table des matières de DIOGENE LAERCE
Diogène Laërce
LIVRE IV
XÉNOCRATE
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[6] Xénocrate, fils d'Agathénor, était de Chalcédoine. Il fréquenta l'école de Platon dès sa jeunesse, et le suivit en Sicile. Il avait la conception si lente, que Platon disait, en le comparant avec Aristote, que l'un avait besoin d'éperon et l'autre de frein. Comment, disait-il encore, atteler un âne si lourd avec un cheval si prompt? Xénocrate avait l'air sévère et retenu, ce qui donna occasion à Platon de lui dire qu'il devait prier les Grâces de le rendre plus agréable. Il vécut la plupart du temps dans l'académie; et on dit que lorsque quelque raison l'obligeait d'aller à la ville, les gens turbulents et débauchés s'écartaient de son chemin pour le laisser passer. [7] Phryné, fameuse débauchée, l'accosta un jour, dit-on, sous prétexte qu'elle était poursuivie par des libertins ; par bonté il la fit entrer chez lui, et n'y ayant qu'un lit, elle le pria de lui en céder la moitié, ce qu'il fit ; enfin, après qu'elle l'eut tenté inutilement, elle se retira, en disant qu'elle ne sortait pas d'auprès d'un homme, mais d'une statue. On dit aussi que les disciples de Xénocrate ayant conduit Laïs auprès de lui, il aima mieux endurer des blessures que de manquer de continence. Il avait la réputation de posséder tant de bonne foi, que, quoique personne à Athènes ne fût admis à rendre témoignage sans le confirmer par serment, on le dispensa de cette loi. [8] Il se contentait de ce qui est nécessaire aux besoins de la nature. Alexandre lui ayant envoyé une grande somme d'argent, il n'en garda que trois mille drachmes, et lui renvoya le reste, en disant que c'était celui qui avait beaucoup de monde à nourrir qui avait besoin de beaucoup d'argent. Myronian, dans son Traité des choses semblables, dit aussi qu'il n'accepta point l'argent qu'Antipater lui envoya. Denys lui ayant donné une couronne d'or qu'il avait proposée pour prix à ses conviés dans le festin d'une fête de Bacchus, il la mit en sortant au pied de la statue de Mercure, où il avait aussi coutume de poser des couronnes de fleurs. [9] On dit aussi qu'il fut envoyé en ambassade avec d'autres auprès de Philippe; que ses collègues, amollis par les présents de ce prince, assistèrent à ses festins, ce qui fit qu'ils eurent des conférences avec lui; mais que Xénocrate fut insensible à ses faveurs, ce qui fut cause que ce prince ne voulut point le reconnaître. Lorsqu'ils furent de retour à Athènes, les autres se plaignirent que Xénocrate ne les avait point aidés, et on était près de le condamner à une amende ; mais lorsqu'on eut appris et qu'il eut fait voir la nécessité de redoubler de vigilance pour la république, en disant que ses collègues avaient été gagnés, mais que Philippe n'avait pu le tenter, cela le fit estimer davantage ; et Philippe même dit à sa louange qu'il était le seul de ceux qu'on lui avait envoyés que ses présents n'avaient pu corrompre. Pendant sa négociation avec Antipater pour la restitution des soldats qui avaient été pris dans la guerre lamiaque, il fut invité chez lui; mais il lui fit cette réponse, en vers tirés d'Homère : O Circé, serais-je sage de boire et de manger avec plaisir, tant que mes compagnons ne sont pas en liberté? Cette manière d'agir plut tant à Antipater, qu'il élargit les prisonniers. [10] Un moineau, poursuivi par un épervier, vint se réfugier dans le sein du philosophe ; il lui sauva la vie, en disant qu'il ne fallait pas trahir un suppliant. Bion l'ayant offensé de parole, il lui dit : Je ne vous répondrai pas non plus que la tragédie ne juge la comédie digne du réponse, lorsqu'elle en est attaquée. Un homme qui ne savait ni géométrie, ni musique, ni astronomie, ayant souhaité de se rendre son disciple, il le refusa, en lui disant qu'il n'avait pas les anses qui servent à prendre la philosophie ; d'autres disent qu'il lui répondit : On ne carde pas de la laine chez moi. [11] Denys disant à Platon que quelqu'un pourrait lui faire couper la tête : Avant cela, dit Xénocrate qui était présent, il faudra que quelqu'un fasse couper la mienne. On dit aussi qu'Antipater étant venu à Athènes et l'ayant salué, il ne voulut pas lui répondre avant d'avoir achevé le discours qu'il avait commencé. Il était exempt de gloire ; il méditait plusieurs fois le jour, et donnait tous les jours une heure au silence. Il a laissé plusieurs ouvrages et des poésies, avec des discours d'exhortation : en voici le catalogue. Six livres de la Nature, six livres de la Sagesse, un de la Richesse, un intitulé Arcas, un de l'Indéfini, [12] un de l'Enfance, un de la Continence, un de l'Utile, un de la Liberté, un de la Mort, un de la volonté, un de l'Amitié, un de l'Équité, deux des Contraires, deux de la Félicité, un de la Manière d'écrire, un de la Mémoire, un du Mensonge, un intitulé Calliclès, deux de la Prudence, un de l'Économie, un de la Frugalité, un du Pouvoir de la loi, un de la République, un de la Sainteté, un où il prouve qu'on peut enseigner la vertu, un de l'Existence, un du Destin, un des Passions, un des Vies, un de la Concorde, un de la Discipline, un de la Justice, deux de la Vertu, un des Espèces, deux de la Volupté, un de la Vie, un de la Force, [13] un de la Science, un de la Politique, un des Hommes savants, un de la Philosophie, un de Parménide, un d'Archidame ou de la Justice, un du Bien, huit de ce qui regarde la pensée, onze de questions sur le Discours, six touchant la Physique, un intitulé Chapitre, un des Genres et des Espèces, un des Dogmes de Pythagore, deux de Solutions, huit de Divisions, trente-trois de Thèses, quatorze de la Science de discuter; après cela, quinze autres livres et encore seize autres, neuf sur les Questions de la logique, six sur les Préceptes, deux sur la Pensée, cinq sur les Géomètres, un de Commentaires, un des Contraires, un des Nombres, un de la Théorie des Nombres, un des Intervalles, sis de l'Astrologie, [14] Éléments sur la Royauté, adressés à Alexandre, un autre adressé à Arybas, et un autre à Éphestion, deux sur la Géométrie; trois cent quarante-cinq vers. Cependant, quelque grand que fùt Xénocrate, les Athéniens le vendirent, parcequ'il ne pouvait payer le tribut imposé aux étrangers. Démétrius de Phalère l'acheta, pava le tribut qu'il devait, et lui rendit la liberté ; c'est ce que nous apprend Myronian d'Amastris dans ses chapitres des Histoires semblables, au livre premier. Xénocrate tint pendant vingt cinq ans l'école que Speusippe lui avait remise. Il y donna ses premières leçons sous Lysimachide, la seconde année de la cent dixième olympiade. Il était âgé de quatre-vingt-deux ans lorsqu'il mourut, la nuit, d'une blessure qu'il se donna contre un bassin. Je lui ai fait cette épitaphe : Xénocrate se blesse à la tête contre un bassin ; un seul cri fut toute la plainte de cet homme qui se consacra tout entier aux autres. Il y a eu six autres Xénocrates. Le premier, qui a écrit de l'art militaire, est fort ancien, et fut parent et concitoyen de notre philosophe; il écrivit aussi un discours intitulé Arsinoétique, sur la mort d'Arsinoé. Le quatrième était philosophe, et fit des élégies qui furent peu goûtées, ce qui est naturel : car les poètes peuvent bien réussir à écrire en prose, mais les écrivains en prose ne réussissent pas si bien à écrire en vers, parce que la poésie est un don de la nature, au lieu que l'autre genre d'écrire est un effet de l'art. Le cinquième fut statuaire. Le sixième a écrit des odes, comme le rapporte Aristoxène.
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