Amro'klaïs

AMRO'LKAÏS (IMROULCAYS)....

 

امرؤ القيس بن حجر بن الحارث الكندي

 

VIE PAR ABOU'L FARADJ D'ISPAHAN

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE

DIWAN D'AMRO'LKAÏS

 

PRÉCÉDÉ  DE   LA  VIE  DE  CE   POETE

PAR L'AUTEUR DU KITAB EL-AGHANI

ACCOMPAGNÉ

D'UNE TRADUCTION ET DE NOTES

PAR LE Bon MAC GUCKIN DE SLANE

MEMBRE   DU   CONSEIL   DE   LA   SOCIÉTÉ   ASIATIQUE   DE   PARIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARIS

IMPRIMÉ PAR AUTORISATION  DE M.  LE  GARDE DES SCEAUX

 

A L'IMPRIMERIE   ROYALE

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M DCCC XXXVII


 

PREFACE DU TRADUCTEUR.

 

Parmi les phénomènes extraordinaires que nous présente l'étude des langues primitives, le plus remarquable, et le plus difficile aussi à expliquer, est l'existence d'un système grammatical qui, organisé le plus souvent avec un art consommé, se trouve combiné avec la langue elle-même. Cette union est si intime qu'il paraît impossible de ne pas regarder la grammaire comme une partie essentielle du langage, prenant naissance et se développant avec lui, sans jamais s'écarter de certains principes généraux dont dérivent les combinaisons les plus compliquées en suivant un procédé régulier et invariable.

Quand on étudie les anciens monuments de ces langues, monuments qui, par une coïncidence singulière, possèdent un tel mérite qu'ils ont toujours été considérés à juste titre comme classiques, on s'aperçoit que déjà la langue était parfaitement formée et sa construction grammaticale entièrement achevée.

Ces premiers ouvrages subsistent toujours portant l'empreinte d'une individualité qu'on ne saurait méconnaître, offrant pour ainsi dire l'incarnation du génie de la langue, qui fait sentir partout son influence propice tant qu'il demeure un objet de culte, et qui cesse de répandre cette influence dès qu'on le néglige.

La littérature arabe possède plusieurs de ces chefs-d'œuvre qui ont été, pendant des siècles, étudiés avec assiduité par les savants arabes. Ces ouvrages ont fixé la langue, et c'est par les exemples qu'ils offrent qu'on est parvenu à découvrir les règles qui dirigent la marche de la grammaire, qu'on a pu suivre le développement de ces règles et les reconnaître jusque dans leurs détails les plus minutieux.

Il ne faut pas croire cependant qu'avant la composition de ces productions littéraires le langage fut entièrement homogène. Dans la langue arabe on reconnaît facilement le contraire, et il est certain que, peu de siècles avant Mahomet elle se partageait en un grand nombre de dialectes. Chaque tribu avait certains mots qui lui étaient particuliers, et d'autres mots communs à plusieurs tribus, mais employés par elles dans une signification différente. La grammaire aussi subissait quelques modifications, mais tellement légères, qu'on peut la regarder comme ayant été la même pour toutes les tribus de la presqu'île arabe.

Ces différences de dialectes disparurent graduellement, et bien qu'à l'époque où vivait Mahomet on distinguât encore le dialecte du Yémen de celui du Hedjaz, et que certaines locutions fussent reconnues comme spéciales aux tribus de Témîm et de Thai, on peut regarder la langue arabe de cette période comme presque homogène.

Ce qui avait contribué à cette fusion des dialectes, c'était l'existence d'une très ancienne institution, celle de réunions à des époques et des lieux fixes, où l’on se rendait primitivement dans un but commercial. Pendant la durée de ces grandes foires,[1] une trêve générale y régnait, et il ne restait aux membres des tribus hostiles d'autre moyen de se témoigner leur inimitié que par des disputes au sujet de la gloire de leurs tribus respectives ou de leur mérite personnel, par des éloges pour leurs amis et des satires contre leurs ennemis, exprimés dans des vers qui devaient briller par l'expression et la pensée. Souvent aussi il y avait des combats où chaque adversaire s'efforçait de surpasser son rival dans l'improvisation d'un poème sur un sujet donné et dont la composition était soumise à certaines règles générales.

Parmi ces foires, celle d'Okaz était la plus célèbre; c'est là où Mahomet entendit les discours de l'évêque chrétien Koss, le plus éloquent des anciens Arabes, les vers du juif Samouel ben-Adiya, et ces poèmes des Arabes païens dont on reconnaît quelques locutions dans le Coran.

Déjà avaient paru les chefs-d'œuvre de l'ancienne littérature arabe ; les auteurs des Sept moallakas, ainsi que Mohalhel, Nabegha, Ascha, Schanfara et Taabbata Sharran avaient avant cette époque composé ces poèmes auxquels ils doivent leur célébrité.

Mais, outre les ouvrages en vers, il existait une autre espèce de composition, qu'ils nommaient journées, et qui renfermait en prose le récit des combats des tribus, des assassinats, des vols, des chasses et des incursions sur le territoire ennemi. Il y avait alors, et il y eut pendant les deux siècles suivants, des personnes qui s'empressaient de recueillir tous ces poèmes et ces histoires en les apprenant par cœur. Elles les récitaient en répétant les paroles et en faisant usage des tournures mêmes employées par celui qui les leur avait transmises. Par ce moyen se trouvèrent conservés sans altération les poèmes et l'histoire de leur nation, qui fut dépeinte avec vigueur, naturel et vérité. Ainsi à l'apparition de l'islamisme toute la riche littérature de l'ancienne Arabie était consignée dans la mémoire de quelques hommes.

L'introduction de cette nouvelle religion détourna pour un temps les esprits de la culture de la poésie et de l'histoire; mais déjà sous le khalife Omar on commença à s'y appliquer de nouveau dans le but de fixer le véritable sens des passages obscurs et douteux du Coran. Bientôt après, les traditions des actes et des paroles du prophète furent recueillies, et c'est alors encore qu'on eut recours aux anciennes poésies pour trouver la solution de ces difficultés qui se présentaient si souvent dans le Sonna. Plus tard on fit la découverte du système grammatical de la langue et on reconnut les principes de la métrique arabe. Les écoles s'établirent partout où s'étendait la domination musulmane; des savants, profondément versés dans la langue et la littérature arabes, attiraient à eux de nombreux élèves, et l'étude des anciens auteurs devint générale.

Parmi les ouvrages qui fixèrent davantage l'attention des Arabes, on peut citer les sept moallakas, les diwans d'Akhtal, Djerir et Ferazdek, les mofaddiliyat, le dîwân des Hodheïlites, celui des six poètes et le Hamâça. Partout où la langue arabe fut cultivée, ces livres devinrent un objet spécial d'étude, et ils continuèrent à jouir de leur considération méritée jusqu'au temps où le mauvais goût commença à prévaloir, où les jeux de mots remplacèrent la pensée et où toute la réputation des anciens fut obscurcie par le faux éclat de Motenabbi et le mysticisme alambiqué d'Ebn-Faredh, seuls- poètes dont les Arabes se soient occupés depuis.

On voit par Ebn-Khallikan que l'ouvrage nommé le Diwân des six poètes jouissait d'une grande réputation dans l'Afrique et l'Espagne. Jusqu'ici il a été peu connu en Europe, bien que ce soit un recueil d'une grande importance ; en effet parmi les poètes arabes qui vécurent avant l'islamisme, il y en avait six auxquels on reconnaissait le premier rang et dont toutes les productions paraissaient assez remarquables pour être réunies dans une seule collection : ce recueil, ayant pour titre Poèmes des six (poètes), renferme tous les poèmes d'Amro'lkaïs, Nabegha, Alkama, Zohaïr, Tharafa et Antara. C'est cet ouvrage, si remarquable par le nombre et le mérite des morceaux dont il est composé, et si digne de l'attention des philologues comme renfermant quelques-uns des plus anciens monuments de la langue arabe, que nous avons entrepris de publier…..

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Quant au manuscrit du Kitab el-Aghani, duquel nous avons extrait la vie d'Amro'lkaïs, il n'est pas nécessaire d'en parler ici puisque M. Quatremère en donne une notice fort détaillée dans le Journal asiatique.

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Il nous reste maintenant à déterminer l'époque où vivait Amro’lkaïs, et nous serons obligé de traiter cette question assez longuement à cause de son importance, et parce que le résultat de nos recherches est en contradiction avec l'opinion généralement reçue. En effet, jusqu'à présent on a regardé Amro’lkaïs comme contemporain de Mahomet; d'Herbelot, Sale, Reiske, Hengstenberg l'éditeur de la moallaka, et d'autres savants ont adopté cette opinion, et il doit paraître téméraire de notre part d'oser élever des doutes sur ce sujet, et d'avancer non-seulement que ce poète florissait dans une époque antérieure à celle de Mahomet, mais qu'il mourut probablement avant la naissance de cet homme extraordinaire. Ayant cependant rencontré dans la lecture des poésies d'Amro'lkaïs et dans l'examen de l'histoire de sa vie et de celle du poète Lebid plusieurs passages qui nous faisaient naître des doutes sur l'exactitude de l'opinion émise par ces savants, nous avons cru devoir rechercher sur quelle autorité ils s'étaient appuyés, et, après avoir reconnu la faiblesse de cette autorité, nous avons essayé nous-même de fixer la véritable époque où vivait notre poète.

D'Herbelot, dans la Bibliothèque orientale, à l'article Lebid, dit : « Mahomet, ayant appris la conversion de Lebid, en eut une très-grande joie ; car ce poète passait pour le plus bel esprit des Arabes de son temps, et il lui ordonna de faire des vers pour répondre aux invectives et aux satires qu'Ararilkaïs, autre poète des Arabes infidèles, composait contre sa nouvelle doctrine et contre ceux qui en faisaient profession. » D'Herbelot donne ceci sur l'autorité de Doulet-schah Samarcandi; et en effet, dans les prolégomènes de l'ouvrage persan de cet historien, lequel est intitulé Histoire des poètes, on lit le passage suivant relatif au poète Lebid, au moment où celui-ci venait d'embrasser l'islamisme :

Le prophète lui fit un très bon accueil et lui permit une fois de répondre aux satires que les poètes idolâtres composaient contre lui. Lebid répondit notamment à Amro'lkaïs, qui était le principal des poètes incrédules.

….. d'autres savants qui ont regardé Amro’lkaïs comme contemporain de Mahomet, parce qu'ils se sont appuyés, comme d'Herbelot, sur l'autorité de Doulet-schah ; reste à voir si, dans ce cas, elle mérite d'être admise; quant à nous, nous ne le pensons pas, pour les motifs que nous allons exposer.

Ce qui nous avait inspiré les premiers doutes sur ce sujet, c'était la vie de Lebid, traduite du Kitab el-Aghani et mise par M. de Sacy en tête de son édition de la moallaka de ce poète. On n'y trouve aucune mention faite ni des satires d'Amro'lkaïs contre Mahomet, ni des réponses de Lebid soit à Amro'lkaïs, soit à aucun autre poète. Cependant si la chose eût eu lieu, Aboulfaradj, l'auteur de l’Aghani, n'aurait pas manqué d'en parler, car il a soin de donner jusqu'aux moindres détails de tout ce qui a rapport aux sujets de ses notices biographiques ; il dit même que, suivant certaines traditions, Lebid, depuis sa conversion à l'islamisme, n'avait fait qu'un seul vers, qui, du reste, n'a aucun rapport à la question dont nous nous occupons. Gomment se fait-il, si l'assertion de Doulet-schah est vraie, que ni dans la vie d'Amro'lkaïs, telle que nous la donne le Kitab el-Aghani, ni dans celle de Lebid, on ne trouve aucune mention de cette circonstance? Deux des premiers poètes parmi les Arabes disputent, non pas au sujet de la noblesse de leur famille, ou pour décider lequel des deux était meilleur poète (chose qui arrivait très-souvent aux poètes arabes), mais de ces deux grands poètes l'un attaque Mahomet et sa religion et l'autre les défend, et l'auteur de l’Aghani passe ce fait sous silence ! Mais ce fait seul eût acquis à Lebid une grande réputation chez les musulmans, et ils n'auraient pas manqué de citer son nom avec ceux de Hassan ben-Thabit, Kaab ben-Malik et Kaab ben-Zohaïr, trois poètes qui se sont distingués par les services qu'ils ont rendus à Mahomet en répondant aux satires de ses ennemis. Comment, si la chose est vraie, ces poèmes et surtout ceux de Lebid ne se sont-ils pas conservés, et comment Lebid assignerait-il à Amro'lkaïs le premier rang parmi les poètes ? Mais la jalousie et le zèle religieux de Lebid l'en auraient empêché. On objectera peut-être que d'autres écrivains ont pu parler de ce fait; c'est ce que nous allons examiner.

Nous avons déjà dit que, dans la vie d'Amro'lkaïs par Aboulfaradj, aucune mention n'est faite de cette circonstance et qu'on n'y trouve les noms ni de Mahomet ni de Lebid cités une seule fois. Dans la biographie d'Amro'lkaïs par Khâlowaïh, même silence. Dans la notice sur le même poète qui se trouve dans le commentaire du Makçoura, ms. arabe de la Bibliothèque du roi n° 390, on ne rencontre rien sur ce sujet. Dans une pareille notice par Mohammed Soleïman el-Komari, autre commentateur sur le Makçoum il n'en est rien dit non plus. Dans les notes biographiques qui se lisent dans le manuscrit des poèmes d'Amro'lkaïs que nous avons indiqué par la lettre c, il n'y a pas la moindre allusion à une pareille circonstance. Dans le tome II d'une copie du grand ouvrage historique d'Ebn-Khaldoun, que la Bibliothèque du roi vient de recevoir de Constantinople, on lit une notice sur Amro'lkaïs, mais qui n'apprend rien de nouveau et ne parle pas, non plus que les autres, des satires qu'il aurait faites contre l'auteur de l'Islamisme. Il faut donc chercher ailleurs.

A la fin du vingt-sixième chapitre du Coran, intitulé les Poètes, Mahomet fait allusion aux poètes de sa nation qui avaient dirigé leurs attaques contre lui, mais il ne daigne pas les nommer; les commentateurs cependant, tous hommes versés dans la connaissance des traditions de Mahomet et de son histoire, doivent être en état de fournir quelques renseignements.

Or Zamakhschari, l'homme le plus instruit de son temps, grand métaphysicien, habile grammairien, savant critique, profondément versé dans l'histoire des anciens Arabes, dit (dans son chef-d'œuvre, le commentaire sur le Coran, intitulé el-Kesschâf, en expliquant ces versets du Koran dans lesquels Mahomet fait allusion aux poètes de son temps,) que les poètes ennemis furent Abd-alla ben-el-Zibari, Hobeïra ben-Abi-Waheb, Masafé ben-Abd-Menâf, Abou-Izza et Omaiyya ben-Abi-'Ssalt ; il ajoute ensuite que ceux qui Composèrent des vers pour la défense de Mahomet étaient Abd-alla ben-Rewâha, Hassan ben-Thabet, Kaab ben-Malik et Kaab ben-Zohaïr.

Beïdhawi, en traitant de ce passage du Coran, cite comme les poètes défenseurs de Mahomet Abd-alla ben-Rewâha, Hassan ben-Thabet et les deux Kaab.

Aboulhassân-el-Bekri nomme comme poètes ennemis de Mahomet, Abd-alla ben-el-Zibari et Omaiyya ben-Abïssaït; et comme poètes amis, Hassan ben-Thabit, Abd-alla ben-Rewâha et Kaab ben-Malik.

Bref, aucun des commentateurs ne fait mention ni de Lebid, ni d'Amro'lkaïs.

Mais il y a un ouvrage d'une importance encore plus grande, un ouvrage rempli de détails authentiques sur la vie de Mahomet et dans lequel les poèmes les plus importants écrits soit pour lui soit contre lui se trouvent enregistrés. Dans ce livre précieux, intitulé Siret er-resoûl, on cherche inutilement des vers de Lebid en l'honneur de Mahomet, ou des satires d'Amro'lkaïs; le nom même de ce dernier ne s'y trouve mentionné que très-rarement, et cela seulement quand l'auteur cite de ses vers pour fixer le sens de certains mots dont Mahomet s'était servi, et qui, étant tombés en désuétude, étaient devenus difficiles à comprendre pour les Arabes des temps postérieurs. Dans ce cas, comme nous l'avons remarqué, on a toujours eu recours aux anciennes poésies, suivant la recommandation d’Ibn-Abbâs, cousin de Mahomet, qui avait dit : « Lorsque vous trouverez un verset du Coran difficile à entendre, cherchez-en le sens dans les poèmes, car ils sont les registres de la langue et de l'histoire des Arabes. »

D'après ce qui vient d'être exposé, il est probable que le lecteur ne balancera pas dans sa décision sur le peu d'autorité que comporte le passage précité de Doulet-schah, auteur comparativement moderne.

Il nous sera maintenant facile de fixer, à l'aide de la Vie d'Amro'lkaïs par l'auteur du Kitab el-Aghani, l'époque approximative de la sortie de ce poète de l'Arabie pour se rendre chez l'empereur des Grecs. En effet, nous voyons qu'après son expédition contre les Bènou-Asad, dans laquelle il fut assez malheureux pour avoir attaqué par mégarde la tribu de Kinana, Amro'lkaïs fut poursuivi sans relâche par Moundhir, roi de Hîra, et qu'enfin il se réfugia dans le territoire de la tribu de Tai, chez Moalla. Or, selon l'auteur de l’Aghani, ce Moundhir avait pour fils Amr, fils de Hind, qui était la sœur du grand-père d'Amro'lkaïs; ainsi on peut facilement reconnaître que c'est de Moundhir III qu'il est question ici lequel fut rétabli dans ses possessions par Anouchirwan dans l'an 531, et dont la mort eut lieu avant l'an 564;[2] ce fut donc avant cette dernière année qu’Amro'lkaïs se retira chez Moalla. L'époque de sa sortie de l'Arabie est plus difficile à déterminer; mais nous apprenons de l'auteur du Kitab el-Aghani qu'Amr, fils de Moundhir, avait essayé, du vivant de son père, de protéger notre poète, qui était son parent du côté de sa mère, et qu'ayant appris que Moundhir avait découvert le lieu où le fugitif se cachait, il l'aida à se sauver et à se rendre auprès de la tribu de Himyâr. Ceci nous porte à croire que si Amr fut parvenu au trône de Hîra avant qu'Amro'lkaïs se fût retiré à Constantinople, ce dernier n'aurait pas été forcé de fuir l'Arabie, car il est probable que son cousin Amr lui aurait toujours montré les mêmes bonnes dispositions qu'auparavant. Cette supposition, qui paraît très-naturelle quand on considère combien étaient forts les liens du sang chez les Arabes, nous mènerait à placer la sortie d'Amro'lkaïs de l'Arabie avant la mort de Moundhir III. Telle paraît être aussi l'opinion de l'auteur du Kitab el-Aghani, car il dit dans la vie de Samouel ben-Adiya que ce fut à cause de la poursuite acharnée de Moundhir à la tête de la cavalerie des tribus de Iyad, Behrâ et Tenoukh, qu'Amro'lkaïs fut forcé de se réfugier auprès de Samouel. Justinien régnait encore, car sa mort eut lieu en l'an 565; c'était donc lui qui avait accueilli Amro'lkaïs. Maintenant, comme la naissance de Mahomet eut lieu en l'an 571, il ne peut rester aucun doute que notre poète n'ait quitté l'Arabie avant cette époque. Comment donc saurait-on admettre qu'Amro'lkaïs se trouvait dans ce pays cinquante ans plus tard, composant des satires contre Mahomet et sa religion ?

Amro'lkaïs, étant arrivé à la cour de Justinien, a dû attendre assez longtemps avant d'obtenir les secours de troupes qu'il demandait; la lenteur habituelle de cet empereur, lenteur qu'avait accrue son âge, l'aurait fait différer d'accorder à cet Arabe ce qu'il demandait. C'est ainsi que Seïf ben-Zi-Yezen demeura plus de sept ans à la cour de Constantinople à solliciter inutilement des secours pour s'établir sur le trône de ses ancêtres dans le Yémen. Il nous paraît donc probable que ce ne fut qu'à l'avènement de Justin II, successeur de Justinien, qu'Amro'lkaïs reçut le commandement d'un corps de troupes destinées pour l'Arabie. Ce qui ajouterait quelque poids à notre supposition, c'est l'histoire bien connue de l'intrigue de notre poète avec la fille de l'empereur des Grecs; Justinien depuis longtemps n'avait plus d'enfants, et si l'anecdote racontée dans la tradition arabe est vraie, on ne peut s'empêcher de reconnaître la maîtresse d'Amro'lkaïs dans Arabia, fille de Justin II, et épouse de Badouarius, surintendant du palais impérial.[3]

Nous sommes donc porté à regarder le départ de notre poète pour l'Arabie comme ayant eu lieu dans les premières années du règne de Justin II; cependant nous devons avouer qu'il n'y a rien dans les historiens byzantins qui puisse servir à donner du poids à notre conjecture; mais bien qu'il reste des incertitudes sur l'époque de la mort d'Amro'lkaïs, il n'en est pas moins avéré que tous ses poèmes, à l'exception du troisième et peut-être du premier de ce recueil, furent composés avant l'an 564. Ce fut encore vers ce temps que vécurent Samouel ben-Adiya et Hârith ben-Abi-Schamir. Ce dernier, qui a joué un rôle très-important dans l'histoire de cette époque, mérite qu'on parle en détail des circonstances de sa vie; mais comme il est souvent fait mention de lui dans les poèmes de Nabegha, nous nous réservons d'aborder ailleurs ce sujet, que nous traiterons avec une certaine étendue.

Nous ne devons pas omettre de rapporter ici une parole que la tradition, fondée sur l'autorité d'Abou-Horaïra, assigne à Mahomet, et qui a pu donner lieu de supposer qu'Amro'lkaïs avait fait des satires contre lui. « Amro'lkaïs est le plus excellent des poètes et leur conducteur vers le feu de l'enfer. » Ce hadith a pu faire croire que Mahomet avait éprouvé des traits de satire de la part du poète, mais le véritable sens en est que ce poète ainsi que tous ceux qui étaient morts païens devaient éprouver les peines de l'enfer, et qu'Amro'lkaïs était le chef des poètes parce que lui le premier avait établi les vrais principes de la rime,

Il y a encore une circonstance digne d'être remarquée ici, c'est qu'Amro'lkaïs est le seul des auteurs des moallakas qui soit de pur sang arabe, étant descendu de Kahtân, tandis que les autres tirent leur origine d'Adnan, descendant d'Ismaïl…..

En terminant cette préface, nous croyons devoir faire une observation sur la difficulté de traduire littéralement des extraits du Kitab el-Aghani, car le seul manuscrit complet de cet ouvrage que la Bibliothèque du roi possède est très fautif et même incomplet, et chaque article biographique qu'il renferme est en général composé de citations tirées de différents auteurs anciens, qui employaient souvent des expressions tout à fait insolites, et dont le style est entièrement différent de celui des écrivains arabes des temps postérieurs. Il se peut même que nous ayons regardé comme bonnes des leçons qui n'étaient que des fautes du copiste, mais nous avons préféré les admettre plutôt que de hasarder des corrections basées sur de simples conjectures. Nous profiterons de cette occasion pour faire observer que dans le texte arabe de la vie d'Amro'lkaïs, on lit une expression que nous avons rendue par, qu'il vous aide dans vos travaux; il se peut cependant que le vrai sens de cette locution soit, tenez-le ferme, ou, ne le lâchez pas.

 

 


 

VIE D'AMRO'LKAÏS,

SA GÉNÉALOGIE ET SON HISTOIRE.

 

EXTRAIT DU TOME II DU

KITAB EL-AGHANI

D'ABOU'L FARADJ D'ISPAHAN.

 

 

 

Suivant Asmaï, le nom de ce poète est Amro’lkaïs, fils de Hodjr, fils de Hârith, fils d'Amr, fils de Hodjr, surnommé Aakil el-Morâr, fils de Moawia, fils de Thaur, connu sous le nom de Kinda.

Ebn el-Aarâbi dit que son nom est Amro’lkaïs, fils de Hodjr, fils d'Amr, fils de Moawia, fils de Hârith, fils de Thaur, nommé Kinda.

Tous s'accordent à dire[4] que Kinda est Kindi, fils d'Ofair, fils d'Adi, fils de Hareth, fils de Morra, fils d'Odod, fils de Zeïd, fils de Yashhob, fils d'Arîb, fils de Zeïd, fils de Kahlân, fils de Seba, fils de Yashhob, fils de Yareb, fils de Kahtân, fils d'Aabir (Heber), fils de Salih, fils d'Arfakhshed, fils de Sam (Sem), fils de Nouh (Noé).

Ebn el-Aarâbi dit : Thaur, surnommé Kinda, est fils de Morti', fils d'Ofair, fils de Harith, fils de Morra, fils d'Adi, fils d'Odod, fils de Zeïd, fils d'Amr, fils de Hamaiça', fils d'Arîb, fils d'Amr, fils de Zeïd, fils de Kahlân.

La mère d'Amro’lkaïs était Fatima, fille de Rabia, fils de Harith, fils de Zohaïr. Elle était sœur de Kolaïb et de Mohalhel, fils de Rabia, et tous de la tribu de Taghleb. Ceux qui prétendent qu'Amro’lkaïs était fils de Simt, et qu'il avait pour mère Temlik, fille d'Amr, fils de Zobaïd, fils de Medhidj, de la famille d'Amr, fils de Madi-Karb; ceux, dis-je, qui soutiennent cette opinion s'appuient sur ce vers d'Amro'lkaïs, où il mentionne ce fait en disant :

Eh bien, a-t-elle appris qu'Amro'lkaïs, fils de Temlik, est parti pour un pays étranger (Baikara)? car les événements fâcheux arrivent toujours en foule.[5]

[Baikara signifie aller vers l’Irac, ou quitter le désert pour habiter la ville;[6] on emploie aussi ce verbe dans le sens de quitter son pays.]

Yakoub ben-es-Sikkît dit : La mère de Hodjr, père d'Amro'lkaïs, se nommait Omm Kathâm, fille de Salama, de la tribu d'Aneza.[7] Selon Abou-Obaida, Amro’lkaïs était surnommé Abou-'l Hârith, et, selon d'autres, Abou-Waheb; on l'avait aussi appelé El-Malik ed-Dillîl, le roi errant, et Zou'l-Korouh, l'homme couvert d'ulcères; c'est à lui que Ferazdek fait allusion dans ce vers :

Les Nabegha m'ont présenté des poèmes à leur départ, ainsi qu'Abou'l-Yezîd, Zou'l-Korouh et Djerwel.[8]

Par Abou’l Yézid et Djerwel, le poète veut désigner El-Mokhabbel, de la tribu de Saad, et El-Hothaiya. Ebn es-Sikkît dit aussi qu'Amro'lkaïs était né dans les pays des Bènou-Asad, et Ebn-Habib affirme qu'il habitait El-Moshakker, dans le Yemâma; mais d'autres assurent, au contraire, qu'il avait pour demeure un château dans la province de Bahreïn.

Tous, les historiens[9] que nous venons de cher disent que la seule raison pour laquelle. Thaur reçut le nom de Kinda, fut l'ingratitude qu'il témoigna (kanada) envers son père et que Morti' fut ainsi nommé parce qu'il assignait à chaque personne de sa famille qui venait le trouver, un lieu de pâturage (marta’) pour ses troupeaux. Quant à Hodjr, il fut appelé Aakil el-Morâr, parée qu'en apprenant que sa femme Hind était occupée à nettoyer les cheveux de Hârith, fils de Djebela, en le tenant endormi sur son giron, il mangea (akala), dans un accès de colère, et sans s'en apercevoir, du morâr, plante fort amère. D'autres démentent ce fait et racontent que, Hârith, ayant adressé à Hind cette question : « Quel parti crois-tu que prendra ton mari? » elle lui répondit : « Figure-le-toi comme t'atteignant déjà, à la tête de sa cavalerie, [les lèvres contractées par la fureur] comme [celles d’] un chameau qui a mangé « du morâr[10] » On dit aussi qu'Amr fut surnommé El-Maksour, parce qu'on l'avait, restreint (iktasara) à la possession du royaume de son père, c'est-à-dire qu'il était forcé d'y rester malgré lui. C'est d'Ahmed el-Djewhari, fils d'Abd el-Azîz, que je tiens ces renseignements, que je viens de rapporter tels qu'il me les avait communiqués; et il dit que c'est Omar, fils de Shebba, qui les lui a fournis de vive voix, sans qu'où puisse les faire remonter plus haut que lui. Ali ben-Seffâh nous en a transmis une partie sur l'autorité de Heshâm ben-el-Kelbi, J'en ai reçu une autre de Haçen ben-Ali, qui dit les tenir de Mohammed ben-el-Kasim, fils de Mehrawaïb, lequel s'appuie sur le témoignage d'Abd-Allah ebn-abi-Saad, qui les avait, reçus d'Ali ben-Seffâk, qui les donnait sur l'autorité de Heshâm ben-el-Kelbi. Ebn-abi-Saad dit avoir tenu d'autres renseignements de Darim el-Ghassâni, fils d'Ikal, fils de Habib, un des descendants de Samouel ben-Aadiâ. Darim lui-même les avait appris des vieillards de sa tribu. D'autres renseignements me sont, venus d'Ibrahim ben-Ayyoub, d'après Ehn-Kotaïba, et j'en ai reçu de Mohammed el-Yezidi, fils d'Abbâs, qui les donnait sur la foi de son oncle paternel Yousof, qui les avait reçus de son oncle Ismaïl. J'y ai joint le récit d'Ebn-el-Kelbi, qui renferme des circonstances qu'aucun autre ne m'a apprises, en y ajoutant aussi ce qu'ont rapporté El-Haïthem ben-Adi, Yakoub ben-es-Sikkît, El-Athrem, et quelques autres, à cause des contradictions qui s'y trouvent; et j'ai cité le nom de l'auteur de chaque récit, lorsqu'il n'est pas d'accord avec ce que racontent les autres.[11]

Ils disent donc : Amr, surnommé El-Maksour, et fils de Hodjr, devint roi après la mort de son père; et son frère Moawia, nommé El-Djauf, fut gouverneur du Yemâma. Leur mère se nommait Shoba, fille d'Abou Moamir,[12] fils de Heçân, fils d'Amr, fils du Tobba'. A la mort d'Amr, son fils Hârith devint roi. Son gouvernement était fort, et les pays lointains obéissaient à ses ordres. Lors du règne de Kobâd, fils de Firouz, il parut un homme nommé Mazdek, qui prêcha le dualisme[13] et la communauté des femmes, en ordonnant à ses sectaires que nul d'entre eux ne refusât sa femme à son confrère, si celui-ci la demandait. Moundhir, fils de Mâ-essemâ, était gouverneur de la ville de Hîra et de ses dépendances, quand Kobâd l'invita à adopter avec lui cette doctrine; mais il refusa. Kobâd fit alors la même demande à Hârith, fils d'Amr, qui y accéda, et le roi, en conséquence, augmenta sa puissance, et chassa Moundhir de son gouvernement, dont il s'empara. Or, la mère d'Anouchirwan était un jour avec Kobâd, quand Mazdek entra. Celui-ci, en la voyant, dit au roi : « Livre-la moi, pour que je satisfasse ma passion. » Kobâd répondit : « Prends-la. » Aussitôt Anouchirwan se précipita vers Mazdek, et le pria avec instance de lui rendre sa mère[14] et il s'abaissa devant lui jusqu'à lui baiser le pied : Mazdek, en conséquence, la lui rendit; mais Anouchirwan eut toujours sur le cœur le souvenir de cet événement. Les choses étaient dans cet état quand Kobâd mourut, et Anouchirwan, devenu roi, siégea dans la salle du trône. Moundhir, ayant appris la mort de Kobâd, vint trouver Anouchirwan, qui savait l'opposition manifestée par lui à son père Kobâd, au sujet de ces doctrines qu'on venait d'adopter. Anouchirwan, alors, donna audience publique à ses sujets, et Mazdek se présenta devant lui, et ensuite Moundhir entra dans la salle. Le roi, en les voyant, dit : « J'avais autrefois formé deux souhaits, et j'ai toute raison d'espérer que Dieu vient de me les accorder tous les deux en même temps. —Quels sont-ils, ô roi! dit Mazdek? — J'avais souhaité, répondit Anouchirwan, d'être roi, afin de nommer gouverneur cet homme si noble (il voulait désigner Moundhir), et de pouvoir mettre à mort tous ces sectaires du dualisme. — Quoi donc! s'écria Mazdek, auras-tu le pouvoir de faire périr tout le monde? » Le roi reprit : « Quant à toi, fils d'une femme impudique, nous te tenons; par Dieu, depuis le moment où je t'ai baisé les pieds jusqu'à ce jour même, j'ai toujours eu au nez la puanteur de tes sandales ! » Alors, d'après son ordre, Mazdek fut mis à mort, et son cadavre exposé sur une croix. Il ordonna aussi de faire périr les sectaires du dualisme, et, dans une seule matinée, il y eut cent mille personnes tuées et mises en croix, dans les pays qui s'étendent depuis Khâdhir jusqu'à Nahrowân et Medaïn.[15] Ce fut ce jour-là que le roi reçut le nom d'Anouchirwan.[16]

Il fit ensuite chercher Hârith, fils d'Amr, qui en fut instruit pendant qu'il était à Anbâr, lieu de sa résidence (Anbâr est ainsi nommé parce qu'il s'y trouvait autrefois des magasins de blé, anâbir).[17] Il prit donc la fuite, emmenant ses chameaux de race et emportant ses richesses et ses enfants. Il passa à El-Thawiya[18] poursuivi par Moundhir et par la cavalerie des tribus de Taghleb, Bahrâ et Iyâd; mais il atteignit le territoire de la tribu de Kelb et s'échappa. Ses richesses et ses chameaux devinrent la proie de l'ennemi, et les Bènou-Taghleb lui prirent quarante-huit individus de la famille d'Aakil el-Morâr, lesquels furent amenés devant Moundhir, qui leur trancha la tête dans l'endroit nommé Djefr el-Amlâk,[19] du pays des Bènou-Marina, de la tribu d'Abâd, et situé entre le couvent de Hind, Daïr-Hind,[20] et Koufa. C'est de ce fait que Amr ben-Kelthoum veut parler dans ce vers :

Alors ils revinrent avec du butin et des captifs, et nous, nous sommes revenus avec des rois chargés de liens.[21]

Amro'lkaïs dit aussi en parlant d'eux :

Ce sont des rois du nombre des enfanta de Hodjr, fils d'Amr, qu'on entraîne au soir pour être mis à mort.

Oh! si le trépas les eût atteints au jour de combat ! Mais ils ont succombé dans les pays des Bènou-Marina!

Leurs têtes n'ont pas été lavées dans l'eau des lotions,[22] mais elles ont été souillées dans leur sang!

Autour d'elles planent des oiseaux avides et ils en arrachent les sourcils et les yeux.[23]

Nos autorités disent que Hârith alla donc demeurer dans le pays des Bènou-Kelb, et ceux-ci revendiquent l'honneur de l'avoir tué. Cependant des hommes savants, de la tribu de Kinda, racontent qu'il sortit à la chasse, et qu'il s'était obstiné à poursuivre un cerf sans pouvoir l'atteindre, et qu'alors il jura de ne rien manger avant d'avoir goûté du foie de cet animal. Ses cavaliers le cherchèrent pendant trois jours, et le quatrième il les rejoignit, presque mort de faim. On lui fit rôtir le ventre du cerf, et il prit un morceau du foie, qu'il mangea tout brûlant, et en mourut. Dans le vers suivant, El-Walid, fils d'Adi, de la tribu de Kinda, fait allusion à ceci en parlant d'un individu de la tribu de Badjîla :

Ils rôtirent donc cette viande, et le mets qu'ils avaient apprêté était sa perte,[24] certes la mort n'épargne pas un homme illustre.

Selon Ebn-Kotaïba, les habitants du Yémen assurent que ce n'est pas Kobâd, fils de Fîrouz, qui nomma roi Hârith, fils d'Amr; mais bien le dernier Tobba'. Il ajoute que, lorsque Moundhir s'avança vers Hîra, Hârith prit la fuite et fut poursuivi par une troupe de cavalerie, qui lui tua son fils Amr, et l'on fit périr un autre de ses fils, Malek, dans la ville de Hît.[25] Hârith parvint à Mosholân,[26] où il fut tué par la tribu de Kelb. D'autres prétendent cependant qu'il resta chez cette tribu jusqu'à sa mort, qui arriva naturellement.

El-Haïthem ben-Amr dit avoir entendu rapporter ce qui suit à Hammâd,[27] le raconteur d'anecdotes, qui le tenait de Saïd, fils d'Amr, fils de Saïd, lequel l'avait appris de Saïa, fils d'Arid, juif de Taïmâ.[28] Quand Harith-Ghassâni, fils d'Abou-Shamir, eut tué Amr, fils de Hodjr, le fils de celui-ci, Hârith ben-Amr, lui succéda comme roi. Hârith, dont la mère était fille d'Auf, fils de Mohallem, fils de Dhohl, fils de Shaïbân, s'établit à Hîra. Ce fut là que les chefs des tribus de Nizâr, menacées alors d'une destruction totale par suite de leurs guerres intestines, vinrent le trouver en lui disant : « Nous nous rangeons sous son autorité, car nous craignons de nous détruire les uns les autres par suite de nos querelles mutuelles. Envoie donc tes fils avec nous, afin qu'ils empêchent ces attaques de famille contre famille. » Par suite de ces représentations, Hârith partagea ses fils entre les tribus arabes, et il nomma son fils Hodjr roi des Bènou-Asad et de la tribu de Ghatafân; son fils Shorahbîl, qui fut tué plus tard à la journée de Kolâb,[29] reçut le commandement de la tribu entière de Bekr ben-Waïl et des fils de Hanzela, fils de Malek, fils de Zeïd-Menâh, fils de Temîm, et des tribus nommées Ribâb.[30] Il donna à son fils Maadi-Karb (surnommé Ghalfâ, parce qu'il se parfumait les cheveux, ghalafa) le commandement des Bènou-Taghleb et de la tribu de Namir ben-Kâsit, et de celle de Saad, fils de Zeïd-Menah, et des différentes branches des Bènou-Dârim, fils de Hanzela, et des Bènou-Rakia, nommés es-Senayia', dépendants. Ces derniers étaient une troupe d'Arabes sans aveu, habitués à servir les rois. Il déclara son fils Abd-Allah roi de la tribu d'Abd el-Kaïs, et son fils Salama roi de celle de Kaïs.

Ebn el-Kelbi dit qu'il tenait de son père que Hodjr était chef des Bènou-Asad, et avait droit d'exiger d'eux une redevance annuelle pour son entretien, subvention qu'il reçut régulièrement pendant quelque temps.[31] Dans la suite, il leur envoya son receveur, chargé de percevoir leur contribution; mais ils la refusèrent, et cela dans un temps où Hodjr était à Tehâma; de plus, ils maltraitèrent ses envoyés et les chassèrent en usant de violence et en les accablant d'insultes. A cette nouvelle, Hodjr marcha contre eux avec une armée composée en partie des troupes de la tribu de Rabia, et en partie d'un détachement des forces que son frère tirait des tribus de Kaïs et de Kinâna. En arrivant chez eux, il se saisit de leurs chefs et fit périr plusieurs individus de la tribu à coups de bâton : de là vient qu'on les a nommés les esclaves du bâton. Il livra aussi leurs biens au pillage, et les força d'émigrer à Tehâma, jurant de ne leur jamais permettre d'habiter le même pays que lui. Il retint prisonnier un de leurs chefs nommé Amr el-Asadi, fils de Massoud, fils de Kaleda, fils de Fezâra, et le poète Obaïd ben el-Abras. Les Bènou-Asad marchèrent donc pendant trois nuits pour se rendre à leur destination; ce fut alors qu'Obaïd ben el-Abras se leva devant Hodjr, et lui dit : « O roi ! écoute ces paroles :

O mes yeux, versez des larmes! Que sont-ils devenus, les Bènou-Asad, pour être livrés en proie au repentir ?

Cette tribu aux tentes écarlates,[32] celle dont tous espéraient les bienfaits, et qui était si prodigue de vin;

Elle, maîtresse des coursiers rapides au poil lisse, et qui portait des lances que l'artiste avait rendues unies et droites;[33]

Pardon, prince; puisses-tu ne jamais encourir des malédictions! Pardon pour elle; oui ! ce que tu dis est une source de prospérité.

Dans toutes les vallées situées entre Yathrib et Kosour, et Yemâma,

On entend les plaintes des captifs, le bruissement des incendies, et le cri de la chouette.[34]

Tu leur as interdit le Nedjd, et, frappés de terreur, ils viennent de se fixer à Tehâma.

L'inquiétude des Bènou-Asad ressemble à celle de la colombe pour ses œufs,

Déposés sur un nid qu'elle a formé de deux branches de neschem et d'une tige de thomâm.[35]

Ce que tu as laissé, c'est ta volonté qui l'a épargné, et ce que tu as détruit ne saurait t'être reproché.

Oui, tu règnes sur eux, et ils seront tes esclaves jusqu'au jour de la résurrection.[36]

Ils se sont humiliés devant ton fouet comme le jeune chameau qui a le nez percé par l'anneau de sa bride[37] se soumet à la volonté de son conducteur.

Hodjr, en entendant ces vers, éprouva à leur égard de la commisération; il dépêcha aussitôt des gens à leur suite, et ceux-ci revinrent sur leurs pas, jusqu'à ce qu'étant éloignés d'une journée de Tehâma, leur devin Auf, fils de Rabia, fils de Sewât, fils de Saad, fils de Malik, fils de Thalaba, fils de Doudân, fils d'Asad, fils de Khozaïma, se mit à faire des prédictions, en disant : « O mes serviteurs![38] » A quoi ils répondirent : « Nous voici, seigneur! » Il prononça alors ces mots :

Quel est ce roi à taille élevée ? le vainqueur, l'invincible, entouré de chameaux nombreux comme une troupe de cerfs,

Qui ne perd pas la tête dans le tumulte du combat ; le sang de ce roi se répand en ruisseaux. Il sera demain le premier qu'on dépouillera.

Alors les Bènou-Asad lui demandèrent : « Lequel est-ce, ô seigneur? » Auf répondit :

Si mon âme n'était dans une agitation extrême, elle vous dirait ouvertement que ce roi est Hodjr.[39]

Aussitôt ils montèrent leurs chameaux tant domptés qu'indomptés,[40] et à peine le jour commençait à poindre qu'ils se jetèrent sur l'armée de Hodjr, et fondirent sur sa tente, dont les gardiens étaient des gens de la tribu des Bènou el-Hârith, Ben-Saad, appelés les fils de Khaddân, lequel était fils de Khanther. Dans leur nombre se trouvèrent les nommés Moawia, fils de Hârith, Shabîb, Rakiya, Malik, et Habib, au père desquels Hodjr avait antérieurement épargné la vie, en lui rendant la liberté après l'avoir fait prisonnier. Comme ils voyaient que l'ennemi cherchait à tuer Hodjr, ils entrèrent dans sa tente pour le défendre et le prendre sous leur protection. Dans ce moment, Ilbâ el-Kâheli, fils de Hârith, et dont Hodjr avait précédemment tué le père, s'approcha, et le frappant à la cuisse d'un coup de lance, le tua au milieu de ses amis. Aussitôt les Bènou-Asad s'écrièrent : « O gens de Kinâna et de Kaïs ! vous êtes nos frères et nos cousins, tandis que cet homme n'était pas plus proche parent de vous « que de nous; d'ailleurs, vous savez comment lui et son peuple vous ont traités. « Pillez-les donc. » On se jeta aussitôt sur ses chameaux de race, et on se les partagea; puis on enveloppa le corps de Hodjr dans une pièce de toile blanche, et on le jeta au milieu du chemin. A cette vue les troupes de Kaïs et de Kinâna s'emparèrent de ses dépouilles, pendant qu'Amr, fils de Masaoud, se hâta de rassembler la famille de Hodjr, et s'en déclara le protecteur.

Ebn el-Kelbi dit : Un grand nombre des branches de la grande tribu des Bènou-Asad réclament l'honneur d'avoir tué Hodjr, et ils disent que c'était Ilbâ qui avait tramé sa mort et qui avait la réputation d'en être l'auteur bien que ce ne fût pas lui qui l'eût tué.

[Ebn-Habîb fait l'observation suivante : Le mot Khaddân, nom d'une famille des Bènou-Asad, d'une autre des Bènou-Temîm, et d'une troisième des Bènou-Djedîla, se prononce avec un a dans la première syllabe. Si on le prononce avec un o, il désigne une famille de la tribu d'Azd. Il n'y a, parmi les Arabes, aucune autre tribu qui porte ce nom.]

Abou-Amr el-Shaïbâni contredit le récit précédent, et rapporte que Hodjr, redoutant les Bènou-Asad, avait mis sa fille Hind, et les gens de sa maison, sous la protection d’Owaïr, fils de Shidjna, de la famille d'Othârid, fils de Kaab, fils de Saad, fils de Zeïd-Menâh, fils de Temîm. Lorsque les Bènou-Asad l'accablèrent de leur nombre, il leur dit : « Puisque c'est ainsi que vous agissez, je « m'en irai de chez vous, et je vous laisserai faire comme bon vous semble. » Sur cela, ils le laissèrent partir tranquillement, et il alla trouver Khaled, fils de Khaddan, un des descendants de Saad, fils de Thalaba, quand Ilbâ, fils de Hârith, de la tribu des Bènou-Kahil, l'ayant poursuivi et atteint, dit : « O Khaled ! tue ton compagnon, c'est une action qui nous fera honneur à tous deux. » Sur le refus de Khaled, Ilbâ avança vers Hodjr avec un tronçon de lance garni de son fer, et le frappant au flanc au moment où il s'y attendait le moins, il le tua. C'est à cela qu'El-Asadi fait allusion dans ce vers :

La lance brisée que tenait Ilbâ, fils de Kaïs, fils de Kahil, fut la mort de Hodjr, pendant qu'il était sous la protection d'Ebn-Khaddân.

El-Haïthem ben-Aadi raconte que Hodjr, après avoir obtenu la protection d'Owaïr, fils de Shidjna, pour sa fille et pour les gens de sa maison, les laissa avec lui et alla demeurer pendant quelque temps chez sa tribu, où il rassembla un grand nombre de ses gens contre les Bènou-Asad, et il se mit en marche avec ses troupes et rempli d'orgueil et de confiance.[41] Les Bènou-Asad, en apprenant cette nouvelle, tinrent conseil, et ils se dirent les uns aux autres : « Si cet homme vous subjugue, il vous régira comme ferait un enfant capricieux, et quel serait l'avantage de la vie qu'on mènerait après avoir été vaincu? Mais, grâces à Dieu! vous êtes les plus braves parmi les Arabes : mourez donc avec honneur. » Excités par ces paroles, ils allèrent à la rencontre de Hodjr, qui s'était déjà mis en marche vers eux, et ils engagèrent avec lui un combat opiniâtre. Ilbâ, l'âme de leur expédition, chargea Hodjr et le tua d'un coup de lance. La tribu de Kinda fut mise en fuite, et Amro’lkaïs, qui se trouvait ce jour-là parmi eux, se sauva sur le cheval bai qu'il montait, et échappa à leurs poursuites. On fit prisonniers plusieurs individus de la maison de Hodjr, on tua beaucoup de monde, et on fit un grand butin. Les concubines de Hodjr, ses femmes, enfin tout ce qu'il possédait tomba au pouvoir de l'ennemi, qui se le partagea.

Yakoub ben-es-Sikkît dit : Khalid el-Kilâbi m'a raconté que la cause de la mort de Hodjr fut celle-ci. Il était venu visiter son père Hârith, fils d'Amr, pendant la maladie dont il mourut, et il resta près de lui jusqu'au moment de sa mort ; il se mit ensuite en route pour retourner chez les Bènou-Asad, qu'il avait gouvernés d'une manière tyrannique, en portant même atteinte à l'honneur de leurs femmes. Il avait envoyé devant lui une partie de son bagage, en faisant préparer les lieux où il devait s'arrêter, en sorte qu'à chaque station il trouvait prêt ce dont il avait le plus besoin. Après s'y être reposé, il se dirigeait vers la station prochaine, pendant qu'on lui dressait sa tente dans une autre station plus avancée. Quand il fut près des Bènou-Asad, ceux-ci, qui avaient appris la mort de son père, conçurent le désir de s'emparer de ses richesses. Lorsqu'il fut arrivé et campé dans leur voisinage, ils se réunirent près de Naufel, fils de Rabia, fils de Khaddân, qui leur adressa ces paroles : « Qui d'entre vous, ô enfants d'Asad, ira à la rencontre de cet homme et nous délivrera de sa dépendance ? « Quant à moi, je suis d'avis que nous devons aller l'attaquer À l'improviste. » On lui répondit : « Tu es le seul à qui une telle entreprise doit être confiée. » Naufel sortit donc à la tête de sa cavalerie, composée de ses parents du côté du père et de la mère[42] et il alla se jeter sur les chameaux qui portaient le bagage, tuant tout ce qui se trouvait avec eux. Il enleva les bagages et s'empara de deux esclaves musiciennes qui appartenaient à Hodjr. Il revint alors à sa tribu, qui, sachant ce qui était arrivé, et voyant le butin qu'il avait amené, sentit bien que Hodjr viendrait les attaquer, et qu'un combat était inévitable. On se rassembla pour cette raison, pendant que Hodjr, informé de leurs intentions, marchait sur eux. Aussitôt qu'il les eut atteints, ils s'élancèrent contre lui et l'attaquèrent dans un endroit de leur territoire situé entre deux terrains inégaux et sablonneux (Abrek), auxquels on donne aujourd'hui le nom des deux Abrek de Hodjr. Ils ne tardèrent pas à mettre en déroute les troupes qui l'accompagnaient et à s'emparer de sa personne, et ils le gardèrent prisonnier. On tint ensuite conseil sur la nécessité de le mettre à mort, après l'avoir mis en prison, en attendant la décision, quand un de leurs devins dit : « O mon peuple ! ne te hâte pas de faire mourir cet homme avant que j'aie consulté pour vous les présages, » et il les quitta alors pour examiner s'ils devaient le tuer. A cette vue, Ilbâ, craignant que le peuple ne mît de l'hésitation à le faire mourir, appela son neveu, un jeune homme de la tribu des Bènou-Kahil, dont Hodjr avait tué le père, beau-frère d'Ilbâ, et il lui dit : « O mon cher fils, y a-t-il assez de vertu en toi pour venger ton père et t'acquérir un honneur éternel ? Certes, ton peuple ne te fera pas périr. » Il ne cessa d'encourager le jeune homme, et lui ayant monté la tête, il lui offrit un fer qu'il venait d'aiguiser, en disant : « Quand tes gens entreront chez Hodjr, entre avec eux et frappe-le alors dans un endroit mortel. » Ce jeune homme prit le fer et le cacha sur lui; puis il entra dans la tente où l'on gardait Hodjr prisonnier, et, épiant le moment où personne ne le gardait, il se jeta sur lui et le tua. On se saisit tout de suite du meurtrier, et les Bènou-Kahil s'écrièrent : « C'est lui qui doit éprouver notre vengeance; il est tombé entre nos mains et il ne nous échappera pas. » Mais on le relâcha sur sa déclaration qu'il n'avait fait que venger son père. Dans ce moment, leur devin, qui consultait les présages, survint et leur dit : « O mon peuple, vous venez de tuer un homme qui pour un mois était roi, mais qui est maintenant à jamais déshonoré. Par Dieu ! vous ne serez plus, à l'avenir, en faveur auprès des rois. » Ebn es-Sikkît raconte que, lorsque ce jeune Asidéen eut frappé Hodjr, sans l'avoir entièrement achevé, celui-ci fit un signe à un homme et lui donna un écrit, en lui disant : « Va trouver mon fils Nafi' » (c'était l'aîné de ses enfants); « et s'il pleure, et s'il s'afflige, laisse-le et va chez les autres, en les éprouvant successivement[43] jusqu'à ce que tu viennes à Amro'lkaïs » (qui était le cadet), et « donne mes armes, mes chevaux, ma vaisselle et mon testament à celui d'entre eux qui ne s'affligera pas. » Or, Hodjr mentionnait dans son testament le nom de celui qui l'avait frappé, et y racontait toutes les circonstances de l'affaire. L'homme partit donc avec le testament, et alla trouver Nafi', fils de Hodjr, qui, en apprenant cette nouvelle, se couvrit la tête dépoussière en signe de douleur. Le messager les éprouva ainsi un à un, et tous agirent de la même manière ; mais quand il vint chez Amro’lkaïs, il le trouva avec un compagnon de débauche, buvant du vin et jouant aux dés. L'homme lui dit : Hodjr a été tué; mais Amro'lkaïs ne fit aucune attention à ces paroles, et comme son compagnon s'était arrêté, il lui dit déjouer. Il joua donc, et, la partie finie, Amro'lkaïs lui dit : « Je n'étais pas un homme à te gâter ta partie. » Il demanda alors au messager le récit de toutes les circonstances de la mort de son père, et les ayant apprises, il s'écria : Je m'interdis le vin et les femmes jusqu'à ce que j'aie tué cent individus des Bènou-Asad, et coupé les cheveux du front à une centaine d'entre eux.[44] » C'est à cet événement qu'il fait allusion dans le vers suivant ;

J'ai veillé, et ma veille n'était pas pour une chose qui me fut avantageuse, et l'amour m'a réveillé des soucis qui viennent de nouveau m'affliger.[45]

Ebn el-Kelbi dit que son père tenait d'Ebn el-Kâhin, de la tribu d'Asad, que Hodjr avait chassé Amro'lkaïs de chez lui, en jurant de ne pas habiter le même lieu que lui, parce que sa fierté était blessée de ce que son fils composait des vers; car les rois regardaient cela comme au-dessous d'eux. Amro'lkaïs parcourait donc les tribus arabes, accompagné d'une troupe mêlée de gens sans aveu des tribus de Taï, de Kelb et de Bekr ben-Waïl; et lorsqu'il rencontrait une citerne, une prairie et un lieu propre à la chasse, il s'y arrêtait, et tuait chaque jour des chameaux pour nourrir ceux qui le suivaient. Il allait chasser, et à son retour il se mettait à manger avec ses camarades, et à boire du vin, et à leur en verser, pendant que ses musiciennes chantaient. Il ne cessait ce train de vie que lorsque les eaux de l'étang étaient épuisées, et alors il le quittait pour aller à un autre. Or, la nouvelle de l'assassinat de son père vint le trouver tandis qu'il était à Dammoun, dans le Yémen. Elle lui fut apportée par un homme de la tribu des Bènou-Idjl, nommé Aamir el-Awaïr, le borgne, frère de Wassâf. Quand il eut instruit Amro'lkaïs de cet événement, celui-ci dit :

La nuit m'a semblé longue, ô Dammoun !

O Dammoun ! nous sommes des gens du pays du Yémen,

Et nous chérissons notre famille.

Il ajouta ensuite : « Sa sévérité m'a perdu lorsque j'étais petit; et, devenu grand, il m'impose le devoir de venger son sang. Pas de sobriété aujourd'hui, mais, aussi, demain pas d'ivresse. Aujourd'hui le vin, demain les affaires. »

[Cette expression est passée en proverbe.]

Ensuite il prononça ce vers :

O mes deux amis! rien ne doit tirer aujourd'hui le buveur de son ivresse; mais aussi demain, quoi qu'il arrive, il ne boira point.

Il but ensuite une semaine, et quand il fut revenu de son ivresse, il fit serment de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, de ne pas se servir de parfums, de n'avoir commerce avec aucune femme, et de ne se point laver la tête quand elle serait souillée, qu'il n'eût tiré vengeance du meurtrier de son père. Quand la nuit le couvrit de son ombre, il vit un éclair et récita les vers suivants :

Dans une nuit de nouvelle lune, j'ai veillé pour observer un éclair dont l'éclat a illuminé la cime d'une montagne.

Il m'a apporté une nouvelle que je regardais comme fausse, nouvelle d'un événement capable de renverser les couines;

Elle m'annonçait que les Bènou-Asad avaient tué leur seigneur; auprès de cela, tout le reste n'est-il pas une bagatelle?

Dans quel lieu donc la tribu de Rabia se tenait-elle éloignée de son maître? Où était celle de Temîm, et où étaient ses serviteurs,

Puisqu'ils ne se trouvèrent pas à sa porte, comme ils avaient coutume de faire quand il allait se mettre à table?[46]

El-Haïthem raconte, sur l'autorité de ses maîtres, qu'Amro'lkaïs, à l'époque de la mort de son père, était un jeune homme déjà développé. Il résidait alors parmi les Bènou-Hanzela, parce que sa nourrice était une femme de cette tribu. En apprenant cette nouvelle, il récita les vers suivants :

Que je plains Hind, puisque notre cavalerie a poursuivi inutilement la tribu de Kahil, les assassins du roi, ce chef si noble!

Mais, par Dieu, le sang de ce vieillard chéri ne restera pas sans vengeance! O le plus excellent des vieillards, en considération et en générosité!

Toi qui les surpassais tous en nobles qualités, et ils le savaient bien !. . . . Ce qui nous porte, ainsi que nos lances altérées de sang,

Et ce qui porte la tribu de Saab et leurs lances flexibles, ce sont des chevaux qui, dans leur course rapide, font voler les cailloux jusque sur leurs croupes.[47]

Par Saab, le poète veut désigner le fils d'Ali, fils de Bekr, fils de Waïl.[48]

El-Haïthem ben-Adi reprend son récit et dit : A la mort de Hodjr, sa fille Hind, et les gens de sa maison, allèrent se réfugier près d'Owaïr, fils de Shidjna. La famille de celui-ci lui dit : « Prenez donc leur bien, car ce sont des gens bons à piller.[49] » Il ne voulut pas cependant les écouter, et à l'entrée de la nuit il donna des montures à Hind et à ses gens; et saisissant la bride du chameau qui la portait, il s'avança avec elle au milieu des ténèbres profondes, lorsque la lueur d'un éclair fit voir à Hind les jambes de son conducteur, qui étaient très maigres. Aussitôt elle s'écria : « Je n'ai jamais si bien vu les jambes d'un honnête homme que je les vois cette nuit. » En entendant cette observation, il répondit : « O Hind! tu as raison, de telles jambes sont d'ordinaire les jambes d'un perfide, d'un malfaiteur.[50] » Alors il se dirigea avec elle vers les terres hautes, et, parvenu à un lieu élevé d'où il lui faisait voir la ville de Nedjrân, il dit : « Je ne puis t'être utile après avoir passé cet endroit; voilà ta tribu, je viens de remplir religieusement enfers toi les devoirs d'un protecteur. » C'est à ce sujet qu'Amro'lkaïs le loue dans plusieurs poèmes, dans un desquels on trouve les vers suivants :

Une tribu qui demeure au delà de vous, ô famille de perfidie! n'a-t-elle pas protégé, hier au soir, les femmes qui cherchaient vainement ton appui ?

Je veux parler d'Owaïr; et qui, plus fidèlement que lui et sa famille, exécute les traités? et qui, mieux qu'eux, s'acquitte du devoir de protéger leurs clients?

Ce sont eux qui ont aidé cette famille malheureuse à joindre sa tribu, et qui l'ont conduite d'Irak jusqu'à Nedjrân.

Notre poète dit aussi à ce sujet :

Puisse Dieu défigurer toute la tribu des Beradjim ! Puisse-t-il couper les nez de celle de Yerboua', et abaisser Darim dans la poussière !

Car ils n'ont pas agi comme Owaïr agit et sa famille, quand il se tenait près de la porte de Hind, et qu'il se disposait sérieusement à se charger de l'affaire dont elle était accablée.

Ebn-Kotaïba, dans son récit, fait tenir à Abou-Hanbel Djâria, fils de Morr, cette conduite honorable, qu'on vient d'attribuer à Owaïr. Il fait observer cependant que d'autres représentent Aamir, fils de Djowaïn, de la tribu de Taï, comme la personne qui avait agi si noblement; et que, sa fille lui ayant conseillé de s'emparer des biens de Hodjr et de saisir les gens de sa maison, il se leva aussitôt, et entrant dans la vallée, il s'écria : « N'est-il pas vrai qu'Aamir, fils de Djowaïn, est un traître? » Et comme l'écho lui répondit ainsi, « Oh, dit-il, que ce mot est détestable ! » Il prononça ensuite ces paroles : « N'est-il pas vrai qu'Aamir, fils de Djowaïn, est fidèle à ses promesses? » Et l'écho lui répondant les mêmes mots, « Ah! s'écria-t-il, que cela est beau! » Il appela ensuite sa fille, et lui ordonna de choisir parmi son troupeau une brebis de deux ans, et de la lui amener. Quand il l'eut traite et qu'il eut bu le lait, il se coucha sur le dos et dit : « Par Dieu, je n'agirai jamais avec perfidie tant que le lait d'une brebis suffira à ma nourriture. » Alors il se leva et fit voir ses jambes, qui étaient très minces, et sa fille disait : « Je n'ai jamais aussi bien vu qu'aujourd'hui les jambes d'un honnête homme.[51] » Il répondit : « Et que diriez-vous donc si elles appartenaient à un homme perfide? par Dieu, elles seraient encore plus vilaines! »

Ebn el-Kelbi rapporte ce qui suit sur la foi de son père, de même que Yakoub ben-es-Sikkit sur l'autorité de Khalid el-Kilâbi :

Amro'lkaïs se mit en route et s'arrêta dans les tribus de Bekr et Taghleb, et leur demanda des secours contre les Bènou-Asad. On envoya donc des espions pour observer ceux-ci; mais ayant été prévenus qu'on les espionnait, ils se réfugièrent auprès des Bènou-Kinâna. C'était Ilbâ, fils de Hârith, qui les avait mis sur leurs gardes; et à l'entrée de la nuit il leur adressa ces paroles : « Hommes de la tribu d'Asad, sachez bien que les espions d'Amro'lkaïs ont été parmi vous, et qu'ils sont retournés près de lui avec des renseignements sur votre état : partez donc dans la nuit, à l'insu des Bènou-Kinâna. » Ils suivirent ses conseils, et Amro'lkaïs s'avança avec ses alliés des tribus de Bekr et de Taghleb; et arrivé auprès des Bènou-Kinâna, qu'il prenait pour les Bènou-Asad, il se mit à les passer au fil de l'épée, en criant : « Accourez venger le roi ! accourez venger le chef magnanime ! » quand une vieille femme de la tribu de Kinâna, sortant d'une tente, alla au-devant de lui et lui dit : « Prince, puisses-tu éviter les malédictions! Nous ne sommes pas les objets de ta vengeance ; nous sommes de la tribu de Kinâna. Ceux que tu dois frapper sont là-bas devant vous ; poursuis-les donc,[52] car ils sont partis hier au soir. » Il se mit aussitôt à la poursuite des Bènou-Asad, mais ils lui échappèrent cette même nuit. C'est à ce sujet qu'il a dit ces vers :

Oh! quelle est la douleur de Hind après la fuite de cette tribu, dont la mort aurait guéri nos chagrins, mais qui a échappé à nos coups!

La fortune favorable les protégea en plaçant les fils de leur père entre eux et le danger, et notre vengeance est tombée sur ceux qui étaient le plus à plaindre.

Ilbâ, dont la frayeur coupait la respiration, a échappé à nos coursiers! Oh! s'ils l'eussent atteint, les outres auraient été vidées.

[Par les fils de leur père, le poète veut désigner les Bènou-Kinâna. En effet, Asad et Kinâna, fils de Khozaïma, étaient frères. Abou-Khalîfa m'a appris que Mohammed ben-Selâm avait dit : J'entendis un homme demander à Younos[53] la signification des mots : les outres auraient été vidées; celui-ci répondit qu'il avait fait la même question à Rouba,[54] qui lui avait dit : Le sens est que, s'ils l'eussent attrapé, ils l'auraient tué et auraient enlevé ses chameaux, de sorte que ses outres ne se seraient plus remplies de lait. D'autres en donnent l'explication suivante : Si on l'avait tué, on aurait épuisé le sang de son corps comme on épuise le lait d'une outre.]

[55]Le lendemain, Amro'lkaïs, ayant vu la trace des pieds des fuyards dans le sable, se mit à la suivre, et il les atteignit vers l'après-midi, bien que ses chevaux fussent excédés de fatigue, et que ses cavaliers mourussent de soif, et se jetant sur les Bènou-Asad, attroupés autour d'un puits, il en blessa ou tua un grand nombre. La nuit sépara les combattants, et les Bènou-Asad s'enfuirent. Le lendemain, les tribus de Bekr et de Taghleb refusèrent de les poursuivre, en disant à Amro'lkaïs : « Vous venez d'obtenir vengeance. — Non, par Dieu! s'écria-t-il, je ne l'ai pas obtenue! Je n'ai pas encore exercé ma vengeance entière sur les Bènou-Kahil, ni sur les autres branches de la tribu d'Asad. — Si, si, répondirent-ils; mais tu es un homme funeste. » D'ailleurs ils avaient sur le cœur d'avoir tué une partie des Bènou-Kinâna, et ils le quittèrent en conséquence. Amro'lkaïs, ainsi abandonné, se sauva en courant au hasard, jusqu'à ce qu'il atteignît la tribu de Himyâr.

Ebn es-Sikkît raconte que Khaled el-Kilâbi lui avait appris ce qui suit : Amro'lkaïs revint de la guerre monté sur son cheval bai, et se réfugia près de son cousin Amr, fils de Moundhir, et dont la mère se nommait Hind, fille d'Amr, fils de Hodjr Aakil el-Morâr. Ceci eut lieu après l'assassinat de son père et de ses oncles, et après la ruine de la puissance de sa maison. Amr régissait alors, au nom de son père Moundhir, la ville de Bekka, située entre Anbâr et Hît. Amro'lkaïs fit son éloge, en lui rappelant les liens du mariage et du sang qui unissaient leurs familles, et en déclarant que son cœur lui était sincèrement attaché. Il se réfugia donc auprès d'Amr, qui le protégea, et il resta avec lui quelque temps, quand Moundhir, ayant appris dans quel lieu il se cachait, le fit chercher; mais Amro'lkaïs, prévenu par son protecteur, se sauva et alla trouver la tribu de Himyâr.

Ebn el-Kelbi, El-Haïthem ben-Adi, Amr ben-Shebba, et Ebn-Kotaîba, continuent le récit de la sorte : Sur le refus de la tribu de Bekr ben-Waïl, et de celle de Taghleb, de poursuivre les Bènou-Asad, Amro'lkaïs s'en alla tout de suite dans le Yemen, où il demanda le secours de la tribu d'Azd-Shonoua, qui le lui refusa en disant que ces gens étaient leurs frères et leurs clients. Il s'arrêta ensuite chez un roi nommé Marthed el-Khaïr Himyari, fils de Zou-Djeden; comme un lien de parenté les unissait, Amro'lkaïs lui demanda des secours et des troupes contre les Bènou-Asad, et celui-ci mit cinq cents hommes de Himyâr sous ses ordres. Marthed mourut cependant avant qu'Amro'lkaïs se fût mis en route avec son armée, et il eut pour successeur un homme de la tribu de Himyâr, nommé Kormol, fils de Hemîm et d'une négresse. Celui-ci remit l'affaire d'Amro'lkaïs d'un jour à l'autre, et il la fit traîner tellement en longueur, qu'Amro'lkaïs pensait à s'en aller, et il récita alors ce vers:

Souvenez-vous du temps où nous appelions Marthed el-Khaïr notre seigneur, et lorsque nous n'étions pas nommés esclaves de Kormol.

Kormol, instruit de ses intentions, mit l'armée à sa disposition. Il fut suivi d'un nombre d'Arabes sans aveu, ayant pris en outre à sa solde des hommes de plusieurs tribus. Il marcha aussitôt avec eux vers les Bènou-Asad, en passant par Tebâla, où se trouvait une idole nommée Zou'l-Kholosa, très révérée des Arabes, parce qu'il voulait consulter le sort au moyen des flèches consacrées à cette idole, qui étaient au nombre de trois, et nommées l'ordre, la défense, et l’attente. Il les mêla et tira celle de la défense. Aussitôt il les rassemble, les brise et les jette à la tête de l'idole, en lui disant : « Puisses-tu être accablé de mépris![56] Si ton père eût été tué, tu ne me défendrais pas de vouloir venger le mien. » Il marcha ensuite à la rencontre des Bènou-Asad. On rapporte qu'on continua de consulter le sort devant Zou'l-Kholosa, au moyen des flèches, jusqu'à ce que l'islamisme nous fût donné, par l'ordre de Dieu : alors Djerir, fils d'Abd-Allah de la tribu de Badjela, détruisit cette idole.

Nos autorités ajoutent que Moundhir poursuivait Amro'lkaïs avec acharnement, et qu'il envoya après lui des troupes tirées des tribus d'Iyad, de Behrâ et de Tenoukh; mais comme il ne se trouvait pas assez fort pour exécuter ses intentions, il obtint d'Anouchirwan de la cavalerie persane, et il la dépêcha à la poursuite d'Amro'lkaïs. Alors ceux de Himyar, et les autres qui l'accompagnaient, le quittèrent en se débandant, et lui-même se sauva avec une troupe de la famille d'Aakil el-Morâr, et il alla s'arrêter chez Hârith ben-Shehâb, de la tribu de Yerbou', fils de Henzela. Il avait alors avec lui cinq cottes de mailles, qui portaient chacune un nom particulier; elles étaient appelées la large, l’éclatante, la protectrice, la sans pareille,[57] celle qui est garnie de basques. Elles avaient appartenu aux enfants d'Aakil el-Morâr, qui en avaient hérité de roi en roi.

Suivant nos historiens, à peine sa petite troupe s'était-elle arrêtée chez Hârith ben-Shehab, que Moundhir envoya une centaine de ses gens menacer Hârith de la guerre, s'il ne lui livrait la famille d'Aakil el-Morâr. Il les livra donc tous, à l'exception d'Amro'lkaïs, qui s'évada avec Yézid, fils de Moawia, fils de Hârith, emmenant sa fille Hind et emportant avec lui les cottes de mailles, les armes et les biens qui lui restaient. Il marcha ensuite à l'aventure, jusqu'à ce qu'il se trouvât dans le territoire de la tribu de Taï. D'autres disent cependant qu'avant cela il s'était arrêté chez Saad, fils de Debâb, dont la mère avait été femme de Hodjr, père d'Amro'lkaïs, qui la répudia, ne sachant pas qu'elle était enceinte; alors Debâb l'épousa, et elle accoucha de Saad dans le lit de celui-ci.[58] C'est pourquoi on l'appelait fils de Debâb. Amro'lkaïs fait allusion à cela dans ces vers :

Saad nous charme par ses entretiens; sa bienfaisance prodigue les dons; au matin, il vient à nous avec des plats et des chameaux afin de pourvoir à notre nourriture.

Tu peux reconnaître en lui les nobles qualités de son père et de son oncle, et de Yézid et de Hodjr;

La bonté du premier, la piété du second, la probité du troisième, et la générosité du dernier, et cela, soit que le vin lui ait monté la tête ou qu'il soit revenu de son ivresse.

En le quittant, il se rendit dans le pays de la tribu de Taï, et s'arrêta chez un homme des Bènou-Djedîla, nommé El-Moalla abou-Temîm. En parlant de cette circonstance, il dit :

Je sens qu'en m'arrêtant chez Moalla, je suis aussi en sûreté que si j'avais établi ma demeure sur la cime du mont Shemâm.

Ni le roi d'Irak ni le roi de Syrie ne peuvent rien faire contre Moalla.

Le calme a été apporté au cœur d'Amro'lkaïs, fils de Hodjr, par les Bènou-Taïm, les flambeaux des ténèbres.

Les historiens racontent qu'il resta chez Moalla, et se procura un troupeau de chameaux qu'il gardait là, quand des gens des Bènou-Djedîla, nommés les Bènou-Zeïd, vinrent un matin les lui enlever. Amro'lkaïs, qui, dans la crainte qu'il ne survînt quelque événement fâcheux, tenait attachés, près des tentes, des chameaux tout équipés pour s'évader sur eux, partit de suite et alla chez les Bènou-Nabhân, de la tribu de Taï. Quelques individus de cette tribu montèrent ces chameaux pour aller reprendre ceux qu'on lui avait enlevés; mais les Bènou-Djedîla s'en emparèrent encore, et ils revinrent après avoir tout perdu. Notre poète dit à cette occasion :

Je m'étonnais de voir ce petit Khalid aller à pas lents, comme une femelle d'onagre qu'on vient d'éloigner des abreuvoirs.[59]

Laisse là cette proie qu'on enlève pendant que les environs résonnent des cris des chasseurs, et raconte-moi quelque histoire : l'histoire de mes chameaux, si tu veux.

Alors les Bènou-Nabhân mirent à part, pour lui, une troupe de chèvres, ce qui lui donna occasion de réciter ces vers :

Lorsque nous ne nous vîmes plus possesseurs de chameaux, nous reçûmes des chèvres, dont les chefs de troupeau portaient des cornes longues comme des bâtons.

Lorsqu'on les trayait, elles poussaient des cris qui ressemblaient aux lamentations d'une famille qui reçoit subitement, au matin, la nouvelle de la mort d'un de ses membres.

Elles nous fournissaient du lait que nous faisions sécher et du beurre en abondance. Contente-toi donc, en fait de richesses, de ce qui suffit à rassasier ta faim et apaiser ta soif.

Après avoir demeuré chez cette tribu quelque temps, il alla habiter près d'Aamir, fils de Djowaïn, et il se procura un troupeau de chameaux qu'il gardait dans le voisinage d'Aamir, qui se trouvait alors rejeté de sa famille, et qui était un de ces brigands pour lesquels leur famille refuse de se porter caution, à cause de leurs crimes.[60] Amro'lkaïs resta près de lui pendant quelque temps, quand cet homme conçut le dessein de s'emparer des biens de son protégé, et de se saisir de sa famille. Ce fut par les vers suivants, prononcés tout haut par Aamir, qu'Amro'lkaïs devina ses intentions perfides :

Combien y avait-il à Saïd de chameaux de race formant des troupeaux nombreux, et qui se promenaient en sûreté, les uns ayant aux pieds des entraves, les autres libres !

J'ai voulu tenter un coup contre eut et les saisir, sans être touché de pitié pour leur propriétaire, et je me avis éloigné aptes avoir mis mon plan à exécution.

Aamir avait aussi récité les vers suivants, dans lesquels il faisait allusion d'une manière détournée à Hind, fille d’Amro'lkaïs :

O tribu de Hind! ô débris des habitations de sa famille! ô voyages de Hind ! ô lieux où elle s'arrête![61]

J'ai eu l'esprit occupé d'une foule de réflexions, et ces pensées d'amour, qui conviennent le mieux à mon âme, sont aussi celles qui s'accordent le mieux avec l'âme de Hind.

Je vais mettre ma personne dans une position qui doit lui être ou désavantageuse ou profitable.[62]

C’est ainsi qu'Ebn-abi-Saad a rapporté ces vers, sur l'autorité de Darim, fils d'Ikâl. Il y a cependant des personnes qui les attribuent à Khansâ, et qui disent qu'ils font partie de son poème, qui commence ainsi :

Qu'ont-ils donc mes yeux; hélas! qu'ont-ils? voilà que leurs larmes ont trempé le vêtement sur lequel elles viennent de tomber.

Nos autorités disent : Amro'lkaïs s'étant aperçu de ses intentions, et craignant sa perfidie pour sa famille, trompa la surveillance d'Aamir et se rendit auprès d'un individu nommé Haritha, fils de Morr, de la tribu des Bènou-Thoâl, et il se mit sous sa protection. Ceci fit naître entre Aamir et Haritha une guerre féconde en événements.

Darim, fila d'Ikâlt raconte dans sa narration que, la guerre ayant éclaté entre les branches de la tribu de Taï, au sujet d'Amro’lkaïs, celui-ci quitta leur territoire et s'arrêta chez un homme de la tribu de Fezâra, nommé Amr, fils de Djabir, fils de Mazin, et le pria de lui accorder les droits de client, jusqu'à ce qu'il vît comment tourneraient les choses.[63] Le Fezârite lui répondit : « O fils de Hodjr, je te vois malheureux par l'affaiblissement de ta famille, et je suis plus enclin à protéger une personne dans ta position que ne le sont les tribus situées à l'est de nous ; car hier soir encore, vous faillîtes tout perdre[64] dans la tribu de Taï. Mais les habitants du désert (comme moi) font leur séjour dans les plaines, et ils n'ont pas de châteaux où ils puissent se mettre à l'abri du danger; d'ailleurs il se trouve entre toi et le Yémen des loups rapaces de la tribu de Kaïs. Ne voudrez-vous donc pas que je vous indique un pays [ vous n'aurez rien à craindre]? Je suis allé voir l'empereur des Grecs, et j'ai visité Nomân; mais je n'ai vu nulle part une demeure qui convînt mieux à l'homme faible et au suppliant que cet endroit dont je vous parle, et je n'ai jamais vu un homme qui sache mieux protéger les malheureux que son maître. — Qui est-ce donc, dit Amro'lkaïs, et où est sa demeure ? » L'autre lui répondit : « C'est Samouel de Taïmâ, et je vous donnerai une idée de ce qu'il est. C'est un homme qui te protégera dans ta faiblesse, jusqu'à ce que tu voies comment tourneront les choses. Il habite un château fort, et il jouit d'une grande considération. — Comment arriverai-je à lui, dit Amro'lkaïs? » Le Fezârite lui répondit : « Je t'aboucherai avec un homme qui te conduira près de lui. » Il le conduisit donc chez un autre individu de la tribu de Fezâra, nommé Rabia, fils de Dabe', qui était un de ceux qui approchaient de Samouel ; ensuite il lui donna une monture et lui fit des cadeaux. Quand Amro'lkaïs eut joint le Fezârite, celui-ci lui dit : « Samouel aime la poésie : viens donc et composons tous deux des poèmes, que nous réciterons tour à tour en sa présence. » Amro'lkaïs lui répondit : « Commence ; ensuite je réciterai le mien. » Rabia alors prononça le poème qui commence ainsi :

Dis à la mort : Quand est-ce que nous te rencontrerons dans la cour de ta demeure, au pied du précipice glissant?

Ce poème est long et renferme le passage suivant :

Je suis allé trouver les Bènou-Mosâs pour disputer de gloire avec eux, et j'ai visité Samouel dans son château d'Ablek;

C'est alors que je suis venu chez la personne la plus capable de se charger d'une affaire, soit qu'il s'agisse de faire respecter ses droits méconnus ou d'obtenir protection contre l'oppresseur.[65]

On reconnaît en lui tout genre de supériorité; il possède de nobles qualités, dans lesquelles il surpasse les autres sans être jamais surpassé.

Amro'lkaïs récita ensuite le poème qui commence par ces vers :

Hind, après avoir montré longtemps de l'éloignement, est venue te visiter à l'heure de minuit, et jamais auparavant elle n'avait visité personne.

Ce poème est long, et je crois qu'on l'attribue à tort à Amro'lkaïs, parce que le style n'a aucune ressemblance avec le sien, et qu'il renferme des locutions décelant un auteur qui n'était pas d'extraction arabe; d'ailleurs, aucune personne digne de confiance ne l'a inséré dans le dîwân de notre poète. Pour moi, je crois qu'il fait partie des poèmes composés par Darim; car il était un des fils de Samouel[66] ou bien il doit avoir pour auteur une de ces personnes qui nous ont rapporté les poèmes de Darim. Ainsi nous ne le transcrirons pas ici.

Darim, fils d'Ikâl, reprend son récit et dit : Le Fezârite conduisit Amro'lkaïs vers Samouel, et voilà qu'ils rencontrèrent sur la route une bête fauve blessée d'un trait. A sa vue, ses compagnons accoururent pour l'égorger, et tandis qu'ils étaient occupés à cela, une troupe de chasseurs des Bènou-Thoal survint inopinément. Les amis d'Amro’lkaïs leur ayant demandé qui ils étaient, ces chasseurs déclarèrent le nom de leur père et de leur famille, et on découvrit qu'ils étaient des clients protégés de Samouel. On s'en alla donc ensemble, et Amro'lkaïs dit :

Bien des fois un chasseur de la tribu du Thoal faisait sortir ses mains hors de la cabane où il se cachait,

En tenant devant lui un arc de bois de neshem, que la corde fortement tendue faisait à peine fléchir.[67]

[C’est ainsi qu'Ebn-Darim récite ces vers; mais d'autres, à la place de , lisent  ou ].

Et la bête fauve qui allait s'abreuver vint à sa rencontre en s'offrant au coup qu'il tire devant lui.

Alors il la frappa à l'épaule pendant qu'elle se tenait près de la rigole qui part de la citerne, ou à l'endroit qui reçoit l'eau dégouttant du seau du voyageur,

En lui lançant une flèche légère tirée de son carquois, une flèche dont la pointe brillait comme un charbon allumé et étincelant,

Et qu'il avait garnie d'une plume d'un jeune oiseau, et ensuite aiguisée sur une pierre.

L'animal frappé par lui ne se traîne pas loin avant de mourir. Qu'a-t-il donc ce chasseur? C'est un homme unique dans sa famille![68]

Darim dit : Ils s'en allèrent ensuite chez Samouel, à qui Amro'lkaïs récita son poème, et Samouel reconnut leurs droits à sa protection. Il assigna pour demeure à la fille d'Amro'lkaïs une tente couverte de peaux, et aux hommes une de ses salles d'audience.[69] Amro'lkaïs resta avec lui pendant quelque temps, et alors il le pria de lui écrire une lettre pour Hârith, fils d'Abou-Shamir, de la tribu de Ghassân, en Syrie, afin que celui-ci le fît conduire près de l'empereur des Grecs. Après avoir obtenu de Samouel une monture, il lui confia sa fille, ses cuirasses[70] et ses richesses, et il fit rester son cousin Yézid, fils de Hârith, fils de Moawia, pour en avoir soin. Il s'en alla ensuite et arriva près de l'empereur des Grecs, qui le reçut favorablement, le traita avec honneur, et qui avait pour lui beaucoup de considération. Quelque temps après, un homme de la tribu d'Asad, nommé Tammâh, dont un des frères avait été tué par Amro'lkaïs, se rendit secrètement dans le pays des Grecs, et s'y tint caché L'empereur ayant ensuite donné à Amro'lkaïs une armée nombreuse, dans laquelle il se trouvait plusieurs fils de rois, celui-ci partit pour sa destination, quand quelques personnes de la cour dirent au roi : « Les Arabes sont des gens sans foi, et nous avons à craindre que cet homme, s'il atteint le but qu'il se propose, n'emploie contre toi les troupes que tu viens de faire partir sous ses ordres. »

Ebn el-Kelbi, après avoir traité comme peu exact le récit précédent, raconte que Tammâh dit à l'empereur : « Amro'lkaïs est un homme perdu de réputation, un débauché, qui, après son départ avec les troupes que tu lui as confiées, dit qu'il avait entretenu une correspondance avec ta fille, et qu'il avait eu des liaisons avec elle; il a même composé des vers sur ce sujet, dans lesquels il cherche à te déshonorer ainsi que ta fille.[71] »

L'empereur lui envoya donc un manteau empoisonné, peint et brodé d'or, et il lui manda ce qui suit : « Je t'envoie comme une marque d'honneur le manteau que j'ai porté; ainsi, lorsque tu le recevras, revêts-le, et puisse-t-il te porter bonheur et prospérité ! Donne-moi de tes nouvelles à chaque station où tu t'arrêteras. » Amro’lkaïs ayant reçu le manteau, le revêtit avec une grande joie; mais le poison pénétra rapidement dans son corps, et sa peau se détacha : c'est pourquoi on l'a nommé Zou'lkourouh, l'homme couvert d'ulcères. Lui-même a fait allusion à cela dans ces vers :

Tammâh a conçu l'espoir, du fond de son pays, de me revêtir d'un manteau plus mauvais que celui qu'il porte lui-même ;

Oh ! si ma douleur était celle d'une vie qui s'éteint d'un seul coup![72] Mais hélas ! c'est une vie dont une portion s'en va, et ensuite une autre !

Etant parvenu à une des villes du pays des Grecs, nommée Ancyre, il alla y séjourner en disant :

L'homme[73] aux discours étendus, aux coups de lance qui font jaillir le sang, Aux plats servis avec profusion, vient d'arriver dans le pays d'Ancyre.

Il vit alors le tombeau d'une princesse, morte dans cette ville, et qu'on avait enterrée au pied d'une montagne nommée Asîb. Ayant appris cette circonstance de son histoire, il prononça ces vers :

O ma voisine! le temps d'aller te visiter est proche; je vais me fixer dans une demeure que je ne quitterai pas tant qu'Asîb restera debout.

O ma voisine! nous sommes tous deux étrangers en ce lieu, et l'étranger est toujours le parent de l'étranger.

Il mourut ensuite et il fut enterré à côté de cette femme, et son tombeau y est encore :[74]

J'ai appris l'anecdote suivante de Mohammed, fils de Kasim, qui la tenait de Khalid ben-Saïd, qui l'avait entendu raconter ainsi à Abd el-Malik, fils d'Omaïr :

Lors de l'arrivée d'Omar, fils de Hobeïra,[75] à Koufa, il fit venir dix des personnages marquants de la ville, dans le nombre desquels je me trouvais. On passa la soirée chez lui en conversation, et il dit : « Que chacun d'entre vous me raconte une histoire, et toi, Abou-Omar, commence. » Je lui répondis : « Puisse Dieu favoriser notre émir ! Veut-il entendre une histoire ou un conte ? » Sur son désir d'entendre une histoire, je commençai le récit suivant : Amro’lkaïs avait fait serment de ne jamais épouser une femme sans lui avoir demandé auparavant ce qu'étaient huit et quatre, et deux. Il se mit alors à courtiser les femmes; et quand il leur faisait cette demande, elles répondaient : Ce nombre égale quatorze. Il arriva qu'en voyageant, il rencontra, vers minuit, un homme qui portait sa petite fille, belle comme la lune dans la nuit où elle est à son plein. Frappé de sa beauté,[76] il lui dit : « Jeune fille, qu'est-ce que huit et quatre, et deux? » A quoi elle répondit : « Huit est le nombre des mamelles de la chienne, quatre celui des pis de la femelle du chameau, et deux celui des seins de la femme. » Satisfait de cette réponse, il la demanda en mariage à son père, qui la lui accorda, et elle convint avec lui que la nuit de la consommation du mariage elle le questionnerait sur trois choses. Il accepta cette condition, et elle exigea aussi qu'il lui amènerait cent chameaux, dix esclaves, dix jeunes garçons pour la servir, et trois chevaux ; ce qu'il fit. Il envoya ensuite un esclave pour lui porter en cadeau une outre de beurre, une autre de miel, et un manteau d'étoffe rayée du Yémen. Cet esclave, s'arrêtant près d'une citerne, déploya le manteau et s'en revêtit; mais il s'accrocha à ses cheveux, et fut déchiré en long. Il ouvrit ensuite les deux outres et en donna à manger aux gens à qui la citerne appartenait, en sorte qu'elles furent en partie vidées. Il arriva ensuite à la tribu de cette femme; et tomme les hommes étaient tous sortis, il lui demanda des nouvelles de son père, de sa mère et de son frère, et lui présenta les cadeaux. Elle lui répondit : « Dis à ton maître que mon père est parti pour rapprocher une chose éloignée et éloigner une chose proche; que ma mère est allée fendre une âme en deux; que mon frère regarde[77] le soleil ; que votre ciel s'était fendu et que vos deux vases sont demi-nues. » L'esclave, de retour, rapporta ce message à son maître, qui dit : « Quant à ces paroles : Mon père est allé rapprocher une chose éloignée et éloigner une chose proche, cela veut dire qu'il est allé contracter une alliance avec une autre tribu contre la sienne. Les mots : Ma mère est allée fendre une âme en deux, signifient qu'elle est sortie pour accoucher une femme. Par les mots : Mon frère regarde le soleil, elle voulait dire que son frère était à garder un troupeau au pâturage, et qu'il attendait le coucher du soleil pour le ramener. Par les mots : Votre ciel s'est fendu, elle indiquait que le manteau que je lui avais envoyé s'était déchiré ; et elle donnait à entendre par : Vos deux vases sont diminués, qu'on a retiré une partie du contenu des deux outres que je t'ai envoyé lui porter. Dis-moi donc la vérité. L'esclave répondit : Maître, je me suis arrêté près d'une des citernes qui appartiennent aux Arabes du désert, et on m'a demandé qui j'étais; à quoi je répondis que j'étais ton cousin. Je déployai alors le manteau, et il se déchira; et j'ouvris les deux outres, et je donnai une partie de leur contenu à manger aux gens de cette citerne. Amro'lkaïs répondit : « Malheur à toi![78] »

« Il se mit alors à conduire vers sa femme une centaine de chameaux, ayant avec lui son esclave. Arrivés dans un lieu où l'on s'arrêtait pour se reposer, l'esclave alla tirer de l'eau pour les chameaux, et comme il n'avait pas assez de force, Amro'lkaïs se mit à l'aider. L'esclave alors le jeta dans le puits et mena le troupeau chez la femme, en disant aux gens de la tribu qu'il était son mari. On lui annonça donc que son mari était arrivé, et elle répondit : « Par Dieu ! je ne sais si c'est lui ou non,[79] mais tuez un chameau pour le fêter, et donnez-lui l'estomac et la queue, » ce qu'on fit. Alors elle ordonna de lui donner à boire du lait aigre; on lui en donna et il le but. Elle leur dit alors de lui faire un lit près du lieu où étaient le sang et les excréments des entrailles du chameau égorgé. Le lit dressé dans cet endroit, l'esclave s'y coucha et dormit. Le lendemain elle le fit venir et lui dit : « Je veux te faire quelques questions. » Il répondit : « Demande ce que tu veux. —- Pourquoi, dit-elle, tes lèvres tremblent-elles? » Il répondit : « C'est un signe que je vais t'embrasser. » Elle demanda ensuite : « Pourquoi tes flancs sont-ils agités ? — Cela est un signe que je vais te serrer dans mes bras.[80] » Elle s'écria alors : « Saisissez l'esclave, et qu'il vous aide dans vos travaux ; » ce qui fut fait. Or, des passants ayant retiré Amro'lkaïs du puits, il retourna à sa tribu prendre une centaine de chameaux, et il revint trouver sa femme, à qui on annonçait son arrivée. Par Dieu, dit-elle, je ne sais si c'est mon mari ou non; mais, toutefois, tuez pour lui un chameau, et donnez-lui à manger l'estomac et la queue. » Quand on lui présenta ces morceaux, il dit : « Où est donc le foie, la bosse et les parties de la croupe?[81] » et il refusa de manger ce qu'on lui offrit. Quand, d'après l'ordre de sa femme, on lui présenta du lait aigre, il demanda où était le lait frais, encore chaud, et le lait aigre mélangé de lait doux. Elle ordonna ensuite de faire son lit près des entrailles et du sang du chameau ; mais il refusa d'y coucher, et il leur dit de le faire sur la colline rouge, et d'y dresser une tente. Elle envoya ensuite le chercher, et lui dit : « Viens donc remplir les conditions que je t'avais imposées, relativement aux trois questions que je devais te faire. » Il répondit : « Demande ce que tu veux. » Elle lui dit : « Pourquoi tes flancs tremblent-ils? — Parce que je vais porter des vêtements du Yémen.[82] » Elle lui demanda ensuite : « Pourquoi tes cuisses tremblent-elles? — Parce que je vais donner des coups de talon  à mes montures. » Tout de suite elle s'écria : « Voilà bien mon mari ; recevez-le comme tel, et tuez l'esclave ; » ce qui fut fait, et Amro'lkaïs consomma son mariage avec cette jeune fille.[83] »

Quand cette histoire fut terminée, Ebn-Hobaïra dit : « En voilà assez; aucune histoire qu'on nous rapporterait cette nuit ne vaudrait la tienne, ô Abou-Omar ! et tu ne saurais nous raconter rien qui nous plaise davantage. » Nous le quittâmes alors pour retourner chez nous, et il ordonna de me porter des cadeaux.[84]

 

 

FIN DE L'EXTRAIT DU

                                                                  KITAB EL-AGHANI.

 

 


 

[1] Il y en avait cinq, savoir : Dhou'l-medjaz, près du mont Arafat, El-Madjanna et Mina, près de la Mecque, Okaz, dans le désert entre Nakhla et Thaîf-, et Honain, entre Thaïf et La Mecque.

[2] Nous disons avant l'an 564, car nous apprenons par Ménandre que, pendant les négociations du traité de paix entre Chosroès et Justinien qui eurent lieu dans l'an 562, on avait réclamé pour Amr, fils de Moundhir, une subvention d'une centaine de livres pesant d'or parce qu'elle avait été payée par l'empereur des Grecs à son prédécesseur. Excerpta de legationibus dans le Corpus script. hist. Byzant. Édition de Bonn, t. I, p. 358.

[3] Voyez Corippus, de laud. Justinii.

[4] Ceci n'est pas exact, car quelques lignes plus loin l’auteur donne, d'après Ebn-el-Aarâbi, une autre généalogie de Kinda, entièrement différente de celle-ci. Nous devons ajouter que celle qui est donnée par Ebn-Kotaîba ne s'accorde, dans les détails, avec aucune des précédentes. Voy. Eichhorn, Monumenta antiqua Arabum, p. 140 et suiv. On rencontre les mêmes incertitudes dans l’Ansâb el-Arab, man. de la Biblioth. du roi. Tous cependant font descendre Kinda, de Zeïd fils de Kahlân.

[5] Ce vers ne se trouve pas dans les deux manuscrits des poèmes d'Amro'lkaïs dont nous avons suivi l'autorité, mais il se lit dans celui de M. Fauriel, où il fait partie du kasida qui commence par .

[6] Le mot  signifie « un lieu de demeure fixe » et s'emploie comme l'opposé de  le « désert, la vie nomade. »

[7] Cette tribu célèbre, originaire de Khaïbar, est encore aujourd'hui très nombreuse et très puissante ; elle occupe le désert qui sépare la Syrie de la Mésopotamie. Voyez Burckhardt, Notes on the Bedouins, Londres, 1831.

[8] Suivant l'auteur du commentaire sur le Makçoura d'Ebn Doraid, ms. de la Bibl. du Roi, n° 490, le vrai nom de notre poète était Hondodj, mot qui, employé comme nom appellatif, signifie « une étendue de sable qui produit des plantes de différentes espèces : » le commentateur ajoute que le mot kaïs signifie « force, » et que le nom d'Amro’lkaïs signifie « l'homme de la force. » Il dit aussi que quelques-uns regardent le mot kaïs comme le nom d'une idole. Le même auteur nous apprend qu'Amro'lkaïs était aussi nommé Ed-Dhaïd, à cause de la locution suivante qu'il avait employée dans un, de ses poèmes : je lance mes vers au loin dans les pays. Doulet-Schah-Samerkendi, dans l'introduction à son Histoire des poètes, dit qu'Amro'lkaïs fut nommé Ma es-Semâ, mais cela ne nous paraît pas exact. Hariri, dans son Molhat el-Irâb, le cite sous le nom d'Alkindi.

[9] Le mol , signifie proprement « ceux qui rapportent de vive voix des anecdotes historiques et des morceaux de poésie « qu'ils ont appris par cœur. » C’est par eux que les ouvrages des poètes antérieurs à l'islamisme furent conservés jusqu'à ce que le goût de l'étude des anciens monuments de la littérature arabe devint général chez les musulmans. Hammad et Asmaï sont deux des plus célèbres rawi.

[10] Comparer avec ceci le récit d'Ebn-Nabata rapporté par Rasmussen dans son Historia arabum anteislamica, p. 57 et suiv.

[11] Comme M. Quatremère publie actuellement dans la troisième série du Journal asiatique une notice très étendue sur le Kitab el-Aghani, nous nous contenterons d'y renvoyer le lecteur.

[12] Malgré de longues recherches, nous n'avons pu réussir à vérifier l'orthographe de ce nom.

[13] Comparez Abou'lféda, Historia anteislamica, page 88.

[14] Peut-être devons-nous lire dans le texte arabe : . Voyez Aboulféda, Historia anteislamica, page 88, ligne 20.

[15] Khâdhir, selon l'auteur du dictionnaire géographique intitulé : est une ville du Yémen faisant partie des dépendances de Sanaa, ; nous soupçonnons cependant que l'endroit dont il s'agit ici doit être situé dans l'Irak. Nahrowân est une ville de l'Irak, située au midi de Baghdâd. Medaïn, l'ancien Ctésiphon, est situé sur le Tigre, à une journée de Baghdâd, en descendant le fleuve.

[16] Le nom de Nouchirevan est composé de doux, bon, et âme. Il paraît qu'en ancien persan on disait . On pourrait croire que ce nom lui a été donné par antiphrase. (Note communiquée par M. le baron Silvestre de Sacy.)

[17] La ville d'Anbâr est située sur l'Euphrate, à une journée de Baghdâd. Voyez la Chrestomathie arabe, 2e éd. t. II, page 326.

[18] El-Thawiya est un lieu voisin de Koufa. Voyez la Chrestomathie arabe, tome III, page 59.

[19] L'auteur du Kitab merâsid el-Ittilâ dit que Djefr el-amlâk est un lieu voisin de Hîra.

[20] Voyez Chrestom. arabe, tome II, page 448.

[21] Voyez le Moallaka d'Amr ben-Kelthoum, vers. 72, éd. Rosegarten, Iéna, 1819.

[22] Plusieurs des tribus arabes, même dans les temps antérieurs à l'introduction de la religion musulmane, lavaient les corps des morts avant de les enterrer.

[23] Ces vers ne se trouvent pas dans les deux manuscrits de la Bibliothèque du roi qui renferment les poésies d'Amro'lkaïs.

[24] A la lettre : était pour lui une pierre d'achoppement. Le verbe , que nous avons rendu par épargner, signifie pardonner, et  demander absolution.

[25] La ville de Hît est située sur la rive droite de l'Euphrate, à vingt et une parasanges au-dessus d'Anbâr. Voyee la Géographie d’Aboulféda.

[26] L'auteur du Kitab merâsid el-Ittilâ, après avoir fixé la prononciation de ce nom, dit que c'est une vallée dont N'abegha fait mention dans ses poèmes. Il ne donne pas d'autre renseignement.

[27] Voyez l'Anthol. gramm. arabe de M. le baron Silvestre de Sacy, p. 147 et 455.

[28] Taïmâ est situé dans le désert entre l'Arabie et la Syrie et à l'est de Tebouk.

[29] Voyez Rasmussen, Hist. arab. anteislam., page 116, et Aboulféda, Hist. anteislam., p. 144.

[30] Voy. Eichhorn, Monum. hist. arab., pages 57 et 88, et Hamaça.

[31] Le texte arabe, dans cet endroit, est altéré, mais le sens n'offre aucune difficulté.

[32] Les tentes écarlates étaient un indice des richesses et du pouvoir de ceux qui les possédaient.

[33] Nous regardons le mot  comme synonyme de .

[34] On sait que les Arabes des temps antérieurs à Mohammed croyaient qu'une chouette sortait des os de l'homme assassiné et qu'elle ne cessait de crier : donnez-moi à boire! donnez-moi à boire ! jusqu'à ce qu'on eût tiré vengeance de l'assassin. Le poète fait peut-être allusion à cette opinion. Voyez Pococke, Specimen Hist. arab. page 140; Rasmussen, Additamenta ad Hist. arab., p. 63; M. Quatremère, Mémoire sur Meïdani, Journal asiatique de mars 1838.

[35] Voyez le proverbe Meidani proverb. arab. pars, cura Schultens. p. 274. Le neschem est un arbre dont les branches servaient à faire des arcs et des flèches. Le thomâm est une espèce de chaume dont les Arabes nomades couvraient leurs cabanes et en bouchaient les fentes.

[36] Le dogme de la résurrection était admis par plusieurs tribus arabes dans les temps antérieurs à l'islamisme. Voy. Pococke, Spécimen Hist. arab., page 139, et Moroudj ed-dhaheb, chap.47.

[37] On passe à travers le cartilage du nez des chameaux un anneau de cuir, de bob ou de métal auquel on attache la corde par laquelle on les conduit.

[38] Quand le devin prononçait ses oracles, c'était Dieu qu'on croyait entendre parler par sa bouche ; c'est pourquoi Auf s'est servi de ces mots : « O mes serviteurs ! » et les Bènou-Asad lui ont répondu lebbaika, locution rarement employée, excepté envers Dieu.

[39] Le texte arabe, ici, parait fautif, et nous ne garantissons nullement l'exactitude de notre traduction.

[40] C'est-à-dire « tout le monde se mit en route ».

[41] Cette signification de la quatrième forme du verbe , ne se trouve pas dans les lexiques; cependant il est bien certain qu'il est souvent employé avec le sens de se faire valoir, être orgueilleux et hautain, de même que les mots  et  signifient en général l'orgueil. Comparez les passages suivants de la Chrestomathie arabe: t. I et tome III. Voyez aussi Hamâça.

[42] Nous ne sommes pas certain d'avoir bien rendu l'expression arabe ; il est possible même que le texte de cet endroit soit altéré.

[43] Voyez, sur la signification du mot , l’Anthol. grammat., p. 42.

[44] C'est-à-dire, les faire prisonniers et les renvoyer après leur avoir coupé les cheveux du front que l'on gardait ensuite dans son carquois, comme un trophée. Voyez Rasmussen, Additamenta ad historiam Arabum; Hamâça, M. le baron Silvestre de Sacy, Anthol. gramm., p. 304; et Mémoire sur l'origine et les anciens monuments de la littérature arabe, Paris, 1805, page 141. Amro'lkaïs n'est pas le seul poète arabe qui ait porté la vengeance si loin : Shanfera, qui se crut insulté par les Bènou-Salaman, avait fait un vœu semblable et l'avait exécuté. Mahomet, en établissant la loi du strict talion, mit des limites à cette soif de vengeance, si forte chez les Arabes, et il pouvait dire avec raison : « dans cette loi du talion, vous trouverez la vie. » Coran, sur. 2, v. 175 ; Zamakhschari, Kesschaf.

[45] Ce vers ne se trouve dans aucun des manuscrits des poèmes d'Amro'lkaïs.

[46] Parce qu'il les invitait alors à manger avec lui.

[47] Le lecteur peut comparer ce fragment avec le même morceau, tel qu'il se trouve dans notre Recueil du texte arabe.

[48] Nous avons omis de traduire la ligne suivante où l'auteur explique la signification  du verbe . On la trouve du reste dans les lexiques.

[49] A la lettre : « mange-les, car ils sont bons à manger. »

[50] Cette expression passa en proverbe. On la trouve, mais sans explication, dans Meidani, au proverbe . Dans notre traduction, nous avons adopté l'explication que nous en a donnée M. Silvestre de Sacy. Nous devons faire observer que dans le Hamâça, on a lu le mot  au nominatif, ce qui nous obligerait à l'entendre de cette manière : Si l'on disait qu'elles étaient les jambes d'un perfide, ce serait bien pis. Ici la construction serait analogue à celle du proverbe suivant qui se dit d'un poltron :

Du reste, on lit dans le Hamâça que ce proverbe s'emploie en parlant d'une personne peu à l'aise, mais ayant de bonnes qualités.

[51] Par ce sarcasme elle donnait à entendre à son père qu'il aurait été plus gras s'il se fût toujours montré moins honnête homme.

[52] On pourrait rendre ce passage ainsi : « Tire donc vengeance (de ceux qui l'ont mérité) et poursuis-les. »

[53] Younos ben-Habib était un grammairien fort célèbre. Voyez Anth. gramm., page 41.

[54] Le lecteur peut consulter sur Rouba l’Anth. gramm., p. 125.

[55] Nous avons rempli la lacune du Kitab el-Aghani suivant la leçon du man. C.

[56] L'expression arabe employée ici est on ne peut plus insultante ; elle signifie à la lettre : suge clitoridem matris tuœ.

[57] Le nom arabe signifie : « un homme très généreux, un homme hors du commun. »

[58] Par conséquent il était regardé comme fils légitime de Debâb.

[59] Ces deux vers sont le quatrième et le premier du poème qui se trouve p. 32 de notre recueil. La leçon du Kitab el-Aghani ne vaut rien, ainsi, dans la traduction, nous avons suivi l'autre.

[60] Quand un individu d'une tribu commettait quelque crime contre un membre d'une autre tribu, il rendait la sienne responsable de ses méfaits, à moins qu'ils n'eussent fait auparavant, à la grande foire d'Okâz , ou autre part, une déclaration publique de leur intention de ne plus être responsable de ses actions, de ne plus vouloir le protéger et d'être prêts à le livrer à la famille qui aurait à se plaindre de lui; cet homme était alors rejeté. Voyez Amro’lkaïs, Moallaca, éd. de Hengstenberg. Il est vrai qu'il n'y avait que les tribus faibles qui abandonnaient ainsi leur frère, car le premier mérite d'un chef arabe était de protéger, à quelque prix que ce fut, les membres de sa tribu et les malheureux qui venaient se réfugier chez lui.

[61] Les mots  et  ne se trouvent pas dans les lexiques, mais ils doivent être des noms d'action ou de la première ou de la seconde forme des verbes  et , car le nom d'action de la forme , peut appartenir à ces deux formes du verbe trilitère. Voyez la Grammaire arabe de M. le baron Silvestre de Sacy, t. I, p. 283, 989. Il est vraisemblable qu'ils appartiennent à la seconde forme du verbe, employée pour exprimer la fréquence de l'action.

[62] Ces deux vers sont très obscurs dans le texte arabe, et nous ne sommes pas sûr du sens.

[63] A la lettre : « Jusqu'à ce qu'il vit l'essence de ce qui lui était caché, ou de sa destinée future, essentiam absconditi sui. »

[64] A la lettre : « Vous faillîtes être mangé. »

[65] A la lettre : « Soit qu'il s'agisse de celui qui te doit ou du créancier qui t'opprime. »

[66] On voit par ceci que l'auteur regardait Samouel comme étant d'extraction juive. Ebn-Doreïd, cité dans une note de Hariri, dit qu'il n'était pas d'origine arabe; voyez cependant Rasmussen, Hist. Arab. anteislam., p. 59, note 3.

[67] Nous avons suivi la leçon indiquée dans l'observation suivante, en lisant  à la place de .

[68] Ce morceau se trouve parmi les autres poèmes d'Amro'lkaïs, à la page 37 du texte arabe.

[69] Nous n'avons pas rendu, dans notre traduction, le mot , ne sachant pas sa signification et soupçonnant qu'il y a ici une faute de copiste.

[70] On trouve dans le t. IV du Kitab el-Aghani, l'histoire de Samouel et de ce qui arriva au sujet de ses cuirasses qu'il ne voulait jamais livrer qu'à Amro'lkaïs en personne ; voyez aussi Rasmussen, Additamenta ad hist. arab. et Hariri.

[71] Les vers en question sont le quatorzième et suivants du premier poème de notre collection. Voyez le Commentaire sur le vers 32 du Makçoura, d'Ebn-Doreïd, manuscrit appartenant à M. le baron Silvestre de Sacy. Le savant Reiske avait déjà mentionné qu'Amro’lkaïs eut une intrigue avec une personne de la famille impériale, mais comme on a exprimé des doutes sur cette circonstance, nous transcrirons ici un passage du ms. n° 490, de la Bibliothèque du roi, qui servira à confirmer, s'il est nécessaire, les récits d'Ebn el-Kelbi et du commentateur du Makçoura, que nous venons de nommer.

 « Amro’lkaïs était beau de figure et l'empereur avait une fille très belle. Un jour Amro’lkaïs, en se rendant chez le père, aperçut cette princesse qui se trouvait sur la terrasse d'un de ses palais. Aussitôt il en devint amoureux, il entra en correspondance épistolaire avec elle, et elle répondit à sa passion. On fait allusion à cela dans ces vers : Et je lui disais par la main droite de Dieu, etc. (Voyez p. 21, l. 8 de notre Recueil). « Quelques personnes prétendent que l'empereur la lui donna en mariage. »

[72] Nous avons suivi la leçon des manuscrits des poèmes d’Amro’lkaïs dans lesquels on lit  à la place de . Ce dernier mot pourrait signifier « d'une manière uniforme. »

[73] A la lettre : « bien des discours étendus, bien des coups de lance, etc. »

[74] L'auteur de la notice sur Amro'lkaïs, ms. ar. de la Bib. du roi, n° 490, dit que plusieurs personnes ont assuré que les Grecs avaient élevé une statue à Amro'lkaïs, selon leur habitude quand ils voulaient honorer quelqu'un.  Il rapporte aussi que le khalife Mamoun dit avoir vu cette statue à Ancyre.

[75] Gouverneur de l'Irak, pour le khalife Merwan.

[76] Abd el-Malik ne dit pas comment Amro'lkaïs a pu juger de la beauté de cette jeune fille dans l'obscurité.

[77] Le verbe arabe signifie « regarder, et garder un troupeau. »

[78] On peut consulter, sur l'expression  l'édition de Hariri par M. de Sacy, page 122.

[79] Cependant elle devait bien le savoir, puisqu'elle avait déjà vu Amro'lkaïs quand il l'avait demandée en mariage, et elle avait dû reconnaître l'esclave qui lui avait apporté les cadeaux de la part de son maître.

[80] Dans le texte arabe il y a une troisième question et réponse que nous donnons ici en latin : « Dixit : quare tremunt coxae tuae? Respondit : signum est me te illis compressurum fore. »

[81] Ce sont les meilleures parties de l'animal et les plus recherchées.

[82] Cette réponse ne paraît guère claire.

[83] Cette histoire, bien qu'assez curieuse, ne nous paraît guère véritable, malgré ce qu'en dit Abd el-Malik. Il est bon d'observer que Hadgi Khalfa, dans son Dictionnaire bibliographique, parle d'un art nommé , par lequel on prétendait deviner, d'après le tremblement involontaire des membres du corps d'un individu, ce qui devait lui arriver. Ce même phénomène a été employé aussi comme moyen diagnostique dans les maladies. On a même composé quelques courts traités sur cet art, dont on attribue l'origine aux Persans, aux habitants de l'Irak et à ceux de l'Inde, et il existe un de ces traités parmi les manuscrits du fonds de Saint-Germain-des-Prés. Il est probable donc que les Arabes l'auraient reçu de la Perse, vu les fréquentes relations qui existaient, dans les temps antérieurs à Mahomet, entre ce pays et les provinces de Bahreïn et de Yémen.

[84] L'auteur du Kitab el-Aghani dit ensuite que Sibawaïh rapportait avoir entendu raconter à Khalil ben-Ahmed que quelques personnes de la tribu d'Asad s'étaient rendues auprès d'Amro'lkaïs pour tâcher de l'amener à un arrangement. Il les fit traiter avec honneur, et le troisième jour après leur arrivée il se présenta à elles tenant une lance et ayant la chaussure noire et le turban de la même couleur. Or les Arabes ne portaient jamais le turban noir excepté quand ils avaient une vengeance à exercer. Un des membres de cette députation lui fit un discours pour le fléchir, mais tout ce qu'il put dire fut inutile. Nous aurions bien voulu donner le texte de ce discours, dont le style nous paraît généralement être plein d'élégance, et digne de l'attention que Sibawaïh et Khalil ben-Ahmed lui avaient donnée, mais malheureusement il est tellement altéré par le copiste, qu'il aurait été impossible de le rétablir; on ne saurait croire jusqu'à quel point il a été défiguré. Ainsi, à notre grand regret, nous avons renoncé à l'intention de le publier.