte, l’islamisme repose sur ces trois dogmes : arracher les moissons des musulmans, combler leurs canaux et déraciner leurs arbres. » Cette réponse fit une telle impression sur Mélik Pir Ali qu’il ramena aussitôt son armée à Herat. Mais, l’année suivante (777-1375), il envahit de nouveau le territoire de Nischapour, réussit à s’emparer de cette ville et y laissa, en qualité de gouverneur, Iskander Scheïkhi, fils d’Afrasiâb Djelali. En 778, Timour envoya un ambassadeur à Herat afin d’y conclure un traité d’amitié et d’alliance. Le roi parut accueillir cette proposition avec joie, et, afin de prouver sa sincérité, il ordonna à son fils, Pir Mohammed, de se rendre au camp du prince tartare. En effet, ce jeune homme partit pour le Maverannahr et Timour le reçut avec bonté, le fiança avec sa propre nièce, Sevend-Kotlok Agha, fille de Schirin Beig et le congédia après l’avoir comblé de présents. Peu de jours après, cette princesse se mit en route pour le Khorasan ; le roi Pir Ali lui fit une réception splendide. Plusieurs arcs de triomphe, richement ornés furent élevés entre le Djouï-nou et le rond-point du grand bazar ; les fêtes nuptiales se prolongèrent pendant plusieurs jours, et le roi ne voulut laisser partir Émir Daoud et Moueyyed Erlat, qui avaient accompagné la princesse tartare, qu’après leur avoir prouvé, par de magnifiques présents, combien il était flatté de cette alliance. Mais l’entente qui régnait entre les deux souverains ne fut pas de longue durée.
Au mois de juin 782 (1380), un fils de Timour, l’émir Miranschah, alors âgé de quatorze ans, entra dans le Khorasan avec cinquante mille hommes et vint camper, jusqu’à la fin de l’hiver, sur les frontières de Balkh et de Schoubroughân. Dès le printemps suivant, Timour vint rejoindre son fils, et l’armée tartare s’avança du côté de Sérakhs. Mélik Mohammed, frère du roi kurt et gouverneur de cette ville, s’empressa de faire sa soumission et fut traité avec considération par Timour ; mais le roi Ghyas ed-din Pir Ali se prépara à la résistance et fortifia l’enceinte extérieure qui défendait Herat. Timour commença par couper la retraite au contingent de l’armée heratienne, qui était venue s’emparer de Nischapour, puis il passa le Mourghâb, entra dans Kousouyeh, gagna à sa cause le gouverneur, nommé Mehdi, et arriva à Taïâbâd. Le vénérable mollah Zein ed-din Abou Bekr, qui habitait cette bourgade, reçut la visite du vainqueur et lui tint un langage si ferme, que Timour ne put s’empêcher de dire : « Jusqu’à ce jour les cheikhs tremblaient devant moi ; aujourd’hui c’est moi qui tremble devant Abou Bekr. » La garnison de Fouschendj osa arrêter la marche de Timour ; mais après avoir lutté pendant une semaine, elle déposa les armes, et la citadelle fut rasée. L’armée tartare arriva alors sans obstacle devant Herat et cerna l’enceinte extérieure. Le roi kurt, confiant dans la force de sa capitale et le courage de se sujets, ne prit aucune mesure pour organiser la défense et chercha dans la débauche l’oubli du péril qui le menaçait. Les Tartares, après avoir fortifié leur camp, commencèrent l’attaque et ne firent aucun progrès pendant quatre jours ; mais quelques soldats intrépides, s’avançant du côté de Kieuschk-Mourghani, découvrirent un canal souterrain qui amenait l’eau dans la ville et s’y engagèrent. Le roi Pir Ali, qui s’était posté, avec l’élite de sa garnison, à la porte voisine de Pul-Endjil, ne put les repousser, et se replia dans la citadelle. Khalil Yeçaoul monta le premier à l’assaut, et, pénétrant dans la ville, il chassa les troupes qui défendaient les bastions et les remparts. Deux mille Ghouriens furent pris et menés devant Timour ; l’émir loua hautement leur courage, leur donna à tous une tunique et leur rendit la liberté en les chargeant de dire aux habitants qu’il ne leur serait fait aucun mal s’ils restaient tranquillement dans leurs demeures. Le roi, découragé, consentit alors à ce que sa mère Sultan Khatoun (fille de Thogaï Timour Khan), et son fils, Pir Mohammed allassent fléchir le vainqueur. Cette démarche eut un plein succès. Mélik Pir Ali se rendit donc à Baghé-Zaghân, [87] où Timour était campé ; il fut accueilli avec bonté et reçut une couronne et un vêtement d’honneur. Timour transporta son quartier général à Kehdistân pendant quelques jours ; il fit raser les fortifications de Herat de fond en comble, et s’empara des trésors amassés par les rois kurt. Les portes de bronze où étaient inscrits les noms et titres de ces souverains furent transportées à Schehré-Sebz enfin les mollahs Kotb ed-din et Nizam ed-din avec deux cents notables de Herat, furent conduits en otage à Kesch (moharrem 783, mars 1381). Emir Ghouri, autre fils de Mélik Pir Ali, s’était retranché dans la citadelle d’Iskeledjeh et paraissait prêt à vendre chèrement sa vie ; mais, sur l’ordre de son père, il abandonna cette place aux Tartares. Timour regagna ensuite Nischapour et Esferain, où il s’arrêta pour laisser reposer ses troupes, reçut l’hommage de tous les chefs du pays, et rentra dans la Transoxiane.
Après avoir passé l’hiver à Boukhara, Timour fut rappelé dans le Khorasan par la révolte des émirs Ali Beig et Véli Mazendérâni. Ce fut à la même époque qu’il assiégea Turschiz, défendue par Ali Sédid Ghouri, qui tenait son autorité du roi kurt. Il fut si satisfait de la valeur que ce chef déploya pendant le siège, qu’après l’avoir forcé à se rendre, il le nomma intendant des places militaires situées entre le Turkestan et les frontières Kaschghar. Tout le Khorasan était désormais assujetti à Timour, et chacun des petits souverains de ce pays qui se trouvaient au camp fut autorisé à rentrer dans ses foyers. Cependant le roi kurt fut retenu prisonnier, et son fils Émir Ghouri allait recevoir le gouvernement de Herat, lorsque Timour, irrité du mauvais vouloir de ces deux princes, les fit emprisonner à Samarcande. Emirgah, fils de l’émir Timourgah fut nommé alors gouverneur militaire de la province de Herat.
L’année suivante (775-1373), Timour entra une troisième fois dans le Khorasan pour réprimer la révolte des Ghouriens. Voici ce qui avait donné lieu à ce désastre : deux fils du roi kurt Fakhr ed-din, nommés Mélik Mohammed et Abou Saïd, tramaient depuis longtemps une vie misérable. Lorsque Timour se fut emparé de Herat, ils lui représentèrent que Mélik Hussein les avait dépouillés de l’héritage paternel. Timour eut la faiblesse de les écouter ; il donna le gouvernement du Ghour à Mohammed et rendit la liberté à Abou Saïd, que Mélik Pir Ali retenait prisonnier depuis dix ans. Alors les deux frères, s’entourant d’aventuriers et de malfaiteurs, envahirent Herat, y commirent toute sorte d’excès, et forcèrent la garnison tartare à se retrancher dans la forteresse d’Ikhtiar ed-din La fatalité qui pesait sur notre malheureuse ville voulut qu’Emirgah, son gouverneur, fut enlevé par une maladie subite. Les factieux, apprenant cette nouvelle, se ruèrent sur la forteresse, amoncelèrent des matières combustibles devant la porte et y mirent le feu. Les soldats tartares, pour échapper aux flammes, sautèrent par dessus les murailles et furent égorgés sans pitié. Dès que Timour fut informé de cette sédition, il fit périr le roi Ghyas ed-din Pir Ali et son fils Émir Ghouri, puis il ordonna au schahzadeh Mirûn Schah, campé alors près du Mourghâb de marcher contre les rebelles, en promettant de le rejoindre promptement. Les Ghouriens sortirent à la rencontre de l’armée tartare jusqu’au Khiabân ; mais ils furent repoussés et rentrèrent pêle-mêle dans Herat. Timour y arriva presque en même temps (ramazân 775). Autant il s’était montré humain lors du premier siège, autant il fit preuve de cruauté en cette circonstance. Des milliers d’habitants de tout âge et de toute condition périrent dans les tourments ; ceux qui furent épargnés quittèrent une ville qui n’était plus qu’un monceau de ruines et moururent misérablement dans l’exil. Esfizâr, dont le gouverneur, Ali Daoud Khototaï, s’était révolté, subit le même sort. Ali Daoud fut brûlé dans sa maison et deux mille Esfizâriens furent enterrés vifs dans des puits de boue. C’est ainsi qu’un incendie, allumé par quelques misérables aventuriers, se propagea dans tout le Khorasan et dévasta ses deux plus riants districts ; c’est ainsi que l’ambition de deux fous coûta la vie à tant d’innocents et fit un aride désert d’une contrée qui était l’image du paradis. Nous appartenons à Dieu, et nous le supplions de prévenir le retour de semblables calamités !
[46] Et non neveu de Rokn ed-din, comme le dit Khondémir, faute d’avoir consulté la Chronique de Seïfi Héravi. L’assertion de notre auteur est confirmée par le passage suivant de Vassaf: « Abou Bekr, père du roi Schems ed-din avait chez les rois du Ghour le titre d’émir des Sipahsatar. »
[47] Selon quelques historiens, l’origine des rois kurt remonterait jusqu’au sultan seldjoukide Sindjar, fils de Mélik Schah. Cette généalogie très douteuse, mais propagée sans doute par la vanité des Kurt, est indiquée par l’auteur du Kurt Nameh au roi Fakhr ed-din:
Tu es la base de la famille de Sindjar; la perle de la couronne d’Alexandre.
La famille de Sindjar revivra en toi; la couronne d’Alexandre place en toi ses espérances.
[48] La prononciation locale est Kert, ainsi que M. de Khanikoff a bien voulu me l’apprendre; telle est aussi celle du baron C. d’Ohsson. Cependant, à défaut de preuves étymologiques. J’ai cru devoir adopter la prononciation Kurt comme étant le plus fréquemment employé en Europe.
[49] L’auteur emploie un mot qui du turc oriental a passé dans la langue persane avec le sens d’ennemi, rebelle. (Et. Quatremère, Histoire de Mongols de la Perse, p. 158.) On peut consulter sur les différentes significations de ce mot l’Histoire de la campagne de Mohaez, par M. Pavet de Courteille, p. 153)
[50] Païzeh. On en trouvera la description dans l’Histoire des Mongols de la Perse d’Et. Quatremère, p. 178, et dans le baron d’Ohsson t. IV p. 180.
[51] Ce nom parait altéré dans les manuscrits et il faut lire sans doute betikdji, titre donné par les Mongols nous l’apprend d’Ohsson, aux employés du département des finances chargés de la perception des impôts.
[52] D’après Yaqout, Moustebidj est une ville du Sind, à quatre journées de Quandabil et à sept journées de Bost, dans la direction de l’est. (Voyez notre Dictionnaire de la Perse, p. 534.)
[53] Il faut lire Kitou-Boka Nouyân avec l’historien Rachid ed-din.
[54] C’est-à-dire les habitants du Seïstân, ainsi que le dit Mouyin ed-din dans un autre passage de sa chronique (ms. 32). Il ne m’a pas été possible jusqu’à présent de remonter à l’origine de cette dénomination.
[55] Les Afghans désignent ainsi le lac Abistandeh, le seul qui se trouve dans l’Afghanistan; il est situé au sud sud-ouest de Ghazna; il a trois quatre milles de diamètre et augmente à peu près du double après la fonte des neiges; son eau est salée, Comme celle du Paltai et du Djilga, les deux principaux cours d’eau qui l’alimentent. (Voyez Conolly, t. II.)
[56] Cette leçon, quoique donnée par les deux manuscrits, est fautive et il faut lire Berkaï. Ce prince, fils de Djoutchi et par conséquent cousin de Houlagou, régnait sur le pays situé au nord de la mer Noire et de la mer Caspienne. D’après d’Ohsson, l’invasion de la Perse était dirigée par Nocaï qui fut défait près de la rivière Acsou. (Histoire des Mongols, III, p. 8.)
[57] L’historien Rachid ed-din écrit Touschin et Tischin, leçon suivie par d’Ohsson. Dans l’Histoire des Khans mongols, etc. publiée par M. Defrémery, d’après la Chronique de Khondémir (Journal Asiatique, 1842), du trouve Tebchin-Oghoul; mais, dans l’édition lithographiée de Téhéran, on lit clairement Bischin. Quoi qu’il en soit, ce prince était fils d’Houlagou et par conséquent frère d’Abaka.
[58] 677 (1278), selon Khondémir.
[59] Cette place, située à 200 kilomètres environ au sud-est de Herat, était la plus forte du Ghour. Au rapport de Mouyin ed-din Esfizâri (ms. 32) Djenghiz Khan, avant de l’attaquer, en fit lever plan exact, et, craignant d’y éprouver un échec, il en confirma la possession entre les mains de Rokn ed-din, père du premier roi kurt. La citadelle de Khaïçar existe encore au nord-est de Teïvèré, au pied du pic de Tchap-dalân sur un talus inaccessible. (Voyez Voyages de Ferrier, LII, p. 9).
[60] Khondémir ajoute qu’il lui donna en mariage sa propre nièce.
[61] Le ms. 33 écrit Soukaï. Nous avons adopté la leçon donnée par d’Ohsson d’après Rachid ed-din et Vassaf. Le même savant a raconté avec beaucoup de détails tout ce qui concerne la révolte de Nôrouz et la trahison du roi kurt (Histoire des Mongols, t. IV p. 179 à 190). Nous nous bornons à signaler ce passage. qui renferme quelques différences avec le récit de Mouyin ed-din.
[62] On trouvera dans l’Histoire des Mongols (t. IV, p. 175) un extrait de l’historien arabe Nowaïri qui prouve combien cette accusation était peu fondée.
[63] Ce prince, petit-fils de Tchagataï, était entré en Perse à la suite d’Houlagou et s’y était établi. Plus tard, quand éclata la révolte de Borak, il refusa de prendre parti pour ou contre ce prétendant; mais il fut défait par les troupes impériales près de Derbend (1169), et il se réfugia dans le Sedjestan. Ses artisans auxquels se joignirent plusieurs malfaiteurs qui infestaient la Perse orientale, prirent alors le nom de Nigoudériens ou de Karaouls. C’est sous ce dernier nom qu’ils sont désignés par Marco Polo (Voyages, liv. I, chap. xxii), qui faillit tomber entre leurs mains.
[64] Khondémir lui attribue la construction du château nommé Ikhtiar ed-din dont il a été question dans la première partie de ce travail sous le numéro de décembre 1860.
[65] Parmi tous ces poètes de circonstance, la postérité n’a conservé qu’un seul nom, celui de Rébi’y de Fouschendj, dont les destinées singulières méritent d’être rapportées comme l’image assez fidèle d’une existence à la cour de ces grands vassaux qui se disputaient l’Asie au xiiie siècle. Molla Sadr ed-din, dont le surnom poétique est Rébi’y, remplissait avec succès les fonctions de prédicateur à Fouschendj, lorsque Mélik Fakhr ed-din l’appela à Herat et le chargea de composer le Kurt Nameh sur le plan et selon le mètre du Schah Nameh. Rébi’y, qui recevait pour ce travail mille pièces d’or par mois et de riches cadeaux, se livra à de si scandaleuses orgies, que le roi s’en montra vivement irrité. Le poète, afin d’éviter le châtiment dont il était menacé, se réfugia dans le Kouhistân, auprès de Schah Ali, fils de Nasr ed-din Seistâni. Mais il se permit un jour une si violente sortie contre le roi kurt, que Schah ‘Ali lui mettant deux cents dinars dans la main, lui ordonna de s’éloigner sur-le-champ, et dit à ses courtisans, étonnés d’un ordre si rigoureux: « Rébi’y a reçu tous les dons de l’intelligence, mais non ceux du cœur; s’il déchire aujourd’hui celui qui pendant dix ans l’a comblé de bienfaits, croyez-vous que plus tard il épargnera mon nom? » Repoussé par le mépris public, le poète se réfugia à Nischapour, y vécut quelque temps d’une façon précaire et se rendit ensuite dans l’Irak. Le roi kurt, craignant qu’il ne fît usage de ses talents pour le décréditer aux yeux de l’empereur Oldjaïtou, lui écrivit dans les termes les plus flatteurs pour l’inviter à revenir à Herat. Rébi’y exigea une lettre de pardon signée de la main du roi, l’obtint et vint prendre sa place parmi les courtisans de Fakhr ed-din. Mais ce prince, qui pratiquait peu le pardon des injures, ne cherchait qu’une occasion favorable pour se délivrer d’un ennemi dont les satires étaient dans toutes les bouches; elle ne tarda pas à présenter. Rébi’y, qui s’abandonnait avec plus de liberté que jamais à ses habitudes de débauche, invita un soir quelques amis à un joyeux festin, où le vin coulait à grands flots. Mille fanfaronnades excitées par l’ivresse parmi les convives, lorsque leur imposant silence, Rébi’y s’écria: « Amis, si vous voulez me seconder, dans quelques jours je serai souverain de Herat ! » Cette proposition fut chaleureusement applaudie; on fit un simulacre de couronnement, et le héros de la fête distribua du haut de son trône des dignités et des grades. Mais un de ses domestiques, qui avait à se plaindre de lui, alla tout raconter à Fakhr ed-din. Les coupables furent appelés devant le roi; ils avouèrent tout, en alléguant pour excuse leur état d’ivresse. Mais le roi fut inflexible; les uns furent écorchés les autres eurent la langue et les oreilles coupées; Rébi’y fut jeté au fond d’un cachot. Pendant sa longue captivité, il composa plusieurs odes et masnavis en l’honneur du roi, sans pouvoir le fléchir. Nul ne sait ce qu’il devint depuis, et il est à présumer qu’il mourut en prison. (Extrait de la Chronique de Khondémir et du Heft iqlim.)
[66] C’est-à-dire originaire de Djescht on Tchescht, localité voisine de Herat (voyez le Journal Asiatique, décembre 1860, p. 486), nommée aujourd’hui Khadjeh-tchicht. (Voir la carte publiée par H. Kiepert, Berlin, 1852)
[67] C. d’Ohsson a pu d’après le Continuateur de Reschid ed-din, l’engagement réciproque qui fut rédigé en cette circonstance. (Ouvrage cité, t. IV, p. 501.)
[68] La date de ce meurtre a été conservée dans un chronogramme.
[69] Un Sédjestanien, ami d’Inaltekin, sortit sous le prétexte de porter un ordre de Mohammed Sam, et le prince de Férah lui ayant demandé si Danischmend Behadour avait fini son repas, il dit, dans la langue de son pays, qu’on avait donné à Danischmend le même régal qu’à Nevrouz. (D’Ohsson, ibid., p. 513.)
[70] Mouyin ed-din a rejeté au chapitre des faits divers le récit du siège de Herat par Bodjaï. Ce récit, écrit dans un style chargé d’images et de citations poétiques, n’occupe pas moins de 14 folios dans le ms. 32, fonds Gentil. Il a été résumé avec exactitude par Khondémir et nous nous bornerons à en reproduire les principaux traits d’après cet historien: « Bodjaï devait, en vertu des ordres du sultan Oldjaïtou, punir les meurtriers de son père, soumettre Herat et laisser ensuite le gouvernement du Khorasan à l’émir Yeçaoul.
Dès qu’il fut arrivé devant cette ville avec une armée nombreuse, il somma le roi ou d‘accepter la responsabilité du meurtre de Danischmend ou de livrer les coupables. Fakhr ed-din, tout en protestant de son innocence répondit qu’il n’était pas en son pouvoir de livrer Djémal ed-din Mohammed, qui avait sous ses ordres deux mille soldats dévoués. Bodjaï, irrité de cette excuse, attaqua avec trois mille hommes le bastion de Khak-ber-ser (nommé depuis Khakister). Mais pendant trois jours les sorties opérées par dix sept cents soldats, choisis parmi l’élite de la garnison, entravèrent l’attaque et le forcèrent à se replier sur le pont de Malân, où il coupa les communications avec Herat. La mort du roi Fakhr ed-din, qui arrivât sur ces entrefaites permit à Bodjaï de reprendre les opérations du siège, De son côté, Djémal ed-din, quoique toujours maître de la forteresse se trouvait dans une situation critique. Un complot formé contre lui par l’émir Ahmed, favori du feu roi, fût découvert, grâce à la trahison d’un des conjurés, et deux cents têtes jetées par-dessus les remparts, apprirent à Bodjaï que cette tentative, sur laquelle il comptait pour entrer dans la place, avait été déjouée. Un ennemi plus terrible que les Mongols, la famine, exerçait d’affreux ravages dans Herat. Plus de cent mille habitants gisaient affamés et nus dans les rues et les marchés. Un jour la population envahit la grande mosquée, en maudissant Djémal ed-din, et en demandant qu’on ouvrît les portes de la ville. Djémal ed-din cédant à ces menaces, chargea Kotb ed-din Touléki de négocier une capitulation honorable. Bodjaï, pressé d’en finir avant l’arrivée de l’émir Yeçaoul, y consentit et le lundi 21 zil-hiddjeh 706, l’armée mongole entra dans Herat. Les fortifications furent rasées et la plupart des habitants émigrèrent. Djémal ed-din était encore dans la citadelle avec deux cents hommes; il se rendit auprès de Bodjaï qui lui donna un khilat en lui promettant l’oubli du passé. Les jours suivants, Schah Ismaïl du Sedjestan et d’autres officiers de Djémal ed-din furent reçus par Bodjaï avec la même affabilité. Mais l’émir Yeçaoul arriva à Herat et manda aussitôt Djémal ed-din auprès de lui, et, à peine arrivé devant Yeçaoul, il fut chargé de chaînes et envoyé à Bodjaï avec ses compagnons. Tadj ed-din Yeldouz, Lokman et vingt autres officiers eurent la tête tranchée près de Pulé-Malân. Quant à Djémal ed-din, il fut dirigé sur le camp du sultan. Mais Yeçaoul le fit revenir sur ses pas, et dès que Bodjaï eut quitté le Mourghâb, il dut céder aux insistances de l’émir et faire exécuter son prisonnier. Yeçaoul, devenu ainsi maître de Herat, s’efforça de la repeupler et de rendre les terres à la culture, jusqu’au jour où Ghyas ed-din reçut d’Oldjaïtou l’investiture de cette province. (Habib es-Sier, t. III, section 2)
[71] C’est-à-dire les parents ou les partisans d’Içan-Boka, fils de Doua Khan. Ce prince, qui régnait dans la Transoxiane depuis l’an 1309, avait chargé de l’expédition contre le Khorasan son frère Kepek Khan et l’émir Yaçaour (ou Yaiçaour) (Voyez pour les détails de cette invasion et sur la bataille du Mourghâb, d’Ohsson, t. IV, p. 564, V et les fragments de Khondémir de Defrémery, Journal Asiatique, fév. -mars 1852 p. 268.)
[72] Par un rescrit spécial et sur la demande du roi kurt, Oldjaïtou destitua le grand juge de Herat, Émir Ali Nousret dont l’incapacité était notoire, et nomma à sa place Nasr ed-din, de Khaïçâr, qui était entièrement dévoué au roi.
[73] Deux de ses intendants entrèrent dans Herat avec un détachement de cinquante hommes, qui blessèrent plusieurs personnes, en mirent d’autres à la torture, et exigeaient de tous ceux qu’ils arrêtaient une somme de cent ou deux cents dinars, en sorte qu’ils extorquèrent en un jour cinquante mille dinars dans cette seule ville. (D’Ohsson, ibid. p. 600)
[74] Deux manuscrits portent Yektout. Ce général, quoiqu’il fut chargé d’un commandement dans l’armée impériale, exécrait Yeçaoul qui l’avait puni dune manière injuste (Mirkhond).
[75] Mouyin ed-din intervertit ici l’ordre des événements. Les troubles du Khorasan dont il vient de donner le résumé éclatèrent entre la mort d’Oldjaïtou, arrivée le 16 décembre 1316 et l’avènement d’Abou Saïd qui fut couronné en assemblée générale (Kouriltaï) au mois d’avril de l’année suivante.
[76] Au nord de la grande mosquée, Ghyas ed-din Kurt fit construire un collège (medresseh) qui reçut le nom de Ghyasyeh (Khondémir.)
[77] Les deux années de cette régence ne furent signalées que par une insignifiante querelle avec le chef de Ferrah. C’est là que s’arrête la chronique de Seïfi, à laquelle notre auteur a emprunté presque tous ses documents sur la dynastie kurt. Nous avons vainement cherché, dit-il, le second volume de cette chronique, et nous sommes autorisé à penser que Seïfi Héravi n’a pu tenir sa promesse, et que ce second volume n’a jamais vu le jour. Cette lacune est sans doute l’unique cause du silence gardé par Mouyin ed-din sur les intrigues de cour auxquelles le roi Ghyas ed-din se trouva mêlé pendant les deux dernières années de sa vie, lors de la querelle qui éclata entre Abou Saïd et l’émir Tchoupân. Les détails donnés par d’Ohsson (t. IV, p. 671-713) me dispensent d’y revenir.
[78] Ou deux mois seulement d’après le manuscrit 32, fonds Gentil, et de Guignes (Histoire générale des Huns, t. 1, p. 416). Nous suivrons ici la leçon du manuscrit 10, confirmée par Khondémir et d’Ohsson.
[79] Ce souverain mourut le 13 de rebi second, d’après Khondémir (30 novembre 1334) L’auteur du Zafer Nameh croit qu’il fut empoisonné par Bagdad-Khatoun, fille de Tchopân, qu’il avait répudiée pour épouser Dilschad - Khatoun (Habib es-Sier t. III, 1ere section.)
[80] M. B. Dorn a publié en 1850, à Saint-Pétersbourg le chapitre de Khondémir relatif à la domination éphémère des Serbédariens (Die Geschichte Tabaristan’s und der Serbedar, in 4°) donne des détails circonstanciés sur la révolte des Serbédariens et la victoire remportée par Mélik Hussein (t. III, p. 64 et suivantes de l’excellente édition publiée par MM. Defrémery et Sanguinetti). Les inexactitudes légères qui déparent son récit ont été relevées avec soin par les éditeurs (t. III. Avertissement, p. III); mais nous ne pouvons passer sous silence une erreur plus grave commise par ce voyageur. Privé de ses notes de voyage et égaré par des souvenirs déjà lointains, Ibn prétend que Sultan Khalil, fils de Yaçaour, se révolta contre Ali Hussein, à la coopération duquel il devait sa couronne, et marcha contre lui; que le roi kurt envoya Mélik Warna avec une armée pour le combattre, que Khalil fut vaincu et conduit à Herat, où le roi lui accorda la vie et lui assigna une pension, etc. Un événement aussi important dans l’histoire de Mo’ezz ed-din n’aurait pu échapper à l’attention de l’auteur de la chronique de Herat. Or, le silence de cet écrivain et de ceux qui sont venus après lui nous autorise à cou sidérer cette assertion comme dénuée de fondement. Il est possible aussi qu’Ibn Batouta ait été amené à cette confusion par les vagues renseignements qui lui furent donnés pour les querelles du roi kurt avec l’émir Kazghân.
[81] Voyez Journal asiatique, mars 1852, p. 275; et Pétis de la Croix, Histoire de Timur-Bey p. 5 et suiv.
[82] Petit-fils de Doua-Khân; il fut proclamé chef de tribus turques de la Transoxiane après le meurtre de Danischmend (Journal asiatique, mars 1857 d’Ohsson, t. IV, p. 738.)
[83] On voit, par ce passage, si le voyageur Ibn Batouta eu raison de dire « Les habitants de Herat forment une seule et même tribu appelée Ghouriens, etc. (Ibid. p. 67.) Dans Mouyin ed-din et les chroniqueurs contemporains, ghoury et ehl-ghour désignent au contraire les chefs du Ghour, vassaux toujours prêts à secouer le joug du suzerain qui possède Herat, lorsque sa faiblesse ou une invasion étrangère leur en fournissent l’occasion.
[84] Ou Schoufroukân, d’après Yaqout. (Voyez Dictionnaire géographique la Perse, p. 348.) « C’est, dit Mouyin ed-din, dans le district de la province de Balkh, fertile et bien arrosé; il produit surtout des pastèques; on les fait sécher et on les vend dans le Khorasan, où on les nomme kak-kharpouzeh. D’après M. Ferrier, Chibbergbân, située à seize farsakhs au sud-ouest de Balkh, est une ville de douze mille âmes, habitée par des Uzbeks et des Parsivans; elle est entourée de vastes cultures et de très beaux jardins. (T. I, p. 320 et suivantes)
[85] L’auteur cite à ce propos deux vers qui, à défaut d’élégance ont du moins le mérite de fixer la date de cet événement: « Ce fut l’an de l’hégire 759, le lundi 15 du mois béni de rébi’oul-ewel (2 février 1358), que Sitilmisch périt avec Mohammed Khadjeh.
[86] Mo’ezz ed-din mourut le samedi 5 du mois de zoul-ka’deh 771 (juin 1370), d’après notre auteur. Khondémir place sa mort le 3 du même mois 772; mais c’est une inadvertance de la part de cet historien, car il ajoute que Mo’ezz ed-din avait régné trente-neuf ans, après avoir succédé à son frère Mélik Hafiz en 732, ce qui donnerait un règne de quarante ans si l’assertion de Khondémir était exacte. Voici en outre un chronogramme qui confirme le dire de l’historien de Herat:
Si tu ajoutes un point au dal de dou’a (prière), tu auras la date de la mort du souverain du Ghour.
En effet, les lettres prises numériquement donnent bien l’année 771.
[87] Voyez sur cette localité le plan archéologique des alentours de Herat par M. de Khanikoff (Journal asiatique, juin 1860.)