PREMIÈRE SECTION.
ESPÈCES DIVERSES DES
PARALOGISMES.
CHAPITRE PREMIER.
Etat général de ce traité : différence du syllogisme et de la
réfutation sophistique. - Définition du sophiste et de la
sophistique. |
§ 1. Mais parlons des
réfutations sophistiques, c'est-à-dire des réfutations qui
paraissent en être de véritables, mais qui n'en sont pas réellement
et ne sont que des paralogismes. Nous commencerons naturellement par
les principes.
§ 2. Il est évident que, parmi les syllogismes, les uns en sont de
véritables, et que les autres le paraissent sans en être. Comme pour
tant d'autres choses, cette confusion se produit ici par une
certaine ressemblance que peuvent présenter aussi les discours.
Ainsi, parmi le hommes, les uns ont bien réellement la santé, les
autre n'en ont que l'apparence, se gonflant eux-mêmes et se parant,
comme on gonfle et comme on pare les victimes offertes par les
tribus. Les uns sont beaux par leur propre beauté, les autres ne
font que le paraître parce qu'ils se sont bien ornés eux-mêmes. On
pourrait appliquer cette observation même aux choses inanimées
ainsi, celles-ci sont véritablement de l'argent, celles-là de l'or,
d'autres ne le sont pas réellement et le paraissent à nos sens
qu'elles trompent : par exemple, le plomb et la litharge paraissent
de l'argent, et les choses dorées paraissent de l'or. De même pour
le syllogisme et la réfutation : l'une est réellement syllogisme,
l'autre ne l'est pas, mais elle paraît l'être à des yeux
inexpérimentés; car les gens sans expérience ne voient les choses
que comme s'ils les regardaient à une grande distance.
§ 3. Le syllogisme est un raisonnement où, certaines données étant
posées, on tire de ces données quelque conclusion, qui en sort
nécessairement, et qui est différente de ces données.
§ 4. La réfutation, au contraire, est un syllogisme avec
contradiction de la conclusion.
§ 5. Les sophistes ne le font pas réellement, mais ils paraissent le
faire à plus d'un titre : et le lieu le plus naturel et le plus
commun de tous ceux par lesquels on produit cette apparence est
celui qui ne tient qu'aux mots. En effet, comme on ne peut discuter
en apportant les choses mêmes, et qu'il faut se servir des mots
comme représentation, au lieu des choses qu'ils remplacent, nous
croyons que ce qui arrive aux mots arrive également aux choses,
comme on conclut des cailloux au compte que l'on veut faire. Or ici,
la ressemblance n'est pas tout à fait complète; car les mots sont
limités ainsi que le nombre des définitions, mais les choses sont
innombrables. Il est donc nécessaire qu'une même définition et qu'un
seul nom signifient plusieurs choses. De même donc que ceux qui ne
savent pas bien se servir des cailloux sont dupés par ceux qui le
savent, de même, pour les discours: ceux qui ne connaissent pas la
puissance des mots font de faux raisonnements, soit en discutant
eux-mêmes, soit en écoutant les autres. Cette cause donc, et celles
qui seront dites plus tard, font qu'il y a le syllogisme apparent et
la réfutation qui paraît en être une, mais qui, cependant, n'est pas
véritablement une réfutation.
§ 6. Comme il y a certaines gens qui s'occupent plus de paraître
sages que de l'être réellement sans le paraître; car la sophistique
n'est pas autre chose qu'une sagesse apparente et qui n'est point
réelle, et le sophiste ne cherche qu'à tirer un lucre d'une sagesse
apparente qui n'a rien de vrai, il est clair que ces gens-là
cherchent plutôt à sembler faire œuvre de sagesse qu'à le faire
réellement sans le paraître. Du reste, et pour comparer les choses
une à une, c'est l'œuvre en chaque chose de celui qui sait, d'abord
de ne pas se tromper lui-même dans ce qu'il sait, et ensuite de
pouvoir démasquer celui qui trompe; et ces deux mérites consistent,
l'un à pouvoir donner la raison des choses, et l'autre à l'apprécier
quand un autre la donne. Il y a donc nécessité que ceux qui veulent
jouer le rôle de sophistes cherchent des discours du genre que nous
venons de dire; car c'est là ce qu'il leur faut, puisque c'est ce
talent qui les fera paraître sages, et c'est précisément là ce
qu'ils désirent et se proposent.
§ 7. Qu'il y ait un tel genre de discours, et que ceux que nous
appelons sophistes recherchent ce talent, c'est ce qui est évident. |
La rédaction de ce dernier
traité l'Organon, me semble de beaucoup inférieure à celle de tous
les précédents. Les répétitions y sont très fréquentes; le style en
est fort obscur; des ellipses peu justifiables rendent souvent la
pensée énigmatique; le sujet ne s'y développe pas avec clarté, bien
qu'il suive très régulièrement un plan tracé à l'avance dont il ne
s'écarte pas. En un mot, si la pensée est, sans aucun doute,
d'Aristote, la forme me paraîtrait ne lui point appartenir, du moins
tout entière. Ou il n'aura pu mettre la dernière main à cet ouvrage,
et il l'aura laissé imparfait: ou nous avons ici l'œuvre d'une main
étrangère, celle d'un disciple, par exempte, rédigeant fidèlement
les leçons du maître dans l'ensemble et dans les détails, mais
substituant un style un peu inexpérimenté au style magistral du
philosophe. Je ne saurais prononcer entre ces deux hypothèses; mais
je ne pense pas qu'on puisse, après une lecture attentive, ne pas
reconnaître la différence qu'offre ce dernier ouvrage comparé à tous
les autres. Je m'étonne qu'aucun commentateur n'ait fait cette
remarque avant moi ; mais, si elle est nouvelle, je crois pouvoir
affirmer qu'elle n'en est pas moins juste.
Le commentaire sur les Réfutations des Sophistes, attribué à
Alexandre, n'est évidemment pas de lui, puisque, dès tes premières
pages on y cite Athénée et Proclus voir l'édition de Berlin, page
206,a, 6.
§ 1. Mais..., cette
conjonction semble indiquer que ce livre ne devrait pas être séparé
de ceux qui le précèdent.
§ 2. Offertes par les
tribus. Dans les sacrifices, les tribus d'Athènes rivalisaient
entre elles à qui présenterait les plus belles victimes et l'on
employait toute espèce d'artifices pour les parer et les grossir. |
CHAPITRE II.
Espèces diverses des argumentations au nombre de quatre. |
§ 1. Combien il y a d'espèces
d'argumentations sophistiques, quel est le nombre de celles par lesquelles on
peut former ce talent, et combien il y a de parties dans cette étude, c'est ce
que nous allons dire, en y ajoutant tout ce qui peut en outre compléter cet art.
§ 2. Il y a quatre genres de raisonnements possibles dans la discussion :
l'instructif, le dialectique, l'exercitif et le contentieux. L'instructif part
des principes propres de chaque science, et non pas des opinions particulières
de celui qui répond; car il faut que le disciple croie à ce qu'on lui dit. Le
dialectique est celui qui conclut syllogistiquement la contradiction, en partant
de principes probables. L'exercitif part de principes posés par celui qui
répond, et que doit nécessairement connaître celui qui se donne pour posséder la
science : quelle est ici la méthode à suivre, c'est ce qu'on a dit ailleurs.
Enfin le raisonnement contentieux procède de principes qui paraissent probables
et qui ne le sont pas: il est syllogistique ou paraît l'être.
§ 3. On a déjà parlé dans les Analytiques du genre instructif et démonstratif,
et ailleurs, du dialectique et de I'exercitif : il faut parler ici des arguments
de contention et de dispute. |
§ 2. L'instructif...
l'exercitif, J'ai dû prendre ces mots quoique peu convenables,
pour éviter de longues périphrases. Les développements qui suivent
en font d'ailleurs bien comprendre le sens. - Ailleurs,
Topiques, liv. I, ch. 3 et surtout liv. 8, ch. 4, et suivants. |
CHAPITRE III.
Buts divers qu'on peut se proposer dans l'argumentation éristique. |
§ 1. II faut se rendre compte, d'abord,
de ce que se proposent ceux qui aiment ainsi à lutter de paroles dans des
discussions.
§ 2. II y a cinq choses qu'ils peuvent avoir en vue : la réfutation, l'erreur,
le paradoxe, le solécisme, et, en cinquième lieu, de faire bavarder celui qui
discute avec eux : j'entends par bavarder, lui faire répéter vainement plusieurs
fois la même chose. D'ailleurs, ils peuvent poursuivre ce qui n'est pas, mais
paraît être pour chacune de ces choses.
§ 3. De ces cinq objets, celui qu'ils préfèrent, c'est de paraître réfuter leur
antagoniste ; en second lieu, c'est de montrer qu'ils fait quelque erreur;
troisièmement, de le pousser au paradoxe; quatrièmement, de le forcer à
commettre un solécisme, c'est-à-dire de contraindre par leur raisonnement celui
qui répond, à parler comme un véritable barbare; enfin, en cinquième lieu, de
lui faire redire plusieurs fois les mêmes choses. |
§ 3. Dans les Analytiques,
Les Derniers. - Du genre instructif et démonstratif,
L'édition de Berlin dit seulement démonstratif. - Et ailleurs,
dans les Topiques. On voit qu'ici l'ordre de l'Organon est l'ordre
habituellement adopté, ce qui réfute l'opinion de ceux qui voulaient
placer les Topiques et le Réfutations des Sophistes avant les
Derniers Analytiques, comme l'on fait plusieurs éditeurs. |
CHAPITRE IV.
Deux espèces principales de réfutations : 1° l'une purement verbale; 2° l'autre
relative aux choses. |
§ 1. Il y a deux manières de réfuter :
l'une s'adresse au mot, l'autre est en dehors du mot.
§ 2. Les causes qui font illusion relativement aux mots, sont au nombre de six :
c'est l'homonymie, l'amphibologie, la combinaison, la division, la prosodie et
la forme même du mot. On peut démontrer par la méthode d'induction et par le
syllogisme, ou telle autre méthode, que l'on peut exprimer une chose qui n'est
pas la même, d'autant de façons qu'on vient de dire, par les mêmes mots et les
mêmes paroles.
§ 3. Pour l'homonymie, il y a des raisonnements du genre de celui-ci : Ceux qui
savent, apprennent; car les grammairiens apprennent les choses qu'ils font
réciter de mémoire. C'est qu'apprendre est un homonyme, et signifie également
faire comprendre en se servant de la science et acquérir la science. On prouve
encore que les maux sont des biens; car ce qui doit être est un bien, et les
maux doivent être. C'est que, devoir être a un double sens, et signifie, d'une
part, le nécessaire, ce qui se présente souvent même pour les maux; car il y a
tel mal qui est nécessaire; et, d'autre part, nous disons que les biens sont
aussi ce qui doit être. Autre homonymie : on prouve que le même individu est
assis et debout, qu'il est malade et bien portant; car celui qui s'est levé, est
debout, et celui qui s'est guéri est bien portant. Or, c'était un individu assis
qui se levait, un malade qui se guérissait; car cette expression, que le malade
fait ou souffre une chose quelconque, n'a pas une signification unique, mais
tantôt elle veut dire que, telle personne est assise ou malade maintenant, et
tantôt il s'agit d'une personne qui l'était auparavant. Oui, sans doute, le
malade se portait bien même en étant malade, mais il ne se porte pas bien étant
malade; c'est le malade qui se porte bien, mais ce n'est pas le malade qui l'est
maintenant, c'est celui qui l'était auparavant.
§ 4. Quant à l'amphibologie, en voici un exemple: Vous voulez ma prise des
ennemis: Quelqu'un qui connait connaît-il cela? Car on peut entendre par cette
expression, et désigner ainsi comme connaissant, et celui qui connaît, et la
chose qui est connue? Est-ce que ce que celui-ci voit, voit cela? Il voit la
colonne, de sorte que c'est la colonne qui voit. Et encore, ce que tu dis être
est-ce que tu le dis être? Et tu dis que c'est une pierre, tu dis donc que tu es
une pierre? Enfin, est-ce que celui qui se tait parle? Car cette expression,
celui qui qui se tait parle, a deux sens; d'abord, que celui qui parle se tait,
et que ce sont les choses mêmes qui se taisent.
§ 5. II y a trois espèces dans l'homonymie et dans l'amphibologie; l'une, quand
l'expression ou le mot a proprement plusieurs sens, comme aigle, chien; l'autre
qui procède de l'usage où nous sommes d'employer ces mots; la troisième, enfin,
quand le mot en combinaison a plusieurs sens, mais qu'il n'en a qu'un absolument
quand il est isolé. Par exemple, savoir les lettres; car chacun de ces mots pris
à part ne signifient qu'une seule chose: savoir, et les lettres ; mais tous deux
réunis ont plusieurs sens; d'abord, que ce sont les lettres elles-mêmes qui ont
la science, ou que c'est un autre qui a la science des lettres.
L'homonymie et l'amphibologie ont donc ces diverses espèces.
§ 6. Voici celles de la combinaison : par exemple, que celui qui est assis peut
marcher, et que celui qui n'écrit pas peut écrire; car le sens n'est pas le
même, si l'on prétend ainsi, en séparant les idées, ou en les réunissant, qu'il
est possible que l'individu assis, marche, et que celui qui n'écrit pas, écrive.
Et de même, si l'on réunit ces deux idées que celui qui n'écrit pas écrit; car
cela signifie alors que celui qui n'écrit pas écrit; et si l'on ne réunit pas
les idées, cela veut dire qu'il a la faculté d'écrire même lorsqu'il n'écrit
pas. Et il apprend maintenant la grammaire, puisqu'il apprenait ce qu'il sait.
Et de même encore que celui qui ne peut porter qu'une seule chose peut cependant
en porter plusieurs.
§ 7. Pour la division, c'est, par exemple, que cinq sont deux et trois, et
qu'ainsi ils sont pairs et impairs: et que le plus grand est égal; car il est
d'abord autant, et, en outre, il a du plus. En effet, la même expression
combinée ou divisée ne signifie plus la même chose. Ainsi : Je t'ai fait libre
d'esclave, et le divin Achille laissa cinquante hommes de cent.
§ 8. Dans la prosodie, il n'est pas facile de se tromper quand on ne fait que
discuter en paroles sans écrire, mais c'est bien plutôt dans les choses écrites
et dans les poésies. Par exemple, il y a des gens qui défendent Homère contre
ceux qui lui font un crime d'avoir dit: II n'est pas atteint par sa pluie. On
défend cette expression par une règle de prosodie, en disant que le mot en
discussion doit être marqué d'un accent aigu: et dans le songe d'Agamemnon, que
ce n'est pas Jupiter lui-même qui dit : Nous lui accordons d'obtenir sa prière,
mais qu'il ordonne au songe de la lui accorder. Voilà donc des observations
relatives à la prosodie.
§ 9. Quant aux arguments tirés de la forme du mot, ils ont lieu quand ce qui
n'est pas la même chose est exprimé de la même façon : par exemple, le masculin
pris au féminin, ou le féminin au masculin : ou bien lorsque le neutre est pris
pour l'un ou pour l'autre: ou bien la qualité pour la quantité; ou à l'inverse,
la quantité pour la qualité, ou l'action pour la souffrance, ou l'action pour la
disposition. Et ainsi du reste, contre les divisions faites précédemment; car il
est possible d'exprimer par le mot , comme étant de la catégorie de l'action, ce
qui n'est pas de la catégorie de l'action : ainsi, se bien porter, est, pour la
simple forme du mot, tout à fait la même chose que couper et construire; et,
cependant, l'un exprime que l'on a certaine qualité, certaine disposition, et
l'autre, que l'on fait certaine chose. Et de même pour tout le reste.
§ 10. Les arguments tirés des mots sont donc de ces différentes espèces. |
§ 3. Ceux qui savent
apprennent, l'équivoque porte sur le mot : apprennent, qui
signifie à la fois, apprendre pour soi , s'instruire; et apprendre
aux autres, enseigner. L'équivoque est la même en français qu'en
grec. Voir dans l'Euthydème de Platon en sophisme à peu près
semblable, p. 371 et suiv., trad. de M. Cousin. - Ce qui doit
être, l'équivoque roule sur ces mots: - Est assis et debout,
qu'il est malade et bien portant, l'homonymie consiste Ici en ce
que le participe assis, comme l'adjectif malade peuvent être
également pris soit au présent soit au passé. Ceci est expliqué plus
bas : se portait bien... ne se porte pas bien, par la
diversité même des temps.
§ 4. Vous voulez ma prise
des ennemis, J'ai cherché à rendre par cette phrase fort peu
correcte, l'amphibologie de la phrase grecque qui signifie à la fois
: vous voulez que je prenne les ennemis : et vous voulez que les
ennemis me prennent. Notre langue, privée de cas, ne peut faire
comprendre ces amphibologies qui ne reposent que sur la confusion de
deux régimes. II faut absolument, pour comprendre les exemples qui
suivent, avoir le texte grec sous les yeux. La traduction française
toute fidèle qu'elle est ne peut présenter que des obscurités
inintelligibles. Notre langue est trop claire pour se prêter à ces
équivoques si faciles en grec et en latin. - Tu es une pierre,
Voir l'Euthydéme de Platon, p. 117, trad. de M. Cousin. - Celui
qui se tait parle, La phrase grecque peut signifier aussi : Dire
des choses qui se taisent. Voir l'Euthydéme, p. 420, trad. de M.
Cousin.
§ 5. Comme aigle,
Aigle en grec signifie d'abord l'oiseau de ce nom et un ornement en
architecture. - Chien peut signifier en français comme en
grec, d'abord l'animal de ce nom, puis une constellation. -
Savoir les lettres, L'édition de Berlin donne cette leçon en
variante, et dans le texte : Sait les lettres, ce qui en grec forme
également une amphibologie, qui n'existe point du tout en français.
§ 6. Celui qui est assis,
La grammaire en grec permet également de joindre le mot qui signifie
: Celui qui est assis, à pouvoir et à marcher. Dans le premier sas
l'assertion est vraie, dans le second elle est fausse.- Et il
apprend maintenant, Ceci est la conclusion d'un syllogisme fait
par les sophistes : Celui qui sait la grammaire maintenant l'a
apprise: or un tel sait la grammaire, donc il l'apprend maintenant.
L'amphibologie porte sur le mot : maintenant, qui en grec peut se
joindre également soit au mot : sait, qui précède, soit aux mots :
l'a apprise, qui suivent. - Peut en porter plusieurs, Non pas
ensemble, mais successivement.
§ 7. Je t'ai fait libre,
La phrase grecque peut également signifier: Je t'ai fait libre
d'esclave que tu étais, ou esclave de libre que tu étais. - Le
divin Achille,.. La phrase grecque peut signifier également :
laissa cinquante hommes sur cent, ou cent hommes, sur cinquante. Le
français ne se prête pas à ces équivoques que sa clarté ne permet
pas de reproduire.
§ 8. Homère, Iliad. chant 23,
v. 328, Le mot dont il s'agit peut signifier, avec un esprit doux et
sans accent, la négation ne pas, et avec l'accent aigu, Il signifie
: dans l'endroit où. Nous lisons aujourd'hui ce mot sans accent dans
le passage cité et les meilleures éditions le prennent pour la
négation et non pour l'adverbe. Aristote nous apprend dans sa
Poétique, ch. 25, édit. de Berlin, p. 1161, a, 22. que c'est Hippias
de Thasos qui défendait ainsi ces deux passages d'Homère. - Et
dans le songe d'Agamemnon, La portion de vers que cite Aristote
ne se retrouve plus dans nos éditions d'Homère, du moins au passage
qu'il indique. Voir le début du second chant de l'Iliade: Elle se
retrouve ailleurs, chant 21, v 297. On sait qu'Aristote avait fait
une édition d'Homère pour Alexandre, la fameuse édition de la
Cassette. - Nous lui accordons... de la lui accorder, Le mot
grec peut avoir les deux sens.
§ 9. Précédemment, Voir les Catégories.
§10. Espèces,
L'édition de Berlin dit : lieux, sans d'ailleurs justifier cette
leçon qui n'est pas mauvaise, mais que je n'adopte pas. |
CHAPITRE V.
Des paralogismes en dehors du mot : sept espèces. |
§ 1. II y a sept espèces de paralogismes
en dehors du mot; l'une tirée de l'accident, l'autre de ce que le terme qui
devrait être pris absolument ne l'est pas absolument, mais est pris avec une
restriction de lieu, ou de telle autre relation : la troisième est relative à
l'ignorance de la réfutation, la quatrième à la conséquence, la cinquième à la
pétition de principe; la sixième vient de ce qu'on a donné pour cause, ce qui ne
l'est pas; la septième enfin, c'est de réunir plusieurs questions en une seule.
§ 2. Les paralogismes relatifs à l'accident ont lieu, quand on croit qu'une
chose quelconque est aussi bien à l'accident qu'à la chose même. En effet, de ce
que plusieurs choses peuvent être comme accidents à une même chose, il n'est pas
nécessaire que tous ces accidents soient à tous les attributs de la chose et au
sujet qui a ces attributs; car de cette façon toutes choses seront identiques,
ainsi que le prétendent les sophistes. Par exemple, si Coriscus est autre chose
que homme, il sera autre que lui-même; car il est homme: ou s'il est autre que
Socrate, et que Socrate soit homme, les sophistes soutiennent qu'on accorde par
là qu'il est autre chose que homme, attendu que l'être relativement auquel on a
dit qu'il était autre, a pour accident d'être homme.
§ 3. Les paralogismes qui tiennent à ce qu'une chose qui devrait être dite
absolument est prise avec restriction, et non proprement, ont lieu, quand on
prend ce qui est dit au particulier comme absolu ; ainsi, par exemple, au lieu
de dire que le non être est concevable on dit que le non être est; car ce n'est
pas du tout chose identique d'être telle chose ou d'être absolument. Ou encore
si l'on dit que l'être n'est pas réellement, parce qu'il n'est pas l'une des
choses qui sont, et par exemple qu'il n'est pas homme : car ce n'est pas une
expression identique de n'être pas quelque chose, et de n'être pas absolument.
L'erreur vient de la ressemblance de l'expression, et il semble qu'il n'y a pas
grande différence entre être telle chose et être, et entre ne pas tire telle
chose et ne pas être. On confond de même et la restriction et le sens absolu;
par exemple, si l'Indien étant tout à fait noir il est cependant blanc par les
dents, il est tout à la fois blanc et non blanc; ou bien s'il est les deux, en
quelque façon à la fois, il faut donc que les contraires coexistent en lui. Tout
le monde peut aisément voir dans certains cas des paralogismes de ce genre; par
exemple, si supposant que l'Ethiopien est noir, on demande s'il est blanc par
les dents. Si donc il est blanc de cette façon, on pourra croire avoir prouvé
par syllogisme qu'il est noir et non noir tout à la fois, quand on aura terminé
son interrogation. Mais cette erreur reste souvent cachée: et c'est dans tous
les cas où lorsqu'on dit la chose avec une restriction, le sens absolu
semblerait devoir suivre, et dans tous ceux où il n'est pas facile de voir
lequel des deux sens on doit prendre au propre. Et cela se présente toutes les
fois que les opposés sont également au sujet. Il paraît, en effet, ou que les
deux en même temps, ou que ni l'un ni l'autre, ne doivent être attribués
absolument : par exemple, si une moitié est blanche et l'autre moitié noire, on
demande si la chose est blanche ou noire?
§ 4. D'autres paralogismes ont lieu parce qu'on n'a pas défini ce que c'est que
le syllogisme ou la réfutation, et ils tiennent à l'oubli de la définition, la
réfutation est la contradiction d'une seule et même chose, non pas d'un mot,
mais d'une chose réelle : et si c'est un mot, non pas d'un mot synonyme, mais du
même mot, restant le même nécessairement d'après les données initiales, sans
compter le principe, et restant le même relativement au même rapport pour la
même chose de la même manière et dans le même temps. Et de même quand on se
trompe sur quelque point. Parfois en laissant de côté une partie des conditions
qu'on vient d'indiquer, on paraît réfuter : et l'on dit, par exemple, qu'une
même chose est double et n'est pas double; car deux sont le double de un, mais
ne sont pas le double de trois. Et si la même chose est le double, et n'est pas
le double d'une même chose, c'est que ce n'est pas sous le même rapport ; car
elle est le double en longueur et ne l'est pas en largeur. Ou bien, si elle est
le double de la même chose sous le même rapport et la même façon, ce ne sera pas
en même temps. Aussi n'est-ce une réfutation qu'en apparence. Du reste, on
pourrait ramener ce paralogisme à ceux qui sont relatifs aux mots.
§ 5. Ceux qui ont lieu par pétition de principe se font de la même manière, et
d'autant de façons, qu'on peut faire pétition de principe; ils semblent réfuter,
parce qu'on ne peut voir nettement le même et l'autre.
§ 6. La réfutation relative à la conséquence a lieu parce qu'on suppose que la
consécution est réciproque. Ainsi, lorsque telle chose étant, telle autre est de
toute nécessité, on pense en outre que cette dernière étant, l'autre sera
nécessairement aussi. C'est de là que se forment encore même des erreurs de
sensation dans la pensée : car souvent on a pris de la bile pour du miel, parce
que la couleur jaunâtre est un conséquent du miel. Et comme il arrive quand il
pleut que la terre devient glissante, si elle est glissante on suppose qu'il a
plu : mais il n'y a rien là de nécessaire.
§ 7. Dans la rhétorique, les démonstrations tirées d'un signe viennent aussi des
conséquents. Si l'on veut prouver que tel homme est débauché, on prend la
conséquence, laquelle est qu'il se pare beaucoup , et qu'on le voit errer la
nuit. Or ces circonstances se présentent pour bien des gens, mais l'attribut ne
leur appartient pas.
§ 8. Et de même dans les discussions par syllogismes : par exemple, le mot de
Mélissus qui soutient que l'univers est infini parce qu'il suppose que l'univers
est incréé; car rien ne se fait de rien, mais ce qui est a été dès le
commencement. Si donc l'univers n'a pas été créé, l'univers n'a pas de
commencement, il est donc infini. Mais il n'y a pas de nécessité à cela; car, de
ce que tout ce qui a été créé a un commencement, il ne s'ensuit pas que si
quelque chose a un commencement il ait été créé, pas plus que si celui qui a la
fièvre a chaud, il n'y a pas nécessité que celui qui a chaud ait la fièvre.
§ 9. Ceux qui tiennent à ce qu'on prend pour cause ce qui ne l'est pas ont lieu,
lorsqu'on prend ce qui n'est pas cause comme si la réfutation en venait. C'est
ce qui se présente dans les syllogismes par réduction à l'absurde; car dans ces
syllogismes, il faut nécessairement détruire quelqu'une des données initiales.
Si donc on a compté dans les propositions nécessaires, avant la conclusion, la
proposition absurde, la réfutation semblera tenir à cette proposition même. Et
par exemple, quand on soutient que l'âme et la vie ne sont pas la même chose. En
effet, si la génération est contraire à la destruction, telle génération sera
contraire à telle destruction, mais la mort est une sorte de destruction, et
elle est contraire à la vie : ainsi la vie est génération, et vivre c'est être
engendré. Or, ceci est absurde; donc l'âme et la vie ne sont pas identiques. Ici
l'on n'a pas fait certainement de syllogisme ; car la conséquence absurde se
produit sans même avancer que l'âme et la vie sont la même chose; mais il suffit
de soutenir que la vie est contraire à la mort, qui est une destruction, et que
la génération est contraire à la destruction. Ces raisonnements ne sont pas tout
à fait incapables de conclure, mais ils ne concluent pas pour l'objet en
question : et ce vice échappe souvent à ceux-là même qui posent les questions.
§ 10. Tels sont donc les paralogismes relatifs à la conséquence et à ce qui
n'est pas cause.
§ 11. Ceux qui consistent à ne faire de deux questions qu'une seule, ont lieu
quand on ne sait pas qu'il y a plusieurs choses, et qu'on donne une seule
réponse, comme s'il n'y avait, en effet, qu'une chose en question. Parfois, il
est facile de voir qu'il y a plusieurs choses, et qu'il ne faut pas donner de
réponse unique. Par exemple, la terre est-elle mer ou ciel? Parfois cela est
moins facile, et l'on répond comme s'il n'y avait qu'une seule chose, et alors
on se trouve réfuté; ou bien l'on accorde le sujet en discussion en ne répondant
pas à ce qu'on demande, et alors on paraît être réfuté. Par exemple, on demande
si un tel et un tel est homme? et on conclut que si l'on frappe tel et tel, on
frappera un homme et non pas des hommes. Ou encore Si l'on demande, de choses
dont les unes sont bonnes et dont les autres ne le sont pas, toutes ensemble
sont-elles bonnes ou ne le sont-elles pas ? Quoi qu'on dise, on risque de prêter
à une réfutation, ou de paraître faire du moins une erreur apparente; car il y a
une égale erreur à dire que, parmi des choses qui ne sont pas bonnes, telle
chose est bonne, et que, parmi des choses qui sont bonnes, telle chose ne l'est
pas. Parfois aussi, en ajoutant certaines données, c'est une véritable
réfutation qu'on se prépare. Ainsi, par exemple, si on suppose que une ou
plusieurs choses sont également dites blanches, et nues, et aveugles: car si un
être est aveugle, qui n'a pas la vue quand il est fait naturellement pour
l'avoir, les choses qui n'ont pas la vue, quand elles sont faites par la nature
pour l'avoir, seront aussi aveugles. Si donc, l'une a la vue et que l'autre ne
l'ait pas, les deux ensemble seront ou aveugles ou voyantes, ce qui est
impossible. |
§ 2. Car de cette façon...
Les Sophistes, L'édition de Berlin ne donne cette phrase que
dans les variantes, et non dans le texte. - Il sera autre que
lui-même, Voir l'Euthydème de Platon, pas. 420, trad. de M.
Cousin.
§ 3. Ce qui est dit au
particulier, avec restriction et avec une relation qui le
limite.
§ 4. Sans compter le
principe, C'est-à-dire sans faire de pétition de principe.
L'expression peut paraître assez singulière.
§ 5. D'autant de façons
qu'on peut faire pétition de principe, voir Topiques, liv. 8.
ch. 13, et surtout Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 16. - Le
même et l'autre, Distinguer les deux formes diverses sous
lesquelles se présente le principe que l'on répète.
§ 5. On a pris, C'est
la leçon de l'édition de Berlin: les éditions ordinaires donnent :
on prend.
§ 7. Tirées de signes, Ce
sont les enthymèmes , Voir Premiers Analytiques, liv. 2, ch. 27, §
1.
§ 9. Avant la conclusion
la proposition absurde, L'édition de Berlin dit seulement : Si
donc on a compté dans les propositions relativement à la conclusion
absurde..., ce qui n'a pas de sens. J'ai conservé la leçon
ordinaire. - La vie est génération, Proposition absurde.
§ 11. Ou ciel.
L'édition de Berlin donne : ou le ciel, et alors un pourrait
entendre comme a fait le commentaire d'Alexandre : la terre est-elle
la mer? le ciel est-il la mer? - On répond, et alors on se trouve
réfuté, L'édition de Berlin supprime ces deux phrases sans citer
d'autorité. C'est une leçon déjà adoptée par Sylburge; j'ai préféré
suivre la leçon ordinaire. - Un tel et un tel est homme, au
lieu de : sont hommes. |
CHAPITRE VI.
On peut rapporter tous les paralogismes à l'ignorance de la définition vraie de
la réfutation - Résumé. |
§ 1. C'est donc ainsi qu'il faut diviser
les syllogismes apparents et les réfutations apparentes : ou l'on peut encore
les ramener à l'ignorance de la réfutation, et partir de ce principe. En effet,
on peut très bien rapporter toutes les nuances indiquées à la définition de la
réfutation.
§ 2. D'abord, on le peut, si ces paralogismes ne sont pas concluants; car il
faut que la conclusion sorte des données, de telle sorte qu'on la tire
nécessairement, et que ce ne soit pas une simple apparence.
§ 3. Ensuite, on le peut même en ne s'attachant qu'aux parties de la définition.
Ainsi, des paralogismes relatifs au mot, les uns viennent d'un double sens: par
exemple, l'homonymie, l'amphibologie et la similitude de forme. On admet
habituellement que tous ces paralogismes signifient quelque chose d'analogue.
Quant à la combinaison, la division et la prosodie, elles forment des
paralogismes parce que le sens n'est pas le même, ou que le mot est différent.
Or, il faudrait que le mot fût identique, comme il faudrait que la chose le fût,
pour qu'il y eût syllogisme ou réfutation. Par exemple, s'il s'agit de vêtement,
il faut conclure non pas manteau, mais vêtement; car manteau peut être très
vrai, mais on ne l'a pas mis dans le syllogisme. Il faut donc encore se faire
accorder, par une nouvelle interrogation, que ce mot signifie la même chose que
l'autre, si l'interlocuteur demande pourquoi on l'emploie.
§ 4. Les paralogismes relatifs à l'accident sont de toute évidence, quand on
définit le syllogisme. Ainsi, il faut que la définition de la réfutation soit la
même, si ce n'est qu'on y ajoute la contradiction ; car la réfutation n'est que
le syllogisme de la contradiction. Si donc il n'y a pas de syllogisme de
l'accident, il n'y a pas non plus de réfutation. En effet, si telles choses
étant, il y a nécessité que telle autre chose soit, il ne s'ensuit pas que telle
chose étant blanche il y ait nécessité que, par syllogisme, telle autre chose
soit blanche. Il n'y a pu plus nécessité que le triangle ayant ses angles égaux
à deux droits, et ayant pour accident d'être une figure, soit comme primitif,
soit comme principe, la figure primitif ou principe, ait cette propriété du
triangle. La démonstration de cette propriété se fait du triangle. non pas en
tant qu'il est figure ou primitif, mais en tans que triangle. Et de même pour
tous les autres cas. Ainsi donc, si la réfutation est une sorte de syllogisme,
il n'y aura pas de réfutation venant de l'accident. Mais pour, tant c'est sur ce
point-là que les artistes et les habiles, en général, sont réfutés par les
ignorants; car ils font des syllogismes de l'accident contre ceux qui savent;
mais ceux qui ne peuvent diviser la question, ou accordent ce qu'on leur
demande, ou, sans l'avoir accordé, paraissent pourtant l'avoir concédé.
§ 5. Les réfutations par expression restrictive et absolue, ont lieu parce que
la négation et l'affirmation ne s'appliquent pas à la même chose; car de ce qui
est blanc en partie, la négation est ce qui n'est pas blanc en partie; de ce qui
est blanc absolument, la négation est ce qui n'est pas blanc absolument. Si
donc, lorsqu'on accorde que la chose est blanche en partie, l'adversaire suppose
qu'elle l'est absolument, il ne fait pas une réfutation véritable; mais s'il
paraît en faire une, c'est seulement parce qu'on ignore ce que c'est que la
réfutation.
§ 6. Les plus évidents de tous les paralogismes sont ceux dont on a parlé
d'abord, et qui sont relatifs à la définition de la réfutation. Voici pourquoi
on les a nommés ainsi : c'est que cette apparence de réfutation se produit par
l'absence même de la définition. Mais, en divisant les paralogismes, ainsi que
nous l'avons fait, on peut dire qu'un vice commun à tous, c'est le défaut de
définition.
§ 7. Ceux qui viennent de pétition de principe, et de ce qu'on prend pour cause
ce qui ne l'est pas, ceux-là sont évidents par la définition même de la
réfutation; car il faut que la conclusion ait lieu parce que telles propositions
sont vraies, ce qui ne peut se faire avec des termes qui ne sont pas causes, et
de plus en tenant compte du principe, ce que ne font pas les paralogisme par
pétition de principe.
§ 8. Ceux qui ont lieu par consécution ne sont qu'une partie de ceux qui sont
relatifs à l'accident; car le conséquent n'est qu'un accident. Mais il diffère
de l'accident en ce que l'accident ne s'applique qu'à une seule chose par
exemple, le blond et le miel sont la même chose, ainsi que le blanc et le cygne;
mais le conséquent est toujours dans plusieurs choses. En effet, pour les choses
qui sont identiques à une seule et même chose, nous admettons qu'elles sont
identiques entre elles, et voilà comment a lieu la réfutation par consécution.
Mais ce n'est pas absolument vrai, et par exemple, ceci est faux si une chose
n'est blanche que par accident. Ainsi la neige le cygne sont identiques sous le
rapport de la blancheur. Ou encore, c'est comme dans la définition de Mélissus
qui suppose que naître et avoir un commencement c'est la même chose. Ou bien,
c'est supposer qu'il y a identité entre devenir égal et prendre la même
grandeur. En effet Mélissus pense que ce qui est né a un commencement et que ce
qui a un commencement doit être né, comme si le créé et le fini étaient tous
deux identiques, en ce qu'ils ont tous deux un commencement. Et de même pour les
choses qui deviennent égales, si l'on suppose que les choses qui prennent une
seule et même grandeur deviennent égales, et que les choses devenues égales
reçoivent aussi une même grandeur. Ainsi Mélissus prend ici le conséquent pour
le sujet même. Puis donc que la réfutation de l'accident vient de l'ignorance de
la réfutation, il est évident qu'il en est de même du paralogisme par
consécution. On peut encore examiner ceci d'une autre manière.
§ 9. Les réfutations qui se font parce qu'on réunit plusieurs questions en une
seule, ont lieu parce qu'on ne démembre pas, et qu'on ne divise pas la
définition de la proposition. La proposition est une seule chose dite pour une
seule chose; car la même définition ne va qu'à une seule chose et absolument à
cette seule chose: par exemple, la définition de l'homme ne va qu'à l'homme seul
: et de même pour les autres cas. Si donc une proposition une et seule est celle
qui ne prononce qu'une chose d'une seule chose, une interrogation de ce genre
sera absolument aussi une proposition. Or, les syllogisme se composant de
propositions, et la réfutation étant un syllogisme, la réfutation aussi se
composera de propositions. Si donc la proposition n'énonce qu'une chose d'une
seule chose, il est évident que le syllogisme rentre aussi dans l'ignorance de
la réfutation. En effet, c'est alors une proposition qui paraît être proposition
sans l'être réellement. Si donc l'on donne la réponse comme pour une seule
demande, il y aura réfutation; si on ne l'a pas donnée, mais qu'on paraisse
l'avoir donnée, ce ne sera qu'une réfutation apparente.
§ 10. En résumé donc, toutes ces nuances reviennent à l'ignorance de la
réfutation, les unes relatives au mot parce qu'il y a contradiction apparente,
ce qui était le propre de la réfutation, les autres parce qu'elles se rapportent
à la définition du syllogisme. |
§ 6. Dont on a parlé
d'abord, Plus haut. § 1. - Ainsi que nous l'avons fait,
Ibid., et plus haut, ch. 1. § 1.
§ 7. Il faut que la
conclusion... L'édition de Berlin dit : II faut que la
conclusion se produise, parce que telles choses sont causes qu'elle
a lieu. - En tenant compte du principe, C'est-a-dire en ne le
répétant pas dans la conclusion, en ne faisant pas de pétition de
principe.
§ 8. Le blond et le miel,
Le blond accident du miel. - Le blanc et le cygne, le blanc
accident du cygne. - D'une autre manière, Voir plus loin, ch.
28, où cet autre manière sera indiquée.
§ 9. Une et seule.
L'édition de Berlin ne donne que une, et laisse seule
dans les variantes.
§ 10. Toutes ces nuances,
L'édition de Berlin dit : lieux, comme elle l'a fait plus haut, ch.
4, § 10. |
CHAPITRE VII.
Des causes de l'erreur : elles sont identiques à celles des paralogismes. |
§ 1. L'erreur provient, dans les
paralogismes relatifs à l'homonymie et à la définition, de ce qu'on ne peut
distinguer les sens divers dans lesquels la chose est prise. C'est qu'il y a
certaines choses qu'il n'est pas aisé de diviser, comme l'un, l'être,
l'identique.
§ 2. Et pour les paralogismes relatifs à la combinaison et à la division, c'est
parce qu'on croit qu'il n'y a pas de différence entre l'expression combinée et
l'expression divisée, comme dans la plupart des cas.
§ 3. Et de même pour ceux qui se rapportent à la prosodie; car l'intonation
affaiblie ou tendue ne paraît point signifier une chose différente dans aucun
cas, ou du moins elle ne paraît pas le signifier dans beaucoup de cas.
§ 4. Pour ceux qui sont relatifs à la forme du mot, c'est par la ressemblance
qu'ils se produisent. En effet, il est difficile de bien déterminer quels sont
les mots qui se disent de la même manière et ceux qui se disent autrement. Mais
celui qui peut faire cette distinction est bien près de voir la vérité, et
surtout il sait l'accorder. C'est qu'en effet nous supposons que tout attribut
d'une chose est quelque chose, et que nous l'identifions avec elle : et c'est
ainsi que l'individuel et l'être nous paraissent être nécessairement la
conséquence de l'un et de la substance.
§ 5. Ainsi donc, parmi les réfutations relatives au mot, il faut placer cette
espèce d'abord, parce que l'erreur a bien plus souvent lieu , quand on discute
avec les autres que quand on discute avec soi-même; car l'examen avec un autre
se fait par des discours, tandis que l'examen à part soi se fait au moins autant
par la chose même. II arrive, du reste, que l'on se trompe dans cet examen
personnel, même quand on fait porter son étude sur le raisonnement. L'erreur
vient encore ici de la ressemblance; et la ressemblance tient au mot.
§ 6. Quant aux paralogismes de l'accident, ils ont lieu parce qu'on ne peut
distinguer le même et l'autre, l'unité et la pluralité, et que les accidents ne
sont pas toujours identiques, et pour les attributs qualifiés et pour la chose
même.
§ 7. Et de même pour ceux qui sont relatifs à la consécution; car le conséquent
est une partie de l'accident. Dans la plupart des cas, il paraît, et l'on croit,
que si ceci n'est pas séparé de cela, l'une des choses ne peut pas être séparée
de l'autre.
§ 8. Pour ceux qui sont relatifs au défaut de définition, et pour ceux qui ne
tiennent qu'à une expression restrictive ou absolue, l'erreur est presque
insaisissable; car nous accordons la proposition universelle, comme si telle
qualité, telle restriction, telle expression absolue, telle indication de
manière ou de temps, n'ajoutaient rien à la proposition initiale.
§ 9. Et de même pour ceux qui font pétition de principe, ou prennent pour cause
ce qui n'est pas cause, et tous ceux qui confondent plusieurs questions en une
seule. Dans tous, en effet, l'erreur a lieu, parce qu'elle vient peu à peu; car
nous ne définissons exactement, ni la proposition ni le syllogisme, par le motif
que nous avons dit antérieurement. |
§ 3. L'intonation
affaiblie ou tendue, La prononciation diverse suivant les
esprits, les accents, les brèves et les longues, etc.
§4. Il sait l'accorder,
A l'inter locuteur qui la lui demande.
§ 9. Que nous avons dit
antérieurement, Plus haut, § 1. |
CHAPITRE VIII.
Les syllogismes et les réfutations sophistiques sont aussi nombreuses que les
syllogismes et les réfutations apparentes. |
§ 1 . Puisque nous savons tous les cas où
se produisent les syllogismes apparents, nous savons aussi ceux où se produisent
les syllogismes sophistiques et les réfutations sophistiques. J'appelle
syllogisme sophistique et réfutation sophistique, non seulement le syllogisme ou
la réfutation qui semblent l'être sans l'être réellement, mais, encore, celui
qui l'étant vraiment, paraît faussement spécial à la chose en question. Tels
sont ceux qui ne réfutent pas relativement à la chose même et qui ne démontrent
pas qu'on l'ignore; ce qui est le but même de l'art exercitif. Mais cet art est
une partie de la dialectique. Elle peut, elle aussi, conclure le faux par
l'ignorance de celui qui donne la réponse. Quant aux réfutations sophistiques,
même quand elles concluent la contradiction, elles ne montrent pas évidemment
l'ignorance de l'adversaire; car tout ce qu'elles prétendent, c'est
d'embarrasser par ces raisonnements celui qui sait.
§ 3. Il est clair que nous les avons aussi par la même méthode; car toutes les
fois qu'il paraît aux auditeurs que la conclusion résulte des questions posées,
toutes les fois aussi cela duit paraître également, même à celui qui répond, de
sorte que les syllogismes seront faux par ces questions mêmes, soit toutes, soit
quelques-unes. En effet, ce qu'on pense avoir accordé sans avoir été interrogé,
on l'accorderait également si l'on était interrogé; si ce n'est que dans
certains cas, il arrive qu'en demandant ce qui manque pour la conclusion, on
dévoile en même temps l'erreur, comme dans les paralogismes relatifs aux mots et
au solécisme. Si donc les paralogismes de la contradiction ne tiennent qu'à la
réfutation apparente, il est évident qu'il y aura également syllogisme du faux
dans tous les cas où il y aura réfutation apparente.
§ 4. Mais la réfutation apparente se produit par l'omission des parties de la
véritable; car, chaque partie venant à manquer, la réfutation n'est plus
qu'apparente : comme celle qui tient à ce que la conclusion ne sort pas des
données initiales, celle qui procède par réduction à l'absurde, ou celle qui des
deux questions n'en fait qu'une seule et pèche contre la proposition: et celle
qui vient de ce que l'argument, au lieu de porter sur la même chose, ne porte
que sur l'accident, et la réfutation qui n'est qu'une partie de celle-là, et
s'adresse au conséquent. Puis il y a encore la réfutation qui consiste à montrer
que l'argument vaut non pour la chose, mais pour les mots seuls. Puis il y
aurait aussi la réfutation qui résulte de ce que, au lieu de l'universel, on a
pris la contradiction, et pour le même objet et sous le même rapport, et de la
même façon particulièrement, ou pour chacune de ces nuances. Reste, enfin, la
réfutation relative à la pétition de principe, quand ou tient compte de ce qui a
été posé dans le principe. Ainsi donc, nous savons tous les cas où se produisent
les paralogismes, car ils ne peuvent se produire de plus de manières; tous ils
ont lieu dans les cas qui ont été indiqués.
§ 5. La réfutation sophistique n'est point absolument une réfutation, c'est une
réfutation seulement pour tel interlocuteur. Il en est de même du syllogisme
sophistique. En effet, si la réfutation par homonymie ne pose pas que le mot n'a
qu'un seul sens, si la réfutation par ressemblance des mots ne pose pas qu'elle
ne s'attache qu'à tel mot seulement, et si toutes les autres ne font pas des
réserves pareilles, elles ne sont plus des syllogismes, ni absolument parlant,
ni même relativement à l'interlocuteur. Si elles font ces réserves, ce sont des
syllogismes bons pour l'interlocuteur: mais, absolument parlant, elles n'en sont
pas; car elles prennent, non pas une expression qui n'ait qu'un sens, mais une
expression qui parait seulement n'avoir qu'un sens, et qui ne peut être ainsi
comprise que de l'interlocuteur. |
§ 4. Et pèche contre la
proposition, La suppression d'un article dans l'édition de
Berlin change légèrement le sens; J'ai suivi la leçon de Pacius.
Sylburge a la leçon du l'édition de Berlin. - Quand on tient
compte, C'est la leçon de Pacius et de Sylburge. L'édition de
Berlin admet ici une négation qu'avaient déjà donnée plusieurs
éditions; le sens est également acceptable, et peut-être même
serait-il meilleur, Il faudrait alors traduire: Quand on ne veut pas
compte du principe, c'est-à-dire qu'on le répète dans la conclusion.
Voir plus haut, ch. 6 § 7. |
CHAPITRE IX.
Il faudrait posséder toutes les sciences, pour connaître toutes les réfutations
possibles, vraies ou fausses. Il faut donc se borner aux réfutations
dialectiques. |
§ 1. Pour savoir de combien de manières
la réfutation vraie peut avoir lieu, il ne faudrait pas moins que posséder la
connaissance totale de toutes choses. Mais il n'y a pas d'art qui puisse jamais
enseigner rien de pareil. En effet, les sciences sont peut-être infinies en
nombre, de sorte qu'il est évident que les démonstrations le sont également.
Mais il y a des réfutations aussi qui sont vraies; car tout ce qu'on peut
démontrer, on peut aussi le réfuter en posant la contradiction du vrai : par
exemple, si l'on a supposé que le diamètre est commensurable, on réfutera en
démontrant qu'il est incommensurable. Pour connaître toutes les réfutations, il
faudrait donc tout savoir; car les unes seront relatives aux principes de
géométrie et aux conclusions qu'on en tire, les autres aux principes de
médecine, et les autres aux principes des autres sciences.
§ 2. D'un autre côté, les réfutations fausses ne seront pas moins infinies: en
effet, dans chaque art il y a le faux syllogisme; en géométrie, le géométrique;
en médecine, le médical. Quand je dis dans chaque art, j'entends toujours que le
syllogisme s'adresse aux principes de cet art.
§ 3. Il est donc clair qu'il ne faut pas vouloir rassembler les lieux de toutes
les réfutations sans exception, mais qu'il faut se borner à celles de la
dialectique; car ces lieux-là s'étendent à tout art, à tout exercice de
l'esprit.
§ 4. Quant à la réfutation spéciale dans chaque science, c'est au savant de la
connaître, de distinguer, quand elle n'est pas réelle, qu'elle est simplement
apparente: et, quand elle est vraie, pourquoi elle l'est. Quant à celle qui se
tire de principes communs, et qui n'appartient spécialement à aucun art, c'est
au dialecticien seul de l'étudier.
§ 5. En effet, si nous savions d'où se tirent les syllogismes probables sur un
sujet quelconque, nous saurions aussi d'où se tirent les réfutations; car la
réfutation n'est que le syllogisme de la contradiction, de sorte que, soit un,
soit deux syllogismes de contradiction forment une réfutation: et nous savons
déjà tous les lieux d'où viennent les réfutations de ce genre.
§ 6. Une fois arrivée à ce point, nous aurions aussi des solutions; car les
objections à ces réfutations sont des solutions.
§ 7. Nous savons tous les cas où ont lieu celles aussi qui ne sont
qu'apparentes; apparentes, non pas même pour tout le monde, mais pour telles
personnes particulièrement. Mais ou pourrait trouver, si l'on y regardait de
près, qu'il y a une infinité de faces où elles sembleraient apparentes au
vulgaire.
§ 8. En résumé, on voit donc clairement qu'il appartient au dialecticien de
pouvoir connaître tous les cas, où se produit par des principes communs, ou la
réfutation réelle, ou la réfutation simplement apparente, ou la réfutation
dialectique, ou la réfutation qui parait dialectique, ou enfin la réfutation qui
n'a pour objet que d'essayer les forces de l'adversaire. |
§ 4. C'est au dialecticien,
L'édition de Berlin donne le pluriel sans citer d'autorité; cette
variante est sans importance. |
CHAPITRE X.
Il n'y a pas, comme on l'a dit souvent, raisonnements de mots, raisonnements de
pensée : les uns et les autres se confondent. |
§ 1. Il n'y a pas cette différence entre
les raisonnements que l'on prétend parfois y trouver, raisonnements de mots et
raisonnements de pensée. Il est absurde de croire que les raisonnements de mots
soient autres que les raisonnements de pensée, et que les uns et les autres ne
soient pas les mêmes.
§ 9. Qu'est-ce, en effet, que raisonner contre la pensée, si ce n'est se servir
du mot qu'a accordé l'interlocuteur, dans un sens où il n'a pas cru être
interrogé? Mais cela même aussi se rapporte au mot. Rester dans la pensée, c'est
comprendre la chose dans le sens où l'interlocuteur l'a donnée. Mais si, lorsque
le mot a plusieurs sens, on s'imagine qu'il n'en a qu'un seul, aussi bien celui
qui interroge que celui qui est interrogé: par exemple, l'autre, l'un, ont
plusieurs sens; mais si Zénon qui interroge et son interlocuteur ont supposé
dans l'interrogation qu'il n'y avait qu'un sens unique, et que l'on trouve à
cette conclusion que tout est un ; si, dis-je quelqu'un agit ainsi, il aura
discuté non pas seulement la fin mais aussi la pensée pour l'objet en question.
Que, si l'on supposait au contraire que le mot a plusieurs sens, il est clair
que ce n'est pas à la pensée que l'argument s'adresse.
§ 3. En effet, c'est dans les raisonnements qui ont plusieurs sens qu'il faut
d'abord chercher cette distinction du mot et de la pensée.
§ 4. Puis ensuite, il faut voir à qui ils s'adressent; car ce n'est pas tant
dans l'expression que consiste le raisonnement relatif à la pensée; que dans la
disposition particulière où se trouve l'interlocuteur, relativement aux
principes accordés.
§ 5. Il se peut de plus que tous ces raisonnements de pensée s'adressent aussi
au mot, puisqu'ici ne s'adresser qu'au mot, c'est ne point s'adresser à la
pensée. En effet, s'ils ne s'y rapportaient pas tous, il y en aurait alors
quelques uns qui seraient tout autres et qui ne seraient ni de mot ni de pensée.
Mais on prétend que tous les raisonnements sont ainsi, et on les divise tous en
raisonnements de mot et raisonnements de pensée, n'en voulant pas reconnaître
d'autres. Pourtant, parmi tous les syllogismes qui tiennent aux sens divers des
mots, il y en a quelques uns qui ne sont pas relatifs au mot. En effet, c'est à
tort qu'on prétend appeler tous les paralogismes d'expression paralogismes de
mots. Mais il y a sûrement certains paralogismes qui ont lieu, non pas parce que
celui qui répond est à l'égard de la question disposé de telle façon, mais parce
que l'argumentation elle-même renferme une question qui peut présenter plusieurs
significations.
§ 6. Il est aussi tout à fait absurde de discuter sur la réfutation sans avoir
préalablement discuté sur le syllogisme; car la réfutation n'est qu'un
syllogisme, de sorte qu'il faut avoir discuté sur le syllogisme avant de passer
à la fausse réfutation. En effet, cette réfutation n'est que le syllogisme
apparent de la contradiction. Ainsi, la cause de l'erreur est ou dans le
syllogisme ou dans la contradiction ; car il faut ajouter aussi la
contradiction, et tantôt elle est dans les deux, si c'est une réfutation
apparente. Ainsi, clans le cas de ce paralogisme que celui qui se tait parle,
l'erreur est dans la contradiction et non dans le syllogisme. Dans cet autre que
l'on peut donner ce que l'on n'a point, l'erreur est dans les deux. Dans cet
autre enfin, que la poésie d'Homère est une figure parce qu'elle est un cycle,
l'erreur est dans le syllogisme. Mais là où l'erreur n'est ni de l'un ni de
l'autre côté, le syllogisme est vrai.
§ 7. Mais pour revenir au point d'où la discussion est partie, y a-t-il dans les
mathématiques des raisonnements qui s'adressent ou ne s'adressent pas à la
pensée? Et s'il paraît à quelqu'un que triangle a plusieurs sens, et si on l'a
concédé, sans que ce soit d'ailleurs pour cette figure de laquelle on conclut
qu'il a ses angles égaux à deux droits, le raisonnement ainsi obtenu répond-il,
ou non, à la pensée de l'interlocuteur?
§ 8. Si le mot a plusieurs sens, et qu'on ne le sache pas, ou qu'on n'y pense
pas, comment le raisonnement peut-il ne pas répondre à la pensée? Ou bien
comment faut-il poser l'interrogation, si ce n'est de demander de nouveau, après
avoir obtenu la division, s'il est possible que celui qui se tait parle, ou si
ce n'est pas possible; ou bien si c'est en partie impossible et en partie
possible? Si l'interlocuteur ne fait aucune concession et que l'on continue de
discuter, doit-on dire pour cela qu'on n'a point argumenté contre sa pensée? Et
cependant le raisonnement, dans ce cas, parait un simple raisonnement de mots.
Il n'y a donc pas un genre particulier de raisonnements relativement à la
pensée.
§ 9. Il y eu a quelques uns qui ne sont relatifs qu'aux mots; mais l'on ne
saurait mettre dans cette classe, je ne dis pas seulement toutes les
réfutations, mais encore toutes les réfutations apparentes; car il y a aussi des
réfutations apparentes qui ne sont pas relatives à l'expression: par exemple,
celles qui sont relatives à l'accident, et bien d'autres.
§ 10. Mais si l'on prétend diviser ainsi : Quand je dis que celui qui se tait
parle..., la chose est en partie de cette façon, est en partie d'une autre. La
première observation à faire tout d'abord c'est qu'il est absurde de penser
ainsi ; car quelquefois la chose mise en questions ne paraît pas avoir plusieurs
façons d'être, et il est impossible de diviser ce qu'on ne pense pas comme
multiple. De plus, que sera-ce qu'expliciter la chose, si ce n'est faire
connaître évidemment ce qu'elle est à l'interlocuteur qui n'a point recherché,
qui ne sait si elle peut être autrement, et qui ne le suppose même pas? Et qui
empêche même de faire cela pour les choses qui ne sont pas doubles? Les unités
sont-elles donc, égales aux dyades dans le nombre quatre? Or, les dyades sont,
celles-ci de cette façon, celles-là d'une autre. Y a-t-il ou n'y a-t-il pas une
notion unique des contraires? Mais parmi les contraires les uns sont connus, les
autres inconnus. Ainsi donc, on paraît ignorer quand on pense cela, qu'enseigner
est tout autre chose que discuter, et qu'il faut que celui qui enseigne
n'interroge pas, mais éclaircisse lui-même les choses, tandis que l'autre doit
interroger. |
§ 5. Qui ne sont pas
relatifs au mot, L'édition de Berlin ne donne pas de négation.
C'est la leçon qu'adopte Sylburge. Ce qui suit ne semble exiger la
leçon que je conserve avec Pacius et Isingrinius.
§ 6. Que celui qui se tait
parle, L'équivoque consiste en ce que la phrase grecque peut
également signifier : celui qui se tait parle ; ou bien : dire des
choses qui se taisent; Voir plus haut, chap. 4, et § 4, et
l'Euthydème de Platon, p. 120, de la trad. de V. Cousin. - Cycle,
signifie également en grec cercle et une espèce de poésie.
§ 10. Les unités
sont-elles donc égales aux dyades, Les unités qui sont dans le
nombre quatre sont, étant prises ensemble, égales aux deux dyades
qui composent ce nombre; mais les unités prise séparément ne sont
pas égales au dyades prises séparément aussi. |
CHAPITRE XI.
Différences des divers arts qui concernent le raisonnement : rôle de la
démonstration ; rôle de la dialectique ; caractère de la sophistique et du
raisonnement contentieux. |
§ 1. Ce n'est pas quand on démontre qu'il
faut demander à l'interlocuteur d'affirmer on de nier des propositions; c'est
seulement quand on veut essayer les forces de l'adversaire. En effet, l'art
exercitif est une sorte de dialectique; et il examine et observe en tout sens,
non pas celui qui sait, mais celui qui ignore et qui feint de savoir.
§ 2. Celui donc qui, dans une chose, ne regarde que les principes communs,
celui-là est dialecticien, et celui qui ne le fait qu'en apparence est un
sophiste.
§ 3. Le syllogisme contentieux et sophistique est celui qui n'a que l'apparence
d'un syllogisme, dans les matières où la dialectique fait ses essais ordinaires,
bien que la conclusion soit vraie; car ce syllogisme nous laisse dans l'erreur
sur la cause véritable de la conclusion. On peut encore ranger dans cette classe
tous les paralogismes qui, sans être conformes à la méthode vraie de chaque
chose, paraissent être établis suivant toutes les règles de l'art. C'est qu'en
effet les descriptions fausses des choses ne sont pas susceptibles de dispute;
car les paralogismes alors se rapportent à des choses qui sont du domaine de la
science. Et il n'y a pas lieu davantage à discussion éristique, si la
description fausse se rapporte à quelque chose de vrai, comme celle d'Hippocrate
et la quadrature par les lunules. Mais un procédé tout éristique, c'est la
méthode par laquelle Bryson carrait le cercle, si toutefois le cercle peut être
carré; mais ce n'est point parce que ce procédé n'était pas propre à la chose
qu'il était sophistique. Ainsi donc, le syllogisme apparent, dans les choses de
ce genre, est un raisonnement contentieux; et le syllogisme apparent, tout
relatif qu'il est à la chose en question, et tout syllogisme qu'il est, est
aussi un raisonnement contentieux. En effet, il ne fait que paraître s'appliquer
à la chose; mais au fond il est trompeur et injuste. C'est que, de même que
l'injustice peut se produire aussi dans un combat, et qu'il y a telle sorte de
lutte qui est tout à fait injuste, de même, dans la discussion, la contradiction
perpétuelle est une injustice contentieuse dans le combat. D'une part, les
lutteurs qui veulent vaincre à tout prix emploient tons les moyens pour y
parvenir; d'autre part, les disputeurs en font autant.
§ 4. Ceux donc qui , pour le seul plaisir de la victoire, se montrent ainsi,
sont des hommes passionnés de la dispute et de la lutte contentieuse. Mais ceux
qui ne pensent qu'à cette réputation qui mène à la fortune, sont des sophistes;
car la sophistique est, comme nous l'avons dit, une sorte de spéculation
d'argent, établie sur une sagesse apparente; et voilà pourquoi ils ne
recherchent aussi qu'une démonstration apparente. Les gens passionnés de
disputes et les sophistes cultivent les mêmes argumentations; mais ce n'est pas
dans le même but.
Le même discours peut être sophistique et éristique tout à la fois; mais ce ne
sera pas pour la même chose. En tant qu'il recherche une victoire apparente, il
est éristique; en tant qu'il vise à une sagesse apparente, il est sophistique;
car la sophistique n'est qu'une sorte (le sagesse apparente et non réelle.
§ 5. L'éristique est au dialecticien à peu près ce que le faux dessinateur est
au géomètre; car c'est en partant des mêmes principes que la dialectique, que
l'un fait ses paralogismes- Et c'est bien dans ce rapport que le faux
dessinateur est à l'égard du géomètre; seulement, ce dernier n'est pas éristique
par cela qu'il dessine mal, c'est en partant des principes et des conclusions
acquises à la science. Mais celui qui se range sous la dialectique sera
évidemment éristique en une foule d'autres choses. Prenons, par exemple, la
quadrature : celle qui se fait par les lunules n'est pas éristique; mais celle
de Bryson a ce caractère. C'est que l'une ne peut être rapportée qu'à la
géométrie, parce qu'elle part de principes qui lui sont propres; l'autre ne
s'adresse qu'au vulgaire, qui ne sait pas ce qu'il y a de possible et
d'impossible dans chaque chose, et qui s'accommode fort bien de cette
démonstration. On ne peut pas non plus traiter d'éristique la solution de la
quadrature d'Antiphon. Ou bien, si quelqu'un nie, en s'appuyant sur l'opinion de
Zénon, qu'il soit bon de se promener après dîner, ce raisonnement n'est pas
médical : il est commun. Si donc, l'éristique était absolument au dialecticien
comme le faux dessinateur est au géomètre, il ne serait pas éristique dans tous
ces cas.
§ 6. Mais le dialecticien n'est pas borné à une espèce déterminée de choses : il
ne démontre rien, et il n'est point du tout comme le philosophe, qui s'occupe de
l'universel ; car toutes choses ne sont pas dans un même genre, et, y
fussent-elles, il ne serait pas possible que tous les êtres fussent sous les
mêmes principes.
§ 7. Ainsi donc aucune science, parmi celles qui démontrent une certaine nature
de choses, n'emploie l'interrogation. En effet, il n'est pas possible ici de
donner indifféremment une quelconque des parties; car le syllogisme ne se forme
pas également avec les deux. La dialectique, au contraire, procède par
interrogation; mais si elle démontrait, non pas tout, mais du moins les éléments
premiers et les principes spéciaux, elle n'interrogerait pas, parce qu'en effet,
si on ne lui accorde rien, il n'y a plus aucun moyen pour elle de discuter
contre l'objection qui lui est faite-
§ 8. Tel est aussi l'art exercitif. En effet, l'exercitif n'est pas comme la
géométrie : mais on peut le posséder sans même posséder la science; car il est
possible que même celui qui ne sait pas une chose, essaie sur cette chose celui
qui ne la sait pas. II suffit que l'interlocuteur accorde des propositions, non
pas d'après ce qu'il sait, non pas d'après les principes propres de la chose,
mais d'après ses conséquences naturelles, qu'on peut fort bien savoir sans que
pour cela on connaisse du tout la science, et qu'on ne peut ignorer sans ignorer
aussi la science. Évidemment, donc, l'art exercitif n'est la science d'aucun
objet déterminé, et voilà pourquoi il s'applique à tout; car toutes les sciences
ont à leur usage quelques principes communs.
§ 9. Voilà pourquoi aussi tous, les hommes, même peu éclairés, se servent en
quelque façon de la dialectique et de l'exercitive; car tous, jusqu'à un certain
point, cherchent à juger ceux qui leur parlent. Et ce sont là des dispositions
communes à tous; car les interlocuteurs ne le savent pas moins, même lorsqu'ils
paraissent s'égarer fort loin du sujet. Ainsi, tout le monde fait des
réfutations; mais on fait sans art ce que fait la dialectique avec beaucoup
d'art; et celui qui essaie les forces de son adversaire avec l'art syllogistique
est dialecticien. Comme ces règles sont nombreuses et s'appliquent à tout, sans
être telles cependant qu'elles forment une espèce et un genre particuliers, mais
qu'elles sont comme les négations, tandis que d'autres ne sont pas du tout
ainsi, mais sont spéciales, on peut essayer d'établir une méthode pour tout
cela, et en tirer un art qui, d'ailleurs, ne sera point du tout pareil aux
sciences de démonstration.
§ 10. C'est là ce qui fait que l'éristique n'est pas de tout point comme le faux
dessinateur; car il ne fait pas de paralogismes pour un genre spécial de
principes; mais l'éristique s'occupe de tous les genres sans distinction.
§ 11. Telles sont donc les diverses sortes de réfutations sophistiques. Il n'est
pas difficile de voir que c'est au dialecticien de les étudier, et de pouvoir
les former; car la méthode des propositions comprend aussi toute cette étude.
Voilà ce qu'on avait à dire sur les réfutations apparentes. |
§ 1. Et observe en tout
sens, L'édition de Berlin ne donne cette phrase que dans les
variantes; j'ai préféré la conserver dans le texte; avec les
éditions ordinaires ; elle n'est pas indispensable.
§ 3. Comme celle
d'Hippocrate de Céos, qui démontrait la quadrature du cercle par
la quadrature des lunules faites sur les côtés du carré. Il ne se
servait que de principes géométriques, bien qu'il arrivât à une
conclusion erronée, et c'est ce que l'on appelle ici description
fausse. - Bryson, au contraire, démontrait la quadrature du
cercle, sans remonter à des principes de géométrie, et en se bornant
à des principes communs. Voir sur la méthode de Bryson et son vice
dans ce chapitre un peu plus bas, § 5, mais surtout les Derniers
Analytiques, liv. 1, ch. 9, § 1. - Dans les choses de ce genre,
c'est-à-dire ne prenant pas des principes propres à la chose et
faisant comme Bryson. - Tout relatif qu'il est à la chose en
question, c'est-à-dire prenant les principes propres à la chose,
et faisant comme Hippocrate de Céos. - Une injustice contentieuse
demie combat, J'ai suivi la leçon de Pacius. Sylburge donne, je
ne sais d'après quelle autorité: est un combat injuste ou
contentieux. L'édition de Berlin change encore davantage la phrase,
bien que le sens reste toujours à peu près le même : dans la
contradiction, la discussion contentieuse est un combat injuste. -
Les lutteurs qui veulent vaincre à tout prix, Les commentateurs
grecs citent l'exemple d'Antiloque, Iliade, chant 23, v. 426 et
suiv., usant de fraude pour vaincre.
§ 4. Comme nous l'avons
dit, voir plus haut, chap. 1, § 6.
§ 5. Le faux dessinateur,
Celui qui dessine des figures fausses en géométrie. - Celle
qui se fait par les lunules, voir plus haut, § 3. - Celle de
Bryson, ibid. - La quadrature d'Antiphon, par les
polygones, dont les côtés augmentaient en nombre de manière à se
confondre avec la circonférence. C'était une démonstration fausse,
mais elle était encore géométrique. - L'opinion de Zénon, que
le mouvement est impossible. Voir le petit traité sur Xénophane,
etc.
§ 6. N'est pas borné à un
genre déterminé, Derniers Analytiques, liv. I, ch. 11, § 8.
C'est la ce qui fait l'importance de la dialectique.
§ 9. Comme les négations,
Le non-homme, le non–cheval sont des expressions indéterminées elles
ne désignent ni un genre, ni une espèce, ni un individu en
particulier.
§ 10. Le faux dessinateur,
Voir plus haut, § 5. |
CHAPITRE XII.
Second et troisième objets de la sophistique : faire que l'adversaire se trompe
et qu'il soutienne des paradoxes. |
§ 1. Quant à prouver que l'interlocuteur
se trompe, et à le mener à soutenir l'improbable, et c'était là le second objet
de la sophistique, ce résultat s'obtient surtout en posant ses demandes d'une
certaine manière, et en dirigeant l'interrogation suivant certaine méthode.
Ainsi, c'est le rechercher, que d'interroger sur un sujet quelconque sans avoir
rien déterminé à l'avance. En effet, en parlant au hasard, on se trompe bien
davantage; et l'on parle au hasard quand le sujet n'est pas bien spécifié.
§ 2. Mais demander plusieurs choses confusément, bien qu'on ait déterminé avec
soin le sujet en question, et laisser l'interlocuteur dire ce que bon lui
semble, ce sont des moyens qui donnent quelque facilité de le conduire à
soutenir l'improbable ou le faux; et, soit qu'il réponde à rune des questions
par affirmation ou par négation, de l'amener sur un sujet où l'on aura des
arguments en nombre. Ce sont, du reste, des procédés dont il est aujourd'hui
moins aisé d'abuser qu'il ne l'était auparavant; parce que les interlocuteurs
savent fort bien demander quel rapport tout ceci peut avoir avec le principe.
§ 3. L'un des moyens d'arriver à obtenir de l'adversaire quelque assertion
fausse ou improbable, c'est de ne soutenir tout d'abord aucune thèse; mais de
prétendre qu'on n'interroge que par simple désir de savoir; car l'examen donne
alors aisément place à l'attaque.
§ 4. Le lieu spécialement sophistique pour montrer que l'adversaire se trompe,
c'est de conduire le raisonnement sur un sujet où l'on abonde en arguments. On
pourra, du reste, user bien ou mal de ce lieu, ainsi qu'on l'a dit précédemment-
§ 5. D'autre part, pour avancer des paradoxes, il faut voir de quel genre de
philosophes est l'interlocuteur, et ensuite lui demander un paradoxe que les
philosophes de cette opinion soutiennent contre le vulgaire; car il y a toujours
dans chaque école quelque chose de pareil; et le moyen ici, c'est de formuler
les opinions spéciales de chacune d'elles dans des propositions.
§ 6. La solution la plus convenable à opposer à ces difficultés, c'est de faire
voir que l'improbable ne vient pas du raisonnement même; car c'est là ce que
veut toujours prouver celui qui vous combat.
§ 7. On peut encore en appeler aux intentions et aux opinions manifestées; car
on ne pense pas et on ne dit pas toujours la même chose : mais l'on soutient
souvent les choses les plus honorables, et l'on ne veut au fond que ce qui
paraît utile. Ainsi l'on prétend hautement qu'il vaut mieux mourir avec gloire
que de vivre avec plaisir; qu'il vaut mieux être pauvre avec honneur qu'être
riche avec honte; et cependant, au fond, on veut tout le contraire. Celui qui ne
parle que d'après ses intentions, il faut l'amener à exprimer ses opinions avec
évidence : et celui qui les exprime, il faut l'amener à produire ses opinions
cachées. De ces deux façons, il est nécessaire qu'on le pousse à des paradoxes;
car il dira le contraire, soit dans ses opinions évidentes, soit dans ses
opinions cachées.
§ 8. Le lieu le plus ordinaire pour faire dire des paradoxes, est celui qui est
attribué à Calliclès dans le Gorgias, et que tous les anciens ont cru pouvoir
employer- On le tire de la nature et de la loi; car on prétend que la nature et
la loi sont contraires, et que la justice est belle selon la loi, mais qu'elle
ne l'est pas selon la nature. Il faut donc à celui qui parle suivant la nature,
lui répondre suivant la loi, et ramener à la nature celui qui parle suivant la
loi; car de ces deux façons, ou arrive à des paradoxes. Ainsi, pour eux, ce qui
est selon la nature est le vrai, et c'est ce qui est selon la loi qui le paraît
au vulgaire. On voit donc |
§ 1. C'était là le second
objet de la sophistique, voir plus haut, ch. 3, § 2.
§ 2. Ou le faux, c'est
le terme même dont il s'est servi, ch. 3, § 2, et qu'il répète ici.
§ 4. Ainsi qu'on lu dit
précédemment. Voir dans les Topiques, liv. 2, ch. 5, § 1.
§ 7. Qu'on le pousse à des
paradoxes, le mot paradoxe n'est pas pris ici dans un sens vrai
puisqu'il ne signifie que contradiction.
§ 8. Le Gorgias de Platon,
voir la traduction de M. Cousin, p- 291 et suiv. - Et que tous
les anciens, le mot est peut-être un peu exagéré puisqu'il
s'agit des sophistes. - Ces gens-là, les anciens sophistes. |
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376 RÉFUTATIONS
DES SOPHISTES, évidemment que ces gens-là, tout comme ceux d'aujour¬d'hui,
essayaient de réfuter l'interlocuteur ou de lui faire faire des paradoxes.
§ 9. Quelques questions sont de telle sorte, que la réponse qu'on y fait est
également improbable dans les deux sens. Par exemple : Faut-il obéir aux sages
ou à son père? Faut-il agir dans son intérêt ou dans celui de la justice ?
Vaut-il mieux souffrir le mal que de le faire ?
§ 10. Il faut mener la discussion sur des sujets où les sages et le vulgaire
soutiennent des opinions contraires. Si l'interlocuteur parle comme les
raisonneurs habiles, on lui oppose l'opinion du vulgaire : et s'il parle comme
le vulgaire, on lui oppose les opinions des penseurs qui ont beaucoup réfléchi.
Ainsi, les uns soutiennent que nécessairement l'homme heureux doit être juste;
mais, pour le vulgaire, ce serait chose incroyable qu'un roi ne fut pas heureux.
§ 11. Mener ainsi à soutenir des opinions improbables, c'est la même chose
absolument que de mener à l'opposition de la nature et de la loi ; car la loi
est l'opinion du vulgaire, mais les sages parlent selon la nature et selon la
vérité.
§ 1a. C'est donc de ces sortes de lieux qu'il faut cher¬cher à tirer des
paradoxes.
SECTION I, CHAPITRE XIII. 377
CHAPITRE XIII.
Cinquième objet de la sophistique ; contraindre l'adversaire à se répéter
vainement.
§ i. Quant à faire bavarder l'adversaire, nous avons déjà dit ce que nous
entendions par faire bavarder. § a. Tous les discours de ce genre n'ont pas
d'autre but que celui-ci : s'il n'y a aucune différence à prendre le mot ou la
définition, et que le double et le double de la moitié soient la même chose, si
le double est le double de la moitié, on dira le double de la moitié de la
moitié. Et, de plus, si au lieu de double ou prend le double de la moitié, on
répétera trois fois le double de la moitié de la moitié de la moitié. Le désir
se rapporte-t-il à ce qui est agréable? Oui, c'est l'appétit de l'agréable;
ainsi donc, le désir est l'appétit de l'agréable de l'agréable.
§ 3. Tous ces raisonnements ne s'adressent jamais qu'à des relatifs, et, dans
tous les cas, non seulement ce sont les genres, mais encore les choses mêmes qui
sont des relatifs, et elles se rapportent à une seule et même chose : par
exemple, l'appétit est l'appétit de quelque chose; le désir, le désir de quelque
chose; et le double est le double de quelque chose et le double de la moitié. §
[\. Et ceci se présente aussi pour toutes les
g 1. Nous avons déjà dit, plus haut, ch. 3, § 2.
& «. Si le double est le double de la moitié, l'édition de Berlin donne cette
leçon dans les variantes; dans le texte elle dit seulement : Si le double est de
la moitié, il faut né¬cessairement répéter: le double.
378 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES, choses dont, l'essence n'est pas vraiment d'être
des re¬latifs, mais qui ont des qualités, des modifications, ou telle autre
chose d'analogue, qui est exprimée dans la dé¬finition de ces choses, au milieu
des attributs qui la com¬posent. Par exemple, on dit que l'impair est un nom¬bre
qui a un milieu ; or, on dit aussi nombre impair, ce qui revient à dire, nombre
nombre ayant un milieu. Et si le camus est la courbure du nez, comme on dit
aussi d'un nez qu'il est camus, on aura nez nez courbe.
§ 5. Parfois, on paraît faire bavarder l'adversaire, quand on ne le fait pas
réellement, parce qu'on n'a pas soin de demander si le mot en question, le
double, si¬gnifie quelque chose à soi seul, ou ne signifie rien; et quand il
signifie quelque chose, si c'est la même chose ou une chose différente. Mais
c'est parce que l'on veut tirer sur-le-champ la conclusion, et que le mot étant
le même, la chose semble aussi être la même et avoir le même sens.
CHAPITRE XIV.
Du solécisme : il peut n'en être un que pour une seule personne. — Ën général il
tient a la confusion des genres divers dans le pronom cela, qui s'applique au
masculin, au féminin, au neutre, indifféremment.
§ i. Ce qu'est le solécisme, c'est ce qu'on a dit pré-
§ 1. Ce qu'est le solécisme,... précédemment, voir plus haut, ch. 3, g 3.
Seulement il plaçait le solécisme en quatrième lieu, tandis
SECTION I, CHAPITRE XIV. 379 cédemment. § a. Il est possible de faire un
solécisme et de paraître en faire un quand on n'en fait pas ; et, tout en en
faisant, de ne pas paraître en faire un. Ainsi, Protagore soutient que colère et
cuirasse sont mascu¬lins. Celui donc qui dit pernicieuse, en parlant de la
colère, fait un solécisme suivant Protagore : mais il ne semble pas en faire un
aux yeux des autres : et celui qui dit pernicieux paraît à tout le monde faire
un sole-» cisme, et, cependant, il n'en fait pas pour Protagore. § 3. Il est
donc évident qu'on pourrait fort bien amener ceci avec un certain art; et voilà
pourquoi beaucoup de raisonnements qui ne concluent pas de solécismes,
pa¬raissent en conclure un, comme on peut le voir dans les réfutations.
§ 4* L*a plupart des solécismes apparents sont fondés sur le pronom cela, et
quand le cas n'exprime ni le mas¬culin, ni le féminin, mais le neutre. Le pronom
celui-ci exprime le masculin, et celle-là le féminin. Mais le mot cela veut
exprimer le neutre, et souvent il exprime aussi l'un des deux autres genres.
Ainsi, par exemple, quand on dit: Qu'est-ce que cela? c'est Calliope, c'est du
bois, c'est Coriscus. Tous les cas du masculin et du féminin diffèrent; quant à
ceux du neutre, les uns diffèrent, les
qu'il n'en parle ici qu'au cinquième et dernier rang.
$ 2. Pernicieuse, voir le début de i'Iliade.
§ 3. Amener ceci avec un cer¬tain art, j'ai suivi la leçon de l'é¬dition de
Berlin qui s'appuie sans doute sur des manuscrits. Pacius dit : Un certain art
peut faire cela; Sylburge : Un habile peut faire cela,
Le sens est toujours le même.
§ 4. C'est du bois, nom neutre en grec; les deux autres sont féminins et
masculins. — (au nominatif) (à l'accusatif), j'ai été obligé d'a¬jouter ces
parenthèses pour faire entendre le texte. — Le verbe est et le verbe être, Γη η
ne va qu'avec le nominatif; l'autre ne va qu'avec l'accusatif.
autres ne diffèrent pas. Quand on donne le pronom cela, on raisonne souvent
comme si on avait dit celui-ci. Et de même, quand on prend tel autre cas pour
tel autre. Le paralogisme alors a lieu parce que le mot cela est commun à
plusieurs cas; car cela peut exprimer tantôt celui-ci (au nominatif), et tantôt
celui-ci (à l'ac¬cusatif) ; mais il faut exprimer successivement qu'avec le
verbe est, il signiBe le nominatif, et, avec le verbe être, l'accusatif : par
exemple, Coriscus est, être Coris-eus. Même observation pour les noms féminins,
et pour ce qu'on nomme les instruments, qui ont la dénomina¬tion du masculin ou
du féminin; car tous les noms qui se terminent en ο et en π ont seuls la
dénomination d'instruments. On pourrait en citer bien des exemples : mais ceux
qui ne sont pas ainsi sont du masculin ou du féminin, et quelques-uns de ces
noms s'appliquent à des instruments. Par exemple, outre est uu nom mas¬culin, et
couchette est féminin ; et, pour ces mots, le verbe est, et le verbe être,
seront également importants.
§ 5. Le solécisme est en quelque sorte pareil aux réfutations qui sont exprimées
semblablement, pour des choses qui ne sont pas semblables; car de même qu'il
arrive alors que la réfutation porte sur les choses mêmes, il arrive aussi que
le solécisme ne porte que sur les mots; car homme et blanc sont à la fois et une
chose et un mot.
§ 6.11 est donc évident qu'il faut chercher à conclure le solécisme par les cas
indiqués.
§ η. Telles sont doue les espèces des arguments con-
§ 5. Que la réfutation porte, l'édition de Berlin supprime ces mois sans citer
d'à ο ton té. Il est beaucoup mieux de les conserver.
SECTION I, CHAPITRE XY. 381
tentieux el les parties de ces espèces, et les manières diverses de les
distinguer.
CHAPITRE XV.
De la disposition des questions et des procédés de l'interrogation.
§ ι. Il y a grande importance, pour cacher le but qu'on poursuit, de disposer
les éléments de la question suivant une certaine méthode, comme dans la
dialec¬tique. U faut donc parler de cet objet d'abord, à la suite de ce qui
vient d'être dit.
§ a. Une chose qui est utile pour réfuter, c'est la diffusion; car il est
difficile de bien voir plusieurs choses à la fois. Il faut se servir pour la
diffusioa des moyens précédemment indiqués. § 3. Un second moyen, c'est la
rapidité du raisonnement. Les interlocuteurs qui restent en arrière voient moins
où on les conduit* § 4• On peut employer aussi la colère ou l'esprit de dis¬pute
; car, lorsque l'on est troublé, on peut moins être sur ses gardes. Les éléments
de la colère sont de mon¬trer évidemment qu'on veut recourir à l'injustice, et
surtout qu'on est prêt à ne rougir de rien. § 5. Il faut aussi bouleverser
l'ordre naturel des questions, soit que l'on ait plusieurs arguments pour la
même chose, soit qu'on soutienne que la chose est et n'est pas ainsi j car
g 1. Comme dans la dialectique, voir Topiques,\\\. B, cb. 4 et suit.
g 2. Précédemment indiqués, voir Topiques, liv. 8, ch. 1, g 23.
382 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES.
l'adversaire doit à la fois se défendre, ou contre plu¬sieurs choses, ou contre
les contraires. § 6. Et tout ce qui a été dit plus haut sur les moyens de cacher
sa pensée, est utile aussi dans les discussions contentieuses. On ne cache sa
pensée que pour dissimuler son but, que pour tromper. § 7. A l'égard de ceux qui
refusent ce qu'ils croient utile au raisonnement de l'adversaire, il faut les
interroger par négation, comme si l'on voulait obtenir le contraire, ou du moins
comme si l'on faisait la demande de l'un ou de l'autre avec une parfaite
in¬différence ; car, lorsqu'on ignore ce que veut obtenir l'adversaire, on fait
moins de difficultés. § 8. Lorsque l'adversaire accorde parties à parties tous
les cas parti¬culiers, il faut souvent nepas pousser l'induction en
in¬terrogeant jusqu'à l'universel; mais il faut s'en servir comme accordé. Bien
plus, quelquefois l'adversaire lui-même croit l'avoir donné ; et c'est ce qui
semble aussi aux auditeurs, parce qu'ils se souviennent de l'induction, et
qu'ils pensent que les cas particuliers n'ont point été demandés en vain. § 9.
Dans les cas où l'universel n'est point exprimé par un mot, il faut se servir de
la res¬semblance de ce qui s'en rapproche, selon que Ton en a besoin; car
souvent la ressemblance est cachée. § 10. Mais pour obtenir la proposition qu'on
Veut 9 il faut interroger en faisant porter la comparaison sur les con¬traires.
S'agit-il, par exemple, d'obtenir cette proposi¬tion, qu'il faut en tout obéir à
son père, on peut de¬mander s'il faut en tout obéir, ou désobéir en tout, à ses
parents. Et si l'on veut prouver qu'il faut leur obéir
§ 6. Tout ce qui a été dit plus haut, ibid.
souvent, on doit demander s'il faut avoir pour eux peu ou beaucoup de
condescendance. En effet, il semblera plutôt que c'est beaucoup, puisqu'il faut
nécessairement en avoir. En rapprochant ainsi lesconlraires, les choses
paraissent avec toute leur grandeur; elles semblent plus grandes, meilleures, ou
pires.
§ 11. Ce qui,très-souvent,fait croire à la réfutation, c'est l'impudence
sophistique de ceux qui interrogent, et qui, sans avoir fait de raisonnements,
sans avoir fait une dernière question, n'en affirment pas moins cous forme de
conclusion, comme s'ils avaient fait des Syllo¬gismes réguliers : Donc telle
chose n'est pas ; donc telle chose est.
§ ia. C'est encore un procédé sophistique de de¬mander, que l'adversaire réponde
ce qu'il lui semblé d\m paradoxe que Ton a soutenu, bien qu'il ait dit son avis
sur lç sujet posé dès le principe, et de mettre en outre des questions de ce
genre sous cette forme : Que vous semble? car si la question est composée des
élé¬ments mêmes du syllogisme, il faut nécessairement qu'on fasse une réfutation
ou un paradoxe, ou une sorte de réfu¬tation. Si Ton accorde la question, c'est
une réfutation ; si on ne l'accorde pas et qu'on dise qu'on ne l'accepte pas, on
soutient un paradoxe. Si on ne l'accorde pas, tout en disant que la chose est
probable, on fait une sorte de réfutation.
§ i3. Comme dans la rhétorique, il faut voir aussi, dans les réfutations, aux
contradictions que l'interlocu¬teur commet contre ce qu'il a dit lui-même, ou
Contre
$ 12. Ou une sorte de réfuta¬tion, l'édition de Berlin, sans citer d'autorité,
supprime ces mots, que je garde avec Pacius.
ce qu'ont dit ou fait ceux qui lui paraissent bien faire ou bien dire, ou contre
ceux qui paraissent être ainsi, ou contre leurs semblables, ou du moins contre
la plupart, si ce n'est contre tous. § ι4• De même que souvent ceux qui
répondent, quand ils se voient ré¬futés, font une distinction dans la question
sur le point où la réfutation doit les atteindre, de même ceux qui interrogent
peuvent se servir de ce moyen contre les objections, si l'objection a lieu dans
un sens, et qu'elle n'ait pas lieu dans l'autre, en disant qu'on l'a prise dans
le dernier sens, comme Gléophon le fait dans son Man-drobule. § i5. 11 faut
même, en s'éloignant du sujet, retrancher tout le reste des arguments ; mais
celui qui répond, s'il s'en aperçoit d'abord, doit aller au-devant et le dire le
premier. § 16.II faut diriger aussi ses ar¬guments contre une chose différente
de celle qui est en question, et s'y attacher quand on n'a point d'argument
contre la question même. C'est ce que fit Lycophron, à qui l'on proposait de
faire l'éloge d'une lyre. §17. Quaçd l'adversaire demande qu'on précise
l'argument, parce qu'il lui paraît qu'il faut indiquer la cause de l'erreur, et
qu'une fois certains points étant fixés, il est plus sur ses gardes, il faut, ce
qui est général dans les réfutations, dire qu'on veut soutenir la contradiction,
et nier ce que l'autre a dit, ou affirmer ce qu'il a nié. Mais il ne faut pas
dire seulement que l'on prétend soutenir que la no-
g 14. Cléophon, dans son Mandrobule, il ne nous est rien parvenu de cette pièce.
Le com¬mentaire anonyme, récemmment publié par M. Sprengel, Munich, 1842,
prétend que le Mandrobule était un dialogue platonicien.
8 16. Lycophron est appelé so¬phiste dans la Politique y liv. 3 , ch. 5, tom. 1,
p. 257, de mon édit. Il est cité aussi dans la Rhéto rique, voir la note, <Mcf.
SECTION II, CHAPITRE XVI. 386 tion des contraires est ou n'est pas la même. §
18. Il ne faut pas demander la conclusion sous forme de pro¬position ; il ne
faut pas non plus demander certaines choses, mais il faut les prendre comme
accordées.
§ 19. On a donc expliqué d'où il faut tirer les ques¬tions, et comment il faut
les poser dans les discussions contentieuses.
SECTION DEUXIÈME.
SOLUTION DES PARALOGISMES.
CHAPITRE XVI.
De la solution des paralogismes : utilités diverses de cette étude : pour la
philosophie, pour la simple apparence. — Méthode générale de solution :
difficultés pour rappliquer.
§ i\ H faut parler maintenant de la réponse, et dire comment il faut résoudre
les paralogismes, ce que c'est que résoudre, et à quoi sont utiles des
raisonnements de ce genre.
§ 2. Ils sont utiles à la philosophie pour deux rai¬sons: § 3, d'abord, comme
ils ne portent le plus sou-
g 1. (Test avec le chapitre 16 que les Latins faisaient commencer le second
livre de ce traité, ainsi que plusieurs éditions grecques, celle de Sylburge
entre antres. J'ai cru devoir faire une seconde sec¬tion ; au XII« et xine
siècles, A ver¬rons et Albert fout deux livres.
IV.
se
386 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES.
vent que sur le mot, ils apprennent d'autant mieux à voir dans combien de sens
chaque mot est dit, et quelles sont les ressemblances et les différences de
formes, dans les choses et dans les mots. § 4• D* sont utiles en se¬cond lieu
pour les recherches personnelles; car celui qui, trompé aisément par les
paralogismes d'un autre, ne s'en aperçoit pas, commettra la même erreur bien
plus souvent quand il sera seul avec lui-même. § 5. Enfin, en troisième lieu,
ils sont utiles même pour l'ap¬parence, en ce qu'on paraît s'être exercé à tous
les su¬jets et n'être étranger à aucun; car si quelqu'un qui prend part à la
discussion blâme la discussion, sans pouvoir en spécifier Les défauts, on est
porté à soup¬çonner que, s'il fait des difficultés, ce n'est pas dans l'intérêt
de la vérité, mais à cause de son ignorance.
§ 6. On voit sans peine comment il faut agir, quand on répond à des discussions
de cevgenre, si nous avons bien expliqué antérieurement d'où se tirent les
para¬logismes, et si nous avons montré suffisamment les ruses qu'emploient les
sophistes en interrogeant. § η. Ce n'est pas, du reste, une même chose, quand on
étudie un raisonnement, d'en voir et d'en corriger le vice, et quand on est
interrogé de pouvoir y répondre sur-le-champ ; car ce que nous savons, nous le
mécon¬naissons souvent par cela seul qu'on le déplace. Et comme dans bien
d'autres choses le pins oit moins de promptitude vient surtout de l'exercice, il
en est de même pour les discussions, de telle sorte que si nous voyons
clairement la chose, mais que nous la négligions,
g 0. Antérieurement^ dans tout ce qui précède et surtout cb. 4 et suiv.
SECTION Iî, CHAPITRE XVIÏ. 387 nous manquons souvent par cela seul les
occasions. § 8. Il arrive aussi parfois ce qui arrive dans les tracés des
figures : après les avoir analysées, nous ne pou¬vons plus les recomposer. Et de
même dans les ré¬futations, nous savons fort bien quel est le lieu du
rai¬sonnement, et nous ne pouvons cependant le renverser.
CHAPITRE XVII.
De la solution apparente ; elle est, dans certain cas, préférable a la solution
vraie. — Règles pour arriver k la solution apparente.
£ ι. D'abord donc, de même que nous disons qu'il yaut mieux, quelquefois
raisonner d'une manière pro¬bable que d'une manière vraie, de même il vaut mieux
quelquefois chercher la solution selon le probable que selon le vrai : car il
faut combattre contre les dispu-teurs, non pas comme s'ils réfutaient
réellement, maie comme s'ils paraissaient seulement le faire. En effet, nous
nions qu'ils fassent de vraies conclusions, et ainsi tous nos efforts doivent
tendre à ce qj*'il& ne paraissent pas en faive» Si donc la réfutation est une
contradiction qui n'est pas homonyme, et qu'on tire de certaines don¬nées, il
n'y avait pas besoin de faire de division, pour éviter l'amphibologie et
l'homonymie, parce qu'elles ne font pas de vrai syllogisme. Mais il ne faut
établir de division que parce que la conclusion a l'apparence
g S. Analysées, pris au sens propre, décomposées.
d'une réfutation. Ainsi donc, on doit prendre garde, non pas d'être réfuté, mais
seulement de le paraître* § a. L'interrogation qui porte sur des chose?
amphi¬bologiques , ou des équivoques d'homonymie, comme toutes les autres
surprises de ce genre, font disparaître la véritable réfutation, et ne laissent
plus reconnaître celui qui est réfuté ou celui qui ne l'est pas. En effet, comme
il est toujours permis, quand on arrive à la con¬clusion finale, de dire que
l'adversaire nie ce qu'on n'a pas affirmé, parce qu'il n'a fait qu'interroger
par ho¬monymie ou par amphibologie ; et qu'ainsi l'on a soi-même affirmé autre
chose que ce qu'il a compris d'abord, et nié dans la conclusion, bien qu'on ait
tout fait pour que la discussion portât de part et d'autre sur le même point, on
ne sait jamais clairement si l'in¬terlocuteur est réfuté : car on ne sait si
maintenant il dit vrai. Mais si celui qui interroge avait, en divisant, montré
le sens homonyme ou amphibologique, la réfuta¬tion ne serait plus obscure. § 3.
Il arriverait précisément alors, ce que d'ailleurs les disputeurs cherchent
moins maintenant que jadis, que l'interlocuteur interrogé ré¬pondrait par oui ou
par non. Ici, au contraire, parce que ceux qui interrogent posent mal leurs
questions, il faut que celui qui répond ajoute quelque chose à la réponse, pour
rectifier le vice de l'interrogation. Mais quand, en interrogeant, on a bien
fait la division indispensable, il
8 9. Ou par amphibologie, l'é¬dition de Berlin ne donne pas ces mots et ne cite
pas d'autorité qui en Justifie l'omission. — Et qu'ainsi
Von a dans la conclusion,
l'édition de Berlin supprime encore toute cette phrase sans citer de ma¬nuscrit.
Cette phrase, qui se lie fort bien avec tout ce qui précède et tout ce qui suit,
est dans toutes les autres éditions, il est indispen¬sable de la conserver.
faut nécessairement que celui qui répond dise oui ou non.
§ 4• Quand l'on suppose que la réfutation n'a lieu que par homonymie, il n'est
pas possible en quelque sorte que celui qui répond évite d'être réfuté ; car il
faut nécessairement, pour les choses qui tombent sous la vue, qu'on nie le mot
qu'on avait affirmé et qu'on affirme ce qu'on avait nié. § 5. En effet, il n'y a
aucune utilité dans la rectification qu'essaient de faire quelques
interlocuteurs. Ainsi, ils soutiennent que Coriscus n'est pas à la fois musicien
et ignorant en musique, mais que tel Coriscus est bon musicieu et que tel autre
Coriscus ne l'est pas. Mais ce sera la même expression, soit qu'on dise que
Coriscus, £oit qu'on dise que ce Coriscus est musicien ou ne l'est pas, ce que
nie et affirme à la fois l'interlocuteur. Mais ce n'est peut-être pas tout à
fait le même sens ; car le mot non plus n'est pas tout à fait le même; et voilà
d'où vient la différence. § 6. Mais si l'on accorde d'un côté que le mot est
pris simplement : Coriscus, et que de l'autre on ajoute restrictivement : Ce ou
quelque, cela est absurde; car la restriction n'est pas plus à l'un qu'à l'autre
; et il n'importe en rien au¬quel des deux on l'attribue.
§ 7. Toutefois, comme on ne sait pas clairement, quand on n'a pas déterminé
l'amphibologie, si l'on est
g 5. Ou ne l'est pas, Pacius n'a pas ces mots que j'emprunte à l'é¬dition de
Berlin, Sylburge les met entre crochets. — Et voilà d'où vient la différence,
c'est la leçon de l'édition de Berlin : Pacius, au contraire, a une négation :
Et voilà pourquoi 11' n'y a point de diffé¬rence. Sylburge place encore la
né¬gation entre crochets, c'est-à-dire qu'il en propose la suppression. La leçon
de l'édition de Berlin me semble la plus claire, et c'est là ce qui me Ta fait
adopter.
380 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES, ou non réfuté, bien qu'on pût faire la division
néces¬saire dans le discours, il est évident que concéder l'in¬terrogation sans
cette définition, et absolument, c'est une faute, de sorte que, si ce n'est
l'interlocuteur même, du moins son raisonnement a l'air d'être réfuté.
§ 8. Toutefois, il arrive souvent que tout en voyant l'amphibologie, on répugne
à faire la division, à cause du grand nombre des propositions de ce genre, et
afin de ne pas paraître élever toujours des difficultés. Puis ensuite il arrive
tout aussi souvent que, sur le point même où l'on ne pensait pas que la
discussion viendrait à por¬ter, on rencontre le paradoxe. § 9. Ainsi donc,
puisqu'on peut faire la division, il ne faut pas hésiter à la faire, ainsi qu'on
l'a dit antérieurement.
§ 10. Si l'on ne réunissait pas deux questions en une seule, le paralogisme ne
se formerait pas par homony¬mie ou amphibologie, mais ce serait une réfutation
où il n'y aurait pas même apparence de réfutation; car, quelle différence y
a-t-il à demander si Callias et Thé-mistocle sont musiciens, ou s'il n'y a qu'un
seul nom pour eux deux, bien qu'ils soient autres? En effet, si ce nom désigne
plus d'une chose, on a demandé aussi plu¬sieurs choses. Si donc, il n'est pas
bien de chercher à obtenir une seule réponse absolument pour plusieurs
questions, il est clair qu'il ne convient de répondre sous forme absolue, par
aucun. terme homonyme, quand même la réponse serait vraie pour tous les sens du
mot, comme quelques-uns l'admettent ; car il n'y a pas plus de différence que si
Ton disait : Coriscus et Callias sont-
$ 9. Ainsi qu'on Γα dit antérieurement. Topiques, liv. S, ch. 7.
ils ou ne sont-ils pas à la maison? Soit que tous deux soient présents, soit que
tous deux soient absents, des deux façons, il y a toujours plusieurs
propositions. 11 ne suffît point, en effet, de dire vrai, pour qu'il n'y ait
qu'une seule interrogation; car il se peut aussi qu'on propose dix, mille autres
interrogations, auxquelles on pourra répondre avec vérité par oui et par non.
Ce¬pendant il ne faut pas répondre par une seule réponse ; car c'est détruire
toute discussion. C'est absolument la même chose que si l'on donnait un nom
pareil à des choses différentes. Si donc il ne faut pas faire une ré¬ponse
unique à deux questions, il est évident aussi qu'il ne faut pas répondre non
plus par oui ou par non à des homonymes. § 11. Car celui qui a dit ainsi ne
ré¬pond pas, il n'a fait que parler. Mais on suppose quel¬quefois dans les
discussions qu'il y a là une véritable réponse, parce qu'on ne voit pas ce qui
doit en résulter.
§ 12. Ainsi donc que nous l'avons dit, comme cer¬taines réfutations qui n'en
sont pas réellement paraissent en être, de la même manière il y a des solutions
qui pa¬raissent en être sans en être réellement. C'est celles-là qu'il faut
quelquefois produire plutôt que les solutions vraies, dans les discussions
conténtieuses, et contre les paralogismes venant du double sens d'un mot.
§ 13. Il faut répondre pour les choses que l'on ad¬met: Soit; car, de cette
façon, il n'est pas du tout pos¬sible à l'interlocuteur de rétorquer la
réfutation. Si l'on est forcé de dire quelque paradoxe, c'est alors sur¬tout ,
qu'il faut ajouter que cela paraît ainsi ; car, de
g 12. Ainsi donc que nous l'a¬vons dit, au début même de ce traité, ch. 1, g 1,
quand il a défini la réfutation sophistique.
cette façon, il ne semblera pas qu'il y ait, ni réfutation, ni paradoxe.
§ ι4• Comme on sait très-clairement -ce que c'est qu'une pétition de principes,
et tout le monde accorde qu'elle a lieu si la proposition est voisine du
principe, il est certaines choses qu'il faut détruire et non accor¬der, en
soutenant que c'est faire une pétition de prin¬cipes. Et si l'interlocuteur
demande qu'on lui accorde précisément une proposition, qui doit nécessairement
résulter de la thèse initiale, et que cette proposition soit fausse ou
improbable, il faut élever la même objec¬tion. En effet, ce qui résulte
nécessairement de la thèse semble faire partie de la thèse même. De plus, quand
l'universel est pris, non par le mot qui le représente, mais par comparaison, il
faut faire remarquer que l'ad¬versaire ne le prend pas comme on le lui
accordait, ou comme il l'avait lui-même avancé; car c'est souvent à ce point
même que tient la réfutation* § 16. Quand on a été repoussé de ce terrain, il
faut s'en prendre à l'ir¬régularité de la démonstration, et s'appuyer pour cela
sur la définition qui a été donnée du syllogisme et de la réfutation.
§ 17. Quand les mots sont pris au propre, il faut nécessairement répondre ou
absolument, ou par une distinction. § 18. Mais toutes les fois qu'on est obligé
de suppléer par la pensée, comme, par exemple, dans toutes les questions qui ne
sont pas assez claires, et qui
g 16. La définition qui a été donnée, voir plus haut, ch. 1, g 3.
g 18. Ce qui est des Athéniens, le génitif en grec peut prêter à cette
amphibologie, il peut servir à ex¬primer qu'une chose est la posses¬sion d'une
autre, ou qu'elle fait par-lie d'une autre.
sont en quelque sorte boiteuses, la réfutation se produit. Telle est cette
question : Ce qui est des Athéniens est-il la possession des Athéniens?Oui. Et
de même pour tout le reste: Mais l'homme est-il des animaux? Oui. Aiusi l'homme
est la possession des animaux; car nous disons que l'homme est des animaux,
parce qu'il est animal, et que Lysandre est des Lacédémoniens, parce qu'il est
Lacédémonien. Il est donc évident que dans les cas où la chose proposée est
obscure, il ne faut pas ac¬quiescer d'une manière absolue.
§ 19. Quand deux choses sont de telle sorte que, l'une étant, l'autre doit être
de toute nécessité, sans que la seconde étant, la première soit nécessairement,
il faut que celui qui est interrogé sur ces deux termes accorde celui qui est le
moins étendu ; car il est plus difficile de faire le raisonnement, quand il
porte sur plus de choses.
§ 20. Quand l'on essaie de prouver que l'un des termes a un contraire, et que
l'autre n'en a pas, si cette assertion est vraie, il faut dire qu'en effet, le
second terme a un contraire, mais que ce contraire n'a pas de nom.
§ ai. Comme il y a certaines choses pour lesquelles le vulgaire dit de celui qui
ne les accorde pas, qu'il se trompe, et que, pour quelques autres choses, il ne
se
§ 21. Et les pensées vraies, les axiomes. — Et des assertions en¬tières ,
l'édition de Berlin donne : Et des négations* entières ; mais , comme il suffît
ici, pour changer le sens, de l'omission d'une seule lettre, on peut croire à
une simple faute d'impression. — Le déplace¬ment de la définition, en la faisant
porter sur une proposition où l'at¬tribut sera contraire à l'attribut de la
proposition soutenue par l'ad¬versaire, et où le sujet sera diffé¬rent. C'est ce
que le texte appelle la métaphore, en prenant ce mot dans son sens étymologique.
m RÉFUTATIONS DES SOPHISTES.
prononce pas si nettement : par exemple, dans toutes celles où les avis sont
partagés, et ainsi le vulgaire n'est point décidé en général sur la question de
savoir si l'âme des animaux est périssable ou immortelle; dans tous les cas où
Ton ne sait quelle est l'opinion vulgaire, sur le sujet en question, comme sur
les sentences, et l'on appelle sentences, et les pensées vraies, et des
as¬sertions entières, telles que: Le diamètre est incommen¬surable; dans tous
ces cas, dis-je, et toutes les fois que la vérité est controversée, le meilleur
moyen de cacher sa pensée, ce sera d'employer pour tous les mots le dé¬placement
delà discussion. En effet, précisément, parce qu'il y a grande obscurité sur le
vrai dans ce cas, on ne paraîtra pas faire un sophisme, et l'on ne paraîtra même
pas se tromper, puisque les opinions sont partagées. Le déplacement de la
discussion rendra le raisonnement inattaquable.
§ 11. Enfin, toutes les fois qu'on pressent une ques¬tion, il faut aller
au-devant de l'objection et la dire tout d'abord; car c'est ainsi surtout qu'on
embarrassera celui qui interroge.
CHAPITRE XVIII.
Moyens divers pour arriver à la solution vraie : attaquer la proposition :
attaquer la conclusion.
§ ι. Puisque la solution vraie est de faire voir que le syllogisme est faux, en
indiquant celle des questions où est l'erreur, le syllogisme faux peut l'être de
deux
SECTION II, CHAPITRE XVHL 395
façons : par exemple, s'il a conclu faussement ; ou bien si, n'étant pas un
syllogisme, il paraît pourtaut en être un. La solution indiquée ici, et celle du
syllogisme ap¬parent , consisteraient à rectifier celle des questions qui le
fait paraître ce qu'il n'est pas: et, par conséquent, on arrive à la solution
cherchée, d'abord en détruisant les raisonnements qui concluent réellement, et
en faisant une distinction pour ceux qui ne sont qu'apparents. § a. Mais comme
parmi les raisonnements réguliers, les uns ont la conclusion vraie, et les
autres la conclusion fausse, on peut résoudre de deux façons ceux qui ont la
conclusion fausse, c'est-à-dire, soit en détruisant quel¬qu'une des
interrogations posées, soit en montrant que la conclusion n'est point ainsi
qu'on l'a dit. Contre ceux; qui sont faux dans les propositions, il n'y a de
solution possible qu'en détruisant l'une de ces propositions, puisque la
conclusion est vraie. § 3. Ainsi donc, quand on veut résoudre un raisonnement,
il faut voir d'abord si ce raisonnement conclut ou s'il ne conclut pas ; en*
suite, si la conclusion est vraie ou fausse, afin qu'on puisse résoudre, soit en
détruisant, soit en divisant les propositions; et l'on détruit, soit d'une
façon, soit de l'autre, comme on l'a dit plus haut. § 4• U y a une très-grande
différence, pour résoudre le raisonnement, d'être ou de n'être pas interrogé ;
car il est difficile de voir à l'avance la solution, et il est plus facile de la
voir à loisir.
8 3. Comme on Va dit plus haut, $ i.
396 BÉFUTÀTIONS DES SOPHISTES.
ê
CHAPITRE XIX.
Solution pour les cas ou la réfutation ne tient qu'a l'homonymie ou à
l'amphibologie, soit dans les propositions, soit dans la conclusion : il faut
signaler les sens divers le plus tôt qu'on le peut.
§ i. Parmi les réfutations qui ne tiennent qu'à l'ho¬monymie et à
l'amphibologie, les unes renferment des questions qui présentent plusieurs sens;
dans les autres, c'est la conclusion qui a des sens divers. Ainsi, par exemple,
dans le cas où l'on prétend prouver que celui qui se tait parle, c'est la
conclusion qui a un double sens. Dans cette autre proposition : Celui qui sait
ne sait pas, c'est l'une des questions qui est amphibolo¬gique. Par exemple, ce
raisonnement : Celui qui sait faire ou dire quelque chose sait aussi ce qu'il
dit, ce qu'il fait; or, cet homme sait dire des vers iambiques; donc il sait
aussi les vers iambiques. Et ce qui a un double sens est vrai dans un sens et ne
l'est .pas dans l'autre; ainsi le double sens exprime à la fois ce qui est et ce
qui n'est pas.
§ α. Toutes les fois donc, qu'il y a plusieurs sens à la fin, si l'on ne prend
pas la contradiction, il n'y a pas
$ 1. Celui qui se tait parle, on
se rappelle l'amphibologie que cette phrase présente en grec, voir plus haut,
ch. 4, g 4, et ch. 10, g β.—Par
exemple les vers iambiques,
l'édition de Berlin supprime toute cette phrase sans citer aucune au¬torité.
C'est peut-être une simple omission.
g 2. A la fin, j'ai conservé la traduction fidèle des mots grecs, le sens est :
Dans la conclusion.
de réfutation : par exemple, si l'on prétend que l'aveugle voit ; car sans
contradiction, il n'y a pas de réfutation. § 3. Pour tous les cas où la
diversité de sens se trouve dans les questions, il n'est pas nécessaire de
combattre d'abord le double sens; car ce n'est pas sur ce point que porte le
raisonnement: c'est seulement un des éléments dont on le tire. § 4• Au début
donc, il faut répondre en signalant le double sens, soit dans le mot, soit dans
le raisonnement, en disant qu'on l'accepte d'une façon, et que de l'autre on ne
l'accepte pas. Ainsi, dans cette proposition : Celui qui se tait parle, il faut
dire qu'on l'accepte en partie, et qu'en partie on ne l'accepte pas. Et si
l'adversaire a dit qu'il faut remplir ses devoirs, il faut distinguer, en disant
que les uns doivent être rem¬plis et d'autres ne pas l'être; car devoirs a
plusieurs sens. Si la diversité des sens a d'abord échappé, il faut rectifier
l'erreur en ajoutant à la fin quelque chose à la question : Donc celui qui se
tait parle; pas du tout; mais bien un tel qui se tait. § 5. Et de même pour les
cas où la diversité de sens est dans les propositions : Donc on ne sait pas ce
qu'on sait? Non, certes; mais cela n'est pas vrai de ceux qui savent de telle
manière; car ce n'est pas la même chose de dire qu'il n'est pas possible de
savoir quand on sait, ou que cela n'est pas possible à ceux qui savent d'une
certaine façon. § 6. U faut, en général, combattre son adversaire, même quand il
a conclu d'une manière absolue, en disant qu'il a nié,
§ 4. Mais bien un tel, en ajou¬tant un pronom déterminatif qui a un genre
spécial, et ici, il est du masculin: la phrase ne peut plus alors prêter à
l'amphibologie.
8 5. De cette manière, en spéci¬fiant de quelle nature et sur quoi porte la
science, il n'y a plus lieu de faire amphibologie, et par con¬séquent de tromper
Γ adversaire.
39d RÉFUTATIONS DES SOPHISTES.
non pas la chose qu'on affirmait, mais seulement le mot, de sorte qu'il n'y a
pas de réfutation.
CHAPITRE XX.
Solution des paralogisme» par division on combinaison de mots : tous les
paralogismes ne tiennent pas, comme en l'a dit, 3k l'ambiguïté du sens. Exemples
divers.
§ ι. On voit aussi clairement comment il faut ré¬soudre les réfutations qui
tiennent à la division et à la réunion de certains mots; car, si la proposition
divisée ou combinée a un sens différent, il faut soutenir le contraire de la
conclusion. § a. Mais tous les raisonne¬ments captieux qui se fondent sur la
division et la com¬binaison, sont du genre des suivants : Ce par quoi tu as vu
cet homme frappé, est-ce par cela qu'il a été frappé? et ce par quoi il a été
frappé, est-ce par cela que tu l'as vu? § 3. Il y a aussi dans cet exemple l'une
des questions qui est amphibologique : mais le paralogisme tient surtout à la
combinaison; car le double sens ne subsiste pas après la division, parce que la
proposition
£ 1* Ce par quoi tu a$ vu cet homme frappé, on peut entendre à la fois par là,
et les yeux avec les¬quels on voyait cet homme frappé, et le bâton avec lequel
on le frap¬pait. L'interlocuteur, qui ne fait pas attention à cette amphibologie
peut être amené à soutenir qu'il a vu cet homme frappé avec des yeux, ou avec un
bâton.
g 3. Mais là aussi il y a des signes,.,. Pacius conclut de cette phrase qu'au
temps où le traité des Réfutations a été composé, au temps d'Aristote, on ne se
servait pas d'accents ; j'en tirerais une con¬clusion toute contraire, ainsi que
des passages cités plus haut, ch. 7, g 3, et ch. 4, g 8 ; c'est une question qui
semble résolue par ce passage.
SECTION II, CHAPITRE XX. 999
n'est plus la même quand elle est.divisée* Ne suffit-il pas d'un simple
changement dans la prosodie, pour que le même mot signifie autre chose ? Mais ce
mot est le même dans sa forme écrite, puisqu'il est écrit des mêmes lettres et
de la même manière; or, là aussi il y a des signes qui font que les mots dans la
prononciation ne sont plus les mêmes; ainsi, une fois la division faite, le
double sens disparaît. § 4> II est évident aussi que toutes les réfutations ne
viennent pas, sans exception, de ce que le sens est double, ainsi que
quelques-uns te prétendent.
§ 5.11 fout donc diviser quand on répond, car ce nfert pas la même chose de dire
qu'on a vu de ses yeux tel homme frappé, et de dire qu'on a vu tel homme frappé
de ses yeux. § 6. C'est là aussi le raisonnement d'Eu-thydème : Est-ce que tu
vois, étant en Sicile, les galères qui sont maintenant dans le Pirée? § 7. Ou
bien eftcore, est-ce qu'étant un bon tanneur il est possible d'être mauvais ?
Or, quelqu'un qui est bon tanneur pourrait
g 4. Ainsi que quelques-uns le prétendent, quelques sophistes pro¬bablement ou
quelques disciples de l'école de Mégare.
g β. Le raisonnement éTEuthy-dème, je n'ai pas trouvé ce so¬phisme dans l'Eu
thydème de Pla¬ton, Aristote le cite encore dans la Rhétorique, liv. % édit. de
Berlin, p. 1401, a. 27. — Est-ce que tu vois , étant en Sicile,... Je n'ai pu
conserver dans la phrase française l'équivoque de la phrase grecque où l'adverbe
: maintenant, peut être joint également au verbe voir qui le précède, et au
verbe être qui le suit: la phrase alors signifie égale¬ment : Vois-tu, étant
maintenant en Sicile, les galères qui sont au Pirée, chpse absurde, ou bien :
As-tu vu, quand tu étais en Sicile, les galères qui sont maintenant dans le
Pirée?
g 7. De sorte qu'il sera un tan¬neur mauvais, L'édition de Berlin donne sans
citer d'autorité : De sorte que bon tanneur il sera mau¬vais. La leçon ordinaire
que j'ai gardée, me semble suffisante. Le sens est évident, le paralogisme
consiste en ce qu'on semble amené à dire qu'un bon tanneur est un mauvais
tanneur, au lieu de dire qu'il est un mauvais homme.
être mauvais, de sorte qu'il sera un tanneur mauvais. § 8. L'apprentissage des
choses dont la science est bonne est-il bon aussi ? Or, l'apprentissage du mal
est-il bon ? donc le mal est un bon apprentissage. Mais le mal est mal et
apprentissage à la fois : donc le mal est un mau¬vais apprentissage. Mais la
science de ce qui est mal est bonne. § 9. Est-il vrai de dire maintenant que tu
es né? tu es donc né maintenant? mais par la division cela signifie autre chose;
car il est vrai de dire maintenant que tu es né, mais tu n'es pas né maintenant.
§ 10. Fais-tu les choses que tu peux de la façon que tu peux les faire? Bien que
tu ne joues pas de la cithare, tu as le pouvoir de jouer de la cithare; tu joues
donc de la cithare sans jouer de la cithare. Ou bien ne doit-on pas dire qu'on
n'a pas la puissance de jouer de la cithare quand on n'en joue pas, mais qu'on
peut le faire quand on ne le fait pas? § 11. On résout encore autrement ce
paralogisme; car si l'interlocuteur accorde qu'on fait comme on peut faire, on
soutient qu'il n'en faut pas conclure qu'on joue de la cithare en n'en jouant
pas. En effet, il n'a pas été accordé qu'il le fera de quelque façon qu'il
puisse le faire ; car ce n'est pas la même chose de dire comme il peut, ou de
dire de quelque façon qu'il puisse le faire. § 12. Mais évidemment, cette
solution
8 8. Mais la science de ce qui est mal est bonne, L'édition de Berlin donne
cette phrase que j'ai cru devoir conserver, mais que n'ont pas plusieurs
éditions et entre autres celle de Pacius.
§ 9. Maintenant y l'équivoque est beaucoup plus frappante en grec qu'en
français, parce que l'ad¬verbe : maintenant, pent y être Joint indifféremment à
l'un ou à l'autre verbe.
8 10. Les choses que tu peux, L'équivoque roule sur le sens du verbe pouvoir qui
peut signifier à la fois une faculté et un acte.
8 12. uniquement à celui qui interroge, c'est ce qu'on a nommé
SECTION II, CHAPITRE XXI. 401
n'est pas bonne; car pour les raisonnements identiques, la solution est la même.
Mais celle-ci ne conviendra pas à tous les raisonnements analogues ni àtousles
interlo¬cuteurs. Elle convient uniquement à celui qui interroge, et non pas au
raisonnement lui-même.
CHAPITRE XXI.
Solution des paralogismes tenant à la prosodie.
§ ι. Pour la prosodie, il n'y a de paralogismes, soit par l'écriture, soit par
la prononciation, qu'en très-petit nombre et du genre de celui-ci : Est-ce là la
maison où tu loges? Oui. Est-ce que : où tu loges est la négation de : tu loges?
oui; mais tu as dit que c'était la maison où tu loges; donc la maison est
négation. § a. On voit comment on peut résoudre cette difficulté; car le mot n'a
pas le même sens, soit qu'on le prenne avec accent aigu, soit qu'on le prenne
avec accent grave.
d'abord un argument ad hominem.
$ 1. Où tu loges, Cette équivo¬que est analogue à celle qu'on a citée plus haut
et qui était extraite de Y Iliade, voir plus haut, ch. 4 , g S. L'adverbe de
lieu : où, en grec signifie encore la négation : ne pas; de là une équivoque
qu'il est im¬possible de rendre en français.
S 2. Soit qu'on le prenne avec
accent aigu, Le texte dit seule¬ment : prononcé plus aigu ; mais, comme plus
haut on a parlé aussi d'écriture, j'ai cru que je pouvais préciser un peu
davantage la pen¬sée et qu'il ne s'agissait pas seule¬ment de prononciation.
Voir plus haut, ch. 4, g 8, en note.
IV.
26
402 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES.
CHAPITRE XXII.
Solution des paralogismes qui ne tiennent qu'a la forme des mots. Exemples
divers de sophismes avec les solutions qu'on peut leur opposer.
§ i. On voit clairement aussi comment il faut re¬pousser les réfutations, qui
tiennent à ce que des choses, qui ne sont pas les mêmes, sont exprimées de la
même façon, une fois que nous avons les genres des catégories. Ainsi, celui
qu'on interroge accorde que Tune des choses qui expriment l'essence n'existe pas
; l'autre prouve au contraire l'existence substantielle d'un terme qui, étant
relatif ou de quantité, parait exprimer aussi la substance par la forme verbale
qu'il reçoit. § i. C'est comme dans la proposition suivante : Peut-on en même
temps faire et avoir fait une même chose ? Non, répond-on. Pour¬tant on peut en
même temps voir et avoir vu la mêtiie chose et sous le même rapport. § 3.
Souffrir est-il quel¬quefois faire? Non. Mais il est coupé, il est brûlé, il
sent, sont des mots de forme pareille ; et tous ils ex¬priment l'idée de
souffrir. D'autre part, dire, voir, cou-
8 1. Les genres des catégories,
Les équivoques suivantes viendront de ce que la forme toute matérielle du mot
autorisera le sophiste à pas¬ser d'une catégorie à l'autre. — L'existence
substantielle, aucun re¬latif n'existe en soi, il n'existe que dans un autre, il
n'est donc point réellement substance.
S 3. il est brûlé, il sent, Le
verbe sentir en grec a la forme pas-
sive : en français la forme est active
et l'équivoque n'a plus lieu.—Mais
voir sentir, voir a la forme ac-
tive, et sentir la forme passive en
grec ; de là la différence.
SECTION II, CHAPITRE XXIL 403
rir, sont des expressions semblables; mais voir est cer¬tainement aussi sentir,
de sorte qu'il exprime à la fois souffrir et faire quelque chose. § 4• Mais si
l'interlocu¬teur affirme d'abord qu'il ne se peut pas qu'on fasse, et qu'on ait
fait en même temps la même chose, et qu'il accorde ensuite qu'on voit et qu'on a
vu, il ne sera point encore réfuté, s'il dit que voir ce n'est pas faire mais
souffrir; car il faut ajouter encore cette question. Mais l'auditeur croit que
ce point est accordé, quand il voit qu'on accorde que couper c'est faire, et
qu'avoir coupé c'est avoir fait, et toutes les autres expressions semblables.
L'auditeur ajoute de lui-même le reste, comme étant de forme toute semblable.
Cependant ici l'expression n'est pas tout à fait pareille; mais elle le semble
par l'analogie du mot. Il arrive donc la même, chose que dans les homonymies. En
effet, pour les ho¬monymes, celui qui ne connaît pas bien la valeur des mots,
pense que l'un des interlocuteurs a nié la chose que l'autre affirme, et non pas
seulement le mot. Mais il est encore ici besoin d'une question, pour savoir si
l'on a dit l'homonyme en ne regardant qu'à un seul sens; car c'est parce qu'on
aura concédé ce point qu'il y aura réfutation.
§ 5. Voici encore des raisonnements tout semblables à ceux-là : A-t-on perdu ce
qu'ayant d'abord l'on n'a plus ensuite? Ainsi, celui qui perd un seul osselet
n'aura plus dix osselets. Mais a-t-on perdu réellement ce que l'on n'a plus et
qu'on avait auparavant? N'est-il pas plu¬tôt nécessaire de perdre autant et
autant de choses qu'on
8 5. N'aura plut dix osselets. De ce qu'on a perdu un seul osselet, le sophiste
en conclut par équivo¬que qu'on en a perdu dix.
n'en a plus? Ainsi, dans la question on dit : ce qu'on a; et dans la conclusion
on dit: autant de choses qu'on a; car dix exprime une quantité. Si donc on avait
demandé tout d'abord : Quelqu'un peut-il avoir perdu autant de choses qu'il n'en
a pas après les avoir eues auparavant, personne ne ferait cette concession; on
accorderait seulement qu'on perd autant qu'on en a, ou l'une des choses qu'on a.
§ 6. Et de même si l'on dit qu'on peut donner ce qu'on n'a pas, parce qu'on n'a
pas un seul et unique osselet. Mais on n'a point donné ce qu'on n'avait point;
on a donné cet unique osselet, de la façon qu'on ne l'avait pas; car seul et
unique ne signifie ni cette chose, ni une chose de tel genre, ni tant de choses;
mais il exprime seulement le rapport, comme, par exemple, que cet osselet n'est
pas avec un autre. C'est donc comme si l'on demandait: Peut-on donner ce qu'on
n'a pas? si l'interlocuteur dit que non, on lui demanderait si quelqu'un peut
donner vite sans avoir vite, et s'il dit que oui, on conclut alors que quelqu'un
peut donner ce qu'il n'a pas. Mais il est évident qu'il n'y a pas ici dé
syllogisme; car, donner rapidement n'est pas donner telle chose, mais c'est
donner de telle façon; or, l'on peut donner de la façon qu'on n'a pas ; car
ayant avec plaisir on peut donner avec chagrin.
§ 7. Tous les paralogismes suivants sont semblables : Peut-on frapper avec la
main qu'on n'a pas? Peut-on voir avec l'œil qu'on n'a pas? C'est qu'en effet on
n'a pas
$ 6. On peut donner ce qu'on ri a pas. Ayant dix osselets, je puis en donner un
seul : or, je n'ai pas cet osselet tout seul : donc je puis don¬ner ce que je
n'ai pas.
8 7. Avec la main qu'on n'a pas, Sous-entendu : seule, puis¬qu'on en a deux : de
même pour l'œil. C'est ce que le texte explique : un seul organe.
À
SECTION II, CHAPITRE XXII. 405 un seul organe. § 8. On résout parfois ces
paralogismes en disant qu'on a aussi ce seul œil ou telle autre chose, bien
qu'on en ait plusieurs. § 9. D'autres disent qu'ot} a reçu la chose comme on Ta
; car cet homme ne donnait qu'un seul caillou ; et par conséquent, disent-ils,
on n'aura de cet homme aussi qu'un seul caillou. § 10. Mais d'autres détruisent
aussitôt la question en soutenant que Ton peut avoir ce qu'on n'a point reçu :
par exemple, qu'ayant reçu du bon vin, on peut avoir du vin aigre, s'il s'est
gâté pendant qu'on le recevait.
§ 11. Mais, ainsi qu'il a été dit plus haut, toutes ces solutions s'adressent,
non pas au raisonnement, mais à l'homme ; car, si c'était une réelle solution,
il suffirait que l'interlocuteur soutînt l'opposé, pour qu'il ne fût pas
possible de résoudre comme dans bien d'autres cas. Par exemple, si la solution
est en partie vraie et qu'en partie elle ne soit pas vraie, l'interlocuteur
répondant d'une manière absolue, il y a conclusion : mais s'il n'y a pas
conclusion, il n'y aura pas non plus de solution. Au contraire, dans les cas
antérieurs, même avec une concession complète de la part de l'interlocuteur,
nous disons qu'il n'y a pas de conclusion régulière.
§ 12. Voici encore des raisonnements de ce genre :
$ 9. Qu'on a reçu la chose comme on l'a, Cette solution sem¬blerait répondre,
d'après Pacius, à un exemple qui n'est plus dans le texte ordinaire, mais qu'un
manu¬scrit donne à la fin du g 7. Vous pouvez avoir, disent les sophistes, ce
que vous n'avez pas reçu : Ainsi vous avez dix cailloux dans la main, bien que
vous n'en ayez reçu qu'un seul : c'est qu'auparavant vous en aviez déjà neuf. On
peut répondre : non, je n'ai pas ce que je n'ai pas reçu : mais j'ai une
quantité que je n'ai pas reçue.
g 11. Ainsi qu'il a été dit plus haut, Voir plus haut, chap. 20, * 12.
$ 12. Quelqu'un a-t-il écrit, On a écrit pendant .que Socrate
|
|
|
Quelqu'un
a-t-il écrit ce qui est écrit? Mais il est écrit que tu es assis maintenant;
assertion fausse, mais «lie était vraie quand on récrivait. Ainsi on écrivait à
la fois le vrai et le faux : car dire qu'un raisonnement est vrai ou faux, ou
bien une pensée, cela signifie non pas que telle chose est, mais que la chose
est de telle façon. Et la même remarque s'applique à la pensée qu'au discours.
§ i3. Et encore ce paralogisme : Ce qu'apprend celui qui apprend est-il ce qu'il
apprend? Mais quelqu'un apprend la lenteur vite. C'est que l'on a dit, non pas
ce qu'il apprend, mais comment il apprend. § ι4• Quel-qu'un foule-t-il à ses
pieds ce qu'il marche? Or, il marche le jour entier : mais l'on a dit non pas ce
sur quoi il marche, mais le temps durant lequel il marche. § 15. De même que,
quand on dit qu'il boit une coupe, on ne dit pas ce qu'il boit, mais ce dans
quoi il boit. § 16. Ou bien encore: Sait-on ce que l'on sait, soit pour l'avoir
appris, soit pour l'avoir trouvé ? Mais pour des choses dont on a trouvé l'une
et appris l'autre, on ne sait les deux prises ensemble ni de l'une ni de l'autre
façon. Mais n'est-ce pas qu'ici on prend la totalité de ce qu'on sait, tandis
que là on ne prend pas cette totalité?§ 17.
était assis, qu'il était assis. Après qu'il s'est levé, cette assertion de¬vient
fausse : le sophiste prouve par là, que personne n'a écrit cette assertion,
puisque personne n'a écrit une assertion fausse.
g 17• Un troisième homme, Cri¬tique contre la théorie des idées. — Détacher
cette modification de la ehose même, le texte dit simple¬ment : De sorte qu'ai
ne peut ex¬poser la chose même, c'est-à-dire qu'on ne peut montrer que Cotis¬ais
musicien existe indépendam¬ment de Coriscus. J'ai cru devoir un peu modifier le
sens, tout en le conservant, pour être plus clair. Sur le sens du mot : exposer,
Voir les Premiers Analytiques, liv. 1, ch. S, $ 9, en note, ch. β, % 6, ch. 8, g
3.
C'est un raisonnement analogue, quand on dit qu'il y a un troisième homme, outre
l'homme en général et tous les hommes particuliers; car homme et tout autre
terme commun n'exprime pas la substance, il n'exprime qu'une qualité ou un
relatif, ou une manière d'être, ou quelque chose d'analogue. Et de même, quand
on de¬mande pour Coriscus et Coriscus musicien : Est-ce la même chose ou une
chose autre? car l'un signifie une chose, l'autre signifie la chose de telle
façon, de sorte, qu'on ne peut détacher cette modification de la chose même. Ce
n'est pas d'ailleurs de la détacher qui fait le troisième homme : mais c'est
parce qu'on accorde que ce terme commun exprime une substance; car il n'est pas
possible que substantiellement ce qu'est Callias soit ce qu'est l'homme. Du
reste, il n'y aurait aucune im¬portance à dire que le mot abstrait n'est pas une
sub¬stance réelle, maisqu*il est une qualité; car ce sera tou¬jours quelque
chose de distinct des individus : ce sera, par exemple, l'homme. Il est donc
évident qu'il ne faut pas accorder que le ternie commun qui est attribué à tous
les individus est une chose spéciale et réelle : il faut accorder seulement
qu'il exprime une qualité, une quantité, une relation, ou telle autre chose
analogue.
— Est une cfiose spéciale et réelle. Gomme Platon le faisait en réali¬sant les
idées, et les reconnaissant seules pour des substances.
CHAPITRE XXIII.
Solution générale des paralogismes purement verbaux»: prendre toujours l'opposé.
§ i. En général, dans les paralogismes purement ver¬baux, la solution sera
toujours dans le terme opposé à celui sur lequel porte le raisonnement. § a. Par
exem¬ple, si le paralogisme vient de la combinaison, la so¬lution s'obtiendra en
divisant : s'il vient de la division, en combinant. § 3. Si c'est de la prosodie
aiguë, la solu¬tion sera dans la prosodie grave, et réciproquement. Si c'est
dans l'homonymie que consiste le paralogisme, la solution sera dans l'emploi du
mot opposé. Par exemple, si l'on arrive dans la conclusion à dire que l'être est
animé, et que l'adversaire le nie, il faut démon¬trer qu'il est animé. Si l'on a
dit qu'il est inanimé, et que l'adversaire ait soutenu qu'il est animé, il faut
prouver qu'il est inanimé. § 5. Et de même pour l'am¬phibologie, § 6, si c'est
par la ressemblance du mot que s'est formé le paralogisme, l'opposé sera la
solu¬tion. Ainsi : Peut-on donner ce qu'on n'a pas? On ne peut pas donner ce
qu'on n'a pas, mais on peut donner comme on n'a pas, par exemple un osselet tout
seul. Ce qu'on sait le sait-on parce qu'on Ta appris ou trouvé?
g 3. De la prosodie aiguë, Si l'é¬quivoque porte sur un mot marque de l'accent
aigu, il faut chercher la solution dans le mot marqué de l'accent grave.
g 6. Un osselet tout seul, Quand on en a dix. On donne donc de la façon qu'on
n'a pas. — Ce qu'on sait le sait-on, Voir plus haut, ch. 29, § 16.— Foule-t-on
aux pieds ce qu'on marche, ibid, g 14. Ces exem¬ples sont déjà connus.
SECTION II, CHAPITRE XXIV. 409 mais ce n'est pas les choses qu'on sait. Et
foule-t-on aux pieds ce qu'on marche? mais non pas quand on marche. Et de même
pour tous les autres paralogismes.
CHAPITRE XXIV.
Solution des paralogismes tirés de l'accident : exemples divers : solutions
fautives données par quelques philosophes : solutions vraies qu'on doit y
substituer.
§ i. Quant aux paralogismes tirés de l'accident, la solution est une et la même
pour tous. En effet, comme on ne détermine pas les cas, où l'on peut attribuer
aussi à la chose l'attribut de l'accident, et comme dans cer¬tains cas cette
attribution est évidente et qu'on la re¬connaît, et que, dans d'autres, on dit
qu'elle n'est pas nécessaire, il faut soutenir toujours, en étendant ce
rai¬sonnement à tous les cas, que cette attribution n'est pas nécessaire, et
qu'on doit pouvoir montrer comment elle l'est. § 2. Tous ces paralogismes de
l'accident res-
g S. Sais-tu ce que je vais te demander? — Non. — Or, je de¬mande nne cbose que
tu sais fort bien : donc tu ne sais pas ce que tu sais. —Sais-tu celui qui est
ca¬ché? — Non. — Or, c'est un de tes amis que tu connais fort bien : donc tu ne
connais pas ce que tu connais.—Cette statue est-elle ton ouvrage? Cette statue
est à toi. — Oui. — C'est une œuvre. — Oui. — Donc c'est une œuvre à toi, ton
œuvre. — Ce chien est-il ton père?
Ce chien est à toi. — Oui. — Il est père. — Oui. — Donc il est père à toi : Il
est ton père, Voir VEuthy-dême de Platon, p. 417, trad. de M. Cousin.—Les choses
peu nom¬breuses, Quatre est un nombre petit; pris quatre fois, il forme seize,
nombre petit aussi; seize répété seize fois sera un nombre encore petit, puisque
ce n'est qu'un nom¬bre petit qui est répété ; et ainsi de suite, on prouverait
que les plus grands nombres sont petits.
semblent aux suivants : Sais-tu ce que je vais te deman¬der ? Sais-tu celui qui
s'approche, ou celui qui est caché? Cette statue est-elle ton ouvrage? Ou ce
chien est-il ton père? Est-ce que les choses peu nombreuses, peu nombreusement
prises sont peu nombreuses? Il est évi¬dent, dans tous ces cas, qu'il n'est pas
nécessaire que ce qui est vrai de l'accident le soit aussi de la chose. En
effet, ce n'est qu'aux choses qui sont sans différence dans leur essence et qui
sont individuelles, que tous les mêmes attributs paraissent pouvoir appartenir :
or9 pour un homme qui est bon, ce n'est pas la même chose d'être bon et de
devoir être interrogé, ni pour celui qui approche ou qui est caché, ce n'est pas
la même chose de s'approcher et d'être Coriscus. De sorte que, si je connais
Coriscus, et que je ne connaisse pas celui qui s'approche, on ne peut pas dire
que je connais et que je ne connais pas le même homme. On ne peut pas davantage,
si cette chose est une œuvre et qu'elle soit à moi, dire qu'elle est mon œuvre :
mais c'est ma pro¬priété ou ma chose, ou telle autre expression qu'on vou¬dra.
Même solution pour tous les autres paralogismes.
§ 3. Quelques uns résolvent la difficulté en divisant la question : Oui,
disent-ils, il se peut qu'on sache et qu'on ignore une même chose, mais non pas
sous le même rapport: par exemple, ne connaissant pas celui qui s'approche, et
connaissant Coriscus, c'est, disent-ils, connaître et ignorer une même chose,
mais non pas sous le même rapport.
§ 4* Cependant, ainsi que nous l'avons dit, il faut
$ 4. Ainsi que nous Vavons dity ch. 30, S12.—£a même a«#erf«on,
Celle du paragraphe précédent et les deux premières du S *.
SECTION II, CHAPITRE XXIV. 411 pouvoir rectifier de la même manière les
raisonnements qui sont erronés par une même cause. Or, cette rec¬tification
n'aura point lieu, si Ton prend la même asser¬tion, non pas avec le mot savoir,
mais avecie mot être absolument, ou être de telle ou telle façon, par exemple,
si cet homme est père et qu'il soit vôtre. En effet si pour certains cas cette
solution est vraie, et qu'on puisse savoir et ignorer une même chose, le
principe admis n'a pas du tout ici d'application.
§ 5. Rien n'empêche, du reste, que le même raison¬nement n'ait plusieurs
défauts. Mais il ne suffit pas de découvrir toutes les fautes pour que ce soit
toujours une solution ; car il se peut qu'on montre que l'adver¬saire a fait un
faux raisonnement, sans montrer en quoi il pèche : par exemple, comme ce
principe de Zenon qu'il ne peut y avoir de mouvement. Si donc l'on cher* chait à
réduire ce raisonnement à l'absurde, on se trom¬perait, eût-on fait dix mille
conclusions régulières; car ce n'est pas là positivement la solution. La
solu¬tion vraie était de faire voir que le raisonnement est faux et en quoi il
est faux. Si donc l'adversaire n'a pas fait de conclusion régulière, qu'il
essaie d'ailleurs de soutenir, soit le vrai soit le faux, montrer qu'il n'a pas
conclu, ce sera la vraie solution. § 6. Mais peut-être n'y a-t-il aucune
difficulté à ce que cela se pro¬duise dans quelques cas; seulement, dans ces cas
même qu'on vient de citer, cette solution n'est pas pos¬sible; car celui qui
connaît Coriscus sait aussi que c'est Coriscus, et celui qui connaît ce qui
s'approche con¬naît aussi qu'il s'approche. On peut counaître et ne connaître
pas une même chose : par exemple, on ipeut savoir que cette personne est blanche
et ne pas savoir qu'elle est musicienne ; car, de cette façon, on sait et l'on
ne sait pas une même chose, mais non pas sous le même rapport. Mais quant à ce
qui s'approche et à Coriscus ; on sait que la chose s'approche et que c'est
Coriscus.
§ 7. De même on se trompe, et l'on ne donne pas plus de solution que dans les
cas que nous venons de citer, quand on soutient que tout nombre est petit et
grand; car, si ne faisant pas de conclusion précise, et laissant de côté ce
point, on dit qu'on a conclu le vrai, parce que tout nombre est grand et petit,
l'on se trompe complètement.
§ 8. Quelques personnes résolvent aussi en distin¬guant le double sens, dans les
cas.où l'on dit, par exem¬ple ; Donc, c'est ton père, ou ton fils, ou ton
esclave.
§ 9. Pourtant, il est clair que, si la réfutation paraît devoir tenir à la
diversité des sens, il faut que le mot ou la phrase puisse s'appliquer en propre
à plusieurs choses. Mais on ne peut jamais dire proprement que tel soit l'enfant
de tel, parce que tel est maître de l'en¬fant. Mais la combinaison des idées est
purement acci¬dentelle : Ceci est-il à toi ? Oui; mais ceci est un enfant; c'est
donc ton enfant. Oui, accidentellement, ceci est à toi et est un enfant, mais ce
n'est pas ton enfant.
§ 10. Même solution quand on dit que tel bien peut
g 7. Que tout nombre est petit et grand, L'édition de Berlin donne seulement :
est petit, sans citer d'autorité. J'ai conservé la leçon ordinaire, qui
cependant est peut-être moins bonne. Sylburge met le mot grand entre crochets
pour en proposer la suppression.
g 8. Donc c'est ton père, Voir plus haut, g i, et plus bas au g suivant.
δ 10. Tel bien peut être des
SECTION II, CHAPITRE XXIV. 413 être des maux; car la réflexion est la science
des maux. Mais dire que ceci est de cela n'a pas plusieurs sens, cela veut dire
seulement que ceci est la propriété de cela. Si donc la phrase a plusieurs sens,
car nous di¬sons que l'homme est des animaux, eu tant qu'il en faut partie, et
non en tant qu'il en est la propriété, et si quelque chose est mis en rapport
avec le mal par la particule : de, il est par cela même des maux : mais
ce¬pendant il n'est pas au nombre des maux. L'expression, toute restrictive
qu'elle est, paraît donc prise aussi dans le sens absolu. Cependant, un bien
peut être des maux de deux façons, non pas dans le sens qui précède, mais plutôt
en ce sens où l'on dit qu'un bou esclave est d'un méchant maître. Mais peut-être
ceci même n'est-il pas exact ; car si l'esclave est bon, et qu'il soit de ce
maître, il n'est pas bon de ce maître, en réunissant les deux expressions. Dire
que l'homme est des animaux, cela non plus n'a pas plusieurs sens ; car on ne
peut pas dire qu'une expression ait plusieurs sens, par cela seul qu'on lui
retranche quelque chose. Ainsi, il suffit de prononcer la moitié d'un vers pour
exprimer : Donne-
maux y II faut se rappeler que le génitif en grec exprime un rapport de
propriété et de nombre tout à la fois.—Nous disons que l'homme est des animaux.
Voir plus haut, ch. 17, §i$*-~Unbonesclave est d'un méchant maître, L'esclave a
beau avoir pour relatif nécessaire le maître, l'esclave peut rester bon et le
maître n'en être pas moins mauvais. Du reste, la phrase grecque prête à une
équivoque qu'il est impossible de rendre en français : Elle signifie que si
quelque chose est l'esclave d'un mal (ou mauvais), il ne s'en¬suit pas qu'elle
soit à la fois le bien de cela, c'est-à-dire le bien du mal. Notre langue impose
une précision et une clarté qui détruisent tous ces jeux de mots.—Déesse, chante
la colère, Cette phrase n'a jamais qu'un sens, malgré l'emploi tout à fait
détourné auquel on l'a fait acci¬dentellement servir, et qui a bien quelque
apparence de réalité.
moi l'Iliade. Et nous disons ainsi : Donne-moi: Déesse,
chante la colère, etc., etc.
CHAPITRE XXV.
Solution des paralogismes qui tiennent à ce qu'on prend me expression
restrictive au lieu d'une expression absolue : exemples divers.
§ ι. Quant aux paralogismes venant de ce qu'on a pris une restriction de lieu,
de temps, de manière, ou une relation, au lieu de s'exprimer absolument, il faut
les résoudre en regardant si la conclusion a une contra¬diction, et si elle peut
la recevoir à quelque égard que ce soit. En effet, il est impossible, absolument
parlant, que les contraires soient à une même chose, non plus que les opposés,
ni l'affirmation et la négation. Mais il est possible, cependant, que l'un et
l'autre y soient ensemble dans telle partie, dans telle relation, de telle
façon, que l'un y soit d'une façon restrictive, et l'autre absolument ; de sorte
que si l'un y est absolument, et l'autre avec restriction, il n'y a pas là de
réfutation. Mais c'est là ce qu'il faut voir dans la conclusion en regardant à
la contradiction.
§ a. Tous les paralogismes de ce genre sous-eiitendent ce principe : Le non-être
peut-il donc être? Le non-
& S. Mais il obéit en quelque chose, Cette phrase, que l'édition de Berlin donne
ainsi que le font toutes les autres éditions, me sem¬ble indispensable au sens.
Pacius ne Ta point, c'est sans doute une simple omission qui aura échappé à son
extrême exactitude.
être est certainement quelque chose. Et de même l'être ne sera pas; car il ne
sera pas quelqu'une des choses qui sont. Le même homme peut-il en même temps
ju¬rer vrai, et se parjurer ? Le même homme peut-il, en même temps, obéir et
désobéir au même ordre ? Mais, ne peut-on pas dire que : être quelque chose, et
être, ce n'est pas la même chose? Et ainsi, le non-être, pour être quelque
chose, n'est pas cependant absolument. Ne peut-on pas dire encore qu'on peut
jurer vrai pour telle chose et de telle façon, sans que nécessairement l'on jure
vrai? car celui qui a juré de se parjurer, en se parjurant, jure vrai sur ce
point seul, mais il ne jure pas vrai d'une manière absolue, pas plus que celui
qui dé¬sobéit n'obéit, mais il peut obéir en quelque chose.
§ 3. C'est le même raisonnement, quand on dit que le même homme ment et dit la
vérité en même temps. Mais c'est parce qu'il n'est pas aisé de savoir si l'on
avance qu'il ment ou dit vrai absolument, que ce cas paraît difficile. Rien
n'empêche qu'absolument il ne mente, et il ne dise vrai en un sens et à quelque
égard, et qu'il ne soit véridique pour certaines choses et ne le soit pas
absolument. § 4• Et de même pour les restrictions de relation de lieu et de
temps ; car tous ces paralo¬gismes portent sur ce point: La santé ou la richesse
est-elle un bien ? Mais elle n'est pas un bien pour l'insensé, ni pour celui qui
ne sait pas s'en servir ; donc elle est un bien et n'est pas un bien. Est-ce un
bien d'avoir de la santé, d'avoir du pouvoir dans l'État? Souvent, cela ne vaut
pas mieux. Ainsi donc, la même chose est bonne et pas bonne pour le même homme.
Ou bien, rien n'empêche qu'étant bonne absolument, elle ne le
416 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES, soit pas pour tel homme : ou encore elle peut
être bonne pour cet homme, mais non pas maintenant, ni dans cette circonstance.
§ 5. Mais ce que ne voudrait pas l'homme sage, est-il un mal? or, il ne veut pas
perdre le bien : donc le bien est un mal. Mais ce n'est pas la même chose de
dire : Le bien est un mal, ou perdre le bien. § 6. Même solu¬tion pour le
paralogisme du voleur ; car si le voleur est un mal, prendre n'est pas aussi un
mal : donc on ne veut pas le mal quand on veut le prendre; on veut le bien, car
c'est un bien de le prendre. § 7. Et la maladie est un mal, mais ce n'en est pas
un de perdre la maladie. § 8. Le juste est-il préférable à l'injuste, et le
justement à l'injustement? Mais il vaut mieux mourir injustement que justement.
§ g. Est-il juste que cha¬cun ait ce qui lui appartient? or, le jugement que.
chaque juge porte d'après son opinion, bien que cette opinion soit fausse, a
toute valeur d'après la loi ; donc, la même chose est juste et ne l'est pas. Qui
doit-on con¬damner? celui qui dit des choses justes ou celui qui dit des choses
injustes? Mais il est juste que celui qui a été lésé dise tout au long ce qu'il
a souffert ; or, ce qu'il a
8 8. Que justement, Je conserve avec Pacius ces mots que ne don¬nent ni Sylburge
ni l'édition de Berlin.
§ 9. Est-il juste que chacun ait ce qui lui appartient, Oui, sans doute; mais le
juge, dont le juge¬ment est toujours juste d'après la loi, adjuge vos biens à un
autre qui n'y a point de droit : donc la même chose est juste et injuste. —
Celui qui dit des choses justes. En
racontant des injustices dont on a souffert, on dit, on raconte des choses
injustes : et par une équi¬voque spéciale à la langue grecque, le sophiste
conclut que, dans ce cas, on est absolument sur la même ligne et aussi coupable
que celui qui dit des choses injustes, qui ment et se parjure. Le Français ne
rend pas cette équiveque.
SECTION II, CHAPITRE XXVI. 417 souffert était des choses injustes. § ι ï. En
effet, de ce qu'il vaut mieux souffrir quelque chose injustement, il ne s'ensuit
pas que l'injustement soit préférable au jus¬tement. C'est le justement qui Test
d'une manière ab¬solue; mais rien n'empêche que telle chose injustement ne soit
préférable à cette même chose justement. § ι a. Il est juste aussi que chacun
ait ce qui lui appartient: il sest injuste d'avoir le bien d'autrui. Mais rien
n'empêche cependant que ce jugement ne soit juste; par exemple, s'il est
conforme à la conscience du juge. Toutefois si telle chose est juste de telle ou
telle façon, ce n'est pas un motif pour qu'elle soit juste absolument. § i3. Et
de même, bien que ces choses soient injustes, rien n'em¬pêche qu'il ne soit
juste de les dire ; car de ce qu'il est juste de les dire, il n'y a pas
nécessité qu'elles soient justes, de même qu'elles ne sont pas utiles parce
qu'il est utile de les dire. Et de même pour les choses justes. En effet, de ce
que les choses dites sont injustes, celui qui les dit ne fait pas des choses
injustes ; car il dit les choses qu'il est juste de dire, bien qu'absolument
elles soient injustes, et surtout injustes à souffrir.
CHAPITRE XXVI.
■ Solution des paralogismes qui pèchent contre la déGnition de la réfutation.
§ i. Quant aux paralogismes qui tiennent à la défi¬nition de la réfutation,
ainsi qu'on l'a dit plus haut, il
% 1. Ainsi qu'on Va dit plus haut, Voir plus haut, ch. 5, & 1 et *. IV. 87
418 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES, faut les résoudre en opposant à la conclusion une
con¬tradiction qui s'adresse au même objet, sous le même rapport, et du même
point de vue, et sous la même forme, et dans le même temps. § 2. Si Ton est
interrogé dans le commencement de la discussion, il ne faut pas convenir qu'il
soit impossible qu'une même chose soit double et non double ; mais il faut dire
que cela ne se peut pas de telle façon, comme si l'on pouvait être réfuté en en
convenant. § 3. Tous ces paralogismes rentrent dans la forme suivante : Celui
qui sait de chaque chose qu'elle est telle chose, sait-il la chose? Et de celui
qui l'ignore en est-il également? Ainsi, quelqu'un qui sait que Coriscus est
Coriscus, peut bien ignorer qu'il est musicien ; de sorte qu'il sait et qu'il
ignore la même chose. § 4 • Et encore : Une chose de quatre coudées est-elle
plus grande que celle de trois? Mais la chose de trois coudées peut, en
longueur, arrivera en avoir quatre. Or, le plus grand est plus grand que le plus
petit ; donc une chose sera plus grande et plus petite qu'elle-même.
CHAPITRE XXVII.
Solution des paralogismes par pétition de principe.
§ I. Pour les paralogismes par pétition de principe, celui qui interroge ne doit
pas l'accorder si elle est évi¬dente, et quand même il serait probable que
l'adversaire dit vrai. § 2. Si la pétition de principe reste cachée, il faut
rejeter cette ignorance sur celui qui interroge, et lui imputer le vice de ces
raisonnements, comme s'il n'avait pas argumenté régulièrement; car la réfutation
ne peut avoir lieu que sans la pétition de principe. § 3. Il faut ajouter que
l'on a concédé ce point, non pas pour que l'adversaire s'en servît, mais parce
qu'on pensait qu'il conclurait par là le contraire de ce qui avait été avancé
dans les contre-réfutations.
CHAPITRE XXVIII.
Solution des paralogismes par consécution fausse.
§ ι. Il faut montrer, par le raisonnement même, le vice des paralogismes qui ne
concluent que par le con¬séquent. § 2. Mais les conséquents peuvent suivre de
deux manières : c'est d'abord comme l'universel est le conséquent du
particulier, et c'est ainsi qu'animal suit homme ; car on peut affirmer que, si
le premier suit le second, le second suit aussi le premier. Ou bien, la
con¬sécution a lieu parles antithèses; car si l'un suit l'autre, l'opposé suit
aussi l'opposé. § 3. Et c'est sur quoi se fonde le raisonnement de Mélissus; car
si ce qui est créé a un commencement, il faut penser que ce qui n'est pas créé
n'en a pas ; donc, si le ciel est incréé, il est par cela même infini. Mais cela
n'est pas exact ; car ici la con¬sécution est renversée.
S 3. le rationnement de Mélissus, cilé aussi plus haut, ch, 5, S 8.
CHAPITRE XXIX.
Solution des paralogismes par addition.
§ ι. Pour les paralogismes qui ne concluent qu'en ajoutant quelque donnée
nouvelle, il faut examiner si, en retranchant cette addition, la conclusion
absurde n'en a pas moins lieu. Il faut ensuite montrer cela net¬tement : et il
faut dire que, si l'on a concédé cette as¬sertion , ce n'est pas qu'elle parût
vraie, mais seulement parce qu'elle paraissait utile à la discussion, bien que
l'adversaire n'ait pas su l'y faire servir.
CHAPITRE XXX.
Solution des paralogismes par confusion de plusieurs questions en une seule.
§ i. Quant à ceux qui de plusieurs questions en font une seule, il faut
distinguer les questions dès le début. Une question une est celle à laquelle il
n'y a qu'une seule réponse; et par conséquent il faut dire, non pas plusieurs
choses pour une seule ou une seule pour plu¬sieurs, mais une pour une, soit
qu'on nie, soit qu'on affirme. § i. De même que, dans les homonymes où
l'attribut est tantôt aux deux sens et tantôt n'est ni à l'un ni à l'autre, la
question n'étant pas simple, il n'y
a point de résultat si Ton se contente de répondre sim¬plement , de même pour ce
cas-ci. Lors donc que plu¬sieurs attributs sont à un seul sujet, ou un seul
attribut à plusieurs sujets, soit affirmés, soit niés, on ne peut produire
aucune contradiction, si l'on accorde simple¬ment l'assertion, et que l'on
commette cette faute. Mais quand l'un des termes est vrai et que l'autre ne
l'est pas, et quand plusieurs s'appliquent à plusieurs, et que les deux sont en
partie aux deux, et qu'en partie ils n'y sont pas, c'est alors qu'il faut
prendre bien garde. § 3. Par exemple, dans les raisonnements de ce genre : Si de
deux choses l'une est bonne et l'autre mauvaise, il est vrai de dire de ces
choses qu'elles sont bonnes et mauvaises. Et, à l'inverse, il n'est pas moins
vrai de dire qu'elles ne sont ni bonnes ni mauvaises; car les deux ne sont pas
les deux ; de sorte que la même chose est bonne et mauvaise, et n'est ni bonne
ni mauvaise. § 4• De plus, comme chaque chose est identique à elle-même et
différente des autres, et comme ces choses sont iden¬tiques, non pas à d'autres,
mais à elles mêmes, et qu'elles sont autres qu'elles-mêmes, les mêmes choses
sont donc identiques à elles-mêmes et autres qu'elles-mêmes. § 5. De plus, si le
mal devient le bien, et que le bien devienne le mal, les deux deviendront à la
fois bien et mal. § 6. De deux choses inégales, chacune est égale à elle-
g ». Soit affirmés, soit niés, L'édition de Berlin supprime ces mots sans citer
d'autorité. — Mais quand l'un des termes est vrai et que l'autre ne l'est pas,
Sylburge et l'édition de Berlin donnent le datif au lieu du nominatif qu'ont
Isingri¬η us et Pacius. Le sens reste le même sauf une nuance insignifiante.
g 4. Et différente des autres, L'édition de Berlin, sans citer d'autorité, donue
: Différente d'une autre. Cette leçon n'est point préfé¬rable à la leçon
vulgaire.
422 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES, même, de sorte que les mêmes choses sont égales
et inégales à elles-mêmes.
§ 7. On peut encore donner d'autres solutions à ces raisonnements. Ainsi, ces
expressions : les deux et tous, ont plusieurs significations; donc, une même
chose ne peut que verbalement être affirmée et niée ; or, ce n'est pas là une
réfutation. Mais il est évident que, quand plusieurs questions ne se confondent
pas en une seule, et qu'on ne fait qu'affirmer ou nier une seule chose d'une
seule chose, il n'y aura pas de conclusion absurde.
CHAPITRE XXXI.
Solution des paralogismes par répétition inutile de mots.
§ i. Quant aux paralogismes qui mènent à répéter plusieurs fois la même chose,
il est évident qu'il ne faut pas accorder que les catégories, prises séparément,
aient par elles seules un sens pour les relatifs. Par exemple, le double ne
signifie rien sans le double de la moitié, bien que cela paraisse tout un.
Ainsi, dix est dans dix moins un, et faire est dans ne pas faire, et en
. δ 7. Il n'y aura pat de conclu¬sion absurde, Le sophiste ne pourra point nous
amener à faire de con¬clusion absurde et contradictoire.
$ 1. Bien que cela paraisse tout un, L'édition de Berlin remplace : Tout un, par
un senl mot qui signi¬fie également : paraître, et qui, par une Taule
d'impression, sans doute, aura été substitué à la leçon ordi¬naire. Celle-ci est
certainement pré¬férable, bien que l'autre soit suffi¬sante aussi. — A lui tout
seul, L'édition de Berlin ne donne cette leçon que dans les variantes; il faut
la conserver dans le teste. %
SECTION II, CHAPITRE XXXI. 423 général l'affirmation est dans'la négation; et,
cepen¬dant, si Ton dit que telle chose n'est pas blanche, on ne dit pas qu'elle
est blanche. Mais le double n'exprime peut-être rien à lui tout seul, pas plus
que la moitié prise toute seule; ou, s'il signifie quelque chose, il n'a pas
certainement le même sens que lorsqu'il est com¬biné. § a. La science prise dans
l'une de ses espèces, et, par exemple, la science de la médecine, n'a pas le
même sens que l'expression commune; car la science est la science de ce qui est
su. § 3. Dans les attributs qui ne sont expliqués que par leurs sujets, il faut
dire que le mot pris à part n'a pas le même sens que dans la phrase. Ainsi, par
exemple, le convexe, pris communément, exprime aussi bien le camus que l'arqué,
et rien n'em¬pêche d'y ajouter quelque chose qui précise la signifi¬cation. Mais
l'un convient au nez et l'autre aux jambes ; car convexe exprime ici le nez
camus, et là les jambes arquées : et il n'y a pas de différence entre nez camus
et nez convexe. § 4• U »e fc*ut pas cependaut accorder l'expressiou au cas
direct; car alors elle est fausse: ainsi, le camus n'est pas le nez convexe,
c'est quelque chose du nez; et, par exemple, c'est une modification
g 2. L'expression commune, La science prise dans toute sa généra¬lité sans
aucune détermination spé¬ciale. — De ce qui .est su, et non de la médecine, ou
de telle autre spécialité
g 3. Pris communément, dans son sens générique et sans aucune détermination
spéciale. — Le ca¬mus que Varqué, Le camus étant spécial au nez, l'arqué l'étant
aux jambes. — II n'y a pas de diffé¬rence, pour le sens, mais seulement pour la
régularité de l'expression , conforme ou non conforme à l'u¬sage.
g 4. Au cas direct, au nomi¬natif. — Qui a la convexité du nez, la convexité
spéciale au liez, et est camus à ce tiire.
du nez; de sorte qu'il n'y a rien d'absurde à dire que le nez camus est un nez
qui a la convexité du nez.
CHAPITRE XXXII.
Solution des paralogismes par solécismes ou fautes contre la grammaire :
exemples divers.
§ i. Pour les solécismes, nous avons dit antérieure¬ment comment ils se forment;
quant à savoir comment il faut les résoudre, c'est ce que les considérations
sui¬vantes montreront. § a. Tous reviennent au cas suivant : Ce que tu dis avec
vérité est-il vrai? Tu dis que ceci est un caillou : il y a donc quelque chose
qui est caillou. Ou bien est-ce que dire caillou ce n'est pas dire, non point un
neutre, mais un masculin; non pas cela, mais cet? Si donc on demande :Ce que tu
dis est-ce celui-là? on semblerait ne pas parler correctement, de même qu'on ne
semblerait pas non plus bien parler si l'on disait: Celle que tu dis, n'est-ce
pas celui-là? Mais par
g 1. Nous avons dit antérieu-rement, Voir plus haut, ch. 3, % 2.
g 2. Ceci est un caillou, Dans la phrase grecque, caillou est à l'accu¬satif, et
dans la phrase suivante, qui est la conclusion du sophiste : Quelque chose qui
est caillou, il est laissé à l'accusatif, tandis que cor¬rectement il devrait
être au nomi¬natif. C'est là ce qui constitue le solécisme. Mais cette
différence nous échappe dans le français, qui ne distingue pas le nominatif de
l'ac¬cusatif. — Non point un neutre , mais un masculin , J'ai dû altérer un peu
le texte pour faire sentir la différence de deux pronoms diffé¬rents en grec, et
confondus en fran¬çais. — Le cas du nom qui n'est pas semblable, On prend
aisément l'accusalif pour le nominatif, parce que l'un et l'autre ne diffèrent
que par une seule lettre finale : en fran¬çais ils ne diffèrent pas du tout.
D Hi VI X J. VF 11 J.X, Ull ΑΓ AAA1J. I^J
celui-là on a voulu désigner du bois, ou bien telle chose qui n'est ni masculine
ni féminine, peu importe. Aussi, il n'y a pas de solécisme si Ton dit : Ce que
tu dis est-ce bien cela? Or, tu dis que c'est du bois, donc c'est du bois. Mais
caillou et celui-ci sont du masculin. Si l'on disait : Celui-ci est-il celle-là?
et ensuite : Qu'est-ce? Celui-ci n'est-il pas Coriscus? et qu'on ajoutât
ensuite: Donc celui-ci est-celle-là, on n'aurait pas conclu un solécisme, pas
même si Coriscus signifie la même chose que celle-là, tant que celui qui répond
ne l'a pas accordé. Mais il faut faire à l'avance cette convention, que si
l'assertion n'est pas vraie et qu'on ne l'accorde pas, il n'y a pas de
conclusion, ni en réalité, ni pour celui qui est interrogé. Il faut donc qu'ici
aussi caillou signifie également celui-ci; mais si cela n'est pas vrai et qu'on
ne l'accorde point, il ne faut pas admettre la conclusion. Ce qui cause ici
l'illusion, c'est qu'il paraît que le cas du nom qui n'est pas semblable est
semblable. § 3. Est-il vrai de dire: Elle est ce que tu as dit qu'elle est? Mais
tu as dit qu'elle est un bouclier : elle est donc le bouclier? Ou bien ne
peut-on pas dire que cette conclu¬sion n'est pas nécessaire, puisqu'elle exprime
bouclier à l'accusatif et non bouclier au nominatif, et que bou¬clier à
l'accusatif exige elle à l'accusatif? § 4• Quand bien même cet homme est bien ce
que tu dis qu'il est,
$ 3. Elle est donc le- bouclier, Bouclier est en grec à l'accusa¬tif, d'après la
réponse précédente qu'accepte le sophiste, au lieu d'être au nominatif comme la
grammaire l'exigerait. J'ai dû faire sentir ceci dans le texte en ajoutant
quelques mots qui ne suffisent même pas pour le rendre intelligible ; il faut
absolument avoir l'original sous les yeux.
g 4. Donc il est Cléon à l'accu¬satif, J'ai ajouté encore ces deux derniers mots
pour éclaircir un peu le texte, que ce secours même laisse encore fort obscu r.
si tu dis qu'il est Cléon, on ne peut pas dire : Donc il est Cléon à
l'accusatif; car il n'est pas Cléon à l'accusatif; et pour cet homme dont je
parle, j'ai dit cet au nomi¬natif et non pas cet à l'accusatif; car la question
ainsi exprimée n'est pas grammaticalement correcte. § 5. Sais-tu cela? or, cela
est une pierre : tu sais donc une pierre. Ou bien, ne doit-on pas dire que cela
n'exprime pas la même chose dans : Sais-tu cela? et cela est une pierre; mais
dans le premier cas il est à l'accusatif, et clans le second il est au
nominatif. § 6. Sais-tu ce dont tu as la science? mais tu as la science delà
pierre; donc tu sais de la pierre. Mais d'un côté, ne dit-on pas de la pierre,
et de l'autre côté, la pierre? On a bien accordé que tu savais ce dont tu as la
science ; mais l'on a dit que tu savais, non pas de cela, mais cela; et ici
c'est n'est pas de la pierre, mais la pierre.
§ 7. On voit donc, d'après tout ceci, que ces raison¬nements ne concluent pas de
vrais solécismes, mais qu'ils paraissent seulement le faire; on: voit comment
ils le paraissent, et comment il faut les combattre.
8 5. Tu sais donc une pierre, Pierre est ici au nominatif en grec, tandis que
grammaticalement il de¬vrait être à l'accusatif.
g 6. Tu sais de la pierre, Ici c'est le génitif que, d'après la ré¬ponse, prend
le sophiste, au lieu du nominatif et de l'accusatif qu'il prenait tout à l'heure
: c'est là ce qui cause le paralogisme.
CHAPITRE XXXIIL
Les solutions ne sont pas également faciles ou difficiles pour tous les
paralogismes. Exemples divers. — Difficultés de la solution dans les
raisonnements syllogistiques et les raisonnements contentieux.
§ 1.11 faut remarquer aussi que, parmi tous les para¬logismes, il est facile
pour les uns et difficile pour les autres, de voir sur quel point et de quelle
manière ils font illusion à l'auditeur, parce qu'ils se confondent souvent les
uns avec les autres à cause de leur ressem¬blance. En effet il faut appeler
identique le raisonnement qui a le même point de départ, et cette identité
paraît; tenir tantôt au mot, tantôt à l'accident, et tantôt à une autre cause
encore, parce que toutes les fois qu'il y a quelque changement, les choses ne
sont plus également évidentes. § a. C'est donc comme pour les cas d'homo¬nymie,
et c'est là, ce semble, la source la plus ordinaire des paralogismes. Parmi ces
cas, les uns sont évidents, même aux gens les moins exercés. En effet, presque
tous les raisonnements ridicules jouent sur les mots mêmes. Par exemple, un
homme portait sur l'échelle
g a. Un char, Le mot grec si¬gnifie à la fois escabeau et char à deux roues. Je
n'ai pu trouver de mot équivoque en français. Pour réquivoque suivante, le
français s'y prête comme le grec.—Devant, Le mot grec signifie également : par
devant et auparavant. — Pur, Le mot grec signifie à la fois : pur, sain, et
innocent de meurtre.—Evarque, signifie qui conduit bien les affaires:
Apollonide, au contraire, signifie qui perd les affaires.—Le paralo¬gisme de
Zenon et de Parménide, Arislote Ta combattu tout au long, Physique, liv. 1, ch.
3, édition de Berlin, p. 186, a, 4. Seulement il y remplace Zenon par Mélissus.
un char. Et comment allez-vous? À la voile. Laquelle des deux vaches mettra bas
devant? Aucune : mais toutes les deux mettront bas par derrière. Borée est-il
pur? Non, car il a tué le mendiant et le marchand. Est-ce Evarque? Non, c'est
Apollonide. Et de même pour presque tous les autres jeux de mots. D'autres cas
d'ho¬monymie, au contraire, échappent aux plus habiles : et la preuve, c'est que
souvent ils bataillent sur les mots. Ainsi, par exemple, l'un et l'être se
confondent-ils dans tous les cas, ou sont-ils différents? C'est qu'en effet,
pour certains philosophes, l'être et l'un semblent expri¬mer tout à fait la même
chose; d'autres, au contraire, résolvent le paralogisme de Zenon et de
Parménide, en prétendaut que l'être et l'un ont plusieurs sens. Et de même pour
les paralogismes de l'accident et pour chacun des autres. Les uns seront plus
faciles à découvrir, les autres plus difficiles, et il n'est pas également aisé
pour tous de savoir dans quel genre ils sont, et s il y a ou non réfutation
véritable.
§ 3. L'argumentation la plus redoutable est celle qui soulève le plus de doutes;
car c'est celle qui gêne le plus. § 4* Le doute est de deux sortes : ainsi, dans
les raisonnements vraiment réguliers, on ne sait quelle est celle des questions
que l'on doit nier : et, dans les dis¬cussions purement conteutieuses, on ne
sait comment exprimer la chose qu'on veut soutenir. Et voilà pour¬quoi, dans les
raisonnements syllogistiques, les plus embarrassants sont ceux qui font le plus
chercher. § 5. Le raisonnement syllogistique qui est le plus em-
8 5. Par lequel on détruit ou Von établit, L'édition de Berlin, sans citer
d'autorité, supprime l'ai¬ternalive que donnent les éditions ordinaires, et
qu'il me semble in¬dispensable de conserver.
barrassant de tous, est celui par lequel on détruit ou l'on établit l'opinion la
plus probable, par les opinions les plus probables aussi; car le raisonnement,
tout en restant unique, pourra, rien que par un déplacement de la contradiction,
recevoir toutes les mêmes conclusions. C'est qu'en effet on peut toujours, par
des propositions probables, renverser ou établir une proposition qui n'est
qu'également probable ; et c'est là ce qui cause néces¬sairement le doute.
Ainsi, le raisonnement le plus em¬barrassant est celui où la conclusion est
aussi forte que les questions. §6. Celui qui vient le second, à cet égard, est
celui où toutes les propositions sont égales ; car alors l'embarras est égal
pour savoir quelle est celle des questions qu'il faut attaquer. Or, il est
difficile de le savoir; on voit bien qu'il faut en détruire une; mais laquelle?
c'est ce qu'on ignore. § 7. Parmi les raisonne¬ments contentieux, le plus
embarrassant, c'est celui dont on ne sait d'abord s'il conclut ou ne conclut
pas, et si la solution doit en être cherchée dans la proposi¬tion fausse ou dans
la division. § 8. Le second, en diffi¬culté, est celui dont on voit bien qu'il
doit être résolu par la division ou la négation, mais dont on ne sait sur quelle
proposition on doit faire porter la négation ou la division pour le résoudre, la
solution pouvant se rapporter également à la conclusion ou à l'une des
questions.
§ 9. Quelquefois aussi le raisonnement qui ne con¬clut pas ne mérite aucune
attention, si les données sont par trop improbables, ou si elles sont fausses.
Quelque-
g 7. Ou dans la division, Voir chap. 4, g 1 et 7 sur la division.
430 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES, fois, cependant, il n'est pas digne de ce mépris.
En effet, lorsqu'une de ces questions vient à être oubliée, sur laquelle et par
laquelle le raisonnement s'établit, et que, négligeant de l'ajouter, on ne peut
arriver à con¬clure, c'est alors que le syllogisme est parfaitement vain. Mais
quand c'est par des motifs tout extérieurs qu'il ne conclut pas, il n'est pas du
tout à mépriser ; car le rai¬sonnement est bon, mais c'est celui qui interroge
qui n'a pas bien interrogé.
§ 10. De même que l'on peut trouver la solution en s'en prenant tantôt au
raisonnement, tantôt à celui qui questionne, tantôt à la question, et tantôt à
toute autre autre chose; de même aussi, on peut interroger et con¬clure en s'en
prenant à la thèse, ou à celui qui répond, ou même au temps, quand la solution
exigerait plus de temps que l'on n'en peut donner pour discuter actuelle¬ment la
solution présentée.
TROISIÈME SECTION.
RESUME GENERAL DE LA LOGIQUE.
CHAPITRE XXXIV.
Résumé du traité des réfutations des sophistes. — Résumé général de toute la
logique.
§. i. De combien de manières et de quelles manières se produisent, dans les
discussions, les paralogismes ; quels sont les moyens de montrer que
l'adversaire se trompe et de l'amener à faire des paradoxes; comment, en outre,
se forme le syllogisme (solécisme); comment il faut interroger ; quel est
l'ordre à mettre dans les
Ce dernier chapitre de l'Organon est de la plus haute importance pour l'histoire
de la Logique. J'ai essayé de le faire sentir ailleurs, Voir mon mémoire sur la
Logique, tom. 1, p. M2.
8 i. De combien de manières, Ceci a été exposé du chap. 1 jus¬qu'au chap. 12.—Et
de ramener à faire des paradoxes, Ceci a été traité, ch. 12. — Comment en outre
se forme le syllogisme, Pacius pense avec grande raison qu'il faut lire :
solécisme au lieu de syllo¬gisme, sujet traité au ch. 14, Fau¬teur omettant ici
le chap. 13 où il s'agit de la tautologie; mais ce changement qui est
indispensable n'étant autorisé par aucun manus¬crit, je n'ai pas cru devoir le
faire. Comme il faut interroger, quel est Vordre, Ceci a été traité, ch. 15. —
Enfin comment il faut résoudre les raisonnements, C'est ce qui a été traité du
chap. 15 jusqu'à celui-ci. Tout ce paragraphe est donc un ré-, sumé complet du
traité des Réfu¬tations.
questions; quelle est l'utilité de toutes ces recherches ; quelles sont les
règles de toute réponse en général; enfin, comment il faut résoudre les
raisonnements et les syllogismes, toutes ces questions doivent être
suffi¬samment éclaircies par ce qui précède. § 2. Il ne nous reste plus, après
avoir rappelé l'objet que nous nous proposions au début, qu'à le résumer en peu
de mots, et à mettre fin ainsi, à tout ce que nous avons dit.
§ 3. Nous nous étions donc proposé de trouver un procédé syllogistique pour
traiter un sujet donné en partant des propositions les plus probables. C'est là,
eu effet, l'œuvre de la dialectique proprement dite, et de celle qui n'a en vue
qu'un simple essai des forces de l'adversaire. Mais comme on demande à la
dialectique, à cause du voisinage même de la sophistique, de nous apprendre,
non-seulement à tenter les risques de la dis¬cussion d'une manière purement
dialectique, mais en¬core comme si nous possédions vraiment la science, c'est là
ce qui fait que nous avons donné pour but à ce traité, non pas seulement de nous
mettre en état de pouvoir contrôler un raisonnement, mais encore, lorsque c'est
nous qui soutenons un raisonnement, de pouvoir défendre tout aussi bien la thèse
que nous adoptons par les arguments les plus probables possible. Nous en avons
dit le motif: et c'est celui qui fait que Socrate in¬terrogeait toujours sans
jamais répondre, précisément
g 1. Au début, De la dialec-trique, comme le prouve le para¬graphe suivant Le
traité des Réfu¬tations, tient à celui des Topiques comme le montre son
commence¬ment même.
$ 3. En partant des proposi¬tions les plus probables, Voirie début des Topiques,
liv. 1, ch. 1, Si.
$ 3. Nous en avons dit le motif, Voir plus haut, ch. 1, g *•
parce qu'il affirmait ne rien savoir. § 4• Il a été expliqué dans les traités
antérieurs à combien de questions s'ap¬pliquera cette méthode, de combien
d'éléments et de quels éléments elle se forme, et par quels procédés nous
pourrons toujours avoir des arguments. Nous avons aussi tracé les règles de
toute interrogation et l'ordre qu'on doit y suivre; nous avons parlé des
réponses et des solutions applicables aux diverses conclusions; nous avons enfin
traité de toutes les autres choses qui font partie de cette même méthode des
discussions. De plus, nous avons étudié les paralogismes, ainsi que nous l'avons
déjà dit. Il est donc clair que les recherches que nous nous étions imposées,
peuvent trouver ici conve¬nablement leur fin.
§ 5. Mais il faut aussi que nous nous rendions bien compte du vrai caractère de
cette étude. § 6. Parmi
8 4. Dans les traités antérieurs, les Topiques.—A combien de ques¬tions
s'appliquera cette méthode, A quatre : la définition, le genre, le propre et
l'accident. Voir les To¬piques, liv. 1, ch. 4, ch. 5 et ch. 8. — Par quels
procédés, Ce sont les lieux communs eux-mêmes exposés dans les livres, a, 3, 4,
5,6 et 7. — Tracé les règles de toute interro¬gation, C'est l'objet du liv. 8
des Topiques jusqu'au ch. 4.— Des ré¬ponses, Cest l'objet du ch. 4 à 14 du livre
S des Topiques. — Des so¬lutions, U ne s'agit point ici du traité des
Réfutations comme on pourrait le croire, mais du ch. 3, du 8* livre des
Topiques. — Nous avons enfin traité de toutes les autres choses, De l'exercice
de la dialectique par exemple, ch. 14, liv. 8 des Topiques, et de quelques
autres questions au début même des Topiques.—Déplus nous avons étudié les
paralogismes. Dans le traité même des Réfutations des Sophistes.—Ainsi que nous
l'avons déjà dit, Au début de ce chapitre. — Les recherches que nous nous étions
imposées, En commençant la dialectique.
8 6. Pour Vétude de la rhéto¬rique, Pacius et Sylburge disent : Delà politique.
L'édition de Berlin donne aussi cette leçon dans les va¬riantes. J'ai préféré
l'autre ; mais ici il n'y a presque aucune diffé¬rence : la politique et la
rhétorique étaient confondues dans ces temps reculés. On peut le voir par le
Gor-gias. Cela tenait à toutes les insti¬tutions politiques de la Grèce.
IV.
as
toutes les découvertes, les unes reçues de mains étran¬gères, et antérieurement
élaborées, ont prospéré dans quelques parties par les soins de ceux qui les ont
ensuite reçues. D'autres, au contraire, trouvées dès le principe, n'ont pris
ordinairement au début qu'un accroissement très-faible, mais cependant beaucoup
plus utile que tout le développement qui devait en sortir plus tard. La chose
capitale, peut-être en tout, c'est le commence¬ment , comme on dit, mais c'est
aussi la plus difficile; plus la découverte a de valeur, plus il est malaisé de
la faire, quand l'objet échappe à l'observation par sa peti¬tesse même. Le germe
une fois trouvé, il est bien plus facile d'y ajouter et d'y réunir le reste :
c'est là précisé¬ment ce qui est arrivé pour l'étude de la rhétorique et pour
presque toutes les autres sciences. Ceux qui ont découvert les éléments n'ont
absolument fait d'abord que quelques faibles pas. Mais ceux qui, aujourd'hui,
ont tant de réputation, recevant la science comme un hé¬ritage accru petit à
petit par tant de labeurs, l'ont ppr-tée au point élevé où nous la voyons:
Tisias après les premiers inventeurs, Thrasymaque après Tisias, Théo¬dore après
celui-ci, et tant d'autres, ont cultivé toutes les parties de la rhétorique.
Aussi, n'y a-t-il point du tout à s'étonner que la science ait acquis tant de
perfec¬tion. § 7. Mais pour la présente étude, on ne peut pas dire que telle
partie eût été travaillée, et que telle autre n'eût point été travaillée;
antérieurement, il n'y avait absolument rien. § 8. Les gens, en effet, qui se
faisaient
g 7. Hiais pour la présente étude, Il faut entendre ici surtout la dialectique.
Plus bas, $ 9, il
ferlera de toute la Logique.
g 8. Les gens qui se faisaient payer, Les Sophistes. Voir dans
payer pour enseigner l'art de la dispute, n'avaient qu'un enseignement pareil à
la méthode de Gorgias. Us donnaient à apprendre, les uns, des discours de
rhé¬torique, les autres, des séries de questions renfermant} selon eux, les
sujets sur lesquels retombent le plus ha¬bituellement les arguments des deux
interlocuteurs. Aussi l'apprentissage était-il avec eux très-rapide, mais aussi
très-grossier. Enseignant, non pas l'art, mais les résultats de l'art, ils
s'imaginaient montrer quelque chose. C'est comme si quelqu'un qui se prétendrait
ca¬pable de montrer scientifiquement à η avoir pas mal aux pieds, enseignait,
non pas à faire des chaussures, non pas même à savoir s'en procurer de bonnes,
mais se bornait à indiquer toutes les espèces de chaussures diverses. Ce serait
là, certainement, donner des notions fort utiles pour la pratique, mais ce ne
serait pas du tout enseigner un art.
§ 9. Ainsi donc, pour la rhétorique, il y avait des travaux nombreux et anciens.
Pour la science du rai¬sonnement, au contraire, nous n'avions rien absolument
d'antérieur à citer; mais nos pénibles recherches nous ont coûté bien du temps
et bien des peines. § 10. Si
Platon, le Protagoras, le Gorgias, etc. — Ils donnaient à apprendre, Voir
l'Euihydème de Platon, p. 370, trad. de M. Cousin.
8 9. Pour la science du raison¬nement au contraire, Il s'agit donc ici de toute
la logique et avec grande raison, car les Analytiques Premiers et Derniers ,
YHerme-néia, les Catégories, étaient choses encore bien plus neuves que la
Dialectique, ou Topiques et les Ré¬futations des Sophistes.
g 10. Analogues, A ceux qu'a¬vaient les autres sciences.—tous ceux qui ont suivi
ces leçons, C'est le sens exact du mot grec. Ceci indiquerait évidemment que
FOr-ganon a été rédigé pour les élèves d'Aristote, et Ton comprendrait mieux
alors comment le style en est toujours si concis, et le plus souvent même
axiômatique. Le maître l'expliquait aux disciples.
436 RÉFUTATIONS DES SOPHISTES, donc il vous paraît, après avoir examiné nos
travaux, que cette science dénuée de tous antécédents analogues, n'est pas trop
inférieure aux autres sciences qu'ont accrues de successifs labeurs, il ne vous
restera plus, à vous tous, c'est-à-dire, à tous ceux qui ont suivi ces le¬çons,
qu'à montrer de l'indulgence pour les lacunes de cet ouvrage, et de la
reconnaissance pour toutes les découvertes qui y ont été faites.
Fllf DE LA LOGIQUE.
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FIN DU TRAITÉ DE LA réfutation des
sophistes. |