Abou-Kurra

Théodore ABOU-KURRA

 

TRAITÉ DES ŒUVRES ARABES

 

 

Traduction française : Constantin Bacha

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

 

TRAITÉ DES ŒUVRES ARABES

DE

Théodore ABOU-KURRA[1]

 

EVÊQUE DE HARAN

 

PUBLIÉ ET TRADUIT EN FRANÇAIS POUR LA PREMIERE FOIS

 

Par le P. Constantin BACHA,

 

RELIGIEUX BASILIEN DE SAINT-SAUVEUR DU DIOCÈSE DE TRIPOLI

 

 

 

 

PRÉFACE

 

Théodore Abou-Kurra, le dernier des docteurs de l'Eglise grecque en Syrie, est regardé comme le premier parmi les écrivains melchites, qui représentent la foi catholique dans ce pays. Ses Œuvres grecques, publiées avec traduction latine dans la Patrologie grecque de Migne,[2] ont été l'objet des travaux de plusieurs savants. Ses Œuvres arabes, dont nous avons publié la partie la plus considérable, intéressent à plus d'un titre les Orientalistes.[3] Elles constituent, en effet, le plus ancien ouvrage de la littérature chrétienne en arabe, et sont un modèle de style de cette littérature dans son âge d'or ; mais elles présentent encore une apologie et une défense de la foi catholique en Orient, divisé alors par tant de sectes. Le théologien y trouve surtout un témoignage très précis de l'Eglise grecque en Syrie au sujet de la primauté de saint Pierre et de celle de ses successeurs un peu avant que Photius n'essayât à Constantinople de nier ce dogme.

I

Plusieurs ont essayé d'esquisser la vie de l'Auteur ; mais, faute de documents, ils n'ont réuni que des données assez maigres et souvent contradictoires. Nous-même avons dû nous en remettre au P. Cheikho, S. J., pour la note mise en préface de ce traité d' Abou-Kurra publié seul pour la première fois dans la Revue Al-Machrih. Mais, profitant de notre passage à Paris, nous avons cherché et trouvé, à la Bibliothèque Nationale, quelques documents qui nous permettent du moins d'éclaircir certains points obscurs dans la biographie de l'Auteur.

D'après la Chronique de Michel le Syrien, patriarche jacobite du XIIe siècle,[4] Théodore Abou-Kurra est originaire d'Edesse en Mésopotamie[5] ; Abou-Kurra lui-même le déclare dans le xxiiie chap. de son traité sur le Culte des saintes Images, en appelant Edesse « notre ville. »

On ne connaît pas exactement l'année de sa naissance ; mais on doit la placer dans la première moitié du viiie siècle pour qu'il puisse avoir vu saint Jean Damascène, qui est mort avant 754[6] et qu'Abou-Kurra reconnaît pour son maître.[7]

De même on ne sait presque rien de la jeunesse de Théodore, mais on est en droit de croire qu'il a commencé ses études à Edesse sa patrie, ville célèbre par ses écoles ; et, plus tard, il les a achevées au couvent de Saint-Sabba en Palestine, où il se lit religieux et fut disciple de saint Jean Damascène. Il écrit, en effet, dans sa lettre à son ami David, « qu'ils se sont rencontrés la première fois à Jérusalem, où ils ont prié ensemble. »

Cette lettre paraît même avoir été écrite à Saint-Sabba. Cela résulte encore de sa lettre dogmatique rédigée en arabe et traduite en grec par Michel, prêtre et syncelle de Thomas, patriarche de Jérusalem, et de son titre glorieux de disciple de saint Jean Damascène.

Ce célèbre monastère fut pendant plusieurs siècles la principale pépinière d'évêques pour les trois patriarcats de Jérusalem, d'Antioche et d'Alexandrie. On voit à cette époque, à Saint-Sabba, un autre Théodore d'Edesse, qui devint supérieur et, plus tard, archevêque d'Edesse ; il avait avec lui, dans ce monastère, un de ses parents qui se nommait Michel et qui souffrit le martyre à Jérusalem. Basile, évêque d'Emèse, qui a écrit en grec la biographie de l'Archevêque d'Edesse, était son neveu, son diacre et son compagnon à Saint-Sabba.[8] Basile, évêque d'Hiérapolis (Mabboug), qui a écrit cette biographie en arabe, se vante d'être le disciple de ce saint Théodore.[9] On voit aussi dans cette biographie qu'un homme riche d'Edesse, après avoir quitté sa femme et ses enfants, vint se faire religieux à Saint-Sabba, où le plus jeune de ses enfants — qui devait devenir patriarche de Jérusalem — vint aussi passer une partie de sa vie. Les rapports entre Edesse et Saint-Sabba semblent donc avoir été fréquents à cette époque.

Aussi, c'est dans ce monastère qu'Abou-Kurra se perfectionna dans la science grecque et dans la nouvelle philosophie chrétienne fondée par son maître Jean Damascène, dont il fut plus tard l'imitateur et l'interprète ; de sorte que nous pouvons dire : Il lui était réservé de mettre dans un arabe pur et classique la doctrine grecque de saint Jean Damascène.[10]

D'après Michel, Théodore fut nommé évêque de Haran de Mésopotamie.[11] Edesse avait perdu beaucoup de son ancienne splendeur ; ses murs étaient ruinés et elle était un objet de pillage pour ceux qui se révoltaient contre les Califes.[12] Haran avait plus d'importance; elle était un centre religieux non seulement pour les païens qui y étaient nombreux, mais encore pour les juifs, les musulmans et les chrétiens de toutes les communautés. Outre les Catholiques, les Nestoriens et les Jacobites y possédaient de belles églises, objets de la jalousie des infidèles. Les Manichéens, ancêtres, selon quelques-uns, des Yezidis d'aujourd'hui, y étaient aussi nombreux ; les historiens syriens et arabes nous renseignent suffisamment sur l'existence de ces sectaires à Haran. Les autres sectes que

Théodore combat dans ses écrits, en grec et en arabe, devaient avoir des représentants à Haran et dans son voisinage. Michel rapporte que Cyriacus, le patriarche jacobite à cette époque, y réunit un synode dans lequel étaient les évoques julianistes et leur chef Gabriel, avec les évêques jacobites, en vue de faire l'union entre les deux partis ; mais il ne réussit pas.

Les Catholiques ne devaient donc pas être bien nombreux à Haran ; on leur donnait le nom de Melchites[13] et de Chalcédoniens, parce qu'ils étaient soumis aux décrets du IVe Concile œcuménique de Chalcédoine ; on les appelait encore Maximites pour les distinguer des Monothélites qui acceptaient aussi le Concile de Chalcédoine. Cependant Théodore était bien vu de tous, non seulement pour sa qualité d'évêque, mais encore pour ses vastes talents et sa connaissance profonde du grec, de l'arabe et du syriaque. Ses adversaires eux-mêmes lui donnaient, dans leurs polémiques avec lui, le nom de Sage ou de Philosophe.[14] Son nom, dans ses écrits, est souvent suivi de ce dernier qualificatif ou de celui de Docteur et Théologien. Ses sermons étaient lus à l'église aussi bien que ceux de saint Jean Chrysostome et ceux de saint Basile, d'après les anciens sermonnaires en arabe.

Michel, comme jacobite fanatique, dit qu'il a été déposé par son patriarche d'Antioche Théodoretus, à cause des accusations portées contre lui au sujet de la doctrine de Maxime qu'il prêchait avec zèle. Il dit encore : « Quand il vit que les Chalcédoniens n'acceptaient pas cette doctrine, il chercha à parcourir l'Occident et induisit en erreur beaucoup de gens simples parmi les Maximites. Il alla à Alexandrie, et comme il était un sophiste il disputait par ses arguments, et comme il connaissait la langue sarrasine (arabe), il faisait l'admiration des gens simples. Mais comme il ne réussit pas à Alexandrie, il partit pour l'Arménie. Il arriva près de Asôd le Patrice, et, dès la première rencontre, il le séduisit et se le rendit favorable... Mais le patriarche jacobite ne tarda pas à envoyer Nonnus, l'archidiacre de Nisibe, qui eut deux discussions religieuses avec Abou-Kurra en présence du même patrice qu'il gagna avec toute sa famille à sa doctrine. »

Le manuscrit arabe 159 de la Bibliothèque Nationale de Paris renferme des lettres polémiques d'Abou-Raïta, métropolite jacobite de Tagrit. La seconde lettre (p. 81), qui a pour titre « Réfutation des Melchites au sujet de l'union », est adressée à ce patrice qui l'a invité pour faire devant lui une discussion religieuse avec Abou-Kurra. Dans cette lettre Abou-Raïta s'excuse près du patrice de ne pouvoir venir accomplir son ordre réitéré deux fois et lui envoie cette lettre avec son parent le diacre Elien pour discuter avec Abou-Kurra.

Une autre, qui a pour titre « Justification de l'addition au Trisagion de « qui a été crucifié pour nous », est adressée à ce patrice qu'il nomme Asôha, fils de Sembat ; elle renferme la réponse aux attaques d' Abou-Kurra contre cette addition. Abou-Raïta appelle son adversaire Melchite, Chalcédonien, Maximite, et l'accuse de nestorianisme caché. Il s'applique à lui montrer l'usage de cette addition chez les Maronites qui sont cependant des Chalcédoniens ; il cite encore la prière chantée à la Messe chez les Melchites en grec et en arabe, et dans laquelle ils disent : « Vous fûtes crucifié, ô Christ notre Dieu.[15] »

Le ms. 82 renferme une autre petite controverse faite en présence d'un Vizir par Abou-Kurra, évêque melchite, Abou-Raïta, jacobite, et Abd-Iesuh, nestorien, dans laquelle chacun a prouvé sa doctrine particulière, de manière que le Vizir les loua tous, comme le dit le copiste en terminant.

Michel rapporte ces faits en l'an 1125 des Grecs (813). Théodoret, le patriarche d'Antioche, est mort en 813. Asôd est mort en 822, d'après Samuel d'Ani.[16] Le patriarche jacobite Cyriaque est mort en 1128 (816). Abou-Raïta et Nonnus étaient les accusateurs de Philoxenus de Nisibe vers l'an 827.[17] Si nous ajoutons à ces nombreux et précieux documents la controverse d'Abou-Kurra avec le calife abbasside Al-Mamoun (813-833) et une autre en sa présence avec des docteurs musulmans, nous pouvons affirmer sans hésitation que Théodore vivait encore dans le premier quart du ixe siècle : mais nous ne pouvons cependant déterminer l'année exacte de sa mort.

II. — Les Œuvres arabes d'Abou-Kurra.

Nous ne parlons pas ici de ses Œuvres grecques qui sont déjà bien connues ; nous ne parlons pas non plus de ses Œuvres syriaques qui nous sont connues seulement par la simple mention de l'Auteur dans un de ses traités où il dit : « Nous avons déjà composé en syriaque trente traités pour défendre la doctrine du Concile de Chalcédoine et la Lettre de saint Léon. » Nous nous occupons seulement ici de ses écrits en arabe publiés ou manuscrits.

M. l'abbé Arendzen publia le premier un traité de Théodore Abou-Kurra avec une traduction latine sur le culte des Saintes Images d'après le manuscrit 49.30 du Musée Britannique écrit au ixe siècle.[18]

Le P. Malouf, S. J., publia aussi dans la Revue Al-Machrih un fragment de la première partie du même manuscrit. Cette première partie ne porte pas le nom de l'auteur; le P. Malouf a cru pouvoir l'attribuer aussi à Théodore Abou-Kurra à cause de la ressemblance de l'écriture et du voisinage. Mais nous avons démontré à la fin de notre édition que, vu la défectuosité de la composition de ce fragment et la grande variété de ses textes bibliques avec les mêmes passages mentionnés dans mon édition, on a raison de nier cette attribution.

Notre grande édition des Œuvres arabes d'Abou-Kurra a été faite d'après un manuscrit que j'ai trouvé dans notre bibliothèque du couvent de Saint Sauveur. Ce manuscrit a été copié en 1735 sur l'ancien manuscrit que Assemani a vu dans la bibliothèque d'Eutyme, archevêque de Tyr et Sidon, et fondateur de notre couvent.[19] Ce dernier a été écrit en 6559 de la création (1051) par le moine Agabi, du couvent de Saint-Elie, dans le district de Tripoli, sur un manuscrit plus ancien écrit à Saint-Sabba, comme le déclarent les deux copistes.[20] Mgr Basile, qui a écrit notre manuscrit, a noté des variantes sur la marge de sa copie : cela indique qu'il a utilisé le manuscrit dont il parle dans le sien avant ce traité, ou qu'il a confronté sa copie sur le manuscrit de Saint-Elie.

Nous aussi, nous avons utilisé pour notre édition deux grands fragments. Le premier, qui renferme sept pages de texte de ce traité, est rapporté dans une longue lettre qu'Eutyme, archevêque de Tyr et Sidon, a écrite en 1720 à quelques évêques orientaux pour leur démontrer la nécessité de l'union de la foi.[21] Nous avons trouvé le second fragment dans un manuscrit du xve siècle de notre bibliothèque de Saint-Sauveur. Il occupe 12 pages dans le texte de la grande édition (p. 50-62).

Cette édition en 200 pages in-8o renferme neuf traités avec une longue lettre dogmatique : nous allons en donner une courte analyse.

Le premier de ces traités (p. 9-22) est dirigé contre les infidèles et les Manichéens. Abou-Kurra prouve à ses adversaires, par des arguments philosophiques et théologiques, que l'homme est libre de sa nature, de sorte qu'il est impossible de le contraindre d'aucune manière; il réfute ensuite leurs objections tirées des textes bibliques et de la prescience divine.

Le second traité (p. 23-47) est une démonstration ou justification de la doctrine chrétienne au sujet du dogme de la Trinité ; il est dirigé contre les juifs et les infidèles. Abou-Kurra donne au commencement une définition générale de la foi ; il démontre ensuite la nécessité pratique de la foi dans cette vie, et divise ceux qui ont la foi en trois catégories : 1° Ceux qui croient seulement aux choses ordinaires de la vie humaine (positivistes) ; 2° ceux qui croient aux choses divines à l'aveugle, sans motif; 3° les croyants raisonnables qui s'appuient sur la prophétie et les miracles comme motifs de crédibilité ; et il en conclut la nécessité de la foi divine à l'inspiration des Livres saints. Il en cite plusieurs passages qui démontrent qu'il y a en Dieu trois personnes ; il les commente avec beaucoup de précision et de force. Il explique la différence entre la nature divine commune et la personne par des comparaisons qu'il trouve dans la nature créée et dans la vie pratique. Il termine en résolvant quelques difficultés que l'on trouve dans divers passages bibliques et que les infidèles objectent contre le dogme de la Sainte Trinité.

Le troisième (p. 48-71) est une excellente dissertation scolastique dans laquelle Abou-Kurra explique dans quel sens il faut admettre ces mots : « Le Verbe Eternel est mort pour nous. » Il met en parallèle les diverses croyances des hérétiques, qui se contredisent entre eux, et la foi catholique qui tient toujours le juste milieu. Il explique la doctrine catholique relative à ce dogme ; ensuite il combat les Nestoriens qui, ne croyant pas à l'union hypostatique (c'est-à-dire une seule personne en Jésus-Christ), enseignent que c'est la nature humaine seule qui a souffert la passion et la mort ; il démolit aussi les Jacobites qui enseignent qu'il a une nature composée et croient qu'il est mort dans sa divinité. Il termine cette dissertation en soumettant sa doctrine au magistère de l'Eglise. Il écrit : « Nous sommes dans tous les cas, par la grâce du Saint-Esprit, édifiés sur le fondement de saint Pierre, qui a dirigé les sept saints conciles convoqués par l'ordre de l'évêque de Rome, la Ville (métropole) de l'Univers dont le titulaire est chargé de tourner avec son Concile œcuménique vers les enfants de l'Eglise pour les affermir, comme nous l'avons démontré ailleurs dans plusieurs endroits.[22] Nous supplions le Christ de nous affermir pour toujours sur ce fondement, pour hériter son royaume en accomplissant ses commandements. Grâces à lui, avec le Père et le Saint-Esprit, dans le siècle des siècles. »

Le quatrième (p. 71-75) est une courte démonstration de l'Evangile. Dans ce petit traité, Abou-Kurra fait voir que le Christianisme est non seulement dépourvu des intérêts qui captivent le cœur ici-bas, mais fait encore une guerre acharnée aux plaisirs, aux honneurs, à la religion nationale, à l'ignorance et à tout ce qui est propre aux fausses religions dont il est diamétralement l'opposé. Ensuite, de la conversion des Gentils par la vertu des miracles des Apôtres et de la pureté de leur morale, il conclut la divinité de cette religion.

Le cinquième (p. 75-83) a pour titre : « Comment on peut connaître Dieu et prouver l'existence du Verbe Eternel. »Abou-Kurra procède en indiquant en général les voies par lesquelles on acquiert la connaissance : la vue, l'effet, le semblable et le contraire. Il traite les trois derniers en démontrant qu'ils nous conduisent comme des voies claires à la connaissance de Dieu et de ses perfections, et surtout ils nous montrent que Dieu peut avoir un fils coéternel comme le croit effectivement l'Eglise et comme l'ont enseigné les Prophètes et les Apôtres. Cette apologie délicate est adressée, selon toute apparence, aux infidèles.

Dans le sixième (p. 83-91), il explique le dogme de la Rédemption en démontrant la justice de Dieu et l'impuissance où se trouve l'homme de satisfaire Dieu par l'amour parfait qu'il lui doit et de réparer ses fautes et celles de ses semblables. Il fait voir ensuite comment la sagesse et l'amour divins ont amené l'incarnation du Verbe Eternel qui a voulu prendre sa chair de la sainte Vierge « après qu'il l'eut purifiée de tout péché », et accepter la mort de la croix pour satisfaire la justice divine pour nous. L'auteur termine ce traité en démontrant la nécessité de croire au dogme de la passion de Jésus-Christ et la nécessité de l'offrir à Dieu pour avoir part à ses mérites.

Le septième (p. 91-104) fait suite au précédent et au dernier traité qui a été déplacé pour des motifs d'impression : l'ancien scolastique, dans ce traité, combat ses précédents adversaires par des raisons tirées de l'Ecriture Sainte et de la nature. Il termine ce traité par une note intéressante sur les passages bibliques qu'il a rapportés dans ces traités : « Voilà ce que nous avons voulu composer pour prouver l'existence du Fils Eternel par les témoignages de l'Ecriture Sainte, par cœur seulement pour ne pas fatiguer le lecteur ; nous avons rapporté ces témoignages pendant que nous n'avons pas la plus grande partie de l'Ancien Testament.[23] Nous supplions donc notre lecteur de remercier le Christ notre Dieu qui nous a aidé à dire le vrai, et de nous pardonner les fautes qu'il y verra ; enfin de prier le Saint-Esprit pour éclairer nos esprits et convertir tous les lecteurs de notre livre à la foi en la divinité du Christ, dont personne ne peut qu'avec son assistance arriver à la confession, comme le dit saint Paul (Rom., x, 10), pour nous faire participer avec les confesseurs au bonheur de son royaume céleste préparé pour ceux qui croient au Christ, Dieu et Fils de Dieu. »

La lettre (p. 104-140) est adressée à un jacobite nommé David, ami d'Abou-Kurra, qui l'avait vu auparavant à Jérusalem, où ils avaient tous deux prié ensemble. David était un hérétique de bonne foi ; inquiet de quelques difficultés qu'il trouve dans la doctrine des Chalcédoniens, il prie son ami l'évêque melchite de les lui expliquer, et dès qu'il a reçu de lui cette lettre il devient orthodoxe. Abou-Kurra, au commencement de sa réponse, rappelle leurs communs souvenirs et les difficultés que son ami trouve dans la doctrine de Chalcédoine ; il le loue de sa bonne volonté et de son désir de s'instruire de la vérité, et il lui déclare qu'il est heureux de répondre à son appel et de lui aplanir ces difficultés. C'est pourquoi il s'humilie et invoque l'assistance du Saint-Esprit et le secours des saints Docteurs de l'Eglise. Il lui explique le composé humain : corps et âme, l'union des deux et la conséquence de cette union. C'est un précis de psychologie. Il lui explique ensuite l'expression « une nature composée de la divinité et de l'humanité comme l'homme qui est composé de l'âme et du corps » employée par quelques Pères, et dans quel sens il faut l'admettre ; il lui explique avec beaucoup de talent et de précision cette comparaison et ses points de similitude; il lui montre quelles conséquences absurdes s'ensuivraient si la similitude était absolue sur tous les points. C'est une parfaite dissertation scolastique sur l'Incarnation et en même temps un commentaire fidèle de la doctrine du Concile de Chalcédoine et de la lettre de Léon le Grand qu'il appelle Saint, le Pape Pur, Innocent et Bienheureux. Il termine cette lettre en exhortant son ami à quitter son hérésie et à embrasser la foi orthodoxe, et en demandant pour lui l'assistance de la » Mère de Dieu, celle de saint-Sabba, patron du couvent où le livre a été écrit et dont nous avons copié ce livre,[24] celle de tous les saints Pères qui ont la foi orthodoxe, qui reconnaissent les sept saints Conciles, avec la prière de tous ceux qui ont la foi orthodoxe du Concile de Chalcédoine, etc. »

Le huitième (p. 140-180) est le plus intéressant : c'est un résumé de la théologie catholique et un modèle de la scolastique naissante ; c'est-à-dire : c'est une démonstration de la vraie religion qui est la religion chrétienne, qui se trouve dans la doctrine orthodoxe seule. Abou-Kurra adresse cette démonstration aux juifs, aux infidèles et à tous les hérétiques de son époque qu'il énumère. Il n'a jamais connu Photius ; mais il l'a réfuté d'avance, comme s'il l'avait prévu ; il ne reconnaît pas seulement la primauté de saint Pierre et celle de ses successeurs comme un simple fait de la vie ou de l'organisation de l'Eglise, mais il le considère encore comme un fait capital et un point fondamental sur lequel il s'appuie pour combattre ses adversaires. Il établit l'institution de cette primauté par de nombreux textes bibliques qu'il commente avec beaucoup de force et de précision. Il prouve encore cette institution par des faits qu'il emprunte à l'Ancien et au Nouveau Testament à partir de la loi de Moïse qui en était la figure (Deut., xvii). Il rapporte aussi tous les Conciles œcuméniques qui ont été convoqués et présidés par saint Pierre et ses successeurs, depuis la première assemblée des Apôtres à Jérusalem jusqu'au septième Concile de Constantinople. Il discute l'autorité de chaque Concile avec les hérétiques qui ne l'acceptent pas.

Nous publions ce traité avec une traduction française pour en donner une idée exacte et établir la tradition chrétienne en Orient au ixe siècle sur la primauté de saint Pierre. Nous montrerons ainsi que les Melchites de cette époque ne partageaient aucunement les idées schismatiques de Photius de Constantinople.

Le neuvième et dernier traité de notre édition (p. 180-187) est une réfutation des objections de ceux qui nient l'incarnation du Verbe Eternel. Il fait suite au cinquième traité, et a été placé le dernier dans notre édition à cause des mots qui manquent dans l'ancien manuscrit abîmé par le temps. Nous espérions, comme aussi Mgr Basile, trouver une autre copie pour combler ces lacunes ; mais il n'en a rien été. Nous avons donc dû, pour compléter l'édition, les combler nous-même. Nous avons mis ces additions entre guillemets.

En général, dans notre édition, nous avons suivi le manuscrit autant que possible ; nous avons été obligé cependant de mettre en ordre logique quelques inversions bizarres pour faciliter l'intelligence du texte. Nous avons dû aussi supprimer une page complète de la lettre que le copiste du manuscrit n'avait su où placer. Il nous le dit lui-même — et nous n'avons pas vu non plus à quel endroit elle pouvait se rapporter. Enfin, nous avons mis entre guillemets le mot « Monothélites » à la place de son équivalent, nom d'un peuple tout catholique à présent et bien connu dans l'histoire de l'Orient. Nous n'avons pas voulu blesser les sentiments de nos frères qui aiment faire catholiques leurs ancêtres des siècles passés.

III. — Les manuscrits.

Théodore Abou-Kurra a encore des écrits qui ne sont pas publiés. Le P. Cheikho m'a présenté dans un manuscrit d'écriture moderne un sermon intitulé « Sermon pour être lu le premier mercredi du Carême, par notre Père Théodore, évoque de Haran. Il nous démontre qu'il faut nous éloigner des péchés et nous apprend quelle doit être notre conduite dans cette vie. » Nous n'avons pas fait alors lecture réfléchie de cet ouvrage et, à cause de la simplicité de son style différent en cela de celui des traités polémiques, nous n'avons pas cru qu'il pût être de notre Auteur. Mais, depuis, nous avons acquis un manuscrit semblable plus correct et plus ancien, daté du xvie siècle; et en étudiant à loisir ce sermon, nous avons constaté qu'il est bien l'œuvre de notre Abou-Kurra. On le trouve encore dans plusieurs manuscrits dont le plus ancien est celui de la bibliothèque de Sainte-Catherine du Mont Sinaï.

2° Le manuscrit arabe n° 70 de la Bibliothèque Nationale de Paris renferme une controverse soutenue en présence du calife abbasside Al-Mamoun par Abou-Kurra, évêque de Haran, avec plusieurs docteurs musulmans. On trouve encore cette controverse dans les mss. 71 et 215 (page 298) de la même bibliothèque, et plusieurs autres exemplaires dans d'autres bibliothèques. Cette même controverse, avec une rédaction un peu différente au commencement et à la fin, figure aussi dans le ms. arabe n° 5141 et dans les mss. syriaques nos 197 et 204 de la Bibliothèque Nationale ; on en a ailleurs plusieurs exemplaires.[25]

3° Le même ms. 215 de la Bibliothèque Nationale renferme encore une autre controverse d'Abou-Kurra avec ce calife (p. 122-154) : c'est une série de trente-quatre questions posées par le Calife sur la religion chrétienne, avec la réponse à chacune de la part d'Abou-Kurra. Ce dialogue se termine par un compliment du Calife à son familier adversaire qu'il renvoie à un autre temps plus libre, et Abou-Kurra dit à la première personne : « Je l'ai salué en faisant pour lui une bonne prière et je l'ai ainsi quitté ce jour-là. »

Après avoir lu attentivement ces controverses dans plusieurs manuscrits, nous avons constaté qu'elles présentent une grande ressemblance d'idées et de style avec les autres écrits d'Abou-Kurra qui en est sans doute l'auteur.

4° Dans le catalogue des manuscrits arabes du Musée Britannique, le n° 25 renferme quatre homélies qui ont pour auteur « Notre Saint Père Théodore d'Edesse. » N'ayant pu examiner ce manuscrit, nous ne saurions contrôler l'attribution de ces homélies.

Voilà tout ce que nous avons pu recueillir sur la vie d'Abou-Kurra et sur ses écrits conservés en arabe.

 

 

Paris, 20 septembre 1905.

P. Constantin Bâcha, B. S.

 

 


 

DÉMONSTRATION

de la sainte Loi de Moïse et des Prophètes qui ont annoncé le Messie. — Du saint Evangile prêché aux Gentils par les Apôtres du Christ né de la Vierge Marie. — De l'orthodoxie attribuée par tous les hommes aux Chalcédoniens. — Réfutation des doctrines de toutes les sectes qui se nomment chrétiennes par le magister philosophe, notre saint P. Théodore, évêque de Haran.

Dieu apparut à Moïse au mont Sinaï et le choisit pour être le législateur des enfants d'Israël. Il lui ordonna d'aller voir Pharaon, roi d'Egypte, pour délivrer de ses mains les enfants d'Israël. Moïse, effrayé de la grandeur de l'affaire que le Seigneur voulait lui confier, se dispensa de cette mission en s'excusant ainsi : « Qui suis-je pour aller voir Pharaon et délivrer votre peuple de sa main ? » Le Seigneur lui dit : « Je t'assisterai et je te soutiendrai dans tes paroles ; va donc convoquer les chefs des enfants d'Israël et leur dire : « Le Seigneur Dieu de vos pères, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, m'a envoyé pour vous. » Moïse dit au Seigneur : « Si je vais aux enfants d'Israël leur dire : « Le Dieu de vos pères m'a envoyé pour vous, que faudra-t-il leur répondre s'ils me demandent quel est son nom ? » Le Seigneur dit à Moïse : « Tu leur répondras : « Celui qui ne cesse pas d'être m'a envoyé à vous. » Le Seigneur ajouta : « Car je suis celui qui ne cesse pas d'être; je suis le Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. » Moïse répliqua ainsi : « Supposez que j'aille leur dire ces paroles, que faudra-t-il leur répondre s'ils me disent : « Tu es un menteur, le Seigneur ne t'a point apparu ? » Le Seigneur dit à Moïse : « Qu'as-tu en ta main ? » Moïse lui répondit : « Une verge. » Le Seigneur dit à Moïse : « Jette-la à terre. » Moïse la jeta, et elle fut changée en un serpent qui effraya Moïse de sorte qu'il s'enfuit. Le Seigneur dit encore à Moïse : « Prends-le par la queue. » Moïse saisit le serpent par la queue et il se transforma de nouveau en verge. Le Seigneur ajouta : « Mets ta main sous le pan de ta manche. » Moïse le fit, et à l'instant sa main fut couverte d'une lèpre d'une blancheur éclatante comme la neige. Le Seigneur lui dit encore : « Remets ta main sous le pan de ta manche. » Moïse la remit et il la retira de nouveau de la même couleur de sa chair. Le Seigneur dit aussi à Moïse : « Si les enfants d'Israël croient au premier miracle, tu auras atteint ton but ; s'ils ne croient pas, ils croiront au second ; et s'ils ne croient même au second, prends de l'eau du Nil et répands-la sur la terre ; elle sera changée en sang, pour leur faire savoir que le Dieu de leurs pères t'a envoyé. » Lors donc que Moïse reçut de Dieu le don des miracles, il accepta avec peine d'aller en Egypte.

Il faut conclure, de ce qui précède, que l'homme raisonnable et attentif ne doit pas accepter la religion de quiconque sans des miracles : car Moïse savait bien que s'il prétendait être élu de Dieu comme législateur, sans prouver sa mission par les miracles que Dieu seul peut faire en sa faveur, tout homme pourrait le démentir et le mépriser en le chassant ; et s'il était muni du don des miracles, il aurait des armes assez fortes pour convaincre quiconque veut sincèrement son salut et l'amener à embrasser la religion qu'il lui prêche. Ainsi donc l'homme raisonnable ne doit pas accepter une religion non fondée sur des miracles divins qui prouvent que son législateur est de Dieu ; celui qui donc embrasse une religion sans cette condition, néglige l'affaire la plus importante pour laquelle Dieu donna l'intelligence à l'homme et il risque de se perdre en se laissant conduire à sa perte par celui qui veut l'écarter de la voie de vérité qui conduit à la vie bienheureuse après laquelle les esprits aspirent. Ceux donc qui ont accueilli la religion prêchée par Moïse sont dans la bonne voie ; parce qu'il a prouvé la divinité de sa mission en opérant les miracles qui ne se font que par la toute-puissance de Dieu. Lors donc que Moïse leur parla des choses passées, comment Dieu créa le ciel et la terre, et leur rapportant des choses qu'ils ne connaissaient pas, ils ont bien fait de croire en lui; car Dieu n'accorde le don des miracles qu'à celui qui fait sa volonté et travaille à la conversion des autres.

Ainsi Jésus-Christ notre Dieu, la véritable Sagesse, n'a commencé à prêcher son Evangile qu'après avoir prouvé sa Toute-Puissance divine par des miracles; laissant venir à lui pour les guérir tous ceux qui étaient affligés par les infirmités et les maladies. Les foules alors accouraient vers lui de la Galilée, de Jérusalem et des pays au delà du Jourdain. Lorsqu'il se vit entouré de ces foules, il appela ses Apôtres et commença la prédication de sa doctrine en disant : « Heureux sont les pauvres en esprit, car ils ont le royaume du ciel. » Et il continua la promulgation de sa loi dans la suite, accompagnant toujours ses préceptes des miracles, comme Moïse, jusqu'à ce qu'il eut accompli toute l'économie de sa vie en mourant sur la croix, en se faisant ensevelir et ressuscitant le troisième jour. Donc, ceux qui ont reçu Jésus-Christ à cause de ses innombrables miracles sont également dans la bonne voie et ils ont aussi des motifs bien plus forts que ceux qui ont reçu Moïse pour ses prodiges.

Si vous faites un parallèle entre les deux, vous trouvez sans doute Jésus de beaucoup supérieur à Moïse, bien que celui-ci soit aussi grand, car les miracles de Jésus sont innombrables. Il ne se borna pas aux miracles qu'il faisait lui-même, mais il accorda à ses Apôtres le pouvoir d'en faire en son nom. Moïse a fait des miracles, mais peu nombreux, et par la Toute-Puissance de Dieu, son ordre et son secours, non par sa force propre ; néanmoins il n'a dit à personne : « Va faire des miracles en mon nom. » Il était juste qu'il en fût ainsi des deux. Parce que Jésus-Christ est Dieu et Fils de Dieu, par conséquent il est capable de faire des miracles par sa propre vertu et d'accorder cette puissance à qui il lui plaît pour en faire de semblables en son nom. Mais Moïse n'était qu'un serviteur et il n'opérait pas les miracles par sa propre force, mais par la Toute-Puissance de Dieu; c'est pourquoi il n'en faisait aucun avant de recevoir l'ordre exprès de Dieu ou de recourir à la prière pour demander à Dieu qu'il lui accordât de le faire. Moïse a fait des miracles par la Toute-Puissance de Dieu et son ordre ou en recourant à son aide ; de même les Apôtres ont fait des miracles non au nom de Dieu, mais de Jésus-Christ, par sa force et son ordre ou en recourant à son secours. De plus, les Apôtres étaient de beaucoup supérieurs à Moïse : car celui-ci n'opérait ses miracles qu'après en avoir reçu l'ordre de Dieu ou après avoir recouru à son assistance par la prière ; mais les Apôtres faisaient souvent leurs miracles sans faire des prières; ils ne faisaient que dire : « Au nom de Jésus-Christ, que ce mort ressuscite, que cet aveugle ouvre les yeux, que ce paralytique soit guéri ! » et l'effet répondait toujours aussitôt à leurs paroles. Ils ne se bornaient pas là; car saint Pierre, en passant parmi les malades, guérissait ceux qui se trouvaient dans son ombre même; le manteau de saint Paul guérissait aussi les malades sur lesquels on l'imposait.

La parole de David a donc été réalisée dans les Apôtres, lorsqu'il dit : « Dieu donne grande force à la parole des porteurs de bonne nouvelle. » (Ps. lxvii, 12.) Les Juifs avaient moins de raison d'accueillir Moïse que les Gentils n'en avaient d'accepter Jésus-Christ; car ce dernier surpasse Moïse autant que la lumière du soleil surpasse en éclat celle de la lampe. Les Gentils pouvaient se contenter des miracles que les Apôtres ont opérés en leur présence au nom de leur Maître : ces miracles doivent seuls leur faire accueillir Jésus-Christ et croire à tout ce qu'il a dit de lui-même et à tout ce que ses Apôtres ont rapporté de lui, sans recourir aux prédications de Moïse et d'autres prophètes en sa faveur. Lorsque Moïse s'est présenté aux enfants d'Israël, ceux-ci, en effet, ont cru à sa mission et ont accepté tout ce qu'il leur rapportait de la part de Dieu, pour les seuls miracles qu'il a faits en leur présence, bien qu'aucun prophète antérieur n'ait prédit sa venue. Les enfants d'Israël n'ont pas exigé de lui, outre ces miracles, la prophétie d'un autre prophète en sa faveur pour prouver sa mission. De même les Gentils pouvaient avec raison croire en Jésus-Christ à cause de ses innombrables miracles et de ceux de ses Apôtres sans recourir aux prédications antérieures de Moïse et d'autres prophètes en sa faveur. Donc, à plus forte raison, il nous faut accueillir Jésus-Christ avec plus d'empressement que ceux qui ont reçu Moïse, à cause de l'avantage d'être prédit par Moïse et tous les autres prophètes qui ont annoncé sa venue et toute l'économie de sa vie; comme son crucifiement (Ps., lxv, 2), son côté transpercé (Zac, XII, 10), les mains et les pieds cloués, son vêtement tiré au sort (Ps. xxi, 18), le visage souillé de crachats (Es., l, 6), son dos couvert de coups (Ps. lxxii, 14), ses blessures expiant les péchés des hommes et guérissant les faiblesses de leurs fautes (Is., lui, 5), le vinaigre qu'il a pris avec le fiel d'amertume. (Ps. lxviii, 22.) Tous ces passages sont bien connus dans les livres des prophètes, et ils sont très précis.

Je m'étonne, Juif, que tu aies reçu Moïse à cause de ses miracles peu nombreux, et que tu refuses de recevoir Jésus-Christ avec ses miracles innombrables. Si tu es juste, tu aurais dû l'accepter sans les prédications de Moïse et d'autres prophètes, comme tu avais accepté Moïse pour ses miracles seuls sans lui demander en sa faveur une prophétie antérieure pour prouver sa mission. Si Moïse t'avait défendu d'accepter les prophètes qui devaient venir après lui, comme Jésus-Christ a fait à ses disciples, tu aurais raison de douter de Jésus-Christ; mais au contraire, Moïse, dans sa loi sainte, t'a promis un prophète qui doit venir après lui et il t'ordonne d'une manière très précise de l'écouter et de lui obéir dans tout ce qu'il te commande. Il te menace encore de la mort, si tu refuses de l'entendre. Il dit aussi d'une manière plus précise que ce prophète est comme lui législateur et maître d'une nouvelle alliance. (Deut., xviii, 15-18.) Cette prophétie précise t'oblige de recevoir ce prophète unique à qui Moïse t'ordonne d'obéir sans tenir compte de tous les autres prophètes. Et lorsque Moïse t'a rapporté la prophétie de Jacob qui dit : « La prophétie ne disparaîtra jamais de vous jusqu'à la venue du Messie qui est l'espérance des nations » (Gen., lxix, 10), il a justifié et approuvé en général tous les prophètes qui étaient avant Jésus-Christ; et en particulier ce prophète unique auquel il vous a souvent ordonné, de la part de Dieu, d'obéir. Donc la prédication de la venue de ce prophète-législateur par Moïse ne te laisse pas hésiter un moment à accueillir Jésus Christ et à croire en lui à cause de ces miracles qu'il a faits. Tu dois raisonner ainsi : « Le prophète auquel Moïse m'a ordonné d'obéir est sans doute ce Jésus qui faisait des miracles innombrables, autant que Moïse n'en a jamais fait; et si Moïse n'avait rien dit à son sujet, ces miracles seuls m'obligent avec raison de l'accepter sans exiger une prédication antérieure en sa faveur pour prouver sa mission de la même manière que j'ai accepté Moïse. »

Il faut savoir, Juif, que ce prophète est législateur et maître d'une nouvelle alliance ; c'est pourquoi le Seigneur vous a ordonné d'une manière toute particulière de lui obéir, et il vous a souvent réitéré cet ordre. Voici ce qu'il dit dans Jérémie : « Des jours viennent, dit le Seigneur, où je ferai pour les enfants d'Israël et pour la maison de Juda une nouvelle alliance, non comme celle que j'ai faite pour leurs pères lorsque je les ai fait sortir de la terre d'Egypte. » (Jer., xxxi, 31.) David dit au Seigneur : « Donnez-leur, Seigneur, un législateur, afin que les nations sachent qu'ils sont des hommes. » (Ps. ix, 20.)

Tu dis, Juif : « Mes ancêtres, qui étaient contemporains de ce Jésus et qui l'ont vu, sont tous morts, et par conséquent je ne connais pas qu'il a fait des miracles. » Nous te dirons: Il est bien facile pour toi de connaître cela, si tu désires sincèrement ton salut; car tu devais savoir que Jésus-Christ a fait ces miracles qui ont converti les Gentils, et ont fait embrasser sa doctrine en faisant faire la guerre à leurs esprits, à leurs passions et à leurs plaisirs, de sorte qu'ils ont laissé l'abondance pour la pauvreté, la licence pour la chasteté, la richesse pour les angoisses de la vie, la mollesse pour les mortifications, et les plaisirs pour la renonciation complète au monde, aux voluptés de la chair et aux honneurs. Il les oblige à souffrir la mort, et tous les genres de supplices, plutôt que de le renier ; il leur dit : « Quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai devant mon Père qui est aux cieux. » Il leur dit aussi : « Ce que je vous dis dans le secret, publiez-le sur les toits. Ne craignez point ce qui ôte la vie du corps et ne peut pas ôter la vie de l'âme ; mais craignez celui qui peut ôter la vie du corps et celle de l'âme et jeter les deux dans le feu de l'enfer. » Il dit aussi : « Celui qui perd son âme pour moi, la trouvera dans la vie éternelle. » Il dit encore : « Quiconque me suit et ne hait pas son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, ses enfants et tous ses parents pour moi, n'est pas digne de moi. « Il leur dit : « Je vous laisse comme les moutons parmi les loups. » Il leur dit ailleurs : « Le monde sera dans la joie et vous dans la tristesse. » (Joan., xvi, 20.) « Des jours viennent où quiconque vous tuera, croira offrir un sacrifice à Dieu. » (Joan., XVI, 2.)

Il les obligea à se mortifier par la privation des plaisirs et l'extermination de la moindre passion en disant : « Quiconque vous frappe à la joue, présentez-lui l'autre. Celui qui veut vous arracher votre tunique, donnez-lui encore votre manteau. Si vous regardez une femme pour la convoiter, vous avez commis un adultère dans votre cœur. Si vous appelez votre ami Raca ou fou, vous méritez le feu de l'enfer. » Il dit aussi : « Vous avez entendu dire aux anciens : Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi. Et je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour eux. »

Dis-moi, Juif, comment les Gentils ont pu recevoir Jésus-Christ avec une loi si sévère qui les porte à se sacrifier, avec la faiblesse qu'il a voulu montrer en souffrant le crucifiement avec ses douleurs et ses opprobres. Ses ennemis l'ont insulté, ils lui ont cloué les mains et les pieds en le suspendant sur la croix ; ils lui ont fait boire du vinaigre et prendre du fiel; ils l'ont fait tellement souffrir, qu'il a laissé couler de son corps une sueur forte comme des grumeaux de sang, et, étant sur la croix, il a crié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? » Tout cela aurait dû effaroucher ceux qui l'entendaient, et les empêcher de suivre Jésus-Christ et de le prendre pour Dieu comme les Gentils avaient fait; car il est bien évident que si ces miracles racontés dans les Evangiles et les livres des Apôtres n'avaient pas été réellement opérés, Jésus-Christ n'aurait pas été reçu, car ce sont les miracles qui contraignaient les esprits et les obligeaient de le recevoir et de croire en lui.

Si Jésus-Christ voulait tromper (le monde), il aurait dû défendre à ses Apôtres de révéler aux Gentils ces faiblesses, et il aurait du leur ordonner de l'exalter et de le faire plus grand et plus beau qu'il n'était; il aurait dû les attirer par une doctrine libre et licencieuse pour rendre leur conversion plus rapide et plus facile. Mais il n'a rien fait de tout cela : il a voulu se montrer ainsi déshonoré à ceux à qui il prêchait sa doctrine et il les obligeait à se mortifier et à mourir pour sa cause.

C'est bien étonnant que Moïse ait fait connaître Dieu et l'ait glorifié, en rapportant qu’il créa le ciel et la terre, qu'il est plus haut que le ciel, et qu'il l'ait exalté et loué de toutes les manières ; qu'il ait délivré les enfants d'Israël de la tyrannie de Pharaon ; qu'il ait séparé pour eux les eaux de la mer ; qu'il leur ait fait tomber du ciel la manne et les cailles; qu’il ait fait couler pour eux les eaux des rochers : qu'il ait combattu pour eux les nations ; qu'il leur ait fait cette promesse : « Le Seigneur vous aidera pour anéantir les nations de la Syrie et posséder leur pays », et qu’il leur ait donné une loi très large, néanmoins il n'a pu convertir aucun des Gentils. Les enfants d'Israël eux-mêmes n'ont pas bien cru à sa parole ni en son Dieu; car, lorsque le Seigneur est descendu sur le mont Sinaï qu'il a fait trembler et fumer, les enfants d'Israël se sont effrayés de cet aspect; mais à peine sont-ils descendus du Sinaï qu'ils adorent le veau.

Lorsque les Apôtres se sont répandus parmi les Gentils, ils leur ont révélé les souffrances et le crucifiement de leur Maître avec ses paroles qui indiquent sa faiblesse, et ils les ont obligés à observer cette loi si sévère que Jésus-Christ a donnée; cependant tout le monde a répondu à leur appel. Qui est-ce qui ignore donc que cela est ainsi arrivé par la vertu des miracles que les Apôtres opéraient au nom de Jésus-Christ d'une manière supérieure à ceux de Moïse comme le ciel l'est à la terre?

Tu ne peux pas dire, Juif, que les Gentils ont suivi Jésus-Christ par esprit de parti, c'est-à-dire par zèle pour la religion nationale qu'ils partageaient avec lui (nationaliste). Cette raison est plutôt contre vous. On peut avec raison vous adresser cette accusation, que vous avez suivi Moïse qui est de votre peuple, par esprit de parti de votre religion nationale, avec l'espoir d'avoir part aux honneurs et à l'autorité que Dieu lui a donnés. On ne peut pas dire la même chose des Gentils qui ont suivi Jésus-Christ, car les Apôtres qui ont évangélisé les Gentils étaient des Juifs et ils leur prêchaient un homme qu'on croit être juif. Tout cela aurait dû leur inspirer de l'aversion et de l’horreur pour lui, parce que les Juifs étaient, en général, les ennemis détestés de toutes les nations; de plus, leur doctrine n'avait rien de ce qu'on ambitionne dans ce monde, comme les honneurs et la puissance : elle est tout à fait opposée à cela. Sache bien, Juif, que les Gentils n'ont pu prendre Jésus -Christ pour Dieu et se soumettre à sa loi avec cette grande et profonde obéissance qui leur faisait chaque jour sacrifier la vie, que par la vertu des miracles que les Apôtres ont opérés en leur présence en son nom.

Tu dirais, Juif : Les Gentils ont suivi Jésus-Christ par ignorance. S'il en est ainsi, prends ces paroles que les Apôtres disaient de Jésus Christ et prends cette loi qu'il leur a imposée, et essaye de le faire croire ou accepter à un seul homme ignorant. Tu ne le pourras jamais, parce que les gens ignorants ont de l'horreur de ces choses plus que tous. Comme les animaux, ils ne cherchent, en effet, qu'à satisfaire leurs plaisirs ; leur intelligence n'est capable de comprendre que les discours vulgaires et illusoires. En vérité, ta religion a plus d'attraits pour ces gens que le christianisme, parce qu'elle grandit beaucoup Dieu et fait voir sa majesté si terrible; elle permet les licences, elle permet la jouissance des honneurs, de l'autorité, du miel et du lait ; elle permet la polygamie et le divorce pour la moindre raison, de subjuguer les nations qui devront te porter sur les épaules , comme tu prétends ; ils seront tes esclaves, et leurs filles tes servantes ; tu bâtiras une ville en émeraude et en hyacinthe. De telles choses peuvent bien facilement séduire les esprits ignorants et captiver leur ambition, ce n'est pas étonnant d'avoir beaucoup de partisans si l’on prêche une religion si pleine d'attraits, surtout si elle a été favorisée par une puissance qui la protège, comme nous avons vu cela arriver.

Tu dirais, Juif : Ceux qui ont suivi Jésus-Christ étaient des philosophes; c'est la philosophie qui les a conduits à lui. Tu dois donc suivre leur exemple dans cette philosophie qui les a conduits à Jésus-Christ, comme tu l'avoues bien. Mais ces choses ignominieuses qu'on rapporte de Jésus-Christ, les philosophes ou les sages de ce monde ne les croient pas, elles surpassent toute intelligence humaine; à moins que le Saint-Esprit ne répande sa grâce sur leurs âmes, leur apprenant par sa lumière que Jésus-Christ est Dieu. Saint Paul écrit en effet : « Personne ne peut dire : Jésus-Christ est Dieu, que par le Saint-Esprit. » Si tu ne crois pas cela, essaye de porter la doctrine chrétienne à tous les philosophes du monde pour la faire accepter à un seul ; mais je suis sûr que tu ne le pourrais jamais, car les sages de ce monde ne cherchent que les honneurs de ce monde et ne croient que ce qui est conforme aux lois de la nature qu'ils étudient d'une manière plus particulière que les gens vulgaires : ils se vantent de la subtilité de leurs discours et de l'harmonie séduisante de l’expression. La doctrine chrétienne est tout à fait le contraire. En effet, comme dit saint Paul : « Dans la sagesse de Dieu, le monde n'a point connu Dieu par la sagesse, et Dieu a aimé de sauver ceux qui croient à la folie de la prédication. » (I Cor., i, 21.)

Si tu dis, Juif : « Ces gens étaient d'une intelligence moyenne », tu ne dis pas la vérité; car les gens de moyenne intelligence ne font rien qu’avec réflexion et résolution, et ils ne croient que ce qui est semblable aux vérités dont ils ont acquis la certitude par le sens et l'expérience. Donc, on ne peut pas prêcher la doctrine chrétienne à ces esprits à qui elle répugne et qui la repoussent avec mépris.

Puisque tu as accepté, .Juif, ce que nous avons avancé, tu dois nécessairement avouer que les Gentils n'ont accepté Jésus-Christ que par la vertu de ses miracles qu'ils ont vus, d'après le récit des Evangiles et les livres des Apôtres ; et par la grâce du Saint-Esprit qui éclaira leurs intelligences et leur persuada que Jésus est Dieu et Fils de Dieu, chose qu'il disait de lui-même. Ces Gentils qui ont accepté Jésus-Christ sont aujourd'hui les cinq sixièmes du monde. Bien qu'il ait souffert les passions et les douleurs de la croix il n'a pas souffert tout cela en vain ou par faiblesse et impuissance, mais pour des raisons bien justes, cachées aux âmes que le Saint-Esprit n'a pas éclairées par sa grâce. Ce que nous avons dit prouve d'une manière évidente que les Gentils n'ont accepté Jésus-Christ que par la vertu des miracles mentionnés dans les Evangiles et les livres des Apôtres. Cela contraint nécessairement ton esprit à croire et à avouer la vérité de ces miracles, comme si tu les avais vus de tes propres yeux, car ce sont les miracles qui ont persuadé aux Gentils que Jésus-Christ est véritablement Dieu et Fils de Dieu ; or Jésus-Christ et ses Apôtres ont témoigné que Moïse et tous les autres prophètes étaient des messagers de Dieu ; donc, par le témoignage de Jésus-Christ et par celui de ses Apôtres, Moïse et les prophètes sont constatés et prouvés comme de vrais messagers de Dieu.

Si l'on te demande une raison qui prouve (la divinité de) la mission de Moïse ou celle d'un autre prophète, tu ne le pourrais pas faire; car la loi de Moïse est restée environ cinq mille ans sans pouvoir persuader à aucun des Gentils qu'elle est de Dieu. De plus, vos pères eux-mêmes n'ont pas conservé la loi ni le vrai culte de Dieu. Mais lorsque Jésus- Christ est venu, il a persuadé tous les Gentils par ses miracles et il leur a constaté Moïse et les autres prophètes, de sorte qu'il est devenu leur prédicateur.

Il a bien raison de faire cela et il doit le faire, car c'est lui qui les envoya avec ordre de les annoncer et de le caractériser, afin que les hommes ne le repoussent pas en le voyant marcher sur la terre. C'est pourquoi Michée avait prédit sa venue en disant : « Ecoutez, toutes les nations; soyez attentifs, tous les peuples : que le Seigneur soit témoin contre vous; le Seigneur sortira de son lieu et descendra marcher sur la terre. C'est pour le péché de Jacob et à cause des crimes d'Israël. » (Mich., i, 1-5.) Baruch avait dit de lui : « C'est lui qui est notre Dieu, nul autre ne lui est comparable; il a trouvé la voie de la connaissance et il l'a donnée à Jacob son chéri et à Israël son ami. Après cela il est apparu et il a marché parmi les hommes. » (Bar., iii, 36.)

Le Seigneur ordonna à Moïse de faire son frère Aaron prêtre et d'offrir des sacrifices comme il lui en a montré l'exemple dans la montagne. (Ex., xxv, 40.) Par ces paroles il t'a fait voir qu'il y a un autre prêtre dont Aaron est la figure, et un autre sacrifice dont ces sacrifices sont la figure. David, venu à son temps, t'a expliqué que ce prêtre dont Aaron était la figure est le Seigneur qui est assis sur le trône à la droite de Dieu et qu'il est le Fils de Dieu engendré de lui avant tous les siècles : « Le Seigneur dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que j'aie mis tes ennemis sous tes pieds. » (Ps. cix, 1.) Dieu dit encore à son Fils : c Je t'ai engendré dans mon sein avant le jour. » Il lui dit encore : « Tu es le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech. » (Ps. cix, 1-4.) Isaïe, venant ensuite, t'a expliqué ce sacrifice dont le tien est la figure, en rapportant ce que dit le Messie de lui-même : « Je ne désobéis pas, je ne discute pas, j'ai exposé mon dos aux fouets et ma joue aux coups, et je n'ai pas détourné mon visage de l'affront du crachat. » (Is., l, 6.) Il dit de lui : « Il est sans aspect et sans beauté; nous l'avons vu, il n'avait ni aspect ni beauté : il avait un aspect misérable plus que tous les hommes ; il est l'homme blessé qui sait bien souffrir les maladies ; il était méprisé et sans compte ; il supporte nos maladies et il souffre pour nous ; nous avons pensé qu'il était blessé, frappé de Dieu ; mais il a été blessé pour nos péchés, c'est à cause de nos crimes que ces afflictions lui sont arrivées, il a pris sur lui le châtiment de notre salut et nous sommes guéris par ses blessures. Nous sommes tous égarés, comme des brebis; chacun de nous a égaré sa voie et le Seigneur l'a livré pour nos péchés. Lorsqu'il a été frappé il n'a pas ouvert la bouche ; on l'a mené comme une brebis à la boucherie et comme un mouton devant qui le tond en silence; par humilité il n'a pas ouvert la bouche. » (Is., liii, 1-7.)

Tout cela te montre bien, si tu as de l'intelligence, Juif, que ton prêtre Aaron était la figure de ce prêtre, et ton sacrifice était la figure de ce sacrifice ; car si ton prêtre, expiait les péchés et ton sacrifice faisait expier les fautes, le prêtre dont parle David serait inutile, et de même ce sacrifice dont parle Isaïe serait vainement établi par Dieu, et Moïse serait menteur en te disant que tu as la figure que David et Isaïe ont expliquée ensuite. Tu n'as pas compris alors cela comme Moïse te dit : « Vous avez vu ce que Dieu a fait en votre présence ; mais il ne vous a pas donné des yeux pour voir, ni des oreilles pour entendre, ni une intelligence pour comprendre. » (Deut., xix, 4.) Si ces choses n'étaient pas des figures qui symbolisent des réalités, comment Moïse pouvait-il te dire sans mentir ; « Vous avez vu ce que Dieu a fait en votre présence, mais il ne vous a pas donné des yeux pour voir, ni des oreilles pour entendre, ni une intelligence pour comprendre? » Cela indique bien clairement que tu avais les figures et les symboles de la vérité. David te l'assure en disant : « Nos pères ne comprenaient pas vos miracles en Egypte. » (Ps. cv, 7.) Cela est suffisant pour te guérir, Juif, si tu veux sincèrement le salut de ton âme comme un homme raisonnable, et tu aurais été guéri depuis, si tu acceptais cela des saints Docteurs de l'Eglise que le Saint-Esprit a fait parler et qui ont expliqué tout ce qui concerne Jésus-Christ par la raison et les Livres saints. Voici donc une démonstration de la doctrine chrétienne si bien raisonnée qu'elle oblige nécessairement tout homme raisonnable et dé bonne volonté de l'accepter, car la raison conduit évidemment à Jésus-Christ, et celui-ci constate et justifie Moïse et les Prophètes ; donc nous avons l'Ancien et le Nouveau Testament, et, comme dit Salomon dans le Cantique des Cantiques : « Sur nos portes sont tous les fruits, les anciens et les nouveaux. » (vii, 13.)

II

Mais à quoi cela sert-il à tous les chrétiens ? Il sert seulement à nous Chalcédoniens ; il ne sert à rien aux Nestoriens, ni aux Jacobites, ni aux Julianistes,[26] ni aux « Monothélites », ni aux autres hérétiques qui se nomment aussi chrétiens. Chacun d'eux prend pour lui tout ce que nous avons dit pour prouver la divinité du Christianisme, et il croit être le vrai chrétien.

Ayant démontré le Christianisme et prouvé qu'il est la seule, la véritable d'entre toutes les autres religions, il nous faut faire séparer notre doctrine orthodoxe de toutes les hérésies, et prouver qu'elle est la seule vraie et que toutes les doctrines de ces hérésies sont fausses. Nous l'avons déjà prouvé ailleurs, par le secours du Saint-Esprit, dans une étude délicate et précise pour les gens intelligents et capables d'étudier les choses obscures que ne comprennent pas les esprits vulgaires ; mais l'étude précise et délicate ne satisfait pas l'esprit commun du vulgaire, le bas peuple et les gens des champs et autres, et ne leur procure aucunement la guérison. Il faut donc leur frayer une autre voie claire et lumineuse que puissent suivre sûrement et facilement les gens d'intelligence supérieure et ceux d'intelligence ordinaire, c'est-à-dire le philosophe et le bas peuple.

C'est pourquoi nous allons prouver notre orthodoxie et faire éclater sa lumière autant que celle du soleil dont les rayons sont vus des petits et des grands, pour ne laisser à personne un prétexte en l'abandonnant, pour convaincre ceux qui vivent tranquillement dans l'erreur des hérésies, pour réjouir les orthodoxes qui par le concours du Saint-Esprit sont dans la juste foi et dans la vraie religion, pour exciter ceux-ci à unir à cette foi la justice et les bonnes œuvres; elle leur serait non pas inutile mais nuisible, s'ils ne faisaient pas ce qu'ils doivent faire dans l'obéissance au Christ.

Mais quelle est cette voie claire que l'orthodoxie nous démontre? Nous ensemble des chrétiens, nous sommes d'accord pour admettre les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament et les croire ; mais une chose nous sépare, notre interprétation différente de ces livres ; cela nous oblige à nous réunir chacun dans une église à part et nous empêche de prier ensemble dans le même temple. Il en résulte deux choses : que nous sommes tous également agréables au Christ en admettant les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament dictés pour nous par le Saint-Esprit et que Dieu ne nous demande pas compte de n'avoir pas pénétré les vérités de ces livres, ou que Dieu n'accepte pas de nous voir admettre la lettre de ces livres sans le véritable sens des mots que le Saint-Esprit a voulu exprimer d'une manière indispensable à la religion. Si quelqu'un dit : Le Christ se contente de nous voir suivre ces livres sans en comprendre le contenu, ou le vrai sens, il rend le Christianisme semblable au Judaïsme, en mettant la fin de sa doctrine dans les mots, non dans l'esprit; il autorise les chrétiens à se réunir pour prier dans une église en même temps qu'ils sont séparés en esprit ; il leur prêche d'adorer extérieurement un seul Dieu, et intérieurement plusieurs dieux ; il leur persuade de se nommer de bouche disciples d'un seul Christ, tout en croyant à plusieurs au fond du cœur. Mais le Christ ne veut point de ce culte, comme il le dit lui-même : « Je ne ferai jamais entrer la guerre à la place de la paix. » Il est indispensable à tout chrétien, s'il veut être sincèrement chrétien, d'adorer le Christ, le Père et le Saint-Esprit dans le sens propre des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament; autrement il serait juif et pourrait dire, indifféremment, que Dieu est muable ou qu'il y en a plusieurs. Lorsqu'il entend Moïse dire : « Dieu est un feu dévorant » (Exod., xxiv, 17), il devient mage, car il conçoit le feu que les mages adorent ; et s'il entend le prophète Daniel dire : « Il est l'Ancien des jours et ses cheveux sont blancs comme la laine pure » (Dan., vii, 9), il croit que Dieu est très vieux ; de même, s'il entend Ezéchiel dire : « Il est du milieu du corps jusqu'en haut tout en feu comme le lapis-lazuli, et du milieu jusqu'en bas en feu » (Ezech., i, 27), il imagine que Dieu a été changé de ce qu'il était, ou qu'il est différent de ce que Daniel a vu et que Moïse avait déjà nommé. Quel malheur de voir ces trois choses troubler le cœur du fidèle !

De plus, s'il entend le Christ lui-même dire qu'il est la porte (Joan., x, 7), il le croit une porte matérielle, et s'il l'entend dire qu'il est la vigne (Joan., xv, 1), il pense qu'il a été changé ou qu'il est un autre Christ différent, et ainsi de suite. Il lui est donc nécessaire de suivre le sens propre du livre en ce qui concerne l'essence de la religion, autrement il n'y aurait plus de culte.

S'il en est ainsi, l'Eglise du Christ devrait être nécessairement l'une de ces églises dont chacune prétend avoir seule la vraie doctrine chrétienne.

Mais, que doivent faire les gens vulgaires, les paysans, et tous les hommes en général, qui ne comprennent pas ces vérités que le Christ leur ordonne de croire de la façon qu'il a voulu? Dirons-nous qu'il leur demande l'impossible? Non; autrement sa descente du ciel et l'effusion de son sang pour eux leur seraient inutiles et même nuisibles : mais comme il n'exige pas cela d'eux, il ne leur demande pas l'impossible, car nous savons bien que, pour la plupart, leur intelligence ne peut pas comprendre tout ce qu’ils doivent savoir. Comment faire donc pour trouver une voie à la portée de leur intelligence, de façon qu'en la suivant ils arrivent tous à la possession de cette vérité ?

Nul hérétique ne connaîtra jamais cette voie et ne pourra la suivre ; il ne possède rien de la vie que la parole qu'il suit comme dans l'obscurité pour tromper et séduire les simples; il bavarde afin que les simples, en l'entendant, croient qu'il est la source de la sagesse ; il les gagne à son parti en proférant des paroles inintelligibles pour eux et même pour lui ; comme dit saint Paul : « Il ne comprend pas ce qu'il dit ni ce qu'il raisonne. » (I Cor., xix, 2.)

Cette voie claire, les orthodoxes seuls la possèdent, elle les conduit à la vie éternelle; car nous savons bien que le Christ ne néglige pas cette affaire en condamnant la plupart des hommes à errer ainsi sans pouvoir connaître une voie qui conduise leur intelligence à comprendre ce qu'ils doivent faire. D'autant plus que le Christ savait bien, et les Apôtres, que ces hérésies existeraient et que Satan s'en servirait pour cribler l'Eglise afin qu'elle conserve le pur froment. (Luc, xxii, 31.)

Le Saint-Esprit nous a bien montré cette voie par la bouche de Moïse, le chef des prophètes, dans le Pentateuque, lorsque Dieu lui donna les règles d'après lesquelles il devait gouverner les enfants d'Israël. Moïse remit ces règles à leurs prêtres, qui sont les juges, et auxquels il ordonna déjuger ainsi les enfants d'Israël; il institua des chefs de dix, de cinquante, de cent et de mille; il leur ordonna de faire exécuter le juste jugement parmi les enfants d'Israël en disant : « Regardez bien ; ce qui vous semble clair de ces règles, employez-le avec vos frères, et ce qui vous paraît obscur ou douteux présentez-le-moi pour le porter à Dieu et vous en rapporter la vérité. » (Deut , i, 10.) Ils faisaient ainsi tout le temps que Moïse vécut parmi eux.

Quand Dieu permit que Moïse mourût au delà du Jourdain, le prophète avait su par le Saint-Esprit qu'après sa mort les enfants d'Israël seraient dans l'embarras et le doute, par conséquent divisés et dispersés : c'est pourquoi il leur donna par l'Esprit-Saint une seconde loi en laissant parmi eux un successeur qui tînt sa place à jamais : « Si vous trouvez quelques commandements obscurs ou douteux entre sang et sang, entre arrêt et arrêt, entre impur et impur, et entre querelle et querelle, et s'il y a dans vos cités une différence d'opinion, venez au lieu que le Seigneur votre Dieu choisira pour y invoquer son nom, réfugiez vous-y alors et allez y trouver les prêtres, les lévites et le juge qui existera. Ils examineront cela et ils vous donneront la décision juste. Suivez la décision qu'ils vous donneront dans le lieu que le Seigneur votre Dieu choisira pour invoquer son nom. Tâchez de faire ce qu'ils vous ordonnent et d'accomplir la loi et la décision qu'ils vous donneront; ne vous en écartez ni à droite ni à gauche. L'homme qui par orgueil n'écoute pas le prêtre qui agit au nom du Seigneur, et le juge qui sera en ces temps, qu'il soit mis à mort ; dépouillez les ennemis des enfants d'Israël afin que tout le peuple apprenne ce châtiment et s'en éloigne en se gardant de l'imiter. » (Deut., xvii, 8.)

Vous voyez bien que Moïse ne laissa à personne, savant ou non, le droit de discuter ces décisions. Mais le Saint-Esprit révéla au prophète de confier cette autorité au collège des prêtres et au juge qui sera dans le lieu que Dieu choisira pour y invoquer son nom, ne laissant personne discuter avec eux ; mais plutôt il ordonna à tout le peuple, et à chacun, savant ou illettré, d'obéir à la décision sortie de ce collège, pour lui ou contre lui. Il condamne à mort l'orgueilleux qui ne veut pas accepter avec soumission leur jugement, croyant que son opinion est plus juste que la leur. Il a condamné à mort celui qui n'accepte pas leur jugement parce qu'il était persuadé que, le Saint-Esprit leur ayant confié de juger les affaires douteuses et les différends, il doit assister leur intelligence pour dire la vérité et ne les abandonne pas sans son secours, quels que soient leur état et leur intelligence; il ne les laisse dire que la vérité.

Si quelqu'un disait : « Bien que le Saint-Esprit ordonne au peuple d'obéir à l'assemblée des prêtres qui sera dans ce lieu pour les décisions obscures, il lui laisse dire le faux », celui-là estimerait que le Saint-Esprit lui-même induit tout le peuple en erreur, et il serait précisément un blasphémateur contre le Saint-Esprit, en faisant de l'Esprit-Saint, Soleil de Justice et Source de Lumière, la cause de l'erreur. A Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi ! Au contraire, nous sommes sûrs, et nos cœurs sont en repos, que le Saint-Esprit n'abandonne jamais cette assemblée et il ne la laisse prononcer aucun jugement mal à propos.

Dans la sainte loi nouvelle dont l'ancienne était la figure, le Saint-Esprit a arrangé les choses de la même manière que dans l'ancienne, en ordonnant de porter tout différend entre les chrétiens, en matière de religion, à l'assemblée des Apôtres et leur donnant un chef qui juge en dernier ressort toutes les décisions avec son assemblée : de juger d'après les vues du Saint-Esprit, comme le montrent les Actes des Apôtres.

Lorsque Paul et Barnabas étaient à Antioche, élus par le Saint-Esprit pour parcourir les villes et y annoncer l'Evangile du Christ, après qu'ils ont accompli la mission pour laquelle ils ont été élus ils retournèrent à Antioche. Il y avait alors des frères qui sont venus de Jérusalem à Antioche : ils enseignaient et disaient : « Si vous ne vous faites pas circoncire selon la loi de Moïse, vous ne pouvez pas vivre. » Paul et Barnabas s'y opposèrent; après une discussion, tous décidèrent que Paul et Barnabas, avec quelques-uns d'entre eux, monteraient voir les Apôtres et les prêtres à Jérusalem au sujet de ce différend.

Quant ils furent arrivés à Jérusalem, il y avait des hommes du parti des pharisiens qui avaient embrassé le christianisme. Ils se levèrent et dirent aux Apôtres : « Il faut faire circoncire les Gentils qui croient et leur ordonner de garder la loi de Moïse. » Alors les Apôtres se réunirent aux prêtres pour étudier le différend. Il s'ensuivit une grande discussion.

Après cela Pierre se leva et leur dit : « Vous savez, hommes mes frères, que le Dieu des temps anciens a voulu que les Gentils entendissent de ma bouche la parole de l'Evangile et qu'ils crussent. Dieu, qui connaît les cœurs, les a justifiés en leur donnant le Saint-Esprit aussi bien qu'à nous et il n'a pas fait de différence entre eux et nous en purifiant leurs cœurs. Pourquoi donc voulez-vous contrarier Dieu et imposer aux disciples un joug que ni nous ni nos pères n'avons pu porter? Cependant nous croyons que nous vivions par la grâce de notre Seigneur Jésus aussi bien qu'eux. »

Alors Jacques répondit : « Hommes, écoutez : Simon vous a raconté comment il a plu à Dieu de se choisir un peuple parmi les Gentils. Cela s'accorde avec les prophètes, comme il est écrit : « Après cela je viendrai et je rebâtirai l'habitation ruinée de David ; j'en « renouvellerai ce qui a été démoli et je la ferai se relever, afin que tous les hommes cherchent la face de Dieu avec toutes les nations qui seront appelées de mon nom : c'est ainsi, dit le Seigneur qui l'a accompli. » Donc je juge qu'il ne faut pas inquiéter ceux d'entre les Gentils qui se convertissent à Dieu; mais je vois qu'on doit leur ordonner de s'abstenir des souillures des idoles, de la fornication, des chairs étouffées et du sang. »

Alors tous les Apôtres et les prêtres avec toute l'Eglise jugèrent et choisirent parmi eux deux hommes qu'ils envoyèrent à Antioche avec Paul et Barnabas : le premier est Jude surnommé Barsabas, et l'autre est Silas, l'un et l'autre illustres parmi les frères. Ils écrivirent (une lettre) qu'ils envoyèrent avec eux, et ainsi conçue : « Les Apôtres, les Prêtres et les Frères, à l'Eglise qui est à Antioche en Syrie et aux Frères qui sont des Gentils, salut. Nous avons appris que quelques-uns de nous sont allés d'ici pour vous inquiéter et ils vous ont ébranlé l'âme en vous disant qu'il faut être circoncis et garder la loi de Moïse, de quoi nous ne leur avons pas donné l'ordre. Nous avons donc jugé unanimement de choisir deux hommes et de les envoyer avec nos deux frères Barnabas et Paul qui ont livré leur vie pour le Christ. Nous vous avons député Jude et Silas et nous leur avons ordonné de vous faire entendre de leurs bouches notre parole en ces termes : Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous de ne point vous imposer d'autre obligation pour ce qui est nécessaire (au salut), que de vous abstenir des sacrifices, des idoles, du sang, de la chair étouffée et de la fornication. Si vous gardez cela, vous agissez bien. » Jude et Silas firent leurs adieux à la communauté et descendirent à Antioche où ils réunirent les fidèles et ils leur remirent la lettre, qu'ils lurent avec joie et consolation. Jude et Silas étaient prophètes, ils ont beaucoup consolé les frères et les ont fortifiés par plusieurs discours.

Vous voyez bien : ceux qui sont allés à Antioche et ordonnaient la circoncision et de garder la loi étaient de la communauté des frères de Jérusalem; Paul et Barnabas, qui les contredisaient, étaient aussi des Apôtres illustres. Quand les deux partis se sont disputés à Antioche, l'Eglise n'a pas accepté (l'opinion) de Paul et de Barnabas ni celle des autres ; mais elle les porta toutes deux à l'assemblée des Apôtres dont saint Pierre était le chef. Lorsque l'assemblée des Apôtres les eut reçus et eut examiné le différend, elle jugea d'après ce qu'elle vit, attribuant son jugement au Saint-Esprit et disant : « Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous. » Vous voyez bien que cette assemblée à qui le Christ a confié le droit de juger les hérésies n'a pas d'autre vue que celle du Saint-Esprit. Il faut lui porter tout différend en matière de doctrine; car il n'est point permis à quiconque, grand ou petit, d'avoir un sentiment particulier différent, et personne n'a le droit d'imposer à l'Eglise sa manière de voir personnelle. C'est pourquoi l'Eglise n'a pas accepté l'opinion de Paul et Barnabas qui étaient la lumière du monde, ni celle des autres. Il n'y a ni évêque ni patriarche ni toute autre personne qui puisse dire à l'Eglise : Recevez ce que je dis et rejetez ce que disent les Apôtres.

Il faut noter que les Apôtres avaient pour chef saint Pierre à qui le Christ avait dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne triompheront point d'elle » (Matth., xvi, 18); à qui il dit aussi trois fois, après sa résurrection, près la mer de Tibériade : « Simon, m'aimes-tu ? (Si tu m'aimes) Pais mes agneaux, mes béliers et mes brebis. » (Joan., xxi, 15-18.) Il lui dit ailleurs : « Simon, Satan a demandé de vous cribler comme on crible le blé, et j'ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas ta foi; mais, à l'instant, tourne-toi vers tes frères et affermis-les. » (Luc, xxii, 31.)

Vous voyez bien que saint Pierre est le fondement de l'Eglise propre au troupeau (des fidèles), et celui qui a sa foi ne la perdra jamais; c'est lui aussi qui est chargé de se tourner vers ses frères et de les affermir.

Les paroles du Seigneur : « J'ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas ta foi; mais tourne-toi à l’instant vers tes frères et affermis-les », ne désignent pas la personne de Pierre ni les Apôtres eux-mêmes. Le Christ a voulu désigner par ces mots ceux qui tiendront la place de saint Pierre à Rome et les places des Apôtres. De même quand il dit aux Apôtres : « Je serai avec vous tous les jours jusqu'à la fin des siècles », il n'a pas voulu désigner les personnes des Apôtres seuls, mais encore ceux qui tiennent leurs places et tout leur troupeau. Ainsi par ces mots qu'il adressa à saint Pierre : « Tourne-toi à l'instant et affermis tes frères, et que ta foi ne se perde pas », il a voulu désigner ses successeurs; par la raison que saint Pierre seul parmi les Apôtres a perdu sa foi et nié le Christ, le Christ l'avait exprès abandonné pour nous montrer que ce n'est pas sa personne qu'il a voulu désigner, et nous n'avons vu aucun Apôtre tomber afin que saint Pierre l'affermisse.

Dire que le Christ a voulu désigner saint Pierre et les Apôtres en personne, ce serait priver l'Eglise de ce qui doit l'affermir après la mort de saint Pierre. Comment cela pourrait-il être? En voyant, après la mort des Apôtres, Satan passer l'Eglise au crible, il est évident que ce ne sont pas eux que le Christ a voulu désigner par ces mots. Nous savons tous, en effet, que c'est après la mort des Apôtres que les hérésiarques ont agité l'Eglise, savoir : Paul de Samosate, Arius, Macédonius, Eunomius, Sabellius, Apollinaire, Origène et les autres. Si ces mots du texte sacré ne désignent que les personnes de saint Pierre et des Apôtres, l'Eglise aurait donc été privée de consolation et n'aurait eu personne qui la sauvât de ces hérésiarques et de leurs doctrines qui sont les portes de l'enfer dont le Christ a dit qu'elles ne triompheront jamais de l'Eglise. Il est donc de toute évidence que ces mots désignent les successeurs de saint Pierre, qui ne cessent en effet d'affermir leurs frères et ne cesseront jamais jusqu'à la fin des siècles.

Vous savez bien que lorsque Arius se révolta, une assemblée fut réunie contre lui par l'ordre de l'évêque de Rome. Le saint Concile l'a condamné et a fait cesser son hérésie; et l'Eglise a accepté la décision de ce concile et a repoussé Arius comme l'Eglise d'Antioche avait accepté la lettre des Apôtres et avait rejeté ces sectateurs qui lui enseignaient la circoncision et la pratique de la loi. Ainsi lorsque Macédonius se révolta au sujet du Saint-Esprit, une assemblée fut réunie contre lui à Constantinople par l'ordre de l'évêque de Rome; ce concile rejeta l'hérésiarque et l'Eglise accepta sa décision comme elle avait accepté celle du premier. Elle excommunia Macédonius comme elle avait déjà excommunié Arius. Elle apprit de ces deux conciles à dire que le Fils et le Saint-Esprit sont de la substance du Père et que chacun d'eux est Dieu coéternel avec le Père. Elle accepta aussi ces deux conciles de la même manière que l'Eglise d'Antioche avait accepté autrefois le concile des Apôtres. De même que l'Eglise d'Antioche n'avait eu aucune part dans la décision des Apôtres, ainsi dans ces deux conciles personne n'a discuté. Et comme ce quo les Apôtres avaient écrit à l'Eglise d'Antioche était estimé une décision du Saint-Esprit, ainsi l'Eglise ne douta pas que la définition de ces deux conciles ne fût celle du Saint-Esprit. Aussi l'Eglise d'Antioche n'avait pas accepté le sentiment de Paul et de Barnabas ni celui des autres frères, mais elle les avait portés à l'assemblée des Apôtres et attendait la décision de cette assemblée ; lorsqu'elle l'eut reçue, elle fut consolée. C'est ainsi que l'Eglise n'a pas accepté la doctrine d'Arius ni celle de Macédonius, ni celles qui les contredisaient à cette époque parmi les Saints Pères ; mais elle porta le différend au saint concile et attendit sa décision ; lorsqu'elle l'eut reçue, elle fut consolée et réjouie.

Lorsque Nestorius se révolta en disant du Christ ce qu'il en a dit, l'Eglise rejeta sa doctrine et la porta, selon sa coutume, au saint concile, qui fut réuni à Ephèse par ordre de l'évêque de Rome. Le saint concile l'excommunia et fit cesser son hérésie. La sainte Eglise accepta ce concile et excommunia Nestorius en repoussant sa doctrine, persuadée qu'elle n'avait pas le droit de prendre part dans la décision de ce concile, mais qu'elle avait l'ordre du Saint-Esprit de s'y soumettre,, comme nous l'avons déjà démontré.

Sache bien, Nestorien, que tu es dans l'erreur et que tu as glissé de la pierre sur laquelle l'Eglise a été bâtie ; tu es séparé du Christ, il n'habite plus en toi parce que tu n'as pas accepté la décision du saint concile que le Saint-Esprit t'a commandé d'accepter comme tu dois accepter sa propre décision. Je m'étonne bien de ce que tu suives Nestorius que tu n'es pas obligé de suivre en le préférant à Paul et à Barnabas ; car l'Eglise n'a pas voulu accepter ce que disaient ces deux lumières des hommes. Mais tu as accepté ce que disait Nestorius et rejeté la décision du concile que tu es obligé de suivre. Tu as pris un soutien trop faible en te confiant à une intelligence humaine et tu as négligé l'assistance du Saint-Esprit. Sache encore que tu n'as aucune excuse en cela parce que tu as reçu les décisions de deux premiers conciles avec confiance et sans examen, comme le Saint-Esprit te commande de le faire; et tu as refusé ce troisième que le Saint-Esprit t'a ordonné d'accepter avec la même soumission que les deux premiers conciles. Tu as voulu discuter son jugement et tu n'as pas mis ta confiance dans le Saint-Esprit qui l'a assisté et l'a fait parler.

Si tu allègues des excuses au sujet de ce concile, sache bien qu'Arius et ses partisans peuvent facilement en alléguer de semblables contre le premier concile et l'accuser de plusieurs défauts ; et Macédonius et les siens peuvent aussi alléguer des motifs semblables et accuser le second concile sans crainte. Comme ils ne sont pas excusés et que tu ne les excuses pas en accusant ces deux conciles, il te faut savoir de même que tu n'es pas excusé auprès du Christ en accusant ce troisième concile.

Lorsqu'Eutychès et Dioscore se révoltèrent en disant du Christ ce qu'ils en avaient dit, l'Eglise a repoussé leur hérésie et les Saints Pères se sont levés contre eux. Mais l'Eglise n'a pas accepté leur doctrine ni celle de ceux qui les contredisaient, elle les a fait traduire au jugement du saint concile, selon sa coutume. Le quatrième concile a été réuni alors à Chalcédoine par l'ordre de l'évêque de Rome; il les a excommuniés et a fait cesser leur hérésie. L'Eglise accepta alors la décision de ce concile, comme elle avait accepte celles des trois premiers conciles; elle excommunia Eutychès et Dioscore et rejeta leur hérésie, sachant bien qu'elle n'a pas le droit d'intervenir avec ce concile et persuadée que sa décision était celle du Saint-Esprit.

Toi, Jacobite , pourquoi as-tu accepté les trois conciles avec confiance, sans discussion, et n'acceptes-tu pas le quatrième? Tu lui as préféré Eutychès et Dioscore en abandonnant le soutien de la colonne de la vérité que le Saint-Esprit t'a accordée et tu t'es appuyé sur un roseau brisé, laissant ta chair se couper et ton sang se répandre, et mourir ainsi spirituellement par ta précipitation à suivre ceux que tu n'es pas obligé de suivre. Mais cela t'est plutôt défendu, comme il t'a été défendu de suivre le serpent qui est l'instrument de l'erreur.

Tu ne cesses pas encore de changer la doctrine d'un tel pour celle d'un autre, tes chefs te changent la religion et la rendent comme un monstre, de sorte que tu as bien mérité l'appellation d'Acéphales : n'ayant pas de chef ou en ayant plusieurs. Tu es devenu comme une pierre déplacée de son fondement et qui ne cesse de se précipiter en tombant jusqu'au plus bas de la terre (aux enfers). Ainsi t'ont précipité Eutychès, Dioscore, Théodose, Sévère, Jacques, et tous autres hérésiarques, dont chacun a introduit dans ta religion l'erreur de son opinion; en se contredisant les uns les autres, ils contredisent tous la vérité.

En accusant ce saint concile, tu n'es pas le premier parmi les hérétiques qui accusent les saints conciles qu'ils n'ont pas voulu accepter. En effet. Arius, Macédonius et Nestorius avec leurs partisans ont blâmé de toutes leurs forces les conciles qui les avaient excommuniés; tu dis du IVe concile moins de mal que n'en avait dit chacun d'eux contre le concile qui l'a excommunié. Si tu approuves leurs accusations contre les conciles antérieurs, tu dois les suivre et accepter leur confession en jetant de ton cou le joug du Saint-Esprit, ouvertement et sans dissimulation. Si tu condamnes leur accusation contre ces saints conciles et prétends qu'ils sont dans l'erreur par leur désobéissance à ces conciles, tu dois juger de même ton accusation contre le IVe concile et dire que tu es dans l'erreur par ta désobéissance à ce concile.

Quant au Ve concile, nul ne défend l'hérésie qu'il a excommuniée pour discuter avec lui et le traiter comme nous avons fait avec ses semblables hérétiques.

Quand Macaire, Cyrus et Sergius se révoltèrent et enseignèrent leurs erreurs au sujet du Christ, l'Eglise refusa d'accepter leur opinion et plusieurs Pères s'élevèrent contre eux pour les discuter et repousser leur hérésie. Mais l'Eglise n'a pas accepté absolument leur opinion ni celle de leurs adversaires; elle les a portées au concile, selon sa coutume. Alors le VIe concile a été convoqué à Constantinople par l'ordre de l'évêque de Rome qui les a excommuniés et fait cesser leur hérésie. La sainte Eglise accueillit ce concile comme elle avait reçu les conciles antérieurs, abandonnant Macaire et les siens et rejetant leur hérésie.

Et toi, « Monothélite », tu as reçu avec obéissance le premier, le second et le troisième concile ; tu n'as pas jugé bon de discuter leurs définitions, comme le Saint-Esprit te défend de le faire; mais, arrivé au VIe concile, tu as oublié ce que dit le Saint-Esprit, et, comme un homme ivre, tu t'es élevé contre tes Pères qui méritent ton respect, les insultant comme un chien enragé. Le Saint-Esprit t'ordonne de leur obéir, mais tu as voulu supprimer leur définition et ôter la haie qui te défendait contre Satan; tu es sorti (du bercail de l'Eglise) pour être la proie des loups. Tu as ainsi négligé l'affaire qui te conduit sûrement à la perdition.

Si tu accuses ce saint concile, sache bien que les hérétiques qui étaient avant toi t'ont devancé en accusant les conciles qui les avaient excommuniés, de sorte que nul obstacle ne les empêcha d'imputer à ces conciles tout ce que Satan leur avait mis au cœur.

Si tu condamnes leur accusation contre ces conciles, tu dois condamner de même ton accusation contre le VIe concile et quitter ton erreur pour entrer dans la bonne voie; mais si tu approuves leur accusation contre les saints conciles, démasque-toi et suis tes amis en croyant ce qu'avaient enseigné tous les hérésiarques du commencement.

Que résulte-t-il de vos accusations, vous tous les hérétiques, contre ces conciles? Chacun de vous accuse ces saints conciles de trois choses, en disant : 1° que le concile a jugé mal, avec injustice et ignorance; 2° que le concile a été convoqué par l'empereur, c'est pourquoi il ne faut pas l'accepter; 3° que le concile antérieur avait défendu d'ajouter ou de supprimer quoi que ce soit à ce qu'il avait défini; que par conséquent il ne faut pas accepter ce qui vient après lui.

Si l'un de vous dit, en accusant un de ces conciles, qu'il a jugé mal par ignorance ou injustice, celui qui dit cela prétend avoir le droit de discuter la décision du concile ou d'y prendre part; mais le Saint-Esprit défend cela pour lui et pour quiconque. L'orgueil qui l'a enflé l'a empêché de se soumettre à la définition de ce concile, et il a ainsi mérité la mort spirituelle, comme vous avez entendu la loi de Moïse qui ne permet à personne de discuter avec l'assemblée ou d'estimer son opinion meilleure que celle de l'assemblée, sous peine de mort.

Si tu dis, hérétique, du concile que tu attaques, qu'il a été convoqué par l'empereur, et que par conséquent il ne faut pas l'accepter, pour cette raison il ne faudrait recevoir aucun des conciles précédents, car tous les conciles admis par tous les chrétiens ont été convoqués par les empereurs.

Il est bien connu que le premier concile de Nicée a été convoqué par l'empereur Constantin le Grand; le second a été convoqué a Constantinople par l'empereur Théodose le Grand; le troisième a été réuni à Ephèse par l'empereur Théodose le Jeune; le quatrième a été assemblé par l'empereur Marcien à Chalcédoine ; le cinquième a été convoqué à Constantinople par l'empereur Justinien le Grand, et le sixième a été convoqué par l'empereur Constantin, fils d'Héraclius, à Constantinople.

Si tu reproches, o Monothélite », aux cinquième et sixième conciles d'avoir été convoqués par les empereurs, et si tu prétends qu'ils ne méritent pas d'être acceptés parce que les empereurs ont employé la force en les convoquant et en exécutant leurs décrets, tu fais mal, car tu acceptes le quatrième et tous les conciles antérieurs qui ont été aussi convoqués par les empereurs, comme nous l'avons dit. Tout hérétique excommunié par l'un de ces conciles précédents peut dire comme toi que l'empereur qui a convoqué ce concile a employé sa force pour l'excommunier et qu'ainsi par la force a été convoqué ce concile contre lui. Si tu te prétends excepté de la condamnation de ces deux conciles parce qu'ils ont été convoqués par les empereurs, il faut nécessairement admettre que les Jacobites, que les Nestoriens, que Macédonius, Arius et leurs partisans sont exceptés de la condamnation des conciles qui les ont excommuniés et qui ont été convoqués par les empereurs. Si tu ne crois pas qu'ils sont exceptés de l'excommunication de ces conciles à cause de leurs convocations par les empereurs, tu ne dois pas non plus te croire excepté de l'excommunication des deux derniers conciles parce qu'ils ont été convoqués par les empereurs.

Si tu reproches, Jacobite, au quatrième concile qui t'a excommunié, d'avoir été convoqué par l'empereur, en disant qu'il ne mérite pas d'être accepté parce que l'empereur employa la force pour sa convocation et pour l'exécution de ses décrets, tu fais mal aussi, car tu as accepté le troisième concile et les deux précédents qui tous ont été convoqués par les empereurs. Tu dois donc excuser Arius, Macédonius et Nestorius refusant d'accepter la décision des conciles qui les ont excommuniés ; car chacun peut alléguer cette raison comme toi et dire que l'empereur employa la force en convoquant ce concile et en exécutant ses décrets contre lui. Si tu te permets de repousser ainsi la définition du quatrième concile parce qu'il a été convoqué par l'empereur, il faut nécessairement permettre à tous ces hérétiques de repousser les définitions des conciles qui les ont excommuniés; si tu ne leur permets pas de repousser les définitions des conciles qui les ont excommuniés, tu ne dois pas non plus te permettre de repousser la définition du quatrième concile ; autrement tu deviens injuste et irraisonnable.

Nous te dirons la même chose, à toi Nestorien, que nous avons dite aux Jacobites et aux « Monothélites. » Tu ne dois pas reprocher au concile qui t'a excommunié d'avoir été convoqué par l'empereur, ni repousser sa définition sous ce prétexte ; autrement, tu fournirais une excuse à Arius et à Macédonius qui ont refusé d'accepter les décisions des conciles qui les ont condamnés : car ils allégueront la même raison que toi. Si tu fais cela, tu ruines tout ce que tu crois d'après ces deux conciles.

Mais ce n'est pas un reproche pour ces conciles : c'est plutôt une grâce dont l'Eglise doit remercier le Christ qui a soumis les empereurs pour servir ainsi ses Pères et docteurs ; car tout empereur qui a convoqué un de ces conciles est devenu par là même un grand bienfaiteur, d'abord en donnant l'hospitalité aux Pères et en les défendant contre la population pour leur permettre d'examiner paisiblement la doctrine, et ensuite en exécutant les décrets du concile. Il n'avait aucune part dans l'examen de la doctrine ni dans la définition de ses décrets; il servait les Pères du concile, les écoutait et acceptait tout ce qu'ils définissaient au sujet de la doctrine, sans prendre part à la discussion. Si l'un de vous, hérétiques qui prétendez être chrétiens, reproche à ces conciles l'assistance des empereurs et leur présence parmi les Pères, il annule tout ce que possèdent les chrétiens, il veut nous réduire à l'Ancien et au Nouveau Testament; nous pourrons dire comme Arius : « Le Verbe est créé », ou avec Macédonius : « Le Saint-Esprit est créé », ou avec cet hérétique qui fait une brèche dans le mur de l'Eglise qui défendait le troupeau contre le loup ravisseur chassé ; en conséquence il corrompt la doctrine chrétienne et fait du christianisme un nouveau judaïsme.

Si tu dis, toi, autre hérétique, en parlant du concile qui t'a condamné, que le concile d'avant lui avait défendu de rien ajouter et de rien supprimer à ce qu'il avait défini et que par conséquent il ne faut pas recevoir ce concile qui est venu après, sache bien que tu dis des choses que tu ne comprends pas et dont tu ignores la portée : parce que la définition de chaque concile est comme un remède particulier que le Saint-Esprit prépare pour éloigner du corps de l'Eglise la maladie de cette hérésie condamnée par ce concile. Quand ce concile dit qu’il est défendu à quiconque d'ajouter ou de supprimer à ce qu'il a défini, il entend qu'il n'est permis à personne de le contredire et de préparer à la maladie de cette hérésie qu'il a condamnée un remède différent de celui qu'il a préparé sous l'inspiration du Saint-Esprit; car le Saint-Esprit ne se contredit pas. Ce concile ne peut dire à l'Eglise, si elle voit surgir une autre hérésie, qu'il est défendu aux Pères qui en sont les médecins de se réunir pour en éloigner cette maladie comme il avait éloigné la maladie qui agitait l'Eglise de son temps. Si, par impossible, ce concile avait agi de cette manière, il aurait laissé l'Eglise exposée à toutes les maladies des hérésies de l'avenir et empêché les Pères de lui appliquer les remèdes propres. Cela serait opposé à l'institution du Saint-Esprit qui a établi les conciles pour remplacer dans la suite des siècles le collège des Apôtres, comme Moïse avait institué les assemblées auxquelles il avait ordonné d'obéir pour le remplacer à jamais dans la fonction de juger les différends qui surgiraient entre les juges.

Si tu poursuis, hérétique, en disant que le concile reçu de tous a défendu de rien ajouter et de rien supprimer à sa décision, voulant qu'il n'y ait jamais après lui un autre concile, il faudrait annuler tous les conciles, du premier au dernier, parce que saint Paul a dit à l'Eglise : Si lui-même ou un ange du Ciel vient lui enseigner une doctrine autre que celle qu'il a enseignée, qu'il soit anathème. Il est donc permis à Arius selon ton sentiment et d'après cette citation, de dire au concile de Nicée : « Je n'accepterai pas votre doctrine parce que saint Paul a défendu à quiconque d'enseigner à l'Eglise une doctrine autre que celle qu'il a enseignée lui-même. » Il est aussi permis à Macédonius de dire au second concile : « Je n'accepterai pas votre doctrine parce que saint Paul a défendu à quiconque d'enseigner à l'Eglise une doctrine autre que celle qu'il a enseignée lui-même, et que le concile antérieur a aussi défendu de rien ajouter à sa décision et d'en rien supprimer. » Si cela te semble bon, hérétique, tu nous réduis facilement à garder les livres de l'Ancien et du Nouveau (Testament), nous pourrons dire sans souci avec Arius : « Le Fils est créé », et nous dirons impunément avec Macédonius : f Le Saint-Esprit est créé », et sans crainte d'être blâmés nous confesserons la doctrine de qui nous voudrons d'entre les hérétiques, en judaïsant le Christianisme, comme nous l'avons déjà dit.

Mais c'est tout le contraire. Hérétiques, vous avez mal entendu la pensée des Pères ; car la sainte Eglise ressemble au fils du roi, et les Pères sont les médecins à qui le roi confia le soin de lui conserver la santé et d'en éloigner toute maladie et toute faiblesse ; or les hérésies ne sont que des maladies et des faiblesses. Le médecin à qui a été confié son corps ne commet pas une faute si, voyant le corps du fils de ce roi saisi par une maladie, il chasse cette maladie par un traitement approprié. Et si, après cela, il vient à dire : « Il est défendu à quiconque de changer la moindre chose au traitement que j'ai prescrit », nous comprenons que ce médecin veut seulement dire qu'il n'est permis à personne de soigner cette maladie par un traitement différent de celui qu'il a prescrit lui-même. Ce médecin ne dit pas aux médecins qui viendront après lui : « Si le (corps du) fils du roi a dans la suite une autre maladie, il n'est pas permis de le soigner autrement » ; sinon il mettrait l'enfant du roi en péril et il serait traître et ennemi du roi. Ainsi chacun de ces saints conciles a préparé un remède propre à l'hérésie qui a surgi à son époque, et il a fait connaître à tout le monde que le remède qu'il lui prescrit est efficace et approprié à la maladie de cette hérésie, et que personne ne doit la traiter ni la combattre d'une autre manière qu'il a fait lui-même. S'il défendait aux médecins spirituels qui viendront après lui, quand une autre hérésie se manifestera dans leur vie, de lui préparer un autre remède et de faire cesser la maladie, il serait traître et ennemi du Christ. Plaise au ciel que jamais un concile réuni par le Saint-Esprit ne soit ainsi !

Vous tous les hérétiques, vous avez mal entendu la parole des Pères. Satan, ennemi des hommes, se moque de vous et, vous fascinant, il vous porte à blasphémer contre le Saint-Esprit quand vous censurez les décrets du concile qui sont les décrets du Saint-Esprit lui-même, comme je l'ai dit. Les Apôtres, lorsqu'ils ont prononcé leur décision contre l'hérésie qui s'agitait à leur époque, ont déclaré que « C'est l'avis du Saint-Esprit et le nôtre », faisant connaître à tout le monde que leur avis est celui du Saint-Esprit ; par conséquent, quiconque blasphème contre la décision d'un concile blasphème contre le Saint-Esprit lui-même.

Tu disais, hérétique, du concile qui t'a condamné : Il a contredit le concile qui était avant lui, si l'on veut examiner bien sa décision ; et par conséquent, comme tu le prétends, il est évident qu'il n'est pas du Saint-Esprit, car l'Esprit-Saint ne se contredit pas.

Nous te répondrons, hérétique : Ton esprit est obtus et tu n'es pas éclairé par l'Esprit-Saint à cause de ta mauvaise foi ; c'est pourquoi tu penses que ce concile qui t'a condamné a contredit le concile antérieur. Mais tu ne dois pas avoir une part avec ce concile dans sa définition si tu comprends bien ce que le Saint-Esprit t'a ordonné par la bouche de Moïse chef des prophètes ; tu dois plutôt accepter la définition du concile sous peine de mort spirituelle. Le Saint-Esprit n'a pas laissé l'assemblée des Apôtres tomber d'aucune manière dans l'erreur, puisqu'il lui a confié de juger les différends qui s'élèveraient au sujet de la doctrine, comme nous l'avons déjà expliqué plusieurs fois : autrement le Saint-Esprit, qui a imposé aux hommes de lui obéir, serait la cause principale de l'erreur enseignée aux hommes par ce concile. Plaise au Saint-Esprit qu'il n'en soit pas ainsi !

Si tu te permets de censurer le décret du concile qui t'a condamné et de critiquer sa définition, en disant qu'il a contredit le concile antérieur, il faut permettre à Arius de censurer aussi la définition du concile de Nicée qui le condamna en disant que sa définition est en contradiction avec l'évangile des Apôtres ; il faut permettre encore à Macédonius de censurer la définition du deuxième concile qui l'a condamné en disant que sa parole est en contradiction avec la définition du premier concile. Mais je ne pense pas que tu fusses cela en prétendant avoir droit de discuter avec le concile qui t'a condamné.

Puisque vous avez soumis vos objections, tous les hérétiques, ni vous et aucun autre, vous ne devez pas vous permettre de censurer les saints conciles ni vous opposer d'aucune manière à leur définition ; autrement le Saint-Esprit aurait inutilement ordonné, par la bouche de Moïse, chef des prophètes, de mettre à mort celui qui n'accepte pas la définition du concile : sinon, chacun pourrait accuser le concile si ce concile prononce contre lui un jugement; et il pourrait refuser d'accepter sa décision pour cette fausse accusation et se sauver de la peine de la mort spirituelle ; mais le Saint-Esprit ne laissa à personne cette liberté ; de plus, il prononça clairement la peine de mort contre celui qui ne se soumettra pas à la définition du concile, et cela pour quiconque quel qu'il soit, sans exception; il ne laisse à personne un prétexte pour éviter la mort en accusant ce concile ou en agissant de toute autre manière. Sachez bien, vous tous hérétiques, que vous tombez tous sous le coup de cette menace : quiconque désobéit à ces saints conciles, le Christ le condamne à mort, et il vous dépouille du Saint-Esprit qui habitait en vos cœurs. Voyez donc qui doit y habiter.

Sachez bien ceci, vous tous qui êtes rebelles à l'Esprit-Saint : celui qui, parmi vous, ne prétend pas être savant, nous l'avons éclairé sur la voie de la vérité, et il n'aura aucune excuse en repoussant les saints conciles auxquels il sait déjà qu'il est tenu de se soumettre ; rien ne peut le tenir éloigné du royaume de Dieu ou chassé du festin nuptial du Christ s'il suit ces saints conciles ; et celui qui prétend être savant, est semblable aux prêtres des Juifs et aux pharisiens qui ont empêché les Juifs d'entendre l'enseignement du Saint-Esprit et leur ont donné la lie de leur intelligence obscure pour les enivrer, de manière qu'ils ont méconnu le Christ annoncé par l'Ecriture Sainte et que, séduits par eux, ils l'ont crucifié. Ainsi vous avez trompé ces malheureux en les empêchant d'obéir au Saint-Esprit qui a fait parler ces saints conciles; vous leur avez offert la saleté de votre intelligence obscure et ce que vous étudiez dans l'aveuglement de vos cœurs ; vous les avez fait blasphémer contre le Saint-Esprit. Vous êtes ainsi perdus et vous avez perdu les autres, vous avez enchaîné au fond de l'enfer ceux qui vous suivent; mais le diable vous enchaîne tous, il vous retient comme compagnons dans le feu de l'enfer préparé pour lui et pour ses anges, vous y faites sa consolation et sa joie.

Quelqu'un de vous prétendrait-il se mettre d'un côté et mettre le concile de l'autre, et dire : « hommes, ne croyez pas ce concile, mais croyez-moi, car j'en sais plus que lui, je suis plus recommandable que lui ? » Malheureux ! quand donc as-tu mérité d'avoir cette sagesse ou plutôt cet aveuglement plus que tous les hommes ? quand donc es-tu devenu le plus clairvoyant de tous les hommes dans leurs intérêts ou plutôt le plus grand trompeur? Il aurait fallu que le Saint-Esprit te fit connaître depuis longtemps aux hommes, si tu es vraiment ce que tu penses être, afin qu'ils fussent fixés sur ta personnalité ; il aurait fallu qu'il te caractérisât comme il avait caractérisé ce concile ; il aurait fallu qu'il donnât dans la Sainte Ecriture tes signes de cognoscibilité comme il avait fait pour ce concile; il aurait fallu, de plus, qu'il obligeât les hommes à te suivre comme il les avait obligés à suivre ce concile. Mais je ne suis pas étonné de cela, aveugle qui ne sais ni ce que tu dis, ni ce que tu raisonnes, comme parle saint Paul; tu es si ignorant et si enveloppé par l'obscurité de l'erreur, que tu ne sens plus ton état. Je m'étonne plutôt de voir ces malheureux abandonner l'obéissance à ces saints conciles selon l'ordre du Saint-Esprit et se laisser conduire par toi comme l'aveugle dont parle Notre-Seigneur dans l'Evangile : « Un aveugle conduit un autre aveugle et tous les deux tombent dans la même fosse. » Et comme dit saint Paul : « Ils ont pris plusieurs faux docteurs comme vous à cause de la démangeaison de leurs oreilles. » (II Tim., iv, 3.)

Mais, nous, orthodoxes et enfants de la sainte Eglise, nous rendons gloire et action de grâces au Christ, notre Dieu, qui nous a accordé la bonne volonté et l'obéissance aux saints conciles que le Saint-Esprit a fait parler. Nous sommes dans sa maison et dans le bercail de ses troupeaux. Par sa protection, nous sommes sauvés de Satan qui, comme un loup dévorant, rôde autour de nos âmes pour surprendre celui qui se hasarde à sortir de l'Eglise et en faire sa proie. Nous supplions notre Seigneur et notre Dieu Jésus-Christ de nous affermir pour toujours sur le roc de son Eglise sainte et de nous faire boire la liqueur de sa douce doctrine. Nous serons ainsi enivrés de son amour qui remplit nos âmes et nos cœurs de joie et de bonheur en nous portant à lui obéir par l'observation de ses commandements, pour vivre éternellement et hériter son royaume céleste préparé pour tout ce qui a été édifié sur le fondement de saint Pierre par le Saint-Esprit. Esprit-Saint, faites-nous connaître le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui s'est incarné de la Vierge Marie par le Saint-Esprit pour notre salut. A lui soit la gloire, la puissance, la majesté et l'adoration, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

 


 

[1] Théodore Abu Qurrah = ثاوذورس أبي قرة (= Thaoudourous Abou Qourra) est un théologien chrétien de langue arabe, qui vécut durant la première période de l'islam. Il est connu, dans les publications anciennes, sous le nom d'Aboucara. (On trouve aussi des graphies du type Abou Kurra) Wikipédia, où un article conséquent est disponible sur cet auteur.

[2] Tome XCVII, col. 1468-1609.

[3] Œuvres arabes de Théodore Aboucara, évêque de Haran, le plus ancien écrit chrétien en arabe, édité pour la première fois par le P. Constantin Bâcha, religieux basilien de Saint-Sauveur, de Beyrouth. In-8°, 200 p.

[4] Editée et traduite par M. l'abbé Chabot. Paris, 1899, tome III, p. 29-34. Michel le nomme Theodoricus Pygla. M. Chabot dit dans une note qu'il n'est pas sûr de la lecture de ce mot dans le manuscrit. Mais son identification avec Théodore Abou-Kurra m'a paru très évidente dès la première lecture ; les lettres d'Abou-Raïta, dont je parlerai plus tard, m'ont donné plus d'assurance encore.

[5] Abou-Kurra est un nom arabe composé de deux mots : Abou, déclinable, veut dire père et, dans le sens figuré, cause ; et Kurrat veut dire joie et bonheur. Les Arabes emploient ces noms comme adjectifs pour exprimer simplement une bonne qualité ; c'est pourquoi des évêques les portent, comme Aboul-Farage, Abou-Raïta, etc. Abou-Kurra signifie donc cause de joie et de bonheur, et non père de Carie ou évêque de Carie, comme l'ont dit quelques savants qui ont confondu ce Théodore Abou-Kurra, évêque de Haran, avec un autre Théodore, évêque de Carie, qui fut d'abord l'ami de Photius et devint ensuite son adversaire. L'évêque de Carie ne put jamais écrire en arabe ou en syriaque, ni avoir aucune relation avec les califes arabes. La ressemblance de l'orthographe ancienne de ces mots : Carie, Charres et Aboucara, selon l'orthographe grecque, ne doit pas confondre ces deux Théodore. Nous avons pensé mieux d'abandonner l'ancienne orthographe grecque Aboucara et écrire ainsi Abou-Kurra, selon la prononciation arabe la plus exacte.

[6] Cf. Krumbacher, Byzantinische Litteraturgeschichte. 2e édition, p. 68.

[7] Pour placer plus tard la naissance de Théodore, il faut forcer le sens de « Maître » et le prendre dans celui de Docteur dont on étudie les écrits.

[8] Cf. Krumbacher, loc. cit., p. 151-152. Cette biographie a été éditée par M. Pourjalousky à Saint-Pétersbourg, 1892, en grec ; mais la biographie arabe n'est pas encore utilisée.

[9] Le ms. 147 arabe de la Bibliothèque Nationale de Paris renferme cette biographie. J'en possède deux copies, dont l'une a été écrite à Saint-Sabba au xve siècle.

[10] Les Œuvres de saint Jean Damascène ont été toutes traduites en arabe dans le XIe siècle. Cette traduction n'égale pas, dans son expression, la composition originale d'Abou-Kurra.

[11] Il y a encore actuellement une autre localité qui porte le nom de Haran dans le désert de Damas, ou plutôt dans le désert d'Alegea. Elle dépendait du patriarcat, mais, après la conquête arabe, ayant été ruinée, elle avait perdu son siège épiscopal. Une lumière de l'Eglise comme Abou-Kurra ne doit pas être cachée là-bas.

[12] Mich.. t. III, p. 22.

[13] Melchites veut dire « Impériaux. » Les Jacobites, par mépris, appelaient ainsi les Catholiques qui étaient séparés d'eux par leur soumission à ce Concile ; ils les insultaient parce qu'ils obéissaient à l'empereur Marcien qui convoqua ce Synode et employa la force pour l'exécution de ses décrets. C'est le vrai sens de ce nom, selon les documents anciens, qui en cela sont unanimes. En général, tous les anciens écrivains orientaux : Melchites, Nestoriens, Jacobites, Syriens, Coptes, Musulmans, ne disent pas autrement en parlant des Melchites ou du Synode de Chalcédoine. Ce n'est pas pour cause politique que les grecs de Syrie et d'Egypte ont reçu ce nom, comme le prétend Assemani dans sa Bibliothèque Orientale, t. I, p. 508.

[14] Loc. cit., et Lettres d'Abou-Raïta. — Ms. 169.

[15] Cette prière est chantée dans la seconde Antienne. Abou-Raïta la mentionne dans le texte grec avec une traduction arabe comme monument ancien de la foi orthodoxe antérieur à l'époque du Concile de Chaicédoice. Ce témoignage est remarquable pour l'antiquité de l'usage de cette prière dans la Messe grecque, dont voici la traduction : « Fils unique, Verbe de Dieu, Immortel, ayant voulu vous incarner dans le sein de la sainte Mère de Dieu, toujours Vierge, Marie, pour notre salut et vous faire homme sans changer. Vous fûtes crucifié, ô Christ notre Dieu, écrasant la mort par votre mort. Vous l'un de la Sainte Trinité, glorifié avec le Père et le Saint-Esprit, sauvez-nous. » 

[16] Voir les notes de M. Chabot dans Michel, t. III, p. 32.

[17] Michel, t. III, p. 50, et Duval, La littérature syriaque, p. 390.

[18] Theodori Abu Kurra de Cultu Imaginum libellus. Bonn, 1897.

[19] Bibl. Or., t. II, p. 292, note.

[20] Basile était le disciple d'Eutyme et son assistant dans la fondation de notre Congrégation. Il fut évêque de Panéas en 1724. C'est le premier-né des évêques de cette Congrégation de Saint-Sauveur où l'on compte actuellement sept archevêques et évêques. Basile, avant ce traité, qui est le dernier dans notre manuscrit, a écrit cette note : « Notez bien, lecteur, que c'est une autre copie prise sur celle de Saint-Sabba près Jérusalem, copie originale de notre livre. » On ne sait pas si ce second manuscrit renferme tous les traités d'Abou-Kurra ou seulement ce dernier traité.

[21] Ce fragment se trouve dans la grande édition (p. 134-170), et dans l'édition du texte de ce traité imprimé ici avec traduction (p. 16-27).

[22] On voit clairement qu'Abou-Kurra a traité ce sujet plusieurs fois dans ses écrits.

[23] Nous avons confronté ces passages avec la version arabe de la Bible et nous avons indiqué les numéros de ces passages qui intéressent beaucoup l'étude des anciens textes ou versions. Pour juger de leur importance, il suffit par exemple de voir la belle traduction du nom de Dieu : « Je suis celui qui ne cesse pas d'être. »

[24] Il est bien clair que ces mots « dont nous avons copié ce livre » sont écrits par le moine Agabi qui a copié ce livre sur le manuscrit de Saint-Sabba, comme on le voit aussi dans la note de Mgr Basile (cf. p. 8) ; mais on ne peut dire sans témérité la même chose de la phrase qui précède : « S. Sabba, patron du courent oie ce livre a été écrit » ; que c'est une interpolation du premier copiste, qui pouvait être religieux de Saint-Sabba.

[25] Cette seconde rédaction de la controverse a été interpolée, à notre avis, au commencement et à la fin. Abou-Kurra y porte le nom de Siméon et prend encore le titre d'évêque de Nisibe, tandis que dans la première rédaction il ne prend d'autre titre que « Abou-Kurra, évêque de Haran. » Dans des manuscrits de la seconde rédaction, le calife est nommé Haroun-Al-Rachid, dans d'autres son fils Al-Mamoun, il y a des manuscrits qui portent confusément les noms de deux califes; tandis que dans la première on voit partout et toujours le nom d'Al-Mamoun. Dans la seconde l'orthographe du nom d'Abou-Kurra est incorrecte et l'évêque y figure comme étranger dans la cour du calife, tandis que dans la première rédaction et dans le dialogue il figure toujours comme ami familier du grand protecteur des lettres et des sciences. Cette controverse dans ses deux rédactions est orthodoxe et même anti-nestorienne en plusieurs passages ; il n'y a donc pas deux Abou-Kurra, l'un melchite et l'autre nestorien, comme pensent quelques-uns. Aboul-Baracat cite simplement Abou-Kurra parmi les écrivains nestoriens avec Abed-Allah d'Antioche, qui est bien melchite. Voir le ms. arabe de la Bibliothèque Nationale, n° 203, f° 112.

[26] C'est la lecture la plus correcte des manuscrits et la plus vraisemblable pour l'histoire de ces hérétiques contemporains de Théodore.