Abd.Errazzak

ABD-ERRAZZAK SAMARKANDI

EXTRAITS DE L’OUVRAGE PERSAN QUI A POUR TITRE MATLA-ASSAADEÏN OU-MADJMA-AL-BAHREÏN

PARTIE II

PARTIE I - PARTIE III

 

Traduction française : Mr. QUATREMERE

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

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ABD-ERRAZZAK SAMARKANDI

EXTRAITS DE L’OUVRAGE PERSAN QUI A POUR TITRE

MATLA-ASSAADEÏN OU-MADJMA-AL-BAHREÏN

 

CHASSE DE SCHAH-ROKH DANS LE IILAK (CAMPEMENT D'ÉTÉ) DE SALMAKAN.

Schah-rokh, étant arrivé dans les environs de Salmakan, résolut de prendre le divertissement de la chasse. Par son ordre, les towadjis envoyèrent des assignations qui enjoignaient aux soldats de former autour des plaines et des montagnes le ierkeh (enceinte), et de tuer les bêtes sauvages, les oiseaux et autres animaux qu'ils trouveraient sur leur passage. L'empereur, monté sur un cheval aussi rapide que l'éclair, accompagné des princes, des émirs, des vizirs, de ses soldats, de ses chevaux, de ses chiens, se précipita sur les pas du gibier. Les flèches pleuvaient de tous côtés; la tête des gazelles se trouvait couverte de plumes d'aigle; et bientôt l'air resta sans oiseaux, et la plaine sans animaux.

« L'épervier déchira la poitrine de la perdrix. La panthère saisit le cou de la gazelle. »

« La terre du lieu de la chasse, imbibée du sang du gibier, prit la couleur du rubis de Badakhschan. »

Plusieurs jours se passèrent dans les plaisirs de la chasse; sur ces entrefaites, un courrier arriva, et annonça que Mirza-Omar se trouvait dans le voisinage de l’ordou (camp) impérial, et aspirait à l'honneur de baiser la main de son souverain.

Mirza-Omar, ayant perdu l'espérance de se réconcilier avec son père et son frère, ne crut pas pouvoir rester plus longtemps dans les provinces de la Perse, et tourna son espoir vers la cour auguste, qui est le refuge des princes. Il adressa à Schah-rokh un message contenant ces mots : « Je ne saurais trouver un asile qu'auprès du Khakan heureux ; lui seul m'inspire une entière confiance. Mais, jusqu'aujourd'hui, par suite de la faiblesse de mes chevaux, et de l'embarras que m'ont causé des affaires de tout genre, je suis resté dans un état d'incertitude, et j'ai renoncé au bonheur de baiser la main de l'empereur. » Schah-rokh aussitôt envoya au prince des vêtements de sa garde-robe particulière, des chevaux magnifiques, une couronne et une ceinture. Il ordonna que, dans la ville de Sebzewar, qui se trouvait sur la route de Mirza-Omar, on disposât tout ce qui pourrait lui être utile, et qu'on le reçût avec toutes sortes d'honneurs. Le prince, trouvant dans cette ville tout ce qu'il était en droit de désirer, continua sa route vers la cour auguste de l'empereur. Le 1er jour du mois de rebi premier, étant arrivé dans le iilak (campement d'été) de Salmakan, au lieu nommé Khodjah-kanbar, il fut admis à baiser la main de son souverain. Il reçut des témoignages éclatants d'une bienveillance vraiment royale; ses serviteurs et tous ceux qui formaient sa suite furent gratifiés de robes magnifiques et de chevaux d'une beauté remarquable. Grâce à la bonté si affectueuse dont il devint l'objet, pouvant se dire à lui-même : « Plaise à Dieu que mon peuple sache que l'on m'a pardonné, et que j'ai été comblé de marques de générosité, » il vit le langage de sa situation exprimer d'une manière claire le sens contenu dans ce vers :

« La position de l'esclave a pris une nouvelle face. Tout ce qui peut contribuer au plaisir et à la sécurité a, pour lui, recommencé son cours. »

Sur ces entrefaites, Mengli-Timour et Khodjah-mekki, députés de Pir-padischah, étant partis d'Esterabad, arrivèrent à la cour et apportèrent de la part du prince des propositions conçues en ces termes : « Si Sa Majesté veut bien me confier le gouvernement de cette province, m'accorder la grâce de ces hommes qui sont venus chercher un asile auprès de moi, et reprendre la route de Hérat, sa capitale, votre esclave vous enverra ces fugitifs accompagnés de son fils, afin qu'ils s'occupent désormais uniquement du soin de vous servir. » Une pareille demande annonçant, dans Pir-Padischah, un orgueil excessif, Schah-rokh se dirigea vers Esterabad ; mais la chaleur de l'atmosphère ne lui permit pas de hâter sa marche.

Au commencement de l'automne, le Khakan heureux entra sur le territoire du Mazandéran, et, vers le milieu du mois de rebi premier, il vint camper dans les environs de Tenaseman. Là résidait Baïezid-Djoupan, serviteur de Pir-Padischah. Mais, comme la ville d'Esterabad est la clef, la place vraiment importante de cette province, l'empereur, méprisant de faibles ennemis, ne daigna pas attaquer Tenaseman, ainsi que des éperviers regarderaient comme un déshonneur de tuer des moineaux, et que des lions ne s'abaissent point à prendre des chacals. La nombreuse armée du prince se dirigea du côté d'Esterabad. Les karaouls (coureurs) étant venus aux mains avec l'ennemi dans le lieu nommé Feraskhaneh, quelques behadur (braves officiers) de Pir-Padischah furent faits prisonniers et mis à mort. Cependant les étendards victorieux de l'empereur se déployèrent dans la plaine d'Esterabad. De son côté, Pir-Padischah, à la tête d'une armée aussi nombreuse que les feuilles des arbres, que les gouttes de la pluie, avait établi ses quartiers en dehors de la ville d'Esterabad. Les troupes impériales, étant arrivées au lieu nommé Siah-bilav, s'occupaient à creuser un fossé pour se mettre à l'abri des attaques, lorsque tout à coup l'armée de Pir-padischah, couverte d'armes brillantes, déboucha d'une forêt. Pir-Padischah était au centre; Schems-eddin-Oudj-kara, Schir-Ali, et Djafar-Sâheb se trouvaient à l'aile gauche. L'aile droite était commandée par l'émir Seïd-Khodjah, Abd-al-samad et Seïd-Schems-eddin. Ces troupes, rangées en bon ordre, vinrent présenter la bataille à leur ennemi. L'armée impériale, laissant là le fossé qu'elle creusait, se prépara à combattre. A l'aile gauche, Mirza-Omar-Behadur, l'émir Iousouf-Khalil et Djihan-Melik se précipitèrent sur l'ennemi. Au centre, l'émir Ali-Tarkhan et tous les braves Tarkhans s'élancèrent sur le champ de bataille. L'aile droite, sous les ordres d'Olug-beigh, de l'émir Schah-mulk et de l'émir Mousa-Kâber, commença l'attaque. Les deux armées se choquèrent avec l'impétuosité des flots de deux mers orageuses. La plaine et les collines furent bientôt encombrées de morts et de blessés. Enfin, grâce au secours divin, la victoire se déclara pour l'armée impériale. Pir-padischah, triste et consterne, chercha son salut dans la fuite, et se dirigea précipitamment vers la forêt et le désert. Par suite de cette victoire, le canton d'Esterabad, la province de Djordjan, et tout le Mazandéran, tombèrent au pouvoir de Schah-rokh, — et ses troupes s'enrichirent du butin le plus précieux. L'empereur, cédant à son penchant naturel pour la clémence, fit taire son ressentiment et pardonna généreusement aux habitants de cette contrée. Pir-Padischah se retira du côté du Khwarizm, et Seïd-Khodjah, accompagné d'Abd-alsamad, prit la route de Chiraz. Schems-eddin-Oudj-kara et Seïd-Hosaïn, fils de la sœur de Seïd-Khodjah, vinrent chercher leur refuge auprès du monarque, l'asile du monde, et furent accueillis de la manière la plus bienveillante. Des lettres annonçant la victoire du prince furent expédiées dans toutes les provinces du royaume, et le bruit de cette mémorable conquête se répandit dans le monde entier. Seïd-Izz-eddin-Hezardjeribi, qui se distinguait entre les principaux seïds par ses qualités éminentes, et dont la famille avait constamment exercé sur les habitants de la province le droit de l'autorité et de la magistrature, députa son frère vers l'empereur, auquel il fit remettre des présents dignes d'un souverain. Dans toute l'étendue de la contrée, la monnaie et la khotbah furent décorées du nom et des titres augustes du monarque. Maulana-Djélal-eddin-Lutf-allah-Sadr, qui, à cette époque, était le premier sadr du monde, fut envoyé en ambassade dans le canton de Sari. Grâce aux soins de ce négociateur, le gouverneur de la province, Razi-eddin-Seïd-Mourtaza, conclut un traité cimenté par des serments, et dans lequel il s'engageait à ne jamais, durant toute sa vie, contrevenir en rien aux ordres de l'empereur. Le Maula reçut de lui des témoignages d'une faveur insigne. D'un autre côté, Maulana Sadr-eddin-Ibrahim-Sadr se rendit à Hezar-djerib, auprès de Seïd-Izz-eddin, qui se soumit à tous les devoirs que réclamaient la soumission et l'obéissance.

Après l'entière conquête du Mazandéran, le gouvernement de cette contrée fut confié à Mirza-Omar-Behadur, qui reçut aussi le commandement des provinces de Gorgan (ou Djordjan), de Dahestan, d'Esterabad et de Damegan, pour y exercer tous les droits de la souveraineté. Sa cour fut composée d'émirs renommés pour leur insigne bravoure. Le Khakan heureux ne manqua pas d'adresser au prince des conseils pleins de sagesse et de bienveillance. Après avoir terminé cette affaire importante, il reprit, accompagné de ses troupes victorieuses, la route du Khorasan. Arriva dans cette province, il confia au prince Moughith-eddevleh-ou-eddin-Mirza-Olug-beigh-Kourkan le gouvernement de Tous, de Khabouschan, de Kelat, d'Abiverd, de Iazer, de Sebzewar et de Nischabour. Après avoir donné, au pays comme aux habitants, des témoignages de son équité et de sa clémence, il se dirigea vers Hérat, sa capitale. Sur ces entrefaites, ce prince reçut la nouvelle que l'émir Mousa-Kâ avait envoyé sa famille dans le Khwarizm, et qu'il ne tarderait pas lui-même à s'y rendre. Mais cet émir, arrêté et chargé de chaînes, fut conduit à Hérat. Le 4e jour du mois de djoumada second, au moment où le soleil se trouvait placé vis-à-vis le point de l'équinoxe (solstice) d'hiver, le monarque fit son entrée dans sa capitale. A cette époque, le Khorasan était en proie à une disette et à une cherté de vivres telle que jamais on n'en avait vu de semblable. Un mann de froment, dont le poids légal est de 260 mithkal, se vendit jusqu'à trois dinars kopeki, évalués à deux mithkal d'argent monnayé. Schah-rokh, plein de bienveillance pour ses sujets, donna ordre d'ouvrir les greniers et de vendre à tout le monde le mann de grain, au prix d'un dinar kopeki.

Mirza-Pir-Mohammed, fils de Mirza-Djihanghir et petit fils du sultan Emir-Timour-Kourkan, avait tiré Pir-Ali-Taz de la classe infime de l'esclavage, l'avait élevé au rang de serdar (général), et lui avait conféré une autorité absolue sur tout ce qui concernait les affaires de l'empire et celles des sujets, oubliant cette sage maxime : que, toutes les fois qu'un souverain rend un particulier assez puissant pour s'ôter à soi-même la possibilité de le punir, cet acte est un symptôme de faiblesse, de lâcheté, d'impuissance, ou plutôt, c'est une véritable association à l'empire; que de là naissent des fléaux que la main de la Providence ne saurait réprimer, et des troubles que l'on ne peut plus se flatter d'apaiser. Mirza-Pir-Mohammed, préférant une salle de festin à un champ de bataille, se livrait tout entier au plaisir, à des divertissements de tout genre, à son goût pour la musique, et négligeait complètement les soins de l'administration. Par suite de cette manière d'agir, les affaires de l'Etat furent bientôt livrées au désordre et à l'anarchie. Pir-Ali Taz, dont le pouvoir allait chaque jour en croissant, ne tarda pas à rêver l'espérance de parvenir à une autorité absolue. Il eut soin de mettre dans ses intérêts un certain nombre d'hommes qui lui inspiraient de la confiance. Au commencement du mois de ramazan, l'approche du jeûne avait réveillé dans l'âme de Mirza-Pir-Mohammed des sentiments de repentir et de componction. Le 14e jour du mois, le pervers Pir-Ali-Taz s'introduisit dans la tente du prince, qui reposait sans défiance, et le massacra avec plusieurs de ses principaux courtisans. Mirza-Seïd-Ahmed se trouvait alors dans la ville de Schuburgan. Saisi de frayeur, il se rendit à la cour du Khakan heureux, auquel il rendit compte de l'événement funeste qui venait de se passer. L'empereur, vivement affligé de cette nouvelle, sentit pourtant qu'il fallait se résigner à la volonté divine. L'émir Midrab, l'émir Hasan Djandar-Soufi-Tarkhan et l'émir Nouschirvan reçurent l'ordre de se rendre à Balkh, pour accompagner Mirza-Seïd Ahmed-Mirek. Sur ces entrefaites, des dépêches arrivées de cette ville apprirent que l'ispahabed Gouri, ayant réuni quantité d'habitants de Gour et du Séistan, commettait dans ces contrées de nombreux désordres et de grands ravages. Le 22e jour du mois de ramazan, le monarque résolut de se diriger vers Isferar. L'émir Hasan-Djandar et l'émir Djihan-Melik furent envoyés du côté de Gour. Le 1er jour de schewal, le prince était de retour dans sa capitale. L'ispahabed Gouri, étant informé de la marche des troupes impériales, chercha son salut dans la fuite. Les émirs, après avoir pillé ce qui lui appartenait, fait mettre à mort plusieurs de ses partisans et réglé les affaires de la province, se hâtèrent de revenir à la cour.

Pir-Ali-Taz, que le meurtre de Mirza-Pir-Mohammed avait laissé maître d'un territoire immense, ne songea plus qu'à s'agrandir et ne mit point de bornes aux rêves de son ambition effrénée. Le Khakan heureux, justement irrité, et voulant réprimer les entreprises des séditieux et des rebelles, se préparait à se rendre dans la ville de Balkh. Tout à coup il reçut la nouvelle que Mirza-Omar-Behadur avait levé l'étendard de la révolte et se dirigeait vers le Khorasan. Ce prince, devenu maître du Mazandéran, et ayant distribué à ses adhérents des bénéfices militaires, se vit bientôt entouré d'un nombreux cortège. Il envoya un corps de troupes dans la province de Reï. Des nomades mongols, qui se trouvaient avec le quartier de Mirza-Abou-Bekr, furent emmenés du lieu de leur résidence et conduits dans le Mazandéran. Bientôt Mirza-Omar conçut le projet audacieux d'entreprendre la conquête du Khorasan. Scheik-Hasan et plusieurs des adhérents de l'émir Schah-mulk, se livrant à des idées hostiles, se rendirent auprès de Mirza-Omar, et lui dirent : « Les troupes du Khorasan sont indisposées contre l'émir Schah-mulk. Dès que votre ombre protectrice couvrira cette province, tout le monde, sans hésiter, se réunira auprès de vous. » Mirza-Omar, oubliant tout ce qu'il devait au Khakan heureux, et se laissant tromper par les discours de ces misérables, partit du Mazandéran avec la rapidité de la foudre et se dirigea vers le Khorasan. L'émir Schah-mulk se trouvait alors dans la province de Tous. Apprenant la marche de Mirza-Omar, il dépêcha en hâte un courrier vers l'empereur. Suivant ce que j'ai appris de personnes dignes de foi, lorsque la nouvelle de l'expédition de Mirza-Omar fut parvenue au Khakan heureux, un des officiers qui approchaient de la personne de ce prince lui tint ce discours : « Au moment de l'arrivée de Mirza-Omar, je vous avais représenté qu'il ne fallait avoir en lui aucune confiance, attendu qu'il n'avait montré que de la perfidie envers son père et son frère. Vous n'avez tenu aucun compte de mes avis. Voyez quel est le résultat de voire manière d'agir. » L'empereur répondit : « Je n'ai fait aucun mal à Mirza-Omar. Que je lui donne mon empire, ou que l'empire m'appartienne, n'est-ce pas la même chose? Dieu seul est immortel ; à Dieu seul appartient la souveraineté ; il la donne ou l'enlève, suivant son bon plaisir. »

 Ce prince, étant parti de Hérat le 18e jour de schewal, se rendit sur le territoire de Badghis. Arrivé au lieu nommé Kizil-ribat, il fut joint par l'émir Midrab, qui lui apprit que Pir-Ali-Taz s'était dirigé vers le pays des Arlat, mais que Iadkar, schah (prince) des Arlat, l'avait abandonné et s'était rendu auprès de Midrab. Ce dernier reçut de l'empereur un ordre d'aller camper, avec ses troupes, sur les bords de la rivière de Morgab, attendu que les étendards victorieux allaient se diriger à la rencontre de Mirza-Omar. Sur ces entrefaites, la princesse Khan-zadeh arriva de Samarkand, amenant avec elle Mirza-Mohammed-Djoughi. Le monarque, voyant un présage favorable dans cet événement heureux qui se réalisait pour lui au commencement de cette expédition, et après avoir célébré un festin somptueux, fit partir pour Hérat le prince et la princesse. Les étendards augustes se dirigèrent vers la ville de Djam. Les deux armées se rencontrant près d'un bourg, appelé Berdouiah, à l'instant même Mirza-Omar se mit en devoir de combattre. De leur côté, les drapeaux victorieux de l'empereur se déployèrent et les troupes se rangèrent en bataille. Djekeh-Towadji, qui était la colonne du centre de Mirza-Omar, fendit les rangs et vint en hâte se rendre auprès du monarque. Tout le reste de l'armée, à la vue de cet événement, se débanda sans combattre; et l'empereur, grâce au secours divin, obtint ainsi, sans coup férir, une victoire éclatante et complète. Mirza-Omar, frappé d'une catastrophe si terrible, quitta le champ de bataille, accompagné d'un petit nombre d'hommes, et chercha son salut dans la fuite. Cette victoire arriva, le lundi 9e jour du mois de zou'lkadah, dans les environs de Berdouiah, bourg du territoire de Djam. L'armée victorieuse recueillit un butin immense. Le Khakan heureux, après avoir payé à Dieu un tribut d'actions de grâces, garantit aux prisonniers une sûreté et une amnistie entières. La province du Khorasan se trouva ainsi délivrée des maux que causent la révolte et la fureur d'un ennemi. Des dépêches annonçant la victoire furent expédiées dans les différentes contrées de l'empire. Un cavalier, à la marche rapide, se dirigea vers Hérat ; d'un autre côté, le mihter Omar-Tebadkani, qui était le beig de Mirza-Baïsengar, entreprit de porter la nouvelle à la capitale. Chacun d'eux se flattait d'arriver à Hérat dans l'espace d'une journée, et de parcourir ainsi une distance qui est de plus de trente parasanges. Le mihter Omar, étant arrivé au ribat de Touman-agâ, situé dans le voisinage de Kousouiah, aperçut le cavalier ; feignant d'être boiteux, il s'approcha de cet homme et lui dit : « Je suis également envoyé pour porter la nouvelle de la victoire; mais je n'ai plus la force de marcher. » Le cavalier, ajoutant foi à ses paroles (consentit à ralentir sa marche). Omar, l'ayant ainsi fait donner dans le piège (prit une autre route), continua son chemin, entra dans la ville à la chute du jour, et y annonça la victoire.[15] Il fut accueilli avec toutes sortes d'honneurs, et reçut de si éclatants témoignages de libéralité, qu'il se vit, pour le reste de ses jours, à l'abri du besoin. Mirza-Olug-beig, ayant de nouveau obtenu l'investiture du gouvernement du Khorasan, quitta le camp impérial et se dirigea vers le canton de Tous. Les étendards victorieux du monarque prirent la route de la capitale. Lorsque l'on fut arrivé au lieu nommé Amroudek, un courrier, expédié du Kerman, vint annoncer que l'émir Idekou-Berlas, attaqué d'une maladie grave, avait terminé sa carrière.

Sur ces entrefaites, des nouvelles arrivées de la province de Gour apprirent que des hommes turbulents, venus de l'Hindoustan sous la conduite de Melik-Saleh, fils de Melik Ismaïl, étaient entrés dans le pays de Gour; que Mohammed l’ispahbed, dont les ancêtres, à l'époque des rois Kurt, avaient eu le gouvernement de la province de Gour, s'étant lié d'amitié avec Melik-Saleh, ils avaient de concert excité des troubles, commis des désordres et des vexations odieuses, égorgé les âmil qui étaient chargés du maniement des fonds publics, et écrasé les sujets sous le poids de leur tyrannie et de leurs actes iniques. L'empereur avait dessein de se rendre en personne dans cette province; mais les émirs lui représentèrent que la conduite de pareilles affaires, le soin de réprimer ces désordres partiels, devaient être abandonnés à un des humbles esclaves de ce monarque, à un homme élevé dans sa noble cour. En conséquence, et en vertu de l'ordre du souverain, les deux émirs Scheik-Lokman-Berlas et Hasan-Djandar furent chargés d'apaiser ces désordres.

 Mirza-Omar, qui s'était réfugié dans le désert de Berdouiah-Djam, quoiqu'il ne couchât jamais sans sa cuirasse, et qu'il eût constamment en main des armes redoutables, ne put, malgré toutes ses précautions, éviter l'arrêt du destin, et tomba, dans les environs de Morgab, aux mains des serviteurs de l'émir Midrab. Ayant reçu à la tête une blessure grave, et ayant les pieds chargés de chaînes pesantes, il fut envoyé à la cour auguste, qui se trouvait alors dans le lieu nommé Amroudek. L'empereur l'accueillit avec une noble clémence, lui accorda une litière digne d'un souverain, et le fit partir pour Hérat, après avoir placé auprès de lui un médecin et un chirurgien. Le prince, étant arrivé à Togouz-ribat, y expira après une agonie extrêmement douloureuse. Le 25e jour du mois de zou'lkadah, il fut enterré dans le lieu de pèlerinage où repose l'imam Fakhr-eddin-Razi. Dans les premiers jours de zou'lhidjah, l'empereur arriva dans sa capitale, et, au milieu du même mois, le canton de Badghis fut honoré de son auguste présence. Là le monarque apprit que les dépêches expédiées par les émirs envoyés dans la province de Gour s'exprimaient en ces termes : « Les révoltés sont en grand nombre ; Maudoud-Ghermsiri se dispose à les seconder. Nous avons cru qu'il était conforme à la prudence de ne pas nous porter en avant, et nous sommes prêts à faire tout ce que Sa Majesté nous ordonnera. » L'empereur fit partir du iilak (campement d'été) de Kaïtou l'émir Djihan-Melik, l'émir Seïd Ahmed-Tarkhan, et l'émir Ferman-scheik. Les émirs, ayant réuni leurs forces, s'avancèrent vers l'ennemi et tirèrent le glaive de la vengeance. En un instant l'affaire fut décidée, et les rebelles anéantis. Mohammed l'ispahbed prit la fuite. Melik-Saleh, fait prisonnier et envoyé à Hérat, chargé de chaînes, fut attaché à un gibet au-dessus de la porte du meïdan, afin que son châtiment offrît aux autres hommes une leçon salutaire. Le reste des troupes rebelles fut complètement exterminé, et les émirs, ainsi que les soldats, retournèrent à Hérat chargés de butin.

Mirza-Abou-Bekr, l'année précédente, au mois de chaban, se trouvait dans la ville de Tabriz, lorsqu'il reçut la nouvelle que Mirza-Omar et Mirza-Rustem avaient pillé son ogrok (quartier), déposé dans la ville de Reï, et l'avaient transporté à Ispahan. Abou-Bekr, laissant à Tabriz Mohammed-Dawati et Zeïn-eddin-Kazwini pour relever les fortifications, se dirigea vers Ispahan. Mohammed-Dawati s'appliqua à reconstruire les portes, les remparts, les embrasures, les meurtrières, et à fermer les passages. Les habitants, dont il avait gagné la bienveillance, s'occupaient sans relâche à bâtir des maisons, à ensemencer les terres. Tout à coup on apprit que l'émir Bestam-Djaghir marchait contre Tabriz, et que l'émir Scheik-Ibrahim prenait la même route. Mohammed-Dawati n'était en état de résister à aucun de ces deux généraux. Il députa vers l'émir Bestam-Djaghir, et obtint de lui une capitulation. Bestam fit son entrée dans Tabriz le 20e jour du mois de schewal, et, durant quelques jours, il tint une conduite irréprochable. Cependant des hommes médisants se rendirent auprès de l'émir Scheik-Ibrahim, qui était campé au dehors de la ville de Tabriz, et lui rapportèrent, concernant l'émir Bestam, quelques discours qui l'indisposèrent contre ce général. Scheik-Ibrahim fit charger de chaînes Mansour, frère de Bestam, ainsi que son fils. L'émir Bestam, apprenant cette nouvelle, le 1er jour du mois de zou'lhidjah, sortit à l'instant de la ville, dans l'intention de décider l'affaire les armes à la main. En vain on s'efforça de le dissuader. Il prit le chemin de Serav, emmenant avec lui Mohammed-Dawati, le scheik Mohammed-Kassab, Khodjah-Scheik-Mohammed Dimaschki, et Khodjah-Zeïn-eddin. Arrivé à Muschkin, il campa dans le iilak de Feschar, sur une montagne élevée qui dominait une prairie. Le scheik Kassab et Kâsem-Ankouïi, qui commandaient les karaoul (coureurs), enlevèrent aux nomades qui marchaient sous les drapeaux de l'émir scheik-Ibrahim, quelques tentes et plusieurs pièces de bétail. Bestam, apprenant que scheik-Ibrahim marchait vers Tabriz, congédia les habitants de cette ville et prit la route d'Ardebil. Mohammed-Dimaschki et Zeïn-eddin-Kazwini se rendirent à Bagdad. Mohammed-Dawati et Mohammed-Kedjedji arrivèrent au quartier de l'émir scheik Ibrahim le 7e jour du mois de zou'lhidjah. Il les fit aussitôt charger de chaînes et les imposa à une somme d'argent considérable. A la fin du mois, il fit son entrée dans la ville de Tabriz, où il passa quelques jours dans les plaisirs; ensuite il se dirigea vers Audjan. Sur ces entrefaites, ayant appris des nouvelles de l'arrivée de Sultan-Ahmed, il dit : « Voilà longtemps que nous avons témoigné à cette famille auguste un attachement sincère. Comme la contrée était sans maître, et que les habitants étaient vexés par les prétentions ambitieuses de ceux qui voulaient les attaquer, nous sommes accourus pour prendre leur défense. Aujourd'hui que le véritable souverain arrive, nous allons retourner chez nous. » Il quitta aussitôt la ville d'Audjan. Ayant mis en liberté Mansour-Djaghir et son fils, qu'il avait fait charger de chaînes, et les ayant renvoyés à Bestam, il se dirigea vers Schirwanat. Sultan-Ahmed arriva à Tabriz au milieu du mois de moharram. Tous les principaux personnages de l'Azerbaïdjan et les habitants de Tabriz, se livrant à des transports de joie, parèrent la ville comme dans un jour de fête, et renouvelèrent auprès du prince leurs anciens serments de fidélité. scheik-Ali-Awirat et Mohammed-Sarou Turcoman, s'étant rendus auprès du sultan, lui offrirent un présent de chevaux. Le prince leur fit un accueil gracieux. Khodjah-Mohammed-Kedjedji, l'émir Djafar, Khodjah-Massoud-schah et Zeïn-eddin-Kazwini furent nommés par lui chefs de l'administration. Il reprit les richesses qui leur avaient été enlevées, et, leur témoignant une nouvelle faveur, il les ramena à sa cour.

Sur ces entrefaites, on apprit que Mirza-Miran-schah et Mirza-Abou-Bekr, après avoir été vainqueurs dans l'attaque d'Ispahan, revenaient sur leurs pas et se dirigeaient vers Tabriz. Sultan-Ahmed, effrayé, prit avec un nombreux cortège la route d'Audjan. Ayant tenu conseil avec les émirs, tous furent d'avis qu'il fallait se retirer du côté de Bagdad. Le sultan se mit aussitôt en marche; les troupes de l'Azerbaïdjan se débandèrent de toutes parts. Mirza-Abou-Bekr arriva à Tabriz le 8e jour du mois de rebi premier; mais, n'osant pas entrer dans la ville, où régnait la peste, il s'établit dans le Schenbi-Gazan. De là s'étant dirigé du côté de Nakdjiwan, il députa vers le Kurdistan, pour mander Melik-Izz-eddin. Celui-ci s'étant rendu à l'invitation, les deux princes conférèrent ensemble, relativement à Kara-Iousouf, et se décidèrent à combattre. Les deux armées se trouvèrent en présence et séparées par le fleuve Aras (l'Araxe). Le 1er jour du mois de djoumada premier, les braves des deux partis firent pleuvoir une grêle de flèches. Le lendemain, Mirza-Abou Bekr, ayant traversé la rivière et rangé ses troupes en bataille, engagea l'action; mais, malgré ses efforts, son armée fut mise en déroute et laissa au pouvoir de l'ennemi un grand nombre de prisonniers. Mirza-Abou-Bekr, forcé de fuir, se rendit à Merend. Il livra Tabriz au pillage, et rien n'échappa à la rapacité de son année. Les pauvres et les malheureux furent contraints d'abandonner leurs maisons, et plusieurs périrent dans les tourments. Scheik-Kassab fit mettre à mort deux serviteurs de l'émir Mezid-Bekneh, qui avaient le rang de tchagdaoul.[16] Les autres, abandonnant leur butin, prirent la fuite. Scheik-Kassab fit, durant la nuit, allumer dans le désert un grand nombre de feux. Mirza-Abou-Bekr, supposant que les Turcomans étaient arrivés, décampa et fut poursuivi par Scheik-Kassab jusqu'à Saïd-abad Ce prince, s'étant rendu à Sultaniah, mit la citadelle en état de défense et passa l'hiver dans la province de Reï.

Suivant les nouvelles que reçut Mirza-Abou-Bekr, Beïan-Koudjin, qui occupait la forteresse de Schehriar, venait de se déclarer son ennemi. Ce général, députant vers Mirza-Omar, dans le Mazandéran, lui fit dire : « Ton frère, obligé de fuir devant l'armée des Turcomans, affaibli et réduit à une situation fâcheuse, occupe aujourd'hui la ville de Kazwin. Envoie-moi un corps de troupes avec l'aide duquel je puisse marcher contre ce prince. » Mirza-Abou-Bekr, informé de cette négociation, et laissant Schirin-beig dans la ville de Kazwin, se dirigea vers Schehriar et mit le siège devant cette place. L'émir Beïan opposa à l'ennemi une résistance courageuse. Les troupes de Mirza-Abou-Bekr montèrent intrépidement à l'assaut et se rendirent maîtresses du rempart extérieur. La garnison, perdant alors toute son énergie, demanda une capitulation et livra la citadelle. Mirza-Abou Bekr, après avoir nommé Ali-Sadik pour commander dans la place, fit mettre à mort l'émir Beïan et ses adhérents.

Tandis que Mirza-Abou-Bekr faisait le siège de cette forteresse, Mirza-Omar fit partir du Mazandéran, dans la direction de Reï, un corps de troupes qui s'empara de l'ogrok de Mirza-Abou-Bekr et emmena forcément du côté d'Esterabad mille tentes de Mongols. Mirza-Abou-Bekr, s'étant rendu à Sawah, leva sur les habitants l'impôt fixé par la capitulation. Les émirs, envoyés par lui vers le Kurdistan, lui rapportèrent des sommes d'argent considérables. Le prince, en personne, prit la route de Derguzin et de Hamadan.

Sur ces entrefaites, il fut informé par Omar-Kaïouk que plusieurs émirs avaient formé le complot de l'égorger, de mettre à sa place et de soutenir Mirza-Miran-schah ; qu'ils devaient ensuite, après avoir dévasté et livré au pillage Sultaniah et Kazwin, se rendre dans le Khorasan. Mirza-Abou-Bekr dit à Omar-Kaïouk : « Garde-toi bien de révéler à personne ce secret dont j'ai eu également connaissance par une autre voie. Ayant mandé auprès de lui les émirs Tawakkul-Aras-Bouka, Pir-Hosaïn-Berlas et Ismaïl-Etkeh, il les fit arrêter, et remit à Ali-Sadik tout ce qui appartenait à ces officiers. Il avait également dessein de mettre en prison Nouschirvan-Berlas et Khodjah-Berdi; mais ceux-ci, informés à temps, prirent la fuite. Mirza-Abou-Bekr fit comparaître devant lui les émirs arrêtés par ses ordres, et leur fit subir un interrogatoire. Tawakkul-Aras-Bouka déclara que lui et ses complices avaient agi à l'instigation d'Ismaïl-Etkeh. Le prince leur ayant demandé qui ils se proposaient de mettre à sa place, ils répondirent : « Mirza-Miran-schah. Interrogés si ce prince avait connaissance du projet, ils répondirent négativement. Abou-Bekr punit de mort les coupables, envoya la tête de chacun d'eux dans un canton de l'empire, et fit mettre son père en prison. Voulant récompenser Kotlok-Khodjah-Iesaoul et Omar-Kaïouk, à qui il devait la révélation du complot, il les gratifia l'un et l'autre d'une ceinture enrichie de pierreries, et dont la valeur égalait les contributions d'une province entière. Ceux des émirs de son père qui avaient eu connaissance de la conspiration furent mis à mort; après quoi, le prince, quittant les environs de Derguzin, se rendit à Kourouk-Argoun.

Mirza-Iskender, ayant appris la mort de l'émir Eïdekou, et convoitant la possession de la province de Kerman, dépêcha à Chiraz un envoyé pour mander Mirza-Pir-Mohammed. Mais, avant d'avoir reçu la réponse, il se dirigea vers le Kerman et arriva devant Refsendjan. Les habitants, qui s'attendaient à recevoir des secours du Kerman, se mirent en état de défense; mais bientôt, n'espérant plus rien de ce côté, ils demandèrent une capitulation. Mirza-Iskender leur pardonna leur faute et ne souffrit pas qu'aucun d'eux éprouvât la moindre vexation. De là il se rendit à Kounban. Le darogah (gouverneur) de cette place avait pris la fuite. La ville tomba au pouvoir du prince, qui, après avoir laissé des officiers de confiance pour commander dans les forteresses de Refsendjan et de Kounban, se dirigea vers Yezd. Cependant Sâheb-sultan, fils de l'émir Eïdekou, arriva à Kounban à la tête d'une troupe nombreuse. Mirza-Iskender, qui avait envoyé vers Yezd tout le butin tombé entre ses mains, et qui se trouvait à trois parasanges de Kounban, revint sur ses pas et resta quelques moments en présence de l'armée du Kerman. Vers la fin de la journée, il entra dans la ville de Kounban. Les soldats ennemis, malgré leur nombre, décampèrent pendant la nuit et reprirent la route de Kerman. Les karaonl (coureurs) de l'armée d'Iskender, ayant suivi leurs traces l'espace d'une parasange, ne rencontrèrent personne. Mirza-Iskender se dirigea vers Yezd. Bientôt après, les troupes du Kerman reprirent sur les officiers de ce prince les places de Refsendjan et de Kounban.

La même année, par suite des instigations d'hommes pervers et de la malice des envieux, la division éclata entre les fils de Mirza-Omar-Scheik, et fut portée à un tel point, que, sur les ordres de Mirza-Pir-Mohammed, Mirza-Iskender se vit chargé de chaînes; le commandement de la ville de Yezd fut remis à un officier de confiance, et les trésors que renfermait cette place furent transportés à Chiraz. Les darogah des différents lieux, des divers cantons, se rendirent auprès de Mirza-Pir-Mohammed, à l'exception d'Omar-Kourtchi, darogah de Naïin, qui refusa de venir. Mirza-Pir-Mohammed se dirigea vers Ispahan par la route de Firouzan. Il donna ordre de rompre les digues, de renverser les édifices, de dévaster les moissons. Comme Mirza-Rustem se trouvait alité, personne ne se présenta pour combattre Mirza-Pir-Mohammed. Celui-ci, arrivé dans le voisinage d'Ispahan, rebroussa chemin et retourna à Chiraz. Là il s'occupa de préparer, pour le khan-zadeh, les moyens de faire le pèlerinage de la Mecque. Mirza-Iskender, qu'il avait fait partir pour le Khorasan, chargé de chaînes, étant arrivé à Tchardih-Tabas, parvint à briser ses liens et se dirigea, par la route du désert, vers Naïin-Ispahan. Mirza-Rustem, regardant comme un grand bonheur l'arrivée de ce prince, le fit venir à Ispahan et l'accueillit de la manière la plus distinguée. Mirza-Pir-Mohammed, en apprenant l'accord qui régnait entre ces deux princes, conçut de vives inquiétudes. Il fit mettre en prison ceux des serviteurs de Mirza-Iskender qui se trouvaient dans la ville de Chiraz. A l'instigation de Mirza-Iskender, Mirza-Rustem et lui se dirigèrent en armes vers Chiraz. Mirza-Pir-Mohammed donna ses ordres pour que, depuis les environs de la digue d'Adad jusqu'auprès de la forteresse de Maran, les bords de la rivière, qui est guéable dans cet espace, fussent gardés avec une surveillance attentive. Puis il détacha Timour-Khodjah pour se porter en avant et occuper le défilé de Farouk. Mirza-Iskender, étant arrivé au Mesched-Mâderi-Suleïman, se rendit au bourg de Kember. Sur ces entrefaites, Timour-Khodjah, à la tête des forces ennemies, arriva dans le même lieu. Le terrain, dans cet endroit, est parfaitement uni. Mirza-Iskender, fondant tête baissée sur la troupe de son adversaire, la mit complètement en désordre. Timour-Khodjah se hâta d'évacuer le défilé si peu praticable de Farouk, repassa la rivière et alla rejoindre le centre de son armée. Mirza-Pir-Mohammed reconnut, à cette expédition audacieuse, Mirza-Iskender. Après avoir tenu conseil, il plaça sur les bords de la rivière tous les tournons (corps de dix mille hommes) et les koschoun (corps de mille hommes), pour garder les passages. Mirza-Iskender, ayant franchi le défilé de Farouk, arriva dans la ville de Kenareh. Mirza-Rustem, qui l'avait rejoint à la tête des troupes du centre, resta interdit et n'osait point forcer les passages. A la fin du jour, le ciel se couvrit de nuages extrêmement sombres. Mirza-Iskender dit alors : « Si la pluie tombe cette nuit, demain les eaux seront grosses et rendront le passage bien plus difficile. Il vaut mieux, de toute manière, essayer, dès cette nuit, de traverser la rivière. » D'après cette résolution, il laissa un corps de troupes qui, campées devant l'armée de Fars, près du gué le plus connu, celui de Kenkeri, battaient constamment des timbales. Mirza-Iskender, se précipitant vers le gué de Djeschnan, traversa la rivière avec la rapidité du vent. Ceux qui gardaient les autres passages, ayant appris cette nouvelle, abandonnèrent leur poste et prirent tous la fuite. Mirza-Pir-Mohammed, attendu la circonstance critique dans laquelle il se trouvait, n'osa pas punir cette faute si grave et reprit le chemin de Chiraz. Cependant la pluie et le vent redoublaient d'intensité. Les deux armées, qui se suivaient de près, arrivèrent à la ville vers l'heure de la prière du soir. Mirza-Rustem avait d'abord établi son camp vis-à-vis la porte de Silm; mais les boues les forcèrent de se retirer vers le pied de la montagne. Le siège se prolongea l'espace de quarante jours. La plupart du temps, on se battait depuis le matin jusqu'au soir, sans que l'avantage se déclarât pour aucun des partis. Les soldats d'Ispahan résolurent d'envahir les parties chaudes du territoire de Chiraz, d'attaquer les tribus qui habitaient les divers cantons, et de porter partout une dévastation complète. Ils avaient avec eux Kerkin-Lari. Après avoir ravagé les différents districts de cette province et enlevé un butin immense, ils reprirent la route d'Ispahan.

Au commencement de l'année 810, le Khakan heureux, guidé par la fortune, conçut le projet de se diriger vers Balkh pour attaquer Pir-Ali-Taz. Les troupes victorieuses s'étant mises en mouvement, il partit du iilak (campement d'été) le 19e jour du mois de moharram, et ne s'arrêta qu'auprès du lengher (monument) de Pir-zadeh-Baïezid. Dans les premiers jours du mois de safer, les drapeaux du monarque projetèrent leur ombre auguste sur le canton d'Andekhoud, et cette ville se vit délivrée des vexations d'une garnison insolente. Cependant Pir-Ali-Taz, s'armant de courage et s'étant avancé jusqu'au pont de Hatab, occupa la tête de ce pont. Le noble cortège de l'empereur pénétra jusqu'au lieu nommé Doukeh; bientôt on vit arriver de Balkh la nourrice de Khodjah-Koudjin et quelques-uns des serviteurs de Mirza-Pir-Mohammed-Areh. Ils annoncèrent que Pir-Ali-Taz, dès qu'il avait eu nouvelle de l'approche des étendards victorieux du monarque, s'était bâté de renoncer à toute résistance et avait pris la fuite vers le désert L'empereur détacha à sa poursuite Mirza-Seïd-Ahmed, l'émir Iadgar-schah, Anouchirwan, l'émir Hasan-Soufi, l'émir Tcheharschenbeh, et l'émir Djihan-melik. Ces généraux étant arrivés au lieu où se trouvait Pir-Ali-Taz, celui-ci quitta sa retraite, accompagné d'un petit nombre d'hommes ; ses bagages et ses provisions tombèrent au pouvoir de l'armée victorieuse. Parmi les êtres qui avaient suivi Pir-Ali-Taz, ceux dont les démarches étaient guidées par la fortune allèrent rejoindre la cour auguste de l'empereur, et demandèrent une amnistie que ce prince, cédant aux nobles inclinations qui formaient la base de sa conduite, accorda sans difficulté. Le 120e jour du mois de safer, l'empereur séjourna à Bakonkar-Balkh. Là il apprit qu'une troupe d'hommes appartenant à la tribu de Khalam marchait vers Khatlan. L'émir Hasan-Djandar, envoyé à leur rencontre, les attaqua, les défit et les dispersa complètement. Lorsque la ville de Balkh fut devenue le lieu de la résidence du cortège et des étendards augustes du prince, les émirs qui s'étaient mis à la poursuite de Pir-Ali-Taz, ayant contraint d'abandonner le pays, revinrent annoncer cette victoire. Sultan-Mahmoud, fils de l'émir Khosrev, gouverneur de Khatlan, et Khodjah-Ali, fils de l'émir Oldjaïtou, gouverneur de Sali-seraï, envoyèrent des présents et s'acquittèrent des devoirs que réclamait d'eux la soumission due au prince. Le Khakan heureux fit partir pour Samarkand l'émir Fena-Schirin. D'un autre côté l'émir Allah-dad, Seidi et Mansour-Khamâri étant arrivés dans la ville de Termez, Mansour eut le bonheur de paraître devant l'empereur. Sa Majesté députa vers l'émir Allah-dad l'émir Djihan-Melik et l'émir Ferman-Scheik, et lui fit dire : « Nous tenons toujours aux engagements que nous avons contractés avec Mirza-Khalil-Sultan. » Les émirs, s'étant rendus auprès d'Allah-dad et ayant conféré avec lui, revinrent à la cour. L'empereur députa l'émir Ferman-Scheik vers Mirza-Khalil-Sultan, auquel il fit dire d'amener sa noble fille, Beighi-Kâ. Mirza-Khalil-Sultan fit partir, en compagnie de l'émir Fena-Schirin, un député auquel il remit un schongar, quantité d'objets précieux, et des présents dignes d'un souverain.

Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle que Pir-Ali-Taz était campé à Iekeh-Olang. Sa Majesté envoya dans cette direction l'émir Midrab, l'émir Tawakkul-Berlas, Scheik-Lokman-Berlas et l'émir Ali-Beig-Bekavul. Il leur recommanda de faire rebâtir la forteresse de Hindouan-Balkh, qui, trente-neuf années auparavant, au commencement du règne de Timour, avait été démolie par ordre de ce prince. Des soldats et des raïah travaillèrent avec un zèle extrême à relever cette place et en vinrent à bout. Le gouvernement de la province de Balkh fut remis à Mirza-Kaïdou, fils aîné du Schah-zadeh (prince) Mirza-Pir-Mohammed. L'émir Schems eddin-Oudj-kara et l'émir Tawakkul-Berlas, qui avaient été serviteurs de Pir-Mohammed, furent placés auprès de Mirza-Kaïdou. L'émir Djihan-Melik reçut l'ordre de séjourner dans la ville de Balkh jusqu'à ce que l'autorité de Mirza-Kaïdou fût pleinement affermie. Le cortège auguste de l'empereur, étant revenu sur ses pas, s'arrêta dans la ville de Schuburgan.

Cependant l'émir Ferman-Scheik arriva de Samarkand, amenant avec lui la princesse Beighi-Kâ, et cet événement redoubla l'allégresse universelle. Le monarque concéda, à titre de siourgal (apanage), le territoire d'Andekhoud à l'émir Seïd-Ahmed-Tarkhan; puis il reprit la route de sa capitale, Hérat, où il arriva au milieu du mois de rebi second. Les émirs qui étaient allés à la poursuite de Pir-Ali-Taz, étant parvenus dans son voisinage, lui livrèrent bataille. Pir-Ali-Taz résista d'abord; mais bientôt, ne voyant plus pour lui d'autre ressource que la fuite, il alla porter du côté de Hindoukesch ses espérances déçues, ses projets avortés. Les émirs victorieux et triomphants revinrent sur leurs pas. Par un effet des dispositions de la Providence, l'émir Ali-beig, qui était un des meilleurs serviteurs de Sa Majesté, obtint dans un de ces combats la couronne du martyre. Son fils, l'émir Abd-Alali, resta durant plusieurs années au nombre des personnes qui avaient la confiance du prince. L'émir Djihan-Melik, après avoir organisé les affaires de la province de Balkh, affermi l'autorité de Mirza-Kaïdou, éloigné les hommes turbulents et séditieux, et puni de mort les partisans de Pir-Ali-Taz, retourna à la cour.

Lorsque le cortège auguste du Khakan heureux, revenant de l'expédition de Balkh, fut rentré dans Hérat, capitale de la monarchie, un serviteur de Mirza-Olug-beigh arriva et apporta la nouvelle que Pir-Padischah, ayant réuni sous ses drapeaux des hommes vils et de la plus basse classe, des partisans de Djaoun, de Korban et de Tawakkul, était entré dans la province de Mazandéran et assiégeait la forteresse d'Esterabad; que Schems-eddin-Ali et Djemschid-Kâren, qui, en vertu des ordres impériaux, occupaient dans ce lieu le rang de kotoual (gouverneur), se trouvaient dans un extrême embarras et dans un danger pressant. Ces renseignements étant arrivés aux oreilles du monarque, l'émir Midrab reçut l'ordre de se diriger vers la frontière du Séistan et de Ghermsir, pour y établir son kischlak (quartier d'hiver). Le Schah-zadeh (prince) Abou'lfatah Ibrahim Sultan fut laissé dans la capitale, Hérat, et l’on plaça près de lui l'émir Nemdek. Le 18e jour de djoumada second, le cortège impérial s'arrêta dans le lieu nommé Schebertou ; et, dans la ville de Kousouiah, on assigna à chaque corps de troupes le point vers lequel il devait se porter. Il fut décidé que le Khakan heureux prendrait la route de Djam et de Mesched. L'émir Hasan-Djandar et l'émir Firouz-schah, l'émir Scheik-Ali-Hasanek et l'émir Adjeb-Schir se dirigèrent vers Zawah et Mahoulat. Les drapeaux victorieux arrivèrent au lieu nommé Tarak. Là on reçut la nouvelle que les soldats du Khorasan avaient quitté le parti-de Pir-Padischah. Mirza-Olug-Beigh-Kourkan, ayant eu, dans la ville de Khoudjan, l'honneur de baiser la main du monarque, offrit à ce prince un festin et des présents. Dans la station de Khodjah-konkor, l'émir Scheik-Lokman-Berlas, l'émir Iadgar-schah et l'émir Alikeh-Koukeltasch arrivèrent, à la tête des troupes de Badghis, de Serakhs, de Mérou, de Makhan et des pays environnants. Abou-Moslem, fils de l'émir Oudj-kara, revint du Mazandéran et apporta la nouvelle que Pir-Padischah, dès qu'il avait été informé de l'approche des armées victorieuses, avait pris la fuite et s'était retiré du côté de Rustemdar. Le cortège impérial, s'avançant avec une extrême rapidité, arriva dans les plaines d'Esterabad, et la province de Mazandéran se trouva une seconde fois défendue et bien administrée. Des, lettres annonçant cette victoire rirent adressées dans les différentes parties de l'empire. Djoubin-Koudjin eut la mission de se rendre à Samarkand. On fortifia la citadelle d'Esterabad, où Abou'lleïth fut placé avec le grade de kotoual (gouverneur). La forteresse de Schenriasan fut rebâtie, et scheik-Sultan chargé du soin de la défendre. Les affaires de l'empire se trouvèrent alors solidement affermies et bien en ordre. Le monarque ayant résolu d'établir son kischlak (campement d'hiver) dans le Mazandéran, le seïd Izz-eddin-Hezardjeribi eut l'honneur de résider auprès du prince, qui, par suite des dispositions bienveillantes qu'il avait toujours montrées en faveur des seïds, lui concéda, à titre de siourgal (fief), le canton de Damegan. Réunissant aux autres provinces l'administration des affaires de la contrée du Mazandéran, il en abandonna le soin aux délégués du Schah-zadeh (prince) illustre, Mirza-Olug-beigh. De là il reprit la route du Khorasan et congédia ses troupes. Se livrant au plaisir de la chasse, il partit des environs de Serakhs, et, le 9e jour du mois de zou’lkadah, la capitale auguste de l'empire, je veux dire la ville de Hérat, fut honorée par la présence de Sa Majesté.

L'émir Djihan-Melik, fils de l'émir Melket et fils du frère de l’émir Khamâri, appartenait à la tribu des Koudjin. Tandis que le Khakan heureux était encore en bas âge, il était attaché à la personne de ce prince, qu'il servait avec un zèle minutieux et auquel il donnait les plus grands témoignages de dévouement. Par là il mérita une haute faveur et fut distingué par-dessus ses rivaux. Lorsque l'empire du monde échut à Sa Majesté, Djihan-Melik se montra, plus qu'aucun autre, serviteur zélé du monarque. Au moment où arriva la catastrophe de l'émir Seïd-Khodjah, le rang et les honneurs dont il était en possession furent concédés à l'émir Djihan-Melik, qui se vit alors investi d'une autorité entière, pour tout ce qui concernait les affaires de l'administration et les diverses branches des finances.

Bientôt, un bonheur si rare et l'ivresse de l'autorité et du commandement ayant troublé son cerveau, il voulut s'affranchir de l'obéissance et de la soumission. Voici le motif particulier qui amena cet événement. Khodjah-Gaïath-eddin Salar, qui était Sâheb-diwan (chef de l'administration) de l'empire, ayant établi une taxe, avait formé, pour cet effet, un registre sur lequel il inscrivait de fois à autre les noms des émirs et des principaux personnages de l'Etat, et portait sur l'acte, au lieu d'un œuf, une poule; au lieu d'un mann de viande, un mouton; au lieu d'un mann d'orge, dix mann : pour un tobrah de paille, une charge d'âne. Cette année, les denrées avaient une très grande valeur. Khodjah-Gaïath-eddin, ayant porté sur son registre ces bagatelles futiles comme représentant des sommes d'argent, enleva, par suite d'estimation, le quart des tioul[17] des Turcs. Par cette conduite il mécontenta tout le monde et prépara une révolte contre les dépositaires du pouvoir. Il était facile de prévoir que, dans le moment où le registre serait mis sous les yeux du souverain, et où, ce prince donnant une assignation, il ne se trouverait point d'argent, un malheur deviendrait inévitable. En conséquence, quelques hommes insensés se liguèrent pour se mettre en rébellion. Le dernier jour du mois de zou’lkadah, l'émir Djihan-Melik, avec ses parents; l'émir Hasan-Djandar, avec son fils, Iousouf-Khalil; Saadet, fils de Timourtasch, avec son frère; Behloul, fils de Baba-Timour; Sultan-Baïezid, fils d'Othman, et Nemdek, s’engagèrent mutuellement à marcher en armes contre le Khakan heureux. Mais, comme la faveur divine veillait sur ce prince, une partie du complot transpira. L'empereur manda l'émir Midrab, qui venait d'arriver du Séistan. Les conjurés, apprenant que quelques renseignements étaient parvenus aux oreilles du souverain, résolurent de se réunir à l'armée qui devait marcher contre le Séistan. Dans cette vue, ils se dirigèrent du côté de Djergalank. Le prince monta à cheval, escorté d'une troupe de behadur (braves) qui étaient toujours auprès de sa personne. L'émir Midrab ayant joint les rebelles, un combat acharné s'engagea entre les deux partis. Midrab-Behadur reçut une blessure au visage et fut transporté dans la ville. Ces misérables se hâtèrent de traverser la rivière de Karoubar[18] dont ils se firent un rempart. L'empereur campa en deçà de la rivière, et les troupes qui étaient destinées pour l'expédition du Séistan venaient, par corps séparés, se réunir sous ses drapeaux. Cependant plusieurs d'entre les révoltes se retirèrent chacun de son côté. Saadet, son frère, et Ahmed-Akbouka, ayant été arrêtés dans la ville de Badghis par les soldats de l'émir Hasan-Soufi-Tarkhan, furent amenés devant le prince. Saadet fut mis à mort ; son frère et Ahmed-Akbouka obtinrent leur liberté. Djihan-Melik et Nemdek, ayant été faits prisonniers dans la ville de Makhan par l'émir Djerkes, lurent chargés de chaînes, envoyés à Hérat, et subirent la mort dans le lieu nommé Djul-dokhteran. L'émir Hasan-Djandar et son fils, Iousouf-Khalil, traversant le désert de Tabas, se rendirent à Ispahan, auprès de Mirza-Rustem. Sultan-Baïezid, arrêté dans les environs de Djam, obtint la vie, grâce à l'intercession de Mirza-Ibrahim-Sultan.

Un courrier envoyé de Balkh par Mirza-Kaïdou apporta la nouvelle que Pir-Ali-Taz, ayant de nouveau réuni des troupes et reçu des secours du pays de Badakhschan, marchait vers la ville de Balkh. L'empereur fit partir en hâte, dans cette direction, de braves guerriers dont la victoire accompagnait les pas. L'armée rencontra Pir-Ali-Taz dans les environs de Balkh. Au premier choc, ce général prit la fuite, et les troupes de Badakhschan se retirèrent précipitamment dans leur pays. Les chefs de Hezareh, ayant tenu conseil entre eux, relativement à Pir-Ali-Taz, se dirent l'un à l'autre : « Tant que ce ferment de troubles restera au milieu de nous, les hostilités ne cesseront jamais. » Prenant donc une résolution unanime, ils se saisirent de Pir-Ali-Taz, coupèrent sa tête où couvaient tant de projets ambitieux, la remplirent de paille et l'envoyèrent à Hérat. Les peuples de cette contrée, se voyant désormais heureux et tranquilles, redoublaient leurs vœux pour la prospérité du trône de leur souverain. Mirza-Pir-Mohammed, ayant à cœur de se venger des échecs de l'année précédente, distribua à ses troupes des gratifications considérables, fit d'immenses préparatifs de guerre, et se mit en marche du côté de l'Irak et d'Ispahan. Mirza-Rustem, déjà ébloui par les avantages qu'il avait obtenus précédemment, se livra encore aux illusions que fit naître chez lui l'arrivée de l'émir Hasan-Djandar et de ses fils. A cette époque, la peste avait fait fuir d'Ispahan une partie de la population. Mirza-Rustem se trouvait dans le iilak (campement d'été) de Kendeman, lorsqu'il reçut la nouvelle que l'armée de la province de Fars approchait. Quelques personnes lui conseillèrent de faire la paix; mais, livré à sa présomption ordinaire, il répondit : Ce sont des marchands de Chiraz, réunis en une caravane, et qui m'apportent des présents. » Mirza-Pir-Mohammed s'approchant, Mirza-Rustem abandonna son ogrok (sa cour), se porta en avant à une distance de deux parasanges, et campa sur un terrain qu'il avait choisi pour livrer bataille. Les karaoul (coureurs) des deux partis, étant arrivés à la vue les uns des autres, firent bonne garde toute la nuit. Au point du jour, Mirza-Pir-Mohammed fit battre le tambour, comme signal du combat. Les sons du borgou et du kourkeh portèrent la terreur et l'effroi jusque dans les cieux. Les troupes se rangèrent en bataille. On plaça à l'aile droite Djelban-schah-Berlas, qui était le Rustem de son siècle, et Taher, fils de l'émir Seïf-eddin. Le commandement du centre fut confié à l'émir Saïd-Berlas, à Scheik-Mohammed-Djuvan et Sadik. A l’aile gauche était Khodjah-Hosaïn-Scherbetdar (échanson), accompagné de plusieurs émirs distingués par leur mérite. Mirza-Rustem et l'émir Hasan-Djandar étaient postés à l'aile droite. Dès que les deux armées se trouvèrent en présence, Mirza-Rustem, sans attendre un moment, se précipita sur les troupes de la province de Fars. Les braves des deux partis, s'attaquant avec une égale ardeur, signalèrent par des faits éclatants leur courage et leur intrépidité. Enfin, les troupes d'Ispahan furent mises en déroute. Mirza-Rustem se rendit à Kaschan, accompagné de ses fils, de l'émir Hasan-Djandar, de Sultan-schah et de Mahmoud-Akbouka. Mais bientôt, laissant ces officiers dans la ville de Kaschan, il partit, accompagne de ses fils, et se dirigea vers le Khorasan. Mirza-Iskender prit cette même route. Mirza-Pir-Mohammed, se voyant suffisamment vengé, ordonna expressément que l'on ne molestât personne et qu'il n'eût rien d'enlevé que ce qui avait été pris dans le combat. Les soldats d'Ispahan, ayant appris l'amnistie qu'on leur accordait, arrivaient bande par bande, koschoun par koschoun. Mirza-Pir-Mohammed, conformément à ses nobles habitudes, comblait tout le monde de marques de bienveillance. L'armée de la province de Fars campa quelques purs dans les prairies de Schehrek et de Kendeman, jusqu'à ce que les chevaux eussent repris leur premier embonpoint. L'émir Hasan-Djandar, se voyant sans ressource, quitta avec ses fils la ville de Kaschan, et se rendit auprès de Mirza-Pir-Mohammed. Sur ces entrefaites, il arriva un courrier envoyé par le Khakan heureux, et qui fit connaître de quelle manière ces officiers avaient pris la fuite. Mirza-Pir-Mohammed les fit tous charger de chaînes; puis, leur ayant donné pour gardiens Mohammed-Kaptchaki et Isa-Bekaoul, il les fit partir pour le Khorasan, en compagnie de l'ambassadeur impérial. Mais, à peine les prisonniers eurent-ils dépassé le canton de Perahan, qu'ayant réussi à briser leurs chaînes et ayant garrotté leurs surveillants, ils prirent la fuite.

Mirza-Pir-Mohammed, en mêlant la sévérité à la douceur, régla d'une manière satisfaisante tout ce qui concernait l'administration de Kaschan, de Djerbadekan et des cantons du territoire d'Ispahan. De là il se dirigea vers cette ville. Quoique le soleil se trouvât alors dans le signe de la Vierge, les grains, par suite du fléau de la peste, étaient restés sans être moissonnés. Dès que Mirza-Pir-Mohammed eut fait son entrée dans Ispahan, on ne vit plus aucune trace de la contagion, et la ville se trouva aussi peuplée qu'auparavant. Par ordre du prince, on plongea dans l'eau les registres qui contenaient les contributions et les dépenses. Mirza-Pir-Mohammed donna à son fils, Mirza-Omar-Scheik, le gouvernement d'Ispahan. Il laissa auprès de lui l'émir Saïd-Berlas et le scheik Mohammed-Djuvan-Fâzel. Le soin de l'administration financière, fut confié au Khodjah-Mozaffir-eddin-Massoud-Nazari, et Scheik-Iesaoul fut envoyé à Kaschan, avec le titre de gouverneur ; après quoi le prince prit la route de Chiraz et alla se reposer dans sa capitale.

Suivant ce qui a été rapporté plus haut, Mirza-Abou-Bekr, après avoir fait mettre à mort, dans le lieu nommé Derguzin, plusieurs de ses principaux serviteurs, s'était rendu à Kourouk-Argoun, où il avait séjourné quelque temps. Tout à coup il reçut la nouvelle que Scheik-Hadji-Irâki venait d'être tué, dans les derniers jours du mois de zou'lhidjah, par Schukr-allah-Djémal-eddin-Ilgaz, Berdi-beig et Scherf-schah-Târemi. Mirza-Abou-Bekr, ayant fait battre le tambour pour annoncer cette nouvelle, partit de Konrouk-Argoun, et, par la route de Sadjas, se rendit à Guzel, où il séjourna un ou deux mois. Schukr-allah eut l'honneur de baiser la main du prince et fut promu au rang élevé de vizir.

Sur ces entrefaites, on apprit, par des nouvelles certaines, que l'émir Kara-Iousouf marchait contre la ville de Sultaniah. Mirza-Abou-Bekr, laissant dans cette ville deux cents hommes pleins de courage, sous les ordres de Dervisch Koudji, quitta le territoire de Reï, et arriva au pied du mont Demavend, où il passa l'été. L'émir Kara-Iousouf et les autres émirs turcomans entrèrent dans la ville de Sultaniah et y séjournèrent une nuit; le lendemain, ils livrèrent la place au pillage et emmenèrent la population à Tabriz, à Maragah et à Ardebil.

Sur ces entrefaites, Sultan-Motasem, fils de Sultan-Zeïn-Alâbedin, petit-fils de Schah-Schodja et fils de la sœur de Sultan-Awis, qui précédemment avait pris la fuite pour échapper aux armes victorieuses de l'empereur Timour, reparut et se réfugia auprès de l'émir Kara-Iousouf. Celui-ci l'accueillit avec bienveillance et le fit partir pour Hamadan et la province de Lorestan, puis il se rendit à Tabriz. Mirza-Abou-Bekr, dès qu'il eut reçu la nouvelle du retour de Kara-Iousouf, se dirigea vers Sultaniah. Dans ce moment il apprit que Schukr-allah-Ilgaz avait reconnu pour son souverain l'émir Rida-Kaïa, prince du Ghilan, et s'était rendu de Kazwin à Roudbar. Mirza-Abou-Bekr, étant arrivé à Kazwin, envoya Khodjah-Scherf-eddin-Khâledi et Seïd-Izz-eddin, à la tête d'un corps de troupes, à la poursuite de Schukr-allah. Ces officiers, lui ayant promis une amnistie, l'amenèrent à Kazwin, où il fut condamné par Mirza-Abou-Bekr à payer une somme d'argent considérable, et il expira dans les tortures.

Au milieu du mois de djoumada premier, Mirza-Abou Bekr, étant arrivé à Sultaniah, se rendit en deux jours à Ardebil, livra au pillage les environs de cette ville, et rapporta à son ogrok (quartier) un butin considérable. Maragah fut également ravagée, et les femmes et les enfants livrés à la brutalité des soldats. Le prince établit son kischlak (quartier d'hiver) à Tchemtchal; de là, il détacha vers le Kurdistan un corps de troupes qui rapporta un immense butin. Mirza-Abou-Bekr séjourna dans le même lieu jusqu'au printemps, entièrement livré au plaisir. Cependant il apprit que les émirs Djaouni-Korbâni, Naurouz et Abderrahman, partis de Samarkand à la tête de cinq mille cavaliers, et ayant pris la route du Khwarizm et du Mazandéran, étaient arrivés dans les environs de Reï. Mirza-Abou-Bekr leur envoya un exprès et leur fit faire à tous les offres les plus séduisantes. Cédant à ces instances, ils joignirent l’ordou (la cour) du prince non loin de Derguzin, et reçurent de lui de nombreux témoignages de bienveillance et de libéralité. Il tint conseil avec eux sur ce qui concernait les affaires de l'Etat. Il fut arrêté que l'on marcherait vers l'Azerbaïdjan, et que l'on enlèverait cette province aux Turcomans. On prit, en effet, la route a de Tabriz. L'émir Kara-Iousouf, informé de ce projet, se rendit au Schenbi-Gazan, le 16e jour du mois de zou’lkadah, et fit de nouveau creuser un fossé autour de cette place. L'émir Bestam-Djaghir, accompagné de ses frères, Mansour et Masoum, et de son fils, Akhi-Farrukh, l'émir Hosaïn-Saad et son frère Mohammed, à la tête d'environ vingt mille hommes, tant cavaliers que fantassins, se réunirent à l'émir Kara-Iousouf. Le 24e jour du mois de zou’lkadah, les deux partis se trouvèrent en présence dans le lieu nommé Serdroud, et, ayant formé leurs rangs, ils commencèrent l'action. Les braves qui composaient l'armée de Kara-Iousouf s'avancèrent au combat avec une intrépidité comparable à celle d'Esfendiar. L'émir Bestam se précipita dans la mêlée et tua de sa main deux ennemis. Pir-Omar, Beïram-beig et Djelal-eddin-Khalifah, après avoir blessé plusieurs soldats, prirent la fuite. Mirza-Abou-Bekr, à la vue de ces faits, poussa un cri de fureur, mit en déroute les Turcomans qui se trouvaient devant lui et tua Djélal-eddin Zirek. Les deux armées se trouvèrent tellement mêlées et confondues, qu'il était impossible de discerner les vainqueurs des vaincus. Mirza-Abou-Bekr, semblable à un lion affamé et à un loup dévorant, courait de tous côtés, renversant tout ce qu'il rencontrait. Après s'être ainsi, durant quelque temps, plongé dans la mer du combat, ayant regagné son poste, il vit ses troupes complètement en désordre. Par suite des arrêts de la Providence, le prince Moëzz-eddin-Mirza-Miran-schah avait péri dans l'action. Mirza-Abou-Bekr, réduit à prendre la fuite, se retira vers Sultaniah. Les Turcomans recueillirent un butin immense. Un d'entre eux vint présenter à l'émir Kara-Iousouf la tête du sultan Mirza-Miran-schah, qui avait eu le bonheur d'obtenir la couronne du martyre. Kara-Iousouf adressa à cet homme des reproches violents et lui fit trancher la tête. Celle de Mirza-Miran-schah fut, par ordre de l'émir, lavée de la manière la plus honorable et enterrée avec le corps dans la ville de Sorkhab. Quelque temps après, un individu, nommé Schems-gouri, ayant pris le costume d'un derviche, enleva les os du prince et les transporta à Samarkand ; ils furent déposés sous la coupole verte de Kesch. L'émir Kara-Iousouf ne cessait de dire : « Si Mirza-Miran-Schahm'avait été amené vivant, je l'aurais traité avec toute la bienveillance qu'il méritait. » Il se prosterna pour rendre grâces à Dieu de cette victoire, et, après avoir donné à ses braves émirs des témoignages éclatants de sa faveur, il les congédia. L'émir Bestam, s'étant rendu dans son gouvernement d'Ardebil, se dirigea avec un nombreux cortège vers l'Irak-Adjem et arriva près de Sultaniah. Avant tout, il fit sortir de prison Dervisch-Ahmed-Ateschi, et l'envoya en mission vers Dervisch-Kouschedji, qui était gouverneur de cette place au nom de Mirza-Abou-Bekr, et auquel il fit faire les offres les plus séduisantes. Mais cette tentative échoua complètement. L'émir Bestam commença le siège, qui se prolongea depuis le milieu du mois de moharram de l'an 811 jusqu'au milieu de safar; le vendredi, 17e jour de ce mois, la ville tomba en son pouvoir. Il régla tout ce qui concernait cette place, et y laissa, avec le titre de gouverneur, son frère Masoum. L'émir Kara-Iousouf, après avoir comblé l'émir Bestam de témoignages de considération et de marques de sa libéralité, lui confia le gouvernement de la province d'Irak-Adjem.

Cette même année, je veux dire l'an 810, Sultan-Ahmed s'occupa avec un zèle et une ardeur extraordinaires à fortifier les remparts de Bagdad et à en creuser les fossés. Vers la fin de l'année, le schahzadeh (prince) Ala-eddaulah-Sultan, ayant été délivré de la prison où il était retenu à Samarkand, arriva dans le voisinage de Bagdad. Le sultan sortit à sa rencontre. Dès qu'il aperçut cet enfant qui lui était si cher, il descendit de cheval. Le fils se précipita aux pieds de son père, et tous deux se serrèrent mutuellement dans leurs bras. Le sultan combla son fils de marques d'affection et l'amena avec lui dans la ville, où ils passèrent plusieurs jours au sein des plaisirs. Quelque temps après, Sultan-Ahmed envoya le jeune prince dans la ville de Helleh, afin qu'il pût en liberté se livrer à toutes sortes de divertissements. Et Ahmed, suivant son habitude, continua de boire du vin et de chercher des plaisirs illicites dans la société des jeunes garçons et des jeunes filles. Le dernier jour du mois de chaban, un fils naquit au prince Ala-eddaulah et reçut de lui le nom de scheik-Hasan. Le sultan se rendit à Helleh pour assister aux réjouissances qui suivirent cet événement. On célébra une fête pompeuse, et, durant quelque temps, on ne s'occupa que de plaisirs. Ahmed reprit ensuite la route de Bagdad, où il passa l'hiver. Au printemps, il manda son fils, et tous deux se livrèrent à une suite non interrompue de divertissements.

Sa Majesté le Khakan heureux, pour se conformer aux lois établies par le Prophète (sur qui repose le salut!), ordonna de procéder à la circoncision de ses dieux fils, Mirza-Baïsangar et Mohammed-Djoughi-Behadur. En vertu du commandement auguste du prince, on disposa les préparatifs du festin et de tout ce que réclamait cet acte solennel. L'annonce de la cérémonie fut portée dans tous les pays.

 Dans la ville de Hérat, dans le lieu nommé Bâghi-schehr (le jardin de la ville), on dressa des tentes qui avaient cent à quatre-vingts pointes, des pavillons d'écarlate et des tentes de soie. Là se trouvaient des trônes d'or et d'argent, environnés de guirlandes, de rubis et de perles. Les tapis exhalaient les vapeurs de l'ambre, et toute la salle destinée aux réjouissances était parfumée de l'odeur suave du musc. Des bazars et des boutiques retraçaient, par leurs ornements, la beauté du jardin d'Irem. Des pavillons, du coup d'œil le plus agréable, décorés avec élégance, semblaient un écrin rempli de pierreries, ou une constellation composée de nombreuses étoiles. Des échansons, aux jambes d'argent, aux mains blanches comme le cristal, aux lèvres gracieuses, te nant des coupes d'or, donnaient partout le signal du plaisir. Des chanteurs, aux accords mélodieux, faisaient entendre dans le festin du monarque les airs usités jadis à la cour des Khosroès. Des musiciens habiles, par les sons du luth et de la lyre, transportaient les assistants, leur faisaient perdre la raison, et propageaient partout la joie et le plaisir. Dans chaque tente était disposée une salle magnifique. Les divertissements se prolongèrent sans interruption durant plu sieurs jours. L'empereur prodigua à tout le monde, aux hommes d'un rang élevé comme à ceux d'une condition inférieure, des témoignages éclatants de générosité et de munificence. Cette fête auguste fut célébrée dans la ville de Hérat, capitale du royaume, durant les derniers jours du mois de rebi second.

Mirza-Abou-Bekr, par suite de la mort de son père et de la déroute de son armée, ne pouvant plus rester dans les provinces d'Azerbaïdjan et d'Irak, prit la route du Kerman. Sultan-Awis, fils de l'émir Aïdekou-Berlas, et qui, depuis la mort de son père et de son frère, gouvernait cette contrée, vint à la rencontre du prince, le reçut avec les plus grands honneurs, et lui dit : « Nous sommes les esclaves et le fils des esclaves de votre famille. Si nous pouvons, par quelque service, témoigner notre hommage aux enfants et aux petits-enfants de l'empereur Timour, ce sera pour nous le comble du bonheur. Nos États, nos richesses, nos trésors, sont à la disposition de Votre Altesse ; et nous espérons qu'elle daignera accepter nos offres. » Quelques jours se passèrent dans les plaisirs et les divertissements. Cependant Mirza-Abou Bekr, voyant que Sultan-Awis avait toute l'autorité d'un souverain absolu, éprouva contre lui un sentiment de jalousie. Bientôt, de part et d'autre, des symptômes de défiance et d'antipathie se montrèrent ouvertement. Mirza-Abou-Bekr forma le projet de faire arrêter Sultan-Awis. Celui-ci, de son côté, résolut de surprendre Mirza-Abou-Bekr. Ce prince, étant parvenu, après mille efforts, à échapper au danger qui le menaçait, prit le parti de se retirer dans le Séistan. Au mi lieu de l'été, il traversa un désert brûlant. Lorsqu'il arriva sur les confins du Séistan, Schah-Kotb-eddin, charmé de son approche, vint à sa rencontre et le reçut avec les plus grands honneurs. Il s'imaginait que sa liaison avec ce prince le mettrait en état de se passer de la bienveillance du Khakan heureux. Mirza-Abou-Bekr et Schah-Kotb-eddin conclurent entre eux un traité cimenté par fies serments solennels. Au bruit de cet événement, l'empereur résolut de marcher vers le Séistan. Les étendards victorieux de Sa Majesté quittèrent la ville de Hérat, le 10e jour du mois de djoumada premier, et se dirigèrent du côté de Nimrouz. Le cortège auguste étant arrivé à la ville d'Esferar, l'empereur passa son armée en revue. De là, les troupes s'avancèrent vers Ferah, et entrèrent sur les frontières de cette province. Schah-Iskender-Nialtekin, gouverneur de ce pays, avait pris soin de mettre sur un pied de défense formidable la ville de Ferah, qui était, de sa nature, une place de guerre très forte. Les habitants, enorgueillis de leur courage et de la solidité des remparts de leur citadelle, comptant d'ailleurs sur les secours qui devaient leur venir du Séistan, partageaient les illusions de leur chef. L'armée victorieuse vint camper dans les environs de la ville. La place, outre la force de sa situation et de ses remparts, avait pour défenseurs mille hommes, pleins d'expérience et distingués par le courage le plus intrépide. Plusieurs braves guerriers du Séistan et du Zaboulestan, tels que Mahmoud-Hindou-bouka, Mahmoud-Schems, Mahmoud-Gouri, Mahmoud-Siahsewar et Omar-Siahsewar, se tenant sur la crête du rempart, se disposaient à une vigoureuse résistance. Dès que l'armée impériale eut aperçu ces hommes belliqueux, plusieurs guerriers intrépides, dont le courage égalait celui des lions et des panthères, tels que Mahmoud-Schah-tchehreh, Schah-Mahmoud Nikouderi, Iousouf-Iraki, Khodaïdad, Hosaïn-Kaldj et Baïezid-Pendar, s'avancèrent au combat, et, ayant franchi la muraille, pénétrèrent à pied au milieu des ennemis. L'arc et les flèches ne furent plus d'aucun usage ; les combattants s'approchèrent et se mêlèrent de façon à pouvoir se saisir mutuellement par le collet ou la barbe, et s'attaquaient à coups redoutées de massues et d'épées. Les soldats du Séistan, cédant aux efforts de l'armée impériale, prirent la fuite, et se réfugièrent dans la forteresse sans oser rien entreprendre. Les émirs et les principaux officiers de la cour du monarque s'occupèrent sans relâche à dresser des machines, à élever des balistes, à lancer de toutes parts des pierres, à creuser une tranchée et à pratiquer des mines. Trois de ces excavations étaient dirigées par l'émir Gaïath-eddin-Schah-mulk, deux par l'émir Midrab, une par l'émir Ali-Tarkhan, une par l'émir Hasan-Soufi-Tarkhan, une par l'émir Alikeh-Koukeltasch, une par l'émir Djélal-eddin Firouz-schah, une par Nouschirvan, une par l'émir Ferman-Scheïkh, une par l'émir Seïd-Ali-Tarkhan, une par l'émir Iousouf-Khodjah, Melik-Iekseh-Maulana-Ibrahim-Sadr, une par l'émir Mousa et l'émir Mohammed-Muschrif. Plusieurs des serdars (généraux) du prince creusaient, dans toutes les directions, de nombreuses tranchées et poussaient en avant leurs mines. De leur côté, les soldats qui occupaient la forteresse se défendaient avec le plus grand courage. Pendant dix jours et dix nuits on se battit sans interruption, à coups de flèches et de lances. Les quatre murailles qui entouraient cette place forte furent criblées de brèches, et présentaient l'apparence d'une cotte de mailles ou d'un guêpier. Les assiégés, en voyant les marques de la protection divine qui favorisait la grandeur du prince, sentirent parfaitement que, s'ils ne cherchaient, par une capitulation, à se soustraire au glaive de ce conquérant, ils allaient attirer sur eux des maux irréparables. Schah-Iskender, Melik-Schems-diraz et les autres nakib de la forteresse, tombant du faîte de la présomption dans l'abîme de la misère, eurent recours à l'intercession de l'émir Schah-mulk. Les instances de cet officier furent parfaitement accueillies, et le monarque consentit à accorder aux assiégés le pardon de leurs fautes. Ainsi fut conquise une place forte qui avait résisté aux attaques des plus puissants princes. Schah-Iskender et les généraux qui occupaient la forteresse vinrent baiser le tapis impérial. Le prince, couvrant du manteau de sa générosité leurs fautes passées, les combla tous des témoignages de sa bienveillance et de sa faveur. Aussitôt après la conquête de Ferali, Sa Majesté se dirigea vers Ouk. Le pehlewan Schems-diraz et les personnages les plus distingués du Séistan, qui, en sortant de la forteresse de Ferah, avaient été reçus avec bienveillance, furent, de nouveau, revêtus d'une robe d'honneur, et envoyés en ambassade auprès du schah Kotb-eddin. Ils étaient porteurs d'un message conçu en ces termes : « Les schah ont constamment reçu des témoignages de notre protection. Le schah schahan (roi des rois) Abou-lfatah, qui avait eu l'honneur de vivre dans la société de l'empereur Timour, passait sa vie au sein de la grandeur, dans le séjour et le domaine des rois. Après sa mort, ses enfants furent mis en possession du royaume du Séistan. Ils allaient et venaient sans avoir à redouter que l'on ajoutât foi, pour ce qui les concernait, aux discours des hommes mal intentionnés et des calomniateurs. A l'époque où l'empire fut soumis à notre administration, nous concédâmes de nouveau à ces princes la souveraineté de la même province. Un fait atteste la considération que nous avons pour eux, la confiance que nous inspire leur dévouement. Les schah de Ferah, qui, durant un espace de temps considérable, avaient servi l'empereur Timour dans ses expéditions lointaines, nous ayant adressé des lettres où ils accusaient les schah de projets hostiles, ont été par nous punis de mort. Dans cet état de choses, la révolte des schah est, à nos jeux, un fait étonnant et inconcevable. Il est à propos qu'ils rentrent en, eux-mêmes et qu'ils réfléchissent aux suites funestes qu'aurait une pareille conduite. Ils doivent savoir, d'après notre manière d'agir habituelle, que l'indulgence pour les fautes de nos subordonnés, et la facilité à pardonner les délits des hommes coupables, forment une de nos qualités les plus louables, de nos plus nobles inclinations. Qu'ils se hâtent donc, en abjurant le passé, de se rendre à notre cour, où ils recevront des marques éclatantes de notre faveur et de notre bienveillance. Dieu sait que nous n'avons nul dessein d'attaquer les États ni la vie de ces princes; au contraire, ils se trouveront plus puissants qu'ils n'ont été jusqu'à présent. S'ils refusent de sortir d'une apathie coupable, s'ils préfèrent s'endormir dans le sommeil de l'illusion et prêter l'oreille aux suggestions du a diable, alors l'ouragan de notre indignation commencera son cours, l'incendie de notre colère s'allumera au plus haut degré; et des hommes vertueux, qui se trouvent, malgré leur volonté, au milieu des méchants, éprouveront des fléaux qui, suivant les règles de la justice et de la religion, ne doivent point tomber sur eux. C'est d'après cette considération que nous voulons encore nous armer de patience et employer les voies de la douceur. Que les schah, de leur côté, fassent de sérieuses réflexions sur l'iniquité dont se chargent les hommes qui, après avoir entendu des préceptes utiles, les dénaturent; qu'ils se pénètrent de cette vérité, que Dieu seul abaisse ou élève à son gré les humains. »

Cependant, les troupes impériales se dirigeant vers la province du Séistan, le cortège auguste vint camper autour de la ville d'Ouk et enveloppa de tous côtés une forteresse que l'on désigne sous le nom de Lâsch. Schah-Nosret, fils de Schah-Mahmoud, qui, à la tête d'un corps de guerriers segzi, s'était jeté dans la citadelle d'Ouk, fit des sorties et attaqua les assiégeants. De leur côté, les braves qui composaient l'armée impériale déployèrent dans les combats un courage intrépide. La garnison, se fiant sur la force des remparts, montrait une fermeté inébranlable et se préparait à la résistance la plus énergique. Les assaillants ayant intercepté l'eau du fleuve, ils avaient recours à celle d'un puits qui se trouvait dans l'enceinte de la citadelle ; mais bientôt une mine pratiquée par les djakhoui (mineurs) leur enleva cette ressource. Schah-Nosret, qui avait mis une confiance aveugle dans la force de la place et le courage de ses soldats, se voyant confus et humilié, demanda une capitulation. Le Khakan heureux, toujours guidé par la clémence, fit retirer ses troupes de devant les murs, et traita Schah-Nosret avec une extrême bienveillance. Les habitants de la forteresse de Karounk et de celle de Kouïn, situées toutes deux sur le territoire d'Ouk, dès qu'ils eurent vu le sort de cette place et de celle de Ferah, se hâtèrent de demander une capitulation, sortirent de leurs murs, et éprouvèrent un accueil plein de bonté et d'indulgence. Après la conquête de cette province, les drapeaux victorieux du monarque se dirigèrent vers Zereh. Au moment où l'on arriva sur les bords du fleuve Hirmend, on sut que Schah-Kotb-eddin, bien loin de se rendre auprès de l'empereur, n'avait même envoyé personne. Le prince, irrité au dernier point, donna ordre de briser les digues. Il en existait trois célèbres, dont la construction remontait au temps de Rustem. L'une portait le nom de Schelek, la seconde de Scheher et la troisième, qui était la plus solide, était désignée parla dénomination de Balagâni. Toutes furent démolies. On se livra au pillage, à la dévastation, à la destruction des édifices; et, dans les lieux habités comme dans les champs, tout ce que l'esprit dévastateur peut imaginer fut mis en usage. Comme une nombreuse masse d'hommes se trouvait agglomérée sur un même point, bientôt la disette se fit sentir dans ce pays. L'armée se dirigea vers la province de Watin et y commit de grands ravages. Mirza-Rustem, qui de l'Irak s'était rendu à la cour de l'empereur et avait été comblé de témoignages d'une bienveillance digne d'un souverain, reçut ordre de partir en compagnie de l'émir Midrab, et de pénétrer dans la province de Zereh, où ces deux officiers suivirent les mêmes errements. Dès que la conquête de ces contrées fut entièrement effectuée, le Khakan heureux se prépara à retourner sur ses pas. Le gouvernement du canton d’Ouk fut confié au pehlevan Djémal-Bekem, celui de Ferah à Schah-Iskender, fils de Schah-Ali, dont toute la conduite annonçait le courage uni à la prudence. Comme le mois de ramazan approchait, le prince ne voulut point, dans ces jours sacrés, se permettre un voyage; et, le dernier du mois de chaban, il alla se reposer dans sa capitale.

Tout être heureux que le très Haut a couvert de sa protection puissante et auquel il a donné l'empire sur les diverses classes d'hommes; qui, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, ne s'écarte jamais des préceptes di vins et témoigne à Dieu sa reconnaissance, en versant sur les hommes les trésors de la justice et de la bienfaisance; qui, au faîte de la richesse et de la puissance, reconnaît avec une foi entière qu'il ne peut lui arriver ni bien ni mal, si ce n'est par la volonté de Dieu; qui sait parfaitement que, sous le rapport de la nature, il n'est parmi les hommes aucune différence ; que la disparité qui règne entre eux provient uniquement du don et de la libéralité du maître des maîtres, qui gratifie ceux qu'il lui plaît, sans avoir de compte à rendre à personne ; que la perfection et la perpétuité de ce don repose sur la fidélité à observer les règles de l'équité et à faire le bien de ses sujets; cet homme-là se verra, sans aucun doute et en toute circonstance, favorisé par la fortune.

A peine le cortège impérial était-il de retour de l'expédition du Séistan, que l'on vit arriver des ambassadeurs envoyés par l'empereur du Khataï pour offrir ses compliments de condoléance sur la mort de Timour. Ils apportaient avec eux des présents et des objets précieux, et s'acquittèrent de la mission dont les avait chargés leur maître. Le Khakan heureux, après les avoir comblés de témoignages de bienveillance et de libéralité, leur accorda la permission de partir.

Lorsque le mois de ramazan fut terminé, et que l'on eut célébré la fête qui est une des principales solennités de l'islamisme, l'empereur laissa, pour commander dans Hérat, capitale du royaume, Mirza-Ibrahim-Sultan, auquel il adjoignit l'émir Djélal-eddin-Firouzschah. Il ordonna que l'émir Lutf-allah, accompagné de Baba-Timour et de l'émir Hamzah Kaboukou, se rendît sur la frontière du Séistan pour recueillir des renseignements. Le 5e jour du mois de zou'lkadah, le cortège impérial se mit en marche et se dirigea du côté de Badghis. L'ordre fut donné de faire venir les troupes; et, dans l'espace de peu de temps, une armée immense fut réunie sous les drapeaux augustes du monarque. Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle que Mirza-Khalil-Sultan avait été fait prisonnier par l'émir Khodaïdad-Hosaïni, et que la contrée du Ma-wara-annahar était en proie aux troubles.

En effet, dès que Mirza-Khalil-Sultan eut appris que le Khakan heureux avait réuni toutes ses troupes dans la ville de Badghis, il se rendit dans les environs de Kesch, à la tête d'une armée nombreuse. Là, il fut informé que l'émir Khodaïdad-Hosaïni était arrivé sur les bords du fleuve de Khodjend. Il détacha de ce côté trois cents cavaliers, sous les ordres des émirs Allah-dad et Argounschah. Les deux corps se rencontrèrent dans les environs de Iarak et restèrent quelques jours en présence. Les émirs de Mirza-Khalil-Sultan lui ayant demandé du secours, ce prince se mit en marche à la tête de quatre mille cavaliers. Il dépassa la ville de Samarkand et vint camper dans le bourg de Chiraz.[19] L'émir Khodaïdad, informé de son approche, se montra durant le jour à l'ennemi; puis, ayant marché toute la nuit, le lendemain, à l'heure de la prière de midi, il fondit avec la rapidité de la foudre sur Mirza-Khalil-Sultan, et engagea l'action. Le désordre se mit parmi les troupes de Samarkand; Mirza-Khalil-Sultan se réfugia dans la forteresse ruinée de Chiraz. L'émir Khodaïdad bloqua aussitôt la place et fit prisonnier le prince. Cet événement arriva le 13e jour du mois de zou'lkadah. Khodaïdad rédigeait des lettres, des ordres, qu'il revêtait du sceau de Mirza-Khalil-Sultan et qu'il expédiait dans les différentes provinces. Bientôt toute la contrée du Ma-wara-annahar se soumit à son autorité. Dès que cette nouvelle fut parvenue aux oreilles de l'empereur, il se mit en marche, le 21e jour du mois de zou'lkadah, et se dirigea du côté du Ma-wara-annahar. Il avait dépêché l'émir Djerkes vers Mirza-Khalil-Sultan. L'émir Khodaïdad fit partir avec ce député son serviteur et celui de Mirza-Djihanghir. (Ces trois personnages joignirent la cour auguste dans le ribat de Kotlok-Timour, et présentèrent, au nom de Khodaïdad, un message conçu en ces termes : « Je suis l'esclave de l'empereur, et je n'ai eu, dans cette circonstance, d'autre intention que de le servir. Maintenant je suis prêt à exécuter tous les ordres que le monarque daignera me donner. » Le Khakan heureux envoya Kouschin-Koudjin avec le serviteur de Khodaïdad, et fit dire à ce dernier : « Pour le moment, je ne puis rien résoudre. Je vais arriver, et j'ordonnerai, s'il plaît à Dieu, tout ce qui sera convenable ; que l'émir Khodaïdad se rende sans différer auprès de moi pour recevoir des marques éclatantes de ma bienveillance royale. » Le 6e jour du mois de zou'lhidjah, le monarque arriva sur les bords du fleuve. L'émir scheik-Nour-eddin, à l'époque où il demandait la permission de partir pour le Ma-wara-annahar, avait dit : « Toutes les fois que le cortège auguste se dirigera vers cette province, je joindrai l’ordou impérial. » Dans ce moment, il était dans la ville de Boukhara. L'émir Khodaïdad, ayant appris que l'émir scheik-Nour-eddin était en marche pour se rendre à la cour, partit en armes de la ville de Samarkand, fondit sur scheik-Nour-eddin, dispersa complètement la troupe de cet émir, puis reprit la route de Samarkand. Schah-rokh, après avoir traversé le fleuve, détacha l'émir Khodaïdad, Mirza-Ahmed-Mirek et Mirza-Seïdi-Ahmed, pour aller faire la conquête de la province de Hisar. Les Schah-zadeh (princes), avant d'avoir été mandés, se rendirent à la cour, où ils reçurent de nombreux témoignages de faveur et de bienveillance. Schah-mulk, épouse de Mirza-Khalil-Sultan, fut amenée à l’ordou par Abdel-Khodjah. Arrivé au lieu nommé Kharaz, l'empereur reçut la nouvelle que Khodaïdad, se voyant frustré dans son attente, avait fait charger de chaînes Mirza-Khalil-Sultan, et avait pris la fuite avec une extrême promptitude. L'empereur se dirigea vers la capitale de la contrée. Il envoya devant lui l'émir Ala-eddin-Alikeh, accompagné des amin du diwan, pour régler les affaires de la ville et prendre possession des trésors qu'elle renfermait. Les principaux habitants de Samarkand allèrent à la rencontre du monarque jusqu'au ribat de Yam, et le reçurent avec les plus grands honneurs. Mirza-Mohammed-Djihanghir et les autres émirs furent admis à baiser la main impériale. Le 27e jour du mois de zou'lhidjah, Schah-rokh fit son entrée dans la ville de Samarkand. Les grands et les chérifs, après avoir offert au prince leurs louanges et leurs vœux, se livrèrent à des transports de joie. Le monarque les combla tous de présents magnifiques et de témoignages de sa faveur et de sa bienfaisance royale. L'émir scheik-Nour-eddin et l'émir Moubaschscher, ayant été admis à résider auprès de l'empereur, prirent rang parmi les principaux émirs.

Mirza-Pir-Mohammed, après avoir réglé les affaires des provinces d'Irak et de Fars, se dirigea vers Hawizah, Schouschter et les autres cantons du Khouzistan, attendu que l'émir Khond-Saïd-Berlas, Scheik-zadeh et Tawakkul, qui commandaient dans ces provinces, s'étaient mis en état de révolte. Mirza-Pir-Mohammed dépêcha de Ramhormuz Abd-allah-perwandji, Abd-elkhodjah et Maulana-Soun-allah, vers Scheik-zadeh et Tawakkul, auxquels il adressa une copie du traité et leur fit dire : « Si vous consentez à vous soumettre, il ne sera fait aucun tort à votre honneur, à votre vie, à vos biens, à votre considération. Le passé sera mis complètement en oubli ; la faute de Khond-Saïd sera pardonnée, et les habitants de cette contrée se trouveront à l'abri de tous les fléaux. » Les émirs, ayant reçu ce message, tinrent conseil et résolurent de sortir à la rencontre du prince. Mirza-Pir-Mohammed était campé à une parasange de Schouschter. Les émirs se rendirent auprès de lui, portant avec eux des objets précieux et des présents magnifiques, obtinrent l'honneur de baiser son tapis et furent comblés de témoignages d'une bienveillance vraiment royale. Mirza-Pir-Mohammed fit son entrée dans la ville de Schouschter, s'établit dans la maison de Imarah, et passa quelques jours au sein du bonheur. De là il se rendit à Dizfoul, où il séjourna deux ou trois jours, termina les affaires, et prit ensuite la route de Hawizah. Lorsqu'il arriva sur les bords de la rivière de Tchehardankeh, les principales tribus des Kurdes et les chefs des Arabes des îles, accompagnés de Seïd-Iounes et de Seïd-Abd-allah, lui envoyèrent de magnifiques présents. Mirza-Pir-Mohammed, après avoir achevé la conquête du Khouzistan et envahi Beïat, qui dépend du territoire de Bagdad, par suite des fièvres et des maladies qu'amenait l'altération de la température, se vit forcé, aussi bien que l'émir Khond-Saïd-Berlas, d'abandonner cette province, où il laissa des officiers de confiance, et reprit la route de Chiraz.

Mirza-Pir-Mohammed étant sorti vainqueur de sa lutte contre ses frères, et Mirza-Rustem s'étant réfugié dans le Khorasan pour chercher un asile à la cour du Khakan heureux, Mirza-Iskender prit aussi la route du Khorasan et séjourna quelque temps dans le bourg d'Ahmed, situé entre Toun et Tabas. Lorsque la destinée voulut mettre au jour ce secret, Iskender, pour mettre sa vie à l'abri, s'enfonça dans le désert et se dirigea vers Balkh et Schuburgan. Arrivé dans ce canton, il réunit autour de lui une troupe nombreuse. Mirza-Kaïdou, qui commandait dans la ville de Balkh, conçut des inquiétudes et marcha vers le prince. Les deux corps d'armée furent bientôt en présence. Mirza-Iskender se trouvant hors d'état de résister, tout son monde se débanda. Il voulut alors changer ses dispositions, traverser le Djeïhoun et marcher vers Ouzkend. A la nuit, un page, qui avait toute sa confiance, ayant pris la fuite, ce plan se trouva rompu ; et le prince errait à l'aventure dans le désert. Lorsqu'il fut arrivé dans les environs d'Andekhoud, l'émir Seïd-Ahmed-Tarkhan, qui avait reçu du Khakan heureux le gouvernement de cette province, sortit à la rencontre du prince, eut l'honneur de lui baiser la main et lui rendit tous les hommages qui lui étaient dus. En même temps, il informait l'empereur de cet événement et lui rendait compte de ce qui se passait. Mirza-Iskender éprouvait naturellement un sentiment de méfiance, mais il se voyait contraint de céder au temps et de se résigner à son sort. Toutefois, ce qu'il redoutait devint pour lui la cause d'un avenir heureux. Un serviteur de l'émir Seïd-Ahmed arriva, apportant un ordre qui enjoignait aux officiers chargés de la garde de ces cantons, et aux surveillants des chemins, de ne mettre aucun obstacle à la marche des personnes attachées à Mirza-Iskender; d'avoir soin, dans quelque lieu que ce prince voulût se rendre, de lui témoigner tous les égards les plus convenables et de le faire arriver sain et sauf. Une lettre adressée à son frère Mirza-Pir-Mohammed était conçue en ces termes : « Notre fils aîné, Nour-eddaulah-ou-eddin-Mirza-Pir-Mohammed, dont nous souhaitons que Dieu veuille prolonger les jours, doit, dans toutes ses actions, conformément à cette maxime : « Fais du bien, ainsi que Dieu t'a fait du bien à toi même, couvrir de sa bienveillance les êtres qui l'approchent, comme ceux qui sont éloignés. Personne n'a plus droit à ces bienfaits que les hommes qui sont liés par les nœuds du sang, qui appartiennent à une même famille, qui ont été élevés ensemble; qui, à l'instar des pléiades, se lèvent sur le même point; qui, comme les signes du zodiaque, se suivent mutuellement, sont comme des perles enfilées dans un même collier, ou des mots dont se compose une même phrase. Or ces caractères ne se rencontrent que chez les frères, les sœurs, ou les autres membres de la famille, en sorte qu'ils doivent montrer les uns pour les autres une affection et une amitié particulières. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, il arrive entre eux quelque division, ils doivent fermer la porte aux envieux et aux calomniateurs. Je désire que mon fils, rappelant auprès de lui Mirza-Iskender, lui donne des témoignages essentiels de bienveillance, d'attachement, et lui concède l'administration d'une province de l'empire. »

Mirza-Iskender, ayant reçu cette lettre, et après avoir tenu conseil avec ses principaux courtisans, résolut de reprendre la route des provinces d'Irak et de Fars, dans l'espérance que les sentiments d'animosité seraient éteints dans le cœur de son frère aîné et feraient place à l'amitié qui doit régner entre des parents. Il se dirigea donc vers l'Irak; mais, trouvant les passages fermés, les frontières gardées avec une extrême surveillance, il changea de plan, s'avança de désert en désert, et eut à lutter contre toutes sortes de difficultés. Le 26e jour du mois de ramazan, vers le soir, ayant traversé le défilé d’Allah-akbar, qui conduit à Chiraz, et ayant laissé en dehors de la ville les personnes de sa suite, il entra à pied par la porte de Seadet, et se rendit à la maison du médecin Khodjah-Hasan. Au moment de la rupture du jeûne, Mirza-Pir-Mohammed, instruit de l'arrivée d'Iskender, interrompit son repas, manda le prince et le reçut avec des témoignages d'une sincère affection. Après avoir pris des mesures dignes d'un souverain, il alla habiter, dans le quartier de Mourdestan, la maison de Ramazan-akâ, qui était akhtadji (palefrenier) de Schah-Schodja.

Sultan-Ahmed, ayant reçu la nouvelle du retour de Mirza-Pir-Mohammed, se mit lui-même en marche. Arrivé sous les murs de Hawizah avant le lever du soleil, il mit inopiné ment le siège devant cette place. Les soldats qui composaient la garnison commençaient à sortir de leur sommeil, lorsque, des quatre côtés, ils virent briller les glaives de l'ennemi. Frappés de stupeur, ils sautèrent sur leurs chevaux et prirent la fuite; mais ils furent passés presque tous au fil de l'épée. Ceux qui échappèrent à la mort furent faits prisonniers et conduits devant le sultan, qui n'en fit périr aucun. Pir-Hadji-Koukeltasch, apprenant le sort de la ville de Hawizah, abandonna la forteresse de Dizfoul, et se retira du côté de Schouschter. L'émir Isen, qui se trouvait dans cette ville, fut saisi d'une telle crainte, que, ne se croyant pas en sûreté dans la citadelle de Selasil, il se retira précipitamment à Ramhormuz. Mirza-Pir-Mohammed, à la nouvelle de l'expédition de Sultan-Ahmed, fit partir Toulek et Nouschirvan-Berlas pour marcher au secours des émirs du Khouzistan. Ces généraux allèrent rejoindre Isen dans la ville de Ramhormuz, et préparèrent tout ce qui était nécessaire pour la défense de la place. Le sultan, maître du Khouzistan, se dirigea vers Ramhormuz. Le kadi Maulana-Kotb-eddin dit aux émirs de Mirza-Pir-Mohammed : « Si vous voulez combattre, les rations et la solde sont toutes prêtes. Si vous préférez sortir, partez promptement, afin que la population ne reste pas exposée aux fléaux de la guerre. » Les émirs et les habitants, ayant prêté serment, se montrèrent animés de sentiments unanimes. Les fantassins de la garnison engagèrent plusieurs combats avec les karaoul (coureurs) du sultan. Tout à coup, au milieu d'une nuit, on aperçut l'ogrok (quartier) du sultan, accompagné d'un grand nombre de maschal. Les émirs de Mirza-Pir-Mohammed se hâtèrent de fuir, chacun dans une direction; et les habitants, sans ressources, restèrent plongés dans l'abîme du malheur. Le sultan, après avoir fait mettre à mort le kadi Kotb-eddin et un grand nombre de fantassins, entraîna à Schouschter le reste de la population, et rasa en entier la forteresse de Ramhormuz. Il donna à Maksoud-Nizehdar le commandement des places du Khouzistan.

Sur ces entrefaites, il apprit que son fils, Sultan-Ala-eddaulah, avait levé l'étendard de la révolte et marchait vers Tabriz. Le sultan résolut de se diriger du côté de Bagdad. Un individu nommé Awis, dont la mère se trouvait dans le harem du sultan, prétendait être fils de ce prince. Le sultan, pour l'engager au silence, lui fit présent d'une somme de vingt mille pièces d'or, et lui conseilla de ne jamais tenir un pareil langage. Cet homme se montra content et promit d'obéir.

Tandis que Sultan-Ahmed se trouvait dans la province de Khouzistan, son fils, Sultan-Ala-eddaulah, ayant conçu quelques inquiétudes, partit de Bagdad, et, prenant la route de Helleh et d'Arbil, se rendit dans l'Azerbaïdjan. L'émir Kara-Iousouf, informé que le prince avait entrepris ce voyage sans l'autorisation de son père, lui assigna pour sa dépense journalière une somme modique. Lorsque le mois de ramazan fut passé, il ordonna à plusieurs de ses adhérents de faire reconduire le prince sur la frontière de la province. Mais, dans les environs de Khoï, les Kurdes soumis à Melik Izz-eddin, ayant arrêté le Schahzadeh (prince), le conduisirent en présence de leur maître, qui le retint auprès de lui l'espace de deux mois, et le traita avec tous les égards convenables. L'émir Kara-Iousouf écrivit à Melik-Izz-eddin une lettre conçue en ces termes : « Le Schahzadeh voyageant sans l'ordre du monarque, bien loin de lui donner aucun témoignage de considération, nous l'avons expulsé de notre province. Vous devez en faire autant, si vous voulez vous épargner des regrets et prévenir de grands désordres. » Mélik-Izz-eddin, ne se sentant pas la force de résister, congédia le prince. Celui-ci, privé de toute ressource, fatigué de la vie, se dirigea vers Ardebil, afin de passer quelques jours dans la société du scheik anachorète Scherf-eddin-Ali-Sefevi. Lorsqu'il fut arrivé dans les environs de Tabriz, quelques hommes audacieux et pervers, fondant sur lui, le chargèrent de chaînes, lui et ses serviteurs. L'émir Kara-Iousouf, informé par eux de cet événement, fit conduire le prince dans la forteresse d'Abd-eldjouz. Cet infortuné avait reçu au bras une blessure considérable. Livré aux rêves de l'ambition, il se voyait précipité des marches du trône dans l'abîme du malheur.

Schah-rokh, s'étant rendu maître, sans peine et sans coup férir, de l'empire de Samarkand, qui formait ses états héréditaires, témoigna par des actions de grâces sans fin la reconnaissance qu'il devait à Dieu pour un si grand bienfait. L'émir Khodaïdad et tous les hommes turbulents se réfugièrent dans la contrée du Mongolistan. Dans les premiers jours de moharram de l'année 812, l'empereur ordonna aux émirs Khizr-Khodjah et Hasan-Kaou-Khodjaghi de se rendre dans le Khorasan, d'y aller rejoindre l'émir Lutf-allah et l'émir Hamzah-Katoukou, qui étaient campés sur les frontières du Séistan, et de concerter avec eux toutes leurs opérations. Il dépêcha Ledina-Tarkhan vers l'émir Khodaïdad et lui fit dire : « Vous m'aviez fait savoir que vous aviez agi dans nos intérêts : aujourd'hui nous vous savons gré de votre conduite. Nous reconnaissons que vous n'avez cessé de marcher dans la voie de la fidélité et d'une affection sincère. Nous avons appris que vous traitiez avec une égale bienveillance les hommes éloignés comme ceux qui étaient proches de vous, les Persans comme les Turcs. Puisqu'il n'est arrivé aucun fait qui ait pu vous inspirer des préventions fâcheuses, pourquoi n'êtes-vous pas venu nous joindre? Pourquoi avez-vous pris la fuite? » Lorsque Ledina-Tarkhan fut arrivé auprès de l'émir et eut accompli son message, Khodaïdad lui répondit : « L'émir Scheik-Nour-eddin ne laissera point l'empereur dans ces dispositions bienveillantes. Si le prince veut faire charger de chaînes mon ennemi, je me rendrai à la cour. » Schah-rokh, irrité d'une réponse si inconvenante, résolut de se mettre en marche pour aller attaquer Khodaïdad.

Bien décidé à entreprendre une expédition dans le Mongolistan, il partit de sa capitale Samarkand, et vint descendre dans le bourg de Chiraz. Mirza-Rustem, l'émir Seïd-Ali Tarkhan, l'émir Schah-mulk et l'émir Nouschirvan, furent mis à la tête d'un corps avancé. Mirza-Emirek-Ahmed, avec son frère Mirza-Baïkara, l'émir Sultan-schah-Berlas et l'émir Hasan-Soufi, furent dirigés vers Khodjend. L'empereur, en personne, vint occuper le campement d'été Ouratepeh. Là il reçut des émirs qui commandaient le corps avancé un message portant ces mots. L'émir Khodaïdad déclare que, si l'émir Scheik-Nour-eddin se rend auprès de lui, il est disposé à faire tout ce qui sera convenable. » L'empereur se hâta de faire partir Scheik-Nour-eddin. Sur ces entrefaites, il arriva un événement extraordinaire et que personne ne pouvait prévoir. L'émir Khodaïdad avait compté sur les secours du Mongolistan, et se flattait que Mohammed-Khan, souverain de cette contrée, le seconderait de tout son pouvoir. Mohammed-Khan, cédant aux sollicitations de Khodaïdad, envoya à son secours son frère nommé Schama-Djihan, ou Schah-Djihan, et se rendit lui-même dans les environs de Tachkent. L'émir, au comble de la joie, sortit à la rencontre du prince, et lui prodigua les témoignages de considération et de respect. Schama-Djihan, ayant tenu conseil avec ses principaux officiers sur ce qui concernait Khodaïdad, leur dit : « Cet émir, qui a reçu de l'empereur Timour de si nombreuses marques de bienveillance, quelle reconnaissance a t-il témoignée aux enfants de ce monarque? » En conséquence, il fit mettre à mort l'émir Khodaïdad, et envoya sa tête à l'émir Schah-mulk.

Lorsque les provinces du Ma-wara-annahar se trouvèrent complètement soumises à la domination de Schah-rokh, ce prince dirigea sur cette contrée les rayons de sa bienveillance. Mirza-Mirek-Ahmed, fils d'Omar-Scheik, et qui avait constamment donné à l'empereur des témoignages d'un dévouement à toute épreuve, reçut de lui une marque de haute faveur, le gouvernement, à titre de siourgal, de la province d'Ouzdjend. Mirza-Baïkara, frère de ce prince, l'émir Midrab et l’émir Mousa-Kâ, reçurent ordre de se rendre dans cette contrée pour y organiser les affaires, veiller aux intérêts des peuples, et revenir ensuite à la cour. Les émirs qui commandaient le corps avancé ramenèrent le fils d'Allah-dad, qui se trouvait dans la forteresse de Schahrokhiah, et reçurent des témoignages éclatants de la bienveillance royale. L'émir scheik-Nour-eddin, de retour de son voyage, rapporta que les troupes mongoles, qui étaient entrées dans la province, s'étaient abstenues de commettre aucun dégât; et que, si elles en recevaient l'autorisation, elles reprendraient la route de leur pays. L'empereur consentit qu'il portât cette permission, sous la condition qu'il reviendrait promptement. Le scheik-Nour-eddin se chargea d'exécuter fidèlement cette commission. Cependant, les étendards impériaux vinrent ombrager le canton de Khodjend. Là, le monarque reçut la nouvelle que, depuis la mort tragique de l'émir Khodaïdad, les gardiens de Mirza-Khalil-Sultan s'étaient, d'un commun accord, dirigés vers la forteresse d'Alla, où ils avaient rejoint l'émir Abd-alkhalik, fils de Khodaïdad. Un ordre de l'empereur enjoignit à l'émir Schah-mulk et à plusieurs autres émirs marquants de s'avancer vers la forteresse d'Alla, et de s'emparer de la personne des rebelles. Puis les drapeaux du monarque reprirent la route de Samarkand.

L'émir Schah-mulk, étant arrivé près d'Alla-kouh (la montagne d'Alla), mit le siège devant la forteresse. Mirza-Khalil-Sultan fit dire à cet émir et à ses compagnons : « Laissez-moi les passages libres; car je veux quitter cette place. » L'émir Abd-alkhalik les invita également à lever le siège, attendu qu'il se proposait de se rendre à la cour de l’empereur. L'émir Schah-mulk, renonçant donc à l'attaque, alla rejoindre l’ordou, auguste de son souverain. Comme scheik Nour-eddin n'était point revenu à l'époque qui lui avait été fixée, l'empereur envoya vers cet émir Maulana-Kotbeddin-Koroumi, et l'émir Tavakkul-Karkara, qui se distinguait de tous ses rivaux par son adresse et sa sagacité, et avait, sous le règne de Timour, conduit les affaires les plus importantes. Ils étaient chargés de lui dire : « Il avait été arrêté que vous reviendriez promptement : quel motif a pu causer ce retard ? » L'émir scheik-Nour-eddin répondit : « J'ai reçu de la part du monarque de nombreuses marques de bienveillance, et je suis honteux de la négligence que j'ai mise à remplir mes devoirs. Si Dieu veut que j'aille présenter mes hommages au prince, je lui demanderai pardon de ma faute; mais, dans ce moment, j'espère que l'on me dispensera de venir. Lorsque les étendards augustes seront retournés dans le Khorasan, votre esclave se rendra auprès de Mirza-Olug-beig-Kourkan, au service duquel il veut consacrer sa vie. » Mirza-Khalil-sultan, étant parti d'Allali-kouh, alla joindre l'émir scheik-Nour-eddin. Maulana-Kotb-eddin le Sadr et l'émir Tawakkul revinrent à la cour, et y apportèrent les excuses de Scheik-Nour-eddin. Le Khakan heureux, n'étant nullement satisfait de ces protestations, tourna bride et se dirigea du côté de l'émir. Dans le lieu nommé Aksoulat on vit arriver Yahia-Kâ, ancien serviteur de Mirza-Khalil-sultan, et qui rendit compte de l'état des affaires. L'empereur, ayant gagné cet homme par des promesses, ne tarda pas à le congédier. Mirza-Khalil-sultan envoya une seconde fois Yahia-Kâ et le chargea de dire : « Si l'empereur veut s'engager avec moi par un traité en bonne forme, quel que soit celui des émirs qui se rendra auprès de moi, je l'accompagnerai à la cour auguste du prince. » L'empereur désigna pour cette mission les émirs Schah-mulk, Hasan-Soufi et Alikeh-Koukeltasch. Quoique tout le monde sût bien que l'on devait avoir une confiance entière dans la parole du monarque, cependant, pour se conformer à l'usage généralement reçu, ce prince prononça hautement cette déclaration franche et loyale : « Mon cœur étant parfaitement d'accord avec mes discours, je jure de ne jamais former aucune entreprise contre la vie de mon fils Mirza-Khalil-sultan, et de lui donner, en toute circonstance, des témoignages d'honneur et de considération. Si quelqu'un formait contre lui quelque tentative hostile, je m'opposerai à ce projet de tout mon pouvoir, et je n'accueillerai aucune dénonciation qui me serait faite contre ce prince. » Les émirs, après avoir entendu cette déclaration, se mirent en marche et prirent la route d'Otrar, où se trouvaient alors réunis Mirza-Khalil sultan et l'émir Scheik-Nour-eddin. L'émir Schah-mulk s'arrêta sur le bord du fleuve (le Djeïhoun) et laissa partir en avant l'émir Hasan-Soufi et l'émir Alikeh. Ces officiers, étant arrivés à leur destination, rapportèrent les paroles prononcées par le Khakan heureux. L'émir scheik Nour eddin était présent à cette entrevue. Mirza-Khalil-sultan, tout fier des témoignages de bienveillance qu'il avait reçus, et accordant une pleine confiance aux paroles du monarque, se mit en route pour la cour auguste, et, dans le lieu nommé Aroun-âta, il eut l'honneur de baiser la main de son maître. L'empereur le combla de marques d'honneur, le serra dans ses bras, et rassembla autour de lui tous les genres de divertissements et déplaisirs. Ainsi toutes les idées de division et d'hostilité venaient de cesser et se confondirent dans un sentiment unanime de soumission à l'empire victorieux du monarque. Le cortège auguste reprit alors la route de Hérat, capitale du royaume. Les nouvelles de ces succès furent portées, à la fois, dans toutes les provinces et les contrées du monde. L'empereur donna à son noble fils, Mirza-Olug-beig-Kourkan, le gouvernement du Ma-wara-annahar et du Turkestan. Quoique ce prince éclairé n'eût aucun besoin d'être stimulé à suivre, dans son administration, les lois de la justice et les règles d'une sage administration, toutefois, l'empereur, par un sentiment d'affection paternelle, lui parla en ces termes : « Le Dieu très haut a bien voulu nous gratifier d'un don éclatant, d'une faveur admirable; et, malgré notre faiblesse, nous distinguant par sa protection spéciale, il a soumis à notre autorité les diverses contrées du globe. Appréciant le haut rang de la dignité royale, vous devez témoigner votre reconnaissance pour les bienfaits divins et déployer une justice impartiale envers tous ceux qui auront recours à vous. Jetez un regard de considération sur les savants, qui sont les héritiers des prophètes; montrez-leur une bienveillance généreuse, et, dans toutes les affaires qui ont rapport à la religion, ne vous écartez point de leurs décisions. Comblez d'honneurs et de distinctions la noble famille du Scheik-alislam, Borhan-almillah-ou-eddin-Abd-eldjelil-Merghinâni, qui est célèbre comme auteur du Hedaïah. Donnez à ses enfants, qui, de père en fils, occupent le rang de Scheik-alislam, une préférence marquée sur les autres hommes; et, en toute circonstance, montrez-leur les égards qui sont dus à leur rang et à leur mérite. Secondez les kadis dans l'administration de la justice. Protégez contre toute vexation et toute injustice les laboureurs, attendu qu'on leur doit la fertilité de la terre et le bien-être de tous les hommes; que les soldats, qui sont les appuis du trône, les gardiens de l'empire, soient accueillis par vous avec un visage riant, avec des paroles bienveillantes. Payez-leur, aux époques convenues, les gages et les gratifications qui leur sont assignés. Ceux qui vous auront donné des preuves de dévouement doivent obtenir de vous un surcroît de générosité ; et vous punirez avec une juste rigueur les hommes qui auraient donné l'exemple de la trahison. Enfin, dans toute circonstance, suivez la route la meilleure, et appliquez-vous à éviter, à la fois, l'excès et la négligence. Ayez soin de placer sur les frontières des hommes pleins d'expérience, qui, dans le cours de leur vie, auront éprouvé la bonne et la mauvaise fortune) et veillez avec le plus grand soin à bien entretenir les forteresses de ce pays. Le Khakan heureux disposa ainsi tout ce qui pouvait affermir le gouvernement de son auguste fils; il nomma, pour l'accompagner, des émirs d'une bravoure reconnue, des vizirs distingués par leur prudence et leur capacité. Il confia les rênes de l'autorité et l'administration entière et absolue de cette contrée aux lumières, à la sagesse du grand émir, du Noïan juste et généreux, l'émir Gaïath-eddin-Schah-mulk, s'en rapportant, sur tous les points, à sa haute intelligence, à sa science profonde, et l'autorisant à ne consulter que son extrême prudence pour la conduite des affaires du royaume. Lorsque le monarque, après avoir ainsi réglé l'administration du Ma-wara-annahar et du Turkestan, fut revenu dans la province du Khorasan, il confia le gouvernement de Hisar-schaduman à Mirza-Mohammed-Djihanghir, fils de Mirza-Sultan-Mohammed, et abandonna aux délégués de ce prince les revenus de ce canton. Donnant un libre cours à ses conseils paternels, il recommanda au jeune prince de suivre, en toute circonstance, les règles de la vertu, de se souvenir que Dieu récompense infailliblement celui qui fait une bonne action, de témoigner aux créatures de Dieu une affection sincère, de prescrire à ses agents de montrer, à l'égard des sujets, une impartialité entière, et de ne jamais opprimer les faibles dans la vue de plaire aux puissants. Il le pressa de ne point souffrir que ces officiers s'écartassent des maximes reçues, des lois en vigueur, pour adopter des règles de conduite nouvelles. Il l'engagea à mettre en œuvre toutes les ressources de sa prudence, et d'une juste sévérité, pour précipiter dans l'abîme du malheur tout homme qui s'élèverait trop haut. Il le pressa d'écouter avec docilité ces conseils, qu'il devait regarder comme le meilleur des présents, et d'en faire, en toute circonstance, la règle de sa conduite. Après quoi il congédia le prince, qui partit pour Hisar-schaduman. Lorsque le cortège auguste eut traversé le Djeïhoun, le monarque concéda à son fils, Mirza-Kaïdou-Behadur, le gouvernement de Kandahar, Kaboul, Ghiznin, et l'Afghanistan, jusqu'au bord du fleuve Send. Ces provinces, sous le règne de l'empereur Timour, avaient été confiées aux soins de Mirza-Pir-Mohammed, fils de Mirza-Djihanghir. Le Khakan heureux recommanda au prince de s'attacher, en pratiquant la justice et la bienfaisance, à faire fleurir cette contrée, à lui donner un nouveau lustre ; de ne jamais donner entrée dans son esprit à aucune de ces idées de tyrannie, d'injustice, d'oppression, qui amènent toujours avec elles des résultats funestes, des malheurs terribles ; de remettre les rênes de sa conduite, de toute sa vie, aux mains de la sagesse et de la prudence; et de ne jamais regarder comme un appendice méprisable de sa grandeur une bonne renommée, qui ravive la gloire d'un empire, des souhaits de bonheur, qui affermissent les fondements d'un règne.

L'empereur résolut ensuite de confier à son auguste fils, Abou'lfatah Mirza-Ibrahim Sultan, le gouvernement des provinces de Balkh et de Tokharestan, jusqu'aux frontières de Kaboul et de Badakhschan, et de remettre à son équité, à sa prudence consommée, l'administration et la surveillance de cette contrée. En conséquence, une lettre du monarque invita le prince, qui résidait à Hérat, comme représentant de son père, à se rendre immédiatement à la cour. Il obéit, partit de Hérat, et, le 16e jour du mois de redjeb, dans la station d'Andekhoud, il eut l'honneur d'être admis auprès du monarque. Ce prince connaissait parfaitement le me rite éminent de son fils, et lisait sur son front auguste tous les caractères de l'inspiration divine; cependant, par suite de cette affection dont le cœur d'un père est animé pour son fils, il ne manqua pas d'inculquer au nouveau gouverneur des conseils pleins de sagesse, qui devaient le guider dans toute sa carrière. Il lui recommanda de prendre pour règle de sa conduite la piété et la modération, qui forment le meilleur viatique que l'homme puisse apporter au jour de la résurrection, et qui lui assurent les récompenses de la vie future; de tenir, dans ses jugements, la balance égale entre l'homme faible et l'homme puissant; d'abattre et de cacher dans la poussière l'étendard de l'injustice, la bannière de la tyrannie; d'éviter avec soin les imprécations des opprimés ; de consolider la base des actions louables, l'édifice des vertus, et de s'attachera laisser après lui une bonne réputation, qui pût se transmettre jusqu'à la fin des temps. Lorsque les affaires de cette contrée eurent été terminées d'une manière satisfaisante, le cortège auguste se mit en marche sous les plus heureux auspices, se dirigea vers la ville de Hérat, et vint descendre, le 16e jour du mois de chaban, dans la capitale de l'empire.

Au moment où le Khakan heureux avait, pour la seconde fois, conduit son armée dans le Mazandéran, Pir-Padischah, ainsi que nous l'avons raconté, s'était réfugié dans la province de Rustemdar. Après le retour du cortège auguste, Sultan-Ali, fils de Pir-Padischah, guidé par une inspiration heureuse, se mit en marche pour aller baiser le tapis impérial. Il joignit la cour dans les environs de Mehneh-moubarak : l'empereur le combla de témoignages de faveur et de bonté. Il le mena avec lui dans son expédition du Séistan. Après la prise de la forteresse de Férah, tout à coup, sans aucun motif, cet homme prit la fuite et se rendit à Rustemdar, où son père venait de mourir. Il fut puissamment secondé par l'émir Kaïoumors-Rustemdari. D'un autre côté, les serviteurs de son père, et des habitants de tous les cantons se réunirent auprès de lui. Dès qu'il eut appris que les drapeaux victorieux de l'empereur avaient pris la route du Ma-wara-annahar, il résolut de s'emparer d'Esterabad. Mirza-Olug-beig-Kourkan ne tarda pas à rejoindre son père, après avoir laissé, pour commander dans Esterabad, un serviteur fidèle, nommé Abou'lleïth. Sultan-Ali, à l'instigation de quelques personnes, se dirigea vers Esterabad. Abou'lleïth, de son côté, prépara ses moyens de résistance. Les deux rivaux, ayant chacun sous ses ordres une armée nombreuse, se trouvèrent en présence et ne tardèrent pas à en venir aux mains. Sultan-Ali reçut une blessure grave, qui causa sa mort. L'armée impériale, après avoir recueilli un immense butin, envoya à Hérat la tête de Sultan-Ali.

L'empereur Timour, à son retour du pays de Roum et de Syrie, avait confié le gouvernement d'Amol, de Sari, et de leurs dépendances, à l'émir Seïd-Ali, fils de l'émir Seïd-Kémal-eddin, fils de l'émir Seïd-Kawam-eddin. Après la mort de ce monarque, Schah-rokh maintint le même émir dans le commandement de ces provinces. Tandis que sa majesté se trouvait dans le Ma-wara-annahar, l'émir Seïd Mourtaza, frère de l'émir Seïd-Ali, soutenu par les seïds de Hezar-djerib, dont il était le gendre, mit sur pied une armée, et marcha contre son frère; celui-ci alla chercher un asile à la cour auguste, qui est le refuge du monde. L'empereur l'accueillit avec les témoignages d'une faveur éclatante, et s'engagea à le rétablir dans son gouvernement. Le grand Sâheb, Kliodjah-Schems-eddin-Mouschrif-Semnâni reçut l'ordre de reconduire à Sari Ternir Seïd-Ali, et de dire à l'émir SeïdMourtaza : « L'empereur Timour a daigné accorder à l'émir Seïd-Ali le gouvernement de Sari et d'Amol; de notre côté, nous avons sanctionné cette concession. Aujourd'hui nous apprenons que Seïd-Mourtaza a dépossédé son frère et s'est installé à sa place. Cette nouvelle paraît peu en harmonie avec ce que l'on doit attendre du bon sens et de la prudence de l'émir. Car tous les habitants du monde savent fort bien que nous nous faisons un devoir de les protéger, de les favoriser et d'exaucer leurs demandes. Un homme sage n'ira donc pas, sans aucun motif, donner entrée dans son cœur à des sentiments hostiles contre un monarque par la bienveillance duquel il a vu réaliser ses espérances. Il convient donc que l'émir remplisse les devoirs d'un bon serviteur, et ne s'écarte nullement du chemin de la soumission. D'après ce que nous avons entendu dire de la profonde raison qui l'anime, nous sommes pleins de confiance qu'il recevra nos conseils avec une entière docilité, et que, s'il a dans le cœur quelques sentiments fâcheux, et dans le cerveau quelques fumées d'une vaine illusion, il se hâtera de les bannir. Aujourd'hui nous sommes établis dans le Khorasan, qui est la principale province de notre empire, à la tête de quatre vingt mille cavaliers parfaitement équipés ; nous sommes sans inquiétudes pour ce qui concerne les autres contrées; et, comme il est évident, le gouvernement de notre royaume n'exige nullement que nous nous déplacions ; car les armées qui campent dans ces différents cantons attendent nos ordres. Si l'émir Mourtaza refuse d'écouter nos injonctions et nos conseils, on lui portera de nos nouvelles. Khodjah-Schems-eddin Mohammed-Mouschrif et l'émir Seïd-Ali étant arrivés à Esterabad, Khodjah-Mohammed se transporta dans la ville de Sari, et adressa à l'émir Mourtaza des conseils sages, mais ne produisirent aucun effet; Khodjah-Mohammed revint sur ses pas. L'émir Ali, ayant réuni dans la ville d'Esterabad les serviteurs de l'émir Khizr-Khodjah et un nombre d'habitants de Sari, se mit en marche pour tenter un coup de main sur cette place; et, après en avoir chassé Seïd-Mourtaza, il reprit possession de son gouvernement.

A l'époque où les drapeaux augustes du monarque revinrent du Ma-wara-annahar, l'émir Niki-Schah-Badakhschâni, dont le frère avait été massacré par ordre de Schah-Beha-eddin, ayant pris la fuite, vint chercher un asile à la cour de l'empereur. Ce prince le combla de témoignages de bienveillance, et lui fit des promesses qui étaient de nature à relever ses espérances.

Sur ces entrefaites, il arriva de Khwarizm un ambassadeur envoyé par l'émir Aïkeh, pour offrir ses félicitations sur la conquête du Ma-wara-annahar. Le monarque, après avoir reçu cet homme de la manière la plus flatteuse, lui accorda son audience de congé. Des serviteurs attachés à Foulad-Khan, à l'émir Aïdekou-Behadur, et à l'émir Isi, souverains du Descht-Kaptchak et de la contrée des Uzbeks, arrivèrent à la cour, avec le titre d'ambassadeurs, apportant des présents d'une magnificence royale, ainsi qu'un schongar et d'autres oiseaux destinés pour la chasse. La lettre dont ils étaient chargés s'exprimait en ces termes : « La renommée des grandes qualités, des nobles sentiments de l'empereur, est répandue dans toutes les contrées, et, en particulier, dans le Descht-Kaptchak. Aujourd'hui que la ville célèbre de Samarkand, qui est la source de la puissance et le principe du bonheur, a reçu un nouveau lustre par l'arrivée auguste du monarque, et que la contrée dont elle est la capitale a été de nouveau soumise aux serviteurs de la chancellerie de ce prince, il nous a paru convenable de présenter, sur ces événements, nos félicitations sincères; et nous désirons qu'à l'avenir rien ne trouble l'union et la bonne harmonie qui doivent régner entre les deux partis. L'empereur accueillit les ambassadeurs avec une extrême bienveillance, et les gratifia d'un bonnet et d'une ceinture magnifiques. Il désigna, pour être remis à Foulad-Khan, l'émir Aïdekou et l'émir Isi, des présents dignes d'un souverain. L'émir Hasan-Kâ, qui se distinguait par une conduite irréprochable et la douceur de son langage, fut chargé de se rendre auprès de Foulad-Khan, et de demander en mariage, pour le Schahzadeh (prince) Mirza-Mohammed-Djouki, une princesse de sang royal, de la famille de Tchinghiz-Khan, et de désigner en particulier la fille de l'émir Aïdekou, qui appartenait à la nation de Mangout. L'émir se mit en route pour aller remplir sa mission. Sur ces entrefaites, des Turcomans, qui étaient établis à Akridjeh et dans le Dahestan, et qui, à l'époque des troubles suscités par Pir-Padischah, avaient pris la fuite, cédant aux conseils de leur chef Timour-salar, se réunirent en corps, regagnèrent leurs de meures primitives, et eurent l'honneur de baiser le tapis impérial. Le monarque leur pardonna leur faute, concéda à ces nomades un iourt (habitation) dans ce même lieu, et tous s'y établirent avec une entière tranquillité.

En rapportant les événements de l'année précédente, nous avons dit que le cortège auguste, après son retour de l'expédition du Séistan, s'était dirigé vers le Ma-wara-annahar. Lorsqu'il fut revenu de ce voyage, victorieux et triomphant, les princes du Séistan, cherchant à excuser leur conduite, firent dire à l'empereur que, s'il voulait leur envoyer le scheik Zeïn-eddin-Khawafi, et consentir à épargner le sang des peuples du Séistan, eux, de leur côté, n'éprouvant plus aucune inquiétude, se hâteraient de se rendre à la cour. Le monarque, accédant à leur demande, donna au scheik la permission de partir. Les principaux personnages du Séistan vinrent à la rencontre de cet illustre négociateur, et le comblèrent de témoignages de considération. Le scheik rassura les habitants de cette contrée en leur rapportant les promesses de clémence et de bienveillance qui étaient sorties de la bouche de l'empereur. Les hommes les plus marquants, tels que Schah-Massoud, frère de Schah-Kotb-eddin, le kadi Sabik-tcherb, et les autres chefs du Séistan, prenant avec eux le glaive et le linceul, se rendirent à la cour impériale. Le scheik déploya toute son éloquence pour intercéder en leur faveur. Il représenta au prince que ces hommes avaient, à la vérité, bronché un moment hors du chemin du devoir, mais qu'il convenait d'imiter Dieu, qui, avec toute sa puissance et toute sa grandeur, et quoique bien instruit des fautes et des crimes des hommes, ne les punit qu'avec répugnance, et ne manque pas, lorsqu'ils donnent des signes de repentir, d'accueillir favorablement ces actes de pénitence. Il est visible, ajouta-t-il, que les habitants du Séistan ont, à différentes époques, donné à votre auguste famille des témoignages de soumission et de dévouement. Aujourd'hui, s'ils ont fait quelques pas dans le sentier de l'ingratitude, et s'ils ont offensé le noble cœur du monarque, il n'ont pas tardé à sentir les maux qui les attendaient, ils ont goûté le poison du malheur, et se sont mordu les doigts en signe de repentir. Pleins d'espoir dans la clémence de l'empereur, ils n'hésitent pas à se présenter avec le glaive et le linceul. » Le prince, cédant sans peine aux sentiments de clémence et de bonté dont il était animé, accueillit favorablement les prières du scheik, accorda à ces suppliants le pardon de leurs fautes, et les combla de témoignages de sa bienveillance et de sa générosité. Il rendit la liberté à Schah-Nusret, fils de Schah-Mahmoud, qui était en prison dans la citadelle de Tous, et le renvoya à son père, en compagnie des principaux personnages du Séistan. Schah-Massoud demeura à la cour de l'empereur.

Le 15e jour du mois de zou'lkadah, le monarque, sous l'influence d'un astre heureux, d'une constellation favorable, se dirigea vers le territoire agréable de Badghis. Comme les soins que réclament l'architecture et la culture des terres sont des occupations bien dignes d'un souverain, il résolut de faire relever la ville de Merv, qui, par suite des révolutions du temps, était en ruines et déserte. Cette place, qui avait été une des plus célèbres du Khorasan, et la résidence de princes puissants, n'offrait plus que de tristes débris et des monceaux de décombres. Depuis l'année 510, où Touli-khan, fils de Tchinghiz-khan, avait ordonné la démolition de la ville, il s'était écoulé 194 ans. L'empereur décida que, dans toute la province du Khorasan, tous les Turcs, Tazik (Persans), habitants du voisinage ou de cantons éloignés, viendraient prendre part aux travaux. Avant tout, on s'occupa d'amener l'eau, qui est l'objet le plus essentiel pour la vie de l'homme. L'eau de la ville de Merv provient du fleuve Mourg-âb. La digue qui la retenait avait été emportée par le courant, et le lit avait été comblé. Suivant les ordres de l'empereur, on s'attacha à rétablir la digue et à recreuser le canal. Plusieurs grands émirs, tels que Alâ-eddaulah, l'émir Alika-Koukeltasch, l'émir Mousa, furent chargés de surveiller les travaux, et on leur adjoignit l'un des officiers du diwan, l'émir Ali-Schagâni. Une si vaste entreprise, qu'un roi, à la tête d'une armée nombreuse, n'aurait pu terminer dans l'espace d'une année, fut exécutée en peu de temps et avec une extrême facilité. Des terres qui étaient complètement en friche et abandonnées reprirent leur fertilité première. Des lieux qui servaient de retraite aux lièvres et aux renards se couvrirent d'arbres magnifiques, où les oiseaux faisaient entendre leurs ramages agréables. Dès la première année, cinq cents couples de travailleurs occupaient des soins de la culture des terres, et chacun s'empressait de venir habiter ce canton et d'y élever des habitations. Le canal, depuis la tête de la digue, jusqu'à la porte d'Alemdar, ou se trouvait un tombeau creusé pour les porte-drapeaux de l'apôtre de Dieu, présente une longueur de douze parasanges. Sa largeur, qui, à son origine, est de vingt ghez (coudées), se réduit ensuite à quinze. La profondeur n'est pas moindre de cinq ghez. On éleva dans l'intérieur de la ville des mosquées, des bazars, des bains, des khans (caravansérails), des monastères, des collèges et autres édifices utiles. Dès que l'eau eut recommencé à couler dans le canal de Merv, et que les constructions furent terminées, les émirs retournèrent à la cour. Le Khakan heureux, qui s'était avancé jusqu'aux bords du fleuve Mour-gâb, fut forcé par la chaleur de se retirer dans le iilak (campement d'été) de Kaïtou, où il célébra la fête des victimes ; après quoi il reprit le chemin de Hérat.

Suivant les détails qui étaient précédemment parvenus à la cour, Mirza-Iskender, étant arrivé à Chiraz, avait été reçu par Mirza-Pir-Mohammed avec des témoignages d'affection ; ce dernier avait formé le projet de conquérir la province de Kerman, et, après plusieurs journées de marche, il était arrivé dans le lieu nommé Doudjaheh. Khodjah-Hosaïn, le scherbetdar (échanson), simple fils d'un médecin, avait été élevé, par Mirza-Pir-Mohammed, au rang d'émir, et exerçait un pouvoir absolu sur tout ce qui concernait l'administration et les finances. Ce misérable, d'accord avec quelques hommes audacieux, trama la perfidie la plus noire contre son bienfaiteur. Au milieu de la nuit, ayant pénétré dans la tente de cet excellent prince, ils lui donnèrent la couronne du martyre. A cette nouvelle, Mirza-Iskender, escorté de deux compagnons de voyage, prit la route de Chiraz, et, après deux jours et deux nuits de marche, il entra heureusement par la porte appelée Derwazeh-devlet (la porte du bonheur), vint descendre dans la maison de l'émir Timour-Khodjah, qui était le représentant de Mirza-Pir-Mohammed, et lui apprit l'événement funeste qui venait de se passer. Les émirs qui se trouvaient dans la ville supposaient que le crime avait été commis par Mirza-Iskender. Lorsque les troupes, à leur arrivée, eurent raconté le fait dans tous ses détails, les principaux personnages, et les Koulouis[20] de la province de Fars, prêtèrent serment de fidélité à Mirza-Iskender, et l'élevèrent au rang de souverain. Khodjah-Ala-eddin-Mohammed, qui était le chef des Koulouis, s'occupa activement de maintenir l'ordre dans la ville et le bazar. Khodjah-Hosaïn, après le meurtre de son maître, avait recommandé à son frère, Khodjah-Ali, de se rendre à la maison de Mirza-Iskender, pour faire goûter à ce prince le breuvage du martyre. Khodjah-Ali, avec la rapidité du vent, arriva à Chiraz. Au même moment, l'émir Abd-alsamad prit la route de Yezd. Les autres émirs se soumirent sans résistance à Hosaïn. Ce scélérat, environné de la pompe la plus imposante, arriva sous les murs de Chiraz; et, faisant porter le parasol au-dessus de sa tête, il attaqua la ville des quatre côtés à la fois. Ayant pénétré jusqu'à la porte de Mourdestan, il s'aboucha avec le Koulou Ala-eddin-Mohammed, qui lui répondit de la manière la plus énergique. Mirza-Iskender, placé en dedans de la porte, entendait cette conversation. Tout le long du jour, et jusqu'à la nuit, les deux partis firent pleuvoir l'un sur l'autre une grêle de flèches, et combattirent avec un courage intrépide. Au déclin du jour, un des émirs s'introduisit dans la ville par la porte de Mourdestan. Khodjah-Hosaïn, en apprenant ce fait, en fut consterné, et prit en hâte la route de Djafar-abad, pour retourner à son habitation. Les émirs et les troupes se déclarèrent alors pour Mirza-Iskender. Ce prince, tirant son épée, ordonna d'ouvrir la porte de Mourdestan, afin de laisser entrer les émirs et les soldats. Leur arrivée, au milieu d'une nuit sombre, représentait le passage des âmes sur la voie étroite, au jour de la résurrection. Le lendemain, au point du jour, le misérable Hosaïn, ce monstre d'ingratitude, le meurtrier de son maître, prit en fugitif la route de Kerman. Mirza-Iskender, après avoir fait punir de mort quelques hommes qui s'étaient signalés par des actes de scélératesse, se trouva, sans opposition, et en vertu de ses droits naturels et de ceux de la conquête, paisible possesseur de la province de Fars.

Les émirs que Mirza-Pir-Mohammed avait envoyés, à la tête d'un corps avancé, vers la province de Kerman, dès qu'ils eurent appris le meurtre de ce prince, se débandèrent et reprirent le chemin de Chiraz. Sur la route, l'émir Sadik arrêta Hosaïn, et lui fit couper une oreille, qu'il fit porter comme renseignement, avec un poignard, à l'émir Iskender. Ayant amené ce scélérat près du mausolée de scheik Sadi, on lui rasa une partie de la moustache et de la barbe, on le revêtit d'une parure de femme, on le fit asseoir sur un bœuf; et, après lui avoir mis sur la tête le bonnet royal, on le conduisit en présence de Mirza-Iskender. Ce prince, adressant la parole à ce monstre, lui demanda : « Quel motif t'a porté à égorger mon frère ? » Hosaïn lui répondit : « Si je l'ai tué, cette action ne t'a pas été nuisible. » Mirza-Iskender, tirant un couteau, arracha de sa main l'œil de ce scélérat; puis il donna ordre qu'on l'assommât à coups de massue. La tête fut envoyée à Ispahan ; le corps, qui, au bout de trois jours, avait été pendu à un gibet, fut ensuite livré aux flammes. Tous les émirs se réunirent auprès de Mirza-Iskender. Le Darogah de Yezd, quoiqu'il fût un des anciens serviteurs de la famille d'Omar-Scheik, leva l'étendard de la révolte. Il fit arrêter l'émir Abd-alsamad et Tâher. Puis, ayant livré au pillage les biens appartenant à Beig-Melik Aga, épouse de son maître, il chassa cette princesse de la ville. A cette nouvelle, Mirza-Iskender envoya l'émir Abdallah, l'émir Abd-elkerim et Khodjah-Mahmoud-Khawarizmi, pour aller mettre le siège devant Yezd. Pour lui, il se dirigea vers Ispahan, et tint une kouriltaï (assemblée générale) dans la plaine de Koschek-zer.

Précédemment, Sultan-Motasem, fils de Sultan-Zeïn-elab-eddin, fils de Schab-Schoudja, qui était l'espoir de la famille d'Awis, l'appui de la race de Mozaffer, voyant que son père avait été conduit à Samarkand, s'était réfugié en Syrie. Après la mort de l'empereur Timour, il se dirigea vers l'Irak et l'Azerbaïdjan. Accueilli avec bienveillance par l'émir Kara-Iousouf, il passa quelques jours à Tabriz au milieu des plaisirs. Puis, d'après les conseils de l'émir Bestam-djaghir, et à l'instigation du kadi Ahmed-Sâedi, il prit le chemin d'Ispahan. Mirza-Omar-Scheik, fils de Mirza-Pir-Mohammed, l'émir Saïd-Berlas, et l'émir Halban-schah, qui se trouvaient à Ispahan, sortirent à sa rencontre, et, sans lui livrer bataille, se dirigèrent vers Yezd. L'émir Schah, serviteur de l'émir Halbanschah, qui était alors dans la ville de Kâschan, d'accord avec le sâheb (vizir) suprême Khodjah-Gaïath-eddin-Seïdi-Ahmed, mit la place en état de défense, s'occupa tout à la fois, et avec une extrême vigilance, à se garantir lui-même contre les attaques des habitants, et à protéger ceux-ci contre les agressions de l'armée de Sultan-Motasem. L’émir Fâzel, s'étant séparé de Mirza-Omar-Scheikh, qui marchait vers Yezd, se rendit à Koschek-zer, auprès de Mirza-Iskender, auquel il rendit compte de ce qui se passait. Mirza-Iskender fit partir aussitôt l'émir Sadik, l'émir Kaïoumors et Beïan sur les pas des émirs, qui, sans livrer de combat, avaient pris la route de Yezd. Quant à lui, il s'avança vers Sultan-Motasem. Les deux armées se rencontrèrent dans les environs de l'Atesch-gah (le Pyrée), et en vinrent aussitôt aux mains. Les principaux personnages de la province de Fars ayant passé dans les rangs de Sultan-Motasem, l'ennemi, encouragé par cette défection, s'approcha du centre de Mirza-Iskender. Mais l'armée de ce prince combattit avec un courage intrépide, et déjoua les projets de la famille de Mozaffer. Les troupes de Sultan-Motasem tournèrent le dos et cherchèrent leur salut dans la fuite. Les généraux de l'Irak et de l'Azerbaïdjan furent, pour la plupart, faits prisonniers. Sultan-Motasem, étant arrivé à la porte d'Ispahan, voulut faire franchir la rivière à son cheval; mais, comme c'était un homme lourd et pesant, il ne sut pas se tenir bien en selle, et tomba étendu sur le dos. Un brave soldat, qui s'était attaché à sa poursuite, lui sépara la tête du corps; et la guerre se trouva ainsi complètement étouffée. Melik-Fakreddin-Mozafferi fut également tué dans l'action. L'émir Bestam-Djaghir avait pris le chemin de Yezd. Le kadi Nizam-eddin-Sâedi, guidé par une prévention aveugle, et de concert avec la plus pauvre populace, se livra, par imprévoyance, aux rêves d'une longue espérance. Un négociateur, envoyé par Mirza-Iskender, ne put rien gagner et ne fut nullement écouté. Ainsi donc, durant le printemps, l'été, et jusqu'au milieu de l'automne, les environs d'Ispahan furent le-théâtre des plus affreux ravages. Sur ces entrefaites, Mirza-Rustem, après avoir reçu du Khakan heureux la permission de partir, arriva dans le voisinage d'Ispahan. Le kadi Ahmed-Sâedi, qui s'était placé au premier rang des hommes audacieux, sortit à la rencontre du prince, accompagné des autres généraux. A cette nouvelle, Mirza-Iskender détacha l'émir Abd-alsamad, qui, après s'être échappé de la prison de Yezd, s'était dirigé du côté de Werzeneh, et le chargea, conjointement avec Khan-Saïd-Berlas, de tenter un coup de main sur Djerbadekan. Le cortège du prince reprit la route de Chiraz, sa capitale. Quelques-uns des émirs de Mirza-Pir-Mohammed, qui d'Ispahan s'étaient rendus à Yezd, et les émirs de Mirza-Iskender, savoir, Sadik, Kaïoumors et Beïan, se mirent à la poursuite de cette armée. Les deux corps se trouvèrent en présence, et la bataille s'engagea. Les troupes de Mirza-Iskender remportèrent la victoire. L'émir Halban-schah-Berlas rejoignit Sadik et Kaïoumors. L'émir scheik-Mohammed Djuvan, et l'émir Khan-Saïd-Berlas, s'étant dirigés vers le Khorasan, par la route du Kerman, s'abouchèrent avec Mirza-Rustem, et ce fut par suite de leurs conseils que le prince, après en avoir obtenu l'autorisation, entreprit le voyage de l'Irak, ainsi qu'il a été rapporté plus haut. Les émirs de Mirza-Iskender étaient allés mettre le siège devant Yezd. Les habitants, réduits à l'extrémité, firent sortir de prison l'émir Abd-alsamad, et l'envoyèrent auprès de Mirza-Iskender pour négocier la paix. Ils relâchèrent également Tâher. Abou-Bekr, qui était le général des habitants de Yezd, ayant choisi Tâher pour commander à sa place, sortit de la citadelle vers l'heure de midi. Tâher, résolu de mettre l'occasion à profit, fit fermer la porte de la forteresse placée à l'extrémité de la ville, et, ouvrant la porte extérieure, il envoya un courrier vers les émirs : ceux-ci, accourant à bride abattue, pénétrèrent dans la citadelle, y établirent une extrême surveillance, et firent mourir quantité d'hommes turbulents et pervers. Mirza-Iskender nomma au gouvernement de Yezd l'émir Iousouf-Khalil. Ce prince, après avoir ainsi achevé la conquête de la province de Fars et d'une partie de l'Irak-Adjem, en instruisit l'empereur par une dépêche. Il lui annonça que, depuis la mort déplorable de son illustre frère, les affaires, grâce à l'heureuse influence de la fortune victorieuse de Sa Majesté, étaient dans une position satisfaisante, et que ces contrées se trouvaient à l'abri des hostilités des partis rivaux : « Veuillez, lui disait-il, envoyer dans l'Irak celui de mes frères que vous jugerez à propos, afin que nous puissions nous aider et nous seconder mutuellement. Le monarque, ayant désigné Mirza-Baïkara, le fit partir, après lui avoir remis le tambour, l'étendard, des esclaves, des servi leurs, et tous les insignes de la souveraineté. Il écrivit à Mirza-Iskender une lettre conçue en ces termes : « La bonté divine, la clémence du souverain maître, ayant daigné, par une faveur spéciale, gratifier nos ancêtres d'une autorité, d'une puissance absolue, ces avantages ont passé à leurs descendants. Dieu a confié à notre fils les clefs du pouvoir et le gouvernement d'une province qui est célèbre comme ayant été le siège de l'autorité de Salomon. Nous devons témoigner notre reconnaissance de ce bienfait, afin d'amener ainsi pour nous une prolongation indéfinie de bonheur. Nous avons fait partir, pour cette province, Mirza-Baïkara, afin que, suivant la route de la clémence, il s'attache à maintenir partout la paix et la concorde. Quoique, grâce à Dieu, notre fils n'ait nul besoin de nos conseils, nous nous plaisons à les lui répéter par manière d'avis. Nous espérons des nobles qualités, des sentiments distingués de notre fils, qu'il placera sous l'ombre de son affection ses frères et ses parents; car la bienveillance à l'égard des proches est un-dés traits qui assurent le plus efficacement la durée d'un règne. Qu'il compte entièrement sur mon sincère attachement. » Mirza-Khalil-sultan était revenu du Ma-wara-annahar à Hérat avec l'empereur. Ce prince, le traitant avec une bienveillance particulière, lui assigna des gratifications dignes de son mérite, et combla de marques de faveur les personnes attachées à son service. Mirza-Khalil-sultan, après avoir donné quelques jours aux plaisirs, s'attacha à faire sa cour au monarque; et, le jour comme la nuit, il se faisait un devoir de rester constamment au pied du trône. Cette conduite augmenta l'affection et l'attachement de l'empereur, qui disposa tout ce qui pouvait assurer la souveraineté du jeune prince. Plusieurs émirs d'un rang distingué, tels que l'émir Hamzah-Kaboukou, Beïg-Poulad, Khirz-Sipâhi, Sadr-Hasan et Khodjaghi, reçurent ordre de se diriger vers l'Irak-Adjem et l'Azerbaïdjan, à la tête de dix mille cavaliers. Attendu que ces provinces avaient formé l'apanage de feu Mirza-Miran-schah, père de Mirza-Khalil-sultan, il leur fut enjoint de reprendre tout le pays qu'ils pourraient conquérir, et de séjourner partout où ils croiraient utile de le faire. L'empereur annonça que ses drapeaux augustes allaient prendre la même route. Mirza-Khalil-sultan partit pour l'Irak le septième jour du mois de zou'lkadah. Sur ces entrefaites, un des serviteurs de Mirza-Iskender, nommé Koudjan-Koudjin, étant arrivé de la province de Fars, offrit à l'empereur des présents dignes d'un souverain. Le monarque le combla de témoignages de faveur et de bienveillance. L'envoyé partit entièrement satisfait, et porteur de bonnes paroles.

L'année précédente, Sultan-Ahmed, après avoir achevé la conquête du Khouzistan, avait laissé, pour commander dans cette province, Maksoud-Nizehdar ; puis il avait repris le chemin de Bagdad. A la fin de l'hiver, ce prince, étant tombé malade dans cette ville, résolut, d'après le conseil des médecins, d'aller respirer l'air de son iilak (campement d'été). Il se rendit en pèlerinage auprès du tombeau du scheik des scheiks Awis Karni. Sa santé s'étant complètement améliorée, les émirs le pressèrent de se diriger vers Sultaniah. Ils lui représentèrent que Bestam-Djaghir s'était fendu à Ispahan, laissant dans la place son fils Baïzid, qui était en bas âge, et qui ne manquerait pas, dès qu'il apprendrait l'arrivée du prince, d'évacuer la forteresse. Khorrem-schah-Derguzini appuya vivement cette proposition. Le sultan, étant arrivé à Hamadan, reçut la nouvelle que Bestam était revenu d'Ispahan dans le plus grand désordre, et que, ayant appris les projets du sultan, il avait laissé dans Sultaniah son frère Masoum, et s'était dirigé vers Ardebil. Le sultan vint habiter le kourouk de Sultaniah. Les commandants des provinces voisines, et en particulier Abd-errazzak, qui s'était emparé à main armée du gouvernement de Kazwin, se rendirent auprès du prince, qui leur conféra des distinctions dignes d'un souverain; ensuite il dépêcha vers Masoum un envoyé chargé des promesses les plus séduisantes. Mais cette négociation n'obtint aucun succès. Le sultan dit alors : « Attendons patiemment jusqu'à ce que le gouverneur vienne de lui-même se présenter devant nous. Sur ces entrefaites, des nouvelles arrivées de Bagdad lui apprirent qu'un individu, nommé Awis, avait pris le titre de fils du sultan, et que des factieux, dont il était environné, lui avaient inspiré l'ambition de s'élever au trône. Le sultan, convaincu qu'il ne fallait pas différer un instant, se rendit en hâte dans les environs de Bagdad. A son approche, le complot avorta, et tous les conjurés s'enfuirent chacun de son côté. Mâni-ben-Schoaïb, qui avait été le principal auteur du désordre, et Awis, restèrent prisonniers. L'émir Kara-Iousouf, à l'époque du printemps, partit accompagné de l'émir Schems-eddin-Mahmoud-Dawâti, de l'émir Seïdi-Ahmed, et d'Ouzoun-Schems-eddin, se dirigeant vers le désert de Mousch. Melik-Sâleh, gouverneur de Mâredin, lui manda que l'émir Kara-Osman avait dessein d'attaquer cette place. Il ajoutait: Si je ne reçois pas de secours, je serai forcé de céder à l'ennemi. Kara-Iousouf, traversant un désert impraticable, arriva dans les environs d'Amid. Kara-Osman, de son côté, se dirigea vers la plaine de Mousch : les deux armées se trouvèrent bientôt en présence, et se livrèrent un combat terrible. Enfin, la victoire se déclara pour l'émir Kara-Iousouf, qui resta maître de la forteresse de Mâredin, où il plaça un darogah (gouverneur) ; après quoi il congédia ses troupes, et passa l'été dans le iilak d'Aladak. Au commencement de l'automne, il revint à Tabriz, sa capitale. De là il dirigea des troupes vers Scheki. L'émir Seïdi-Ahmed, gouverneur de cette place, s'avança à la tête d'un corps d'armée. Les soldats de l'émir Iousouf, sans avoir combattu, livrèrent au pillage quelques lieux de la province de Schirwan, et reprirent la route de Tabriz. Le dixième jour du mois de chaban, un ambassadeur, envoyé par le sultan, demanda pour ce prince l'autorisation de choisir pour son iilak (campement d'été) le territoire de Hamadan. L'émir Kara-Iousouf refusa d'acquiescer à cette proposition, et congédia le négociateur.

Le vingt-septième jour de chaban, le roi Izz-eddin-Schir, étant arrivé avec des présents magnifiques, dissuada l'émir Kara-Iousouf de faire marcher des troupes vers la province de Schirwan. Puis, envoyant des émissaires dans cette contrée, il fit faire des propositions de paix à l'émir scheik Ibrahim, qui, prenant en considération l'intérêt des musulmans et leur malheureux état, consentit à conclure un traité. L'émir Kara-Iousouf séjourna l'hiver dans la ville de Tabriz. Il régnait, cette année-là, une sécheresse extraordinaire. Au commencement du printemps, le dixième jour du mois de zou'lkadah, on reçut la nouvelle que Keïa-Mourad-Tâlikâni et Mouzid-Bekneh avaient livré au pillage le territoire de Kazwin. L'émir Bestam, qui se trouvait dans les environs de cette ville, marcha vers ces deux généraux, leur livra bataille, et demeura vainqueur. L'émir Kara-Iousouf partit d'Aladak, et se rendit à Avnik. Là, ayant reçu des plaintes nombreuses contre scheik-Hasan, gouverneur d'Arzendjan, il mit le siège devant cette ville, et la tint bloquée l'espace de quarante-cinq jours. Les habitants, réduits à la plus grande détresse, eurent recours aux supplications et aux larmes. Kara-Iousouf se laissa fléchir par leurs prières. scheik-Hasan, après avoir envoyé des présents d'une magnificence convenable, se rendit en personne auprès de l'émir, qui le combla de marques de faveur et de bienveillance. Kara-Iousouf confia ensuite à Nâser-eddin-Pir-Omar, qui avait été son vizir, le gouvernement des forteresses de Nikdad et Arzendjan, comprises dans la province d'Arz-beig. Tous ces événements se passèrent dans l'année 813. Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle que Sultan-Ahmed marchait vers la ville de Tabriz.

Cependant le Khakan heureux avait formé le projet de faire un nouveau voyage dans le Ma-wara-annahar. Voici les motifs qui l'y déterminaient. Vers la fin du mois de zou'lhidjah, on apprit que l'émir Scheik-Nour-eddin, suscitant de nouveaux troubles, était venu, à la tête d'un corps d'hommes audacieux, camper dans les environs de Samarkand. L'émir Schah-mulk sortit de cette ville, et rencontra des séditieux près de Kizil-ribat. Les deux partis, après avoir passé une nuit sur la défensive, se rangèrent, au point du jour, en ordre de bataille. Du côté qu'occupait l'émir scheik Nour-eddin se trouvaient plusieurs collines qui ne laissaient pas voir la totalité de ses troupes. Son aile gauche et son aile droite fondirent à la fois sur le centre de l'émir Schah-mulk, et le forcèrent de reculer. L'émir Wefadar demeura prisonnier. L'armée de l'émir Schah-mulk fut mise dans une déroute complète. Ce général, contraint de fuir, se retira du côté de Karatepeh, et alla chercher un asile sur la montagne d'Alakrak, située entre Samarkand et Kesch. Cette nouvelle étant parvenue aux oreilles de l'empereur, il donna ordre que les émirs les plus distingués, savoir : l'émir Midrab-Behadur, Tavakkul-Berlas, Iadkar-Schah-Arlat, Nouschirvan-Berlas, Mohammed-Soufi-Tarkhan, Iousouf-Khodjah et Adjebschir, se dirigeassent vers le Ma-wara-annahar. D'autres émirs, savoir : Hasan-Soufi-Tarkhan, Mohammed Beig et Mohammed-Khodjah, reçurent la mission de se rendre dans les provinces de Koumis et de Mazandéran, afin d'être exactement informés de tout ce qui s'y passerait. Le Schahzadeh (prince) Mirza-Moëzz-eddin-Baïsengar fut choisi pour résider, en qualité de représentant de l'empereur, dans Hérat, capitale du royaume. Le cortège auguste se mit en marche, sous les plus heureux auspices, le quatrième jour de moharram, et prit la route du Ma-wara-annahar. Lorsque l'on fut arrivé à Merv, on reçut une dépêche expédiée par les principaux habitants de Samarkand, qui avaient à leur tête Khodjah-Abd-elavvel, Khodjah-Isam-eddin, le kadi Salâh-eddin, Mavlana-Kotb-eddin, Emirek-Danischmend, Khodjah-Fazl-allah-Abou'lleïsi. Elle annonçait que le lundi, quinzième jour de zou'lhidjah, on avait reçu dans cette ville la nouvelle du combat livré entre l'émir scheik-Nour-eddin et l'émir Schah-mulk; que, ce même jour, Mohammed-Albakara, s'étant présenté devant la porte de Samarkand, avait exposé les propositions de scheik-Nour-eddin : mais que les habitants, ayant fait pleuvoir sur lui une grêle de flèches, l'avaient criblé de coups; en sorte qu'on l'avait emporté, après l'avoir placé sur une pièce de toile : que le vendredi, l'émir scheik-Nour-eddin, en personne, s'étant montré devant la porte du scheik-zâdeh, dont la garde était confiée à Khodjah-Isam-eddin et aux fils du scheik-zâdeh Sâghirtchi, avait voulu haranguer la population; que, ne recevant aucune réponse, il s'était rendu à la porte de fer, où se trouvaient Khodjah-Abd-elawel et le kadi Salâh-eddin, et qu'il avait recommencé à parler. Que le Khodjah-Abd-elawel lui avait répondu : « Nous sommes des êtres voués entièrement à l'étude des sciences, et qui n'avons aucune prétention au gouvernement. Nous avons pour souverain Mirza-Schah-rokh. Ce prince nous avait donné, pour nous gouverner, son propre fils, que vous avez contraint de prendre la fuite. Tant que nous n'aurons pas reçu l'autorisation de notre monarque, nous ne vous choisirons pas pour nous commander. » Les grands de l'empire, en apprenant ces nouvelles, demandèrent la permission d'aller en toute hâte arracher ces pauvres gens à la main de leurs oppresseurs. L'empereur fit partir aussitôt un courrier pour Samarkand, le chargeant d'annoncer la prochaine arrivée du prince. A la station de Djidektou, Paï-Bakhschi, serviteur de l'émir Schah-mulk apporta une dépêche qui assurait que Mirza-Olug-beig était campé sur les bords du fleuve, dans le lieu nommé Kalaf-iol Ce messager, accompagné de Nouschirvan, continua sa route vers Samarkand. Dans le lieu appelé Kalilah (ou Kalbalah), on reçut la nouvelle que l'émir Midrab avait joint l'émir scheik-Nour-eddin. Voici de quelle manière les choses s'étaient passées : scheik-Nour-eddin, après sa victoire, avait envoyé l'émir Taga-Bouka pour gouverner la ville de Boukhara. Il avait fait partir, pour la ville de Kesch, Tchenghiz-oglan, et lui, en personne, s'était dirigé vers Samarkand. Mais, ne trouvant là aucune chance d'obtenir une autorité indépendante, il enjoignit à son cousin, l'émir scheik-Hasan, de se rendre sur les bords du fleuve (le Djeïhoun), et de mettre le siège devant la forteresse de Kerkin. Sur ces entrefaites, le fils de l'émir Khodaïdad-Hosaïni, sans attendre la permission de l'émir scheik-Nour-eddin, retourna dans son gouvernement. Cette défection ayant extrêmement affaibli le parti de scheik-Nour-eddin, il fit mettre à mort Wefadar, qu'il retenait prisonnier, et se rendit à Termez. Il parvint, à force de ruses et d'intrigues, à attirer auprès de lui Mirza-Mohammed-Djihanghir, fils de Mirza-Pir-Mohammed-sultan, qui se trouvait dans le canton de Hisar. Cependant il apprit que l'émir Schah-mulk était arrivé à Samarkand, et que les étendards victorieux du monarque s'étaient rendus, de la province du Khorasan, sur les bords du fleuve Amouieh. L'émir scheik-Nour-eddin conduisit avec lui, vers Samarkand, Mirza-Mohammed-Djihanghir, dans l'espoir que peut-être les habitants de cette ville viendraient le recevoir. Il laissa dans Termez Tchenghizoglan, Abd-elkerim, et l'émir Seïf-eddin pour les opposer à l'émir Midrab. Il envoya à Kalaf, Sultan-Baïzid, afin de défendre cette place contre les attaques de Mirza-Olug-beig. Pour lui, il se rendit en personne à Samarkand ; mais, ne trouvant aucune chance de succès, il s'arrêta deux ou trois jours dans le jardin de Dilkuscha, et dans celui de Kânigul. Lorsque le Khakan heureux fut arrivé au campement de Kaoutou, un serviteur de l'émir Schah-mulk, ayant rejoint l’ordou auguste, y apporta la tête de Doultimour-Towadji. Le monarque, à la tête de ses invincibles armées, arriva sur le bord du Djeïhoun, devant Kalaf, où se trouvait déjà Mirza-Olug-beig. Sultan-Baïzid, qui, comme chef des rebelles, luttait opiniâtrement avec le prince, n'eut pas plus tôt appris la venue de l'empereur, qu'il s'enfuit précipitamment, après avoir renversé ses tentes. Tchenghiz-oglan et Abd-elkerim, étant instruits de la déroute de Sultan-Baïzid, prirent également le parti de la fuite. Par un ordre exprès de la Providence, les troupes invincibles du monarque traversèrent sans obstacle ce fleuve rapide, auprès duquel l'Euphrate et le Tigre ne paraissent que de petites rivières, le Kor et l'Aras, de simples sources, le Send et le Hirmendj de faibles ruisseaux. Le vendredi, dix-septième jour du mois de safer, le cortège victorieux franchit le fleuve. L'émir Midrab, de son côté, ayant passé au gué de Termez, joignit l’ordou auguste. L'empereur, après avoir envoyé, dans la direction de Kesch, Mirza-Olug-beig et l'émir Midrab, continua sa marche à petites journées. L'émir scheik-Nour-eddin, en apprenant le passage de l'armée invincible, montra un courage apparent, et, quittant les environs de Samarkand, s'avança vers les bords du fleuve (le Djeïhoun). L'émir Schah-mulk rassembla la cavalerie et l'infanterie qui se trouvaient dans Samarkand, sortit de la place, menant avec lui les principaux habitants et plusieurs éléphants, afin d'aller combattre l'émir scheik-Nour-eddin. Celui-ci, tournant bride, vint tomber à l'improviste sur les troupes de Samarkand, les mit en désordre, et s'empara des armes et des trésors des fuyards. Ce succès augmentant ses forces, il se livra aux rêves d'une vaine illusion, et forma le projet de tenir tête à l'empereur. Cependant les principaux habitants de Samarkand adressaient à l'émir Schah-mulk de vifs reproches sur le second échec qu'ils avaient éprouvé. L'émir, effrayé de leur mécontentement, les emmena avec lui hors de la ville. Mirza-Ahmed, à la tête de cinq cents cavaliers, étant arrivé de son gouvernement au secours de l'émir Schah-mulk, tous deux se mirent en marche, et se rendirent à l’ordou impérial. Tous les émirs et les soldats de Samarkand eurent l'honneur de baiser le tapis auguste. Mirza-Olug-beig, réunissant les Koudjin des environs de Kesch, alla joindre la cour du monarque, qui se vit entouré du cortège le plus nombreux et le plus imposant.

L'émir Scheik-Nour-eddin, ayant fait tous ses préparatifs de guerre, rangea ses troupes en bataille dans les environs de Kizil-ribat et de la rivière de Iam (ou Ioum), et se disposa au combat. L'armée impériale, de son côté, se rangea en ordre de bataille. Au moment où les deux partis étaient en présence, l'émir scheik-Nour-eddin, ayant conçu des soupçons contre l'émir Moubascher, le fit mettre à mort. Bientôt les deux troupes en vinrent aux mains. Du côté des rebelles, un fils de l'émir Khodaïdad se distinguait par un courage intrépide; Mirza-Ahmed-mirek, s'avançant contre lui, le força de prendre la fuite, et abattit Baïdou. Les Koudjin se signalèrent par de nombreux traits de bravoure. L'empereur voulut en personne prendre part au combat. Tous les braves qui composaient le centre de l'armée, se mettant à la fois en mouvement, fondirent sur l'ennemi. La victoire se déclara pour le Khakan heureux. Scheik Nour-eddin, trompé dans ses illusions, prit honteusement la fuite. En un instant, une armée si nombreuse et si redoutable fut complètement battue. Plusieurs de ceux qui la composaient, guidés par une inspiration heureuse, allèrent chercher un asile auprès de la cour auguste, et demander humblement pardon de leurs fautes. Plusieurs, qui auraient mérité un châtiment exemplaire, reçurent un accueil plein de bienveillance. Cet événement arriva le samedi, neuvième jour de rebi premier; et, le onzième jour du même mois, les étendards victorieux projetèrent leur ombre auguste sur la ville de Samarkand. Le monarque, après avoir visité le mausolée de son noble père, l'empereur Timour, et les autres tombeaux que renferme cette ville, alla chercher des instructions utiles auprès des personnages éminents qui faisaient l'honneur de cette place et de la contrée environnante. Les habitants de Samarkand, délivrés encore une fois de la guerre et de tous ses fléaux, adressèrent au monarque un concert de félicitations. Ce prince les admit tous en sa présence, chacun suivant le rang qu'il occupait. Il envoya, dans la direction d'Otrar, l'émir Schah-mulk à la tête d'un corps de troupes imposant.

Lorsque la ville de Hérat, capitale de l'empire, grâce au bonheur qu'elle avait de posséder dans ses murs le cortège auguste du monarque, eut repris son éclat et son lustre; lorsque ce prince eut répandu de tous côtés, et jusqu'aux lieux les plus lointains, les rayons de sa justice, les preuves de sa bonté et de sa bienveillance, tous les personnages éminents du monde, prenant cette noble cour pour le but de leurs espérances, s'humilièrent profondément devant la personne de Sa Majesté, et se hâtèrent d'envoyer vers ce palais, asile des rois, des ambassadeurs, des courriers, porteurs de lettres, de dépêches de tout genre. L'émir Aïdekou-Behadur en envoya du pays des Uzbeks et du Descht-Kaptchak; l'émir scheik-Ibrahim, de la province de Derbend et de Schirwanan; Seïd-Izz-eddin, de Hezar-djerib; le fils de l'émir Seïd-Alika, de la ville de Sari; l'émir Hasan-Kaïa, de la forteresse de Firouz-kouh; d'autres arrivèrent de la contrée de Ghermsir et de Kandahar. Ces députés se présentèrent successivement durant l'espace de plusieurs jours, offrirent des présents dignes de la grandeur du monarque, et, par l'entremise des émirs, firent parvenir jusqu'à ce prince les messages de leurs maîtres. L'empereur, après les avoir accueillis de la manière la plus honorable, les avoir comblés de témoignages de bienveillance, leur accorda la permission de partir.

Les émirs des provinces de Ghermsir et de Kandahar, en envoyant des députés à la cour, annonçaient dans leurs dépêches que Pir-Mohammed, fils de l'émir Kotlou, frère de l'émir Touman-Kandahari, et surnommé Perek, ayant pris les armes contre Maudoud, l'avait chassé de la contrée. Bientôt après, Maudoud et Perek arrivèrent successivement, se prosternèrent devant le trône auguste, qui était le point d'où ils attendaient la réalisation de leurs espérances ; et ces deux ennemis, qui paraissaient irréconciliables, se trouvaient ensemble réunis dans le même palais. Les principaux émirs, ayant, dans le divan de l'empereur, examiné avec le plus grand soin la conduite des deux rivaux, restèrent parfaitement convaincus que la naissance des troubles devait être attribuée à Maudoud. En conséquence, le monarque, après avoir jeté un voile sur le passé, conféra à Perek le gouvernement de la province, et décida que Maudoud resterait à la cour.

Cette même année, qui vit le retour du cortège auguste, Hérat, la capitale, se trouvait au plus haut point de splendeur, et de tous côtés s'élevaient de nombreux édifices. Un medreseh (collège) et un khanikah (monastère), dont l'empereur avait ordonné la construction, furent terminés à cette époque, et contribuèrent puissamment à l'embellissement de la ville; ils étaient situés à côté l'un de l'autre, au nord de la place, au pied de la citadelle, au midi du grand medreseh et du principal monastère. Au milieu de ce terrain régnait une vaste cour, une estrade et une arcade d'une grande hauteur. Des deux côtés se trouvaient deux minarets extrêmement élevés. Les murailles resplendissaient de l'éclat de l'or et de l'azur. Les architectes déployèrent, dans l'érection de ces deux bâtiments, une habileté incomparable, et y réunirent, au plus haut point, tout ce qui constitue la beauté et la solidité. La construction fut terminée dans l'espace de deux années ; et l'on peut dire avec une extrême vérité, que, sur toute la terre, depuis les frontières du pays de Roum jusqu'à l'extrémité de la Chine, aucun édifice consacré à l'étude et à l'administration de la justice ne présente, au même degré, les caractères de la grandeur et de la magnificence. Des livres précieux, qui avaient pour objet la religion, la philosophie et les sciences, furent réunis dans cette enceinte et renfermés dans des coffres. Des savants d'un grand mérite furent chargés des fonctions de professeurs ; des élèves studieux furent rassemblés avec soin ; et la munificence de l'empereur fournit tout ce qui était nécessaire pour leur subsistance, ainsi que pour le traitement des maîtres. Parmi ces derniers on distinguait quatre personnages d'un mérite éminent, qui pouvaient être regardés comme les colonnes de la religion du prophète, savoir : Maulana-Djelal-eddin-Iousouf-Oubehi, Maulana-Djélal-eddin-Iousouf-Halladj, Maulana-Nizam-eddin-Abd-errahim-Iar-Ahmed, et Maulana-Khodjah-Nasir-eddin-Lutf-allah. Le jour de l'installation, l'empereur honora les deux édifices de sa présence auguste. Les principaux personnages de l'État ne manquèrent pas de se trouver à la cérémonie. Les illustres professeurs s'appliquèrent à l'envi, et de la manière la plus brillante, à l'enseignement des sciences religieuses, telles que la jurisprudence et l'interprétation du livre sacré. La place de scheik (supérieur) du khanikah (monastère) fut confiée au grand scheik-alislam, Khodjah-Ala-eddin-Ali-Tcheschti. On désigna en même temps toutes les personnes attachées au khanikah, l'imam, le muezzin, le wâez (prédicateur), et tous les autres fonctionnaires. Des fondations territoriales d'un revenu considérable furent destinées à l'entretien commun des deux édifices. A l'époque où j'écris, c'est-à-dire en l'année 874, l'un et l'autre établissement se trouve dans la position la plus florissante, et les fonctions de scheik sont remplies par l'humble auteur de cet ouvrage, Abd-errazzak-ben-Ishak.[21]

L'empereur donna ordre d'élever un édifice magnifique sur un vaste terrain placé dans la partie est-nord de Hérat, et qui portait précédemment le nom de bâghi-sefid (le jardin blanc). Des architectes habiles commencèrent les travaux sous d'heureux auspices, dans l'heure la plus favorable, le vendredi, quatorzième jour du mois de zou'lkadah, et réalisèrent une entreprise dont rien n'égalait la magnificence : un jardin émaillé des fleurs les plus odoriférantes, et embelli par un kiosque qui semblait s'élever jusqu'au ciel; le revêtement des murailles était en pierres de yeschem (jade), sur lesquelles étaient représentées des figures de plantes. Toutes les chambres furent décorées de peintures exécutées par les maîtres les plus habiles. Ce travail, si vaste, si magnifique, fut terminé dans un espace de temps très peu considérable.

Dès le commencement du printemps, l'empereur éprouvait le désir de se transporter vers son iilak (campement d'été). Dans les derniers jours de zou'lkadah, il se dirigea vers Badghis, et, dans ce territoire agréable, les différents corps de troupes, accompagnés des chevaux et des tribus nomades, se trouvèrent réunis à l'ombre des étendards augustes. Aban-Touvadji, qui avait été envoyé comme ambassadeur vers l'émir Aïdekou, dans la contrée des Uzbeks, arriva à la cour, et annonça que l'émir l'avait accueilli avec les témoignages de la plus haute distinction, et s'était trouvé lier de recevoir la lettre du monarque. Toutes les paroles que rapportait l'émir Aban, les anecdotes qu'il racontait avec tant de grâce, annonçaient clairement que l'émir Aïdekou avait un désir sincère de maintenir la paix, la bonne intelligence. Cet émir avait dit, en parlant de lui-même : « Je suis le serviteur, l'esclave de l'empereur, et parfaitement disposé à exécuter, sur tous les points, les ordres qu'il voudra me donner.

Mirza-Iskender, après avoir complètement organisé la province de Fars, ayant formé le projet de conquérir la province de l'Irak-Adjem, envoya, dans la direction d'Ispahan, l'émir Abd-alsamad et l'émir Sadik. Ces deux officiers se rendirent à la ville de Warseneh, dont ils mirent la citadelle en état de défense. Mirza-Rustem, étant informé de ce fait, vint mettre le siège devant la place. A cette nouvelle, Mirza-Iskender dépêcha au secours de cette forteresse l'émir Toulek et l'émir Iousouf-Khalil, et se mit lui-même en marche.

Mirza-Rustem, dès qu'il eut appris que Toulek et Khalil approchaient, s'avança à leur rencontre. Comme ces deux généraux ne se trouvaient pas en état de lutter contre Mirza-Rustem se réfugièrent dans la forteresse de Destdjerd. Mirza-Rustem et Mirza-Baïkara, qui venaient d'arriver dans l'Irak, formèrent le projet d'aller faire le siège de la place. Tout à coup ils apprirent que Mirza-Iskender était à Kasr-zer. Mirza-Rustem se hâta de prendre la route d'Ispahan. Mirza-Iskender s'avança avec une telle rapidité, que ses troupes » surprirent plusieurs des partisans de Mirza-Rustem ; ils continuaient leur marche avec une égale vitesse. Mirza-Rustem marcha à leur rencontre, à la distance de deux parasanges; bientôt les deux armées se trouvèrent en présence, et s'attaquèrent avec une égale impétuosité. La victoire se déclara pour Mirza-Iskender, et Mirza-Rustem reprit la route d'Ispahan. Mirza-Iskender vint camper sur le terrain de l'ateschgâh (le pyrée). Avant cette époque, Mirza-Khalil-Sultan, conformément aux ordres de l'empereur, était parti du Khorasan, à la tête de 2.000 cavaliers, et s'était dirigé vers l'Irak et l'Azerbaïdjan. Il avait été autorisé à établir son habitation partout où il jugerait à propos. Il s'arrêta quelque temps dans le canton de Reï. Sur ces entrefaites, Mirza-Rustem lui dépêcha un courrier pour implorer son secours. Mirza-Khalil-Sultan se mit en marche, avec l'intention de rétablir la paix entre les deux frères. Mais ses négociations avec Mirza-Iskender échouèrent complètement. Mirza-Iskender était campé à une des extrémités de la ville d'Ispahan. Mirza-Khalil-Sultan pénétra, de l'autre côté, dans la place. Mirza-Iskender envoyait, chaque jour, un corps de troupes vers la porte de la ville, et les deux partis se livraient des Combats acharnés. Mais la population d'Ispahan, manquant de vivres, se trouvait réduite à une extrême détresse. Mirza-Rustem, contraint d'abandonner cette capitale, partit pour se rendre auprès de l'émir Kara-Iousouf. Un corps de troupes, envoyé à sa poursuite par Mirza-Iskender, s'avança jusqu'à Kom, sans pouvoir l'atteindre. Mirza-Khalil-Sultan était demeuré à Ispahan, et Mirza-Iskender persistait dans son attitude guerrière et hostile. Sur ces entrefaites, un corps composé de Schoul et de Kurdes s'étant retiré sans attendre l'autorisation de Mirza-Iskender, celui-ci se vit forcé de lever le siège, et de reprendre la route de Chiraz. Les habitants d'Ispahan étaient réduits à toutes les horreurs de la disette. Tous les animaux dont il est permis de manger étaient recherchés avidement; mais on ne pouvait se les procurer, à quelque prix que ce fût. On brûlait, en guise de bois, les poutres des maisons, les colonnes des portiques. Un jour, dit-on, Mirza-Khalil-Sultan passait près d'un jardin appartenant à. un derviche, et que celui-ci arrosait à l'aide de l'eau d'un puits. Cet homme se hâta d'apporter un melon, qu'il offrit à Mirza. Ce prince se trouva hors d'état de donner à ce derviche une marque de reconnaissance, et ne put que s'excuser auprès de lui. Bientôt, il quitta Ispahan, et se rendit à Reï, d'où il envoya à l'empereur une dépêche dans laquelle il annonçait que la disette l'avait forcé d'évacuer Ispahan et de regagner Reï, mais qu'il était prêt à prendre la direction que lui intimerait le monarque.

Le douzième jour du mois de moharram, Sultan-Ahmed partit de Bagdad et prit la route de l'Azerbaïdjan. Arrivé dans les environs de Ramadan, il soumit les Kurdes de ce canton. L'émir Schah-Mohammed, fils de l'émir Kara-Iousouf, après s'être arrêté dans le iilak (campement d'été) d'Aoudjan, se dirigea vers Khoï. Le 26e jour de rebi premier, le sultan arriva dans la ville de Tabriz. Des troupes, envoyées par lui à la poursuite de Schah-Mohammed, atteignirent ce prince près de Salmas, et le mirent en déroute. Cependant l'émir Kara-Iousouf se trouvait dans le gouvernement d'Arzendjan et s'occupait activement à organiser les affaires de cette province. Dès qu'il apprit ces nouvelles, il s'avança vers Tabriz. Le vendredi, 28e jour de rebi second, le sultan et Kara-Iousouf se trouvèrent en présence, près du bourg d'Asad, situé à deux parasanges de Tabriz. Les deux partis en vinrent aussitôt aux mains, et se livrèrent un combat acharné. Sultan-Ahmed se distingua personnellement par des traits d'une bravoure éclatante. Mais, ayant eu le bras blessé d'un coup de flèche, ses troupes, hors d'état de résister plus longtemps, se débandèrent, et se mirent dans une déroute complète. Les soldats de l'émir Iousouf se livrèrent entièrement au pillage. Le sultan s'était jeté dans un jardin ; un misérable habitant de Tabriz, nommé Beha-eddin-Djoulah, alla avertir l'émir Kara-Iousouf, qui envoya aussitôt un corps de troupes à la recherche du sultan. Celui-ci, en voyant arriver ces émissaires, comprit qu'il était prisonnier. Il se résigna aux ordres de la Providence, et se laissa charger de chaînes sans faire aucune résistance; on l'amena en présence de Kara-Iousouf, et, après divers événements, il fut condamné à mort et étranglé, par ordre de cet émir. On laissa, pendant deux ou trois jours, le corps du prince couché sur la poussière, attendu que des hommes turbulents voulaient faire croire que le sultan avait échappé sain et sauf. Sur la demande des habitants de Tabriz, et conformément au vœu exprimé dans le testament de ce prince, il fut enterré dans un édifice appelé Dimaschkieh, à côté de son père et de sa mère. Schah-Weled, fils du Schahzadeh Scheik-Ali, fils du sultan Awis, qui s'était rendu à Tabriz avec son oncle, et Sultan-Ala-eddaulah, fils de Sultan-Ahmed, qui était détenu dans la forteresse d'Abd-eldjouz, reçurent le breuvage du martyre, et furent enterrés dans le Dimaschkieh.

Le sultan, au moment où il quittait Tabriz, avait demandé du secours à l'émir Scheik-Ibrahim, roi du Schirwan. Celui-ci fit partir à l'instant son fils, nommé Kaïoumors. Le jour de la défaite du sultan Ahmed, Kaïoumors était arrivé dans le voisinage de Tabriz. Il se trouva alors dans un extrême embarras, ne sachant s'il devait rester là ou partir. Arrêté, par ordre de l'émir Kara-Iousouf, il fut enfermé dans la citadelle d'Ardjisch. L'émir scheik-Ibrahim offrit, sans succès, une somme d'argent, pour obtenir la délivrance de son fils. L'émir Kara-Iousouf, après cette victoire éclatante, s'abstenant de punir et de piller les habitants de Tabriz, qui avaient secondé le sultan, prit la route de Merend, pour retourner dans sa capitale. Après y avoir séjourné quelque temps, il revint à Tabriz, dans le dessein d'y établir son quartier d'hiver. Sur ces entrefaites, il apprit que Mirza-Rustem, forcé de fuir devant les armes de son frère et devant la famine qui désolait la ville d'Ispahan, s'approchait de Tabriz. Kara-Iousouf accueillit ce prince avec les plus grands honneurs, et lui offrit, durant plusieurs jours, des festins somptueux. Vers le milieu du mois de redjeb, il se rendit dans les environs de Marâgah, afin d'accompagner à son départ Mirza-Rustem. Tandis qu'il était campé près du lieu nommé Lilan, l'émir Mohammed-Sârou-Turkoman arriva de l'Irak Arab, et fut comblé de témoignages de distinction et de bienveillance. Dans les derniers jours du même mois, Kara-Iousouf, après avoir prodigué à Mirza-Rustem et à ses serviteurs des attentions dignes d'un souverain, leur avoir donné des présents de tout genre, des robes magnifiques, et placé auprès du prince des hommes de confiance, le laissa partir, et reprit, avec la plus grande pompe, la route de Tabriz. (suivant)


[15] Les deux exemplaires de notre histoire offrent ici une brièveté qui rend le texte tout à fait obscur. Il est probable qu'il se trouve une lacune qui provient de la négligence des copistes. J'ai rétabli le texte à l'aide du VIe volume de l'Histoire de Mirkhond.

[16] Ce mot, dans un des exemplaires de notre historien, est écrit tchagdaoul, et, dans l'autre, tchandaoul. Ces deux termes, malgré leur orthographe différente, paraissent être complètement synonymes. Ce mot est expliqué par « l'arrière-garde d'une troupe. » Dans le vocabulaire cité on lit : « On appelle ainsi dans une armée celui qui commande l'arrière-garde. » On lit dans le Zafer-nameh (f. 26 v.) : « Il choisit pour tchagdaoul Khodjah-Salberi. » Ailleurs (f. 271 v.) : « Hasan le tchaqdaoul. » Et (fol. 292 r.) : « On tira des corps de dix mille et mille hommes des cavaliers et des fantassins pour former l'arrière-garde. » Dans le Moêzz-alansab (man. persan 67) : « Il le créa tchagdaoul (commandant l'arrière-garde) de l'armée. » Dans la première partie de l'ouvrage d'Abd-errazzak (de mon man. fol. 114 recto) : « C'est l'émir Derwisch qui est resté tchagdaoul (chef de l'arrière-garde). Plus loin (f. 216 r.) : « L'émir Hasan Djandar, et Hasan tchagdaoul. » Dans les Mémoires de Baber (fol. 90 r.) : « Dans chaque troupe un jour et une nuit composaient le temps du service d'un tchagdaoul. » Plus loin (fol. 128 v.) : « Il n'y avait ni karaoul (coureur), ni tchagdaoul qui pût donner avis de l'approche de l'ennemi. » Dans une Histoire des Mongols de l'Inde (man. pers. 74, t. II, f. 31 verso) « prirent place dans la troupe du tchandaoul. » Ailleurs (fol. 65 recto) : « Le rang de tchandaoul fut donné à Khawas-khan et à Sezawar-khan. » Dans l’Akbar-nameh (fol. 135 v.) : « On les envoya du côté de Kaboul, comme tchandaoul et chargés de prendre langue. » Dans l'Histoire de la dynastie des Kadjars (fol. 92 recto) « On avait laissé derrière l'ordou (le camp) Hasan-khan-Kadjar, à la tête d'une troupe de pages, pour remplir les fonctions de tchandaoul » On lit dans la première partie de l'Histoire d'Abd-errazzak (fol. 59 r.): « Il désigna quelques hommes pour remplir les fonctions de tchagdaoul. Et ils firent passer au fil de l'épée plusieurs séditieux cachés qui suivaient l'a rusée. »

[17] Le mot se retrouve également dans un passage de l’Akbar-nameh, où on lit (man. de Genty, n° 75, f. 41 v.) : « On lui donna, à titre de tioul plusieurs villages du territoire d'Oudisah. » Dans la Vie de Schah-Abbas (man. de M. Silvestre de Sacy, fol. 99) : « On leur concéda un domaine et un tioul. » Plus bas (fol. 142): « On donna, pour chaque lieu, un tioul, un siourgal (fief) et un présent. » Ailleurs (f. 144) : « Que chacun d'eux se rendît dans son olka (domaine) et dans les bourgs qui composaient son tioul. » Plus loin (fol. 148): et enfin (f. 252) : « Le possesseur d'un tioul et d'un olka (district). » Chardin (Voyages en Perse, t. II, p. 253) nous donne, à ce sujet, les détails suivants : « Quant aux assignations en terres, on les appelle tyoul, mot qui signifie perpétuel; d'autres disent, au contraire, qu'il signifie éloigné, parce que ces assignations se donnent sur des lieux éloignés. Il y en a de deux sortes; car ces terres sont, ou l'apanage de la charge, les grandes charges ayant toutes des terres qui y sont annexées pour le paiement des gages, et qui demeurent attachées à la charge à perpétuité, ou elles sont assignées, au gré de la chambre des comptes, pour y recevoir les gages ou salaires tous les ans. Par exemple, le roi prenant à son service un officier à 500 fr. de gages, la chambre des comptes lui assigne cette paye sur un village qui de tout temps est compté pour produire 500 fr. de rente par an. Il se trouve presque toujours un fonds revenant à la paye assignée; ou, à ce défaut, l'intendant de la province sur laquelle est l'assignation fournit ce qu'il en manque, ou bien il lui donne une assignation de plus de 500 fr. dont l'attire lui rapporte le surplus ; c'est-à-dire que, si l'assignation est de 550 fr. au lieu de 500, il faut qu'il paye, au terme, 50 livres à l'ordre de l'intendant. » M. Fraser (Journey into Khorasan, p. 211) s'exprime en ces termes : « Les terres tenues à titre de teeool ou fief, ou pour payement de services militaires ou autres, ne payent rien au gouvernement, etc. » On lit dans le Journal de la Société royale géographique de la Grande-Bretagne (t. X, p. 3) : « Tiyul is a grant of the crown revenues of any town or district : the individual receiving the grant is usually intrusted with its realisation, though not necessary so. The grant also extends only to his own life time, unless otherwise specified. » Dans le cours de cette note, on a vu paraître plusieurs fois le mot olka. Je crois devoir transcrire sur ce terme, des détails qui auraient dû trouver leur place plus haut; et qui avaient été omis par inadvertance. Ce mot olka signifie « territoire, gouvernement, contrée. » On lit dans l'Histoire de notre auteur (fol. 173 verso) : « Chacun d'eux retourna dans sa province. » Plus loin (fol. 218 v.): « Il se contentera du gouvernement que lui a assigné le Khakan heureux. » Dans le Habib-assiiar (t. III, fol. 231 recto) : « Il ajouta plusieurs provinces au gouvernement héréditaire du prince. » Dans l’Akbar-nameh d'Abou’lfazl (fol. 228 recto) : « Dans la partie habitée de son gouvernement. » Dans la Vie de Schah-Abbas (fol. 54 recto): « Balkh, qui forme son gouvernement, » et (ibid.) : « Il attendit que son père lui donnât le gouvernement de Hérat. » Plus loin (f. 110) : « On leur assigna un gouvernement dans la province de Schirwan. » Dans l'ouvrage intitulé Alem-araï (fol. 196) : « Les émirs qui n'avaient point de gouvernement. » Dans l'Histoire des Kadjars (fol. 165 recto) : « Dans le gouvernement d'Urmiah. »

[18] Ou Karedbar.

[19] La ville de Chiraz est ici située près de Samarkand. On lit dans le Habib assiiar de Khondémir (t. III, fol. 267 r.), le sultan étant arrivé près de Samarkand; « il s’avança jusqu’à Chiraz et tenta de prendre la forteresse de cette place, » et il s’en empara en effet. Plus bas (fol. 247 r.), l’historien atteste que la ville de Chiraz est située au nord de Samarkand, à une distance de quatre parasanges. Les mêmes détails se trouvent reproduits par Mirkhond (vie partie, fol. 268 r.) et par Khondémir lui-même (fol. 177 r.), ainsi que dans le Zafer-nameh (fol. 389 v.).

[20] Le mot koulou ou kouloui signifie, suivant l'auteur du Borhmi-kâti : 1° « Celui qui est à la tête d'un bazar; » 2° Le chef et l'ancien d'un quartier. » Dans l'ouvrage intitulé Logati-Turki (p. 219) « sujet, inférieur. » Mais il s'est glissé ici une faute typographique, et il faut lire «supérieur. » Le terme se trouve plusieurs fois chez les écrivains persans. On lit dans le Zafer-nameh (fol. 117 v. de mon ms.): « Tous les grands, les kelanter et les kouloui. » Plus loin (fol. 162 r.): « Tous les kouloui et les chefs des quartiers. » Dans l'ouvrage de notre auteur (tom. I, fol. 82 v.) : « Les kouhaï des différents quartiers réalisèrent tout ce que réclamait le dévouement. » Plus loin (fol. 110 r.) : « Les koulouï et les principaux personnages de Schouschter. » Ailleurs (fol. 138 r.): « Les principaux personnages, les shérifs et les kouloui; » et (fol. 156 r.) : « Ils exigèrent un serment des kouloui des divers quartiers. » Dans le second volume du même ouvrage (fol. 83 v.) : « Les seïds, les kadis, les magistrats, les kouloui, sortirent de la place ; » et (f. 218 r.) : « Les seids, les maula, les principaux habitants et les koaloui de Schiraz. »

[21] Ce fait concerne l’auteur doit être ajouté aux détails biographiques recueillis en tête de cette notice.