Anthologie arabe

ANTHOLOGIE ARABE

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 


 

AVERTISSEMENT.

Les poésies arabes que contient ce volume, jusqu'à présent inédites, sont extraites de divers manuscrits de la Bibliothèque du Roi.

Aux morceaux complets d'Abou'tthayyb Al-moténabby et d'Omar ben Fâredh, que je publie, j'ai cru convenable de joindre un choix de gloses et de commentaires tirés des meilleurs interprètes de ces deux poètes.

Les personnes suffisamment instruites dans la langue arabe, remarqueront que je me suis constamment appliqué, dans ma traduction, à conserver la couleur et les traits distinctifs de l'original, sans avoir cherché à y mettre des agréments de mon invention. Je dirai plus : je n'ai point hésité à rendre mon texte mot à mot, toutes les fois que j'ai pu le faire sans être barbare.

Cette Anthologie contribuera à faire connaître que les ouvrages poétiques des Orientaux, bien qu'ils renferment beaucoup de traits que notre goût réprouve, étincellent néanmoins d'images vives, de pensées fortes et de sentiments tendres et gracieux.

ÉLOGE DE LA POÉSIE,

PAR

AL-WAHEDY,

La poésie est ce qu'il y a de plus pur dans le langage et de plus sublime parmi les productions de, l'esprit. Elle seule peut atteindre au plus haut degré de l'éloquence. C'est elle qui fait le plus bel ornement des récits et des discours. De toutes les paroles que l'on entend, la poésie est ce qui se retient avec le plus de facilité ; elle est l'œuvre qui décèle le mieux le génie de l'homme. Oui, si la poésie était un bijou, ce bijou serait de l'or natif; si elle était une plante, cette plante, sans doute, serait un basilic odoriférant ; si elle se transformait en étoiles, leur clarté effacerait toutes les autres clartés ; si elle devenait sources limpides, leurs eaux ne cesseraient point de jaillir. Enfin la poésie est plus tendre que ces perles liquides qui brillent dans le calice des fleurs, lorsque les parterres se sont épanouis après une abondante pluie ; elle est plus délicate que les larmes de l'amant éperdu, et plus douce que le vin légèrement tempéré par l'eau des nuages.


 

EXTRAITS DU DIWAN,

D'abou'tthayyb Ahmed ben hosaÏn

AL-MOTÉNABBY.

 

Abou'tthayyb Ahmed ben Alhosaïn Almoténabby naquit à Coufah, l'an 303 de l'hégire [915 de J. C.], et passa sa jeunesse en Syrie, où il se livra avec ardeur à l'étude des belles-lettres. Enorgueilli de la réputation que iui donnaient ses vers, il voulut s'ériger en prophète; mais il échoua dans ses projets. Abou'tthayyb s'attacha ensuite à plusieurs grands personnages dont il célébra les louanges, et mourut assassiné, non loin de Bagdad, l'an 354 [965 de J. C.] Il fut surnommé Almoténabby [celui qui se dit prophète].

Le Divan ou Recueil des poésies d'Abou'tthayyb Ahmed ben Hosaïn Almoténabby est en possession d'une haute renommée chez les peuples de l'Orient qui parlent ou qui cultivent la langue arabe ; et il est étudié soigneusement de tous ceux qui se plaisent aux compositions poétiques. Les écrivains arabes s'accordent tous à exalter le mérite d'Abou'tthayyb : ils aiment à citer ses vers et à en faire remarquer les beautés.

Le biographe Ibn-Khallikan, qui partage l'admiration commune, nous apprend que les écrits de ce poète ont donné naissance à plus de quarante commentaires. Cet honneur que lui seul a obtenu, prouve qu'il tient un rang distingué parmi les poètes de sa nation. L'auteur d'une élégie sur la mort d'Abou'tthayyb, a dit: « Jamais les hommes ne verront un second Almoténabby : eh ! le premier né du temps peut-il trouver son semblable! Dans ses vers il est prophète, sans doute, et ses miracles sont dans ses pensées. »

Quand, après avoir fait de l'arabe l'objet d'une étude sérieuse, on passe à la lecture d'Abou'tthayyb, on ne peut manquer de reconnaître en lui les qualités qui constituent l'homme de génie. Ce poète a de l'imagination, de la verve, de l'enthousiasme, et il se distingue principalement par des traits mâles et énergiques et par l'élévation des pensées. Son style est concis, nerveux et brillant d'heureuses expressions. Il a l'esprit naturellement porté vers le sublime, auquel il atteint quelquefois; mais aussi, à force de vouloir y tendre, il se méprend assez souvent dans le choix des pensées ou des images, et alors il trombe dans l'exagération et l'enflure. On trouve chez cet auteur de froides allusions, des pointes et des jeux d'esprit, défauts, au reste, qui sont communs au plus grand nombre des poètes arabes. Ces vices, qui déparent à nos yeux la plupart de leurs productions, semblent être une tache originelle dont aucun d'eux n'a pu se garantir entièrement ; en sorte que rien n'est plus rare que de rencontrer une pièce de vers arabes où notre goût perfectionné, mais trop exclusif, ne trouve quelque chose à reprendre.

Ici, je hasarderai quelques réflexions. La poésie des Arabes n'ayant pu s'enrichir d'aucune espèce de fiction, et par-là se trouvant privée d'un ressort si nécessaire pour plaire et attacher, il a fallu que ceux qui avaient du talent pour les vers s'étudiassent à ouvrir d'autres sources d'intérêt et d'agrément. Ils ont cru qu'il leur suffisait, pour atteindre ce but, de déployer les richesses de leur langue, et de faire jouer leur esprit dans tous les sens. De là, il est arrivé que quelques-uns ont voulu donner à leurs pensées un air de grandeur ou de délicatesse, en les retournant ou en les reproduisant sous toutes les formes imaginables; que d'autres ont affecté de rendre presque imperceptible la liaison des idées, et de se servir des expressions les plus inconnues du vulgaire ; que d'autres encore ont semé avec profusion, dans leur style, les antithèses, les métaphores, les ornements les plus étudiés, et se sont appliqués à produire, par une combinaison adroite de mots opposés, rimant ensemble, et se heurtant, pour ainsi dire, les uns contre les autres, une harmonie qui flatte l'oreille, mais qui ne fait souvent que suppléer au vide des pensées et des beautés solides.

Cependant, bien que ces défauts se rencontrent dans la plupart des compositions poétiques des Arabes, il serait injuste de conclure qu'elles n'ont aucun droit à notre estime.

Tout ce luxe et tous ces faux brillants mis à part, elles offrent un nombre considérable de morceaux marqués par divers genres de beautés. Les Arabes savent peindre à grands traits, et avec les couleurs convenables, les glorieux exploits, la grandeur d'âme et la générosité. Dans l'élégie, la douleur leur inspire des accents tendres et vrais; dans la poésie morale et religieuse, ils sont graves et pathétiques : quelquefois même ils rivalisent avec la bible pour l'expression et le sentiment. Les poèmes où ils chantent le vin et les transports de l'amour, contiennent des passages qui respirent la grâce et la volupté ; on y aperçoit ce délire qui nous charme dans les plus grands maîtres. Les débuts de leurs compositions sont, en général, irréprochables. Le poète saisit le point d'où il faut partir; et son esprit ne s'étant pas encore égaré, il ne dit rien qui ne soit naturel. Si, dans la suite, il paraît s'écarter de sa route et courir après des idées extraordinaires, c'est que, comme je l'ai déjà fait observer, privé totalement de la ressource des fictions, et néanmoins obligé de captiver de plus en plus l'attention, il est, pour ainsi dire, forcé de répandre à pleines mains les fleurs du discours, d'outrer les figures, de prodiguer les traits subtils et raffinés, et de couvrir ses pensées d'un voile mystérieux.

Mais remarquons qu'il se trouve dans les poètes arabes un certain nombre d'idées et de figures qui ne doivent pas être considérées comme mauvaises, bien que dans la traduction elles offensent notre délicatesse. Ces idées et ces figures sont propres à la langue arabe; elles sont reçues et consacrées, et elles n'ont point assurément, dans l'esprit de l'écrivain qui en fait usage, toute l'intensité qu'il paraît leur donner. Les mots de notre langue n'ayant pas toujours une convenance exacte avec les expressions arabes, il suit de là nécessairement que les idées, et les images du poète perdent quelquefois de leur force, de leur vivacité, de leur justesse même, et ainsi nous affectent moins agréablement qu'elles ne le font dans l'original, lequel a toujours le rapport parfait de l'expression avec la pensée. Mais je me hâte de revenir à Abou'tthayyb Almoténabby.

Le premier qui, en France, a fait connaître ses poésies, est M. le baron Silvestre de Sacy, dans sa Chrestomathie arabe. Les morceaux que cet illustre orientaliste a publiés sont propres à donner une idée des qualités et des défauts de leur auteur. Depuis, M. Freytag, élève du grand maître que je viens de citer, et aujourd'hui professeur très  distingué de langues orientales en l'université de Bonn, a imprimé quelques morceaux d'Abou'tthayyb, avec une traduction latine. Voyez les notes de son livre intitulé Selecta ex historia Halebi, p. iji, i4.1. Le même savant a publié, à la suite du poème de Kaab, fils de Zoheïr, un poème qu'Almoténabby a composé en l'honneur d'Abou'lfadhl Mohammed, fils de Hosaïn, connu sous le nom Slbn Alamid. M. Antoine Horst, élève de M. Freytag, a publié en 1823 un morceau composé par notre poète, à la louange de Hosaïn, fils d'Ishac Attanoukhy. M. de Ham'mer, orientaliste de beaucoup d'esprit et de talent, vient d'enrichir la littérature allemande d'une traduction en vers de toutes les poésies d'Abou'tthayyb Almoténabby. Une traduction en vers français d'un poète asiatique me paraît impossible. Celui qui entreprendrait ce travail, gêné sans cesse par les entraves de notre poésie, et obligé de s'assujettir à nos convenances littéraires, ne saurait offrir tout au plus qu'une imitation de l'original ; et alors son zèle et ses efforts seraient infructueux.

Je me suis servi, pour la publication de ces extraits d'Abou'tthayyb Almoténabby, des manuscrits arabes de la Bibliothèque du Roi, numérotés 1428, 1430 et 1433. Ce dernier, écrit en caractère africain, et divisé en trois parties, contient le commentaire du cheikh Attabrizy, et est intitulé . J'ai aussi fait usage d'un manuscrit avec le commentaire d'Alwâhédy, appartenant à M. le baron Silvestre de Sacy, et que ce savant a bien voulu me confier.


 

Poèmes composes en l’honneur d'Abou CHODJÂA FÂTik.

 

On lit dans le biographe Ibn-Khallikan : L'émir Abou Chodjâa Fâtik-Alkébir, surnommé Almedjnoun [l'Insensé], était né dans le pays de Roum. Encore en bas âge, il fut enlevé avec son frère et sa sœur de sa terre natale, près d'une forteresse appelée Dhou'lkolâa. IL apprit à écrire en Palestine, et fut du nombre de ceux qu'Alikhchid, souverain d'Egypte, arracha, dans Ramlat, des mains de leurs maîtres, sans donner d'argent en échange. Dans la suite, Alikhchid l'ayant affranchi, il vécut libre parmi les officiers de ce prince. Fâtik était doué de sentiments nobles et généreux, et il avait l'esprit profond et étendu. Guerrier intrépide, il s'exposait aveuglément aux plus grands dangers ; c'est pour cela qu'il fut surnommé Almedjnoun. Il remplissait, auprès d’Alikhchid, les mêmes fonctions que Kâfour, favori puissant de ce prince. Après la mort d'Alikhchid, Kâfour resta chargé de la tutelle du fils de son maître. Fâtik, pour ne point voir Kâfour occuper un rang plus éminent que le sien, et pour éviter de paraître en public à cheval à ses côtés, résolut de quitter la capitale de l'Egypte, et il se retira dans le Fayyoum, qui, avec toutes ses dépendances, lui avait été donné en apanage. Ce pays est malsain et personne ne peut s'y maintenir en santé. Quoique Fâtik fût éloigné, Kâfour le redoutait ; il lui rendait des hommages extérieurs, mais il nourrisson contre lui une haine secrète. Cependant Fâtik tomba malade, et fut forcé de revenir au grand Caire afin de se rétablir. Abou'tthayyb Almoténabby, qui était alors l'hôte de Kâfour, avait entendu parler de la générosité de Fâtik et de son extrême bravoure; mais il n'osait s'attacher à sa personne, dans la crainte de mécontenter Kâfour. Quoi qu'il en soit, Fâtik envoyait auprès d'Abou'tthayyb des gens qui le saluaient de sa pan et lui rapportaient de ses nouvelles. Enfin, sans qu'ils se fussent donné de rendez-vous, par un simple effet du hasard, ils se rencontrèrent dans la plaine, et eurent ensemble de longs entretiens. De retour chez lui, Fâtik envoya aussitôt à Abou'tthayyb Un présent dont la valeur se montait à mille pièces d'or, et ce présent fut bientôt suivi de plusieurs autres. Sensible à tant de bienfaits, Almoténabby demanda à Kâfour la permission de louer Fâtik ; elle lui fût accordée.

Le neuf de Djoumada second, l'an 348, Abou'tthayyb célébra dans le poème suivant les louanges de Fâtik, avec le talent qui l'avait illustré.

Tu n'as ni coursiers ni trésors à offrir: eh bien! que l'éloquence vienne à ton secours, puisque la fortune ne te favorise pas.

Paie un tribut de louanges à l'émir glorieux dont les bienfaits se répandent subitement et sans qu'il les ait promis, tandis que les bienfaits des autres hommes ne sont que dans leurs paroles.

Eh quoi ! la jeune fille, vierge de la tribu, ne s'est-elle pas souvent montrée reconnaissante, quoique pauvre et sans appui, envers celui qui l'a comblée de bienfaits !

Si, pareil au coursier dont le courage est retenu par de forts liens, je ne puis m'élancer dans la carrière, je puis du moins faire retentir l'air de hennissements.

Si je manifeste ma reconnaissance, ce n'est pas que les richesses dont j'ai été comblé me causent de la joie; car l'abondance et la détresse sont égales pour moi.

Mais c'est que j'ai senti qu'il était honteux qu'accablé de bienfaits, je restasse avare d'actions de grâces.

Or, j'étais comme une plante qui croît dans le Raudh-alhazn : au matin, j'ai été humecté par une pluie qui n'est point tombée sur une terre infertile.

Le sol où cette pluie est descendue, fait voir qu'elle y a laissé des traces heureuses. Ah ! que souvent les pluies ignorent quelles terres elles arrosent!

La gloire n'appartient qu'au héros doué de génie, qui exécute des choses impossibles à tout autre;

Qu'au héros qui n'a point été économe de l'héritage de ses pères, dont la droite ignore le prix de ce qu'elle a donné, et qui ne se procure qu'avec le glaive ce qui est nécessaire à sa subsistance ;

Qu'au héros qui a compris, dès l'instant que la fortune lui a fait entendre sa voix, que la fortune blâme la parcimonie ;

Qu'au héros dont les lances savent, lorsque sa main les agite, qu'elles vont terrasser des coursiers et des braves.

La gloire n'appartient enfin qu'au héros qui ressemble à Fâtik : mais quoi ! j'ai dit semblable au soleil ; eh ! le soleil a-t-il des semblables.'

Fâtik conduit au combat des lions formidables, qu'il nourrissait, dans leur jeune âge, des dépouilles que ses ongles déchirants enlevaient à ses ennemis. Fâtik brise son glaive dans le corps de sa victime : les glaives et les guerriers ont une destinée pareille. La terreur que Fâtik fait marcher devant lui, arrête les brigandages ; et ses troupeaux, à l'abri de toute attaque, errent sans conducteur.

Les bêtes que ses lances ont choisies pour victimes deviennent à l'instant sa proie: chameaux, autruches, génisses et taureaux sauvages, tous tombent sous ses coups redoutables.

Dans sa demeure, les vœux de ses hôtes sont comblés : on dirait que tous leurs instants sont des soirées fraîches et embaumées.

Si ses hôtes lui demandaient sa propre chair, il se hâterait de la leur servir par morceaux dans le chyza. La douleur que cause à l'homme la perte de ses enfants et de ses biens, Fâtik l'éprouve au départ de ses hôtes.

Il arrose la terre des restes de leur breuvage, du lait épais de la femelle du chameau et du vin le plus pur.

D'heure en heure son glaive répand un sang toujours nouveau, comme si les heures, semblables à des hôtes, revenaient d'un voyage et lui demandaient un asile.

Des flots de sang coulent autour de lui: le sang de ses ennemis se confond avec celui des brebis et des chameaux.

Ceux qui demeurent éloignés de Fâtik, ne sont pas pour cela privés de ses bienfaits ; et les petits enfants eux-mêmes trouvent en lui un protecteur de leur faiblesse.

Il l'emporte sur tous ses rivaux par son habileté à percer de l'épée, lorsque, au fort de la mêlée, le guerrier abandonne la lance pour l'épée.

La connaissance intime que tu acquiers de son caractère, te le fait voir, entre tous les hommes, plus grand qu'il, ne paraît; et entre les hommes il y en a qui sont des nuages précurseurs certains de la pluie, et d'autres qui ne sont qu'une vapeur trompeuse.

Celui qui lui porte envie l'appelle l'insensé, au moment où les lances et les épées se croisent dans le combat : quoi ! la réflexion alors n'est-elle pas faiblesse !

Il renverse l'armée ennemie avec ses coursiers. Fût-elle solide comme les montagnes, elle ne pourrait résister à son choc impétueux.

Lorsque ses ongles déchirants ont saisi l'ennemi, c'est un lion à qui la pitié est étrangère.

Il frappe ses ennemis d'épouvante, devenu pour eux une fortune qui agit à découvert et à la vue de tous les hommes, tandis que les coups de la fortune sont caches et inattendus.

Sa bravoure l'a fait parvenir au faîte de la gloire. Mais ses ennemis, qu'ont-ils obtenu en évitant les dangers qu'il a affrontés!

Tandis que les rois ornent leur front du diadème, lui n'a pour tout ornement que le glaive indien et la lance meurtrière.

Abou Chodjâa est le chef de tous les braves. Il est une terreur que les terreurs de la guerre ont enfantée et nourrie.

Il s'est tellement emparé de la gloire, que tous ceux qui y aspirent n'en possèdent pas la moindre partie.

D'épaisses cuirasses de gloire l'enveloppent de toutes parts, alors qu'une cuirasse légère lui suffit dans les combats.

Ah! comment pourrais-je cacher les bienfaits que tu m'as accordés ! tu m'en as inondé, ô le plus généreux des hommes !

Tu as déployé toutes les ressources de ton esprit pour me combler de présents et d'honneurs. Oui, pour parvenir à la gloire, l'homme magnanime met l'adresse en usage.

C'est par-là que le bruit de tes vertus a pénétré dans toutes les régions de la terre : les astres eux-mêmes ont espéré en ta générosité.

La grandeur du héros que je célèbre donne du relief à mes éloges, tandis que les éloges donnés à l'homme vil sont bas et méprisables.

Si, par un effet de ta magnanimité, tu refuses de t'élever avec orgueil au-dessus des autres hommes, eh bien ! ta haute renommée agit pour toi, et s'élève au-dessus de toute renommée.

H semble que ta grande âme ne serait pas contente d'habiter en toi, si tu ne l'emportais en vertus sur les héros les plus vertueux.

Ton âme croirait que tu ne prends pas soin de sa gloire, si tu ne prodiguais pas ta vie au milieu des alarmes.

S'il n'y avait pas de difficultés à vaincre, tous les hommes seraient maîtres ; mais la générosité appauvrit, et la bravoure donne la mort.

L'homme ne peut rien obtenir au-delà de ses forces : tout animai chargé de la selle ne court pas comme la femelle rapide du chameau.

Certes, nous vivons dans un siècle où s'abstenir du crime est, pour la plupart des hommes? une action belle et glorieuse.

C'est dans le souvenir honorable que l'homme laisse après lui qu'il trouve sa seconde et immortelle vie. Il ne lui faut, dans ce monde, que ce qui est nécessaire à sa subsistance ; tout le reste n'est qu'embarras et tourments.

II.

Abou Chodjâa Fâtik mourut en Egypte, le soir du premier jour de la semaine de Chewâl, l'an 350. Alors Abou'tthayyb composa sur cet événement l'élégie suivante, qu'il récita après son départ de Fosthât.

Le chagrin abat mon courage, et la fermeté d'âme Je relève; mes larmes, tour à tour obéissantes et rebelles, cèdent au combat de ces deux affections contraires.

Le chagrin et la fermeté d'âme se disputent l’empire sur les pleurs qui remplissent mes yeux condamnés à l'insomnie ; l'un les fait couler, et l'autre les repousse.

Le sommeil, depuis qu'Abou Chodjâa a cessé d'être, a fui loin de mes paupières ; la nuit, excédée de fatigue, suspend sa course, et les étoiles restent toujours à leur lever.

Je suis faible et tremblant lorsqu'il faut que je me sépare de mes amis; mais mon âme sent-elle les approches de la mort, alors je suis brave.

Le courroux de l'ennemi fortifie mon courage ; mais les reproches que m'adresse un ami, m'inspirent de la crainte. La vie n'est exempte de peines que pour l'insensé, ou pour celui qui ne songe ni au passé ni à l'avenir;

Elle l'est aussi pour l'homme qui s'aveugle lui-même sur ses inévitables destinées, et qui, flattant son âme d'un espoir trompeur, s'abandonne à des désirs immodérés.

Où est-il celui qui a bâti les deux pyramides! qu'est devenue la nation qui l'a vu naître! quelle a été sa vie! quel a été le lieu de sa chute!

Les monuments survivent quelque temps à ceux qui les ont élevés; mais enfin la mort les frappe, et ils vont rejoindre leurs fondateurs.

Aucun degré d'élévation ne pouvait satisfaire le cœur d'Abou Chodjâa, et aucun lieu n’était assez vaste pour lui.

Nous pensions que les lieux qu'il habitait étaient remplis d'or : il meurt, et ces lieux ne nous présentent y qu'un vide affreux.

Des vertus sublimes, des épées, des lances, des coursiers vigoureux, voilà les trésors qu'il aimait à accumuler.

Le commerce de la gloire et des vertus est trop ruineux pour que cet homme généreux et intrépide ait pu l'exercer plus longtemps.

Les hommes de ton siècle, ô Fâtik, étaient d'un rang trop vil, et ton mérite trop éminent, pour que tu vécusses au milieu d'eux.

Rafraîchis mes entrailles, si tu le peux, par quelque parole consolante ; car, lorsque tu le veux, tu sais nuire et tu sais être utile.

Jamais, avant ce funeste jour, tu n'as rien fait qui ait pu alarmer et blesser un ami.

Jamais, aucun malheur n'est venu fondre sur toi, que je ne t'aie vu le repousser par la magnanimité de ton cœur,

Et par cette main, pour laquelle verser des dons et combattre semblait être un devoir indispensable, une obligation étroite, lors même que c’était un pur effet de ta volonté.

O toi, qui chaque jour prenais un nouveau vêtement, comment as-tu pu te contenter d'un vêtement dont on ne saurait se dépouiller!

Tu n'as cessé de te dépouiller de tes vêtements en faveur de ceux qui les désiraient, qu'à l'heure où tu t'es couvert d'un vêtement que tu ne quitteras plus.

Tu n'as cessé de repousser toute attaque, qu'au moment où est venu fondre sur toi le coup qu'on «l ne peut détourner.

Il est donc arrivé le jour où tu as vu tes lances incapables de se diriger contre l'ennemi qui venait t'assaillir, et tes épées dans l'impuissance de lui faire, sentir leurs pointes aiguës.

Que ne puis-je, au prix des jours de mon père, racheter ce héros incomparable que la mort a ravi, quoique environné d'une armée nombreuse. Son armée pleure; mais les larmes sont les plus faibles de toutes les armes.

Si tu n'as pour armes que des pleurs, va, tu ne fais alors que troubler vainement tes entrailles et meurtrir tes joues.

La main qui t'a frappé, ô Fâtik, ne met aucune différence entre l'épervier cendré et le corbeau marque de noir et de blanc.

Qui commandera désormais les troupes et les courses nocturnes ! qui présidera aux assemblées ? Toutes ont perdu par ta mort un astre éclatant qui ne connaît plus de lever.

Qui as-tu choisi pour exercer l'hospitalité après toi! Tes hôtes ont tout perdu, et avec toi ils ne pouvaient manquer d'assistance.

Opprobre soit à ton visage, ô fortune, à ton visage qui se couvre de tout ce qu'il y a de honteux et d'infâme.

Quoi! faut-il que la mort saisisse un homme tel qu'Abou Chodjâa Fâtik, et qu'elle épargne le vil et méprisable eunuque qui lui porte envie l

Ne dirait-on pas que tous ceux qui entourent sa personne ont les mains liées ? En vain le derrière de sa tête semble leur crier: Eh quoi! n'y a-t-il donc personne qui veuille me frapper l

O fortune, tu as laissé subsister l'imposteur le plus audacieux que tu aies jamais épargné, et tu as enlevé le plus vrai d'entre les êtres doués de la faculté de parler et d'entendre.

Tu as laissé sur la terre l'odeur la plus infecte et la plus repoussante, et tu as fait disparaître le plus suave des parfums.

Aujourd'hui, toute bête sauvage est sûre de la conservation de son sang, qui, auparavant, était, à chaque instant, près de s'échapper.

Les nœuds dont les fouets sont armés et ses coursiers généreux se sont juré une éternelle paix. On dirait que ceux-ci ont recouvré la possession de leurs pieds de derrière et de devant, qui naguère semblaient fuir leur corps par la rapidité de la course.

Fâtik est mort ! désormais, plus de choc tumultueux, plus de lance dont le fer inonde de sang le bois auquel il est fixé ; plus d'épée qui étincelle dans les combats.

Fâtik a disparu, et tous ceux qui vivaient familièrement avec lui ont vu se rompre leur douce société : ils se sont dit un éternel adieu.

Il n'est plus, ce héros auprès de qui tout peuple ami trouvait un refuge, ce héros dont le glaive redoutable trouvait chez toute nation ennemie une pâture assurée.

Paraissait-il au milieu des Persans, il devenait leur monarque, un Kisra, devant qui les têtes soumises s'inclinaient avec respect.

Tombait-il au milieu des Grecs, c’était un Caisar ; au milieu des Arabes, c’était un Tobbâa.

De tous les cavaliers, Fâtik fut toujours le plus prompt à renverser le cheval de son adversaire ; mais la mort a été plus rapide que lui.

Que désormais aucun cavalier ne manie la lance, aucun coursier ne se précipite dans les combats 1

III.

Abou'tthayyb se trouvant à Koufah, un de ses amis vint lui présenter de la part de Fâtik une pomme d'ambre sur laquelle était gravé le nom de ce héros. A cette vue, Abou'tthayyb récita ces vers.

La douceur de Fâtik et un objet composé d'ambre qui porte l'empreinte de son nom, me rappellent le souvenir de ce héros.

Sans doute, je ne l'ai pas oublié ; mais l'odeur suave que ce fruit exhale, renouvelle en moi le parfum de Fâtik.

Quel homme la mort m'a ravi ! sa mère n'a point connu celui à qui elle a donné le jour ;

Elle n'a point su qui elle pressait contre son sein. Ah ! si elle eût connu les hautes destinées de ce héros, elle eût été effrayée de le tenir entre ses bras.

Dans Misr il est des rois qui possèdent autant de richesses que lui; mais ils n'ont point ses vertus sublimes.

Fâtik, dans son économie, était plus généreux qu'ils ne le sont dans leur munificence; et ses reproches étaient plus agréables à entendre que leurs louanges.

Sa mort est plus glorieuse que leur vie, et sa disparition de ce monde plus utile que leur existence.

La mort a été pour Fâtik ce qu'est le vin arrosant la vigne dont il est sorti.

Et le breuvage que Fâtik a bu, était le breuvage qu'il avait fait boire à tant d'autres, et qui remontait à sa source.

L'âme de Fâtik était trop à l'étroit sur la terre : pouvait-elle habiter plus longtemps dans son corps!

IV.

Almoténabby, après avoir quitté Bagdad, récita, le mardi 7 de Chaban 352, le poème suivant, dans lequel il décrit son départ de Misr et déplore la mort de Fâtik.

Jusques à quand marcherons-nous durant la nuit obscure, de concert avec les étoiles ! elles n'ont pas de pieds qui éprouvent la fatigue qu'endurent dans leur course l'homme et le chameau.

Elles n'ont point de paupières en proie à l'insomnie qui afflige l'homme éloigné de sa patrie, et privé de repos pendant la nuit.

Le soleil noircit notre visage ; mais, hélas ! il ne rend pas à nos cheveux blanchis leur noirceur primitive.

Tel est l'arrêt que le ciel a prononcé contre nous au même instant. Si nous avions pu porter notre cause devant un juge de la terre, sa décision sans doute eût été différente.

Nous avons soin que l'eau ne nous manque pas dans notre voyage: elle descend des nuages qui la contiennent, et nous la recueillons dans nos outres.

Je n'ai point pris les chameaux en haine ; mais en les faisant servir à mon usage, j'ai voulu préserver mon cœur de la tristesse, et mon corps de la maladie.

Je leur ai fait quitter Misr en commandant à leurs pieds de derrière de chasser ceux de devant, et, rapides comme la flèche, ils ont abandonné Djars et Alalem.

Les autruches du désert, couvertes du harnois, rivalisent avec eux de vitesse, et leurs rênes flottent de front avec celles de nos chameaux.

Je suis parti accompagné de jeunes hommes déterminés à exposer leur vie, et soumis à tous les événements comme ceux qui tentent la fortune en jouant avec les flèches.

Toutes les fois qu'ils ôtaient leurs turbans, ils nous en faisaient voir d'autres que la nature avait créés noirs, et qui ne couvraient encore que leurs têtes.

Leurs joues n'étaient revêtues que d'un léger duvet. Ils terrassaient les cavaliers qu'ils pouvaient atteindre, et se rendaient maîtres des chameaux qui se trouvaient sur leur passage, jolis se sont procuré avec leurs lances plus qu'ils ne devaient en attendre, et cependant elles n'ont pu combler, leurs vastes désirs.

Ils combattaient sans interruption, comme dans les temps d'ignorance ; mais leur vie, protégée par leurs lances, s'écoulait en sûreté comme dans les mois sacrés.

Ils ont saisi leurs lances naguère muettes; et en les poussant avec vigueur contre les braves, ils leur ont appris à siffler comme les ailes rapides de l’oiseau.

Nos chameaux nous portent avec rapidité, leurs lèvres sont blanchissantes d'écume, et la corne de leurs pieds s'est verdie en foulant le rogl et le yanem.

Armés du fouet, nous les écartons des lieux où croît l'herbe, pour " les diriger vers les pâturages de la générosité.

Mais où les trouver ces pâturages, depuis qu'Abou Chodjâa Fâtik, ce chef glorieux des Arabes et des Persans, a cessé d'exister !

Il n'est point en Misr un autre Fâtik vers qui nous puissions nous rendre, et personne ne le remplace parmi les hommes.

Nul d'entre les vivants ne lui ressemblait en vertus, et voilà qu'aujourd'hui les morts réduits en poudre sont semblables à lui !

Je l'ai perdu ! Je le cherchais dans mes courses lointaines; mais je n'ai rencontré partout que le néant. Mes chameaux paraissaient rire de pitié, quand ils considéraient les hommes pour qui leurs pieds s'étaient ensanglantés.

Je les conduisais parmi des peuples stupides comme les idoles qu'ils servaient, mais en qui je ne voyais pas l'innocence de leurs idoles.

Enfin je suis revenu aux lieux que j'avais quittés; et alors mes plumes m'ont tenu ce langage : « La gloire est réservée à l'épée, et non pas à la plume.

« Sers-toi de nous quand ton bras aura fait usage de l'épée, car nous ne sommes que les esclaves de l'épée. »

Telles sont, ô mes plumes, les paroles que vous m'avez fait entendre. Vos conseils auraient pu me guérir; mais, hélas! si je ne les ai point compris, c'est que mon mal est le peu d'intelligence.

A celui qui prétend obtenir autrement qu'avec le glaive indien ce qui est nécessaire à ses besoins, demande s'il a trouvé jamais l'objet de ses désirs ; il répondra : Non.

Les peuples chez qui nous nous sommes rendus, ont cru que c’était la misère qui nous avait forcés de les visiter ; et en effet, visiter les hommes, n'est-ce pas leur donner à penser que l'on a besoin d'eux !

L'injustice n'a cessé de diviser les hommes, quoiqu'ils soient tous nés de la femme.

Eh bien ! nous ne les visiterons plus désormais qu'avec l'épée étincelante que nos mains, dès notre jeune âge, ont été instruites à manier;

Qu'avec l'épée dont le tranchant acéré décidera qui doit succomber ou de l'oppresseur ou de l'opprimé.

Nous avons su protéger contre eux la poignée de nos glaives ; et toujours elle est demeurée sans tache dans nos mains, qui ne sont ni viles ni impuissantes.

Habitue tes regards à considérer les objets dont la vue est affligeante : ce que ton œil voit tandis qu'il est éveillé, disparaît aussi vite que les songes rapides.

Ne te plains jamais devant les hommes, de peur que le récit de tes maux ne les réjouisse, ainsi que le blessé réjouit par ses gémissements les corbeaux et les vautours.

Méfie-toi des hommes, et cache avec adresse les précautions que tu prends contre eux : crains de te laisser séduire par un sourire qui brille sur leurs lèvres.

La bonne foi a disparu : tu ne la rencontres plus dans les traités ; et la sincérité ne se trouve plus ni dans les discours ni dans les serments.

Gloire soit rendue au créateur de mon âme! Comment se fait-il que les dangers et les fatigues des voyages se changent pour moi en délices, tandis que d'autres n'y voient que l'excès des tourments

La fortune s'étonne que je supporte ainsi ses vicissitudes, et que mon corps s'endurcisse contre ses coups accablants.

Mes instants se perdent dans la société des hommes ; et ma vie.... Ah ! plût à Dieu qu'elle se fût écoulée dans l'une des générations passées !

Nos ancêtres, enfants du temps, sont venus dans sa jeunesse, et il les a réjouis; et nous, nous sommes venus dans sa décrépitude.

V.

Poème composé en l'honneur d'Abou'l Fawares Dillir, fils de Lechker-watz.

Au mois de dzou’lhiddjeh de l'année 353, un Kharidjite de la tribu des Bènou-Kélâb apparut dans le Dhar-Alkoufah, et annonça à ses concitoyens qu'une partie des habitants de Koufah s'étaient soumis à lui et lui avaient juré fidélité. A l'instant, les Bènou-Kélâb déployèrent leurs étendards, et, commandés par le Kharidjite, ils se dirigèrent vers Koufah, afin de s'en emparer. A cette nouvelle, Abou'tthayyb Almoténabby partit de Cathawan, et ne tarda pas à être rencontré par un détachement de cavalerie. Abou'tthayyb l'attaqua aussitôt, et, après une heure de combat, il le mit en déroute; puis, continuant sa marche dans le Dhar-Al-koufah, il arriva par la voie Albéradjim au quartier du sulthan. Pendant tout le jour, les deux partis entretinrent des correspondances: le lendemain matin, les Bènou-Kélâb) s'étant présentés de nouveau, un combat violent s'engagea vers la fin du jour. Le Kharidjite, n'ayant obtenu aucun succès, fut forcé de revenir sur ses pas. Bientôt la division s'établit parmi les Bènou-Kélâb au sujet du Kharidjite, et plusieurs rompirent leurs engagements. Le Kharidjite, néanmoins, reparut après quatre jours, et le combat recommença dans le Dhar-Alkoufah. Dans cette affaire, le sulthan dilémite et un grand nombre des siens furent blessés ; mais le nombre des Bènou-Kélâb qui restèrent sur la place ou reçurent des blessures, fut encore plus considérable. Un jeune page d'Abou'tthayyb eut son cheval percé sous lui d'un coup de lance ; aussitôt Abou'lhasan Mohammed ben Omar le débarrassa et le fit monter sur vin autre cheval. Un page d'Abou'lhasan blessa deux chevaux et donna la mort à un cavalier. Les Bènou-Kélâb se montrèrent encore le lendemain, et l'on en vint aux mains auprès de Dar-Aslam; un mur séparait les combattants. Beaucoup de Bènou-Kélâb tombèrent percés de flèches; le reste prit la fuite et ne se présenta plus pour combattre. Lorsque la nouvelle de la révolte des Bènou-Kélâb fut arrivée à Bagdad, Abou'l fawares Dillir ben Lechker-Wazz, général persan, au service des sulthans du Déilem, partit accompagné d'une foule de guerriers, et arriva à Koufah après le départ des Bènou-Kélâb. A l'instant même, il fit porter à Abou'tthayyb Almoténabby des vêtements magnifiques, faits de la soie la plus précieuse. Touché de ces bienfaits, Abou'tthayyb se rendit dans le Meidân, où se trouvait Dillir, monté sur un cheval roux, et qui était couvert de riches ornements. Dillir s'approcha d'Abou'tthayyb, et celui-ci lui récita le poème suivant:

Comme toi, chacun prétend être doué d'une intelligence saine ; et quel est celui qui connaît sa folie !

Certes, plus que tout autre, tu es en droit de me censurer; mais tu mérites plus de reproches que celui à qui tu veux en adresser.

Tu me dis : Non, il n'y a pas d'amant semblable à toi. Je te réponds : Trouve un objet aussi charmant que celui que j'aime, et tu trouveras quelqu'un qui me ressemble.

Amant passionné, si je parle de belles qui captivent par leur blancheur, je désigne mes épées tranchantes ; si je parle des charmes décevants dont le corps de ces belles est revêtu, je fais allusion au poli éblouissant de mes épées.

Par ces brunes séduisantes j'indique mes lances noirâtres; les victoires de celles-ci sont mes maîtresses, et leurs pointes aiguës m'en procurent la jouissance.

Périsse le cœur qui ne sait soupirer que pour des dents éclatantes et pour de beaux yeux noirs !

Eh quoi! si une jeune beauté éloigne son amant de sa présence, le prive-t-elle du bonheur ? si elle le rappelle lorsqu'il se plaint de l'exil, lui accorde-t-elle la félicité?

Va, laisse-moi obtenir des honneurs auxquels personne n'est encore parvenu ; la gloire difficile à acquérir est dans les difficultés, et la gloire vulgaire est dans les circonstances vulgaires.

Tu veux que la gloire soit achetée à vil prix ! Peut-on prendre le rayon de miel sans que l'abeille blesse de son aiguillon!

Lorsque les fiers coursiers se heurtaient les uns contre les autres, déjà, tout effrayée, tu m'annonçais la mort, et cependant tu ignorais quelle serait l'issue du combat.

Non, je n'ai point été trompé, si, au risque de mes jours, j'ai acheté les faveurs de Dillir, fils de Lechker-Wazz.

Le choc des lances nous semble plein d'amertume ; mais si nous nous rappelons la fortune propice qui accompagne l'émir, alors le choc des lances a pour nous mille douceurs.

Ah ! si j'eusse pensé que des mouvements séditieux dussent hâter l'arrivée de l'émir, ma joie se serait accrue dans le désordre toujours croissant.

Puisse donc la terre des deux Iraks donner toujours naissance à des révoltes qui t'appellent pour dissiper par ta présence, ô Dillir, l'effroi et la misère qu'elles traînent après elles !

Lorsque nos lances ne pouvaient percer les cuirasses de l'ennemi, alors ton souvenir glorieux revenait à notre esprit, et il renversait l'ennemi plus sûrement que nos lances ;

Et nous terrassions ses chevaux par le bruit de ton nom, plus meurtrier que nos flèches pénétrantes.

Tu n'es venu nous rejoindre qu'après le combat ; mais d'avance ta renommée avait dissipé tes ennemis.

Je n'ai point cessé, avant notre réunion, de désirer franchir avec mes coursiers les chemins qui me séparaient de toi.

Si tu ne fusses point venu te réunir à nous, nous nous serions rendus auprès de toi, animés de nobles sentiments, et plus contents de monter des coursiers rapides que de languir dans le repos.

Nous nous serions rendus auprès de toi avec des coursiers qui, chaque fois qu'ils rencontrent des bêtes fauves et des pâturages, refusent de goûter de ceux-ci avant d'avoir pourvu à nos repas en se précipitant sur celles-là.

Il est vrai, j'ai eu de commun avec toi le mérite de l'intention; mais toi, tu as eu un double mérite r l'intention de venir et ton arrivée.

Celui qui court demander avec instance des pluies abondantes, a bien plus de mérite que celui qui, sans course et sans fatigue, est arrosé de ces mêmes pluies dans sa demeure.

Je ne suis pas cependant du nombre de ceux dont te cœur prétend brûler d'amour, et qui, pour ne point visiter l'objet de leur tendresse, disent que des occupations pressantes les détournent de ce devoir.

Les enfants de Kélâb ont voulu s'emparer de l'autorité ! Et à qui ont-ils donc laissé le soin de paître les brebis, et les chameaux !

Mais Dieu, leur maître, a refusé de mettre le pouvoir entre leurs mains, afin que les bêtes fauves n'errassent point en liberté, et que les lézards, misérable pâture de cette tribu, ne fussent point à l'abri de ses poursuites.

Dillir a dirigé contre les enfants de Kélâb des coursiers impétueux dont l'encolure hardie s'élève au-dessus des plus hauts palmiers ;

Il a dirigé contre eux des coursiers qui battent la terre avec un pied si dur, qu'il peut se passer de sa chaussure de fer.

Alors se sont enfuis les enfants de Kélâb: ils ont voulu retrouver les biens qu'ils avaient laissés derrière eux, et ressaisir par la légèreté de leurs pieds les possessions qui naguère étaient entre leurs mains.

Ils ont appréhendé de perdre leurs richesses, et déjà ils étaient avilis par la défaite. Eh quoi ! l'avilissement n'est-il pas pire que la perte des richesses ?

Ils nous ont âme né, sans en avoir formé le dessein, un héros magnanime, dont les actions devancent les paroles ;

Un héros généreux qui répare les désastres que la guerre a enfantés, comme la charpie cicatrise les blessures que les lances ont faites.

Son épée et ses bienfaits ont guéri les maux de tous ceux qui lui ont adressé des plaintes : il a consolé de leurs pertes les mères dont les enfants ont péri dans les combats.

Il est tellement modeste, que si le soleil, épris de la beauté de ses traits, descendait vers lui par un excès d'amour, il se retirerait à l'ombre, pour éviter sa présence.

Dillir est un guerrier intrépide : on dirait que la guerre l'aime éperdument ; lorsqu'il lui fait la cour, elle le rachète en lui livrant et chevaux et cavaliers.

Jamais il n'approcha le vin de ses lèvres ; il semble qu'il soit las d'en boire. Ses mains ne cessent de répandre des bienfaits ; c'est une soif qu'il ne peut éteindre.

L'autorité dont est revêtu Dillir, et le rang glorieux auquel il est élevé, prouvent l'unité de Dieu et son éternelle justice.

Tant que Dillir agitera son épée, le lion ni ses lionceaux n'auront point de dents pour déchirer leur proie.

Tant que Dillir ouvrira la main pour verser des bienfaits, personne ne pourra prétendre à la gloire de faire des actions généreuses.

Dillir est doué de vertus éminentes : jamais on ne verra une pureté parfaite dans ceux qui, à son exemple, n'auront point purifié leurs mains de l'avarice.

Ah! puisse le Miséricordieux ne jamais retrancher cette souche qu'il a fait naître! Oui, l'homme vertueux est sorti d'une souche vertueuse.


 

EXTRAITS DU DIWAN

DU CHEIKH

OMAR ben FAREDH.

Omar ben Fâredh naquit au Caire l'an 577 de l'hégire (1181 de J. C.), et mourut dans la mosquée Alazhar l'an 632 (1235). Son corps fut déposé au pied du mont Mocattam. Le biographe Ibn Khallikan, qui avait connu plusieurs de ses compagnons, a laissé fort peu de détails sur sa vie. Parmi les poètes qui ont le plus contribué à donner de l'éclat à la littérature arabe, il faut placer, sans contredit, Omar ben Fâredh. Les Orientaux en font le plus grand cas; et les éloges magnifiques qu'ils lui ont décernés unanimement, ne nous permettent pas de lui refuser notre estime. Celui qui a commenté ses œuvres, et qui, suivant ses propres expressions, avait conçu, dès sa plus tendre jeunesse, une vive passion pour les écrits de ce poète, et avait désiré les confier à sa mémoire avec la même ardeur que l'amant désire la présence de son amie, dit, dans les transports de son admiration, que Dieu a inspiré à Omar ben Fâredh des vers auprès desquels les diamants les plus précieux et les colliers les plus riches sont vils et méprisables ; qu'il l'a doué d'une éloquence qui brille comme les fleurs riantes des prairies, et comme la lumière qui déchire le voile de la nuit obscure; que ce poète s'est plongé dans les mers profondes de la poésie, et en a retiré des perles qui ont étonné les plus habiles; que, dans l'art de célébrer les louanges d'une maîtresse, il a laissé bien loin derrière lui tous ses rivaux; qu'il doit être considéré comme le chef des amants, et qu'il est vraiment digne de leur donner des leçons et de leur servir de modèle.

Les vers d'Omar ben Fâredh sont pleins de grâce, de douceur et d'harmonie. W. Jones, dans son ouvrage qui a pour titre, Commentarii poeseos asiaticœ, observe avec raison que les débuts de la plupart de ses compositions poétiques se distinguent par une merveilleuse beauté. La verve et l'enthousiasme caractérisent également cet auteur; et, pour la force et l'énergie de l'expression, il marche de front avec Abou'tthayyb Ahmed ben Hosaïn Almoténabby.

L'intelligence parfaite de ses productions ne peut être que le fruit d'une étude longue et approfondie de la poésie arabe. Deux causes principales les rendent d'un difficile accès. La première, c'est qu'il arrive souvent à ce poète de quintessencier le sentiment; et alors ses idées sont si subtiles, si déliées, et, pour ainsi dire, si impalpables, qu'elles échappent presque aux poursuites du lecteur le plus attentif: souvent même elles disparaissent dès qu'on les touche pour les transporter dans une autre langue. On voit qu'il a pris plaisir, par un choix de pensées extraordinaires, et par la singularité des tours, à mettre à l'épreuve la sagacité de ceux qui étudient ses ouvrages. Au reste, les lettrés de l'Orient pensent qu'un poète est sans génie et sans invention, ou bien qu'il compte peu sur leur intelligence, quand il n'a pas soin de leur ménager des occasions fréquentes de faire briller cette pénétration qui sait découvrir les sens les plus cachés. Il faut donc que le poète arabe, s'il veut obtenir les suffrages et l'admiration des connaisseurs, n'oublie pas de porter quelquefois à l'excès le raffinement et la subtilité dans ses compositions, d'aiguiser ses pensées, et de les envelopper de telle sorte dans les expressions, qu'elles se présentent au lecteur comme des énigmes, qu'elles réveillent son attention, piquent sa curiosité, et mettent en jeu toutes les facultés de son esprit. Or, il faut convenir qu'Omar ben Fâredh n'a point manqué à ce devoir prescrit aux poètes arabes, et qu'il n'a point voulu que ses lecteurs lui reprochassent de leur avoir enlevé les occasions de montrer leur sagacité.

La seconde cause qui me semble contribuer à répandre quelque obscurité dans plusieurs de ses poésies, c'est qu'il s'est plu à y semer des allégories religieuses et des idées mystiques où, sous le voile de peintures profanes et voluptueuses, sont figurés des objets purement spirituels. Les Orientaux se sentent beaucoup d'attrait pour ce genre de composition. Chez ces peuples, il paraît suppléer, en partie, à cet intérêt qui, pour nous, résulte de l'emploi de la mythologie et du charme des fictions.

C'est dans l'Orient, sans doute, que la poésie mystique a fait entendre ses premiers accents. Graves et méditatifs, affranchis des distractions dans lesquelles sont incessamment engagées les nations européennes, par les rapports habituels d'un sexe avec l'autre, et par des plaisirs toujours variés; mais cependant avides de jouissances intérieures, et tourmentés du besoin impérieux de se laisser subjuguer par quelque grande passion, les Orientaux ont pensé que la spiritualité, les idées abstraites et contemplatives pouvaient combler le vide qu'ils trouvaient au-dedans d'eux-mêmes, et donner à leur âme l'aliment qui lui est nécessaire, en la pénétrant de sentiments profonds, et de ces vives ardeurs qui multiplient son activité et son énergie.

La spiritualité s'est donc présentée à leur imagination sous l'aspect le plus séduisant: elle a fait une douce impression sur leurs cœurs; ils en sont devenus idolâtres, et, dans l'égarement de la passion, ils lui ont adressé leur encens et leur hommage.

Mais ce langage mystérieux et allégorique qui, par la variété de sens qu'il présente, fait les délices des Orientaux, est peu susceptible de nous plaire longtemps. La poésie se prêtant avec peine aux raisonnements abstraits et bizarres de la spiritualité, nous sommes dégoûtés bientôt d'un auteur qui

D'un divertissement nous fait une fatigue. L'imagination des poètes orientaux s'enflamme tellement pour les rêveries de la mysticité, qu'elle les emporte souvent au-delà des bornes de la droite raison, leur fait sacrifier le soin d'être compris au désir de paraître mystérieux et profonds, et les jette dans un dédale de subtilités puériles, qui embarrassent plus l'esprit qu'elles ne l'étendent et ne l'éclairent. Omar ben Fâredh avait embrassé la vie religieuse et contemplative. Dans la préface qu'il a mise à la tête des œuvres d'Ibn Fâredh, Aly, l'un des disciples de l'ordre de ce poète, rapporte de lui des choses fort étonnantes, et auxquelles on ne se sent guère disposé à ajouter foi. Il dit qu'il tombait quelquefois en de violentes convulsions, faisait des bonds si impétueux que la sueur sortait abondamment de tout son corps et coulait jusqu'à ses pieds, et qu'ensuite il se roulait avec fureur contre terre. Il paraissait assez souvent ravi en extase. Frappé de stupeur, le regard fixe, il n'entendait ni ne voyait ceux qui lui parlaient: l'usage de ses sens était entièrement suspendu. On le vit plusieurs fois renversé sur le dos et enveloppé comme un mort dans son linceul. Il restait plusieurs jours dans cette position; et pendant tout ce temps, il ne prenait aucune nourriture, ne proférait aucune parole, et ne faisait aucun mouvement. Lorsque, sorti de cet étrange état d'immobilité ou d'agitation, Omar ben Fâredh pouvait s'entretenir avec ses amis, il leur disait que, tandis qu'on le voyait hors de lui-même, et comme privé de la raison, il conversait avec la divinité, était comblé de ses faveurs, et ressentait les plus heureuses inspirations poétiques.

Omar ben Fâredh, dit Aly, était d'une stature moyenne et bien proportionnée. Il avait les traits nobles et le teint très  coloré. Lorsqu'il était ravi en extase et comme dominé par la divinité, sa figure paraissait encore plus belle et plus éblouissante. Il portait toujours des habits magnifiques : un doux parfum s'exhalait de sa bouche. Il était généreux, désintéressé, ne cherchant point les moyens d'acquérir les biens de ce monde, et ne voulant jamais rien recevoir de personne. S'il paraissait dans une assemblée, sa présence commandait la gravité et la décence. On vit des cheikhs, des jurisconsultes, des fakirs, des vizirs, et des personnages revêtus d'une grande autorité, se rendre dans les assemblées où il se trouvait, lui prodiguer des marques de considération et de respect, et lui parler de la manière dont on parle aux rois. Lorsqu'il se promenait dans la ville, on se pressait sur son passage; chacun lui demandait sa bénédiction, se recommandait à ses prières et aspirait au bonheur de lui baiser les mains.

Je me suis servi, pour la publication de ces poèmes d'Omar ben Fâredh, des manuscrits arabes de la bibliothèque du Roi numérotés 179, 1479, 1397 et 461. Les deux premiers portent un excellent commentaire dont j'ai donné des extraits; le 3e contient la préface d'Aly ; et le 4e, le poème la Khamriade, ou Eloge du vin, avec deux commentaires différents.

 

VI.

Est-ce la lueur rapide d'un éclair qui a brillé dans la plaine sablonneuse! ou, sur les hauteurs de Nadjd, aperçois-je la clarté du jour!

Ou bien serait-ce Leila, fille de la tribu d'Amer, qui, découvrant, pendant la nuit, son visage resplendissant, a changé les ombres du soir en un matin radieux ?

O toi qui es monté sur une vigoureuse chamelle, puisses-tu être préservé du trépas ! Si, après avoir franchi des chemins scabreux, ou des torrents qui roulent de nombreux cailloux,

Tu arrives à la vallée de Naamân, où croît l'arâk, dirige-toi alors vers une vallée spacieuse qui se trouve dans cette contrée.

Monte ensuite à la droite des deux montagnes, à l'orient de Naamân, et rends-toi dans Arîna, qui exhale des parfums.

Et lorsque tu seras parvenu à des sentiers tortueux et remplis de sable, alors redemande un cœur qui, près du torrent impétueux, a trouvé le trépas;

Et salue de ma part les habitants chéris de ce lieu, et dis-leur : Quand j'ai quitté votre ami, il soupirait ardemment après votre présence.

O habitants de Nadjd, n'aurez-vous point pitié d'un malheureux que l'amour a rendu captif, et qui ne veut point se dégager de ses fers.

Oh ! que n'avez-vous envoyé à votre ami un tendre salut, à l'heure du soir, dans les tournoiements des vents embaumés!

Un salut capable de rendre la vie à celui qui croyait que votre éloignement n’était qu'un jeu de courte durée!

Toi qui, ignorant ce que l'amant peut entreprendre, blâmes sans cesse sa conduite, puisses-tu échouer dans tous tes projets!

Tu t'es fatigué à donner des conseils à un amant qui ne veut goûter ni bonheur ni satisfaction.

Arrête, malheureux !.... Va, fuis celui dont les entrailles sont cruellement déchirées par de beaux yeux.

Avant que tu donnasses des conseils à un homme que l’amour égare, tu étais son ami; mais, dis-moi, as-tu jamais vu qu'un amant se plût à vivre avec ceux qui le conseillent!

Si tu as voulu réformer ma conduite, moi je n'ai point voulu, dans ce qui regarde l'amour, réformer les penchants violents de mon cœur.

Eh ! que veulent donc les censeurs avec les reproches qu'ils adressent à celui qui, abjurant toute retenue, a trouvé dans cette conduite son repos et sa liberté!

Objets de ma tendresse, l'infortuné qui brûle du désir de se trouver au milieu de vous, lui serait-il permis de concevoir une espérance qui fît naître dans son cœur un calme délicieux!

Depuis que vous êtes cachés à mes regards, j'ai poussé des gémissements qui ont répandu la tristesse et le deuil dans les contrées de Misr

Lorsque je songe à vous (étrange effet d'un souvenir plein de charmes !) je chancelle comme si j'étais enivré d'un vin délectable ;

Et lorsque j'ai été invité à oublier les engagements que j'ai contractés avec vous, mes entrailles sont demeurées sourdes à de telles propositions.

Bénis soient les instants qui se sont écoulés avec des amis dont la douce présence faisait la joie de toutes mes nuits.'

Le lieu où ils avaient établi leur demeure, devenait ma patrie. Je me plaisais au milieu de ceux qui reposent sous des tamarins: chez eux, l'approche de toutes les eaux m’était permise.

Leur aimable société faisait toute mon ambition, et le doux ombrage de leurs palmiers toute ma joie ; et sur le sable des deux vallées j'aimais à me délasser.

Hélas ! qu'est devenu ce temps si délicieux ! où sont-ils ces jours où, exempt de fatigue, je goûtais tant de douceurs et de repos !

Je le jure par la Mecque, par la station d'Ibrahim, et par ceux qui, observateurs fidèles des rites sacrés, viennent visiter avec respect la maison vénérable ;

Jamais le souffle du zéphir n'a fait incliner l'absinthe des collines, sans qu'il ne m'ait apporté de chez vous, ô mes amis, des odeurs suaves et vivifiantes.

VII.

Ralentis ta marche et compatis à mon sort, ô chamelier ! Songe que tu emportes mon cœur avec toi.

Ne vois-tu pas comme les chameaux gourmandés, remplis d'ardeur, tourmentés par la faim et la soif, soupirent après les délicieux pâturages ?

La fatigue des déserts a transformé leur corps en un squelette qui n'est revêtu que d'une peau desséchée.

Leurs pieds dépouillés et meurtris sont devenus si sensibles à la douleur, que le sable sur lequel ils marchent paraît être changé en charbons ardents.

Leur extrême lassitude a diminué leur embonpoint, et l'anneau attaché à leurs narines ne soutient plus la bride flottante. Laisse-les paître librement le thémâm qui croît dans les terres basses.

Leur bouillant courage les a exténués ; si tu manques d'eau pour calmer leur soif, eh bien! conduis-les promptement dans des lieux creux où ils trouvent de quoi se désaltérer.

Marche devant eux pour mieux les guider, mais ne les fatigue point trop; tu sais qu'ils se rendent vers la plus sainte des vallées.

Que Dieu prolonge ta vie ! Si tu passes, au matin, par la vallée de Yanboua, par Addahna et par Bedr ;

Si tu traverses les déserts d'Annaka et d'Audân-Waddân, pour te rendre à Râbig, dont les eaux rares calment un peu la soif du voyageur ;

Si tu franchis les plaines sèches et arides, dans le dessein de visiter les tentes de Codaïd, séjour de mortels vertueux ;

Si tu t'approches de Kholaïs, d'Ousfan et de Marr-Azzharân, qui est le rendez-vous des habitants du désert;

Si tu t'avances ensuite vers Aldjamoum, Alcasr, Addakna, lieux où descendent les voyageurs qui ont besoin d'eau ;

Si tu arrives à Attan'im, à Azzâhir, qui produit des fleurs, et te diriges vers le sommet des montagnes;

Si, après avoir traversé Alhadjoun, tu poursuis ta course, désirant visiter le séjour des saints les plus austères ;

Si enfin tu arrives à Alkhiâm, n'oublie pas alors de saluer souvent, de ma part, les Arabes chéris de cette contrée.

Captive-les par des discours pleins de douceur, et conte-leur une partie des peines que j'endure, et qui ne doivent jamais finir.

O mes amis ! quand est-ce que votre approche de l'asile inviolable que j'habite, me rendra le sommeil qui m'a fui!

Qu'elle est amère la séparation, ô mes amis de la tribu ! et qu'elle est douce la réunion après une longue absence !

Comment pourrait-il trouver des charmes à la vie, l'infortuné abîmé par l'excès de la souffrance, et qui cache dans ses entrailles des flammes qui le consument !

Sa vie et sa patience s'évanouissent, mais son amour et sa douleur augmentent sans cesse.

Hélas ! son corps se trouve en Egypte, ses doux amis sont en Syrie, et son cœur est dans Adjiâd.

Oh ! s'il m'est jamais permis de faire une nouvelle station sur les pierres chéries d'Arafat, de quelles joies ne serai-je pas enivré, après une aussi longue absence !

Puisse-t-elle ne jamais périr, la mémoire du jour où nous nous réunîmes dans Almosalla, lieu sacré où nous fûmes invités à entrer dans la voie de la vérité ! Alors nos chameaux, chargés du palanquin, traversaient, au lever de l'aurore, les deux montagnes, et s'avançaient d'un pas rapide vers les défilés. Alors des pluies abondantes et fécondes rafraîchissaient et nous tous rassemblés dans Mozdalafat, et les nuits délicieuses passées dans Alkhaïf.

Que d'autres ambitionnent des richesses et des dignités; pour moi, je ne soupire qu'après la vallée de Mina: elle seule fait l'objet de tous mes désirs.

O habitants du Hedjaz, ô vous que j'aime si tendrement ! si la fortune, soumise aux décrets divins, a voulu que je demeurasse séparé de vous,

Eh bien ! apprenez donc que mon antique passion pour vous subsiste encore aujourd'hui, et que les doux sentiments que vous m'inspirâtes autrefois, m'animent encore en ce moment.

Vous habitez dans le fond de mon cœur ; mais, hélas! vous êtes bien loin de mes yeux.

O toi, mon assidu compagnon pendant la nuit, si tu veux m'être secourable, console mon cœur en m'entretenant de la Mecque.

Oui, Je voisinage de la Mecque est ma patrie; sa terre est mon parfum ; et c'est sur les bords du torrent que je trouve mes provisions de voyage.

Là sont les objets de ma tendresse; là je m'élevais à la perfection. J'étais toujours prosterné devant la station d'Ibrahim, et les faveurs du ciel descendaient sur moi.

Mais les destinées cruelles m'ont éloigné de la Mecque ; elles ont arrêté le cours des célestes bienfaits ; et mes communications avec Dieu sont interrompues.

Ah! si la fortune m'accorde de retourner à la Mecque, peut-être reverrai-je ces jours qui furent pour moi des fêtes ravissantes.

J'en jure et par le mur Alhathim, et par les angles du temple, et par les voiles sacrés, et par les monts Safa et Merwa, entre lesquels courent les fervents adorateurs.

Et par l'ombre d'Aldjénâb, et par la pierre d'Ismaïl, et par la gouttière sainte, et par le lieu où sont exaucées les prières des pèlerins :

Non, je n'ai jamais respiré l'odeur suave du bachâm, qu'au même instant elle n'ait apporté à mon cœur un salut de la part de Soâd, ma bien-aimée.

VIII.

Sur le champ de bataille où les yeux et les cœurs se livrent de cruels combats, je péris, sans avoir commis la faute la plus légère.

A peine l'éclat de cette beauté merveilleuse eut-il frappé mes regards, avant même d'éprouver de l'amour, je me suis écrié : C'en est fait de moi !

Dieu soit loué ! mes paupières sont condamnées à l'insomnie à cause de la passion que tu m'as inspirée; et mon cœur est resté en proie aux tourments.

Mes côtes se sont desséchées par la violence de mes désirs : il s'en est peu fallu que le feu qui les consumait, ne les redressât, de courbées qu'elles sont par leur nature.

Mes larmes ont coulé avec une telle abondance, que, sans les soupirs brûlants qui s'exhalaient de ma poitrine, elles m'auraient englouti dans leur cours.

Oh! que les douleurs qui m'anéantissent et me rendent comme une ombre invisible, me sont agréables ! qu'elles prouvent bien l'excès de mon amour !

Triste et abattu au lever ! de l'aurore comme au coucher du soleil, je n'ai point dit, vaincu par la souffrance : Chagrins, dissipez-vous.

Je me sens ému d’une douce pitié pour tout cœur agité d'une passion tendre, pour toute bouche qui tient le langage de l'amour ;

Pour toute oreille fermée aux reproches du censeur importun, pour toute paupière que le plus léger sommeil ne vient jamais appesantir.

Loin de moi ce froid amour qui laisse les yeux secs et vides de pleurs, cette passion qui n'allume point des transports violents !

Inflige-moi la peine que tu voudras, excepté l'exil : amant toujours fidèle, toujours soumis, je volerai au devant de tous tes désirs.

Prends le dernier souffle de vie que tu m'as laissé : l'amour n'est pas parfait, tant qu'il épargne un reste d'existence.

Ah ! qui me fera périr victime de l'amour que je ressens pour une tendre gazelle formée de la pure essence des esprits célestes !

Expirer d'amour pour cette belle, c'est s'assurer parmi les véritables amants le rang le plus glorieux.

Couverte du voile de sa chevelure, si elle s'avance à travers les ombres d'une nuit semblable aux boucles noires de ses cheveux, l'éclatante blancheur de son front la dirige et lui tient lieu des feux du firmament.

Si je me perds dans la nuit de sa chevelure ondoyante, l'aurore de son front resplendissant dirige mes pas égarés.

Quand ma bien-aimée soupire, Oui, dit le musc, c'est du souffle embaumé de cette belle que je compose mes plus doux parfums.

Les années qu'elle passe en ma présence, s'écoulent avec la rapidité d'un jour; et le jour où elle reste dérobée à mes regards, passe lentement comme des années.

Si ma bien-aimée s'éloigne, ô mon sang, abandonne le cœur que tu animes; si elle revient, ô mes yeux, exprimez l’allégresse.

Et toi, censeur impitoyable, qui me reproches amèrement la passion que je ressens pour cette tendre gazelle, va, laisse-moi en repos, et garde tes lâches conseils.

La critique est vile, et elle n'a jamais attiré de louanges à celui qui l'exerce. Eh! un amant doit-il devenir l'objet d'une satire amère !

O toi dont le cœur est calme, ne porte pas tes regards sur celle qui fait mon bonheur. Estime-toi heureux de posséder ton cœur, et crains le trouble où jettent des yeux noirs.

O mon ami! écoute-moi; c'est la compassion qui dicte mes conseils : garde-toi d'approcher de la tribu de ma bien-aimée.

Pour elle, j'ai abjuré toute retenue ; pour elle, j'ai renoncé au mérite des bonnes œuvres, et j'ai négligé d'accomplir le saint pèlerinage de la Mecque.

L'amour dont je brûle est aussi pur que le visage éclatant de blancheur des élus, et les reproches de mes censeurs me paraissent noirs comme la face des réprouvés.

Dieu soit béni ! qu'elles ont de charmes les qualités dont elle est ornée ! à combien de cœurs ses attraits ont donné ou la vie ou la mort!

Si quelquefois, au milieu des reproches que mon censeur m'adresse, le doux nom de mon amie s'échappe de sa bouche, alors mes oreilles ravies s'ouvrent avec avidité pour l'entendre, quoiqu'elles restent sourdes à ses conseils.

L'éclair me fait pitié, quand on le compare au doux sourire de ma bien-aimée : les dents éblouissantes de cette belle le couvrent de honte.

Souvent, lorsqu'elle est loin de moi, mes sens abusés la retrouvent dans tout ce qui a de la grâce et du charme;

Dans les sons harmonieux de la lyre et de la flûte, lorsque ces deux instruments marient leurs accords ;

Dans ces riantes vallées, où viennent, à la fraîcheur délicieuse du soir et au lever de l'aurore, paître de timides gazelles;

Dans les prairies où tombe la tendre rosée sur des tapis de verdure émaillés de fleurs ;

Dans les lieux où le zéphyr traîne les plis de sa robe embaumée, quand, au léger crépuscule du matin, il m'apporte les plus suaves odeurs.

Je la vois encore lorsque ma bouche pressé avidement les lèvres parfumées de la coupe, pour savourer une liqueur vermeille dans des lieux consacrés au plaisir.

Elle seule me suffit; auprès d'elle je retrouve ma patrie; et mon esprit, partout où nous sommes réunis, ne connaît ni peine ni agitation.

La tente où repose ma bien-aimée est la mienne ; sa présence dans des plaines incultes et sauvages les rend pour moi un séjour délicieux.

Heureuse la caravane que tu accompagnes dans ses marches nocturnes ! de ton visage jaillissent les traits lumineux d'une aurore qui dirige ses pas.

Qu'ils agissent suivant leurs désirs, ces fortunés voyageurs ! possédant au milieu d'eux une beauté ravissante comme la pleine lune, ils sont à l'abri de tout danger.

Je t'en conjure, et par mon indocilité aux reproches de mes censeurs, et par cette flamme dévorante que l’amour entretient dans mes entrailles,

Daigne considérer un cœur qui est déchiré par les souffrances que lui causent tes attraits, des yeux qui sont noyés dans des torrents de larmes.

Prends pitié d'un infortuné qui tantôt sent lui échapper tout espoir, tantôt se berce de douces illusions.

Calme l'ardeur de mes désirs par une réponse qui ranime mes espérances ; délivre ma poitrine du poids qui l'oppresse.

Bénie soit cette faveur que tu m'as accordée, lorsqu'une voix consolante m'annonça que le repos allait enfin succéder à mon cruel désespoir !

Nouvelle agréable à ton cœur ! m'a-t-elle dit ; paie-ïa du renoncement a tout ce que tu possèdes: malgré toutes tes imperfections, il a été parlé de toi devant l'objet de ton amour.

IX.

Porte à la ronde la mémoire de celle que j'aime, ne fût-ce que pour condamner mon amour: car les entretiens qui ont pour objet ma bien-aimée, sont le vin dont je m'enivre.

Qu'ainsi je puisse voir, malgré son absence, celle que j'aime avec transport, dans l'image qui m'en est présentée par tes reproches, et non dans ces apparitions fugitives qui ont lieu pendant le sommeil!

Oui, toute mention de ma bien-aimée est douce à mon cœur, dussent mes censeurs l'accompagner de paroles injurieuses.

Il me semble que celui qui blâme ma conduite, m'annonce le moment fortuné de l'union, quoique je n'aie jamais espéré de ma tendre amie une réponse à mes salutations.

Je dévoue mon âme à cette beauté, pour l'amour de qui tout mon être s'est consumé a un tel point, que la mort s'est approchée de moi avant le terme fixé à mes jours.

C'est à cause de cette beauté que ma honte divulguée s'est changée pour moi en un doux parfum, et que l'humiliation et l'opprobre où m'a fait descendre mon amour, m'ont semblé remplis de délices après l'état glorieux où je me suis trouvé.

C'est à cause de cette beauté, que m'ont charmé, après m'être livré à de pieux exercices, et mes désordres, et le renoncement à toute pudeur, et mes actions criminelles.

Si je vaque à la prière, mes lèvres, tandis que je parcours le livre sacré, murmurent ses louanges ; et je tressaille de joie, quand, monté dans la chaire, je l'aperçois devant moi.

Si je revêts l'habit de pèlerin, son nom est sans cesse dans ma bouche. Éviter sa présence me paraît un crime comparable à celui de rompre le jeûne.

Mes larmes ont dévoilé ma triste situation : elles ont coulé en abondance au souvenir des événements passés. Les sanglons ont fait connaître toute l'étendue de mon amour.

Je pars le soir avec un cœur ivre d'amour, et je reviens le matin avec un œil que la douleur a noyé de larmes.

Dans quel état se trouvent donc est mon cœur et mes yeux! celui-là est tourmenté par les attraits de ma bien-aimée, et ceux-ci sont toujours avides de contempler sa taille élégante.

Ni le sommeil, ni cette beauté brillante comme l'aurore, ne me visitent plus : je ne rencontre que l'insomnie, et mes désirs ne font que s'accroître,

Les liens qui m'attachent à ma bien-aimée sont indissolubles, et les serments que je lui ai faits, inviolables. La douleur que j'éprouvais, je l'éprouve encore; et l'amour qui me possédait, me possède toujours.

Mon corps, à cause de son excessive maigreur, met au jour mes secrètes pensées, et mes pensées elles-mêmes ont plus de consistance que mes os ; tant ceux-ci sont broyés par le mal!

Je suis accablé par la violence de l'amour : mes entrailles sont déchirées, et mes paupières abîmées par les larmes de sang dont elles sont incessamment remplies.

L'amour m'a terrassé; et mon corps, par son extrême délicatesse, a rivalisé de légèreté avec l'air subtil du matin : ainsi donc le souffle du zéphyr a visité ma bien-aimée.

Ce n'est point la maladie, c'est l'amour qui m'a ainsi atténué. Demandez-moi donc au zéphyr; c'est dans lui que mon séjour est établi.

La maigreur m'a tellement anéanti, qu'elle n'a plus trouvé de prise sur moi, que j'ai disparu à la guérison de mes maux, et que ma soif brûlante n'a pu se calmer.

Je n'ai point appris qu'aucun être ait connu ma demeure, si ce n'est l'amour, et le soin avec lequel je cache mes secrets et j'observe mes engagements.

L'amour n'a laissé de moi qu'ennuis, chagrins, tourments et souffrances excessives.

Je n'ai conservé de mon sommeil, de ma patience, e mes consolations, rien autre chose que les noms. Qu'il sauve son âme du danger, celui qui est libre de l'amour que je ressens: mais toi, ô mon âme, pars, en te soumettant aux décisions de l'amour.

Mon censeur, appliqué sans relâche à me persécuter, m'a dit : Oublie l'objet de ta tendresse. Je lui ai répondu : Cesse plutôt de m'accabler de tes reproches.

Eh ! qui serait digne de me diriger dans mon amour, si j'avais désiré écouter des consolations ? n'est-ce pas sur moi, au contraire, que doivent se régler, dans leur amour, tous ceux qui tiennent le premier rang en amour !

Il n'est point de partie de mon corps qui ne soit attirée vers elle, et possédée d'un amour qui me traîne sur ses pas comme par la bride.

Ma bien-aimée s'est balancée en sens divers, et alors nous avons pensé que chaque partie de son corps qu'elle faisait mouvoir, devenait une taille déliée, semblable au rameau des sables du désert, et que surmontait un visage éclatant comme la lune dans son plein.

Chacun de mes membres renferme des entrailles qui, lorsque ma bien-aimée a tendu son arc, offrent une place à chacun de ses traits.

Si elle eût examiné mon corps, elle aurait vu un cœur dans chaque partie de mon être, et dans chaque cœur un tourment amoureux.

Une année passée auprès d'elle me semble rapide comme un clin d'œil, et une heure d'absence s'écoule lentement comme une année.

Un soir que nous nous rencontrâmes au milieu du chemin qui conduit droit à sa demeure et à ma tente ;

Nous voyant à quelque distance de la tribu, dans un lieu où il n'y avait ni surveillant ni délateur qui pût nous nuire par ses calomnies,

Je posai mon visage contre terre, pour qu'il servît de marchepied à ma bien-aimée. Elle me dit alors: Réjouis-toi, tu peux maintenant appliquer tes lèvres sur mon voile.

Mais mon âme ne voulut point y consentir; car elle attendait de la noblesse de mes sentiments la conservation de son propre honneur.

Et nous passâmes la nuit comme je l'avais désiré : je croyais posséder tous les royaumes de la terre, et il me semblait que le temps m'obéissait en esclave.

X.

LA KHAMRIADE, OU L'ÉLOGE DU VIN.

Poème mystique.

Nous avons bu au souvenir de notre bien-aimée un vin délicieux dont nous fûmes enivrés avant la création de la vigne.

Une coupe brillante comme l'astre de la nuit contient ce vin, qui, soleil étincelant, est porté à la ronde par un jeune échanson beau comme un croissant. Oh! combien d'étoiles resplendissantes s'offrent à nos regards, quand il est mélangé avec de l'eau !

Sans le doux parfum que cette liqueur exhale, nous n'aurions point été attirés vers les lieux où elle se trouve ; et si elle n'eût pas brillé d'un vif éclat, jamais notre imagination n'aurait pu la concevoir.

Le siècle n'a laissé paraître au dehors qu'une goutte légère de cette liqueur. On dirait qu'inactive et sans effet, elle reste ensevelie et comme scellée au fond des cœurs.

S'il en est parlé dans la tribu, à son nom seul le peuple devient ivre au même instant, et il n'est point déshonoré, et il n'a point commis l'iniquité.

Du fond des vases qui la renferment, peu à peu cette liqueur s'est échappée, et il n'en est resté absolument que le nom,

Qu'elle se présente à l'esprit d'un malade, la joie pénètre aussitôt dans son cœur, et le chagrin s'évanouit.

Si les convives voyaient le cachet apposé sur les vases qui la contiennent, la vue de ce cachet serait capable de les faire tomber dans l'ivresse.

Que l'on arrose de cette liqueur la terre sous laquelle repose l'homme qui n'est plus, aussitôt il revient la vie, et il se lève droit sur ses pieds., Si l'on portait un homme que la mort est près de saisir, à l'ombre du mur servant d'enceinte à la plante qui produit cette liqueur, nul doute que son mal ne l'abandonnât au même instant.

Si l'on approchait un boiteux du lieu où elle se vend, il marcherait incontinent; et le muet, au seul récit de son goût délicieux, retrouve la parole.

Que dans l'Orient elle exhale son odeur embaumée, et qu'il se trouve dans l'Occident un être privé de l'odorat, alors celui-ci recouvre la faculté de sentir.

Qu'une goutte de cette liqueur colore la main de celui qui tient la coupe, non, il ne s'égarera pas au milieu des ténèbres : il est guidé par un astre éclatant.

La présente-t-on en secret à un aveugle né, la vue lui est Aussitôt rendue. La fait-on passer d'un vase dans un autre pour la clarifier, le sourd, à ce doux murmure, retrouve l’ouïe.

Si, parmi des voyageurs qui se dirigent, montés sur leurs chameaux, vers le sol qui lui donne naissance, il se trouve quelqu'un de mordu par un scorpion, eh bien ! le venin de cet animal ne saurait lui nuire.

Si l'enchanteur traçait les lettres qui forment le nom de cette liqueur sur le front d'un homme frappé de démence, oui, ces caractères le guériraient.

Si son nom glorieux était écrit sur le drapeau de l'armée, cette marque sacrée enivrerait tous ceux qui se sont rangés sous ce drapeau.

Elle rend plus douces et plus aimables les mœurs des convives ; et par elle est guidé dans la voie de la raison celui à, qui la raison n'est point donnée en partage.

Il devient généreux, celui de qui la main ignorait la générosité : il devient doux, au moment où sa colère s'allume, celui qui n’était point doué de douceur,

Si le plus stupide d'entre les hommes pouvait appliquer un baiser sur la partie scellée du vase o» cette liqueur est contenue, ce baiser, sans doute, lui communiquerait la connaissance intime de ses plus sublimes perfections.

Décris-nous, me dit-on, cette liqueur, toi qui connais si bien ses attributs merveilleux. Oui, je vais la décrire, parce que ses qualités me sont dévoilées.

C'est ce qu'il y a de plus pur, et cependant ce n'est point de l'eau; ce qu'il y a de plus léger, et pourtant l'air ne la compose point. C'est une lumière que le feu n'engendre pas; c'est une âme qui n'habite point de corps.

Sa mémoire a précédé anciennement tous les êtres créés, alors qu'il n'existait aucune forme visible, aucun corps apparent.

Par elle se sont établies toutes choses: ensuite, par une sagesse qui lui est particulière, elle s'est dérobée aux regards de ceux qui n'ont pu la comprendre.

A sa vue, mon âme égarée est tombée en extase; et toutes deux se sont confondues tellement l'une dans l'autre, que l'on ne pourrait pas discerner si une substance a pénétré une autre substance.

Ce vin, considéré seul, représente mon âme que je tiens d'Adam ; la vigne, elle seule considérée, signifie mon corps, qui, comme elle, a la terre pour mère.

La pureté des vases, je veux dire des corps, provient de la pureté des pensées qui s'étendent et se perfectionnent par cette ineffable liqueur.

On a voulu établir une différence entre ces choses, mais le tout est demeuré un et indivisible. Or, nos âmes sont le vin, et nos corps la vigne.

Avant cette liqueur il n'est rien, et après elle il n'est rien encore. Le temps où a vécu le père commun des hommes n'est venu qu'après elle, et elle a toujours existé par elle-même.

Avant les siècles les plus reculés, elle était ; et l'origine des siècles n'a été que le sceau de son existence.

Telles sont les infinies perfections de cette liqueur, qui engagent a la décrire tous ceux qui sont épris de ses attraits. Que la prose ou les vers célèbrent ses louanges, n'importe : les louanges ont un mérite égal.

Celui qui en entend parler pour la première fois, tressaille d'allégresse, comme l'amant passionné au seul nom de sa bien-aimée.

Plusieurs m'ont dit : Tu as bu l'iniquité. Non, ai-je repris, le vin que j'ai bu est un vin que je n'aurais pu refuser sans crime.

Qu'elle soit salutaire cette liqueur aux pieux anachorètes ! Combien de fois ils en ont été enivrés ! et pourtant ils n'en ont point bu ; ils n'ont fait que la désirer !

Mon esprit en a été troublé dès mon plus jeune âge, et cette douce ivresse m'accompagnera sans cesse, après même que mes os seront réduits en poudre.

Savoure-la dans toute sa pureté ; mais si tu veux la mélanger, songe bien alors que te détourner de l'haleine de ta bien-aimée, ce serait commettre un crime.

Cours la demander aux lieux où elle se distribue; qu'on vienne te l'offrir dans toute sa splendeur, parmi des chants mélodieux. Qu'il est grand l'avantage de savourer cette liqueur au doux bruit des concerts !

Jamais cette liqueur et les soucis n'habitèrent ensemble, et jamais le chagrin ne résida au milieu des concerts.

Si tu étais enivré de cette liqueur, né fut-ce qu'un instant, tu verrais la fortune soumise à tes ordres, et fa puissance te serait donnée sur toutes choses.

Il n'a point existé ici-bas l'homme qui a passé ses jours sans jamais la goûter ; et celui qui est mort sans en être enivré, jamais la raison n'a été son partage.

Qu'il pleure donc sur lui-même l'infortuné qui, n'ayant point pris sa part de cette merveilleuse liqueur, a traîné une vie inutile et déshonorée !

 

 


 

SALAH EDDIN KHALIL BEN IBEK ASSAFADY

A COMPOSÉ CES VERS:

XI.

O mes chers compagnons ! depuis votre départ, mon cœur est en proie aux tourments. Ah ! s'il succombait sous le poids de la douleur, il ne s'acquitterait pas encore d'une portion de tout ce qu'il vous doit.

Vous êtes partis, et mon cœur est resté enchaîné comme un captif à votre palanquin. Eh ! comment pourrait-il retourner à sa demeure, l'infortuné à qui votre cruauté a ravi toutes ses forces !

Pourrait-il, loin de vous, couler des jours sereins et libres de soucis, tandis que son cœur brûle d'amour, et que tous ses sens sont bouleversés !

En vous éloignant de moi, vous avez allumé dans mon cœur le feu dévorant de l'amour : tout mon corps se fond de douleur, et mes larmes coulent en abondance.

Les colombes des sables du désert ont, par leur chant plaintif, compati à ma peine. Ah ! il ne faudrait pas s'étonner si elles déploraient mon trépas.

Du milieu du feuillage elles me récitent d'un ton mélodieux leurs aventures amoureuses ; et, sensibles à leurs doux concerts, les branches s'agitent mollement.

Il semble que les nuages, touchés de mes maux, se soient changés en prunelles humides qui versent des larmes abondantes.

O mon fidèle compagnon ! je t'en conjure au nom de Dieu, rends-moi la vie en m'entretenant de mes amis absents ; ne te lasse point de m'en parler : peut-être alors que "tes discours calmeront un peu mon amour et mes souffrances.

Et toi, messager rapide, décris-leur mes longues veilles ; dis-leur que mes yeux attendent avec impatience la visite de leur image chérie.

Supplie-les de faire présent à mes yeux d'un peu de sommeil. Puissent-ils me rendre une légère partie d'un repos qu'ils m'ont enlevé tout entier !

Tiens-leur des discours tendres et insinuants, et ne les fatigue pas par des demandes multipliées ; essaie de les toucher en leur peignant les douleurs que l'amour et la séparation font endurer.

Laisse échapper mon nom comme par hasard. S'ils te demandent, Le connais-tu ! alors réclame leur indulgence en ma faveur ; mais jure que tu ne me connais pas, si tu les vois se mettre en courroux.

Rappelle-leur ces nuits que je passais au milieu d'eux, ces nuits délicieuses où eux seuls me tenaient lieu des sept astres voyageurs qui parcourent la voûte céleste.

Ils sont l'objet de mes désirs, de mes espérances ; je ne vis que pour eux, je ne demande et ne recherche qu'eux.

Qu'ils m'accablent de leurs dédains, ou me donnent des marques de leur affection ; qu'ils s'éloignent ou se rapprochent de moi, n'importe ! mon cœur leur reste attaché, et il ne soupire que pour eux.

Ils sont mon refuge, lorsque je suis menacé de quelque infortune ; mon port assuré, quand le sort ennemi me fait éprouver ses rigueurs.

Ils sont l'âme qui anime mon corps ; c'est d'eux que, pour son malheur, il reçoit une vie qui s'écoule dans l'amertume.

Ils sont la lumière de mes yeux, quoique mes jours soient couverts de deuil à cause de leur absence, et qu'ils soient flétris par la douleur.

Mes amis sont-ils présents, les pleurs qui alors inondent mes paupières, forment un nuage épais qui me dérobe leur visage. Hélas ! quoique présents, ils sont éloignés pour moi.

Si mes amis sont absents, et que leur image enchanteresse vienne, de leur part, dans le silence de la nuit, voltiger autour de moi, ah ! la cruelle insomnie m'empêche de jouir d'une visite si chère.

Et quand je pourrais suspendre le cours de mes larmes, je ne verrais pas encore les doux objets de mon amour : Je respect et la bienséance me défendraient de porter sur eux mes regards.

Mes yeux n'ont donc pu jouir de leur aspect chéri ! ils se sont remplis de tant de larmes, que les nuages étaient honteux de les voir couler en aussi grande abondance.

Les filles du Turkestan ont réuni en elles tous les charmes du soleil et de la lune, et elles n'ont laissé à ces deux astres rien qui puisse devenir le partage d'autres beautés.

Mais lorsqu'elles te font des promesses d'amour, jamais elles ne restent fidèles. Ah ! ce n'est pas ainsi que se comportent les filles de l'Arabie.

J'excepterai cependant des premières la tendre gazelle qui fait les délices de mon cœur. Ciel ! que de qualités nobles et brillantes se trouvent réunies en elle!

Elle est douée de mœurs si douces et si aimables, qu'elle est capable d'enseigner à celui qui ne connaît pas l'amour, comment de tendres regards portent des coups mortels.

Les voluptueux regards qu'elle laisse échapper de ses paupières à demi fermées, ont ouvert en moi une large plaie de chagrins amoureux, dont la flamme dévore mes entrailles.

Lorsque les épées de ses cils délicats s'agitent, c'est par elles que les flancs sont déchirés, et non pas par les glaives acérés que l'Inde nous envoie.

Si ma bien-aimée déploie les mouvements variés de son corps flexible, c'est par la force invincible des charmes qu'elle découvre, et non par les coups des lances l’Alkhat, que les cœurs reçoivent des blessures mortelles.

Ma bien-aimée se montre-t-elle; alors la lune, qui brille sur l'horizon, honteuse de se voir effacée par l'éclat de cette belle, abaisse sur son front Je voile des nuages.

O éclair, saisi d'admiration à la vue de ses lèvres vermeilles, garde-toi bien de sourire ; car la fraîcheur de son haleine et la blancheur de ses dents surpassent tout ce que tu possèdes.

O rameau des sables du désert, si ma bien-aimée se balançait, tu t'approcherais d'elle avec respect, et tu te prosternerais à ses pieds.

L'éclat de son front virginal me sert de flambeau ; ses joues sont le parterre où je cueille mes roses ; son haleine est le vin dont je m'enivre.

Depuis que j'ai aspiré son haleine embaumée, ni le jus exprimé de la grappe, ni ces bulles argentées qui brillent sur une onde fraîche et limpide, ne peuvent plus captiver mes sens.

 

 


 

EXTRAIT DU LIVRE INTITULÉ

CONQUÊTE DE LA SYRIE,

4

D'ABOU ABD-ALLAH MOHAMMED BEN OMAR ALWAKÉDY.

DHÉRAR, FILS D'ALAZWAR.

XII.

Abou obeidah commandait en Syrie les troupes du khalife Omar, fils d'Alkhatthâb. Apres avoir remporté divers avantages sur les Grecs, il mit à la tête de deux cents cavaliers Dhérar, fils d'Alazwar, guerrier distingué entre les Arabes, lui donnant l'ordre de se porter vers le nord de la Syrie, et de piller les villes maritimes. Arrivés dans la plaine de Dâbic, lui et ses compagnons se couchent sur la terre pour prendre du repos. Pendant qu'ils sont profondément endormis, Alhâïm, fils de Djabalah, conduisant une armée d'Arabes qui avaient embrassé le christianisme, accourt en toute hâte, tombe avec les siens sur une partie des compagnons de Dhérar, et les fait prisonniers, sans éprouver une longue résistance. Cependant Dhérar, réveillé par les cris, est déjà monté sur son cheval. Il élève la voix, et anime au combat les cent cavaliers qui lui restent, par le discours suivant :

« Courage ! précipitez-vous sur ces troupes viles et parjures, et abreuvez vos glaives du sang des phalanges ennemies. Défendez la religion, objet de la vénération des hommes, et cherchez à complaire au Dieu de tous les êtres, au dispensateur des bienfaits. Que celui d'entre vous qui désire échapper aux flammes éternelles, au jour où chacun recevra le prix de ses œuvres, s'élance à l'heure même sur l'ennemi, avec l'impétuosité du lion, et qu'il ne songe qu'à se rendre agréable à l'Envoyé qui n'a point trompé les hommes. »

XIII.

Il dit, et à l'instant un combat opiniâtre s'engage entre les musulmans et les Arabes qui s'étaient faits chrétiens. Dhérar, malgré sa valeur, est enveloppé de toutes parts. Les chrétiens se saisissent de sa personne, le chargent de fers, et le conduisent à Antioche. La nouvelle de la défaite de Dhérar étant parvenue à Abou Obéidah, lui et les musulmans gémissent sur son triste sort, et Khoulah, fille d'Alazwar, sœur du héros captif, exhale sa douleur en ces termes :

« Eh quoi ! n'y a-t-il personne qui puisse nous donner des nouvelles de mon frère ! Qu'on me dise » ce qui peut le contraindre à rester si longtemps éloigné de nous ! Hélas ! si j’avais su que nous dussions nous séparer pour ne plus nous revoir, je lui aurais réitéré les plus tendres adieux. Lugubre oiseau, qui naguère me prédis son départ, n'apporteras-tu donc pas la joie dans nos cœurs, en nous annonçant l’arrivée prochaine de l'absent bien-aimé ! Comme tous nos jours étaient calmes et sereins quand mon frère était auprès de nous ! il faisait notre félicité, et nous faisions la sienne. Ah ! que Dieu combatte et extermine la séparation ! qu'elle est remplie d'amertume ! que ses traits sont meurtriers ! Ah ! que veut-elle de nous ! Je me rappelle les moments délicieux que nous avons passés avec mon frère ; pourquoi faut-il que la fortune inconstante nous ait éloignés l'un de l'autre ! Si jamais » il revient à sa demeure chérie, je couvrirai de baisers les pieds de sa monture. O douleur ! puis-je oublier l'instant où il m'a été dit : Dhérar est dans les fers ; nous l'avons laissé sur le sol de l'ennemi, et nous lui avons dit un dernier adieu. Hélas ! les jours de l'homme ne sont qu'un prêt de peu de durée, et nous disparaissons comme une parole qui n'a point de sens. Chaque fois que quelqu'un m'entretient de mon frère, je sens que mon cœur souffrant et plaintif ne peut s'attacher à d'autres qu'à lui. Salut à mon frère bien-aimé, à toute heure du jour, soit qu'il reste volontairement éloigné de nous, » soit qu'une dure nécessité le condamne à en être séparé ! »

XIV.

Une femme arabe dont le fils avait été fait prisonnier avec Dhérar, se trouvant alors dans la maison de Khoulah, fille d'Alazwar, déplore ainsi sa perte : « O mon fils ! la tristesse a consumé mon cœur ; mes larmes ont brûlé le passage qui leur donne issue, et elles ont allumé le feu de la douleur ; mes entrailles ont caché des flammes cruelles qui les dévorent. J'interroge avidement tous ceux qui arrivent ici montés sur leurs chameaux, dans l'espoir qu'ils me donneront de tes nouvelles, ô mon fils ! et que ma couche, pendant la nuit, sera moins tourmentée. Mais, hélas ! nul n'a pu jusqu'à présent m'instruire de ton sort ; nul n'a pu me dire que tu reviendras. O mon fils ! depuis que je ne te vois plus, ma vie est abreuvée d'amertume, et mes yeux sont toujours noyés de larmes ; mes facultés sont anéanties, et ma demeure n'est plus qu'un désert. Si tu vis encore, je me résous à passer dans le jeûne une année entière ; mais s'il en est autrement, quel remède l'homme peut-il apporter à ce malheur ? »

XV.

Cependant Dhérar et ses compagnons sont présentés à Héraclius. On leur ordonne de se prosterner devant le roi : ils refusent d'obéir. « L'envoyé de Dieu, dit Dhérar, nous défend de nous prosterner devant les créatures. » Une dispute théologique s'élève entre Héraclius et Dhérar. Mécontent des réponses hardies du guerrier musulman, et, de plus, excité à la vengeance par ceux qui l'entourent, le roi donne ordre que l'on fasse périr sur-le-champ Dhérar par le glaive. Il reçoit quatorze coups de sabre, dont aucun, dit l'historien, ne fut mortel, Dieu voulant le sauver des mains de ses ennemis, pour qu'il continuât à défendre son envoyé. Le roi ayant commandé qu'on lui coupât la langue, Yocana, chrétien qui s’était fait musulman, et qui, pour mieux réussir dans ses desseins, feignait de rester dévoué aux Grecs, engage Héraclius à ne point maltraiter ainsi Dhérar, et le supplie de le lui abandonner, ajoutant que si le lendemain il respirait encore, il le conduirait dès le matin à la porte de la ville, et que là il lui trancherait la tête ; châtiment qui affaiblirait considérablement les Arabes. Le roi approuve ce conseil. Aussitôt Yocana, aidé de son fils qui faisait partie des deux cents cavaliers commandés par Dhérar, conduit ce héros dans sa maison. On panse toutes ses blessures, et on lui donne tous les secours nécessaires. Dhérar, revenu enfin à lui, ouvre les yeux: convaincu que Yocana était demeuré fidèle à l'islamisme, il le remercie, ainsi que son fils, de leurs généreux soins, et s'entretient quelque temps avec eux des objets de son affection ; puis il prie ses bienfaiteurs de transmettre aux musulmans et à sa sœur le discours en vers qu'il va leur dicter.

« O vous qui m'êtes si secourables ! je vous conjure, au nom de Dieu, de porter mes derniers adieux à la Mecque, et au mur sacré qui enferme le temple. Puissiez-vous, tant que vous vivrez, goûter mille délices ! que la gloire, la félicité et l'assistance céleste vous accompagnent sans cesse ! puissent-ils n'être point perdus auprès de Dieu, les bienfaits que je reçois de vous ! Déjà je sens que mes vives douleurs sont adoucies ; vos soins compatissants m'ont procuré du soulagement et du repos : c'est ainsi que les hommes doivent faire entre eux un noble échange d'actions généreuses. Non, et j'atteste ici le temple sacré de Dieu, la mort n'est pas ce qui m'afflige ; mais ce qui cause toute ma peine, c'est le sort malheureux d'une femme avancée en âge, que j'ai laissée dans des lieux déserts et incultes. Privée de toute ressource, elle manque de force pour résister aux coups de la fortune ; elle n'a point d'autre asile que les déserts, point d'autre nourriture que l'absinthe, l'aurone et l'herbe sauvage. J'étais son unique appui, après qu'elle eut perdu les hommes a qui elle avait engagé sa foi ; et quoique je fusse pauvre, je faisais tous mes efforts pour qu'elle subsistât honorablement. Je la nourrissais des bêtes fauves qui tombaient en mon pouvoir; tour-à-tour je lui apportais des lièvres, des gerboas, des petits de chamois, de jeunes gazelles, des fruits du lotus, et des génisses habitantes des déserts. Je défendais sa demeure contre toute attaque étrangère, et je lui prodiguais les soins les plus assidus, lorsqu'elle se trouvait dans l'affliction et dans la détresse. Mais aujourd'hui je n'ai eu en vue que la gloire de Dieu, en combattant avec ma lance ceux qu'il a maudits ; et j'ai voulu réjouir la plus excellente des créatures, Mahomet, dans l'espérance d'obtenir la victoire au jour du jugement. Ah ! celui qui redoute ce jour doit s'efforcer de plaire à son Dieu, en exterminant les adorateurs impies de la croix. Animée par cette crainte salutaire, ma sœur, comme moi, a livré bataille aux incrédules, et elle n'a point cessé de se précipiter sur eux la lance à la main. Elle me disait, au moment que nous allions nous séparer : O mon frère ! je sens que je ne pourrai point supporter ton absence ; ô mon frère ! quelle dure séparation ! qui viendra de ta part nous apporter l'heureuse nouvelle de ton retour ? Ah ! lorsque l'homme a quitté la terre qu'habitent les siens, la fortune a décidé d'avance s'il reviendra dans sa patrie, ou s'il périra loin d'elle. Allez donc, généreux amis, et portez à ma sœur un tendre salut. Dites-lui que son frère est mort dans un pays étranger, victime de la cruauté de ses ennemis ; dites-lui que c'est en défendant l'islamisme et le plus pur d'entre les hommes, qu'il a été renversé, couvert de blessures, mis en lambeaux. Colombes qui habitez l'arâk, portez le message d'un amant qui ne peut revenir de son ivresse. Colombes de Nadjd, allez redire les parafes d'un infortuné qu’il soupire sans cesse après l'armée des musulmans et leurs chefs glorieux ; dites-leur que Dhérar est chargé de fers, et qu'il gémit loin de sa patrie, dans des contrées inhabitées. Colombes de Nadjd, faites entendre les discours d'un être souffrant, seul et délaissé, et qui languit dans l'opprobre de la captivité. Si ma sœur bien-aimée s'informe de mon sort, dites-lui que mes larmes coulent en aussi grande abondance que les eaux des nuages. Colombes de Nadjd, gémissez aux lieux qui m'ont vu naître, et dites : Dhérar est vivement ému au souvenir de sa terre natale. Si vous approchez des tentes où repose ma famille, dites alors : C'est ainsi que la fortune fait succéder la douleur à la félicité. Dites : Le captif que vous connoissez est en proie à des flammes dévorantes, et tout son corps est abattu par la souffrance ; sa vie ne s'étend » pas au-delà de vingt-huit ans, et les grâces qui naguère brillaient sur son visage, aujourd'hui sont effacées par les larmes que lui ont fait répandre et l'absence et des maux sans remède. Il a quitté volontairement sa patrie, dans le dessein de combattre les infidèles, et ces enfants de l'ignominie se sont emparés de lui par la trahison. Amis compatissants, que Dieu vous comble de ses bénédictions ! hâtez-vous de déposer mon corps dans cette terre, et écrivez sur ma tombe l'étrange histoire de mes malheurs. Et vous, colombes d'Alhathim et de Zemzem, faites à ma mère le récit de ma fin déplorable, et montrez-lui le lieu de ma sépulture. » Peut-être la fortune, devenue un jour propice, » permettra-t-elle à ma mère de visiter le tombeau abandonné d'un étranger ! »

Quand Dhérar eut cessé de parler, Yocana, qui avait écrit toutes les paroles sorties de sa bouche, plia la lettre qui les contenait, et chargea un homme affidé d'aller la porter aux musulmans. Lorsque l'envoyé fut arrivé devant Abou Obéidah, il lui dit : « J'ai à te remettre une lettre de la part d'un de ces guerriers qui languissent dans les fers à Antioche : il se nomme Dhérar, fils d'Alazwar. » Alors Abou Obéidah prit la lettre, en rompit le cachet, et la lut au peuple réuni autour de lui. Au récit funeste que Dhérar faisait de ses malheurs, tous les Musulmans furent émus de compassion, et ils pleurèrent amèrement. Khoulah, sœur de Dhérar, instruite de ce qui se passait, accourut hors d'haleine, et s'adressant à Abou Obéidah : « Lis-moi, lui dit-elle, les vers de mon frère. » Abou Obéidah en commença de nouveau la lecture, et presque au même instant, Khoulah fondit en larmes ; ses forces l'abandonnèrent, et sa douleur devint si vive, qu'Abou Obéidah, croyant qu'elle allait expirer, ne put achever de lire les vers de Dhérar. Enfin Khoulah s'écria : « Nous appartenons à Dieu, et nous retournerons vers lui : il est le seul puissant, le seul fort; je jure de venger Dhérar. » Tout le peuple eut bientôt gravé dans sa mémoire les vers de Dhérar, et il ne fut aucun musulman qui ne se plût à réciter les infortunes de ce guerrier.

Abou Ofaéidah, impatient d'étendre ses conquêtes, ne tarda pas à se mettre en marche vers Antioche. Il était accompagné de Khaled, fils d'Alwalid; d'Amrou, fils d'Alas ; d'Abd-Arrahman, fils d'Abou Bekr, et d'une foule d'autres guerriers renommés par leur courage. A la suite de l'année marchait une troupe de femmes plaintives qui ne formaient de vœux que pour la délivrance des objets de leur tendresse retenus dans les fers ; mais nulle ne manifestait une douleur aussi profonde que la fille d'Alazwar. Le doux sommeil s'enfuyait de ses yeux abîmés par les larmes, et aucune parole de consolation ne pouvait pénétrer dans son cœur, pour calmer ses angoisses mortelles.

Cependant Yocana avait facilité l'évasion de Dhérar et de ses compagnons. Ceux-ci, soutenus par quelques détachements qu'Abou Obéidah avait envoyés en avant, tombèrent bientôt sur les Grecs, et les firent repentir des cruautés qu'ils avaient exercées à leur égard. Dhérar se précipita sur eux, frémissant de rage, et son glaive sut bien alors le venger de tous les maux qu'il avait soufferts. Chaque fois qu'il étendait un ennemi à ses pieds, il disait d'une voix terrible : « Vengeance de Dhérar ! » Pendant qu'il faisait un tel massacre des Grecs, il aperçut non loin de lui un cavalier musulman qui donnait des preuves signalées de sa bravoure ; seul il rompait, dispersait des bataillons entiers, et ne cessait de crier, d'un ton plein de fureur: « Vengeance de Dhérar! » Frappé de ce spectacle, Dhérar s'approche du cavalier qui portait des coups si formidables, le considère avec attention, et reconnaît sa sœur. « O fille d'Alazwar, » s'écrie-t-il, regarde-moi, je suis ton frère ! » A ces mots, Khoulah s'élance vers Dhérar pour l'embrasser et s'entretenir avec lui. « O ma sœur ! dit » Dhérar avec feu, il vaut mieux aujourd'hui combattre les infidèles que de perdre le temps en vains « discours. Allons, que nos chevaux, se précipitant » ensemble, nous fassent jour à travers les bataillons » des Grecs, et que nos lances, poussées de front, » se teignent de leur sang odieux. Rendons-nous » dignes, en soutenant la cause du très  Haut, des » récompenses glorieuses promises par son envoyé. » A peine Dhérar eut achevé ces mots, que déjà il voit les Grecs plier de toutes parts et fuir devant les Musulmans victorieux. Les troupes d'Abou Obéidah arrivaient successivement, se jetaient avec impétuosité sur l'ennemi, et répandaient dans ses rangs la terreur et la confusion. En ce jour, le fer des Musulmans moissonna un grand nombre de Grecs et d'Arabes qui avaient embrassé le christianisme. Héraclius, trahi par plusieurs de ceux qu'il croyait lui être fidèles, et de plus, effrayé par un songe qui lui avait montré son empire penchant vers sa ruine, avait quitté Antioche, et s’était embarqué pendant la nuit, avec un petit nombre des siens, pour aller se réfugier dans les murs de Constantinople. Lorsque le feu dévorant de la guerre eut cessé d'exercer ses fureurs, on remit les trésors et les captifs à Abou Obéidah, qui s'empressa de rendre grâces au très  Haut de l'heureux succès de ses armes. Mais tout-à-coup Dhérar, fils d'Alazwar, qui venait de laver ses injures dans le sang de tant de Grecs, paraît, suivi de ses compagnons, au milieu des Musulmans étonnés; et tous les Musulmans saluent Dhérar et ses compagnons, et se réjouissent de leur délivrance.


 

POÉSIES DIVERSES.

PENSÉES MORALES.

XVI.

Le savant vit éternellement après sa mort, tandis que ses membres cachés sous la tombe sont réduits en poudre. L'ignorant est mort, même pendant qu'il marche sur la terre : il est compté au nombre des vivans, et il n'existe pas.

XVII.

Lorsque Dieu veut exposer au grand jour une vertu qui restait cachée dans l'ombre, il arme contre elle la langue de l'envieux. Si la flamme ne s'attachait pas à tout ce qui l'environne, on ne connoîtrait pas le parfum exquis de l'aloès.

XVIII.

Fuis une terre où tu es opprimé, et ne t'afflige point d'être séparé de ta famille. Celui qui est méprisé des siens et de ceux qu'il fréquente, fera mieux de visiter des pays étrangers, que de vivre au milieu de ses compatriotes. L'ambre brut est vil comme le fumier dans les lieux où il prend naissance ; mais s'il voyage, chacun à l'envi le suspend à son cou. Le collyre est une espèce de pierre qui n'a aucune valeur dans son pays, et qui est foulée sous les pieds : voyage-t-il ? alors il parvient au comble des honneurs et de la gloire, et on le pose entre la paupière et la prunelle.

XIX.

Repousse par la patience les coups de la fortune, et espère en la miséricorde du Dieu unique et savant. Ne t'abandonne pas au désespoir, quand bien même la fortune perfide te presserait de toutes parts, et qu'elle t'accablerait de ses traits inattendus. Songe que le Dieu très  haut a, pour te délivrer de tes peines, des ressources cachées à nos regards et à nos intelligences. Que d'hommes ont évité la pointe acérée des lances, et que de proies ont échappé à la gueule du lion !

XX.

Oui, j'aimerais mieux descendre des rochers du haut des montagnes, que de souffrir les reproches des hommes. On dit, Gagner sa vie est une honte ; et moi je dis, La honte est de s'abaisser à des demandes.

XXI.

Perdre ses biens n'est pas une honte ; mais perdre patience dans le malheur, voilà la honte.

XXII.

Combien de fois nous avons vu de ces hommes patients dans l'adversité, se mettre en voyage, le matin et le soir, sans posséder un dirham ; passer les nuits, à cause de leur état malheureux, à contempler les étoiles; et cependant avoir le rire sur les lèvres et la sérénité sur [e front! Ils se gardent bien, dussent-ils périr de fatigue et de besoin, de demander au riche ce qu'il a dans ses bagages: tant ils savent s'observer, tant ils prennent soin de leur honneur !

XXIII.

La meilleure place dans le monde est la selle d'un coursier rapide; et l'ami le plus précieux dans le siècle est un livre.

XXIV.

Réside où tu veux, et acquiers de la science et des vertus ; elles te tiendront lieu d'ancêtres. Certes, l'homme est celui qui dit : Voilà ce que je suis. L'homme n'est pas celui qui dit: Mon père a été.

XXV.

La maladie est Cachée dans l'amour, comme le poison dans le miel. Insensé! j'ai savouré l'amour, et, dans sa douceur, j'ai trouvé la mort!

XXVI.

Ne regarde jamais celle que pare l'éclat de la beauté, et redoute»le tourment qui naît d'un regard. Oh ! que d'hommes nous avons vus terrassés par l'amour, à cause d'un regard qu'ils ont un jour lancé par l'ordre du destin!

O toi qui t'exposes au péril et négliges les moyens de te sauver, tu n'échapperas pas à ta destinée: ne cours donc pas au-devant; mais ne demeure pas non plus dans un repos indolent. O toi sur qui vient fondre une infortune, sache que ton créateur a des grâces cachées : tu en seras entièrement revêtu, et tu les savoureras dans toute leur pureté. Les richesses ne consistent pas dans ces mots, ma terre, ma maison, mes biens; ni à dire, Jeune homme, mets la selle à mon cheval; jeune fille, étends mon lit. Mais il faut à l'homme, outre ce qu'il possède, une protection permanente de Dieu.

XXVIII.

Il est une erreur qui a cousu les yeux de l'homme imprudent ; et derrière le sommeil où il reste plongé, sont la mort et des flammes. Ne demeure point enfoncé dans le gouffre des plaisirs, car cette ivresse est suivie de la pesanteur de tête.

XXIX.

O mon ami ! que tu es peu attentif à observer le mouvement des astres ! Malheur à toi ! la mort accourt; elle se précipite sur toi. Tu es sur une route où blanchissent les noires chevelures. Celui: qui; entreprend un voyage sans se munir de provisions, trouve la mort.

XXX.

Je vois avec étonnement comme cet homme s'agite et se fatigue, emporté par ses brûlants désirs et par le feu de ses espérances. Il croit pouvoir obtenir ce que le destin ne lui a pas donné en partage ; et la mort, qui est proche, se rit de lui. Il dit, Je ferai cela demain ; et avant demain, la mort l'aura frappé.

XXXI.

Il m'étonne beaucoup, cet insensé qui laisse après lui à ses héritiers les richesses qu'il a amassées. On rassemble tous ses biens ; ensuite on pousse autour de sa tombe des cris mêlés de quelques larmes apparentes, sous lesquelles le rire du cœur est caché.

XXXII.

Non, quand même le monde nous resterait en partage, quand même ses biens nous arriveraient en abondance un homme libre ne devrait pas s'abaisser devant lui. Et comment le pourrait-il, le monde n'étant qu'une possession qui s'évanouira demain !

XXXIII.

Cette vie n'est qu'un meuble fragile. O insensé, insensé, celui qui s'y attache ! Ce qui est passé est mort ; ce que l'on espère est caché : tu n'as à toi que l'instant où tu respires.

XXXIV.

Le monde fatigue celui qui le recherche, tandis que l'homme sage et éclairé goûte un calme parfait. Tous les rois qui jouissent de ses biens, sont enfin forcés de se contenter d'un linceul. Ils entassent des richesses, et puis les abandonnent: deux choses qui font leur tourment. Mais moi qui suis assuré de paraître un jour devant Dieu, j'ai pris le monde en dégoût. Eh! comment pourrait-il me séduire, puisque ses faveurs ne sont qu'un sommeil léger! Le monde, avant moi, n'est resté à personne : pourquoi donc toutes ces inquiétudes et toutes ces peines!

ENIGMES.

XXXV.

Quelle est la chose qui exhale une odeur exquise, dont le nom, quand on y fait une faute d'orthographe, donne un mois de l'année! Supprime les deux cinquièmes de ce mot, tu le trouveras alors dans le ciel et au nombre des oiseaux. La première et la dernière lettre sont pareilles, et ma conscience m'ordonne de garder le reste.

XXXVI.

Quel [est le nom d'une chose au milieu de laquelle se trouve [maladie], et dont la première et la dernière lettre sont pareilles ! Retranche la dernière lettre de ce mot, il restera un pluriel où se trouvent la pointe et le tranchant. Supprime la première lettre, tu auras un verbe qui s'emploie avec un sujet suivi d'un attribut.

XXXVII.

O toi qui es habile à deviner les énigmes, dis-nous le nom d'un animal où l'on trouve, en y faisant une faute d'orthographe, une partie de l'année. Si tu ajoutes à ce nom l'affixe de la première personne, tu trouveras que le quart est exactement la moitié de sa valeur entière.

XXXVIII.

 

Quel est le nom d'un oiseau dont la première lettre exprime le passé de son action! Si tu saisis bien le sens de mon énigme, tu verras que ce mot retourné indique ce que je fais en signe d'allégresse.

XXXIX.

Quelle est la plante dont le nom retourné donne celui d'un animal ? Si tu altères l'orthographe des deux tiers de ce nom, à l'exception de la première lettre, tu trouveras un adjectif qui convient a un homme.

POÉSIES EROTIQUES ET AUTRES.

XL.

Oh ! qu'elle m'a semblé longue, la nuit qui a suivi le jour où le conducteur de la caravane, après avoir attaché la bride à ses chameaux, les a contraints de partir, et a franchi péniblement les plaines unies et les chemins montueux ! O conducteur rempli de courage, aie compassion de tes chameaux, et vois comme ils portent la selle avec ennui. Commande a leurs genoux de se ployer un peu de temps, et permets-leur de se délasser des fatigues de la marche. Ne prolonge point davantage leur course pénible ; songe qu'en continuant d'exciter leur ardeur, tu redoubles les douleurs de l'amant délaissé. Prends pitié d'un infortuné qui, sitôt qu'il aperçoit une demeure, y dirige ses pas pour répandre des larmes, et lui demander des nouvelles des faons d'Almosalla. Ah ! que ne répond-elle à ses demandes ! Mais le désert peut-il répondre! Cependant, s'arrêter dans cette demeure est une douce consolation pour son cœur. Telle est la conduite des amants, qu'ils ne cessent de s'attendrir à la vue de toute demeure solitaire. O habitation de ma bien-aimée, que toujours mes yeux vous arrosent abondamment de leurs larmes ! et puisse le, zéphyr léger traîner toujours dans votre voisinage sa robe embaumée! Qu'est devenue cette vie délicieuse que j'ai passée dans l'habitation de ma bien-aimée! Avec quelle rapidité elle s'est évanouie ! comme elle a disparu! Alors le visage du temps était riant et vermeil; et, souple comme un tendre rameau, ma bien-aimée comblait tous mes désirs. Dans son habitation, j'ai goûté auprès d'elle les plus pures délices. Puissé-je, durant le sommeil, rencontrer un semblable bonheur!

XLI.

Ô temps de l'amour, je te salue! Il ne m'est pas permis de t'oublier. Oh ! que ma vie était alors remplie de défiées! que n'a-t-elle duré toujours! Mais peut-on espérer qu'une ombre dure sans cesse ! O heureux temps! tu n'as été pour moi qu'un songe, et mes doux plaisirs n'ont été qu'un fantôme léger. Eh! les songes ne s'enfuient-ils pas avec rapidité! Je gémis profondément au souvenir d'une félicité qui n'est plus. La fortune cruelle m'a ravi mes joies anciennes, et les destinées m'ont sevré du bonheur, quand je n'étais encore qu'un enfant: oh! qu'il est pénible à l'enfant d'être sevré! Ne me blâme point pour les pleurs que je verse à cause d'elle : peut-on blâmer celui à qui ses cuisantes peines font verser des pleurs !

XLII.

La crainte que les amants ont d'être séparés de l'objet qui les charme, fait que des larmes abondantes roulent sans cesse dans leurs paupières. Et en effet, lorsque les chameaux, chargés des bagages, s'éloignent, et que leurs guides marchent, suivis de nombreux compagnons, des larmes descendent sur les joues de l'amant, ainsi que les perles descendent le long du fil qui les rassemble. Que d'amans, par religion, se montrent durs et insensibles, et cachent aux yeux d'autrui les feux qui les dévorent! Mais l'éloignement de l'objet de leur tendresse ébranle leur courage, et alors les larmes sont l'unique langage qui exprime toute l'étendue de leur douleur. Ces larmes qui, au moment de la séparation, coulent sur le visage, sont les marques auxquelles on reconnaît les véritables amants. Supporte patiemment ton infortune : bien d'autres amants ont été, avant toi, flétris par les larmes qu'ils ont versées au jour de la séparation.

XLIII.

O étoile brillante, n'oublie pas, je t'en conjure, d'instruire de ma triste situation cette belle dont le visage est aussi charmant que la lune ; car tu es ma fidèle compagne, lorsque le vin du sommeil pénètre dans les yeux des mortels. Dis-lui: O beauté éclatante, aie pitié d'un amant qui, à cause du mal qui le ronge, se dérobe à tous les regards, et qui, durant les ombres de la nuit, s'écrie, tout baigné de pleurs : O Dieu, conserve une vie qui s'est écoulée dans la tribu. O Dieu, conserve un tendre et souple rameau, sur lequel la jeunesse, semblable à un nuage, a répandu la grâce et la beauté. A qui se plaindra-t-il du mal caché dans ses entrailles ! Tu es le médecin, et c'est de toi que vient le mal ! Si tu n'écoutes point ses plaintes, qui donc, parmi les mortels, pourra les entendre.

XLIV.

O nuit, ne permettras-tu pas au matin d'éclore! Le captif, dont ton ombre entretient la douleur, ne pourra-t-il goûter un instant de repos! O nuit, que tu me sembles longue! On dirait que le matin ne doit pas te succéder. Je pousse des sanglots pareils à ceux que la douleur arrache à l'homme qui est blessé. Les soucis dévorants me tournent tantôt sur un côté, tantôt sur l'autre, comme si j'étais couché sur des lances aiguës. O toi que j'aime si tendrement, traite-moi avec douceur, car l'amour m'agite et m'emporte loin de moi. Tu dis que tu sens toute ma peine : ah ! que le malade ressemble peu à la personne qui est en santé ! Je te reproche de m'avoir donné la mort, tandis que tu pouvais user envers moi d'indulgence.

XLV.

Tes dents sont-elles des perles ou de la camomille, ou des boutons de fleurs rangés avec symétrie, ou des bijoux précieux! sont-elles l'aurore, ou cet éclat que donne aux plantes une douce pluie, ou de la grêle que l'on conserve avec soin! Sont-elles ces bulles légères qui brillent sur la surface du vin, ou ces gouttes de rosée qui, disposées avec grâce, font la parure des parterres ! Ta salive est-elle du sucre ou de l'eau de rose, ou ce vin délicieux que les tonnes renferment ! est-ce un miel pur, ou bien ce jus de la pomme que la langue suce avec volupté! Tes lèvres sont-elles un rubis ou une cornaline! ou bien est-ce le corail qu'elles offrent aux regards!

XLVI.

Je n'ai point oublié le jour où ma bien-aimée, dont l'haleine est aussi douce que le miel, vint me visiter, brillante comme l'astre de la nuit, lorsqu'il est dans son plein. Elle me dit : Presse-moi dans tes bras, et obtiens de moi tout ce que ton cœur désire, et ne crains pas l'arrivée de notre surveillant. Alors je repris : Ta robe est un voile importun; ôte-la donc, ô ma douce espérance! En disant ces mots, je détachais quelques parties de sa robe. Je n'aime point le rameau sous le feuillage ; la fleur dans son bouton n'a pas de charmes pour moi ; l'épée dans son fourreau ne saurait me plaire; et je vois avec peine la lune cachée sous les nuages.

XLVII.

Ma bien-aimée me promit, et alors le soleil touchait au moment de son départ, qu'elle viendrait, dans tout son éclat, me visiter à l'heure où l'astre de la nuit s'élèverait dans les cieux. Elle vint donc, s'avançant aussi doucement que l'aurore pénètre l'obscurité, et aussi légèrement que le zéphyr rase la surface d'un fleuve. Alors, pour signal de son arrivée, furent embaumés tous les lieux qui m'environnaient: l'odeur suave ne décèle-t-elle pas l'existence de la fleur! Aussitôt je baisai toutes les traces de ses pas, avec le même soin qu'un lecteur parcourt toutes les lettres d'un livre. Mais au milieu de la nuit silencieuse, quand tout dormait, hors notre amour, je reposai près de cette belle au corps souple comme un rameau, aux formes arrondies, au visage séduisant comme la lune elle-même. Tantôt je la pressais contre mon cœur, tantôt je la couvrais de baisers, quand tout-à-coup Je drapeau de l'aurore nous invita à nous séparer. Alors, nous suspendîmes nos tendres caresses. O nuit d'Alcadr, descends à l'heure des amoureux plaisirs.

XLVIII.

Lorsque ma bien-aimée fut tombée dans une douce ivresse, et que le sommeil eut fermé ses yeux, ainsi que ceux de ses gardiens, je m'approchai d'elle, comme un esclave qui sait bien ce qu'il cherche, s'approche de l'objet de ses désirs. Je me glissai auprès d'elle aussi doucement que le sommeil se glisse dans les paupières, et je montai vers elle aussi légèrement que la respiration. Alors je passai à ses côtés une nuit remplie de délices, jusqu'au moment où sourirent les lèvres de l'aurore. Tantôt je couvrais de mes baisers son cou éclatant de blancheur, tantôt j'aspirais avidement la douce liqueur de ses lèvres vermeilles.

XLIX.

Tandis que ma bien-aimée était endormie, je lui donnai un baiser ; et elle de se réveiller et de crier aussitôt: Vite, au secours! au voleur! Je lui dis : Je t'ai pris un baiser par violence, et, suivant la loi, celui qui a pris doit rendre : prends donc ce baiser, et garde-toi bien d'affliger plus longtemps un criminel. Si un baiser rendu ne te satisfait pas, je t'en rendrai mille. Certes, reprit-elle, voilà une punition qui est, pour le cœur d'un coupable, plus douce que le miel. A l'instant, de l'un de mes bras, je formai une ceinture autour de son beau corps, et de l'autre j'entourai son cou comme un collier. Ah ! s'écria-t-elle, ne m'as-tu pas dit que tu virois dans l'abstinence! Oui, ai-je repris, mais dans l'abstinence de l'abstinence.

L.

J'ai appliqué mes lèvres sur sa joue, et aussitôt elle a tourné la tête par pudeur, et elle s'est dérobée fièrement à mes caresses. Alors s'est répandue sur tout son visage une sueur qui brillait comme la rosée sur le myrte ; et il semblait que je distillasse les roses de ses joues au feu des soupirs qui s'exhalaient de ma poitrine.

LI.

Ma bien-aimée a souri, et à l'instant même j'ai couvert sa bouche de baisers : et j'ai vu une coupe qui contenait un rang de perles éblouissantes. Alors elle me dit : Jusqu'ici j'ai cru que les perles se trouvaient dans l'eau salée de la mer ; comment se fait-il que celles-ci habitent dans l'eau douce ?

LII.

J'ai prié ma bien-aimée de me laisser cueillir un baiser sur sa bouche, et elle m'a répondu par ces paroles ordinaires : Prends patience. Eh ! quel est celui que l'aloès pourrait éloigner du sucre !

LIII.

Ma bien-aimée m'a dit : Prends patience ; tu obtiendras ce que tu désires par la patience: ne lutte point contre l'amour, cela te serait funeste. Alors je m'écriai : O toi qui me donnes la mort, de grâce guéris ma blessure. Ah! si, loin de toi, le miel me paraît amer, comment veux-tu que je supporte l'aloès!

LIV.

Que de nuits m'ont semblé rapides comme un clin d'œil par la possession de l'objet aimé, et par l'entier accomplissement de mes désirs ! Nous avons passé ces heureux moments à retenir l'obscurité par les pans de sa robe. Ne me fais aucun reproche, dis-je a ma bien-aimée, et ne me tiens aucun discours qui puisse m'attrister. Et toutes les fois qu'elle voulait ouvrir la bouche pour me gronder, je la lui fermais à l'instant même en y appliquant de doux baisers.

LV.

Qu'ils ont été vifs les plaisirs que nous avons goûtés, une nuit, dans les bras l'un de l'autre ! Alors la joue de ma bien-aimée resta attachée à la mienne ; et une sueur voluptueuse s'étant répandue sur tout son visage, longtemps mon partage; fut de savourer l'eau de rose.

LVI.

Je suis épris des attraits d'un tendre faon : l'amour qu'il m'inspire est la nourriture de mon âme. Qu'elles sont belles toutes ses actions, seraient-elles même des cruautés ! Je n'ai point oublié la réponse qu'il me fit un jour, lorsque je lui dis : Quand me permettras-tu de te serrer dans mes bras, ô toi qui me conduis à ton gré! Sera-ce quand je mourrai de douleur! Oui, me dit-il, quand tu mourras de douleur.

LVII.

O toi qui ranimes mon dernier souffle ! ô toi qui lui donnes la mort! les plaintes de mon amour, quand pourras-tu les entendre! L'œil qui s'est porté vers toi, qu'il est glorieux! le cœur qui a su t'aimer, qu'il est délicat!

LVIII.

O toi, dont le cou gracieux n'est paré que de ses propres attraits, apprends que c'est à cause de toi que je n'ai conservé dans mon cœur rien autre chose que la douleur. Comme le fil est orné d'un rang de perles, ainsi mon corps est couvert des perles de mes larmes. Ah ! plairait-il à ton cou de se laisser entourer d'un collier inappréciable! Ne crains rien, je t'en conjure ; mon mal m'a rendu léger comme le zéphyr ; et jamais le zéphyr n'a été un objet de crainte pour le tendre rameau.

LIX.

IL A ÉTÉ DIT SUR LA ROSE

La rose, dans la main de celle que j'aime à l'exclusion de toute autre beauté, est comme l'incarnat de ses joues ; et le jaune que l'on voit au milieu de cette fleur, est la couleur de mon visage, lorsque je rencontre ma bien-aimée.

LX.

Votre amour est comme l'odeur et l'éclat de la rose ; et la vie de la rose a une bien courte durée. Mais l'amour que je vous porte est comme la vie et l'odeur du myrte : il subsiste pendant les chaleurs et les froidures.

LXI.

Ma bien-aimée me présenta une rose ; alors la saison des roses touchait à son terme. Je dis à ceux qui se trouvaient présents : Voilà une rose qu'elle a cueillie sans doute à ses joues.

LXII.

Un jeune faon du pays des Turcs désirait une rose. Je lui dis : Arrête ; qu'ils soient confondus tes jaloux ennemis ! C'est sur toi que la rose prend naissance. Où donc< me dit-il. Je lui dis : Sur ta joue.

LXIII.

SUR LA ROSE QUE L'ON DISTILLE.

Je n'ai point oublié les paroles que m'adressa la rose, lorsque le feu, la saisissant avec fureur, faisait couler ses larmes : Prends pitié de moi ! ce ne sont point mes larmes que tu vois ; mais c'est mon âme qui se fond et qui s'exhale goutte à goutte.

LXIV.

IL A ÉTÉ DIT SUR LA POMME:

La pomme que j'ai prise des mains d'une tendre gazelle, avait été cueillie par elle à un rameau aussi flexible que son corps. Elle était douce au toucher comme ses deux seins ; son parfum était celui de son haleine ; son goût, celui de ses dents; sa couleur, celle de ses joues.

LXV.

Une moitié de cette pomme me paraît être la joue de ma bien-aimée quand je l'embrasse ; et l'autre moitié, je la compare au teint blême de mon visage, lorsque je suis forcé de m'éloigner d'elle.

LXVI.

En considérant la pomme, qui réunit deux couleurs, j'ai cru voir la joue d'un amant collée à celle de sa bien-aimée. Le couple s'est embrassé ; mais l'arrivée subite du délateur l'a épouvanté, et aussitôt la honte a couvert de rougeur la joue de la bien-aimée, et la douleur de la séparation a fait pâlir celle de l'amant.

LXVII.

La beauté a revêtu de tout son éclat cette pomme, où le rouge se fond dans le jaune. Je l'ai vue dans la main de celle qui l'emporte sur toutes les créatures par ses douces manières. Une moitié a été formée de sa joue ; et l'autre, de la couleur de ses amants.

LXVIII.

Comme je mangeais une pomme, un jeune homme qui l'avait vue près de la joue de sa bien-aimée, m'adressa ce reproche : Quoi ! est-ce que tu manges la joue de ma bien-aimée ? Non, lui dis-je, mais j'aspire son haleine.

LXIX.

SUR LE NÉNUPHAR.

J'ai vu le nénuphar dans l'étang, et je lui ai dit: Que fais-tu au milieu des eaux ! Il m'a répondu : Je suis noyé dans mes larmes ; les yeux noirs d'une tendre gazelle m'ont fait tomber dans des filets. Je repris : Quelle est cette couleur jaune qui t'a rendu si difforme, ô mon doux ami ! qui a pu altérer ainsi tes traits! Mon teint, dit-il, est celui des amants passionnés ; il est jaune. Ah ! si tu eusses connu l'amour, il t'aurait donné un teint semblable au mien.

LXX.

L'AMANT ET LE FLAMBEAU.

J'ai dit au flambeau : Moi et toi, nous sommes deux amants, et nous veillons jusqu'au jour. Cependant, il y a cette différence entre nous, que mes larmes sont de la cornaline mise en fusion, et que les tiennes ressemblent à de for liquide. Ton feu est éteint lorsque le jour paraît, et le mien brûle sans cesse.

LXXI.

SUR UNE COLOMBE RENFERMÉE DANS UNE CAGE.

Je n'ai point oublié les paroles que fit entendre la colombe, tandis qu'elle était prisonnière, et que sa vie n’était plus qu'amertume : Naguère ces tendres rameaux me couvraient de leur verdure; et aujourd'hui, courbés en forme de cage, ils me tiennent captive.

LXXII.

SUR L’EVENTAIL.

J'ai défendu à ma bien-aimée de se servir de l'éventail, et voici ma raison: j'ai craint que le zéphyr, en s'approchant de ses joues, n'en blessât la délicatesse.

LXXIII.

PAROLES DE L'ÉVENTAIL.

J'attire la douce haleine du zéphyr, et j'écarte la timide pudeur, en prêtant mon ombre, lorsqu'une belle présente sa joue aux baisers de son amant.

LXXIV.

EXCUSE D’UN AMANT.

Ma bien-aimée m'a dit: Goûtes-tu les douceurs du sommeil depuis mon absence ! Je lui ai répondu : Oui, sans doute, et, touché de compassion pour ma vue, j'ai soin de ne point la troubler par les larmes. Il ne serait pas juste que j'affligeasse par les larmes et l'insomnie des yeux qui m'ont conduit vers l'éclat de votre beauté.

LXXV.

PORTRAIT DE L'AMANT.

Il n'y a personne sur la terre de plus malheureux qu'un amant, quoiqu'il trouve l'amour rempli de délices. On le voit gémir à chaque instant : ou il appréhende un départ, ou il soupire après un retour. Quand sa bien-aimée s'éloigne, il gémit, brûlant du désir de la revoir ; quand elle revient, il gémit encore, dans la crainte qu'elle ne l'abandonne.

LXXVI.

Chose bien étonnante ! je désire la présence de ma bien-aimée, je demande incessamment de ses nouvelles, et elle est auprès de moi ; mes yeux la cherchent, et elle habite dans ma prunelle ; mon cœur soupire après elle, et elle est dans mes entrailles.

LXXVII.

Je désire ardemment la présence de ma bien-aimée ; et lorsqu'elle paraît, je baisse mes regards pour lui rendre hommage : ce n'est point, par crainte, mais par respect, et pour ne point profaner l'éclat de sa beauté. Je m'éloigne d'elle à dessein, et je souhaite que son image vienne voltiger autour de moi pendant mon sommeil.

LXXVIII.

J'aime, à cause de ma bien-aimée, tous les êtres qui lui ressemblent; ainsi je suis amoureux du soleil et de la lune. Si je passe auprès d'un rocher, je le couvre de baisers, parce que la dureté de ton cœur est celle du rocher.

LXXIX.

Le rigide censeur est demeuré étonné à la vue de ces tendres regards qui font de l'homme sage un insensé. Dès-lors il a mis fin à ses reproches, et il a dit: Continue à goûter les délices de l'amour; ce sont des mystères que je ne puis pénétrer,

LXXX.

Ma bien-aimée m'a souvent dit : Pourquoi tes larmes sont-elles blanches ! Je lui ai répondu : O grandeur du Dieu éternel ! ne sais-tu pas que je vis depuis longtemps dans les gémissements! Voilà pourquoi mes larmes. ont blanchi ainsi que mes cheveux. Hélas ! dans peu, tu ne verras ni mes larmes ni mon sang; tu verras seulement ma douleur et mes feux.

LXXXI.

Ma bien-aimée me dit un jour : D'où te viennent cet abattement et cette maigreur excessive ? Et je lui répondis par ces paroles d'un amant tendre et soumis: L'amour, qui est venu me visiter, est un hôte que je chéris à un tel degré, que je le nourris de ma chair et l'abreuve de mon sang.

LXXXII.

Lorsque je demandai à jeter de loin sur Leïla un regard qui pût calmer le feu qui consume mon cœur et mes entrailles, les femmes de la tribu me dirent : Tu désires contempler les attraits de Leïla! meurs possédé de ces désirs insensés. Eh ! comment pourrais-tu voir Leïla avec un œil qui a vu d'autres jeunes filles, et que tu n'as point purifié par tes larmes ! Comment pourrais-tu jouir de ses doux entretiens, lorsque tes oreilles ont été remplies des discours que t’ont tenus d'autres jeunes filles! O Leïla, ai-je repris, je le sens bien; tu es trop parfaite pour que tu viennes t'offrir à mes yeux ; qu'il me suffise de te voir avec un cœur soumis et respectueux.

LXIII.

Lorsque ma bien-aimée eut été déposée dans la tombe? elle vint errer autour de ma couche, et je m'avançai pour baiser ce sein voluptueux qu'embellissait encore un cou plein de grâces. O charme de mes yeux ! mécriai-je, serais-tu rendue à la vie, pour le bonheur de ton amant! Mais cela est-il possible ! le chemin du tombeau à la vie est fermé. Elle répondit : Mes ossements, il est vrai, restent dans la tombe, et les vers, fils de la terre, les consument à toute heure ; mais c'est l'âme de ta bien-aimée qui vient te visiter. Hélas ! telles sont les visites de ceux qui reposent dans la tombe!

LXXXIV.

DESCRIPTION D'UN CHEVAL.

Ce coursier étonne les regards par sa rapidité. Dans les combats, il ne se roidit point contre celui qui le guide. On dirait que son poil est une nuit obscure; ses pieds ont la blancheur du matin. Lorsque, rempli d'ardeur, il se précipite dans la carrière, c'est un corps qui roule emporté sous les ailes des vents.

LXXXV.

SUR LES FLOTS QUI VIENNENT SE BRISER CONTRE LE RIVAGE DE LA MER.

Regarde la mer : ses flots offrent un spectacle merveilleux. Souvent ils touchent le rivage, et puis ils s'éloignent. On dirait que le rivage est un monarque dont les armées viennent avec respect baiser les mains, et ensuite se retirent.

LXXXVI.

Le fleuve, éperdument amoureux des tendres rameaux, s'est toujours plu à retracer dans son cœur leur figure chérie. Le zéphyr à deviné sa passion, et, mu par la jalousie, il s'est approché des rameaux, et les a écartés du voisinage de l'onde. Puis il est venu gronder tout bas le fleuve, qui aussitôt a ridé son visage, indigné des reproches qui lui étaient adressés.

LXXXVII.

LE VERRE ET LE VIN.

Le verre est si léger et si transparent, et le vin qu'il contient est si clair, que le verre et le vin se ressemblent et causent des méprises; on croirait voir du vin et point de coupe, ou bien une coupe et point de vin.

LXXXVIII.

SUR UNE HABILE CHANTEUSE.

Elle s'est présentée avec un visage brillant comme l'astre de la nuit, et qui était posé sur un corps aussi flexible qu'un tendre rameau. Elle a chanté ; et dans ce moment, il n'y eut aucune partie de mon être qui ne désirât devenir tout oreille.

LETTRES AMOUREUSES.

LXXXIX.

Je soupire après toi, malgré la distance qui nous sépare, comme la colombe soupire après les lieux où s'ébattent ses douces compagnes, ou comme celui qui est dévoré de la soif soupire après l'eau qu'il a rencontrée, mais dont l'approche lui est défendue par la pointe des lances meurtrières.

XC.

Si des amants sont éloignés les uns des autres, leurs âmes, du moins, sont unies par les nœuds les plus chers. Oh! combien de fois les cœurs de deux êtres qu'une dure nécessité a séparés, ont été rapprochés par les plumes et le papier!

XCI.

O vous qui m'avez abandonné! depuis votre départ, mes yeux n'ont point cessé d'être noyés de larmes, et mon cœur d'être la proie des flammes. Il ne m'est pas possible de vous exprimer toute l'étendue de mon amour. Eh ! comment pourrait-on mettre du feu sur du papier!

XCII.

Votre esclave baise la terre en signe du respect qu'il vous doit : il vous dévoile tout ce qu'il a senti d'amour, de désirs et de feux; et il se plaint d'une partie des maux qu'il a endurés. Ce qu'il a vu de plus étonnant, c'est que des flammes pussent être contenues dans du papier.

XCIII.

Oui, je porterai vers vous mes pas, dussent les eaux du ciel et des chemins bourbeux rendre ma course pénible. Certes, la pluie pénétrant mes vêtements me serait plus facile à supporter que le feu des violents désirs consumant mes entrailles.

XCIV.

La colombe a gémi, et elle a enflammé pour toi un amant passionné. Il a songé à l'objet de son amour, et il s'est trouvé consolé. Ah ! plût à Dieu que la colombe eût mis le comble à ses bienfaits en me prêtant ses ailes, pour que je prisse mon vol vers toi ! O toi qui m'as abandonné ! jamais ton souvenir ne quittera mon cœur. Si encore il pouvait nous rapprocher l'un de l'autre ! Penses-tu que je puisse prendre patience lorsque mes flancs sont cruellement déchirés par ton absence! Je le jure, ma langue a bien pu taire l'amour qui me dévore ; mais les larmes que je répands ont divulgué tous mes secrets.

XCV.

Elle est arrivée, cette lettre tant désirée! un doux parfum s'exhale de la réponse que des plumes compatissantes ont bien voulu m'accorder. Il semble que les fleurs du printemps en composent les lignes, et que le musc le plus exquis en forme le cachet.

XCVI.

La lettre est arrivée, et ce qu'elle contient m'a transporté de joie. J'ai voulu la conserver dans mon cœur, et j'ai désiré la possession de celle qui l'a écrite, avec la même ardeur que le sommeil désire s'insinuer dans les paupières d'un amant qui veille.

XCVII.

J'ai rompu le cachet de la lettre, et des nouvelles impatiemment attendues m'ont été annoncées. Cette lettre a été plus agréable à mes yeux et plus douce à mon cœur que les fleurs fraîchement cueillies. Ce qu'elle renferme est plus beau que tous les bijoux qui parent le sein des femmes opulentes.

XCVIII.

J'ai a mes côtés une belle au port majestueux, qui ravit les cœurs par des regards passionnés et par les grâces de ses mouvements. Son haleine est pour moi un vin délicieux que je mêle avec l'eau de rose de ses joues. Je passe le temps à baiser tour à tour le myrte et les roses de son visage, et je subjugue par mes embrassements ce tendre rameau dont je presse les gracieux contours. Avec moi sont des amis en qui se trouvent réunis les sentiments les plus élevés et les plus généreux, Jamais aucun discours honteux n'est sorti de leur bouche; ils ne sont ni durs ni sévères; et je n'ai trouvé en eux que fidélité, qu'amitié sincère, exempte de toute envie. Celui-ci récite d'une voix pure et inimitable des poésies merveilleuses ; celui-là raconte mille histoires variées, tour à tour plaisantes et sérieuses. Nous avons un musicien qui surpasse en talent Ibn-Abad lui-même. Près de lui est une belle au sein arrondi, dont tous les mouvements sont pleins de mollesse et de charmes, et qui découvre en souriant des perles d'un grand prix, mais qui jamais n'ont formé de collier. Avec sa noire chevelure et son front éclatant, elle égare ou dirigea son gré ses amants. Dans quelle douce ivresse je me trouve quand elle fait entendre sa voix ! Oh ! comme elle sait bien alors mettre en fuite tous mes soucis! Nous reposons voluptueusement dans un lieu délicieux, sous des rameaux mollement agités. Ici les eaux coulent en abondance, comme les larmes d'un amant lorsque sa bien-aimée se détourne de lui. C'est un bosquet qui n'a point son semblable ; on y respire les parfums suaves du musc et de l'aloès ; on y entend gazouiller des oiseaux qui ne quittent point le myrte ni le myrobolanier. Les uns répètent d'une voix cadencée et pure les chants que d'autres ont commencés. Quiconque nous voit dit que nous habitons les jardins de l'éternité. Heureux état, pour lequel je sacrifie volontiers la droite voie à l'erreur ! Eh ! que m'importent les discours d'un délateur qui veut me conseiller, et me rendre dévot, peut-être! Ma joie et mon ravissement sont si excessifs, que je regarde les rois comme mes esclaves ; et Kis, amant passionné de Leïla, et tous ceux qui ont aimé, comme une armée dont je suis le chef.

XCIX.

MOWESSCHAH

COMPOSÉ PAR LE CHEIKH CHEHAB-EDDIN ALAZÂZY.

O nuit de l'union! ô coupe d'un vin délicieux! vous m'avez appris comment, sans être voilées, les joues perdent leurs pudiques couleurs. Jouis des plaisirs avant qu'ils ne s'échappent, revêts la robe de l'amour et de la jeunesse, et bois à longs traits. Oh ! qu'il est doux de vider les coupes en contemplant de tendres joues où fleurit la rose, et dont le contour gracieux est bordé de myrte ! Le vin, n'en doutons pas, est la vie des âme s. Orne donc de cette liqueur délicieuse les coupes qui sont vides; qu'elle soit pour les joyeux convives une jeune fiancée qui se montre à son amant couverte d'un voile d'or; et que les bulles légères qui brillent sur sa surface, nous tiennent lieu de pierreries. Regarde: déjà paraît la face de la terre, déjà les oiseaux du matin remplissent les airs de leur doux ramage, et déjà le bosquet est orné de gouttes de rosée. Eh bien ! mettons fin à nos plaisirs en portant à la ronde des coupes en l'honneur du sourire aimable des fleurs après une douce pluie. Cueille de l'amour les fruits que tu désires, et mêle, autant que tu le pourras, la liqueur contenue dans la coupe avec l'haleine embaumée et délectable d'une belle aux prunelles plus meurtrières que Dzo'lfécâr, d'une belle aux yeux noirs et qui remporte des victoires avec des paupières languissamment baissées. Elle a rompu les nœuds de la cruauté, et, superbe, elle s'est avancée traînant la robe de la fidélité et de l'union. J'ai dit alors (et le bonheur que je goûtais auprès de ma bien-aimée était sans mélange): O nuit, durant laquelle m'a visité et comblé de ses faveurs celle qui est le soleil du jour, puisses-tu vivre dans ma mémoire plus longtemps que les autres nuits rapidement écoulées!

C.

Un jour, je me plaignis à ma bien-aimée de l'excès de mes souffrances. Instruite de mon état, mais feignant de l'ignorer, elle me dit: Eh bien, c'est au demandeur à produire des témoins; pour moi, je ne dois que jurer. Aussitôt nous allâmes trouver un juge dont l'esprit était vif et perçant, un juge qui ne rendait d'arrêts que dans des affaires neuves et plaisantes, un juge fort éclairé dans les lois de l'amour et qui savait bien de quel côté il fallait manger l'épaule. Je lui dis: Décide notre différent. Où sont, répartit le juge, les témoins de ce que tu avances ! Je répondis : Mes témoins, ce sont mes larmes. Eh bien, reprit le juge, lorsqu'elles auront témoigné, justice te sera rendue. Aussitôt mes larmes coulèrent en aussi grande abondance que les eaux des nuages. Alors le juge nous regarda en remuant la tête, et il dit : Cruels que vous êtes, laissez la ces fiers dédains. Donnerez-vous ainsi la mort à nos personnages les plus recommandables ? Si ce jeune homme mourait de douleur, où serait sa postérité! Après avoir dit ces mots, le juge me permit de cueillir la rose et d'aspirer la savoureuse haleine. Lorsque ma bien-aimée eut vu que le juge était pour moi, et que personne ne pouvait mettre obstacle à sa décision, elle déposa toute son arrogance. Alors je t'embrassai aussi étroitement que le lam embrasse l’élif, et je lui reprochai sa cruauté. Ah ! dit-elle, qu'Allah efface le passé !

CI.

CONSEIL.

Un jour, je regardai dans le miroir, après l'avoir bien nettoyé ; mes yeux ne purent reconnaître l'objet qui les frappa. Je vis la figure d'un petit vieillard qui m’était tout-a-fait inconnu; car, auparavant, je n’avais vu qu'un beau jeune homme. Je dis alors : Où est donc celui qui était hier là-dedans ! quand a-t-il quitté ce lieu ! Le miroir se prit à rire, et me dit tout étonné : Ce que tes yeux ont méconnu est arrivé. Jadis, Soléïma, ta bien-aimée, te disait: O mon petit ami ! et aujourd'hui elle te crie : O vieux papa !

CII.

AUTRE CONSEIL.

Une jeune fille était tout émerveillée de sa beauté. Il est vrai qu'un être aussi parfait ne fut jamais créé. Je lui fis savoir que j'étais épris de ses charmes. Elle de rire aussitôt de ma déclaration ; puis se tournant vers une jeune esclave qui était aussi charmante qu'un faon qui sommeille, elle lui adressa ces paroles : Dis à ce jeune homme: Regarde ta figure, et ensuite sois amoureux.

CIII.

LE LIBERTIN CONVERTI.

C'en est fait : j'ai oublié mes maîtresses et le vin, et j'ai renoncé aux désordres et aux amoureux délires, et je me suis abandonné tout entier à mon créateur, et j'ai dit un éternel adieu à tous les égarements, et j'ai tourné mes regards vers les récompenses de mon souverain maître. Hélas ! qu'elle a duré longtemps mon ardeur insensée pour les plaisirs ! Désormais je ne livrerai plus aux passions les rênes de ma raison, mais tu verras ma main les tenir avec fermeté. Eh quoi ! lorsque la vieillesse, sœur du repos, est arrivée, convient-il de songer encore aux délices de l'amour ! Boire du vin aujourd'hui, ce serait pour moi un crime, quand bien même le vin me serait offert par les mains d'une beauté parfaite. Combien de fois j'ai poussé dans la carrière des plaisirs les coursiers de mes passions! Combien de fois j'y ai dressé ma tente! Que de roses j'ai cueillies sur des joues vermeilles ! que de souples rameaux j'ai pressés contre mon cœur ! Je ne regarderai plus la coupe que d'un air austère et dédaigneux, dût-elle se présenter à ma.vue avec un doux sourire. J'ai résolu de revenir de mes criminelles erreurs ; et me voilà devenu le modèle de quiconque veut persévérer dans ses desseins.

CIV.

PRIÈRE À DIEU.

O toi qui vois ce que renferme le fond des cœurs, qui entends tous les discours, et à qui l'on a toujours recours dans l'adversité ; ô toi en qui l'on espère au milieu des afflictions ; ô toi le protecteur et le refuge des malheureux ; ô toi dont les trésors de libéralité sont contenus dans cette parole féconde, Sois ; jette sur moi des regards propices ; c'est en toi qu'est la source de tous les biens. Je n'ai que ma pauvreté qui puisse intercéder auprès de toi : eh bien ! chasse donc ma pauvreté en considération du besoin que j'ai de ton secours. Mon unique ressource est de frapper à ta porte ; et si je suis repoussé, à quelle porte pourrai-je frapper ! Quel est celui à qui j'adresserai ma prière, celui dont j'invoquerai le nom, si ton indigent est frustré de ta bienveillance ! Non, ta générosité ne saurait consentir à désespérer un prévaricateur; ta bonté est trop grande, et tes bienfaits trop multipliés!

CV.

PRIÈRE.

Le captif chargé du poids de ses iniquités se tient humblement devant ta porte, tremblant d'être puni des fautes que tu sais qu'il a commises. Il appréhende le châtiment dû à des crimes dont tu connais l'ignominie ; il a confiance en ta miséricorde : il espère et il craint tout ensemble. O mon souverain maître, ne me réprouve pas dans le registre de ma conduite, lorsqu'au four redoutable du compte, tu dérouleras les registres de toutes les actions des hommes. Sois donc mon consolateur dans la nuit du tombeau, au moment où les parents repousseront leurs parents, et où l'ami deviendra barbare envers son ami. Si ta vaste miséricorde, en laquelle je mets mon espérance, vient à me manquer à cause de mes excès criminels, hélas ! je péris sans ressource.

CVI.

Le captif chargé de ses iniquités reste prosterné devant ta porte. Son cœur s'est écarté du chemin de la vérité. Naguère il a été rebelle à tes lois, et à dessein, et par ignorance, et par séduction. Dépouillé de la crainte de Dieu, il ne s'est point préservé de l'iniquité. Ses fautes se multiplient avec ses années, et le voilà plongé dans la nuit de l'erreur. L'aurore de la vieillesse chenue a commencé à paraître, et son cœur reste enseveli dans les ténèbres, et aucun rayon de la vérité ne s'y est introduit. Trente années se sont écoulées comme de légers songes, ou comme de rapides éclairs. Enfin elle est arrivée la vieillesse qui avertit l'homme que lorsque la saison du jeune âge est passée il doit bientôt mourir. Infidèle Ahmed! ta jeunesse s'est enfuie, et ton âge avancé t'adresse de continuels reproches. Tes yeux ont-ils veillé pendant Je temps qui s'est écoulé! Le regret de tes fautes les a-t-il baignés de pleurs! Eh bien ! que la tristesse et la douleur t'arrachent aujourd'hui des larmes de sang; ce n'est que par tes larmes que tu feras connaître que ton cœur est vraiment affligé.

CVII.

O mon âme ! prépare-toi à la mort et travaille à te sauver. L'homme prudent est celui qui se tient toujours prêt. Tu as appris que ce qui vit ne dure point, et qu'il n'y a pas moyen d'échapper à la mort. Tu uses seulement d'une chose que tu as empruntée; tu la rendras, sans doute. Ne faut-il pas rendre les objets prêtés! Tu es sans inquiétude, mais la fortune médite ses coups ; tu es folâtre, mais la mort est sérieuse. De quelles richesses, de quel bonheur peut jouir sur la terre l'homme dont le partage est le sépulcre! N'espère pas rester éternellement dans une mine de mort, ni dans une demeure où tu dois goûter le trépas. Comment l'homme peut-il trouver des charmes à la vie, lui dont tous les soupirs sont comptés !

CVIII.

Déjà tu as passé soixante-trois ans ; qu'espères-tu donc maintenant! qu'attends-tu! Les avant-coureurs de la mort sont descendus auprès de toi, et tu ne t'abstiens pas de l'iniquité ! et tu ne la repousses pas loin de toi ! Nos jours s'enfuient d'un vol précipité, et tu persistes dans tes égarements ! Ah ! si tu eusses été sage pendant tout le temps qui vient de s'écouler, tu aurais échangé ta vie criminelle contre une vie meilleure. Pourquoi ne te prépares-tu pas une place dans la demeure stable et éternelle! Est-ce que tu désires te sauver du trépas ! tu sais bien qu'il n'épargne personne. Après cette vie, tu seras introduit ou dans un jardin délicieux, ou dans un enfer qui étend au loin ses flammes.

CIX.

Pense attentivement aux choses d'ici bas, et tu verras que ce monde méprisable est comme une ombre. Tout ce qui existe sera inévitablement la proie de la mort, et il ne restera que la face glorieuse du seigneur ton Dieu.

CX.

Ta vie est divisée en deux parts: considère bien ce qu'elles sont. Ce qui est passé est un songe ; ce qui reste, un désir.


 

NOTES EXPLICATIVES, CRITIQUES ET LITTÉRAIRES.

I.

Les vers de ce poème ont huit pieds, et sont du genre nommé , metrum expansum.

Vers 1. Il est de règle dans la poésie arabe que les deux hémistiches du premier vers d'un poème riment ensemble.

Le poète s'adresse à lui-même la parole. Ce début est plein de grâce et d'aisance.

Vers 4. A la lettre, Et si de forts liens m'ont empêché de courir, je puis du moins hennir dans ces liens. Ce qui signifie : Si je n'ai pu t'être utile par mes actions, je puis du moins te servir par mes discours. Pour plus de clarté, j'ai changé, dans ma traduction, la métaphore en comparaison, mais c'est aux dépens de l'énergie qui caractérise le vers arabe.

Vers 7. Raudh signifie des sables ou des pâturages au milieu desquels l'eau coule en abondance. , dans le Câmous, est le nom d'un pays qui appartenait aux enfants de Yarboua, et dans lequel se trouvent des raudhs et des plaines.

Vers 11. Suivant le scholiaste Alwahédy, dont je donne des extraits à la suite de chaque poème d'Abou'tthayyb, le poète veut dire que Fâtik ayant été instruit par le Temps ou la Fortune que les richesses manquent de stabilité, il les a aussitôt distribuées pour acquérir de la gloire. Quant au mot [voix, parole], il ne doit s'entendre ici que des leçons données par les vicissitudes de la fortune.

Vers 12. A la lettre : des chevaux issus d'Aawadj. « Aawadj est le nom d'un cheval fameux chez les Arabes. De lui descendent les chevaux dits Alaawadjy. Comme il n’était encore que poulain, il arriva que, pendant une nuit, des Arabes assaillirent ses maîtres. Ceux-ci, à cause de l'attachement extrême qu'ils avaient pour leur cheval, le mirent dans une litière et le firent porter par un chameau. Tandis qu'ils fuyaient en toute hâte, une vertèbre du dos de ce cheval se tordit, et cette difformité lui étant restée, il fut appelé Alaawadj [le tordu].»

Vers 13. Ce vers est remarquable par son énergique concision : de plus, l'éloge de Fâtik est amené avec beaucoup d'adresse. Tout ce passage étincelle de beautés poétiques.

Vers 15. Le texte dit à la lettre, Les glaives ont leur trépas, aussi bien que les guerriers.

Vers 18. Le poète fait ici allusion aux soirées délicieuses que produisent, chez les Arabes, au coucher du soleil, le souffle des zéphyrs et la diminution de la chaleur.

Vers 19. Le chyza est une espèce de bois noirâtre dont les Arabes font des écuelles. Ce mot est ici une synecdoque, la matière pour la chose qui en est faite. Ainsi l'auteur s'est exprimé d'une manière plus poétique que s'il avait nommé la chose par son propre nom. L'idée renfermée dans ce vers, a quelque chose qui répugne à notre délicatesse ; mais il faut avoir égard à la différence des langues, des temps et des mœurs.

Vers 25. Ce vers a embarrassé les commentateurs ; j'ignore si j'en ai bien saisi le sens.

Vers 26. Le texte dit, La connaissance réelle que tu acquiers de lui, te le fait voir double de ce qu'il est en apparence. Deux mots sont opposés: l'un signifie l'aspect, l'apparence; l'autre, la réalité. Consultez, sur la juste signification de ces deux mots, la traduction d'Abd-alla'tif, publiée par M. S. de. Sacy, page 265. J'ai été obligé, dans ma traduction, de paraphraser le second hémistiche, afin de donner plus de développement à la pensée de l'auteur. Le serâb ou mirage est une vapeur qui s'élève dans les déserts de quelques contrées de l'Orient, et qui présente aux voyageurs l'image de l'eau. M. Wilhelm Gesenius, l'un des plus profonds orientalistes de l'Europe, a recueilli des détails fort curieux sur ce phénomène. Voyez son commentaire sur Isaïe, ch. 35.

Vers 34. A la lettre, Il s'est tellement emparé de la gloire, que ni le ha, ni le mim, ni le dâl de , n'appartiennent à celui qui se glorifie d'y être parvenu.

Vers 38. Louange outrée. Observons ici que les Arabes possèdent peu l'art si difficile parmi nous de louer les grands avec finesse. Chez eux, la louange est trop directe et trop chargée d'hyperboles ; il semble qu'elle soit plutôt le calcul d'une flatterie basse et intéressée, que l'effet naturel de l'estime et de l'admiration. Mais si l'encens d'Abou'tthayyb est quelquefois assez mal préparé, si la sincérité et le désintéressement de ce poète ne sont pas à l'abri de tout soupçon, il a du moins, au-dessus de beaucoup d'autres panégyristes, le mérite de relever par des images nobles et vives les vers qu'il a composés en l'honneur des grands personnages, et d'y jeter, de loin à loin, des pensées fortes et élevées. Avec cette précaution, il prévient le dégoût qu'inspire infailliblement un éloge qui manque de ces qualités essentielles.

Vers 46. Les derniers vers de ce poème sont autant de maximes pleines de force et de sens.

II.

Ce poème est sur le mètre appelé metrum perfectum.

Vers 3. On trouve à-peu-près la même idée dans ce beau vers de Saurin :

Qu'une nuit paraît longue à la douleur qui veille!

Vers 4 et 5. Sentiments sublimes, et rendus avec une énergie vraiment admirable.

Vers 8. Almoténabby parle ici sans doute des deux pyramides de Gizeh, remarquables par leur élévation et leur solidité. Consultez, sur les pyramides de cette province, Aldollatiphi compendium memorabilium Aegypti, arabice, p. 49 et suiv. de l'édition de M. Paulus. Voyez aussi la traduction française, accompagnée de notes, que M. le baron S. de Sacy a donnée de cet ouvrage; p. 171 et suiv.

Vers 11 et 12. Dans une élégie magnifique sur la mort de Mân, que M. de Humbert, professeur distingué de langues orientales à Genève, a publiée dans son Anthologie arabe, on rencontre des idées semblables. Je transcrirai seulement la version française de l'habile interprète :

« Les richesses de Mân ne consistaient pas en or et en argent, mais en des épées tranchantes, en des cottes de mailles et des cuirasses, en des lances indiennes de couleur foncée, dans lesquelles on voyait réunies la souplesse et la solidité.

» Il n'accumulait que des actions louables qui ne périront » point; tout son trésor était une sainteté exemplaire, à laquelle il dut sa gloire et ses hautes distinctions. »

M. de Humbert admire avec raison ce passage.

Vers 37. Expression figurée très juste et très pittoresque.

Vers 38, 39. Les souverains de Perse ont le titre de Kisra, ou Kesra; ceux des Grecs ont celui de Caesar, et ceux des Turcs celui de Khâcân; les souverains de la tribu de Hamyar ont le titre de Tobbaa, et ceux de l'Ethiopie celui de Nedjâchy..

L'arabe dit : et que quatre pieds ne portent pas de coursier.

Cette pièce est une véritable élégie, genre que les Arabes ont traité avec beaucoup de succès, et auquel appartiennent, en tout ou en partie, la plupart de leurs compositions poétiques, quoiqu'ils ne les aient pas toujours rangées sous cette dénomination. Quelques exagérations et quelques traits de mauvais goût semés dans ce poème élégiaque ne peuvent nous faire fermer les yeux sur les pensées nobles et élevées qu'il renferme. Les douze premiers vers sont d'une vérité frappante. J'en dirai autant des neuf derniers, qui offrent un tableau fort animé.

III.

Ces vers sont du genre nommé metrum conjunctum.

IV.

Page 26. Je prie les personnes qui ont étudié la langue poétique des Arabes, de porter leur attention sur ce morceau, qui, pour la beauté des idées et l'énergie du style, doit être mis au rang des chefs-d'œuvre de la poésie arabe. Almoténabby a perdu son bienfaiteur et son ami ; dès lors, tout commerce avec les hommes lui devient importun et odieux : son âme, accablée de chagrins et d'ennuis, aime à se repaître d'idées tristes et sombres; il ne voit partout qu'injustice, perfidie, trahison ; et il gémit d'avoir consumé une vie inutile au milieu des hommes de son siècle. Dans ma traduction, je me suis attaché à rendre toutes les expressions du poète aussi fidèlement que le comporte le génie de notre langue. Je serai satisfait de mes efforts, si, malgré la faiblesse de ma copie, j'ai pu faire entrevoir la vigueur de l'original.

Vers. 8. Almoténabby appelle les chevaux autruches du désert, à cause qu'ils courent aussi vite que les autruches.

Vers 9. Les Arabes idolâtres, avant d'entreprendre quelque chose d'important, cherchaient à deviner avec des flèches si la fortune leur serait favorable. Mahomet abolit cet usage.

Vers 10. Le poète désigne ainsi les cheveux noirs et épais des jeunes gens qui l'accompagnent.

Vers 13. Les mahométans appellent temps de l’ignorance ou de l'idolâtrie, les temps qui ont précédé la venue de leur apôtre, lequel leur a enseigné le dogme de l'unité de Dieu. Les Arabes qui ont existé avant Mahomet regardaient comme sacrés quatre mois de l'année. Pendant ce temps, ils ne faisaient aucune incursion ni aucun acte d'hostilité, et ils vivaient tous en sûreté. Mahomet approuva l'observation de ces mois.

Vers 14. Ce vers est un des plus beaux que je connaisse.

Vers 26. On doit remarquer dans ce vers un exemple de l'étonnante énergie de la langue arabe.

Vers 28. Mot à mot : etsi Domines sint possessores uteri. Cette expression est pleine de noblesse.

Vers 29 et suivants. Il ne suffit pas de lire les poètes, il faut encore les sentir. Remarquons toutes les beautés de style qui brillent dans ce passage plein de mouvement, de verve et d'enthousiasme.

Vers 35. Ces réflexions affligeantes se rencontrent fréquemment dans les poètes arabes. L'auteur du Lamyyat-al-adjem a dit:

« La bonne foi a disparu, et la perfidie s'est débordée, et la distance qui sépare le discours de la parole s'est agrandie. »

La plus sombre mélancolie règne dans cette composition d'Abou'tthayyb ; presque tous les vers portent l'empreinte d'un cœur profondément ulcéré. Dans les onze derniers, le poète est vraiment inspiré; ses idées sont grandes, vraies et rendues avec cette concision énergique qui caractérise la haute poésie arabe.

A la fin du vers, il y a une ellipse qui consiste dans le retranchement de ces mots, et il nous a attristés. Cette suppression donne au vers quelque chose de plus vif et de plus poétique.

V.

Les Kharidjites sont ceux qui se révoltent contre le prince légitime et établi par le consentement du peuple,, et c'est de là que vient leur nom, qui signifie révolté ou rebelle. Voyez les Observ. hist. et crit. sur le mahométisme, par George Sale, p. 353.

Les Bènou-Kélâb, ou enfants de Kélâb, descendaient d'Adnan par Caïs-Aïlan. Adnan descendait en droite ligne d'Ismaël, fils d'Abraham, qui est le père des Arabes appelés Mostarabes, c'est-à-dire, naturalisés, entés. De la tribu des Bènou-Kélâb sortirent des princes qui régnèrent à Halep et dans une grande partie de la Syrie. Voyez Pococke, Specimen hist. arab. p. 46 et s. éd. de M. White. Voyez aussi la Chrestomathie arabe de M. S. de Sacy, tom. III, p. 110 et 111.

Vers 1. Dans les premiers vers, le poète adresse la parole à une femme qu'il ne nomme pas.

VI.

Vers 9. On trouve une idée semblable dans la seconde partie de ce vers d'Omar ben Fâredh :

Vers 10 et suiv. Ce n'est qu'ici que le poète commence à parler de Dillir. Dans tout ce qui précède, il se prépare et prélude, pour ainsi dire, à l'éloge qu'il va faire de ce héros. Nous pouvons remarquer dans ce début un exemple de l'art et de l'intérêt que les Arabes savent mettre dans leurs compositions. Dès le premier vers, le poète s'empare de notre attention, et il continue à l'exciter par des traits vifs, brillants et pleins d'originalité, jusqu'à ce qu'il la fixe entièrement sur son héros. Cette suspension est un des moyens dont se sert la poésie lyrique pour nous attacher.

Vers 15. Ce vers me paraît un des plus beaux de cette pièce ; il y a dans la pensée une antithèse pleine d'éclat.

Vers 20. L'arabe dit : et avec des coursiers qui, lorsqu'ils rencontrent des bêtes fauves et des pâturages, refusent de paître, à moins que notre marmite n'ait bouilli. Ces derniers mots sont très  nobles dans l'arabe.

Vers 33. Exagération qui dépare ce morceau rempli de beautés.

Vers 34. Idée ingénieuse et originale, mais qui perd beaucoup de son prix dans la traduction.

VI.

Vers 2. Leila, fille de la tribu d'Amer, est un des noms sous lesquels les poètes arabes désignent souvent leur maîtresse.

Vers 22. Le mot  signifie proprement un lieu défendu dont on ne peut approcher. On attribue cette parole à Mahomet: Il n'y a d'asile sûr qu'auprès de Dieu et de son envoyé.

Les amis de la belle poésie admireront le début gracieux de ce morceau et le mouvement lyrique qui le termine. Il y a beaucoup de sentiment dans les vers 17 et suivants.

VII.

Les effets que produit sur les chameaux le chant de leurs conducteurs sont très surprenants. En voici deux exemples.

Un homme devint l'hôte d'un Arabe riche et puissant. Tandis qu'il reposait dans sa tente, attendant que le repas fût préparé, il aperçut un petit esclave noir qui était attaché dans un coin de la tente. Il lui dit: Petit noir, pourquoi te trouves-tu dans cet état ! Toute ma faute envers mon maître, répondit l'esclave, c'est d'avoir tellement animé par mon chant dix de ses plus beaux chameaux, qu'ils ont fait en un seul jour le chemin de dix, et ils sont morts d'épuisement. Ce qu'ayant su mon maître, il s'est emporté contre moi, et il m'a attaché de la sorte. Mais si, quand le repas sera servi, tu refusais de goûter d'aucun mets jusqu'à ce qu'il m'ait rendu la liberté, je suis sûr qu'il ne te résisterait pas longtemps, car il est humain et généreux. L'hôte attendit patiemment. Lorsque le repas fut servi, il eut soin de ne toucher à aucun aliment. Le maître de la maison prie son hôte de manger. Je ne mangerai rien, dit celui-ci, que tu ne m'aies accordé une grâce. Que veux-tu, dit le maître! Il faut, répondit l'hôte, que tu mettes en liberté ce petit esclave. Mais, répliqua vivement le maître, la faute qu'il a commise est très  grave; et aussitôt il raconta l'histoire des dix chameaux, et comment l'esclave, par la continuité de son chant leur avait causé la mort. N'importe, reprit l'hôte, fais ce que je te demande. Alors le maître ne put faire autrement que de briser les liens de son esclave. (Traduction d'une partie du commentaire, p. 55 et 56.)

Un Arabe fit endurer la soif à ses chameaux pendant dix jours. Ce temps écoulé, il leur permit de se diriger vers l'eau. A peine y furent-ils arrivés que leur conducteur fit entendre son chant du côté opposé. Au même instant, les chameaux, oubliant de boire, se tournèrent vers leur conducteur. Comme celui-ci continuait son chant, les chameaux le rejoignirent et abandonnèrent l'eau après en avoir été privés pendant dix jours. (Extrait du commentateur.)

Vers 3. Le thomâm est une espèce de chaume dont on se sert en Orient pour couvrir les maisons et en boucher les fentes. Voyez le Câmous, et le Kalila et Dimnah du baron S. de Sacy, p. 292. (Moallaca de Lébid.) Voyez aussi la Chrestomathie arabe du même savant.

Vers 7. Par la plus excellente ou la plus sainte des vallées, le poète désigne la Mecque, qui est située dans une vallée.

Vers 15. Cette énumération n'est point aussi aride qu'elle le paraît au premier coup d'œil. On ne peut douter que l'aspect des lieux que les Arabes rencontrent sur leur route, lorsqu'ils font le pèlerinage de la Mecque, ne soit capable de produire dans leur âme les plus douces émotions. De plus, le poète a suffisamment corrigé la sécheresse apparente de son énumération, en donnant à la plupart des lieux qu'il nomme des qualifications qui les caractérisent et les distinguent. Par une habile suspension, il tient le lecteur en attente et le force de le suivre jusqu'à ce qu'il arrête notre esprit sur ces paroles ri oublie pas alors de saluer &c., paroles simples et touchantes qui empruntent tout leur prix de la place qu'elles occupent. Observons encore qu'il y a beaucoup de grâce et de sentiment dans les diminutifs que le poète a jetés à dessein dans ce morceau.

Vers 21. Adjyâd est un lieu situé dans le territoire de la Mecque et très révéré des Musulmans.

Vers 22. Assokhairât est un endroit du mont Arafat où Mahomet fit une station. Le mont Arafat est près de la Mecque.

Vers 23. almosalla signifie proprement le lieu de la prière. C'est ici une chapelle ou un oratoire qu'Omar ben Fâredh avait fréquenté.

Vers 25. C'est ici la mosquée Mozdalifat, qui se trouve dans la campagne de la Mecque, entre le mont Arafat et la vallée de Mina, à peu de distance d'AIkaïf, autre mosquée.

Vers 26. La vallée de Mina est à peu de distance de la Mecque. Les pèlerins musulmans y pratiquent diverses cérémonies religieuses.

Vers 27. Le commentateur remarque que la province du Hedjaz est ainsi nommée, parce qu'elle sépare la province de Nadjd de celle de Tehama. Voyez la même remarque dans les Observat. hist. et crit sur le mahométisme, par George Sale, p. 6;

Vers 35. Le mur alhathim renfermait autrefois la Kaaba, ainsi nommée à cause de sa forme carrée. Par les voiles, le poète désigne l'étoffe de soie noire et brodée en lettres d'or qui couvre l'extérieur de la Kaaba.

Safa et Merwa sont deux collines situées hors delà Mecque. Les pèlerins musulmans doivent courir sept fois entre elles. Les sept circuits autour de la Kaaba et la course entre Safa et Merwa sont des rites antérieurs à l'islamisme. Mahomet les confirma.

Vers 36. Aldjénâb est le nom d'une montagne. La gouttière d'or ou d'argent doré est placée au haut de la Kaaba.

Vers 37. Le bachâm est le nom d'un arbre odoriférant qui ressemble au baumier, et qui est très  commun dans les montagnes de la Mecque. (Voyez la Relation de l'Egypte, par Abd-allathif, traduite par M. le baron Silvestre de Sacy, pages 22 et 93.)

J'ai déjà dit qu'il fallait mettre au rang des élégies la plupart des compositions poétiques des Arabes, quoiqu'elles ne portent pas toujours ce titre. Ce poème appartient au genre élégiaque. Il est parfaitement bien conduit, et offre plusieurs traits de ressemblance avec le précédent. On n'y voit aucune trace de mauvais goût. La vérité des descriptions, la véhémence des sentiments, le charme des souvenirs religieux et la noblesse du style font de ce morceau un des chefs-d'œuvre de la poésie arabe.

VIII.

Vers 4 et 5. Hyperboles outrées que notre goût réprouve.

Vers 8 et suivants. Tout ce passage est plein de délicatesse, de grâce et de sentiment.

Vers 17. Ce vers est remarquable par son élégance, et la pensée est très  délicate.

Vers 19. Remarquons le tour passionné de ce vers, et le parallélisme ingénieux qui existe entre les deux hémistiches.

Vers 25. J'ai dû paraphraser ce vers pour le rendre intelligible.

Vers 28. Ce vers est encore remarquable par son extrême élégance, et la pensée est pleine de délicatesse et de charme.

Vers 29 et suivants. C'est avec raison que le commentateur, homme érudit et de beaucoup de goût, fait l'éloge de ce passage. On y remarque une suite d'images riantes et gracieuses, et une grande fraîcheur dans le coloris. Il n'existe en aucune langue de l'Europe des vers plus parfaits ni plus harmonieux.

Vers 38. Le poète joue ici sur le double sens du mot bedr, qui signifie une pleine lune, et par métaphore une beauté parfaite. Bedr est aussi le nom du lieu où Mahomet remporta la première victoire sur ses ennemis. Ibn-Fâredh semble comparer ceux dont il parle aux soldats de la journée de Bedr.

Vers 43 et 44. Dans la préface du Diwan de notre poète, Ali rapporte ce qui suit: Le fils du cheikh Ibn-Fâredh m'a raconté: Lorsque le cheikh Schehâb eddin Assohrawerdi, supérieur des soufis, fit son dernier pèlerinage en l'année 628, un vendredi, jour de station, une grande multitude d'habitants de l'Irak s'acquittèrent avec lui de cette obligation sacrée. Comme il faisait le tour de la Kaaba et sa station sur le mont Arafat, il vit le peuple se porter en foule auprès de lui et imiter tout ce qu'il faisait et tout ce qu'il disait. Ayant appris que le cheikh Ibn-Fâredh était dans le sanctuaire, il désira ardemment le voir, et il répandit des larmes; puis il se dit en lui-même: Penses-tu que tu tiennes auprès de Dieu "le rang que ces gens s'imaginent! Penses-tu qu'aujourd'hui il soit ainsi question de toi devant l'objet de ton amour Alors le cheikh Ibn-Fâredh lui apparut et lui dit: « Nouvelle agréable pour ton cœur 1 dépouille-toi (pour témoigner » ta reconnaissance) des vêtements qui te couvrent; il a été » question de toi devant l'objet de ta tendresse, malgré toutes » tes imperfections. » Le cheikh Schehâb-eddin poussa un cri, et se dépouilla à l'instant de tout ce qui le couvrait. Les cheikhs et les religieux qui étaient présents, se dépouillèrent, à son exemple, de leurs vêtements. Le cheikh Assohrawerdi chercha le cheikh Ibn-Fâredh, et ne l'ayant pas trouvé, il dit: « Cette nouvelle vient de quelqu'un qui a paru devant » la divinité. » Mais ensuite ils eurent une entrevue dans le sanctuaire vénérable ; ils s'embrassèrent, et s'entretinrent à voix basse pendant un long temps. Voy. le texte, p. 72 et 73.

IX.

De tous les morceaux qui composent mon Anthologie, voici celui dont la traduction m'a donné le plus de peine. La plupart des pensées sont si recherchées et si extraordinaires, que l'on conçoit difficilement comment elles ont pu éclore dans le cerveau du poète. Elles ont quelque chose de si délié et de si subtil, qu'elles échappent et s'évanouissent au moment qu'on croit les saisir; c'est une ombre qu'on embrasse. Ce morceau a fort exercé le commentateur. Je ne me suis décidé à le publier qu'afin de faire connaitre jusqu'à quel point les poètes arabes, pour paraître originaux et pour intéresser le lecteur, alambiquent quelquefois leurs idées et raffinent sur les sentiments. Ce travail de leur esprit est une suite de l'absence des fictions et du merveilleux dans leurs compositions.

Vers 11. Le commentateur admire la structure de ce vers. Ce qui en constitue le mérite à ses yeux est la symétrie parfaite qui existe entre les deux hémistiches. Il remarque qu'un nombre égal de lettres compose chaque hémistiche, et que les mots qui se correspondent ont aussi un nombre égal de lettres. Dans notre langue cette symétrie serait puérile : chez les Arabes, elle est quelquefois une grâce de style.

Vers 15 et suiv. Ici le poète n'offre que des énigmes au lecteur et se dérobe à la plus subtile intelligence. Tout ce passage a fort embarrassé les commentateurs. Je ne me flatte pas de l'avoir parfaitement compris, encore moins de l'avoir rendu d'une manière intelligible.

X.

La Khamriade, ou éloge du vin, jouit d'une grande célébrité en Orient, et elle est gravée dans la mémoire de tous les amateurs de la poésie. M. le baron Silvestre de Sacy l'a citée dans sa Chrestomathie arabe, t. III, p. 155. Cette composition singulière ne manque ni de grâce ni de charme; les idées en sont ingénieuses, délicates, quelquefois profondes, et toutes sont rendues avec force et précision. L'auteur a voulu, sous l'emblème du vin et sous des expressions qui frappent les sens, figurer des choses purement spirituelles, et peindre cette vie contemplative où l'âme des saints s'absorbe toute entière dans la divinité et dans ce chaste amour, source intarissable des plus pures délices. La mystérieuse obscurité qui règne dans ce poème allégorique, a ouvert une vaste carrière aux réflexions des commentateurs, qui ont épuisé toute leur érudition pour écarter le voile qui le couvre, et pour faire céder la lettre à l'esprit qui seul doit subsister. Il faut savoir que, suivant le langage des mystiques musulmans, le Bien-aimé est Mahomet ou Dieu lui-même; que le vin dont il est fait mention dans ce poème, et dont il est glorieux de s'enivrer, est un breuvage tout spirituel, c'est-à-dire, l'amour divin, qui pénètre et embrase les cœurs. La vigne dont il est parlé, signifie tous les êtres qu'a créés la puissance éternelle. Quant aux autres expressions figurées qui se rencontrent»dans cette pièce, je pense qu'on pourra, sans beaucoup de peine, en entrevoir le sens. Il est bon d'ailleurs, dans les matières de ce genre, qui souvent donnent lieu à des interprétations diverses, de laisser l'esprit du lecteur en liberté, et de le livrera ses propres réflexions. Les personnes qui ont du goût pour les choses mystiques, se plaisent à y trouver je ne sais quoi de vague et d'indéterminé: elles aiment qu'on leur ménage le plaisir d'écarter elles-mêmes les ombres légères qui font tout le prix et tout le charme de ces jeux d'une imagination exaltée.

Vers 16. Par l'enchanteur, le poète désigne un homme si avancé dans la connaissance de Dieu, qu'il est capable de conduire les autres.

Vers 22. Ce vers a un charme et une harmonie dont aucune traduction ne peut donner l'idée.

Vers 23. Les manuscrits nos 179, i479 et 461, qui sont accompagnés de commentaires, ne portent ni ce vers ni les sept suivants ce qui pourrait donner à penser qu'ils n'ont point été connus des commentateurs, ou bien qu'ils ont été rejetés par eux, comme n'étant pas de notre poète. Les ayant trouvés dans le manuscrit 1395, qui est excellent, je n'ai pas hésité à les imprimer. Ces vers, d'ailleurs, cadrent bien avec ce qui précède, et ils complètent la description que le poète annonce avec quelque pompe dans le vers 21, et qu'il commence avec tant de grâce dans le vers 22. S'il se fût borné à ce seul vers, la description restant, ce me semble, imparfaite, ne remplirait point notre attente. Ce passage présente des obscurités que les scholiastes n'auraient pas dissipées sans beaucoup de peine. Néanmoins, on doit y remarquer un mouvement très lyrique et des pensées fort élevées.

XI.

Voyez sur cet auteur la Chrestomathie ar. de M. le b. Silvestre de Sacy, t. I, p. 114 et 123, 2.e édit. Abou'l-Mahasin, dans son dictionnaire des hommes célèbres, dit qu'il naquit à Damas l'an 696 de l'hégire (1296 de J. C.), et qu'il mourut dans cette ville l'an 764 (1362 de J. C.). J'ai trouvé ce poème de Salah Eddin Khalil ben Ibek Assafady dans le  le Livre des prairies verdoyantes et des odeurs suaves, ou poésies de divers auteurs rassemblées par Djélal-eddin Mohammed Alsoyouthy, n° 1569 &c. de la Biblioth. du Roi.

Vers 13. Dans un poème qu'Abou'l-Ola a composé à la louange d'un personnage appelé Mohammed, on lit ces deux vers:

« Ses six enfants ont vécu parmi les hommes comme les âmes dans les corps : le père et les enfants ressemblent aux sept planètes, et le plus jeune et le moins élevé d'entre eux ressemble à la lune. »

Azzibricân signifie la lune. Assabaat atthawalia signifie les sept planètes, qui sont, Saturne, Jupiter, Mars, le Soleil, Vénus, Mercure et la Lune. Le poète veut dire que Mohammed et ses six enfants ressemblent aux sept planètes, mais que le plus jeune d'entre eux ressemble à la lune, qui de toutes les planètes est la plus proche de la terre.

Vers 25. Ce chant élégiaque est divisé en deux parties. Dans la première, le poète exhale la douleur qu'il ressent d'être abandonné de ses compagnons, parmi lesquels se trouve sa bien-aimée. Dans la seconde, qui commence au 25e vers, il célèbre uniquement les louanges de la beauté qui a fait impression sur son cœur.

XII.

Les morceaux rangés sous les nos 12, 13, 14 et 15, sont extraits de l'ouvrage arabe intitulé Conquête de la Syrie, par Omar Alwakédy, nos 696, 697, 698, &c., des manuscrits de la bibliothèque du Roi. Le nombre des variantes est assez considérable; mais la plupart étant peu importantes, je n'ai point jugé nécessaire de les recueillir. Je me suis attaché uniquement à présenter un texte pur et intelligible, en prenant quelquefois la liberté de combiner les diverses leçons que j'ai eues sous les yeux. J'ai tiré de l'historien arabe les faits qui accompagnent la traduction des poésies.

On lit dans l'Histoire de la conquête de l'Andalousie qu'a laissée Ahmed ben Mohammed, surnommé Almocry, un discours que Thâric, affranchi de Moussa, fils de Nasir, adressa, après avoir passé le détroit de Gibraltar, aux soldats qu'il commandait, pour les exciter à combattre avec courage Rodrigue, roi des Goths. Je le donnerai ici avec la traduction.

« Lorsque Thâric eut été instruit de l'approche de l'ennemi, il se leva au milieu de ses compagnons, et, après avoir glorifié le Dieu très  haut, il leur adressa ce discours:

« Guerriers, où pourriez-vous fuir ! derrière vous est la mer et devant vous l'ennemi. Vous n'avez donc de ressource que dans votre courage et votre constance. Sachez que vous êtes, dans cette contrée, plus misérables que des orphelins assis à la table de tuteurs avares. Votre ennemi se présente à vous protégé par une armée nombreuse, il a des vivres en abondance, et vous, pour tout secours, vous n'avez que vos épées, et pour vivres que ce que vous arracherez des mains de votre ennemi. Pour peu que se prolonge la disette absolue où vous êtes réduits, et que vous tardiez à obtenir quelques succès, votre bonne fortune s'évanouira, et vos ennemis, que votre présence a glacés d'effroi, reprendront courage. Eloignez donc de vous la honte dont vous couvrirait un revers, et attaquez ce monarque qui a quitté sa ville bien fortifiée pour venir à votre rencontre. L'occasion de le renverser est belle, si vous consentez à vous exposer généreusement à la mort. Et ne croyez pas que je veuille vous exciter à braver des dangers que je refuserais de partager avec vous; c'est moi-même qui vous conduirai à travers les hasards, où la perte de la vie est toujours le moindre des maux. Sachez que si vous souffrez quelques instants avec patience, vous goûterez ensuite de suprêmes délices. Ne séparez donc pas votre cause de la mienne, et soyez certains que votre sort ne sera pas plus funeste que le mien. Vous avez appris que cette contrée nourrit un grand nombre de filles grecques, beautés ravissantes, qui traînent avec grâce des robes somptueuses, où brillent confondus ensemble les perles, le corail, et l'or le plus pur, et qui reposent dans le palais des rois ceints du diadème. L'Emir des croyants, Alwalid, fils d'Abd-Almélic, vous a choisis entre tous les guerriers arabes, et il permet que vous deveniez les alliés et les gendres des rois de cette contrée, tant il a confiance en votre intrépidité. L'unique fruit qu'il veut retirer de votre bravoure, c'est que la parole de Dieu soit exaltée dans ce pays, et que sa religion y soit manifestée. Le butin que vous recueillerez n'appartiendra qu'à vous seuls. Apprenez que je me détermine le premier au parti glorieux que je vous engage à prendre. Au moment où les deux armées en viendront aux mains, vous me verrez, n'en doutez pas, chercher avec empressement Rodrigue, tyran de son peuple, et le défier au combat, s'il plaît au Dieu très  haut. Combattez donc avec moi. Si je péris après lui, j'aurai du moins la satisfaction de vous en avoir délivrés, et vous trouverez sans peine parmi vous un héros expérimenté à qui vous pourrez confier le soin de vous diriger. Mais si je succombe avant de pénétrer jusqu'à Rodrigue, redoublez d'ardeur, efforcez-vous de l'atteindre, et achevez la conquête de cette contrée en lui arrachant la vie. Lui mort, ses soldats ne seront plus à craindre. »

XIII.

Vers 3. A la lettre, le corbeau de la séparation, du départ. Les Arabes appellent ainsi le corbeau qui vient se poser sur leurs demeures lorsqu'ils sont près de les quitter. Ils tirent des augures de ses croassements.

XV.

Vers 5. Par une femme avancée en âge, Dhérar désigne sa mère, ou quelque autre femme qui a pris soin de son enfance.

Vers 20. Le plus pur, c'est-à-dire le très pur. Le sens que je donne à cette expression est confirmé par ce vers d'Azz Eddin Almocadesy:

l'excellente édition que M. Garcin de Tassy a publiée de cet auteur, page 99 du texte. !

Il y a dans cette élégie et dans les trois morceaux qui la précèdent, beaucoup de naturel et de sentiment, et une grande chaleur de patriotisme ; mais la poésie en est négligée, faible, et presque sans couleur. Au reste, il ne faut point exiger de perfection dans des vers improvisés au milieu des souffrances.

On retrouvera une même force de sentiment et un même zèle pour la patrie, avec une plus grande énergie d'expression, dans le poème qu'Abou'lbécâ Saleh, fils de Chérif, de la ville de Ronda, en Andalousie, a composé sur les désastres de sa patrie. Voici la traduction :

« Parmi les poètes qui déplorèrent les désastres de leur patrie, nul ne fit entendre des accents plus nobles et plus touchants qu'Abou'Ibécâ Saleh, de la ville de Ronda. Il dit :

Tout ce qui est parvenu à son plus haut période, décroît. O homme! ne te laisse donc pas séduire par les charmes de la vie.

Les choses humaines subissent de continuelles révolutions. Si la fortune te réjouit dans un temps, elle t'affligera dans un autre.

Rien n'est stable dans cette demeure terrestre. L'homme peut-il rester toujours dans la même situation!

La fortune, par un décret céleste, met en pièces les cuirasses contre lesquelles se sont émoussés les glaives et les lances.

Est-il un glaive qu'elle ne tire du fourreau ! quand il appartiendrait à Dzou-Yazan, quand le fort de Gomdân lui servirait de fourreau, la fortune saurait le briser et le faire voler en éclats.[1]

Où sont les monarques puissants de l'Yémen! où sont leurs couronnes et leurs diadèmes !

Où est l'autorité que Schédâd a exercée dans Irem! où est le pouvoir que la race de Sâsân a étendu sur la Perse!

Que sont devenus les trésors qu'a entassés l'orgueilleux Câroun! que sont devenus Ad, Schédâd et Cahthân![2]

Un malheur qu'ils n'ont pu repousser est venu fondre sur eux; ils ont péri, et leurs peuples ont subi le même sort.

Et il en a été des royaumes et des rois comme de ces ombres vaines que l'homme voit pendant son sommeil.

La fortune s'est tournée vers Uarius, et il a été terrassé ; elle s'est dirigée vers Chosroès, et son palais lui a refusé un asile.

Est-il des obstacles que la fortune ne surmonte! le règne de Salomon n'est-il point passé!

Les coups de la fortune sont variés à l'infini: elle renferme dans son sein des joies et des afflictions.

Sans, doute il y a des malheurs que l'on supporte, et dont on peut se consoler; mais il n'y a pas de consolation pour le malheur qui vient de fondre sur l'islamisme.

Un coup affreux, irrémédiable, a frappé l'Espagne; il a retenti jusqu'en Arabie, et le mont Ohod et le mont Thalân se sont écroulés.[3]

L'Espagne a été frappée dans l'islamisme, et elle a été affligée au point que ses provinces et ses villes sont devenues désertes.

Demande maintenant à Valence ce qu'est devenue Murcie! où trouver Xativa! où trouver Jaén![4]

Où trouver Cordoue, le séjour des talents ! où sont tous ces savants qui ont brillé dans son sein!

Où trouver Séville et les délices qui l'environnent ! où est son fleuve qui roule des eaux si pures, si abondantes, si délectables![5]

Villes superbes ! vos fondements sont les fermes soutiens des provinces. Ah! comment les provinces se soutiendront-elles, si les fondements sont renversés !

Ainsi que l'amant pleure l'absence de sa bien-aimée, l'islamisme désolé pleure,

Le désastre de ses contrées abandonnées et devenues la proie de l'incrédulité.

Nos mosquées sont transformées en églises, et nous n'y voyons que des cloches et des croix.[6]

Nos chaires et nos sanctuaires, quoique d'un bois dur et insensible, se couvrent de larmes, et gémissent sur nos malheurs.[7]

Toi qui vis dans l'insouciance, tandis que la fortune te donne des conseils, si tu es endormi, sache que la fortune est éveillée.

Tu te promènes satisfait et exempt de soucis : ta patrie t'offre encore des charmes; mais l'homme a-t-il une patrie après la perte de Séville!

Ce dernier malheur a fait oublier tous les autres ; et la longueur du temps ne pourra pas en effacer le souvenir.

O vous, qui montez des coursiers effilés, ardents, et qui, dans les champs où l'épée exerce ses fureurs, volent comme des aigles;

O vous dont les mains sont armées des glaives acérés de l'Inde, qui, dans de noirs tourbillons de poudre, brillent comme des feux;

O vous qui par-delà la mer coulez des jours tranquilles et sereins; vous qui trouvez dans vos demeures la gloire et la puissance,

N'auriez-vous pas appris des nouvelles des habitants de l'Espagne! et pourtant des messagers sont partis pour vous instruire de leurs souffrances.

Sans cesse ils implorent votre secours: et cependant on les massacre, on les traîne en captivité. Quoi! pas un seul homme ne se lève pour les défendre !

Que signifie cette division parmi les Musulmans! Eh quoi! vous, adorateurs de Dieu, n'êtes-vous pas tous frères!

Ne s'élèvera-t-il pas au milieu de vous quelques âme s fières, généreuses, intrépides! n'arrivera-t-il pas des guerriers pour secourir et venger la religion !

Les habitants de l'Espagne sont couverts d'ignominie, eux qui naguère étaient dans un état florissant et glorieux.

Hier ils étaient rois dans leurs demeures, aujourd'hui ils sont esclaves dans les pays de l'incrédulité.

Ah ! si tu eusses vu couler leurs larmes au moment où ils ont été vendus, ce spectacle t'aurait pénétré de douleur, et ta raison se serait égarée.

Si tu les voyais consternés, errants, sans assistance, et couverts des vêtements qui attestent leur honteux esclavage!

O Dieu ! faut-il qu'une montagne soit posée entre la mère et ses enfants! faut-il que les âme s soient séparées des corps!

Et ces jeunes filles aussi belles que le soleil, lorsqu'à son lever il répand le corail et le rubis;

O douleur! le barbare les entraîne, malgré elles, pour les condamner à des emplois humiliants, et leurs yeux sont baignés de pleurs, et leurs sens sont troublés.

Ah ! qu'à ce spectacle cruel nos cœurs se fondent de douleur, s'il y a encore dans nos cœurs un reste d'islamisme et de foi!

XVII.

Ces vers proviennent de la Biographie d'Ibn-Khallikan.

XVIII.

Ces vers proviennent d’un manuscrit arabe appartenant à la bibliothèque royale de l'Arsenal, lequel porte le n° 6.

XIX.

Ces vers se trouvent dans le Mardj annadhir d'Assoyouthy, chap. V.

XX.

Ces vers que j'ai extraits du Mardj annadhïr d'Assoyouthy, chap. 5.

Voici des vers qui offrent à-peu-près la même idée. Je les ai trouvés dans le même ouvrage, chap. V.

« J'ai éprouvé successivement tous les hommes, et je n'ai vu que des êtres qui trompent et qui haïssent. Je n'ai vu aucune chose plus dommageable ni plus douloureuse que l'inimitié des hommes. J'ai goûté toutes les amertumes de la vie; et il n'est rien de plus amer que de demander. »

XXII.

Ces vers se trouvent dans le Mardj annadhir d'Assoyouthy, chap. 5.

XXIII & XXV.

Ce vers est d'Abou'tthayyb Almoténabby.

XXVII.

Ce morceau et les quatre qui le suivent sont d'Abou'lfadhl Ahmed, fils de Hosaïn Hamadâny, surnommé, à cause de son éloquence, la merveille de son siècle (n° 1591 des man. ar. de la bibl. du Roi). Il composa des Macâmâts, ou séances, avant le célèbre Hariri, qui se fit gloire de marcher sur ses traces et de le prendre pour modèle. Ce genre de composition, dont Hamadâny n'est peut-être pas l'inventeur, se perfectionna entre les mains de Hariri. Celui-ci est plus fleuri, plus abondant, plus éloquent et plus riche en images que Hamadâny, dont l'extrême concision fait le supplice de ses lecteurs. Ibn-Khallikan a tracé en peu de mots l'éloge de Hamadâny. Suivant ce biographe, il mourut à Hérat, ville du Khorasan, l'an 398 de l'hégire (de J. C. 1007). Ibn-Khallikan dit tenir de gens dignes de foi que Hamadâny, ayant été frappé d'apoplexie, fut enterré aussitôt; mais qu'ensuite étant revenu de son état, il poussa des cris aigus pendant la nuit. On accourut et on le retira de terre: il avait saisi sa barbe dans ses mains, et il était mort de l'effroi que lui avait causé le tombeau. Je donnerai, à la suite du n° 31, trois macâmâts de cet auteur.

XXXI.

Voici les trois macâmâts ou « séances » de Hamadâny que j'ai annoncées. Elles sont très difficiles, comme toutes les autres de cet écrivain : j'en hasarderai néanmoins une traduction littérale.

Séance de la pièce d'or.

Isa, fils de Hachâm, nous a raconté l'aventure suivante: Le commerce que je faisais de la soie m'engagea à porter mes pas vers la ville de Balkh : je m'y rendis. J'étais alors dans l'innocence de la jeunesse, libre de soucis et dans une situation prospère. Je ne songeais qu'à recueillir des pensées vives, pleines d'agréments, qui pussent m'être utiles, et qu'à saisir au passage des traits fugitifs d'éloquence. Mais pendant la durée de mon séjour à Balkh, il ne parvint à mes oreilles aucun discours qui fût plus éloquent que les miens. Lorsque la séparation eut tendu son arc sur nous, ou fut sur le point de le tendre, un jeune homme se présenta à moi avec un extérieur rempli de charmes. Une barbe épaisse couvrait son menton, et ses regards avaient puisé leur douceur dans les eaux du Tigre et de l’Euphrate. Il m'adressa des compliments auxquels je répondis par des actions de grâces. Ensuite il me dît: Est-ce-que tu désires t'en aller! Oui, certes, lui répondis-je. Il reprit: Puisse ton guide te montrer des pâturages abondants, et ton conducteur ne point t'égarer! mais quand comptes-tu partir! Demain matin, répliquai-je. Alors il dit: « Que ce soit la matinée de Dieu, et non celle du départ! » l'augure de l'union et non celui de la séparation ! »

Où désires-tu donc aller! Dans ma patrie, lui dis-je. Puisses-tu, reprit-il, y arriver sans encombre, et y terminer heureusement tes affaires! mais quand reviendras-tu ! Je lui répondis: L'année prochaine. Il reprit : Puisses-tu derechef quitter ta patrie et revenir ici! mais quelle est la mesure de ta générosité ! Je lui dis : Ce que tu voudras. Eh bien ! répliqua-t-il, lorsque Dieu te ramènera à Balkh, apporte-moi un ennemi qui porte la marque d'un ami, jaune de sa nature, qui mène à l'incrédulité, et qui échappe facilement aux doigts qui le tiennent; qui ressemble à la prunelle de l'œil, qui débarrasse du fardeau des dettes, et qui a deux faces comme l'hypocrisie. Alors, dit Isa, fils de Hachâm, je vis qu'il me demandait une pièce d'or. Je lui dis: Tiens, je te donne cette pièce, et je t'en promets une semblable. Aussitôt il dit:

« Tes sentiments sont au dessus des éloges que je t'ai donnés. Puisses-tu être toujours orné des plus nobles vertus ! puisse ton bois être plein de force ! puissent les pluies qui » t'arrosent ne jamais cesser, tes rameaux être touffus et tes « racines embaumer! Je ne puis consentir à porter le fardeau des dons: demander est pour moi une charge trop lourde. Mon imagination est demeurée loin de ton mérite, et ton action a surpassé de beaucoup ma pensée. O toi, qui fais le bonheur du siècle et des vertus sublimes, puisse le siècle ne te perdre jamais! »

Lorsqu'il eut ainsi parlé, dit Isa, fils de Hachâm, je lui donnai la pièce d'or et je lui dis : Quel pays a donné naissance à de si grands talents! Il répondit: Je tire mon origine de Coraïch, et c'est dans la vallée qu'habite cette tribu que la gloire m'a été préparée. Alors un de ceux qui étaient présents se mit à dire: N'es-tu pas Abou'l fatah Aliskandery ! ne t'ai-je pas vu rôder dans les marchés de l'Irak, cherchant à séduire les esprits avec des papiers que tu tenais à la main! Il répondit :

» Certes, Dieu a des serviteurs dont la vie n'est que changements: le soir Arabes errants, et le matin Nabatéens. »

SÉANCE du Sofy.

Isa, fils de Hachâm, nous a raconté ce qui suit: Tandis que j'étais jeune, je dirigeais aveuglément ma monture vers tous les plaisirs, et poussais mon coursier du côté des égarements: ainsi je m'enivrais de tout ce que la vie a de plus doux, et je me revêtais de la robe la plus ample de la fortune. Mais lorsque la vieillesse eut commencé à blanchir ma noire chevelure, et que j'eus relevé le pan de ma robe flottante pour entrer dans la bonne voie, je pressai le dos de ma docile jument, afin d'accomplir les devoirs prescrits par la religion. J'eus pour compagnon de voyage un homme en qui je n'aperçus aucun défaut qui méritât ma haine. Lorsque nous nous fûmes découverts l'un à l'autre et que l'amitié se fut établie entre nous, notre entretien aboutit à me taire connaître qu'il tirait son origine de Koufa, et qu'il était de la secte des softs. Nous continuâmes notre route. Arrivés à Koufa, nous nous dirigeâmes vers la maison de mon compagnon de voyage, et nous y entrâmes au moment où la face et les flancs du jour commençaient à brunir. Lors donc que la paupière de la nuit se fut fermée, et que sa noire moustache se fut montrée, quelqu'un frappa à la porte. Nous dîmes: Quel est cet importun qui vient frapper à notre porte! C'est, répondit-on, l'envoyé de la nuit et son courrier, celui que la faim a mis en déroute et chassé loin de chez lui, un homme libre que le besoin et la fortune cruelle ont conduit, un hôte dont la présence n'est pas incommode, qui n'a pas un seul pain à lui, un ami qui implore l'assistance d'autrui contre la faim, et qui se plaint de sa poche qui n'est que pièces; un étranger sur le chemin duquel le feu a été allumé, sur les traces duquel les chiens ont aboyé, et derrière lequel des pierres ont été lancées; dont la place, après son départ, a été balayée. Son chameau est exténué, sa vie n'est qu'affliction, et de vastes déserts le séparent de ses deux enfants. Isa, fils de Hachâm, dit: Alors je pris dans ma bourse quelque monnaie de l'extrémité de mes doigts, et je la lui donnai en lui disant: Demande encore, et nous te donnerons de nouveau. Alors il dit : « Le parfum de l'aloès ne peut être exposé sur un feu plus actif que celui de la générosité, et cette vertu prévenante ne peut rien rencontrer de mieux que le courrier de la reconnaissance. Que celui qui est doué des plus nobles qualités-vienne au secours des malheureux; car les bienfaits ne se perdent jamais entre Dieu et les hommes. Pour toi, que Dieu remplisse tes espérances! qu'il t'accorde un haut rang parmi les hommes! Isa, fils de Hachâm, dit: Nous lui ouvrîmes la porte en lui disant: Entre; et voilà qu'à l'instant je reconnais Abou'lfatah Aliskandéry. Abou'lfatah, lui dis-je, l'état où la pauvreté t'a réduit, est bien affligeant ; ton extérieur surtout inspire la compassion. Il sourit et répliqua de la sorte:

« Que l'état de détresse où tu me vois ne te trompe pas. » Je jouis d'une aisance si grande, que la joie, tant elle est vive, déchire ses vêtemens. Ah! si je l’avais voulu, j'aurais » habité sous des lambris dorés. »

SÉANCE qui ne porte point de nom.

Isa, fils de Hachâm, nous a raconté l'aventure suivante: Me trouvant à Bagdad dans la saison de 'azâd-^, je sortis avec l'intention de choisir les meilleures espèces de fruits et de les acheter. Je m'approchai d'un homme qui avait mis chaque espèce à part, et rangé avec ordre plusieurs sortes de dattes. Je pris de tous ces fruits ce qui me parut le plus beau et le meilleur. Comme je relevais le pan de ma robe pour les y placer, mes yeux rencontrèrent un homme qui avait caché sa tête sous le voile de la honte. Il tenait son corps droit, et tendait la main. Sa famille était à ses côtés, et il portait sous ses bras ses enfants en bas âge: il disait d'une voix semblable à celle d'un homme que l'on frapperait alternativement sur la poitrine et sur le dos :

«. Malheureux que je suis ! qui me donnera deux poignées d'orge moulu, ou de la graisse battue avec de la farine, ou une écuelle remplie de bouillon, pour que je puisse calmer la violence de la faim qui nous éloigne de la droite voie ! O toi qui répands l'abondance après la détresse, rends généreuse la main d'un homme sage, noble par sa naissance et par ses actions ! qu'il dirige vers nous le pied de la bonne fortune, et qu'il arrache ma vie des mains de l'affliction! »

Lorsque j'eus entendu ces mots, dit Isa, fils de Hachâm, je pris une poignée de ce qu'il y avait de meilleur dans ma bourse, et je le lui donnai. Il dit aussitôt:

« O toi dont la générosité m'a été secourable, puisses-tu arriver jusqu'à Dieu par le mérite de ta bonne conscience! « Que Dieu lui-même prenne ta vertu sous sa protection ! » Si je ne puis te témoigner ma reconnaissance, Dieu mon maître te récompensera largement. »

Alors je lui dis : « J'ai encore quelque chose dans ma bourse : dis-moi qui tu es, et je te donnerai tout ce qui me reste. » Aussitôt il écarta le voile qui lui cachait le visage, et à l'instant je reconnus Abou'lfatah Aliskandéry. Je lui dis : « Malheureux! tu es un monstre! » Il répliqua sur-le-champ:

« Passe ta vie parmi les hommes dans le déguisement et la dissimulation. Je vois bien que la fortune ne reste jamais dans le même état ; c'est pourquoi je cherche à lui ressembler. Tantôt j'éprouve ses malices, tantôt elle éprouve les miennes. »

XXXII.

Ces vers proviennent de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne par Almocry, n° 704 des manuscrits arabes de la bibliothèque du Roi.

Djâmy a dit dans son Béhâristân :

« Ne te laisse point tromper comme les insensés par l'appât des richesses, car les richesses ressemblent à ces nuages qui passent avec rapidité au dessus de nos têtes. Quand les nuages répandraient des pluies de pierres précieuses, l'homme magnanime n'y attacherait pas sa pensée. »

XXXIII.

Ces vers sont extraits de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

XXXIV.

J'ai tiré ces vers de la Biographie des hommes illustres d'Ibn-Khallikan.

XXXV.

Vers 2. Les mots de cette énigme sont espèce de rose, teschrin, nom d'un mois syrien, aigle ou vautour, et le nom d'une constellation (l'aigle) et mon secret, qui se trouve entre le premier et le dernier y de

J'ai tiré cette énigme du livre arabe intitulé Halbet alkomaït, littéralement, chevaux bai-bruns rassemblés de tous côtés et tirés de différentes écuries pour la course, ou la place courent les chevaux bai-bruns. C'est un recueil de ce que les poètes ont dit de plus ingénieux sur le vin, les plaisirs des convives, l'amour, la beauté, les fleurs, les prairies, les ruisseaux, les fleuves de diverses contrées, la pluie, les nuages, &c. Cet ouvrage a beaucoup de rapport avec le Mardj annadhir d'Assoyouthy, d'où j'ai extrait quelques morceaux.

 

XXXVI.

Même espèce de vers.

Le mot de cette énigme est  vin. Entre les deux  on trouve  maladie. Otez le dernier  , vous aurez pluriel de , le tranchant, la partie la plus aiguë d'un glaive. Supprimez la première lettre, vous aurez le prétérit . Ex Zéïd a été longtemps malade,  est le sujet de cette proposition, et  est l'attribut du sujet.

Cette énigme est de Salah-eddin Assafady: je l'ai tirée du chap. 1er du Halbet alkomaït. Voyez le n° précédent.

XXXVII.

Les mots de cette énigme sont  épervier, et safar, nom du second mois de l'année musulmane. Si l'on ajoute à  l'affixe de la première personne, on aura les quatre lettres , dont la valeur numérale est 400. La lettre vaut à elle seule 200; donc le quart de  est exactement la moitié de sa valeur entière.

Cette énigme est d'Omar ben Fâredh. M. le baron Silvestre de Sacy a donné quelques énigmes de ce poète dans sa Chrestomathie arabe.

XXXVIII.

Même espèce de vers.

Le mot de cette énigme est épervier. Le qui est le nom de la première lettre de ce mot, est aussi un verbe au prétérit, lequel signifie il a chassé. Le mot retourné donne l'action de danser.

Cette énigme est d'Omar ben Fâredh.

XXXIX.

Les mots de cette énigme sont  (ce mot signifie proprement cet appendice en forme de réseau qui enveloppe la base des pétioles de chaque rangée de feuilles du dattier. Voyez la Relation de l'Egypte, traduite par M. le baron de Sacy, p. 288), éléphant, et  homme rusé et adroit.

Cette énigme est d'Omar ben Fâredh.

XL.

Ces vers, que j'ai tirés de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne, par Almocry, n° 704 des manuscrits arabes de la biblioth, du Roi.

Vers 7. Par les faons d'Almosalla le poète désigne probablement de jeunes filles musulmanes.

Vers 10. Littéralement : « O habitation de ma bien-aimée, que mes yeux ne cessent pas de se traîner, d'être avilis (d'être esclaves) dans la poussière de tes deux cours! »

Vers 12 et suivants. Voici deux vers extraits du commentaire des poésies d'Omar ben Fâredh, où l'on trouve à peu près le même sentiment:

« O Dieu ! ces jours de nos félicités, qu'ils ont été glorieux et riches en bienfaits! Ils sont évanouis, et il ne nous est resté après eux que le désir de les revoir encore.»

Je crois faire plaisir au lecteur, en lui offrant, à la suite de ce morceau élégiaque, une autre élégie pleine de grâce et de naturel, composée en persan par Djâmy, auteur du Béharistân et du poème de Medjnoun et Leïla.

» O chamelier, n'apprête pas encore aujourd'hui le palanquin : garde-toi d'accabler mon cœur sous le poids d'une si vive douleur.

» Est-il convenable de faire les préparatifs du voyage dans un moment où la route est toute humide des larmes que l'amant verse en abondance!

» Je n'ai point de force pour partir, et il ne m'est pas possible de rester en place. A Dieu ne plaise qu'aucune créature éprouve un sort aussi douloureux que le mien !

» Ma tendre amie s'éloigne, et ma raison s'égare, et mon âme m'abandonne, et mon visage est tout baigné de pleurs.

» Mon corps ne peut la suivre ; mais de traite en traite il vole sur ses traces.

» O zéphyr du matin, cours répandre ta fraîcheur salutaire dans les lieux où elle se repose et dans ceux qu'elle traverse;

» Et autour du palanquin qui emporte la maîtresse de mon cœur, murmure ces paroles: O toi dont les lèvres sont si douces, toi dont toutes les manières ont des grâces si touchantes,

» Ah ! puisses-tu ne pas sentir la fatigue du voyage ! puissent tous tes désirs trouver leur accomplissement!

» Au lever de l'aurore, lorsque tu te disposeras au départ, prête l'oreille aux accents mélodieux du chantre du matin.

» Toujours mon âme , enivrée de tes charmes, se tourne vers ton visage, quoique en effet tu sois éloignée de ma présence.

» Reviens, car l'excès de la douleur m'a terrassé. Je me roule dans la poussière que j'ai rougie de mon sang, comme l'oiseau qui se débat, mourant, sous le fer du sacrificateur.

» Tu étanches ta soif, sans doute, dans quelque partie du désert; mais Djâmy, retiré dans l'angle de la douleur et du désespoir, s'abreuve à longs traits du poison mortel de la séparation. »

XLI, XLII.

Ces vers sont tirés de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

XLIII.

Ces vers sont de l'auteur du commentaire sur les poésies d'Omar ben Fâredh.

Vers 1 et 2. On remarquera le même sentiment dans ce beau vers d'Omar ben Fâredh :

« Demande aux astres de la nuit si le sommeil a jamais visité ma paupière: ah! comment recevrait-on la visite de celui dont on n'est point connu ! »

XLIV.

Ces vers pleins de charmes sont d'un poète arabe d'Espagne. Je les ai trouvés dans le commentaire d'Omar ben Fâredh.

XLV.

J'ai extrait ces vers du chapitre 2 du Mardj annadhir d'Assoyouthy.

Vers 2. Il y a dans ce morceau quelques expressions figurées qui rappellent ce vers d'Alboktary :

« Il semble, lorsque tu souris, que tu découvres une rangée de perles, ou de la grêle, ou de la camomille. »

Ce vers est, je crois, du mètre nommé metrum velox.

Hariri a enchéri sur ces images, lorsqu'il a dit dans sa deuxième séance:

« Que mon âme soit le prix d'une bouche dont le sourire est plein de charmes et à laquelle une fraîche haleine qui n'a point d'égale ajoute nu nouvel attrait. En souriant, elle met à découvert de tendres perles, de la grêle, de la camomille, de la fleur de palmier, et des bulles qui s'élèvent sur la surface du vin. »

Je transcrirai, du second chapitre du Mardj annadhir d'Assoyouthy, les deux vers suivants:

« Dans sa bouche il y a du musc, un vin pur et frais et une rangée de perles. Le musc est son haleine, le vin sa salive et les perles ses dents. »

Voici encore deux vers qui présentent des images semblables aux précédentes. Je les ai tirés du chapitre 2 du Mardj annadhir.

« L'eau de ta bouche (ta salive) est-elle du miel ou un vin délectable! tes lèvres sont-elles du corail ou du rubis! ton visage est-il l'astre de la nuit dans son plein ou une éclatante aurore ! tes joues sont-elles un bouquet de roses ou une anémone ! »

XLVI.

J'ai trouvé ces vers dans le chapitre 1er du Mardj annadhir.

XLVII.

Ces vers sont extraits du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne, par Almocry, n° 705 des manuscrits du Roi.

Vers 7. La nuit d’Alcadr, c’est-à-dire la nuit de la gloire et de la puissance où Dieu disposa toutes choses avec sagesse, est une nuit très  révérée des Musulmans. Ils disent que ce fut dans cette nuit que le Coran, existant de toute éternité, fut transporté, par l'ordre de Dieu, du septième ciel au ciel de la lune, qui est le plus près de la terre, et que de là l'ange Gabriel le communiqua à Mahomet par versets, durant l'espace de vingt-trois ans. Ils disent aussi que cette nuit mystérieuse se renouvelle chaque année.

Il me semble que l'auteur de ce morceau passionné, supplie, dans son délire érotique, la nuit d'Alcadr de se renouveler en sa faveur, pour qu'elle contemple et protège les délices qu'il goûte dans les bras de sa maîtresse. Il peut se faire aussi que le poète, oubliant tout-à-coup le respect qu'il doit comme musulman à cette nuit incompréhensible, l'apostrophe en lui disant d'un ton moqueur et impie : « Reparais, si tu veux, à l'heure de mes plaisirs ; que m'importe ! il n'y a rien de commun entre toi et mon amour. » Au reste, j'abandonne aux esprits plus exercés et plus clairvoyants que le mien le soin de donner un sens plus raisonnable à ce passage.

XLVIII.

Ce morceau est tiré du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne. Le mètre est le . Ce mètre a ici beaucoup de grâce et de rapidité, à cause de la répétition constante du même pied. Il y a, dans ce petit poème, des images vives et riantes qui seront goûtées des esprits délicats.

XLIX.

Ce morceau est extrait de la Biographie des hommes illustres d'Ibn-Khallikan..

L.

Ces vers se trouvent, ou dans le commentaire des poésies d'Omar ben Fâredh, ou dans le Mardj annadhir d'Assoyouthy, ou dans le Halbet alkomaït.

LI.

J'ai extrait ces vers du chapitre 2 du Mardj annadhir d'Assoyouthy.

LII.

Ces vers, que j'ai tirés du chapitre 2 du Mardj annadhir d'Assoyouthy, sont sur le mètre nommé metrum velox.

2e vers, 2e hémistiche. Le poète joue ici sur le double sens du mot , patience et aloès.

Ce n'est pas quelquefois qu'une muse un peu fine

Sur un mot en passant ne joue et ne badine.

Dans ce petit morceau et dans plusieurs autres semblables, qu'on peut mettre au rang des madrigaux et des épigrammes, ce genre d'agrément ne me paraît pas tout-à-fait hors de place. Mais en général les Arabes le prodiguent trop, même dans des compositions graves et élevées qui le réprouvent. C'est à eux qu'on peut adresser ce conseil du poète:

Mais fuyez sur ce point un ridicule excès.

LIII.

Ce morceau, dont tout le sel consiste dans un jeu de mots semblable à celui qui se trouve dans le n." précédent, est tiré du commentaire d'Omar ben Fâredh.

Je transcrirai encore du commentaire des poésies d'Omar ben Fâredh les deux vers suivants, qui renferment le même jeu de mots :

« J'ai dit à celui qui m'exhortait à endurer avec patience l'absence de ma bien-aimée : Peut-il connaître la patience celui dont l'amante est loin de ses yeux ! Ah, si le miel, depuis que je suis séparé d'elle, est pour moi sans douceur, comment donc l'aloès (la patience) me serait-il agréable! »

LIV.

Ces vers sont tirés du chapitre 1 du Mardj annadhir d'Assoyouthy..

LV, LVI, LVII.

Ces trois morceaux sont d'Omar ben Fâredh. Les connaisseurs remarqueront beaucoup de précision et d'élégance dans le style, et une grande délicatesse dans les pensées.

Je ne connais point le mètre auquel ces vers appartiennent.

LIX.

Ces vers sont tirés du chapitre 17 du Halbet alkomait/

LX.

Ces vers sont tirés du commentaire d'Omar ben Fâredh.

LXI, LXII.

Ces vers sont extraits du chapitre 17 du Halbet alkomaït.

LXIII.

J'ai tiré ces vers du chapitre 17 du Halbet alkomaït.

Je tirerai encore du chapitre 17 du Halbet alkomaït deux petites pièces sur la rose.

« Jouis de la rose ; son existence est de peu de durée. Ne t'afflige que de sa disparition. Quitte-la avec des caresses, des baisers et des larmes, comme on quitte un ami qu'on ne doit revoir qu'au bout d'une année. »

« Le printemps et la rose sont arrivés, et la nuit et le jour sont égaux en longueur. Ne cesse point de cueillir la rose: jouis-en, et souviens-toi que la saison de la rose n'est qu'un prêt. »

Dans le tome second de l'Histoire des Arabes d'Espagne, on lit les deux vers suivants :

« Au matin, lorsque je vois la rose me présenter, en s'entrouvrant, une bouche vermeille, elle me fait souvenir des baisers que se donnent les amants à l'heure de leurs tendres caresses. Le matin passé, je trouve la rose changée en une joue au milieu de laquelle le soleil a fait une impression, Un poète a dit :

« Je lui dis, au moment où elle me salua avec une coupe remplie d'une liqueur à laquelle le musc de son haleine avait mis la perfection : Est-ce un extrait de tes joues que tu me présentes! Point du tout, répliqua-t-elle ; quand donc le vin fut-il extrait de la rose ! »

A la suite de ces vers sur la rose, je donnerai un morceau sur les anémones. Il se trouve dans le tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

« Des anémones étaient devenues le jouet des vents. J'allai les voir au moment que la pluie battait avec violence leurs fleurs, qui étonnaient la couleur du vin. Je dis à la pluie : Quelles fautes ces fleurs ont-elles commises, pour être ainsi maltraitées Alors la pluie me répondit : Elles ont dérobé aux belles la rougeur de leurs joues. »

LXIV à LXIX.

Ces vers sont tirés du chapitre 17 du Halbet alkomaït.

LXX.

Ces vers se trouvent ou dans le Mardj annadhir, ou dans le Halbet alkomaït.

LXXI.

Ces vers sont tirés du chapitre 23 du Halbet alkomaït.

LXXII.

Ces vers sont tirés du chapitre 13 du Halbet alkomaït.

LXXIII.

J'ai tiré ces deux vers du chapitre 13 du Halbet alkomaït.

Lorenzo Pignotti, dans une fable charmante intitulée Il Ventaglie, a exprimé absolument la même idée. Voici ses vers:

Due bei volti che s'accostano

Di soverchio, il foglio cela,

E fra' detti e i sguardi languhii

Ei coll'ombra amica vêla,

E protegge ancor pietoso

Un leggier furto amoroso.

L'arabe est plus précis, et l'italien plus riche et plus élégant.

LXXIV.

Ces vers sont tirés du commentaire d'Omar ben Fâredh.

LXXV.

Ce morceau, où le portrait de l'amant est tracé avec beaucoup de vérité, est extrait du commentaire d'Omar ben Fâredh.

Je vais offrir au lecteur un autre portrait de l'amour qui a quelque rapport avec celui-ci: il est extrait également du commentaire d'Omar ben Fâredh.

« L'indifférent me dit un jour : L'amour n'existe pas. Je lui répondis: Si tu l'eusses goûté, tu le connaîtrais. Il reprit: Serait-ce une occupation de cœur! eh bien! si elle ne te convient pas, tu la mets de côté. Seraient-ce des soupirs et des pleurs! si tu ne veux pas qu'ils s'échappent, tu n'as qu'à les retenir. Ah! lui dis-je après tous ces discours, tu n'as point connu l'amour alors que tu l'as décrit. »

Voici encore une courte description de l'amour, renfermée en un vers qui se trouve, je crois, dans le commentaire des poésies d'Omar ben Fâredh.

« Etrange effet de l'amour! la victime soupire et est pleine de tendresse pour son assassin. »

LXXVI.

J'ai tiré ces vers du commentaire d'Omar ben Fâredh.

LXXVII.

J'ai tiré ces vers du commentaire d'Omar ben Fâredh.

LXXVIII.

Ces vers sont tirés du commentaire d'Omar ben Fâredh.

LXXIX.

Ces vers sont tirés du chapitre 2 d'Assoyouthy.

LXXX.

Ces vers, que j'ai extraits du commentaire d'Omar ben Fâredh.

Voici trois autres petites pièces sur les tarâmes, qui sont extraites du même ouvrage:

« Une femme me dit: D'où vient que tes larmes sont vertes! je lui répondis : Ne comprends-tu pas ce signe ? est-ce que tu ne sais pas que la source de mes larmes est tarie ! celles que je répands maintenant, ô mort unique espérance', sortent de la vésicule de mon fiel. »

Même mètre que les précédents.

« Une femme me dit : D'où vient que tes larmes sont noires! naguère elles étaient rouges et ton corps était consumé par la douleur. Je lui dis: Je n'ai, plus de larmes; c'est la prunelle de mes yeux qui coule maintenant. »

« Au jour de leur départ ils ont attaché des amulettes autour de mon cou, craignant la Violence de mes transports. Vaine précaution ! les feux de mon amour extrême ont fondu ces amulettes et les ont changés en des larmes qui ont coulé à l'heure de l'adieu. »

Toutes ces pensées, où l'esprit a plus de part que le sentiment, brillent beaucoup du côté de l'expression.

Un poète arabe a dit avec beaucoup d'élégance et de passion :

« Viens joindre tes joues à mes joues, et tu verras une chose tout-à-fait surprenante, et qui confond l'intelligence. Tes joues deviendront un parterre printanier, et les miennes un étang de larmes. »

LXXXI.

Ces vers sont tirés d'Ibn-Khallikan.

LXXXII.

Ce petit poème est tiré d'Ibn-Khallikan. La poésie arabe n'offre rien, je crois, de plus gracieux.

LXXXII.

Ce petit poème se trouve dans Ibn-Khallikan. Les amateurs sauront y remarquer une grande délicatesse de sentiment.

LXXXIV.

Cette description du cheval est tirée du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

A cette peinture animée du cheval, j'en joindrai une autre qui ne l'est pas moins. Elle est tirée également du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

« Est-ce un coursier qui a fur devant mes yeux, ou un météore flamboyant qui a passé aussi vite que l'éclair! L'aurore a prêté à son front un voile éclatant de blancheur ; et à sa présence, les chemins âpres et sablonneux se sont réjouis, et ils l'ont salué avec transport. S'il entend quelque bruit, il croit que c'est l'aurore qui accourt pour lui redemander ce qu'il a emprunté ; mais il ne peut être atteint dans sa course impétueuse. Lorsqu'il s'élance et vole, les étoiles fatiguées ne peuvent le suivre, et les nuages perdent la trace de ses pas. Chose incompréhensible ! ce coursier a la perfection des astres étincelants: comment se fait-il que la poussière ait du mépris pour ses pieds! Demande aux vents quel est le terme le plus éloigné de sa course ; les vents seuls sont capables de te répondre. »

Remarques. Le voile dont le poète parle au second vers est la marque blanche qu'on voit au front de la plupart des chevaux. Les Arabes la nomment . Ils la prisent beaucoup, et y font souvent allusion dans leurs poèmes et dans leur prose élevée.

Dans le quatrième vers, il y a une hyperbole outrée et selon le goût des Orientaux. Malgré cette exagération, le vers est plein de noblesse et d'énergie.

Le tome second de l'Histoire des Arabes d'Espagne renferme les deux morceaux suivants :

On a écrit sur un arc:

« Lorsque des nuées de poussière se sont élevées et que la guerre promène de rang en rang la destruction; lorsque les braves combattent à outrance sous ses différents points, et que la mort vole eh rond au dessus des têtes, le trépas s échappe de nous contre l'ennemi avec rapidité; on dirait que nous sommes des croissans, et nos traits des étoiles. »

Description d'une épée.

« Cette épée, dans le sein des nuages rapides, est un soleil; dans les ténèbres, elle est un flambeau, une étoile étincelante. Elle épouvante les ennemis lorsqu'ils la voient, lors même qu'ils croient la voir; et s'ils sommeillent, elle les épouvante encore par son image. »

LXXXV.

Ces vers sont tirés du chapitre 3 du Mardj annadhir.

LXXXVI.

Ces vers sont extraits du chapitre 3 du Mardj annadhir.

Je tirerai encore du chapitre 3 du même ouvrage les deux morceaux suivants:

« Le fleuve devint éperdument amoureux des flexibles rameaux, et il traça dans son onde leur image chérie. Le zéphyr, qui aussi les aimait tendrement, devint jaloux du fleuve, et, pour rompre cette union, il força les rameaux de s'incliner d'un autre côté. »

« Depuis que le fleuve éprouve pour les tendres rameaux un amour extrême, ceux-ci le dédaignent et se montrent impitoyables. Aussi tu vois le fleuve caresser, dans son cours, les pieds qui les portent, et, par son murmure, se plaindre de son malheureux sort. »

Au chapitre 18 du Halbet alkomaït on lit les deux vers qui suivent:

« Regarde ces flexibles rameaux ; vois comme il s'embrassent, et comme ils se séparent après s'être embrassés. Ils ressemblent à l'amant, qui accourt, éperdu, pour dérober un baiser à sa bien-aimée: mais il a vu le surveillant, et il revient doucement sur ses pas. »

LXXXVII.

Ces vers se trouvent dans Ibn-Khallikan et dans le chap. II du Halbet alkomaït.

Voici deux autres vers sur le vin, que j'ai tirés du Chapitre 3 du Mardj annadhir :

« Le vin est le souffle qui m'anime: comment donc pourrai-je y renoncer! Que son apparence et sa réalité sont belles ! Le vin, ah ! quand le pauvre le mêle avec l'eau, les rubis et les perles qui brillent sur sa surface le comblent de richesses. «

Je citerai encore le morceau suivant que j'ai trouvé dans le livre i.er du Halbet alkomaït.

« Le vin a été porté à la ronde, et nous avons vu le soleil briller dans toute sa pompe. Fils de la vigne, le vin plaît par ses vertus cachées et par ses charmes extérieurs. Je ne saurais dire, à cause de son vif éclat, s'il est contenu dans la coupe, ou s'il n'y est pas. Il a séjourné quelque temps dans la tonne, et il s'est revêtu des qualités les plus nobles et les plus éminentes. Du vieillard il fait un jeune homme, et du jeune homme un enfant. »

Les personnes qui étudient la langue arabe, ne me sauront pas mauvais gré de leur mettre sous les yeux les mots et les expressions figurées qui veulent dire le vin.

Il y a dans le dictionnaire de Golius quelques mots signifiant le vin, qui ne se trouvent point dans cette liste. Les voici :

A la suite de tous ces noms qui sont donnés au vin, on trouve, dans le 3e chapitre du Mardj annadhir, les mots suivants qui veulent dire la coupe ou le verre:

LXXXVIII.

Ces vers sont extraits du chapitre 14 du Halbet alkomaït.

Ce que le poète arabe dit ici des plaisirs de l'ouïe, Catulle le dit de ceux de l'odorat, dans une pièce de vers adressée à son ami Fabullus :

Nam unguentum dabo, quod mex puellœ

Donarunt Veneres Cupidinesque :

Quod tu cum olfacies, deos rogabis,

Totum ut te faciant, Fabulle, nasum.

L'auteur du Halbet alkomaït, Chems-Eddin-annawadiy, a composé sur un joueur de lyre les deux vers suivants:

« Un joueur de lyre m'a ravi la raison par sa beauté merveilleuse, par son agréable maintien, par ses manières séduisantes. Il a fait frémir doucement, en notre présence, les cordes de sa lyre, et il nous a tués avec l'extrémité de ses doigts. »

LXXXIX.

Ces vers sont tirés du chapitre 4 du Mardj annadhir.

XC.

J'ai tiré ces vers du même chapitre du même ouvrage.

XCI.

J'ai tiré ces vers du même ouvrage.

XCII.

Ces vers sont tirés du même ouvrage.

Le jeu d'esprit renfermé dans ce morceau et le précédent se trouve dans ces vers de l'Arioste :

Bacio la carta diece volte e diece,

Avendo a chi la scrisse il cor diritto.

Le lacrïme vïetar che su vi sparse

Che con sospïri ardenti ella non l'arse.

Il Furioso, xxx, 79.

Qu'on lise tout le passage du Roland d'où ces vers sont tirés, et l'on verra que cette pointe n'est pas à sa place: la situation ne la comporte pas. Ces sortes de taches, au reste, disons-le en passant, sont rares dans l'Arioste, et elles ne peuvent rien dérober au respect et à l'admiration que tout homme qui se connaît en poésie doit avoir pour ce génie vraiment incomparable.

XCIII.

Ces vers assez mauvais sont extraits du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

XCIV.

Cette petite pièce, où il y a du vrai et du naturel, est extraite du chapitre 4 du Mardj-annadhir d'Assoyouthy.

XCV.

Ces vers sont extraits du même chapitre du même ouvrage. Même mètre que les vers précédents.

XCVI.

Ces vers sont extraits du même ouvrage. Même mètre que les précédents.

XCVII.

J'ai tiré ces vers de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

A ces morceaux je joindrai les deux vers suivants, tirés du Mardj annadhir d'Assoyouthy, chap. 4.

« Votre lettre m'est arrivée, et elle m'a rendu l'existence lorsque j'étais mort de désirs et d'ennuis. Ce n'est pas une écriture qui est tracée sur une feuille : que dis-je! par Allah! c'est un souffle de vie qui est descendu dans mon corps. »

On lit dans le tome I de l'Histoire des Arabes d'Espagne, ces deux vers énergiques:

« Sous mes côtes se fait sentir une ardeur si vive, que si je la tenais cachée, je craindrais que mes entrailles ne fussent consumées par les flammes ; et si j'exposais dans mes livres ce que mes flancs renferment, je leur ferais parler un langage de feu et verser des larmes de sang. »

XCVIII.

Ce petit poème érotique, que j'ai tiré du chapitre 16 du Halbet alkomaït, respire la mollesse et l'enjouement. L'aimable abandon avec lequel la volupté y est peinte rappelle la manière d'Anacréon.

Vers 20. Je donnerai ici une courte description du printemps, extraite du chapitre 3 du Mardj annadhir.

« Ciel! que les jours du printemps sont charmants et remplis de délices ! comme le ramage des oiseaux qui chantent à l'envi les uns des autres, est suave ! Alors la rose croissant sur les tendres rameaux, ressemble au doux incarnat qui colore la joue des beautés timides ; alors le souffle du zéphyr, agite les flexibles branches, de la même manière que le vin fait chanceler l'homme ivre; et l'eau se glisse aussi doucement dans la prairie que le sommeil sous la paupière d'une personne qui s'endort. »,

A cette description du printemps je joindrai un distique tiré du même chapitre du même ouvrage.

« Pourquoi ne serais-je pas épris d'amour pour les prairies, et pour les fleurs qui en font l'ornement! pourquoi ne me reposerais-je pas sous d'épais et agréables ombrages! les fleurs s'offrent à mes regards avec des lèvres souriantes, et l'eau se montre à moi avec un cœur dont rien ne trouble la pureté. »

Vers. 24. Medjnoun, mot arabe qui veut dire insensé, est le surnom de Kéis, l'amant de Leïla.

Dans le même chapitre du Halbet alkomaït se trouvent les trois morceaux suivants :

« Hélas! qu'est devenue cette nuit de bonheur dont la fortune a été généreuse envers moi ; cette nuit qui seule a valu tous les instants écoulés de ma vie ! Elle l'a passée auprès de moi, ma compagne, ma bien-aimée, jusqu'au matin, sans crainte ni défiance aucune. Diamants véritables, ses paroles étaient pour moi les étoiles du firmament, et son visage me tenait lieu de la lune dans son plein. Tandis que je repaissais mes regards de ses charmes et mes oreilles de ses discours, voilà que l'aurore vint fondre sur moi. Tout le crime de cette nuit fut sa rapidité, et quel crime plus odieux pouvait-elle commettre! Ah! que je désirais qu'elle se prolongeât en ma faveur, fut-ce même au prix de la partie la plus profonde de mon cœur, au prix de la prunelle de mes yeux ! »

Sic ait, atque animum pictura pascit inani.

Aeneis. I, 468.

 

Corpore ut exanimi crudelia lumina pascas.

Ovid. Metamorph. XIV, 728.

 

.........................Nimiumque elatus avaro

Pascïtur intultu.

Claud. in Rufinum I, 166-7.

 

E i famelici sguardi avidamente

In lei pascendo, si consuma e strugge.

Gerusalemme liberata, XVI, 19.

« Que Dieu protège la nuit que j'ai passée auprès de ma bien-aimée! nuit délicieuse, dont rien ne troubla la pureté! Elle est arrivée, cette nuit, sans être attendue, et elle s'est écoulée avec rapidité, et elle n'a rien diminué de cette ardeur qui me tourmente. Nous nous sommes réunis sans avoir mis la ruse en usage, sans éprouver aucune fatigue et sans nous être donné de rendez-vous. J'ai dit alors, et mon cœur était sur le point de s'envoler de joie, parce que tous mes souhaits et tous mes désirs trouvaient leur accomplissement: O mon cœur, connais-tu bien celle qui est venue à ta rencontre! ô mon œil, sais-tu bien quelle est celle qui est présente devant toi ! O lune qui éclaires l'horizon, retourne sur tes pas; car elle est descendue sur la terre, auprès de moi, la lune véritable. Nuit bienheureuse où je me trouve! passe lentement, lentement. Par Allah! par Allah! ne te montre point, ô aurore! Et cette nuit fut telle que je le désirais ; et nos causeries furent de longue durée, et notre veille pleine de délices : nous étions seuls, à l'écart ; point de tiers importun. Le zéphyr seul, lorsque le matin fut venu, emporta la nouvelle de nos amours. »

« Je sacrifie ma vie pour cette belle qui est venue me trouver dans ma demeure, au milieu des ténèbres de la nuit, et lorsque l'air, imprégné de sa douce haleine, était embaumé tout à l'entour. Pendant long-temps nous nous adressâmes à l'envi des reproches. Ensuite je me plaignis de ses cruautés, et elle s'excusa aussi bien qu'il lui fut possible. O nuit! m'écriai-je, continue de nous envelopper de ton ombre, et ne permets pas à l'aurore de paraître. Ah ! reprit-elle, cette nuit est toute entière un enchantement. »

Vers 3. Signifie aurore et magie, enchantement. Le poète joue sur ce double sens.

Je placerai ici une ode charmante de Hafiz, que M. de Chézy, savant professeur de langues orientales, a bien voulu me communiquer avec la traduction qu'il en a faite.

« Remplis d'un vin pur la coupe étincelante ; jonche la terre de roses: à quoi bon t'inquiéter du Destin! » Ainsi s'exprimait le rossignol dans son chant matinal: rose charmante, qu'en dis-tu ?

» Place au sein du jardin ta couche" voluptueuse, et là, doublement enivré par le parfum ravissant de l'ambroisie et des fleurs, que tour à tour les douces lèvres de ta maîtresse et la joue animée de ta jeune esclave s'offrent à tes baisers de feu.

» O tendre rosier, pour qui t'empresses-tu ainsi de croître ! à quel heureux mortel destines-tu le premier sourire de ce bouton délicat prêt à s'épanouir?

» Va ! fille charmante ! parcours en folâtrant ce parterre émaillé; et que, se modelant sur cette taille souple et élégante, le cyprès imprime à ses mouvements une grâce toute nouvelle.

» Aujourd'hui que mille amants s'empressent de faire de toi leur idole, songe au vol rapide du temps; et en accueillant leurs vœux avec bienveillance, compose-toi ainsi un trésor de reconnaissance et d'amour.

» Oh ! qu'il serait doux à respirer le parfum qu'exhale cette chevelure ondoyante, si la belle dont elle forme la plus riche parure exhalait en même temps le parfum de la fidélité.

» Ainsi le peuple ailé, à la voix mélodieuse, apporte chaque jour, dans les jardins du roi, le tribut de ses chants : Philomèle les remplit de sa plainte amoureuse, Hafiz des accents de ses vers. »

XCIX.

Le mowasschah, mot arabe qui signifie proprement l'orné, le paré, est une espèce de poème ou chanson inventée par les Maures d'Espagne, peu de temps après leur entrée dans ce pays, et reçue ensuite avec applaudissement par les Arabes d'Egypte et d'Asie. Celui qui se fit le plus remarquer dans ce genre de composition, et qui peut-être en est l'inventeur, est Abou Bekr Ibadeh, fils d'Abd-Allah, fils de Ma' essémâ, de la tribu de Khizridj. Ce poème est fait pour être chanté. Il peut être composé sur tous les mètres ; mais lorsqu'on l'a commencé sur un mètre, il faut le continuer jusqu'à la fin sur le même. Le mowasschah est ordinairement divisé en couplets, et ces couplets sont quelquefois terminés par une sorte de refrain, jonction, liaison, dont la rime, correspondant toujours à la rime du dernier hémistiche de chaque couplet, est également celle des deux premiers hémistiches qui ouvrent le poème, lesquels se nomment,mathlaa, exposition, ouverture. Ce nom est aussi donné par les Persans au premier vers du ghazel ou ode, dont les deux hémistiches doivent toujours rimer ensemble. Les couplets peuvent avoir quatre ou six hémistiches. Le dernier hémistiche doit rimer avec le mathlaa. Quant aux autres hémistiches du couplet, ils sont sur une seule rime ou sur deux, mais il ne faut pas que ces rimes soient celles du mathlaa. Le retour des mêmes sons qui retombent près l'un de l'autre dans le mowasschah, flatte agréablement l'oreille et fait un des principaux charmes de ce poème.

J'ai tiré ce mowasschah du chapitre 11 du Halbet alkomaït.

2e hémistiche. Signifie à la lettre: le myrte de la partie du visage croît le poil qui se prolonge depuis l'oreille jusqu'à l'endroit commence la barbe. C'est ce que nous appelons vulgairement des favoris.

« Dzoul'lfecâr (qui a des vertèbres) est le nom de l'épée d'Alaas, fils de Wâyel, incrédule qui fut tué à la journée de Bedr. Cette épée passa entre les mains du prophète, ensuite dans celles d'Aly. Le cheikh Kémal eddin addomairy a dit dans sa grande histoire des animaux: Assohaïly a rapporté que Samsâmeh, l'épée d'Amrou, fils de Maady Karb, fut faite du fer qu'on trouva près de la Kaaba, lequel fer avait été enfoui par la tribu de Djorhem ou par une autre. Il ajoute que Dzou'lfécâr, l'épée du prophète de Dieu, fut faite du même fer, et qu'elle ne fut nommée ainsi que parce qu'on voyait, au milieu, des traits qui ressemblaient aux vertèbres du dos. »

Voici un autre mowasschah que j'ai tiré du même chapitre du même ouvrage.

« Ça, donne-moi ta coupe attrayante, et ne sois pas avare pour moi de l'or qu'elle renferme, du vin vieux qui doit circuler parmi les convives. Ne dirait-on pas qu'un collier de perles, formé par la liqueur qui dissipe les ténèbres, brille à la surface de cette coupe! Ce vin a jeté un vif éclat, alors qu'il a pétillé dans le verre, et je me suis écrié: Oui, ce vin est extrait de la grappe des pléiades! Porte-le à la ronde, au doux bruit des concerts, dans un parterre émaillé de fleurs et humecté partout de gouttes de rosée aussi fraîches, dans mes mains, que la rosée d'Almoayyed, et dont la saveur est agréable et le parfum délicieux. Offre ce vin aux convives pendant qu'une jeune fille enchante les jardins par sa présence. Lorsque cette belle sourit, tous les lieux d'alentour répandent une douce clarté. Je l'ai prise à l'écart au moment où la fortune me le permettait. Alors j'ai jeté de dessus mes épaules le manteau de la pudeur, j'ai trompé la vigilance du surveillant, et j'ai dit: Allons, jouissons des plaisirs de la vie ! »

Remarques. Comme le mowasschah n'est autre chose que la chanson asservie à certaines règles, toute sa grâce disparaît nécessairement dans une traduction.

Dans la leçon que j'ai adoptée, il y a une métaphore peu naturelle. Le poète compare, ce me semble, la coupe dans laquelle brille le vin à une femme qui a la poitrine, ornée d'un rang de perles, ou collier.

A la suite de ce morceau, je donnerai une ode de Mélik Alkélâm Schahfour, fils de Mohammed Nischaboury, extraite de l'Histoire des poètes persans par Dawlet Schah.

« Dis-moi, ma bien-aimée, qu'est-ce qui est le plus agité, des ondes de ta chevelure, ou de ma condition ? le plus petit, d'un atome, ou de ta bouche, ou de mon cœur consumé de douleur!

» Qu'est-ce qui est le plus noir, de ton cœur perfide, ou de mon sort, ou de la petite tache qui orne ton visage! le plus doux, du miel, ou de tes lèvres, ou de mes paroles qui se répandent comme des pierreries!

» Le plus enchanteur, du collier des pléiades, ou des perles, ou de tes dents! le plus élevé, de ta stature, ou du cyprès, ou de mes discours !

» Le plus ravissant, de tes caresses, ou de mes tendres poésies ! le plus déchirant, de ton absence, ou de mes acens plaintifs !

» Le plus brillant, du soleil, ou de la lune, ou de mon esprit, ou de ton visage! le plus inconstant, du ciel, de ton caractère, ou de ma destinée!

» Tes promesses ont-elles été moins faussées que mon dos n'est devenu courbe, que tes noirs sourcils ne sont arqués ! Tes paroles sont-elles moins variables que le vent ou mes espérances !

» Est-ce ma patience, ou la fidélité des belles, ou la crainte que tu as de me déplaire, qui se laisse le plus facilement abattre! Ta beauté est-elle plus grande que la tristesse et la douleur qui m'accablent!

» Sont-ce tes yeux, ou la fortune, ou le glaive de Schahfour, qui font couler le plus de sang! Est-ce ton regard, ou l'épée, ou mon état déplorable, qui perce le cœur d'une manière plus cruelle ! »

C.

J'ai extrait ce morceau du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne, n° 705 des manuscrits de la bibliothèque du Roi.

Vers 4. 2e hémistiche. et il savait bien de quel coté manger l'épaule, expression proverbiale qui se dit d'un homme rusé et adroit qui arrive à ses fins en prenant les choses par le côté convenable. Les Arabes disent dans le sens contraire, cet homme ne sait pas tien manger l'épaule, c'est-à-dire, cet homme est un niais, un imbécile, qui ne sait pas prendre les choses par leur véritable sens. Voy. l'explication entière de cette expression dans le commentaire de Hariri. Mot à mot: « et je l'embrassai comme si j'étais la lettre lam, et mon amie la lettre élif, en cette manière. »

Dans ce petit poème, dont la morale est un peu folle, il y a beaucoup de naturel et d'enjouement.

On lit dans le 3e chapitre du Mardj-annadihr les trois morceaux qui suivent:

« Livre-toi sans crainte aux doux transports de l'amour; bois à longs traits le vin qui a vieilli dans les tonnes, et courtise de jeunes chanteuses à la vue de tout le monde. Songe que les plaisirs de la vie consistent à courtiser de jeunes chanteuses. Que rien ne te détourne de l'objet de ton amour: la vie disparait si vite! hâte-toi de jouir avant le temps de la vieillesse, et laisse de côté les espérances vaines. »

« Les plaisirs de la vie sont au nombre de cinq. Je tiens cela d'un libertin aimable et expert. Il faut avoir un compagnon de table, une jeune chanteuse, un ami fidèle, du vin, et savoir se moquer de tous ceux qui blâment ces jouissances. »

« Boire du vin dans la saison de la jeunesse, et dans celle de la vieillesse être dévot, voilà comme il faut vivre. Bois donc assidûment, et livre-toi à tous les plaisirs, tandis que tu le peux : accorde à chaque moment de la vie ce qui lui convient. »

CI.

Ce petit poème, modèle de finesse, de grâce et d'élégance, est tiré du tome I de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

Vers. 5. Plus littéralement: Soleïma te disait: o mon petit frère; et aujourd'hui Soleïma te dit: ô mon papa. L'idée que renferme ce vers se trouve également dans ces deux vers d'Alakhthal, tirés du tome I de l'Histoire des Arabes d'Espagne :

« Lorsqu'elles t'appellent leur oncle, ce titre de parenté fait voir que tu es pour elles un fardeau pesant; et lorsqu'elles te disent, O notre petit frère ! cette expression indique de l'amour et le désir qu'elles ont de te posséder. »

CII.

Ces vers sont extraits du tome IV du Kitâb alaghâny, le livre des chansons.

Le tome IV du même ouvrage contient le morceau suivant:

« Charmante Arib ! puisses-tu être préservée du trépas. Que Dieu détourne de toi les rigueurs de la fortune! Oui, tu es la gloire-et l'ornement des femmes, et tu surpasses les hommes dans tous les talents. Ta présence donne des charmes à la vie, et ton éloignement chasse le doux sommeil. Ah ! puisses-tu rester toujours ma compagne, mon amie, ma consolation ! »

CIII.

J'ai tiré ce petit poème khâtimet, ou conclusion du Halbet-alkomaït.

CIV.

Ces vers sont extraits des Vies des hommes illustres, par Ibn-Khallikan.

Vers 2. Signifie à la lettre : le lieu l'on se plaint. V. sur cette forme de nom de lieu la Grammaire arabe de M. le baron S. de Sacy, tome I, p. 218, paragraphe 586.

Vers 6. 2e hémistiche. « ton pauvre », expression de la Bible, qui est toute de sentiment. Iste pauper clamavit et Dominas exaudivit eum. (Ps. XXXIII, 7).

CV.

Ces vers sont tirés d'Ibn-Khallikan.

CVI.

Ce morceau est extrait du tome I de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

A ces trois derniers morceaux j'ajouterai le suivant, que j'ai extrait du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

« O toi qui viens au secours des mortels lorsqu'ils sont en proie au désespoir, aie pitié de tes créatures qui tendent les mains de la pauvreté.

» Tu les a accoutumées à recevoir tes bienfaits sans qu'il ne leur en coûte d'autre peine que de mettre en toi leur espérance.

» Tu leur as promis tes faveurs en tout temps et pour chaque instant de leur vie : ta générosité, s'ils sont justes, et ta clémence, s'ils sont pécheurs.

» Tes dons ont subjugué les esprits les plus superbes : tout ce qui est dur et âpre est lié des chaînes de la générosité.

» O toi qui t'es fais connaître par ta munificence, toi que les grands et les petits ont reconnu à la profusion de tes bienfaits ;

» Toi qui pénètres les choses les plus sécrètes, et qui n'es assujetti ni aux opérations de la pensée ni à ses méprises;

» Regarde : ton esclave humble et pauvre n'a point d'autre ressource que de se prosterner devant la porte de ta générosité, toutes les fois qu'il est dans la détresse.

» Chaque fois qu'il s'approche pour tendre les mains, le souvenir de ses crimes odieux, multipliés, le couvre de confusion.

» O toi qui remplis tout de ta présence! les pas de l'homme ne peuvent égaler le nombre de tes bienfaits. Lorsque les hommes t'adressent leurs prières, ils s'égarent dans les actions de grâces qu'ils te rendent.

» O toi qui étends ta miséricorde avec la main de la libéralité, à un point que tu n'abandonnes pas le coupable lui-même au désespoir;

» Aie pitié de tes esclaves qui supportent avec résignation les misères de la vie, et qui, par-tout où le sort les jette, se contentent de ce qu'ils ramassent:

» Si bien que si les hommes se partageaient le monde, ils n'auraient, eux, en partage que l'obscurité pour couverture et la terre pour tapis.

» Mais en songeant à ta grandeur et à ta majesté suprême, ils se trouvent placés dans un ordre élevé, sublime et au dessus duquel il n'y a rien.

» Ah ! celui qui demeure constamment uni à l'objet de son amour, que lui importe que la tribu se fixe dans un lieu, ou qu'elle se transporte dans un autre!

» Nous sommes les esclaves, et toi le monarque absolu : il suffit. Tout ce qu'on peut désirer au-delà, est inutile et superflu. »

CVII.

Ces vers sont tirés de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

CVIII.

Ces vers sont tirés du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

Vers 7. Ces paroles font allusion à ce passage du Coran:  

Et, cum Infernus vehementius exarserit. Et, cum Paradisus propius admotus fuerit. Traduction de Maracci, LXXXI, 12, 13.

CIX.

Ces vers sont tirés de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

CX.

J'ai extrait ces deux vers de la préface de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

La pensée qui est renfermée dans ces vers se trouve dans le dernier vers du morceau suivant :

 « Jouis du monde tandis qu'il t'offre ses faveurs : sache que tu es abandonné aux mains des destinées. Garde-toi de remettre à demain le plaisir que tu peux goûter aujourd'hui; car qui peut te donner une sauvegarde contre les coups du sort: J'ai vu la fortune précipiter les jours de l'homme, et celui-ci placé entre deux états opposés. Le temps de sa vie qui s'est écoulé est le songe d'un homme qui dort; et celui qui reste, de vaines espérances. »

Le second vers de ce morceau me rappelle ce vers superbe de Hafiz:

« O échanson, ne rejette pas à demain les plaisirs que nous pouvons goûter aujourd'hui ; ou bien apporte-moi du divan des décrets célestes la signature d'une prolongation de jours. »

Aux poésies morales et religieuses qui terminent mon Anthologie, je joindrai les trois morceaux suivants, qui sont du même genre :

J'ai extrait ces vers du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

Vers 5. On lit dans la 50e séance de Hariri: et aie pitié de ses larmes qui coulent.

« La mort, dans tous les temps, déploie le linceul funèbre, et nous, insensés ! nous vivons dans l'insouciance du sort qui nous est réservé.

» Ne mets ta confiance ni dans le monde ni dans sa beauté, lors même que tu serais paré de ses habits les plus magnifiques.

» Que sont devenus nos amis, nos voisins, leurs actions! où sont ceux en qui nous mettions notre appui!

» La mort les a fait boire à une coupe remplie d'amertume, à une coupe qui les a fait descendre, comme un gage, dans les entrailles de la terre.

» Les lieux qu'ils habitaient pleurent amèrement leurs nobles vertus; ils regrettent en gémissant la justice et la générosité évanouies.

» Ah, si le trépas les eût épargnés et eût prolongé leur séjour sur la terre! Ne songerons-nous donc jamais à faire quelques œuvres louables! »

J'ai extrait ces vers des Vies des hommes illustres, par Ibn Khallikan.

« J'ai renoncé à la molle indolence et à la volupté dès l'instant que le voile de la vieillesse a couvert mon front.

» Ciel ! que les jours de la jeunesse sont charmants ! et que ceux qui en jouissent sont heureux ! Oh ! si l'on pouvait acheter les jours de la jeunesse!

» Laisse donc là, ô mon cœur, les plaisirs du jeune âge, et renonce à l'amour. C'en est fait, la vieillesse est arrivée: pour toi plus de jouissance.

» Regarde le monde avec l'œil d'un voyageur qui fait ses adieux. Le moment du voyage approche, et celui de l'adieu n'est pas loin.

» Les destinées dirigent les actions des hommes, et les hommes, lorsqu'ils ont subi les destinées, deviennent attentifs. »

J'ai extrait ces vers du tome II de l'Histoire des Arabes d'Espagne.

» Contente-toi des biens qui te sont départis, et tes désirs seront satisfaits. Lorsqu'un malheur viendra fondre sur toi, supporte-le avec patience.

» Sache que la part des bienfaits pour chaque homme est arrêtée. Si nous désirions un atome de plus, il ne nous serait pas accordé.

» Dieu est plein de miséricorde envers ses créatures. Ne demande jamais rien aux hommes; tu vivras de la vie des âmes élevées et généreuses, et tu seras récompensé.

» Si quelque jour tu t'indignes contre ton malheureux sort et que ton âme passe les bornes de la modération, réfléchis un instant,

» Et regarde ceux qui sont au dessous de toi : alors tu te souviendras des grands bienfaits que-Dieu t'accorde, et tu lui témoigneras ta reconnaissance. »

Les Persans ne sont pas inférieurs aux Arabes dans la poésie morale et religieuse. Je citerai ici, pour exemples, trois morceaux de Saadi, qui termineront ces notes:

» Il est parfait cet amant qui supporte les rigueurs de sa bien-aimée, et qui, par un noble dévouement, sacrifie sa volonté à celle de sa bien-aimée.

» Si le glaive menace l'existence d'un amant véritable, celui-ci ne voit que la punition de ses fautes et il n'accuse point sa bien-aimée.

» Il ne convient pas de prendre une maîtresse pour se livrer au délire turbulent de ses sens: moi, je dompte mes impétueux désirs pour me rendre plus digne de ma bien-aimée.

» J'ai appris que des amants s'étaient retirés dans le désert, parce qu'ils ne pouvaient endurer ni les reproches des hommes ni les caprices de leur bien-aimée.

» Pour moi, je ne dirige mes pas que vers les lieux où demeure ma charmante amie; je ne pose ma tête que sur les pieds chéris de ma bien-aimée.

»Tu me dis: Il est doux de courtiser une belle dans la saison de la rose. Mais moi, je ne puis, en aucun instant, faire sortir de mon cœur l'amour que j'ai voué à ma bien-aimée.

» Se promener dans un jardin sans avoir auprès de soi une jeune beauté, c'est un ennui mortel, lors même que tu aurais planté cent rosiers pour remplacer une bien-aimée.

» Je ne m'entretiens jamais avec personne de la douleur qui m'est causée par l'amour que tu m'inspires : c'est à ma bien-aimée seule que je raconte ce qui se passe entre moi et ma bien-aimée.

» O doux zéphyr, si tu traverses le riant séjour des esprits célestes, fais parvenir aux oreilles de mon ancienne amie les vœux que forme pour elle son bien-aimé.

» Chacun veut se montrer dans les assemblées; mais Saadi, retiré dans l'angle de la solitude, étranger à tous les hommes, ne connaît et ne désire que sa bien-aimée. »

On voit qu'ici la divinité est cachée sous le voile de l'allégorie.

» Seigneur ! quelle bonne œuvre peut provenir de nous, si tu n'exauces pas nos prières! Daigne, par un effet de ta puissance et de ta bonté, ne pas détourner loin de nous tes regards.

» Je te dévoile mes souffrances cachées, parce que tu es un maître miséricordieux. Mais que te dirai-je, puisque tu connais les pensées les plus secrètes de nos cœurs.

» Toutes les créatures de ce monde sont condamnées à la mort et à la corruption; mais toi, Dieu puissant! tu es ce vivant qui n'est jamais mort et qui ne mourra jamais.

» Tu as créé tous les êtres et allumé le flambeau des astres. Tu nous dispenses la nourriture et tu suspens à la voûte des cieux le soleil resplendissant.

» O Saadi ! le souverain des mondes est un Dieu fort, et toi, tu es faible. Eh bien! le remède à ton état est l'aveu de ton impuissance, la pauvreté et le détachement de toutes choses. »

et enfin :

» Qui pourrait compter les perfections de Dieu ? quel est celui qui lui a rendu de dignes actions de grâces,. pour un seul de ses innombrables bienfaits !

» Ouvrier rempli d'intelligence, il a déployé le vaste tapis de l'univers, et il y a semé les couleurs les plus variées et les plus séduisantes.

» La terre, la mer et les forêts, le soleil, la lune et les étoiles, sont les œuvres de sa puissance créatrice.

» Ses bienfaits sont tellement multipliés que tu ne saurais le remercier d'une manière convenable, et les effets de sa miséricorde sont si nombreux que tu ne pourrais les compter.

» Son infinie bonté embrasse le monde d'une extrémité à l'autre, et la voûte des cieux s'est affaissée sous le poids de ses bienfaits.

» Sur un bois tendre et fragile il fait naître des fruits savoureux, il remplit de sucre l'intérieur d'un roseau, et d'une goutte d'eau il forme la perle éblouissante.

» Il a posé comme d'énormes clous les montagnes sur la terre, afin qu'elle demeurât affermie au dessus des mers.

» Par la douce influence des rayons du soleil, il a transformé des sols infertiles en vergers et en parterres de tulipes et de roses,

» Du sein des nuages il fait descendre des pluies abondantes qui rafraîchissent les plantes altérées, et au printemps il revêt les branches qui étaient nues, d'une robe éclatante de verdure et de fleurs.

» L'homme, dans la nature, n,e jouit pas seul du glorieux privilège de proclamer l'unité infinie du très  Haut. Les oiseaux cachés sous le feuillage la publient à l'envi dans leurs chants mélodieux.

» Quel est le bienfait dont l'homme ait jamais témoigné dignement sa reconnaissance! Celui qui réfléchit aux actions de grâces qu'il doit rendre au Dieu très  haut reste interdit et confondu.

» Sa générosité a répandu les biens cachés et visibles avec tant de profusion, que la langue embarrassée demeure muette dans la bouche de l'éloquence.

» Il est prodigue de ses dons; mais le plus grand, le plus ineffable de tous, c'est d'avoir gravé dans notre cœur l'espérance d'une vie future et bienheureuse.

» O faible mortel, incline la tête de l'humilité sur le seuil de l'adoration : souviens-toi que l'orgueil a précipité Eblis dans le séjour de la honte et du désespoir.

» Evite le mal, car le souverain des cieux n'admet dans les demeures bienheureuses que l'homme qui fuit l'iniquité.

» Quiconque n'a point supporté de fatigues, ne trouvera point de trésor. Celui-là seul recevra une récompense qui aura travaillé avec courage.

» Insensé! tu n'as point fait de bonnes œuvres et tu espères avoir part aux faveurs, du Dieu très  haut ! tu n'as point semé, et tu prétends recueillir une moisson abondante!

» Le monde, que le grand Élu nomme le pont qui mène à l'autre vie, n'est point le lieu où nous devons fixer notre demeure : passons donc rapidement.

» Le jardin des suprêmes délices est le séjour éternel de l'homme. Cette terre n'est qu'une route; marchons sans nous arrêter.

» Que reste-t-il de tous ces ossements entassés par les mains de la mort! ils ont été tellement broyés dans le mortier des siècles qu'ils ne sont plus qu'une vaine poussière.

» L'homme injuste ne reste point sur la terre ; mais le souvenir de ses iniquités subsiste après lui. Le juste quitte-t-il ce séjour, sa mémoire est honorée.

» Le superbe Câroun a renoncé à la religion pour s'attacher aux biens du monde, et les biens du monde lui ont échappé. Aigle dégénéré, il n'a point eu honte de poursuivre une chétive proie.

» Tout ce que tu adores à l'exclusion de Dieu n'est rien. Qu'il est à plaindre celui qui préfère le néant à l'Être infini!

» Ah ! mettons plutôt notre confiance en la miséricorde du Dieu secourable ; car fonder son espoir sur des objets périssables et qui ne sont qu'un prêt, c'est s'appuyer sur du vent.

» Nul autre ne peut jouir de la félicité glorieuse que celui qui, de toute éternité, est prédestiné au bonheur.

» Homme faible et impuissant, que peux-tu obtenir par tes efforts et par tes travaux ! Tout ce qui fut, et tout ce qui existe, a été arrêté immuablement par la volonté de celui qui règle les destinées.

» Monarque absolu, il a créé les esclaves, les bons et les méchants, les heureux, les infortunés, les grands et les petits.

» Chaque matin, lorsque le jour se répand par degrés sur la face de la terre, Saadi pousse des soupirs religieux,

» Et il souhaite que l'empreinte du bonheur soit le partage de tous ceux qui suspendront à l'oreille de leur cœur l'anneau de ses sages conseils.

» Tout poète qui consacre ses talents à la louange des rois, reçoit pour prix de ses vers une pelisse d'honneur, ou bien cette récompense est l'objet de ses vœux les plus ardents.

» Mais Saadi, qui vient de célébrer les bienfaits toujours renaissants du Souverain d.es êtres, le supplie seulement, pour toute récompense, d'approuver ses chants religieux. »

 

 


 

[1] Yazan est le nom d'une vallée située dans le pays de Himyar, et Diou-Yazan est le nom que porta un roi de Himyar, parce qu'il défendit cette vallée. Gomdân est un fort ou château de Himyar. V. le Câmous.

[2] Les Musulmans disent que Câroun ou Coré était le plus riche et le plus orgueilleux des en fans d'Israël. Il refusa de payer la dîme. En punition de son avarice, Dieu entrouvrit la terre sous ses pas, et il fut englouti avec tous ses trésors. —Ad et Schédâd sont d'anciens rois de l'Arabie. —Cahthân est le père des Arabes purs et sans mélange.

[3] . Extrait du Câmous.

[4] Dans ces villes et dans les campagnes environnantes, il y avait des jardins délicieux, arrosés par un grand nombre de canaux. Xativa était célèbre par ses agréments. C’était dans cette ville que les Arabes fabriquaient leur pius beau papier. Extrait de l'Hist. des Arabes d'Espagne, par Almocry.

[5] Les poètes et les historiens arabes ne parlent de Séville qu'avec enthousiasme ; ils comparent le fleuve qui l'arrose (le Guadalquivir, ou grand fleuve) au Tigre, à l'Euphrate et au Nil. Les habitants de Séville étaient renommés par leur esprit, leur politesse, leur enjouement et leur goût pour les plaisirs. Extrait de l'Hist. des Ar. d'Espagne.

Dans l'original, Séville est appelée Emesse. Lorsque les Arabes firent la conquête de l'Espagne, ils donnèrent à quelques-unes des villes où ils s'établirent les noms des villes d'Orient qu'ils avaient quittées. Ainsi Séville fut appelée Emesse par les Arabes venus d'Emesse ; Grenade fut appelée Damas par ceux de Damas; Jaén fut appelée Kisnesrin par ceux de Kisnesrin : Malaca fut appelée Arden par ceux qui étaient venus des bords du Jourdain, nommé Arden en arabe. Les Arabes qui étaient venus de la Palestine appelèrent Xérès, Palestine. Ceux qui étaient venus de Misr ou vieux Caire, donnèrent au pays de Tadmir (Murcie), le nom de Misr. Extrait de l’Hist. des Ar. d'Espagne.

[6] Le mot que je traduis par cloches est nawâkîs, plur. de nâkous. Le nâkous était une grosse pièce de bois que les Chrétiens frappaient avec une autre moins forte nommée wabil, pour avertir les fidèles de l'heure de la prière.

[7] Chez tous les peuples et dans tous les âges, la poésie a été en droit de donner du sentiment aux objets les plus insensibles. Virgile a dit dans l'épisode de la mort de César: Et maetum illacrymas templis ebur, aeraque sudant.