Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
C'est le seul écrit que nous possédions en grec de ceux, en assez grand nombre, qu'avaient composés au sujet des parents de Jésus et de sa nativité, des chrétiens mal dégagés des doctrines du judaïsme ou imbus des erreurs répandues dès les premiers siècles de l'église. Une portion de texte grec fut publiée pour la première fois et avec une exactitude scrupuleuse par Cotelier dans ses notes sur les Constitutions apostoliques, il l'avait trouvée dans un manuscrit du quinzième siècle, à la bibliothèque du roi. Déjà Richard Simon en avait dit quelque chose.
[1] Fabricius reproduisit le texte et la version de Cotelier, en y joignant quelques notes. Mingarelli a donné plus tard le travail entier de Fabricius, et il s'est attaché à le compléter. Voir le douzième volume d'une Raccolta d'opuscoli scientifici e filologici, imprimée à Venise en 1764.La bibliothèque impériale de Vienne possède un autre manuscrit de l’Évangile de Thomas ; d'après le début tel que le rapporte Lambécius dans ses Comment. de Bibl. Cœsar. Vindob. livre VII, il présente, avec le manuscrit parisien, des différences sensibles.
Se servant d'un manuscrit conservé à Bologne, et qu'avait fait connaître Mingarelli, profitant d'un autre manuscrit du seizième siècle que renferme la bibliothèque de Dresde, Thilo a donné un texte bien supérieur à celui de ses devanciers ; il avoue cependant qu'il n'a pu bien établir certains passages qu'en recourant à la voie toujours un peu arbitraire des conjectures, et il regrette de n'avoir point découvert l'existence de quelque autre manuscrit qu'il aurait pu consulter avec profit.
L'Évangile de Thomas porte les traces d'une rédaction manichéenne. Origène dans sa première homélie sur saint Luc, cite comme ayant une certaine autorité un Évangile secundum Thomam et juxta Mathiam ; ce passage a fort occupé les critiques, mais l'on s'accorde en général à y reconnaître un autre écrit que celui dont le texte nous est parvenu, et dont l'auteur est entièrement inconnu, texte où se rencontrent des formes de style qui ne permettent pas de le faire remonter au-delà du cinquième siècle.
Livre de Thomas l'Israélite, philosophe, sur les choses qu'a faites le Seigneur, encore enfant.
Moi, Thomas, Israélite, je m'adresse à vous tous qui avez été convertis des erreurs des païens à la foi chrétienne, afin que vous sachiez les merveilles de l'enfance de Notre Seigneur Jésus-Christ, et ce qu'il fit après qu'il fut né dans notre pays. Et ceci est le commencement :
L'enfant Jésus étant âgé de cinq ans (01), jouait sur le bord d'une rivière, et il recueillit dans de petites fosses les eaux qui coulaient, et aussitôt elles devinrent pures et elles obéissaient à sa voix. Ayant fait de la boue, il s'en servit pour façonner douze oiseaux, et c'était un jour de sabbat. Et beaucoup d'autres enfants étaient là et jouaient avec lui. Un certain juif ayant vu ce que faisait Jésus, et qu'il jouait le jour du sabbat, alla aussitôt, et dit à son père Joseph : « Voici que ton fils est au bord de la rivière, et il a façonné douze oiseaux avec de la boue, et il a profané le sabbat. » Et Joseph vint à cet endroit, et ayant vu ce que Jésus avait fait, il s'écria : « Pourquoi as-tu fait, le jour du sabbat, ce qu'il est défendu de faire? » Jésus frappa des mains et dit aux oiseaux : « Allez. » Et ils s'envolèrent en poussant des cris. Les Juifs furent saisis d'admiration à la vue de ce miracle, et ils allèrent raconter ce qu'ils avaient vu faire à Jésus.
Le fils d'Anne le scribe était venu arec Joseph, et prenant une branche de saule, il fit écouler les eaux que Jésus avait ramassées. Jésus voyant cela fut irrité et lui dit : « Homme injuste, impie et insensé, quel tort te faisait cette eau? Tu vas être comme un arbre frappé de sécheresse et privé de racines, qui ne produit ni feuilles, ni fruit. » Et aussitôt il se dessécha tout entier. Jésus s'en alla ensuite au logis de Joseph. Les parents de l'enfant qui s'était desséché le prirent dans leurs bras en déplorant le malheur qui le frappait dans un âge aussi tendre et ils le portèrent à Joseph contre lequel ils s'élevaient vivement de ce qu'il avait un fils qui faisait de semblables choses.
Jésus traversait une autre fois le village, et un enfant, en courant, lui choqua l'épaule. Et Jésus irrité lui dit : « Tu n'achèveras pas ton chemin. » Et aussitôt l'enfant tomba et mourut. Des gens voyant ce qui s'était passé dirent : « D'où est né cet enfant? chacune de ses paroles se réalise aussitôt. » Et les parents de l'enfant qui était mort s'approchèrent de Joseph, lui dirent : « Tu as un enfant tel que tu ne peux habiter le même village que nous, ou bien apprends-lui à bénir et non à maudire, car il fait périr nos enfants. »
Et Joseph appelant à lui l'enfant, l'admonestait, disant : « pourquoi fais-tu ces choses-là? on prend de la haine contre nous et nous serons persécutés. » Jésus répondit : « Je sais que les paroles que tu viens de prononcer ne sont pas de toi, mais de moi ; je me tairai cependant à cause de toi, mais eux, ils subiront leur châtiment. » Et aussitôt ses accusateurs devinrent aveugles, et ceux qui virent cela furent fort épouvantés, et ils hésitaient, et ils disaient : « Chacune de ses paroles est suivie d'effet, soit pour le bien, soit pour le mal et amène des miracles. » Et lorsqu'ils eurent vu que Jésus faisait semblables choses, Joseph se levant, le prit par l'oreille et le tira avec force (02). L'enfant fut courroucé et lui dit : « Qu'il te suffise de chercher et de ne pas trouver; tu as agi en insensé; ne sais-tu pas que je suis à toi? car je suis à toi pour que tu ne me molestes nullement.
Un maître d'école, nommé Zacchée qui était près d'eux entendit Jésus parler ainsi à son père, et il s'étonna fort de ce qu'un enfant s'exprimât ainsi. Et peu de jours après il alla vers Joseph et il lui dit : « Ton enfant est doué de beaucoup d'intelligence ; confie-le moi afin qu'il apprenne les lettres, et je lui donnerai en même temps tout genre d'instructions, lui enseignant surtout à respecter la vieillesse et à aimer les gens de son âge. » Et il lui enseigna toutes les lettres depuis l'alpha jusqu'à l'oméga, expliquant nettement et soigneusement la valeur et la signification de chacune. Et Jésus regardant le maître Zacchée, lui dit : « Toi qui ignores la nature de la lettre Alpha, comment enseignes-tu aux autres ce que c'est que le Bêta. Hypocrite, enseigne-nous d'abord, si tu le sais, ce que c'est que la lettre Alpha et alors nous te croirons quand tu parleras de la lettre Bêta. » Et il se mit alors à presser le maître de questions sur la première lettre de l'alphabet et Zacchée ne put donner de réponses satisfaisantes. Et, en présence de beaucoup d'assistants, l'enfant dit à Zacchée : « Écoute, maître, quelle est la position du premier caractère, et observe de combien de traits il se compose, et combien il en renferme d'intérieurs, d'aigus, d'écartés, de rejoints, d'élevés, de constants, d'homogènes, d'inégale mesure. » Et il lui expliqua les règles de la lettre A (03).
Lorsque Zacchée entendit l'enfant exposer tant de choses, il resta confondu de sa science et il dit aux assistants : « Hélas! malheureux que je suis, je me suis donné un sujet de regret et j'ai attiré sur moi du déshonneur en attirant cet enfant chez moi; reprends-le, je t'en prie, mon frère Joseph ; je ne peux soutenir la rigueur de ses raisonnements, et je ne saurais m'élever jusqu'à ses discours. Cet enfant n'est pas né sur la terre; il peut avoir de l'empire sur le feu ; il a peut-être été engendré avant que le monde n'existât; j'ignore quel est le ventre qui l’a porté et quel est le sein qui l'a nourri; je suis tombé dans une grande erreur; j'ai voulu avoir un disciple et j'ai trouvé que j'avais un maître ; je vois, mes amis, quelle est mon humiliation, car moi, qui suis un vieillard, j'ai été vaincu par un enfant, et mon âme sera abattue, et je mourrai à cause de lui, et dès ce moment, je ne puis plus le regarder en face. Et quand la voix publique dira que j'ai été vaincu par un enfant, qu'aurai-je à répondre et comment parlerai-je des règles et des éléments du premier caractère après tout ce qu'il en a dit? Je ne connais ni le commencement, ni la fin de cet enfant Je t'en conjure donc, mon frère Joseph, ramène-le chez toi : il est quelque chose de grand, ou un Dieu, ou un ange, je ne sais. »
Et comme les Juifs donnaient des conseils à Zacchée, l'enfant se mit à rire et il dit : « Maintenant que les choses portent leurs fruits et que les aveugles de cœur voient : je suis venu d'en haut pour les maudire et pour les appeler à des objets plus élevés, ainsi que m'en a donné l'ordre celui qui m'a envoyé à cause de vous. » Et lorsqu'il eut finit de parler, aussitôt tous ceux qui avaient été frappés de sa malédiction furent guéris. Et, depuis ce temps, personne n'osait provoquer sa colère de peur d'être maudit de lui et frappé de quelque mal.
Peu de jours après, Jésus jouait sur une terrasse, au sommet d'une maison, et l'un des enfants qui jouaient avec lui, tomba du haut du toit et mourut; les autres enfants voyant cela, s'enfuirent, et Jésus descendit seul. Et lorsque les parents de l'enfant qui était mort furent venus, ils accusaient Jésus de l'avoir poussé du haut du toit, et ils le chargeaient d'outrages. Et Jésus descendit du toit et il s'approcha du cadavre de l'enfant, et il éleva la voix, il dit : « Zénin, (c’était le nom de l'enfant) lève-toi et dis-moi si c'est moi qui t'ai fait tomber. » Et l'enfant se levant aussitôt, répondit : « Non, Seigneur, tu n'as point causé ma chute, et bien au contraire, tu m'as ressuscité. » Et tous les spectateurs furent stupéfaits. Les parents de l'enfant glorifièrent Dieu à cause du miracle qui s'était opéré et ils adorèrent Jésus
Quelques jours après un jeune homme était occupé à fendre du bois, et sa hache lui échappa des mains, et elle lui fit au pied une profonde blessure, et il mourut ayant perdu tout son sang. Et comme l’on accourait vers lui et qu'il y avait une grande rumeur, Jésus alla avec les autres, et se faisant faire place, il traversa la foule, et il mit les mains sur le pied du jeune homme et aussitôt il fut guéri. Et il dit au jeune homme : « Lève-toi, fends du bois et souviens-toi de moi. » Et quand la foule eut vu ce qui s'était passé, tous adorèrent Jésus, en disant : « Vraiment, l'esprit de Dieu réside en cet enfant. »
Lorsqu'il eut l'âge de dix ans, sa mère, lui donnant une cruche, l'envoya pour puiser de l'eau et pour la rapporter à la maison, et dans la foule, la cruche s'étant choquée, elle se brisa. Et Jésus étendit le manteau dont il était revêtu, il le remplit d'eau et le porta à sa mère. Et sa mère, voyant le miracle qu'il venait de faire, l'embrassa, et elle conservait dans son cœur le souvenir des merveilles qu'elle le voyait accomplir.
Le temps des semences étant venu, l'enfant Jésus alla avec son père pour semer du blé dans leur pays, et tandis que Joseph semait, l'enfant prit un grain de froment et le mit en terre, et ce grain seul produisit cent choros de blé. Et, ayant réuni tous les indigents du village, il leur distribua du blé, et Joseph emporta ce qui resta. Et Jésus avait huit ans lorsqu'il fit ce miracle.
Son père était charpentier et il fabriquait alors, des jougs et des charrues. Et un homme riche lui commanda de lui faire un lit. Et comme la règle dont se servait Joseph pour mesurer le bois ne pouvait lui servir en cette circonstance, l'enfant lui dit: « Place par terre deux pièces de bois et rends-les égales à partir du milieu. » Joseph fit ce que lui avait recommandé l'enfant, et Jésus se tenant de l'autre côté, joignit le bois, et il tira vers lui la pièce qui était la plus courte, et s'allongeant sous sa main, elle devint égale à l'autre. Et son père Joseph voyant cela, fut dans l'admiration et il dit, en embrassant l'enfant : « Je suis heureux que le Seigneur m'ait donné un tel enfant. »
Joseph voyant que l'enfant croissait en âge, voulut qu'il apprit les lettres, et il le conduisit à un autre maître. Et ce maître dit à Joseph : « Je lui enseignerai d'abord les lettres grecques et ensuite les lettres hébraïques. » Le maître connaissait toute l'habileté de l'enfant et il le redoutait; il écrivit cependant l'alphabet, et quand il voulut interroger Jésus, Jésus lui dit : « Si tu es vraiment un maître, et si tu as la connaissance exacte des lettres, dis-moi quelle est la force de la lettre alpha, et je te dirai quelle est la force de la lettre bêta. » Le maître irrité le poussa et le frappa à la tête. L'enfant courroucé de ce traitement, le maudit et aussitôt le maître tomba sans vie sur son visage. Et l'enfant revint au logis de Joseph, Joseph fut très affligé et il dit à la mère de Jésus : « Ne le laisse pas franchir la porte de la maison, car tous ceux qui provoquent son courroux sont frappés de mort. »
Et, quelque temps après, un autre maître, qui était parent et ami de Joseph, lui dit : « Conduis cet enfant à mon école ; peut-être je réussirai à lui enseigner les lettres, en usant à son égard de bons traitements. » Et Joseph lui dit : « Prends-le avec toi, frère, si tu l'oses. » Et il le prit avec lui avec crainte et regret ; l'enfant allait avec allégresse. Et entrant avec assurance dans l'école, il trouva un livre qui était par terre, et le prenant, il ne lisait pas ce qui était écrit; mais ouvrant la bouche, il parlait d'après l'inspiration de l'Esprit-Saint, et il enseignait la loi aux assistants. Et une grande foule l'entourait, et tous étaient dans l'admiration de sa science et de ce qu'un enfant s'exprimait de cette façon. Joseph, apprenant cela, fut effrayé, et il courut à l'école, craignant que le maître ne fût sans instruction. Et le maître dit à Joseph : « Tu vois, mon frère, que j'avais pris cet enfant pour disciple, mais il est plein de grâce et d'une extrême sagesse; je t'en prie, mon frère, ramène-le dans ta maison. » Quand l'enfant l'entendit, il sourit, et dit : « Parce que tu as bien parlé, et comme tu as rendu bon témoignage, celui qui a été frappé, sera guéri à cause de toi. » Et aussitôt l'autre maître fut guéri. Et Joseph prit l'enfant et il alla dans sa maison.
Joseph envoya son fils Jacques pour lier du bois et pour le porter à la maison, et l'enfant Jésus le suivit. Et lorsque Jacques ramassait des branches d'arbre, une vipère le mordit à la main. Et lorsqu'il était au moment de périr, Jésus s'approcha, et il souffla sur la morsure, et aussitôt la douleur cessa, et le reptile creva, et Jacques demeura complètement guéri.
Par la suite, il advint que l'enfant d'un des ouvriers de Joseph tomba malade, et il mourut, et sa mère pleurait beaucoup. Jésus entendit le bruit des sanglots et du deuil, et il se hâta d'accourir, et lorsqu'il eut trouvé l'enfant mort, il lui toucha la poitrine, et il dit : « Je te commande, enfant, de ne point mourir; vis et reste avec ta mère. » Et aussitôt l'enfant se releva et rit. Et Jésus dit à la mère : « Prends-le et donne-lui du lait, et souviens-toi de moi. » Et quand le peuple qui était là eut vu ce miracle, il disait : « Cet enfant est vraiment un Dieu ou l'ange de Dieu, car tout ce qu'il prescrit s'exécute aussitôt. » Et Jésus s'en alla jouer avec les autres enfants.
Quelque temps après, comme l’on construisait un édifice, il s'éleva un grand tumulte, et Jésus alla à cet endroit, et voyant un homme qui gisait sans vie, il lui prit la main et lui dit : « Je te le dis, homme! lève-toi, et reprends ton ouvrage. » Et aussitôt le mort se leva et l'adora. Et la foule fut frappée de stupeur, et elle disait : « Vraiment cet enfant vient du ciel, et il a préservé bien des âmes de la mort et il les préservera tout le temps de sa vie. »
Lorsque Jésus eût l'âge de douze ans, ses parents allèrent, suivant l'usage, à Jérusalem pour la fête de Pâques, en compagnie d'autres personnes, et après la fête ils s'en retournèrent chez eux. Et tandis qu'ils cheminaient, l'enfant Jésus retourna à Jérusalem, et ses parents croyaient qu'il était avec ceux qui les accompagnaient Et après avoir fait une journée de route, ils le cherchèrent parmi leurs parents et ne le trouvèrent pas ; alors ils revinrent à la ville pour le chercher, et le troisième jour ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, et les écoutant, et les interrogeant, et expliquant la loi. Et tous étaient attentifs et s'étonnaient de ce qu'un enfant embarrassât et pressât de questions les anciens et les maîtres du peuple, dissertant sur les points de la loi et sur les paraboles des prophètes. Et sa mère Marie, s'approchant de lui, lui dit : « Pourquoi as-tu agi ainsi, mon fils? Nous étions dans l'affliction et nous te cherchions. » Et Jésus lui dit : « Pourquoi me cherchiez-vous? Ne savez-vous pas qu'il faut que je sois avec ceux qui sont à mon père? » Alors les Scribes et les Pharisiens dirent à Marie : « Es-tu la mère de cet enfant? » Elle répondit : « Je le suis. » Et ils lui dirent : « Tu es heureuse parmi toutes les femmes, car Dieu a béni le fruit de ton ventre ; nous n'avons jamais vu ni entendu tant de gloire, tant de sagesse et tant de vertu. « Et Jésus se levant, suivit sa mère, et il était soumis à ses parents. Et sa mère conservait dans son cœur le souvenir de tout ce qui se passait. Et Jésus croissait en sagesse, en grâce et en âge. A lui gloire dans tous les siècles Amen.
(01) Augustin Giorgi, dans son Alphabetum thibetanum (Rome, 1762, 4°, p. 385) croit qu'il faut lire sept ans; il se fonde sur ce que l'âge indiqué au vingt-sixième chapitre de l’Evangile arabe de l’Enfance et sur la similitude de cette légende avec celle de Manès, dont la septième et la douzième année sont signalées par des événements remarquables. Ce savant regarde l'Évangile de Thomas comme une production manichéenne. Tous les manuscrits portent cinq ans, et nous avons dû conserver cette leçon.
(02) Chez les anciens, tirer quelqu'un par l'oreille était une façon de réprimande et d'admonition fort en usage. Virgile a dit dans sa sixième églogue : Cynthius aurem vellit et admonuit. Calpulnius et Ovide emploient des expressions analogues. Voir d'ailleurs Erasme sur le proverbe : Aurem vellere.
(03) Il s'agit ici du sens mystique de la lettre A, prise peut-être comme un symbole divin. Les expressions de notre légende se rapportent bien plus à la forme que présente en hébreu et surtout en arménien, la première lettre de l'alphabet qu'à celle qu'elle présente en grec. Il n'est pas hors de propos de transcrire ici un passage du voyage de Chardin, (t. ix, p. 124, de l'édition de 1811). « Leurs légendes (celles des chrétiens répandus dans la Perse), contiennent tous les contes qu'il y a dans les légendes des chrétiens orientaux et notamment dans une légende arménienne, intitulée l'Évangile-Enfant (de l'enfance?) qui n'est qu'un tissu de miracles fabuleux; comme entre autres que Jésus-Christ voyant Joseph fort affligé d'avoir scié un ais de cèdre trop court, il lui dit : Pourquoi êtes-vous si affligé? donnez-moi l’ais par un bout et tirez l'autre ; et l'ais s'allongea. Qu'étant envoyé à l'école pour apprendre l'a b c, le maître lui voulant faire dire a, il s'arrêta et dit au maître : Apprenez-moi, auparavant, pourquoi la première lettre de l'alphabet est ainsi faite; sur quoi le maître le traitant de petit babillard, il répondit : Je ne dirai point a, que vous me disiez pourquoi la première lettre est ainsi faite. Le maître se mettant en colère, Jésus lui dit : Je vous rapprendrai donc moi. La première lettre de l'alphabet est formée de trois lignes perpendiculaires sur une ligne diamétrale (l’A arménien est ainsi fait à peu près comme une M renversée) pour nous apprendre que le commencement de toutes choses est une essence en trois personnes.
Quant au sens mystérieux que les cabalistes se sont efforcés de trouver à une foule de lettres, de mots de la Bible, ce que nous connaissons de plus lucide à cet égard, c'est l’Exercitatio de cabbala que Theod. Hackspannius a placé à la suite de ses Miscellaneorum sacrorum libri duo, (Altdorphii, 1660, 8°, p. 282 et 519). Pour donner une idée de ces combinaisons puériles, nous ferons remarquer que le serpent d'airain est regardé comme l'emblème du Messie, parce que les lettres des mots narrasch (serpent), et machiach (messie), prises dans leur valeur numérique, donnent le même chiffre, 358. On a remarqué que le mot berith (alliance, pacte) employé dans Jérémie (ch. 33, v. 25), donne la somme de 612, tout comme en hébreu le nom de Jésus et de Marie. On forme des mots avec les lettres majuscules d'une phrase entière, on en forme avec les premières lettres de chaque mot, l'anagramme multiplie ces combinaisons à l'infini, mais cette cabale qui cherche un sens mystique tout autre que le sens littéral, qui se perd dans ces permutations, ces combinaisons et ces calculs sur la valeur numérique des lettres de l'alphabet, est rejetée par les plus éclairés des docteurs hébreux; ceux-ci entendent par cabale une théosophie mystique, une philosophie spéculative : deux systèmes règnent dans cette cabale ; l'un a pris son origine lors de la captivité de Babylone ; les dogmes de Moïse s'y sont mêlés avec les croyances des Chaldéens et des Perses ; on y trouve la métempsycose, les génies des deux sexes, tenant le milieu entre l'ange et l'homme, etc. ; le second système, plus métaphysique, transaction entre le monothéisme de Moïse et le panthéisme des philosophes grecs, a pris naissance dans l'école d'Alexandrie ; c'est une branche des doctrines gnostiques. On peut consulter d'ailleurs un article curieux de M. Munck, dans le Dictionnaire de la Conversation, et le travail important que M. Frank a publié en 1843. Il avait déjà été inséré en partie dans les Mémoires de l'Institut (Académie des Sciences mor. et polit. — Savants étrangers, t i, p. 195-348). Nous indiquerons aussi à des lecteur» intrépides : Reachlin, de arte cabalistica, Haguenae, 1517, f°; Gaffarel, Abdita divinœ cabalœ mysteria, Paris, 1623, 4° ; le recueil de Pistorius, Artis cabalisticae scriptores, Bale, 1587 f°; les quatre in-quarto qu'a compilés Knorr de Rosenroth, Cabala denudata, 1677-1684; de la Nauze, Mémoires sur l'antiquité et sur l’origine de la cabale, (Mém. de l'Acad. des inscript., t. ix, p. 37, ). L'érudition allemande nous offre les écrits de Kleuker (sur l’origine et la nature de la doctrine de l’émanation chez tes cabalistes, Riga, 1786, 8°) de L. Béer (Histoire et doctrines de toutes les sectes du judaïsme et de la cabale, Brunn, 1822, 2 vol. 8°), de A. Tholuck (de ortu cabalœ, Hamburghi, 1836-37, 2 part. 4°) ; de Freystadt, (Philosophia cabalistica et Pantheismus, Regiomont. 1832, 8°). Voyez aussi Schramm : Introductio in dialect. Cabalœorum. Helmst. 1732, 8°. On trouve des exemples de cette importance attachée aux lettres à des époques plus récentes que notre ère. — Le musée britannique possède un manuscrit copte, encore inédit ; c'est l'œuvre d'un prêtre nommé Atasius. Cet écrivain donnant un sens mystique à la forme et à l'arrangement des lettres de l'alphabet grec, s'en sert comme d'une base où il appuie ses théories sur Dieu, l'âme humaine, l'origine du bien et du mal. Ajoutons enfin que le Sepher lecirah (ou livre de la Création), l'une des productions les plus anciennes et les plus remarquables de la Kabale, (voir le Dictionnaire des Sciences. Philosophiques, tome iii, p. 383), veut montrer dans les éléments de la parole, dans les matériaux indispensables du discours représentés par les vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu, les mêmes rapports, les mêmes harmonies, les mêmes contrastes qui marquent le plan de la création. Ces vingt-deux lettres, combinées avec les dix premiers nombres, forment les trente-deux voix merveilleuses de la sagesse par lesquelles Dieu a formé le monde. Regardant la création comme un acte d'amour, une bénédiction, les Kabbalistes nous disent, comme un fait très significatif, que la lettre par laquelle Moïse a commencé le récit de la Genèse entre la première aussi dans le mot qui en hébreu signifie bénir.
[1] Ce laborieux et hardi critique s'exprime ainsi dans ses Nouvelles observations sur te texte du Nouv. Test. « Je mets au nombre de ce « faux Évangile » un de ceux attribués à saint Thomas dont j'ai trouvé un assez long fragment à la Bibliothèque du roi ; quoique ce manuscrit ne soit pas vieux, on ne peut douter cependant que cette pièce ne soit ancienne et qu'elle n'ait été fabriquée par quelques gnostiques. Il paraît qu'il avait existé également un Evangile attribué à saint Thomas l'apôtre, mais il n'en est rien parvenu jusqu'à nous. » Ce n'est pas ici le lieu d'examiner sur quels fondements repose la tradition qui fait de cet apôtre le premier missionnaire qui ait prêché la foi dans les Indes. On trouvera de nombreux témoignages recueillis à cet égard dans l'ouvrage de MM. Martin et Cahier sur les vitraux de la cathédrale de Bourges (1841-44, grand in folio p. 134).