#382. — Après avoir traité de la vertu de manière commune, le Philosophe traite ici de certains principes des actes de la vertu. Il avait dit (#305), en effet, en définissant la vertu, que la vertu est un habitus électif, en ceci que la vertu opère par choix; aussi traite-t-il maintenant, en conséquence, du choix, du volontaire et de la volonté. Entre ces trois [items], le volontaire tient la place du commun, car on dit volontaire tout ce qui se fait de plein gré; le choix, lui, porte sur ce qui vise une fin, tandis que la volonté regarde la fin même. Cette partie se divise en deux parties. Dans la première, il traite des trois principes précédents des actes vertueux. Dans la seconde partie (1113b3), il compare ce type de principes aux actes des vertus. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite du volontaire et de l'involontaire. En second (1111b4), il traite du choix. En troisième (1113a15), il traite de la volonté. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il appartient au présent enseignement de considérer le volontaire et l'involontaire. En second (1109b35), il en traite. Sur le premier [point], il donne deux [raisons].
#383. — La première se tire d'un élément propre à la présente considération, qui a trait aux vertus. Il conclut, partant de ce qui précède, que la vertu morale, dont il s'agit maintenant, porte sur les passions et sur les actions, et de cette manière que c'est à propos de ce qui est volontaire, dans les actions et dans les passions, que se font des louanges, lorsqu'on agit en conformité avec la vertu, et des blâmes, quand on agit en conformité avec le vice. Quand, par contre, on agit involontairement, si on agit en conformité avec la vertu, on ne mérite certes pas de louange; et si on agit à l'encontre de la vertu, on mérite de l'indulgence, du fait qu'on ait agi involontairement, de sorte qu'on est moins blâmé. Parfois même, on mérite la pitié, de sorte qu'on est totalement exempt de blâme.
#384. — Ou alors, on peut distinguer l'indulgence de la pitié, de manière à parler d'indulgence, quand on diminue ou remet totalement le blâme ou la peine par jugement de la raison. Et de pitié, pour autant que cela se fait par passion. Or la louange et le blâme sont dus proprement à la vertu et au vice. C'est pourquoi, pour ceux qui s'efforcent de réfléchir sur la vertu, il y a lieu de traiter le volontaire et l'involontaire, d'après lesquels se différencie la raison de louange et de blâme.
#385. — Il donne ensuite une seconde raison (1109b34). Celle-là se tire de la matière politique, à laquelle est ordonnée la présente étude. Il dit qu'il est utile aux législateurs de réfléchir sur le volontaire et sur l'involontaire, pour statuer les honneurs dus à ceux qui agissent bien, ou les peines dues aux gens fautifs, où la différence entre le volontaire et l'involontaire introduit des distinctions.
#386. — Ensuite (1109b35), il traite du volontaire et de l'involontaire. En premier, de l'involontaire. En second (1111a20), du volontaire. La raison de cet ordre est que l'involontaire procède d'une cause simple, par exemple, de la seule ignorance ou de la seule violence, tandis que, pour le volontaire, plusieurs [causes] doivent concourir. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il divise l'involontaire. En second (1110a1), il traite d'un membre de la division. En troisième (1110b18), de l'autre. Il dit donc, en premier, que c'est de deux manières que des [actions] sont manifestement involontaires: ou bien faites par violence, ou bien faites par ignorance. La raison de cette division tient à ce que l'involontaire est la privation du volontaire. Or le volontaire importe le mouvement de la faculté appétitive, lequel présuppose la connaissance de la faculté appréhensive, du fait que c'est une fois appréhendé que le bien meut la faculté appétitive. Une action a donc deux façons de se trouver involontaire. D'une façon, du fait que se trouve exclu le mouvement même de la faculté appétitive: voilà l'involontaire par violence. D'une autre façon, du fait que soit exclue la connaissance de la faculté appréhensive: voilà l'involontaire par ignorance.
#387. — Ensuite (1110a1), il traite de l'involontaire par violence. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'est-ce qui est violent. En second (1110b9), il exclut une erreur à ce [sujet]. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre qu'est-ce qui est violent de manière absolue. En second (1110a4), qu'est-ce qui est violent sous un certain aspect. En troisième (1110b1), il épilogue. Il dit donc, en premier, qu'est violent ce dont le principe est extérieur. Il a été dit (#386), en effet, que la violence exclut le mouvement appétitif. Aussi, comme l'appétit est un principe intrinsèque, il convient que le violent procède d'un principe extrinsèque; non pas, cependant, que tout ce dont le principe est extérieur soit violent, mais seulement ce qui procède d'un principe extrinsèque de manière que l'appétit intérieur ne concourre pas à la même [chose]. C'est ce qu'il dit, qu'à un tel violent on ne collabore en rien par son appétit propre. Il parle d'agent pour autant qu'on fait quelque chose, sous l'effet de la violence, et de patient, pour autant qu'on subit de la violence. Il soumet un exemple: si le souffle, c'est-à-dire le vent, pousse, par sa violence, quelque chose quelque part; ou si des gens, en maîtrise et pouvoir, expulsent quelqu'un contre sa volonté.
#388. — Ensuite (1110a4), il montre qu'est ce qui est violent sous un certain aspect. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il soulève une difficulté. En second (1110a11), il la résout. En troisième (1110a19), il manifeste la solution. Il dit donc, en premier, qu'il y a des [choses] que l'on fait par crainte de maux plus grands qu'on craint d'encourir, ou en raison d'un bien qu'on craint de perdre. Par exemple, si un tyran, ayant en sa maîtrise et en son pouvoir nos parents et nos enfants, nous ordonne de faire quelque chose de honteux, avec la menace que, si on obéit, ils ne seront pas tués, mais que, si on n'obéit pas, ils seront tués.
#389. — Il y a donc cette difficulté: est-ce que ce qui est fait sous une telle crainte doit se dire volontaire, ou plutôt involontaire. Il soumet un autre exemple, celui de gens qui, pris dans les tempêtes maritimes, jettent leurs affaires à la mer. Cela, bien sûr, à parler de manière absolue, personne ne le fait volontairement. Mais pour que soi-même et ceux qui sont avec soi soient sauvés, tous le font, qui ont l'intelligence bien disposée.
#390. — Ensuite (1110a11), il résout la difficulté soulevée, en concluant, à partir de ce qui précède (#387), que les actions décrites, faites par peur, sont mixtes, et comportent de l'un et de l'autre: de l'involontaire, bien sûr, puisque personne, de manière absolue, ne veut jeter ses affaires à la mer; du volontaire aussi, puisque, assurément, quelqu'un de sage le voudra, pour le salut de sa personne et des autres. Cependant, elles participent plus aux actions volontaires qu'aux involontaires. La raison en est que l'action de jeter ses affaires à la mer, ou n'importe quelle autre de la sorte, peut se regarder de deux manières. D'abord de manière absolue et universelle, et elle est alors involontaire. Ensuite en regard des circonstances particulières liées au temps où elle est à faire, et elle est alors volontaire. Car, comme les actes ont rapport aux singuliers, la condition d'un acte est à juger plus en considération des singuliers qu'en considération des universels. C'est cela qu'il dit, que les actions décrites deviennent volontaires au moment où elles sont posées, c'est-à-dire en considération de toutes les circonstances singulières liées au moment; sous ce [rapport], le temps singulier est fin et complément de l'action.
#391. — C'est pourquoi on doit dire proprement une action volontaire ou involontaire en considération du temps où on agit. Il est manifeste, par ailleurs, qu'on agit alors en le voulant. Cela appert du fait que, en de telles actions, le principe qui meut les parties organiques, c'est-à-dire, qui applique les membres du corps à l'action, se trouve à l'intérieur de soi. Il en irait autrement, toutefois, si on ne mouvait pas soi-même ses membres, mais qu'on était mû par quelqu'un de plus puissant. Ce qui se fait par un principe intrinsèque, il est en notre pouvoir de le faire et de ne pas le faire, et cela appartient à la notion de volontaire. Aussi est-il manifeste que pareilles actions sont proprement et vraiment volontaires. Cependant, de manière absolue, c'est-à-dire, en les considérant de manière universelle, elles sont involontaires, parce que personne ne choisirait de soi de faire quelque chose de tel, sauf par crainte, comme il a été dit.
#392. — Après avoir résolu la difficulté soulevée à propos de ce que l'on fait par crainte et avoir montré que les actions de cette sorte sont volontaires, le Philosophe manifeste ici sa solution du fait que de la louange et du blâme, de l'honneur et de la peine sont dus à des actions volontaires de cette sorte. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quelle manière la louange et le blâme, l'honneur et la peine sont dus à des actions de cette sorte. En second (1110a29), il manifeste les difficultés attachées à ce [sujet]. Sur le premier [point], il présente trois degrés de ces opérations faites par crainte, quant à ce qu'elles méritent louange ou blâme.
#393. — Au premier [degré], il montre que parfois, pour de ces opérations qu'il a dites composées de volontaire et d'involontaire, on est loué pour supporter une honte — non pas, bien sûr, une faute, mais un affront, ou encore une tristesse, c'est-à-dire, une chose qui contriste — pour le fait de persévérer dans de grandes et bonnes [entreprises], comme dans des actes vertueux. Quand, cependant, les choses se passent à l'inverse, on est blâmé, parce que c'est manifestement le propre d'un homme dépravé de supporter ce qu'il y a de plus honteux, c'est-à-dire, de grands désordres, pour aucun ou pour un petit bien. Car personne ne supporte un mal pour conserver un bien, si ce bien ne vaut pas davantage dans son cœur que les autres biens que compromettent ces maux qu'il supporte. Il appartient d'ailleurs au désordre de l'appétit de préférer de petits biens à de grands, auxquels de grands maux s'attaquent. C'est pourquoi il dit que cela provient d'une personne dépravée, c'est-à-dire, dont l'appétit est désordonné.
#394. — Il présente ensuite un second degré (1110a23). Il dit qu'en certaines actions faites par crainte, on ne mérite pas de louange, mais seulement de l'indulgence. Ainsi, on n'est pas beaucoup blâmé de faire ce qu'il ne faut pas, ce qui, par exemple, ne convient pas à son statut, pour autant que ce n'est pas très grave, [et qu'on le fait] par crainte d'autres maux, qu'il dépasse la nature humaine de supporter, et que personne ne pourrait supporter, surtout pour cette raison: par exemple, si on se trouvait menacé de la brûlure du feu, à moins de proférer un mensonge joyeux. Ou de poser des actes vils et abjects qui ne conviendraient pas à sa dignité.
#395. — Il présente ensuite un troisième degré (1110a26). Il dit que certaines actions sont à ce point mauvaises qu'aucune contrainte ne peut obliger à les faire; qu'on doit plutôt supporter la mort en souffrant les tourments les plus durs que de faire de ces [actions], comme le bienheureux Laurent a enduré la brûlure du gril pour ne pas immoler aux idoles. La raison en est, d'après le Philosophe, ou que celui qui meurt garde de la gloire, après sa mort, pour sa vertu, ou que le fait de persister courageusement dans le bien de la vertu constitue un si grand bien que la durée de la vie que l'on perd en mourant ne peut l'égaler. Aussi dit-il que l'Alcméon, c’est-à-dire les chants faits par le poète Euripide sur Alcméon, est manifestement ridicule, où on raconte qu'Alcméon fut contraint à tuer sa mère par ordre de son père, qui le lui avait ordonné en mourant à la guerre thébaine, à laquelle il était allé sur le conseil de sa femme.
#396. — Ensuite (1110a29), il présente deux difficultés liées aux actions décrites. La première concerne le jugement de la raison. Il dit qu'il est parfois difficile de juger quoi choisir pour éviter un mal, et quel mal supporter pour ne pas être privé d'un bien.
#397. — La seconde difficulté concerne la puissance des passions. Il la présente après (1110a30). Il dit qu'il est encore plus difficile de s'accrocher avec persévérance à ce que l'on connaît par le jugement de sa raison, que de juger correctement. Il donne la raison de cette difficulté: le plus souvent, il se trouve que ce à quoi l'on s'attend de triste est quelque chose d'affligeant ou de douloureux, tandis que ce à quoi on est forcé par la crainte est honteux. Or il est difficile d'empêcher ses passions de se mouvoir, quand une douleur est à craindre. Mais comme ce à quoi on est contraint par cette 78 sorte de [crainte] est honteux, il convient que des blâmes soient faits à qui est forcé à agir de la sorte par la crainte de tristesses; mais que des louanges soient faites à celui qu'on ne peut forcer à cela.
#398. — Ensuite (1110b1), il conclut ses dires, et en donne la raison. En premier, il rappelle la question principale, à savoir, qu'est-ce qu'on doit classer comme [sous l'effet de la] violence. En second, il rappelle sa réponse, quant à ce qui l'est de manière absolue: c'est ce dont la cause est à l'extérieur, et avec quoi celui qui agit sous la violence ne collabore en rien. En troisième, il rappelle ce qui concerne les actions mixtes, et il dit que ce qui, en soi, c'est-à-dire, considéré de manière absolue et universelle, est involontaire, devient volontaire en un certain temps et en raison de certains événements. Son principe, d'ailleurs, même si c'est en soi involontaire, est intérieur à l'action; c'est pourquoi cela doit se dire volontaire selon ce temps et pour ces causes. Ainsi, il appert que c'est assimilé plutôt au volontaire qu'à l'involontaire, parce c'est volontaire, en regard des [éléments] singuliers dans lesquels les actions consistent.
#399. — En quatrième, il rappelle ce qu'il avait dit de la difficulté liée à ces [matières]. Il dit qu'il n'est pas facile de traiter quel type de choses il faut choisir au lieu de quel type de choses. Il en met la raison dans la multitude de distinctions que les singuliers présentent. C'est pourquoi, en ces [matières], le discernement ne peut se réduire à des règles déterminées, mais [ces règles] sont laissées à l'appréciation du prudent.
#400. — Ensuite (1110b9), il exclut l'erreur de quelques-uns au sujet des [actions] faites par violence. Parce qu'en effet, l'humain consiste à se conformer à la raison, certains ont cru qu'on ne fait par soi et comme volontairement que cela seul qu'on fait en conformité à la raison. Que quand, par ailleurs, il arrive qu'on agisse à l'encontre de la raison ou par concupiscence d'un plaisir, ou par convoitise d'un bien extérieur, on agit sous l'effet de la violence. C'est pourquoi ils disaient que les plaisirs et les biens extérieurs, par exemple, les richesses, font violence effectivement, dans la mesure où, étant extrinsèques, ils forcent à agir à l'encontre de la raison. Mais il infirme cela avec cinq raisons.
#401. — La première va comme suit. Si des [objets] extérieurs font violence du fait même qu'ils plaisent et paraissent bons, il s'ensuit que, dans les choses humaines, tout ce que nous faisons nous le faisons sous l'effet de la violence, et que rien n'est volontaire: car tous, nous faisons tout en vue de tels [objets], c'est-à-dire nous agissons en vue d'une chose qui nous plaît ou pour quelque bien de quelque sorte. Or cette [conséquence] est inconvenante. Son antécédent aussi, donc.
#402. — Il présente ensuite sa seconde raison (1110b11). Elle va comme suit. Tous ceux qui agissent sous l'effet de la violence et involontairement agissent avec tristesse. Aussi, dans le cinquième [livre] de la Métaphysique (IV, ch. 5; #829-831), il est bien dit que la nécessité attriste, parce qu'elle contrarie la volonté. Mais ceux qui agissent en vue d'accéder à quelque chose de plaisant, agissent avec plaisir. Ils n'agissent donc pas sous l'effet de la violence et contrairement à leur volonté.
#403. — Il donne ensuite sa troisième raison (1110a13). Il dit qu'il est ridicule de nous plaindre, c'est-à-dire, d'accuser les biens extérieurs et de ne pas nous accuser nous-mêmes de ce qui nous met en chasse, c'est-à-dire, permet que nous soyons vaincus par de tels plaisirs: notre volonté, en effet, n'est pas mue de nécessité par ces [objets] désirables, mais peut y adhérer ou ne pas y adhérer, du fait qu'aucun d'eux n'a raison de bien universel et parfait, comme le bonheur, que nous voulons tous par nécessité.
#404. — Il donne ensuite sa quatrième raison (1110b14). Il dit qu'il est ridicule que quelqu'un se dise soi-même cause de ses actions bonnes et vertueuses, mais donne les plaisirs comme causes de ses actions honteuses, en tant qu'ils attisent sa concupiscence. Il dit que cela est ridicule, parce que des opérations contraires se réduisent à la même puissance rationnelle comme à leur cause. Nécessairement, donc, comme la raison, lorsqu'elle agit en se conformant à elle-même, est cause de l'action vertueuse, de même aussi elle est cause de l'action vicieuse, lorsqu'elle suit les passions.
#405. — Il donne ensuite sa cinquième raison (1110b15). Il dit que ce qui se fait sous l'effet de la violence, c'est ce dont le principe est extérieur, et de manière que celui qui le subit ne collabore en rien à l'action. Mais celui qui agit pour des biens extérieurs collabore de quelque manière à l'action. Donc, bien que le principe qui incline sa volonté [lui] soit extérieur, son action n'est cependant pas sous l'effet de la violence: ni de manière absolue, parce qu'il collabore de quelque manière à l'action; ni avec quelque mélange, parce que, dans les actions mixtes, une chose n'est pas rendue volontaire de manière absolue, comme il arrive ici. C'est pourquoi on agit là avec tristesse, tandis qu'ici avec plaisir, comme il a été dit.
#406. — Après avoir traité l'involontaire par violence, le Philosophe traite ici l'involontaire par ignorance. Sur ce [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment quelque chose est involontaire par ignorance (1110b18). En second, il rend manifeste une chose qu'il avait dite (1111a2). Sur le premier [point], il amène trois différences concernant l'ignorance. Parmi elles, la première tient à ce que les choses faites par ignorance tiennent divers rapports à la volonté. Quelquefois, en effet, c'est le contraire de la volonté: [cela] se dit alors proprement de l'involontaire. Quelquefois, par ailleurs, ce n'est pas le contraire de la volonté, mais en dehors de la volonté pour autant qu'ignoré. Cela ne se dit pas involontaire, mais non volontaire.
#407. — Il dit donc que ce qui se fait par ignorance, et de façon que l'ignorance en soit la cause, est, de manière universelle, non volontaire, du fait que l'acte de la volonté ne s'y porte pas. Car l'acte de la volonté ne peut pas se porter sur ce qui est tout à fait ignoré, puisque l'objet de la volonté est un bien connu. Mais plus précisément, n'est causé par ignorance que ce qui comporte quelque chose d'attristant, c'est-à-dire, de contraire à la volonté, [et qui], une fois qu'il est connu, induit de la tristesse et du regret, cette tristesse qui porte sur ce que l'on a fait. Car quelque chose est attristant du fait de contrarier la volonté, comme il est dit au cinquième [livre] de la Métaphysique (1015a29).
#408. — En effet, celui qui fait quelque chose par ignorance et ne s'attriste pas de ce qu'il a fait, une fois qu'il le sait — par exemple celui qui reçoit de l'argent en pensant qu'il reçoit de l'étain —, on ne pourra dire qu'il l'aura reçu en le voulant, puisqu'il n'aura pas su que c'était de l'argent; mais on ne peut pas dire non plus que c'est en ne le voulant pas, c'est-à-dire, contre sa volonté, qu'il aura reçu de l'argent, puisqu'il ne s'attristera pas de ce qu'il a reçu de l'argent par ignorance. Celui, en effet, qui paraît ne pas vouloir, c'est celui qui ressent de la tristesse et du regret de ce qu'il a fait par ignorance. Comme si, au contraire, quelqu'un recevait de l'étain en pensant recevoir de l'argent. Mais comme celui qui ne regrette pas se situe autrement que celui qui regrette, qu'on dit ne pas vouloir, il est mieux qu'il ait un nom propre et distinct.
#409. — Il amène une seconde différence (1110b24), qui se prend d'après la différence entre ce qui se fait et l'ignorance: quelquefois, l'ignorance est cause de ce qui se fait; quelquefois cela procède d'une autre cause. Il dit donc qu'il semble en aller autrement de quelqu'un qui opère par ignorance et de quelqu'un qui opère en ignorant. Quelquefois, en effet, on opère en ignorant, mais non par ignorance. Ainsi, l'homme en état d'ébriété ou irrité n'opère pas par ignorance, mais par ébriété ou par colère. Pourtant, aucun d'entre eux n'opère en connaissance de cause: car, par l'ébriété et par la colère, l'ignorance est causée, en même temps que pareille opération; et ainsi, l'ignorance se trouve concomitante à l'opération, mais n'en [est] pas la cause.
#410. — Partant de là, il conclut que, de même que celui qui se fâche agit dans l'ignorance, non pas toutefois par ignorance mais par colère; de même, tout méchant agit non pas bien sûr par ignorance, mais dans l'ignorance concrète du bien qu'il faut faire et du mal qu'il faut éviter, pour autant qu'il estime qu'il lui faut faire maintenant ce mal, et qu'il lui faut cesser maintenant de faire ce bien. À cause de cela, il est fautif, puisqu'il fait ce qu'il ne doit pas. De manière universelle, d'ailleurs, ceux qui ignorent deviennent injustes envers les autres, et mauvais envers eux-mêmes. De cela, il ressort que ce que l'on fait en l'ignorant, et non à cause de l'ignorance, n'en est pas rendu involontaire. Car personne n'est injuste ou mauvais en raison de ce qu'il a fait involontairement.
#411. — Il amène une troisième différence (1110b30), qui se prend certes du côté de ce qui est ignoré. En quoi on doit considérer que l'ignorance peut être double. D'une première manière, selon que l'on ignore ce qu'il faut faire ou éviter; il dit que cette ignorance est celle de ce qui convient, c'est-à-dire, de ce qu'il faut faire. Pareille ignorance, par ailleurs, ne rend pas involontaire, parce qu'une ignorance de cette nature ne peut arriver que par négligence à un homme qui a l'usage de sa raison. Or, comme n'importe qui est tenu de mettre du soin à savoir ce qu'il lui faut faire ou éviter, par conséquent, si l'ignorance elle-même est réputée volontaire, du moment qu'on ne veut pas l'éviter alors qu'on y est tenu, il s'ensuit que cela non plus qui se fait par une ignorance de cette nature ne sera pas jugé involontaire. C'est ce qu'il dit qu'involontaire implique, c'est-à-dire, a dans sa nature que l'on n'ignore pas ce qui convient, c'est-à-dire, ce qu'il faut faire. Mais cela, on peut l'ignorer de deux manières.
#412. — D'une manière, à propos d'une option particulière, par exemple, lorsque, par concupiscence, on pense qu'il y a lieu maintenant de forniquer. D'une autre manière, en général, comme il appert chez celui qui pense que toute fornication est licite. Or l'une et l'autre ignorance portent sur ce qui convient. Aussi ni l'une ni l'autre ne causent de l'involontaire. C'est ce qu'il dit, que cette ignorance qui se trouve dans le choix par lequel on pense qu'on doit maintenant faire ce mal n'est pas cause d'involontaire, mais est plutôt cause de malice, c'est-à-dire, de faute. Ni non plus l'ignorance qui est en général n'est cause d'involontaire, car pour une ignorance de cette sorte on est blâmé. Or on n'est pas blâmé pour de l'involontaire, comme il en a été question plus haut.
#413. — Mais une autre ignorance porte sur les conditions singulières, par exemple, que cette femme soit mariée, ou que cet homme soit père, ou que ce lieu soit sacré. Ces [conditions] sont autour de quoi et en quoi se passe l'action humaine, par juste ignorance desquelles on mérite de la compassion et de l'indulgence, du fait que celui qui ignore l'une d'entre elles agit involontairement. De là appert que l'ignorance de pareilles circonstances singulières cause l'involontaire, mais non l'ignorance de ce qui convient.
#414. — Ensuite (1111a2), il manifeste ce qu'il avait dit: à savoir, quelles sont ces circonstances dont l'ignorance cause l'involontaire. À ce [propos], il fait trois [considérations]. En premier, il propose quelles sont ces circonstances. En second, de quelle manière on les ignore (1111a6). En troisième, de quelle manière leur ignorance cause de l'involontaire (1111a15). Sur le premier [point], on doit considérer que les circonstances ne sont rien d'autre que certaines conditions singulières de l'acte humain: lesquelles peuvent, bien sûr, se prendre soit du côté des causes de l'acte, soit du côté de l'acte lui-même. La cause de l'acte, quant à elle, c'est l'agent ou la fin. L'agent, lui, est soit l'agent principal, soit l'[agent] instrumental. Par ailleurs, du côté de l'acte, trois [circonstances] peuvent se prendre: à savoir, le genre même de l'acte, sa matière ou son objet, et la façon d'agir. D'après cela, le Philosophe pose ici six circonstances. Il dit qu'il n'est pas mauvais, mais plutôt très bien, de déterminer quelles et combien sont ces [conditions] singulières dont l'ignorance produit l'involontaire. Il use d'un adverbe de doute, comme en plusieurs autres lieux, dans ce livre, à cause de l'incertitude de la matière morale.
#415. — Énumérant donc ces [conditions] singulières, il dit qui, ce qui renvoie à la personne de l'agent principal. Et quoi, c'est-à-dire [que] fait-il, ce qui renvoie au genre de l'acte. Et sur quoi, ce qui renvoie à la matière ou à l'objet. Il ajoute alors aussi en quoi, ce qui renvoie à la mesure de l'acte, comme de l'agent, c'est-à-dire, le lieu ou le temps, comme il dit, ou en quoi on opère. Car toutes les choses extérieures paraissent avoir une relation à l'acte humain. Toutefois, Tullius comprend ce qu'on appelle sur quoi sous ce qu'il appelle quoi. Et ce qu'on appelle, par ailleurs, en quoi, il le divise en deux circonstances, à savoir quand et où.
#416. — Par ailleurs, en ce qui concerne l'agent instrumental, il sous-divise. Quelquefois aussi, c'est par quoi, comme par [quel] instrument. Mais ce n'est pas toute action qui se fait à l'aide d'un instrument, par exemple, comprendre et vouloir. Aussi, au lieu de cela, certains posent-ils à l'aide de quoi. En effet, celui à qui est apportée de l'aide se sert d'aides comme d'instruments. Concernant la fin, 81 il dit et en vue de quoi, par exemple, quand le médecin blesse en vue de la santé. Quant au mode d'agir, il dit «et de quelle manière», c'est-à-dire, tranquillement, ce qui veut dire légèrement, ou violemment, ce qui veut dire fortement.
#417. — Ensuite (1111a6), il montre de quelle manière on ignore les circonstances énumérées. Il dit que personne n'ignore toutes les circonstances énumérées, à moins d'être tout à fait insensé. Entre autres circonstances, il est manifeste qu'on ne peut ignorer qui agit: car alors on s'ignorerait soi-même, ce qui est impossible. On peut cependant ignorer ce qu'on fait: comme ceux qui, disant des choses qu'ils ne devraient pas dire, disent pour s'excuser que cela leur était sorti de la mémoire, ou qu'ils n'avaient jamais su que c'étaient des [choses] ineffables, c'est-à-dire, à ne pas dire, comme les mystères se trouvent révélés, c'est-à-dire, les secrets d'Eschyle, par un poète. Or celui qui dit de pareilles choses ignore ce qu'il fait, car il ne sait pas que c'est la révélation de secrets.
#418. — Il ajoute un autre exemple sur ce qu'on fait: comme un archer qui veut montrer à son disciple comment il faut tirer et qu'une chose, c'est-à-dire, un trait, soit envoyé. Celui-là, en effet, ne sait pas ce qu'il fait, car il ne sait pas qu'il envoie un trait. Ensuite, il ajoute un exemple pour l'ignorance de la circonstance sur quoi: comme quelqu'un qui prendrait son fils pour un ennemi qui attaquerait sa maison et le tuerait. C'est ainsi qu'une certaine Meropes a tué son fils. Il en devient évident que, dans un tel acte, un homme sait ce qu'il fait, parce qu'il sait qu'il tue; mais il ne sait pas sur quoi, parce qu'il ne sait pas qu'il tue son fils.
#419. — Ensuite, il ajoute un exemple sur l'ignorance de l'instrument; comme quelqu'un, à la compétition de javelot, qui se servirait d'un javelot avec fer qu'il penserait arrondi, c'est-à-dire, par extraction du fer; ou quelqu'un qui penserait que la pierre dont il se sert serait de pierre ponce.
#420. — Par la suite encore, il donne un exemple sur l'ignorance de la fin. Et il dit qu'un médecin ou un assistant qui, en frappant un homme pour son salut corporel, ou un maître pour son salut, le tuerait, serait dans l'ignorance de la fin; certes, non pas de celle qu'il visait, mais de celle qui s'ensuit de son acte. Il ignorait, en effet, que son œuvre parviendrait à une telle fin.
#421. — Enfin, il donne un exemple de l'ignorance du mode d'agir; par exemple, lorsqu'on pense bouger sa main légèrement pour montrer comment on doit frapper, comme le font les combattants, et qu'on frappe fortement. En effet, c'est alors dans l'ignorance qu'on frappe fortement.
#422. — Ensuite (1111a15), il montre comment l'ignorance des [circonstances] énumérées cause l'involontaire. Il dit d'abord que, comme l'ignorance pourrait porter sur n'importe laquelle des cinq [circonstances] énumérées qui concourrent à l'opération, celui-là semble ne pas vouloir ou opérer involontairement, qui ignore l'une des [circonstances] énumérées. Non pas également, toutefois, quant à toutes [les circonstances]; mais principalement si l'ignorance porte sur les circonstances principalissimes.
#423. — En second (1111a18), il manifeste quelles sont les circonstances principalissimes. Il dit que les circonstances principalissimes paraissent être celles dans lesquelles réside l'opération, c'est-à-dire, l'objet, ou la matière de l'acte. Et ce en vue de quoi, c'est-à-dire, la fin. Comme, par ailleurs, la matière est l'objet de l'acte extérieur, ainsi la fin est l'objet de l'acte intérieur de la volonté.
#424. — En troisième (1111a19), il dit que leur ignorance ne suffit pas pour [produire] l'involontaire. Il dit que, lorsqu'on dit que l'involontaire est selon l'ignorance dont on a parlé auparavant, l'involontaire requiert en plus que l'opération soit avec tristesse et regret, comme on l'a dit plus haut.
#425. — Après avoir traité l'involontaire, le Philosophe traite ici le volontaire. En premier, il montre ce qu'est le volontaire (1111a22). En second, il exclut une erreur à ce propos (1111a24). Sur le premier [point], on doit considérer que, quoique l'involontaire semble se dire par suppression du volontaire, cependant, si nous regardons aux causes, une chose se dit volontaire par suppression de ce qui cause l'involontaire, comme la violence et l'ignorance. Comme tout se connaît par sa cause, on donne la définition du volontaire en enlevant les causes de l'involontaire. Aussi dit-il que, alors que l'involontaire se produit à cause d'une force imposée et à cause de l'ignorance, comme on l'a dit plus haut, le volontaire est manifestement ce dont le principe est dans l'agent même. Ainsi la violence se trouve exclue; mais de manière que l'agent lui-même connaisse les circonstances singulières qui concourent à l'opération. Par là, l'ignorance qui cause l'involontaire est exclue.
#426. — Ensuite (1111a24), il exclut une erreur. En premier, il la présente. On a pensé, en effet, que tout n'est pas volontaire dont le principe est intérieur avec science des circonstances. Car il peut arriver que ce principe qui se trouve à l'intérieur ne soit pas l'appétit rationnel, qu'on appelle la volonté, d'où volontaire est dérivé, mais une passion de l'appétit sensible, par exemple, la colère ou la concupiscence ou une autre de la sorte; mais le Philosophe dit que cela n'est pas bien dit. On doit noter que, parce que les passions de l'appétit sensible sont excitées par des choses extérieures appréhendées par le sens, cette erreur paraît relever de la même raison que celle qu'il a réduite plus haut, selon laquelle on disait que les choses extérieures entraînent violence. Mais il fallait le dire alors, où il s'agissait du violent, dont le principe est extérieur. Il faut maintenant encore en traiter ici qu'il s'agit du volontaire, dont le principe est intérieur; car les passions sont à l'intérieur de nous.
#427. — En second (1111a25), il infirme l'opinion mentionnée par cinq raisons. La première en va comme suit. Tout ce que font les animaux brutes et les enfants procède de la passion de l'appétit sensible et non de l'appétit intellectuel, car l'usage de la raison leur manque. Si donc ce qui se fait par colère et concupiscence et autres passions de l'appétit sensible était involontaire, il s'ensuivrait que ni les animaux brutes ni les enfants n'agiraient volontairement. On dit, en effet, qu'on agit volontairement non pas par le fait qu'on procède de la volonté, mais parce qu'on agit spontanément, de son propre mouvement, de manière qu'on ne soit mû par rien d'extérieur. En effet, nous disons volontaire ce que l'on fait spontanément et de son propre mouvement. Donc, ce qui se fait par colère ou concupiscence est volontaire.
#428. — Il amène sa deuxième raison (1111a27), qui va comme suit. Si ce qui se fait par colère ou concupiscence n'est pas volontaire, ou bien cela est universellement vrai ou c'est vrai dans le mal et non dans le bien, de façon que ce qu'on fait de bon par passion on le fasse volontairement, et [ce qu'on fait] de mal cependant [on le fasse] non volontairement. Ce qu'on disait peut-être parce que les biens s'accordent avec la raison, que les maux contrarient. Et que la volonté se trouve dans la raison. Mais cette seconde [possibilité] est manifestement ridicule: car il y a une seule cause de tout ce que l'on fait, que ce soit bon ou mauvais, et c'est la volonté. En effet, quel que soit le point auquel la colère ou la concupiscence augmente, on ne passe à l'action que si advient un accord de l'appétit rationnel. De façon semblable encore, la première [possibilité] est manifestement inconvenante, à savoir, qu'on dise non volontaires les biens auxquels il faut tendre aussi par la passion. Car c'est par la volonté que la raison induit à ce à quoi il faut tendre. Et il faut s'irriter pour certaines [choses], par exemple, pour corriger les fautes. De façon semblable, il faut désirer certaines [choses], par exemple, la santé ou la discipline. Il reste donc qu'il soit faux que ce qui se fait par passion ne soit pas volontaire.
#429. — Il présente sa troisième raison (1111a32), qui va comme suit. Ce qui fait violence s'accompagne de tristesse. Au contraire, ce qui procède de la concupiscence se fait avec plaisir. Ce n'est donc pas involontaire.
#430. — Il présente sa quatrième raison (1111a33), qui va comme suit. Comme on l'a dit plus haut, les fautes volontaires sont à blâmer et à éviter. Ce qu'on ne peut pas dire de ce qui est involontaire; car on ne peut l'éviter et on n'est pas blâmé pour lui. Inversement, comme les fautes qui se font par préméditation, c'est-à-dire, par délibération, sont à éviter et blâmables, de même aussi les fautes qui se font par colère, ou par une autre passion. Car on peut avec la volonté résister à la passion. Aussi, si on fait quelque chose de honteux par passion, on en est blâmé. Il n'y a pas en cela de différence avec ce qui se fait par délibération, quant à ce qui est d'être volontaire.
#431. — Il présente sa cinquième raison (1111b1), qui va comme suit. Les passions irrationnelles, c'est-à-dire, de l'appétit sensible, sont manifestement humaines, en ce que l'appétit sensible peut obéir à la raison, comme il a été dit plus haut. Donc, les opérations qui se font par colère et concupiscence et autres passions sont aussi humaines. Or aucune opération involontaire n'est humaine. En effet, on n'attribue pas à l'homme ce qu'il fait d'involontaire, ni pour la louange, ni pour le blâme. Il ne convient donc pas de dire que ce qui se fait par passion est involontaire.
#432. — Après avoir traité du volontaire et de l'involontaire, le Philosophe traite ici du choix. En premier, il traite du choix lui-même (1111b4). En second, de la délibération, qui intervient dans la définition du choix (1112a18). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre qu'il appartient au présent enseignement de considérer le choix. En second, il cherche ce qu'est le choix (1111b7). Il dit donc, en premier, qu'après avoir traité du volontaire et de l'involontaire, il est conséquent de traiter du choix. Car il propose brièvement ce qui est nécessaire pour considérer le choix. Que, par ailleurs, il appartienne à cet enseignement-ci de traiter du choix, ceci le prouve, que le choix est manifestement ce qu'il y a de plus propre à la vertu, à laquelle on s'intéresse principalement pour le moment.
#433. — Une raison de cette sorte est rendue manifeste de ce que, comme, de l'habitus de vertu, procède à la fois le choix intérieur et l'action extérieure, les mœurs vertueuses ou vicieuses se jugent davantage par le choix que par les actes extérieurs. En effet, tout vertueux choisit le bien; mais parfois, il ne le fait pas, à cause d'un empêchement extérieur. Le vicieux, lui, fait parfois œuvre de vertu, non pas cependant par choix vertueux, mais par crainte, ou pour une fin qui ne convient pas, par exemple, par vaine gloire, ou pour autre chose de la sorte: d'où il appert qu'il appartient à la présente intention de considérer le choix.
#434. — Ensuite (1111b7), il montre ce qu'est le choix. En premier, il en cherche le genre. En second, les différences (1111b10). En troisième, il conclut sa définition (1112a13). Or le genre du choix, c'est le volontaire, car il s'attribue universellement au choix et a plus d'extension. Aussi dit-il, en premier, que tout choix est quelque chose de volontaire; mais que, pourtant, le choix et le volontaire ne sont pas tout à fait la même [chose], car le volontaire a plus d'extension. Ce qu'il prouve par une double raison.
#435. — Il en présente la première, qui va comme suit. Les enfants et les autres animaux communiquent par le volontaire même, en tant qu'ils font des choses spontanément, de leur propre mouvement, comme on l'a dit plus haut. Mais ils ne communiquent pas par le choix, car ils ne le font pas par délibération, laquelle est requise au choix: donc, le volontaire a plus d'extension que le choix.
#436. — Il présente sa seconde raison, qui va comme suit. Ce que nous faisons tout d'un coup, nous le disons volontaire, car le principe en est en nous; mais on ne le dit pas par choix, car cela ne se fait pas par délibération. Donc, le volontaire a plus d'extension que le choix.
#437. — Ensuite (1111b10), il investigue les différences du choix, en prouvant qu'il diffère de ce à quoi il paraît d'abord ressembler. Sur cela, il fait deux [considérations]. En premier, il propose ce qu'il veut. En second, il prouve son propos (1111b12). Il dit donc, en premier, qu'on a dit que le choix est un désir, parce que l'un et l'autre impliquent un mouvement de l'appétit vers le bien. D'autres ont posé que le choix est de la colère, peut-être à cause du fait que dans l'un et l'autre il y a usage de la raison. En effet, celui qui est irrité se sert de sa raison, en tant qu'il juge que l'injure subie mérite vengeance. D'autres, en considérant que le choix se fait sans 84 passion, attribuent le choix à la partie rationnelle, soit quant à l'appétit, en disant qu'il est de la volonté, soit quant à l'appréhension, en disant qu'il est une opinion. Dans ces quatre [hypothèses], on recouvre simplement tous les principes des actes humains: lesquels sont la raison, à laquelle appartient l'opinion; l'appétit rationnel, qui est la volonté; l'appétit sensible, qui se divise en irascible, auquel appartient la colère, et en concupiscible, auquel appartient le désir. Mais le Philosophe dit qu'on ne parle manifestement pas correctement, quand on dit que le choix réside en l'une de ces [choses].
#438. — Ensuite (1111b12), il prouve son propos. Il montre, en premier, que le choix n'est pas du désir. En second, qu'il n'est pas de la colère (1111b18). En troisième, qu'il n'est pas de la volonté (1111b19). En quatrième, qu'il n'est pas une opinion (1111b30). Sur le premier [point], il présente quatre raisons, dont la première est commune au désir et à la colère, et va comme suit. Le désir et la colère se trouvent communément dans les hommes et dans les animaux irrationnels. Or, dans les animaux irrationnels, il n'y a pas de choix, comme on a dit. Donc le choix n'est ni du désir ni de la colère.
#439. — Il présente sa seconde raison (1111b13), qui va comme suit. Si le choix était du désir, quiconque agirait en choisissant agirait en désirant, et inversement. Or cela est faux. Car l'incontinent agit d'après son désir, et non d'après son choix. Car il n'adhère pas proprement à son choix, à cause de son désir. Le continent, à l'inverse, agit d'après son choix, mais non d'après son désir, auquel il résiste par choix, comme cela deviendra évident au septième [livre]. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que le désir.
#440. — Il présente sa troisième raison (1111b15), qui va comme suit. Le désir contrarie le choix, en celui qui est continent ou incontinent. L'un et l'autre, en effet, choisissent le contraire, d'après leur raison, de ce qu'ils désirent d'après leur appétit sensible. Mais ni pour l'un ni pour l'autre le désir ne contrarie le désir; car chez l'un et l'autre tout désir tend à la même [chose], à savoir, à ce qui plaît au sens. On ne doit toutefois pas comprendre qu'aucun désir n'en contrarie un autre. Il existe, en effet, des désirs pour des contraires; par exemple, quand l'un désire se mouvoir et l'autre reposer. Il appert donc que le choix n'est pas la même [chose] que le désir.
#441. — Il présente sa quatrième raison (1111b16), qui va comme suit. Le désir s'accompagne toujours de plaisir, à cause de la présence de la chose désirée, ou de tristesse, à cause de son absence. À toute passion, en effet, s'ensuit du plaisir et de la tristesse, comme on en a traité au second [livre]. Or le choix ne s'accompagne pas nécessairement de plaisir ou de tristesse. En effet, il peut se faire sans aucune passion, par le seul jugement de la raison. Donc, le choix n'est pas du désir.
#442. — Ensuite (1111b18), il montre que le choix n'est pas la même [chose] que la colère. Il dit, quant à cela, que le choix est encore moins de la colère que du désir. Parce que, même en apparence, ce qui se fait par colère ne paraît pas se faire par choix, du fait que, à cause de la vélocité du mouvement de la colère, ce qui se fait par colère est suprêmement subit. Quoiqu'en effet, il y ait, dans la colère, un certain usage de la raison, en tant que celui qui est irrité commence à écouter la raison en train de juger que l'injure doit être vengée, il ne l'entend toutefois pas parfaitement quand elle détermine du mode et de la proportion de la vengeance. Aussi exclut-il suprêmement la délibération, qui est requise au choix. Mais le désir n'agit pas aussi subitement. Aussi, ce qui se fait par désir ne paraît pas être si loin du choix que ce qui se fait par colère.
#443. — Ensuite (1111b19), il montre la différence du choix avec la volonté. En premier, il propose ce qu'il veut. En second, il prouve son propos (1111b20). En troisième, il conclut la racine de la différence entre la volonté et le choix (1111b29). Il dit donc, en premier, que le choix n'est pas non plus de la volonté, quoiqu'il paraisse proche de la volonté. L'un et l'autre, en effet, appartiennent à une puissance unique, à savoir, à l'appétit rationnel, qu'on appelle la volonté. Mais la volonté nomme l'acte de cette puissance en relation au bien absolument, tandis que le choix nomme l'acte de la même puissance en relation au bien selon qu'il appartient à notre opération, par laquelle nous sommes ordonnés à quelque bien. 85
#444. — Ensuite (1111b20), il prouve son propos par trois raisons. La première va comme suit. Le choix, en effet, parce qu'il renvoie à notre action, ne se dit pas de l'impossible. Si on dit qu'on choisit une chose d'impossible, on paraîtra stupide. Mais la volonté, du fait qu'elle regarde le bien absolument, peut porter sur n'importe quel bien, même s'il est impossible. Par exemple, on peut vouloir être immortel, ce qui est impossible selon le statut de cette vie corruptible. Donc, le choix et la volonté ne sont pas la même [chose].
#445. — Il présente ensuite sa seconde raison (1111b23). La volonté peut porter sur ce qu'on ne fait pas soi-même: ainsi, en observant un combat, on peut vouloir que tel acteur l'emporte, à savoir, celui qui joue tel personnage représenté, par exemple, celui qui arrive sur le terrain comme un gladiateur, sans en être un, ou encore [on peut vouloir] que l'emporte un tel, qui est vraiment un athlète. Mais personne ne choisit ce qui se fait par un autre; [on choisit] seulement ce qu'on pense pouvoir faire soi-même. Donc, le choix diffère de la volonté.
#446. — Il présente ensuite sa troisième raison (1111b26). Il dit que la volonté porte davantage sur la fin que sur ce qui est en vue de la fin. Car ce qui est en vue de la fin, nous le voulons pour la fin. Or, ce pour quoi on veut chaque chose, on le veut davantage. Mais le choix porte seulement sur ce qui est en vue de la fin, et non sur la fin même. Car la fin est présupposée, comme on en a déjà traité, tandis que ce qui est en vue de la fin, nous cherchons à le disposer à la fin. Ainsi, nous voulons principalement la santé, qui est la fin de la médication. Mais nous choisissons les médicaments par lesquels nous serons guéris. De manière semblable, nous voulons être heureux, ce qui est la fin ultime, et nous disons que c'est cela que nous voulons. Mais il ne convient pas de dire que nous choisissons d'être heureux. Donc, le choix n'est pas la même chose que la volonté.
#447. — Ensuite (1111b29), il pose la racine de toute la différence à laquelle toutes les différences énumérées se réduisent universellement. Il dit que le choix porte manifestement sur ce qui est en notre pouvoir. Voilà la cause de ce qu'il ne porte ni sur l'impossible, ni sur ce qui se fait par d'autres, ni sur la fin, qui, la plupart du temps, nous est imposée par la nature.
#448. — Après avoir montré que le choix n'est pas la même [chose] que le désir et la colère, qui appartiennent à l'appétit sensible, ni non plus [la même chose] que la volonté, qui appartient à l'appétit rationnel, le Philosophe montre ici que ce n'est pas non plus la même [chose] que l'opinion, qui appartient à la raison elle-même. Sur cela, il fait trois [considérations]. En premier, il montre que le choix n'est pas la même [chose] que n'importe quelle opinion (1111b30). En second, qu'il n'est pas la même [chose] spécialement que l'opinion qui porte sur ce que nous avons à faire (1112a1). En troisième, il soulève une difficulté, qu'il laisse irrésolue (1112a11). Il dit donc, en premier, qu'il apparaît de ce qui a été dit que le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion prise absolument: il prouve cela par deux raisons. La première va comme suit. L'opinion peut porter sur toutes [choses], et pas moins sur les [choses] éternelles et impossibles que sur ce qui est en notre pouvoir, tandis que le choix porte seulement sur ce qui dépend de nous, comme il a été dit. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion.
#449. — Il présente ensuite sa seconde raison (1111b33), qui va comme suit. Ce qu'on divise par d'autres différences diffère et n'est pas la même [chose]. Or l'opinion se divise en vraie et fausse, parce qu'elle appartient à la puissance cognitive, dont l'objet est le vrai, et elle ne se divise pas en bonne et mauvaise, en quoi se divise le choix, qui appartient à la puissance appétitive, dont l'objet est le bien. Aussi conclut-il, à partir de cela, que le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion prise universellement. C'est de plus tellement manifeste que personne ne dit le contraire.
#450. — Ensuite (1112a1), il montre que le choix n'est pas la même [chose] que telle opinion, à savoir, celle qui porte sur ce qui tombe sous notre opération. Il montre cela par deux raisons, dont la première comme suit. Du fait que nous choisissons des biens ou des maux, on nous dit certes tels, c’est-à-dire, bons ou mauvais. Mais on ne nous dit pas bons ou mauvais du fait que nous pensons bien ou mal, ou avec vérité ou fausseté. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion qui porte sur les [matières] à choix.
#451. — La raison de cette différence est d'ailleurs qu'on n'est pas dit bon ou mauvais d'après sa puissance, mais d'après son acte, comme il en est question au neuvième [livre] de la Métaphysique (1051a4): c'est-à-dire, non du fait qu'on peut opérer bien, mais du fait qu'on opère bien: or, du fait d'une perfection intellectuelle, on devient capable d'opérer bien, mais on n'opère pas bien du fait même. Ainsi, celui qui a l'habitus de grammaire est capable, de ce fait, de bien parler congrûment; mais pour qu'il parle congrûment de fait, il faut en plus qu'il le veuille. Car l'habitus est ce par quoi on agit bien lorsqu'on le veut, comme dit le Commentateur, au troisième [livre] De l'âme. D'où il appert qu'une bonne volonté fait que l'on opère bien, en obéissant à la raison selon n'importe quelle puissance ou habitus. C'est pourquoi on est dit bon simplement du fait qu'on a bonne volonté. Mais de ce qu'on a bonne intelligence, on n'est pas dit bon simplement, mais sous un certain rapport: par exemple, bon grammairien, ou bon musicien. C'est pourquoi, comme le choix appartient à la volonté, et l'opinion à l'intelligence, d'après notre choix, on nous dit bons ou mauvais, mais pas d'après notre opinion.
#452. — Il présente ensuite sa seconde raison (1112a3). Le choix regarde principalement nos actions. Nous choisissons, en effet, d'accepter ceci ou de le fuir, ou n'importe quoi d'autre qui appartient à nos actions. Au contraire, l'opinion regarde principalement les choses. Nous avons une opinion, en effet, par exemple, sur ce que c'est du pain, ou sur ce à quoi cela sert, ou sur la manière dont on doit s'en servir; mais l'opinion ne porte pas principalement sur nos actions, par exemple, que notre opinion serait d'accepter une chose ou d'y répugner. Car nos actions sont des singuliers contingents, et éphémères. Aussi, leur connaissance ou opinion n'est pas beaucoup cherchée pour la vérité qu'il y a en elles, mais seulement pour agir. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion.
#453. — Il présente ensuite sa troisième raison (1112a5), qui va comme suit. Le bien du choix consiste en une quelconque rectitude, par exemple, pour autant que l'appétit ordonne correctement quelque chose à une fin. C'est ce qu'il dit, que le choix est davantage loué en cela qu'il porte assez correctement sur ce qu'il faut, tandis que l'opinion est louée en ce qu'elle représente quelque chose avec vérité. Ainsi, le bien et la perfection du choix est la rectitude, tandis que le bien et la perfection de l'opinion est la vérité. Or ce dont il y a perfection autre est autre. Donc, le choix n'est pas la même [chose] que l'opinion.
#454. — Il présente ensuite sa quatrième raison (1112a7), qui va comme suit. Le choix s'accompagne de certitude. En effet, nous choisissons ce que nous savons le plus être des biens. Or l'opinion va sans certitude. Nous avons des opinions, en effet, sur ces [choses] dont nous ne savons pas beaucoup qu'elles sont vraies. Donc, ils ne sont pas la même [chose].
#455. — Il présente ensuite sa cinquième raison (1112a8). Si, en effet, l'opinion et le choix étaient la même [chose], il faudrait que ce soient les mêmes qui choisissent les meilleurs biens et qui aient une opinion vraie sur eux. Or cela, il est évident que c'est faux. Certains, en effet, ont en général une opinion vraie sur le mieux, mais, à cause de leur malice, ils ne choisissent pas le mieux, mais le pire. Donc, le choix et l'opinion ne sont pas la même [chose].
#456. — Ensuite (1112a11), il soulève une difficulté: si l'opinion précède le choix ou le suit. Il dit que cela ne change rien au propos. Car nous n'entendons pas maintenant déterminer de leur ordre, mais seulement si le choix est la même [chose] qu'une opinion. Mais on doit savoir que l'opinion, comme elle appartient à la puissance cognitive, précède, à parler par soi, le choix, qui appartient à la puissance appétitive, laquelle est mue par la [puissance] cognitive. Mais, par accident, il arrive quelquefois que l'opinion suive le choix; par exemple, lorsque, par affection pour ceux qu'on aime, on change l'opinion qu'on avait auparavant.
#457. — Ensuite (1112a13), il montre ce qu'est le choix. Il dit que, comme il n'est pas l'une des quatre [entités] énumérées, il faut considérer ce qu'il est quant à son genre, ou comment il est quant à sa différence. Quant à son genre, il semble que ce soit du volontaire. Toutefois, ce n'est pas tout volontaire qui est objet de choix, comme on l'a dit plus haut, mais le volontaire prédélibéré. Qu'il faille s'attendre à cette différence, il le manifeste par le fait que la délibération est un acte de la raison, et que le choix lui-même doit aller avec l'acte de la raison et de l'intelligence. C'est ce que son nom paraît indiquer (01), c'est-à-dire, signifier de manière cachée, car il est signe que quelque chose soit pris avant autre chose. Or cela appartient à la définition donnée, qu'une chose soit préférée à d'autres.
#458. — Après avoir traité du choix, le Philosophe traite ici de la délibération. En premier, de la délibération en elle-même (1112a18). En second, par comparaison avec le choix (1113a2). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quoi doit porter la délibération. En second, il détermine du mode et de l'ordre de la délibération (1112b11). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quoi porte son intention. En second, il exécute son propos (1112a21). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il formule la question dont il entend traiter. Cette question est si les hommes délibèrent de toutes choses, de sorte que n'importe quoi soit objet de délibération, ou s'il est des [choses] dont il n'y a pas délibération.
#459. — En second (1112a19), il expose la question formulée. Il dit qu'on ne dit pas objet de délibération ce dont délibère parfois quelqu'un de déraisonnable, qui a peut-être l'usage de sa raison, mais [un usage] perverti; ou quelqu'un d'insensé, qui manque totalement de l'usage de la raison. Plutôt, on appelle vraiment objet de délibération ce dont délibèrent des gens qui jouissent d'une intelligence correctement disposée. Ceux-là, en effet, ne délibèrent que de choses dont la nature est telle qu'on doive en délibérer, qui [donc] se disent proprement délibérables. Mais les [gens] déraisonnables délibèrent aussi parfois de ce dont la nature est telle qu'on ne doive pas en tenir délibération.
#460. — Ensuite (1112a21), il montre de quoi il y a délibération. En premier, en distinguant les choses selon leurs causes à elles. En second, en les distinguant selon certaines causes (1112a34). En troisième, en les distinguant selon leurs caractéristiques à elles (1112b8). Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre de quoi il n'y a pas délibération. En second, il conclut de quoi il y a délibération (1112a30). En troisième, il montre que la coclusion suit de ce qu'il a dit (1112a31). Sur le premier [point], il fait cinq [considérations]. En premier, il dit que personne ne délibère de ce qui est éternel, c'est-à-dire, de ce qui est toujours [et] sans mouvement. Or est de cette sorte ou bien ce dont la substance n'est pas soumise au mouvement, comme les substances séparées, et l'universalité même du monde. Ou bien aussi ce qui, quoique existant quant à son être dans une matière mobile, se trouve quand même abstrait de cette sorte de matière quant à sa définition, comme les [choses] mathématiques. Aussi pose-t-il comme exemple le diamètre du carré, et sa côte, c'est-à-dire son côté, dont personne ne délibère s'ils sont commensurables.
#461. — En second (1112a23), il dit que personne ne délibère non plus de ce qui, bien que mû, garde cependant un mouvement toujours uniforme; soit que l'uniformité de son mouvement soit par nécessité [et] non pour une autre cause, comme ce qui est nécessaire par soi-même, soit que ce soit en raison de la nature des corps mobiles, soit que ce soit pour une cause séparée, pour autant qu'on pose des substances immatérielles pour mouvoir les orbes célestes, dont on parle ici. Aussi donne-t-il en exemple les révolutions, c'est-à-dire, les mouvements circulaires du soleil et de ses levers, etc.
#462. — En troisième (1112a26), il dit qu'il n'y a pas non plus délibération de ce qui existe en mouvement, se produit la plupart du temps de la même façon, mais parfois, quoique rarement, arrive autrement; comme sont les temps secs, qui arrivent la plupart du temps en été, et les pluies, qui arrivent la plupart du temps en hiver; bien que, parfois, il en arrive autrement.
#463. — En quatrième (1112a27), il dit qu'il n'y a pas non plus délibération en ce qui se produit par chance, comme pour la découverte d'un trésor. De même, en effet, que tout ce dont on a parlé plus haut ne dépend pas de notre action, de même ce qui [est dû] à la chance ne peut surgir de notre préméditation, parce que c'est imprévu et hors d'intention.
#464. — En cinquième (1112a28), il dit que non seulement les hommes ne délibèrent pas de ce qui est nécessaire, et naturel, et fortuit, mais même aussi pas de toutes choses humaines; ainsi, les Lacédémoniens ne délibèrent pas comment les Scythes, qui vivent très loin d'eux, devraient mener au mieux leurs affaires. Il ajoute la raison commune qui répond à tout ce qui précède (1112a30): c'est que rien de cela qui est nécessaire, ou naturel, ou fortuit, ou fait par d'autres hommes, ne se fait par nous.
#465. — Ensuite (1112a30), il dit, comme en concluant à partir de ce qui a été dit, de quoi il y a délibération. Il dit que nous délibérons de [choses] faisables qui [dépendent] de nous, c'est-à-dire, qui sont en notre pouvoir. En effet, la délibération est ordonnée à l'action.
#466. — Ensuite (1112a31), il montre que cela suit de ce qu'il a dit: car, en dehors de ce dont il a été dit qu'il n'y a pas délibération, c'est cela seul qui reste, c'est-à-dire, ce qui dépend de nous, dont nous disons qu'il y a délibération. Il le prouve en divisant les causes. Il semble, en effet, y avoir quatre causes des choses: la nature, principe de mouvement, soit pour ce qui est toujours mû de la même manière, soit pour ce qui garde la plupart du temps un mouvement uniforme; la nécessité, cause de ce qui reste toujours pareil [et] sans mouvement; la chance, cause par accident, hors de l'intention d'un agent, sous laquelle le hasard aussi est compris. En dehors de ces causes, il y a encore comme cause l'intelligence, et quoi que ce soit d'autre dont sort ce qui est produit par l'homme; comme la volonté et le sens, et d'autres principes de la sorte. Et cette cause se diversifie selon la diversité des hommes; de sorte que chaque homme délibère de ces opérables qui peuvent être faits par lui, de sorte qu'il n'y a pas de délibération de ce qui est produit par d'autres causes, comme il a été dit.
#467. — Ensuite (1112a34), il montre de quoi il peut y avoir délibération, d'après les divers arts opératifs selon lesquels nous faisons ce qui dépend de nous. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre en quels arts il y a délibération, et en lesquels non. Il dit qu'en ces disciplines opératives qui possèdent des modes certains d'opérer et qui se suffisent à elles-mêmes, de façon que le produit de leurs œuvres ne dépend pas de l'intervention de quelque [agent] extrinsèque, en ces arts, dis-je, il n'y a pas délibération, comme, par exemple, pour ce qui est d'écrire les lettres. La raison en est que nous ne délibérons qu'en cas de doute. Or il n'y a pas de doute sur la façon dont on doit écrire, car elle est certaine la manière d'écrire et non douteuse, et le produit de l'écriture ne dépend que de l'art et de la main de celui qui écrit. Il y a délibération, plutôt, en tout ce qui est produit par nous, c'est-à-dire, en quoi il nous faut déterminer d'abord de quelle manière le faire, du fait que ce ne soit pas certain en soi et déterminé.
#468. — En second (1112b3), il montre qu'il n'y a pas toujours à leur endroit délibération de la même manière; mais en certaines [choses] plus et en certaines moins. En premier, il montre cette différence entre les arts opératifs. Il dit qu'à propos de ce qui est déterminé par nous, nous ne délibérons pas toujours de la même manière, c'est-à-dire, avec un doute égal. Mais plus pour certaines [choses], qui sont moins déterminées et en lesquelles il y a plus de [circonstances] extérieures à considérer: comme dans l'art médical, où il faut être attentif à la vertu de la nature qui est malade; et [dans l'art] commercial, où il faut porter attention aux nécessités des hommes et à l'abondance des choses vénales; et dans [l'art] de piloter, où il faut porter attention aux souffles des vents. Là, nous délibérons davantage qu'en gymnastique, c'est-à-dire, en la lutte et l'exercice, qui possède des procédés plus certains et déterminés. Autant les arts mentionnés sont moins certains, autant il y a en eux plus de délibération. La même [chose] est à comprendre pour les autres arts.
#469. — En troisième (1112b6), il montre la différence quant à la nécessité de la délibération dans les arts opératifs et les sciences spéculatives. Il dit que nous avons plus de nécessité à délibérer dans les arts opératifs que dans les disciplines spéculatives: en ces dernières, il n'y a pas de délibération quant à ce sur quoi elles portent, car cela est de nécessité ou de nature, mais quant à leur usage, par exemple, comment ou dans quel ordre on doit y procéder. En cela, il y a cependant moins de nécessité à délibérer que dans les sciences pratiques, sur lesquelles nous doutons davantage, à cause de la grande variété qui se produit dans ces arts.
#470. — Ensuite (1112b8), il montre de quoi il doit y avoir délibération, en considérant les caractéristiques des choses elles-mêmes. À ce [sujet], il pose trois caractéristiques des choses dont il y a délibération. En premier, il dit qu'il faut délibérer sur ce qui arrive souvent. Car du fait que cela peut survenir autrement, il reste incertain comment cela va arriver. Si quelqu'un, en effet, voulait amener à délibération ce qui arrive de façon rarissime, par exemple, si tel pont de pierre par lequel on doit passer va tomber, on n'en viendrait jamais à agir.
#471. — En second (1112b9), il dit qu'il faut délibérer sur ce en quoi ce n'est pas déterminé comment il faut agir. Un juge, en effet, ne délibère pas comment il doit prononcer sur ce qui est fixé par la loi, mais plutôt dans les cas où il n'y a pas déjà quelque chose de déterminé par la loi.
#472. — En troisième (1112b10), il dit que nous nous prenons d'autres personnes pour délibérer avec nous pour les grandes choses, ne croyant pas suffire pour discerner ce qu'il nous faut faire. Ainsi, il appert que la délibération ne doit pas porter sur n'importe quelles petites [choses], mais sur de grandes choses.
#473. — Après avoir montré sur quoi porte la délibération, le Philosophe détermine ici du mode et de l'ordre selon lequel délibérer. Puisque la délibération est comme une investigation, il fait trois [considérations] à ce [sujet]. En premier, il montre le mode de l'investigation délibératrice (1112b11). En second, son effet (1112b24). En troisième, il montre le terme de cette investigation (1112b31). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il pose le mode selon lequel délibérer. En second, il manifeste ce qu'il a dit (1112b20). Comme, par ailleurs, la délibération est une investigation pratique sur ce qu'il y a à faire, il est nécessaire que, comme, dans une investigation spéculative, on suppose des principes et on investigue autre chose, on fasse aussi de même dans la délibération. Aussi montre-t-il, en premier, ce qui est supposé dans la délibération. En second, ce qui est investigué dans la délibération (1112b15).
#474. — Il faut, par ailleurs, considérer que dans ce qu'il y a à faire, c'est la fin qui agit comme principe; car c'est de la fin que dépend la nécessité de ce qu'il y a à faire, comme il est dit au second [livre] de la Physique. Aussi faut-il supposer la fin. C'est ce qu'il dit, que nous ne délibérons pas des fins, mais des moyens; comme, dans les [disciplines] spéculatives, on n'investigue pas sur les principes, mais sur les conclusions. Ensuite, il manifeste par des exemples ce qu'il a dit: ainsi, le médecin ne délibère pas s'il doit soigner le malade, mais suppose cela comme fin. L'orateur non plus ne délibère pas s'il doit persuader, mais y vise comme à sa fin. Le politique non plus, c'est-à-dire, le dirigeant d'une cité, ne délibère pas s'il doit faire la paix, qui entretient avec la cité le rapport que la santé entretient avec le corps de l'homme, laquelle consiste dans l'accord des humeurs comme la paix dans l'accord des volontés. Et ainsi, aucun autre agent ne délibère de sa fin.
#475. — Ensuite (1112b15), il montre sur quoi et comment se fait l'investigation de la délibération. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. La première en est que, supposée une fin, la première intention des délibérateurs est comment, c'est-à-dire, par quel mouvement ou action on pourrait parvenir à cette fin; et par quels instruments il faut se mouvoir ou agir en vue de cette fin, par exemple, avec un cheval ou un navire. Puis, la seconde intention est, quand on peut arriver à une fin par plusieurs [moyens], soit des instruments, soit des actions, par lequel d'entre eux on y parviendrait le plus facilement et le mieux. Cela appartient au jugement, dans lequel quelquefois certains font défaut alors qu'ils réussissent bien dans la découverte des moyens en vue de leur fin. Enfin, la troisième intention est, s'il se trouve qu'on puisse parvenir à sa fin par un seul instrument ou mouvement, ou au mieux par un [plutôt que n'importe quel autre], de se procurer ce qui est nécessaire pour qu'on parvienne à sa fin par ce moyen. À quoi est requise constance et sollicitude. Si ce par quoi on doit arriver à sa fin n'est pas disponible immédiatement, il faut investiguer ultérieurement par quel [moyen] on viendrait à en disposer. Et [faire] semblablement avec cet [autre], jusqu'à ce qu'on parvienne à la cause qui vient en premier dans l'exécution, et qui est la dernière découverte de la délibération.
#476. — Ensuite (1112b20), il manifeste par une similitude avec l'investigation spéculative ce qu'il a dit. Il dit que la raison pour laquelle la cause, qui est première dans l'action, est la dernière découverte, c'est que celui qui délibère investigue manifestement, comme il a été dit, selon un mode de résolution. Il en va de même d'un diagramme, qui est une description géométrique dans laquelle celui qui veut prouver une conclusion doit résoudre cette conclusion à ses principes jusqu'à ce qu'il parvienne à des principes premiers indémontrables. Or toute délibération est une question, c'est-à-dire, une investigation, bien que toute question, c'est-à-dire, investigation, ne soit pas une délibération, comme l'investigation mathématique. C'est, en effet, la seule investigation sur ce qu'il y a à faire qui est une délibération. Et comme celui qui délibère investigue selon un mode résolutif, il est nécessaire que son investigation soit menée jusqu'à ce qui est principe dans l'action. Car ce qui est dernier dans la résolution est premier dans la génération ou dans l'action.
#477. — Ensuite (1112b24), il montre l'effet de la délibération. En premier, il montre son propos. En second, il manifeste ce qui a été dit (1112b29). Il dit donc, en premier, que, après que l'investigation de la délibération soit parvenue à ce qu'il faut faire en premier, si ceux qui délibèrent trouvent que cela soit impossible, ils s'arrêtent, c'est-à-dire, laissent tomber toute leur entreprise, en en désespérant. Par exemple, si pour mener l'entreprise, on a besoin de donner des argents à des personnes et qu'on ne puisse le leur donner, il faut abandonner l'entreprise. Mais s'il apparaît que soit possible ce qu'on a découvert par la délibération, on commence aussitôt à agir: parce que, comme on l'a dit, il faut que vienne en premier dans l'action ce à quoi s'est terminée l'investigation résolutive de la délibération. Par ailleurs, on dit quelque chose possible pour celui qui agit, non seulement d'après sa propre capacité, mais aussi d'après la capacité d'autres. Aussi dit-il que le possible, c'est ce qui se fait par des amis. Car ce qui se fait par des amis se fait d'une certaine façon par nous, pour autant que le principe en est en nous, vu qu'ils le font motivés par nous.
#478. — Ensuite (1112b29), il manifeste ce qu'il a dit; à savoir, quels sont ces [objets] investigués qui parfois sont découverts possibles, parfois non. Il dit que, parfois, on découvre par la délibération des instruments, par exemple, un cheval ou une épée. Parfois, par ailleurs, leur nécessité, c'est-à-dire leur opportunité, c'est-à-dire, comment il faut en user. Il en va ainsi aussi dans les autres arts: que l'on cherche parfois par quoi faire quelque chose, parfois encore comment ou pourquoi, ce qui appartient à la nécessité dont on a parlé.
#479. — Ensuite (1112b31), il conclut quel est le terme ou l'arrêt dans l'investigation de la délibération. Cela, bien sûr, d'après trois [critères]. En premier, certes, du côté de l'agent lui-même. D'où il dit que, comme il a été dit plus haut, on est principe de ses actes. D'ailleurs, la délibération de chacun porte sur ce qu'il peut faire lui-même. Aussi, quand l'investigation de la délibération est parvenue à ce qu'il est en son pouvoir de faire, là se termine la délibération.
#480. — En second (1112b33), il montre quel terme ou arrêt présente la délibération du côté de la fin. Il dit que toutes les actions sont en vue d'autre chose, c'est-à-dire de fins. Aussi n'y a-t-il pas de délibération de la fin même, mais du moyen. Ainsi appert-il qu'il y a une fin dans l'investigation de la délibération, à la fois du côté de la fin et du côté de l'agent, comme dans les démonstrations, à la fois vers le haut et vers le bas, comme du côté de l'un et de l'autre extrême.
#481. — En troisième (1112b34), il montre quel est l'arrêt dans l'investigation de la délibération, du côté des instruments singuliers dont nous usons dans nos œuvres, comme de certains moyens pour parvenir à notre fin. Il dit qu'il n'y a pas de délibération sur les choses singulières, quant à comment elles sont, par exemple, si ce qui est proposé est du pain, ou s'il est prêt, c'est-à-dire, cuit, ou fait comme il faut. Cela en effet, c'est le sens qui le discerne.
#482. — Que, par ailleurs, il y ait arrêt dans les délibérations selon ces trois [critères], il le prouve par l'impossible. Car si on délibérait toujours, on irait en cela à l'infini, ce qui ne tombe pas sous la raison et, par conséquent, pas non plus sous la délibération, qui est une investigation de la raison, comme il a été dit.
#483. — Après avoir traité absolument de la délibération, le Philosophe traite ici de la délibération par comparaison au choix. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il compare la délibération avec le choix (1113a2). En second, il conclut à partir de là ce qu'est le choix (1113a9). Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose son intention. En second, il prouve son propos (1113a4). Il compare donc, en premier, la délibération au choix de deux manières. D'une manière, certes, quant à l'objet ou à la matière de l'un et de l'autre, en quoi ils conviennent. Quant à cela, il dit que c'est la même [chose] dont il y a à délibérer et à choisir; car tant la délibération que le choix portent sur le moyen. D'une autre manière, ensuite, quant à l'ordre de l'un et de l'autre. Quant à cela, il dit que, lorsque quelque chose a déjà été déterminé par la délibération, c'est alors seulement qu'on le choisit, la délibération précédant le choix.
#484. — Ensuite (1113a4), il manifeste ce qu'il a dit. D'abord, certes, par une raison tirée de ce qui a été dit plus haut de la délibération. Il dit que la raison pour laquelle la détermination de la délibération précède le choix, c'est qu'il faut, après l'investigation de la délibération, que suive un jugement sur ce qu'on a découvert par la délibération. C'est alors seulement qu'on choisit ce qu'on a d'abord jugé. Que le jugement de la raison suive l'investigation de la délibération, il le manifeste par cela que chacun qui investigue en délibérant de quelle manière il doit agir cesse de délibérer quand il pousse son investigation à la résolution de ce qu'il peut faire. Et s'il peut faire plusieurs [choses], [il pousse] jusqu'à ce qu'il ait résolu dans ce qui vient avant, c'est-à-dire, dans ce qu'il se trouve à devoir faire en premier. C'est cela qu'il choisit, à savoir, ce qu'il se trouve à devoir faire en premier. Aussi reste-t-il que le choix présuppose la détermination de la délibération.
#485. — En second (1113a7), il prouve par un exemple ce qu'il a dit. Il dit que cela, à savoir, que le choix doit suivre la détermination de la délibération, devient évident à regarder les antiques cités, dans leur habitude selon laquelle les rois n'avaient pas un pouvoir dominatif sur la multitude au point de tout faire comme il leur semblait; mais ils dirigeaient la multitude, et c'est à elle qu'appartenait de choisir ce qui avait été déterminé par leurs princes en conseil. C'est pourquoi il dit que les rois de l'antiquité annonçaient au peuple ce qu'ils avaient choisi par la détermination de leur délibération, comme si le peuple choisissait parmi ce qui avait déterminé par eux. C'est ce qu'a suivi Homère, en présentant les princes des Grecs, qui annonçaient ce qui avait été déterminé en conseil.
#486. — Ensuite (1113a9), il montre à partir de ce qui a été dit ce qu'est le choix. Il dit que, comme l'objet du choix n'est rien d'autre qu'une chose du nombre de celles qui sont en notre pouvoir, qui est considérée par la délibération, il s'ensuit que le choix ne soit rien d'autre que le désir de ce qui est en notre pouvoir, prenant source dans la délibération. Le choix est, en effet, l'acte de l'appétit rationnel, qu'on appelle la volonté. C'est pourquoi il a dit ensuite que le choix est un désir délibérable, parce que c'est du fait que l'on délibère que l'on parvient à juger ce qu'on a trouvé par la délibération. Et c'est certes ce désir qui est le choix.
#487. — En dernier (1113a12), il montre de quel ordre est la définition précédente donnée du choix. Il dit qu'on a maintenant défini le choix en gros, c'est-à-dire, figurément, non pas selon la façon qu'il lui est habituel de déterminer quelque propos, c'est-à-dire, suivant une définition dont on investigue chaque partie singulière. Mais on transmet ici universellement la définition du choix. Il a été dit sur quelle sorte de choses il porte, à savoir, sur ce qui dépend de nous. Et il a été dit, plus haut, qu'il porte sur les moyens, et c'est aussi de quoi il y a délibération.
#488. — Après avoir traité du volontaire et du choix, le Philosophe traite ici de la volonté. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il propose ce qui est manifeste à propos de la volonté (1113a15). En second, il introduit une difficulté (1113a15). En troisième, il la résout (1113a22). Il dit donc, en premier, qu'il a été dit, plus haut, que la volonté porte sur la fin même. Il parle ici de la volonté selon qu'elle nomme l'acte de la puissance [dite] volonté. En effet, l'acte de cette puissance est dénommé à partir de la puissance même et regarde ce vers quoi tend cette puissance en premier et par soi: comme la vue est appliquée à l'acte de la puissance visuelle en rapport aux [objets] visibles. De cette façon aussi, l'intellect intervient en regard des premiers principes, qui sont comparés par soi et en premier à la puissance intellective. De là, la volonté aussi s'applique proprement aux fins mêmes, que regarde la puissance de la volonté en premier et par soi, comme des principes.
#489. — Ensuite (1113a15), il introduit une difficulté. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, en effet, il propose des opinions contraires à propos de la volonté. Il dit qu'il semble à certains que la volonté porte sur le bien par soi; qu'à d'autres, il semble qu'elle porte sur un bien apparent.
#490. — En second (1113a17), il réprouve la première position. Il dit que, si l'on dit que rien n'est objet de volonté, c'est-à-dire, que la volonté y porte, à moins d'être bon par soi, il s'ensuit que ne soit pas objet de volonté ce que l'on veut non correctement. Car selon cette position il s'ensuivrait, si c'était objet de volonté, que ce serait bon. Or il arrive parfois que c'est mauvais. La volonté ne porte donc pas toujours sur un bien par soi.
#491. — En troisième (1113a20), il réprouve la seconde position. Il dit que si l'on dit que l'objet de volonté est le bien apparent, il s'ensuit que rien n'est par nature un objet de volonté, mais qu'est pour chacun objet de volonté ce qui lui paraît [bon]. Or ce sont des [choses] différentes qui paraissent objets de volonté pour des [personnes] différentes, et parfois des [choses] contraires. De même, si ce n'était pas la couleur qui était visible, mais ce qui semble de la couleur, il s'ensuivrait que rien ne serait naturellement visible. Mais cela ne convient pas. Parce que, pour n'importe quelle puissance naturelle, il y a un objet naturellement déterminé. Ce n'est donc pas vrai que la volonté porte sur le bien apparent.
#492. — Ensuite (1113a22), il résout la difficulté qui précède. En premier, il pose la solution d'après une distinction. Il dit que, si les inconvénients mentionnés, qui s'ensuivent des deux opinions qui précèdent, ne sont pas reçus, on doit concéder, mais en distinguant [pour chacun] ce qui [l'est] simplement ou sous quelque rapport, c'est-à-dire, en regard d'un tel ou un tel, qu'est objet de volonté ce qui paraît bon à chacun.
#493. — En second (1113a25), il montre à qui convient l'un et l'autre membre de la distinction précédente. Il dit que, pour la [personne] honnête, cela est objet de volonté qui est objet de volonté en vérité, c'est-à-dire, simplement bon; mais [que], pour le méchant, c'est-à-dire, le vicieux, cela est objet de volonté, qui lui adonne: c'est-à-dire, n'importe quoi indéterminément qui lui paraît bon. Il apporte un exemple dans les [choses] corporelles. Nous voyons, en effet, que, pour les gens dont les corps sont bien disposés, sont saines les [choses] qui sont telles en vérité. Mais [que], pour les malades, sont saines d'autres [choses] qui, de fait, viennent tempérer les malices de leur complexion. De manière similaire aussi, ce qui est amer et doux paraît en sa vérité à ceux qui ont le goût bien disposé, et ce qui est chaud pour ceux qui ont le toucher bien disposé, et de ce qui est lourd jugent bien ceux qui ont la vertu corporelle bien disposée. Mais, à ceux qui sont faibles, ce qui est léger paraît lourd.
#494. — En troisième (1113a29), il manifeste ce qu'il a dit. En premier, quant à ceux [qui sont] vertueux. Il dit que le vertueux juge correctement des singuliers qui concernent les opérations humaines. Une à une, en effet, les [choses] lui semblent bonnes, qui sont vraiment bonnes. La raison en est qu'à chaque habitus, paraît naturellement plaisant ce qui lui est propre, c'est-à-dire, ce qui lui convient. Or, à l'habitus de vertu, c'est ce qui est bon en vérité qui convient. Car l'habitus de vertu morale se définit par ce qui est conforme à la raison droite. Aussi, ce qui est conforme à la raison, et cela est bon simplement, lui paraît bon. C'est en cela que l'[homme] honnête diffère le plus des autres, que, dans chaque chose à faire, il voit ce qui est vraiment bon, comme s'il était la règle et mesure de toutes choses à faire. C'est qu'en elles on doit juger quelque chose bon ou mauvais selon qu'il lui semble.
#495. — En second (1113a33), il manifeste ce qu'il a dit quant aux méchants. Il dit que, pour la plupart, à savoir, pour les méchants, l'erreur dans le discernement du bien ou du mal se produit principalement à cause du plaisir. C'est à cause de lui qu'il arrive qu'ils désirent comme un bien ce qui est plaisant, mais n'est pas bon, et qu'ils répugnent comme à un mal à quelque chose qui leur donne de la tristesse, mais qui en soi est un bien. Car ils ne suivent pas la raison, mais le sens.
#496. — Après avoir traité du volontaire, du choix et de la délibération, et de la volonté, qui sont les principes des actes humains, le Philosophe applique ici aux vices et aux vertus ce qui a été dit. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier (1113b3), il traite de la vérité. En second (1113b14), il exclut une erreur. En troisième (1114b26), il conclut ce qui a été dit des vertus. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre, d'après ce qui a été dit, que la vertu est en nous, c'est-à-dire, en notre pouvoir. En second (1113b6), il montre la même [chose] à propos de la malice. En troisième (1113b3), il montre la raison de la conséquence. Il dit donc, en premier, que, comme la volonté porte sur la fin, tandis que la délibération et le choix [portent] sur les moyens, il s'ensuit que les actions qui portent là-dessus, à savoir, sur les moyens, se font d'après un choix et, par conséquent, sont volontaires. C'est que le choix est volontaire, comme il a été dit plus haut (#434-436; 457). Or les opérations des vertus portent justement là-dessus. Elles sont donc volontaires. Par conséquent, la vertu même doit être volontaire et en nous, c'est-à-dire, se trouver en notre pouvoir.
#497. — Ensuite (1113b6), il montre la même [chose] à propos de la malice, c'est-à-dire, à propos du vice opposé à la vertu. Il dit que, pour une raison semblable, la malice est volontaire et se trouve en nous, parce que leurs opérations sont de même. Cela, il le prouve ainsi: parce que si agir est en notre pouvoir, il faut bien que ne pas agir soit aussi en notre pouvoir. Si, en effet, ne pas agir n'était pas en notre pouvoir, il nous serait impossible de ne pas agir: il nous serait nécessaire alors d'agir: ainsi, agir ne procéderait pas de nous, mais de la nécessité. Pareillement, il dit qu'en [matière] où ne pas agir est en notre pouvoir, agir aussi, par conséquent, est en notre pouvoir. Si, en effet, agir n'était pas en notre pouvoir, il nous serait impossible d'agir. Il nous serait nécessaire alors de ne pas agir: ainsi, ne pas agir ne procéderait pas de nous, mais de la nécessité.
#498. — Ainsi, il faut donc dire que, partout où l'affirmation est en nous, la négation aussi; en sens inverse aussi. Or les opérations des vertus et des vices diffèrent selon l'affirmation et la négation. Par exemple, si honorer ses parents est bon et un acte de vertu, ne pas honorer ses parents est mauvais et appartient au vice. Et si ne pas voler appartient à la vertu, voler appartient au vice. Aussi s'ensuit-il, si, comme cela a été prouvé, l'opération des vertus est en nous, que l'opération du vice est aussi en nous. Ainsi, par conséquent, le vice était lui aussi en nous, c'est-à-dire, en notre pouvoir.
#499. — Ensuite (1113b3), il donne la raison de la conséquence qui précède: si des opérations sont en nous, leurs habitus sont aussi en nous. Il dit que, comme on vient de le montrer, il est en notre pouvoir de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal; que, de plus, comme on l'a montré au second [livre], on devient bon ou mauvais du fait de faire ou de ne pas faire le bien ou le mal; il s'ensuit donc qu'il soit en notre pouvoir d'être corrects, c'est-à-dire, bons, avec l'habitus de la vertu, et méchants, avec l'habitus du vice.
#500. — Ensuite (1113b14), il exclut une erreur sur ce qui précède. En premier, il exclut l'erreur elle-même. En second (1114a3), ses racines. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il présente l'exclusion de l'erreur. En second (1113b17), il soulève une difficulté à ce [propos]. En troisième (1113b19), il établit la vérité. Sur le premier [point], il est à considérer qu'on a prétendu que personne n'est malveillant, ni personne heureux ou bon malgré lui; la raison invoquée était que la volonté tend par soi au bien. En effet, le bien est ce que tous désirent; par conséquent, la volonté répugne par soi au mal. Il dit donc que l'un de ces [énoncés] paraît vraisemblablement faux, à savoir, que personne ne soit malveillant, parce que la malice est quelque chose de volontaire. L'autre, par ailleurs, est manifestement vrai, à savoir, que personne ne soit bon et heureux malgré lui.
#501. — Ensuite (1113b17), il soulève une difficulté sur ce qui précède. S'il est vrai, en effet, que les opérations des vertus et des vices sont volontaires, et aussi, par conséquent, la vertu et la malice, il est manifeste que ce que l'on vient de dire est vrai. Mais n'y a-t-il pas quelqu'un pour croire qu'il y ait lieu de douter sur ce qui précède, au point de dire que l'on n'est pas principe de ses opérations, ni leur géniteur, comme le père est le principe de ses fils? Comme s'il disait: c'est étonnant, si quelqu'un parle ainsi.
#502. — Ensuite (1113b19), il établit la vérité. En premier, par une raison. En second (1113b21), par des signes. Il dit donc, en premier, que si cela, à savoir, la délibération, le choix et la volonté, qui sont en notre pouvoir, sont manifestement des principes de nos actions, et que nous ne pouvons pas réduire nos actions à d'autres principes qu'à ce qui est en notre pouvoir, à savoir, la délibération et le choix, il s'ensuit que nos bonnes ou mauvaises actions soient en notre pouvoir. Parce que cela dont les principes sont en notre pouvoir est lui aussi en notre pouvoir, et est volontaire.
#503. — Ensuite (1113b21), il manifeste son propos par des signes. En premier, en ce qui est manifestement volontaire. En second (1113b30), en ce qui a manifestement quelque chose d'involontaire. Il dit donc, en premier, que, de ce qui a été dit, à savoir, que les opérations des vertus et des vices sont en nous, témoigne manifestement ce qui se fait en propre par des personnes singulières privées: n'importe quel père de famille, en effet, punit son fils ou son serviteur, lorsqu'il agit mal. En témoigne de pareille manière ce qui se fait par les législateurs en charge de la chose publique; eux-mêmes, en effet, punissent plus légèrement ou soumettent à un supplice plus grave ceux qui agissent mal, quand, cependant, ils ne le font pas par violence, ou par une ignorance dont ils ne soient pas eux-mêmes la cause. Car s'ils agissaient par force ou par violence, leurs actes ne seraient pas volontaires, comme il appert de ce qui a été dit plus haut (#400-405). Aussi est-il manifeste qu'ils les punissent dans la mesure où ils agissent volontairement.
#504. — De pareille manière, aussi, on honore ceux qui font le bien volontairement: comme si, avec des honneurs, on incitait les bons au bien et, par des peines, on retenait les méchants du mal. Personne, néanmoins, n'incite quelqu'un à faire ce qui n'est pas ni en son pouvoir ni volontaire. C'est qu'en pareilles [matières], la persuasion avant l'acte est tout à fait inutile. Comme si on essayait de persuader quelqu'un de ne pas avoir chaud en été, ou de ne pas souffrir étant malade, ou de ne pas avoir faim en manquant de nourriture, ou de toute autre chose qui ne soit pas en son pouvoir; grâce à cet effort de persuasion, en effet, tout cela ne lui en arrivera pas moins. Ainsi donc, on ne nous incite pas à ce qui n'est pas en nous; mais on nous incite à faire le bien et à éviter le mal; il s'ensuit que cela nous appartient.
#505. — Ensuite (1113b30), il manifeste la même [chose] dans les [matières] où il y a manifestement quelque chose d'involontaire. Or l'ignorance cause l'involontaire, comme il a été dit plus haut (#406- 424): si, cependant, nous sommes causes de notre ignorance, l'ignorance sera volontaire, et pour elle nous serons punis. Par ailleurs, on peut être cause de son ignorance de deux manières. D'une manière, directement, en faisant quelque chose, comme il appert de ceux qui s'enivrent et, par là, sont rendus ignorants: ils sont à blâmer à deux chefs. En premier, certes, du fait qu'ils se sont enivrés. En second, du fait qu'à cause de leur ébriété, ils ont commis une faute. En effet, le principe de l'ébriété est en notre propre pouvoir, parce que l'on est maître de ce que l'on ne s'enivre pas, c'est-à-dire, on a cela en son pouvoir: l'ébriété, par ailleurs, est cause d'ignorance. Ainsi, par conséquent, on est cause de son ignorance.
#506. — On est cause de son ignorance d'une autre manière, indirectement, du fait que l'on ne fait pas ce que l'on doit faire. Pour cette [raison], l'ignorance de ce qu'on est tenu de savoir, et qu'on peut [savoir], est considérée comme volontaire, et à cause d'elle on est puni. C'est ce qu'il dit, que les législateurs punissent ceux qui ignorent ce que la loi statue, et que tous doivent savoir, comme qu'il ne faut pas voler; mais non [ceux qui ignorent] les [points] difficiles du droit, que tous ne sont pas tenus de savoir, parce qu'ils ne le peuvent pas. Il en va de même aussi en ces autres [choses] que n'importe qui ignore manifestement par négligence, alors que c'était en son pouvoir de ne pas l'ignorer. On est en effet maître de soi et on a en son pouvoir d'être diligent et non négligent.
#507. — Après avoir exclu l'erreur de ceux qui disent que personne n'est mauvais volontairement, le Philosophe exclut ici les racines de cette erreur. En premier (1114a3), certes, quant à la disposition intérieure par laquelle on pourrait être incliné au mal en dehors de sa volonté. En second (1114a32), quant à la force appréhensive avec laquelle on juge une chose bonne ou mauvaise. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente ce par quoi on pourrait être porté à soutenir l'erreur précédente. En second (1114a4), il l'infirme. Le Philosophe avait dit (#506) qu'il est au pouvoir d'un homme de se montrer diligent ou négligent pour quelque chose. Mais on pourrait le nier et dire que c'est par nature que l'on est tel qu'on ne soit pas diligent. Ainsi voyons-nous que les phlegmatiques sont naturellement paresseux, les bilieux colériques, les atrabilaires tristes et les sanguins joyeux. D'après cela, il s'ensuit qu'il ne soit pas au pouvoir de l'homme de se montrer diligent.
#508. — Ensuite (1114a4), il exclut ce que l'on vient de dire. Pour que ce soit évident, on doit tenir compte que c'est de deux manières que l'on peut nous prêter une qualité. D'une manière, d'après notre disposition corporelle ou d'après la complexion qui s'en ensuit en notre corps; cependant, notre intelligence ou notre volonté ne peuvent être mues immédiatement à partir d'une disposition de la sorte, car elles sont des puissances tout à fait incorporelles, qui ne se servent pas d'organe corporel, comme il appert par le Philosophe au troisième [livre] De l'âme (ch. 4, #5; lect. 7, #687-699). Toutefois, par une disposition de la sorte, peut s'ensuivre une mutation du côté de l'appétit sensible, qui, lui, se sert d'un organe corporel, dont les mouvements sont les passions de l'âme. De ce point de vue, la raison et la volonté, qui sont les principes des actes humains, ne sont en rien mus plus amplement par cette disposition que par les passions de l'âme, desquelles pareillement, au premier [livre], on a dit que la raison peut les persuader. L'autre [type de] disposition, par ailleurs, se situe du côté de l'âme, et c'est l'habitus, par lequel la volonté ou la raison sont inclinées dans leur opération.
#509. — C'est pourquoi le Philosophe, laissant de côté les dispositions ou les qualités corporelles, traite de la seule disposition des habitus. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre, en effet, que les habitus de l'âme à cause desquels on est négligent ou injuste sont volontaires, partant du fait que l'on est blâmé à cause d'eux. En second (1114a21), il montre que même les défauts corporels qui sont réprimandables sont volontaires. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que les habitus de l'âme sont volontaires quant à leur génération. En second (1114a13), il montre qu'ils ne sont plus volontaires désormais, une fois leur génération complétée. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose ce qu'il vise. En second (1114a7), il prouve son propos.
#510. — On doit toutefois tenir compte que les habitus mauvais diffèrent entre eux, comme aussi les actes mauvais. Certains, en effet, sont de mauvais habitus du fait qu'ils empêchent de bien agir; pour les habitus de cette sorte, il dit que les gens sont pour eux-mêmes la cause de ce qu'ils deviennent tels, c'est-à-dire, non diligents à bien agir, du fait de vivre avec relâchement, c'est-à-dire, sans s'efforcer d'agir bien. D'autres habitus, par ailleurs, sont mauvais du fait que, par eux, on est incliné à mal agir; soit au dommage d'autrui, soit à son désordre propre. Pour cela, il dit que les gens sont pour euxmêmes la cause de ce qu'ils sont injustes, du fait de faire du mal à d'autres, et incontinents, du fait de mener leur vie avec boissons superflues et autres choses de la sorte, touchant les plaisirs du toucher.
#511. — Ensuite (1114a7), il prouve son propos. En premier, avec une comparaison à autre chose. Nous constatons, en effet, que ses actions rendent chacun tel, c'est-à-dire, disposé à refaire la même chose: c'est manifeste par ceux qui mettent leur effort et leur énergie à un entraînement, par exemple, à la lutte, ou au combat, ou à n'importe quelle action. Car tous, du fait de répéter plusieurs fois leur action, deviennent tels qu'ils puissent exécuter parfaitement la même. Comme donc, nous observons cela chez tous, il paraît bien en aller ainsi aussi de celui qui manque pratiquement de sens, qu'il ignorerait en raison d'actions dus à un habitus engendré.
#512. — En second (1114a11), il montre la même chose avec une raison tirée de la relation de l'acte avec l'habitus. Car si on veut une cause dont on sache que s'ensuive tel effet, en conséquence, on veut cet effet. Même si, peut-être, on ne veut pas cet effet en lui-même, on veut toutefois plus fortement que cet effet soit plutôt que sa cause ne soit pas. Par exemple, si on veut marcher dans la grande chaleur, sachant bien que l'on suera, en conséquence, on veut suer. En effet, même si l'on ne veut pas cela en soi, on veut toutefois plus fortement subir la sueur que s'abstenir du trajet. Rien n'empêche, en effet, une chose de ne pas être volontaire en soi et d'être néanmoins volontaire en vue d'autre chose, comme une potion amère en vue de la santé. Il en irait autrement, néanmoins, si on ne savait pas que tel effet s'ensuivra de telle cause. Par exemple, si de suivre un chemin fait tomber sur des voleurs, cela ne devient pas volontaire, parce que ce n'était pas connu. Par ailleurs, il est manifeste que les gens, en faisant des choses injustes, deviennent injustes, et, en s'adonnant à des liaisons illégitimes, deviennent incontinents. Donc, il est irrationnel de vouloir commettre des injustices et de ne pas vouloir être injuste, ou de vouloir s'adonner à des liaisons illégitimes et de ne pas vouloir être incontinent. Enfin, il est manifeste que si, sans l'ignorer, on fait volontairement ce dont s'ensuit que l'on devienne injuste, on sera volontairement injuste.
#513. — Ensuite (1114a13), il montre que les habitus mauvais ne sont plus soumis à la volonté, une fois engendrés. Il dit: Il ne s'ensuit pas, du fait que l'on devienne volontairement injuste, que, dès qu'on le veut, on cesse d'être injuste et redevienne juste. Il le prouve par une comparaison avec les dispositions corporelles. Car, supposant quelqu'un qui, étant en santé, tombe malade en le voulant, du fait de vivre dans l'incontinence, usant sans modération de nourriture et de boisson, et n'obéissant pas aux médecins, au début il était en son pouvoir de ne pas tomber malade; mais une fois qu'il a commis l'action, une fois ingurgitée la nourriture superflue ou nocive, il n'est plus en son pouvoir de ne pas tomber malade. De même, celui qui lance une pierre peut ne pas la lancer; cependant, il n'est pas en son pouvoir de la reprendre, quand il l'a lancée. Pourtant, nous disons que de lancer ou de projeter une pierre est au pouvoir d'un homme, parce que c'était en son pouvoir au début. Il en va encore ainsi des habitus des vices car, au début, il est au pouvoir d'un homme de ne pas devenir injuste ou incontinent. Aussi disons-nous que les gens, c'est en le voulant qu'ils sont injustes et incontinents, même si, une fois devenus tels, il ne soit plus en leur pouvoir de cesser tout de suite d'être injustes ou incontinents; à cela, au contraire, il est requis beaucoup d'effort et d'exercice.
#514. — Ensuite (1114a21), il montre, par une comparaison avec les défauts corporels, que les habitus vicieux sont volontaires. Il dit que non seulement les malices de l'âme sont volontaires, mais aussi les défauts corporels, chez certains. De tels hommes, nous les blâmons avec justice. Personne, en effet, ne blâme avec justice ceux qui sont laids naturellement, mais seulement ceux qui sont laids à cause de la négligence d'un soin dû. Il en va pareillement des faiblesses ou des cécités. Personne, en effet, ne réprimandera avec justice celui qui est aveugle de naissance, ou en raison d'une infirmité, ou en raison de quelque blessure involontaire. À cause de cela, on a plutôt pitié d'eux. Ainsi appert-il que, parmi les malices et les défauts corporels, ceux-là sont blâmés qui sont en notre pouvoir. Aussi, il est manifeste qu'ailleurs, c'est-à-dire, en ce qui touche l'âme, les malices, c'est-à-dire, les habitus vicieux, sont en notre pouvoir.
#515. — Après avoir exclu la racine de la position que la malice n'est pas volontaire du côté de la disposition qui incline l'appétit, le Philosophe exclut ici l'autre racine, du côté de la vertu cognoscitive. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente la racine en question. En second (1114b1), il l'exclut. Sur le premier [point], on doit tenir compte que le bien meut l'appétit dans la mesure où il est appréhendé. De même, en effet, que l'appétit ou inclination naturelle suit la forme qui lui inhère naturellement, de même l'appétit animal suit la forme appréhendée. Ainsi, pour qu'une chose tombe sous l'appétit, il est d'abord requis qu'elle soit appréhendée comme un bien. De là vient que chacun désire ce qui lui paraît être bon.
#516. — On peut donc dire que cela n'est pas en notre pouvoir que telle chose nous soit manifestement ou apparemment bonne. Parce que nous ne sommes pas maîtres de notre fantasme, c'est-à-dire, de ce qui nous apparaît ou que l'on voit: mais tel est chacun, telle la fin lui semble: c'est-à-dire, telle une chose lui tombe sous l'appétit comme bien et fin. C'est, en effet, selon sa propre forme qu'une chose convient à chacun; ainsi [convient-il] au feu de tendre vers le haut et à la terre de tendre au milieu. Ainsi aussi voyons-nous, chez les animaux, que chaque animal désire une chose comme bonne et fin selon la disposition de sa nature. Aussi différents animaux ont-ils différents actes et opérations, quoique tous les animaux d'une espèce aient des mouvements et opérations semblables. Dans l'espèce humaine, par ailleurs, on trouve que différentes [personnes] ont différents mouvements et opérations. Aussi certains ont-ils pensé que cela dépend de la disposition naturelle, en raison de laquelle telle chose paraît bonne à un tel, mais telle autre plutôt à un autre, de sorte que ce ne soit pas sujet au dominium de l'homme ou à sa puissance.
#517. — Ensuite (1114b1), il exclut la racine présentée. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente la raison qui détruit ce qui a été dit. En second (1114b3), il ajoute en sens contraire une solution destructrice. En troisième (1114b12), il l'infirme. Sur le premier [point], on doit tenir compte qu'une chose peut paraître bonne à quelqu'un de deux manières.
#518. — D'une manière, universellement, comme par une considération spéculative. Ce jugement du bien ne suit pas une disposition particulière, mais la puissance universelle de la raison qui raisonne sur les actions, comme aussi sur ce qui est par nature. Mais, comme les actions possibles sont choses contingentes, la raison n'est pas forcée d'adhérer à ceci ou à cela, comme il arrive dans les choses démonstratives; au contraire, il est loisible d'adhérer à l'une ou à l'autre partie de la contradiction, comme il en va pour toute action possible, et surtout pour les actions possibles dans lesquelles le plus de [circonstances] sont à prendre en compte, où n'importe quelle [circonstance] peut faire juger une chose bonne.
#519. — De l'autre manière, une chose peut paraître bonne à quelqu'un comme par une connaissance pratique par comparaison à une œuvre. C'est d'un jugement de la sorte que parle maintenant le 98 Philosophe, qui peut porter sur une chose qui soit bonne de deux manières. D'une manière, de façon qu'une chose paraisse bonne à quelqu'un de manière absolue et en elle-même; ce paraît alors bon selon la raison de fin. D'une autre manière, par ailleurs, de façon qu'une chose paraît bonne non de manière absolue et en elle-même, mais sur le moment.
#520. — Par ailleurs, l'appétit est incliné à une chose de deux manières: d'une manière, selon une passion de l'âme; de l'autre manière, selon un habitus. Or, par passion, il se peut qu'une chose soit jugée bonne sur le moment. Comme pour celui qui craint la submersion, à cause de la passion de la crainte, il semble bon sur le moment, que les marchandises soient jetées à la mer; et à celui qui est en désir, que l'on fornique. À l'opposé, le jugement par lequel on juge une chose bonne en elle-même et de manière absolue provient de l'inclination d'un habitus, et c'est de cela qu'il s'agit maintenant. C'est pourquoi il dit, comme on est d'une certaine manière cause pour soi d'un habitus mauvais, en raison de l'accoutumance à se rendre fautif, comme il a été montré (#509-512), par conséquent, on est soi-même aussi cause pour soi du fantasme qui suit un tel habitus, c'est-à-dire, de l'apparence par laquelle il semble que cela est en soi bon.
#521. — Ensuite (1114b3), il présente la réponse de l'adversaire qui détruit ce qui a été dit. Il dit que peut-être représentera-t-on que personne n'est pour soi-même cause de mal agir, mais que chacun le fait par ignorance de la fin, dans la mesure où il estime qu'une chose très bonne s'ensuit de ce qu'il fait de mal. Que, par ailleurs, l'on désire la fin due ne provient pas de sa propre spontanéité, mais il faut que cela convienne depuis sa naissance: de sorte que, comme on tient de sa naissance la vision extérieure, par laquelle on juge bien des couleurs, de même aussi on tient de sa naissance la bonne disposition de la vue intérieure par laquelle on juge bien et désire ce qui est bon en vérité. C'est ainsi qu'on devra dire qu'il est de bonne naissance, celui à qui le jugement en question est donné dès sa naissance. Celle-là, en effet, paraît être la naissance parfaite et vraiment bonne, par laquelle est bien et le mieux inné ce qui vaut le plus et le mieux, et que l'on ne peut recevoir de l'aide ou de l'enseignement d'un autre; mais il faut qu'on l'ait telle qu'elle est donnée par la nature. Aussi, que l'homme ait cela bien par naissance rend la naissance louable par deux causes. D'une manière, à cause de l'excellence de ce bien. De l'autre manière, à cause de l'impossibilité de l'acquérir autrement.
#522. — On doit tenir compte, par ailleurs, que cela paraît être la position de certains mathématiciens, qui posaient que l'homme est disposé en sa naissance, par la vertu des corps célestes, de manière à faire ceci ou cela. Laquelle position, certes, Aristote, au livre De l'âme (#III, ch. 3; lect. 4, #616-623), attribue à ceux qui ne posaient pas de différence entre le sens et l'intelligence. Si, en effet, quelqu'un dit, comme il est dit là: telle est la volonté pour les hommes que l'induit le père des hommes et des dieux, c'est-à-dire, le ciel ou le soleil, il en suivra comme conséquence que la volonté, et la raison dans laquelle est la volonté, soit quelque chose de corporel, comme l'est le sens. Il n'est pas possible, en effet, que ce qui est en soi incorporel soit mû par un corps. Ainsi, l'intelligence et la volonté auront un organe corporel, et ne différeront en rien du sens et de l'appétit sensible. Aussi celui-ci pose-t-il la comparaison de la vue sensible et de la vue par laquelle on juge d'une chose.
#523. — On doit donc dire qu'il se peut qu'une disposition soit causée par les corps célestes dans le corps humain, par laquelle l'appétit sensible soit incliné, lui dont le mouvement est la passion de l'âme. Aussi, par l'inclination des corps célestes, il n'y a pas d'inclination à ce que l'on juge une chose bonne de manière absolue et en elle-même, comme par l'habitus électif de la vertu et de la malice; mais plutôt à ce que l'on juge une chose bonne sur le moment, comme par la passion. On doit dire la même [chose] de l'inclination qui arrive en raison de la complexion du corps. Maintenant, cependant, il ne s'agit pas du jugement par lequel on juge une chose bonne par passion; parce que la volonté peut ne pas suivre cela, comme il a été dit (#390-391), mais du jugement par lequel on juge une chose bonne par un habitus. Aussi, cette réponse n'exclut pas la raison d'Aristote.
#524. — Ensuite (1114b12), il exclut la réponse qui précède, en supposant ce que l'adversaire supposait. Il supposait, en effet, que la vertu est quelque chose de volontaire, ce qu'il niait de la malice. C'est pourquoi, reprenant ce qui a été dit, qui a été suspendu jusqu'à maintenant, il dit que si cela est vrai, à savoir, que le désir de la fin appartient à l'homme par nature, il dit qu'il n'y a pas de meilleure raison pourquoi la vertu serait, davantage que la malice, volontaire. C'est, en effet, une raison semblable, pour laquelle aux deux, à savoir, au vertueux et au vicieux, la fin se présente par nature, ou lui apparaît de quelque autre manière quant à l'appréhension, et ne [lui] soit proche quant à son appétit. Quoique l'opération de la vertu et du vice ne porte pas seulement sur la fin, mais aussi sur les moyens, alors que cependant le reste, c'est-à-dire, les moyens, on les opèrent en se référant à la fin non par nature, mais de quelque autre manière qu'il semble.
#525. — Soit donc que l'on dise que la fin ne paraisse pas à chacun être telle par nature, mais qu'il tient à lui, c'est-à-dire, à son pouvoir, d'adhérer à telle ou telle fin, soit aussi que la fin soit naturelle et que, pour faire le reste, l'homme devienne volontairement vertueux, la vertu toutefois sera volontaire. Et pareillement la malice: parce que relève pareillement du vicieux ce qui est en vue de la fin dans les actions, comme aussi du vertueux, de même aussi qu'ils se tiennent pareillement quant à la fin, comme il a été montré plus haut (#358-362). Donc, si les vertus sont volontaires, du fait que nous sommes causes des habitus, par lesquels nous sommes disposés à ce poser telle fin, il s'ensuit que les malices aussi sont volontaires, parce qu'il y a semblable raison de l'une et de l'autre.
#526. — Ensuite (1114b26), il conclut ce qui a été dit plus haut. En premier, il montre ce qui a déjà été dit des vertus. En second (1115a4), ce qu'il reste à dire. Il dit donc, en premier, qu'on a parlé des vertus en général, [en donnant] leur genre de manière grossière, c'est-à-dire, en le manifestant figurément. Ensuite, on a dit que ce sont des médiétés, ce qui touche leur genre prochain, et qu'elles sont des habitus, ce qui touche leur genre éloigné, sous lequel les vices aussi sont contenus. On a dit aussi qu'elles engendrent les mêmes actions par lesquelles elles sont causées; on a dit encore qu'elles sont en notre pouvoir, et qu'elles suivent la raison droite, et que les actions sont volontaires autrement que les habitus, parce que nous sommes maîtres des actions du début à la fin, tant que nous en connaissons les circonstances singulières, mais que nous ne sommes maîtres des habitus qu'au début. Par la suite, c'est à son insu que l'on développe davantage, dans le genre habitus, par chacune des actions [que l'on pose]. Comme cela arrive, aussi, dans les maladies engendrées par des actes volontaires, comme on l'a dit plus haut. Mais comme il était en notre pouvoir, au début, d'agir ainsi ou autrement, à cause de cela, les habitus eux-mêmes sont dits volontaires.
#527. — Ensuite (1115a4), il montre ce qu'il reste à dire. Il dit qu'il faut, par manière de répétition, reprendre la considération des vertus, de manière à dire de chacune ce qu'elle est, et sur quelle matière [elle porte], et comment elle agit. Ainsi, il deviendra manifeste combien il y a de vertus. En premier, on parlera du courage.
#528. — Après avoir traité en général des vertus morales, il commence ici à traiter de chacune en détail. En premier, il traite des vertus qui portent sur les passions intérieures. En second (1129a1), au cinquième livre, de la justice et de l'injustice, qui portent sur les actions extérieures. Ensuite, la première partie se divise en deux parties. Dans la première, il traite des vertus morales qui portent sur des passions principales touchant la vie même de l'homme. En second (1119b22), au quatrième livre, il traite des vertus morales qui portent sur des passions secondaires, touchant les biens extérieurs de l'homme. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite du courage, qui porte sur les passions touchant ce qui détruit la vie humaine. En second (1117b23), de la tempérance, qui porte sur les passions touchant ce par quoi la vie humaine se conserve, à savoir, l'aliment et le sexe. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il enquête sur la matière du courage. En second (1115b7), il traite de sa manière d'opérer. En troisième (1117a29), il traite de certaines propriétés de la vertu. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il reprend ce que l'on a manifesté précédemment, concernant la matière du courage, à savoir, sur quelles passions elle porte. En second (1115a7), il s'enquiert des objets de ces passions, pour autant que le courage porte sur elles. 100
#529. — Il dit donc qu'il a déjà été dit, au second [livre] (#267, 341), que le courage constitue une espèce de médiété concernant craintes et audaces. Le courage implique, en effet, une fermeté de l'esprit grâce à laquelle l'esprit se tient immobile devant les craintes des dangers.
#530. — Ensuite (1115a7), il enquête sur les objets des passions mentionnées, dans la mesure où le courage porte sur elles: et spécialement du côté de la crainte, sur laquelle, principalement, porte le courage, comme il sera dit plus loin (#536). Ce sont d'ailleurs les mêmes, les objets de la crainte et de l'audace. Car ce que l'un fuit par crainte, l'autre s'y attaque par audace. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre quels sont les objets de la crainte. En second (1115a11), il montre sur quel genre de ceux-là porte le courage, que c'est sur la crainte de la mort. En troisième (1115a28), il montre en détail sur la crainte de quelle mort porte le courage.
#531. — Il dit donc, en premier, que c'est ce qui est effrayant que nous craignons, comme objet de la crainte. Or est tel, universellement, n'importe quel mal. Aussi les philosophes définissent-ils la crainte en disant qu'elle est l'attente du mal. On prend attente, ici, de manière commune, pour n'importe quel mouvement de l'appétit en rapport à quelque chose de futur; alors que, cependant, l'attente, à proprement parler, ne porte que sur le bien, comme l'espoir. Il est manifeste, donc, que nous craignons tous des maux, comme la mauvaise réputation, c'est-à-dire, l'infamie, contraire à l'honnêteté; la misère et la pauvreté, contraires aux biens de fortune extérieure; la maladie, l'inimitié et la mort, contraires aux biens personnels.
#532. — Ensuite (1115a11), il montre sur la crainte de quels maux porte le courage. En premier, il montre sur laquelle elle ne porte pas. En second (1115a24), il conclut sur laquelle elle porte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente son intention, à savoir, que le courage ne porte manifestement pas sur la crainte de tous les maux.
#533. — En second (1115a12), il prouve son propos. En premier, que le courage ne porte pas sur la crainte de l'infamie. Le courageux, en effet, est loué du fait de ne pas craindre. Mais il y a des choses qu'il faut craindre, pour vivre bien. Et il est bon de les craindre, tellement que leur crainte même non seulement est nécessaire pour sauver son honorabilité, mais est de plus elle-même quelque chose d'honorable. Que, par ailleurs, on ne craigne pas des maux de la sorte est un mal déshonorable. Comme il en appert de l'infamie. Car celui qui la craint est loué comme décent, c'est-à-dire, bien mis en matière de mœurs, et réservé. Mais celui qui ne craint pas pareil mal est réprimandé comme impudent. Il appert donc que le courage ne porte pas sur la crainte de tels maux. Parfois, tout de même, celui qui ne craint pas l'infamie est nommé par certains, mais métaphoriquement, courageux, car il s'assimile au courageux en tant qu'il est sans peur.
#534. — En second (1115a17), il montre que le courage ne porte pas sur la crainte de la pauvreté. Il dit qu'il ne faut pas craindre la pauvreté comme on le disait de l'infamie; ni la maladie, comme rien non plus de ce qui ne touche pas à la malice de l'homme, celle dont il est lui-même cause. C'est en vain, en effet, que l'on craint ce que l'on ne peut éviter. Ce que l'on doit donc craindre, à propos de telles [choses], c'est de tomber en l'une d'elles en raison de sa propre malice. Car ainsi, la crainte est utile pour les éviter, mais non autrement. Toutefois, quoiqu'il ne faille pas craindre ces [choses], celui qui est sans peur, à leur sujet, ne s'appelle pas courageux, sauf peut-être par similitude. Car ne pas craindre la pauvreté relève manifestement d'une autre vertu, la libéralité, par l'acte de laquelle on est loué, en tant qu'on ose dépenser avec audace son argent, même si, de manière absolue, on est dit pourtant lâche dans les dangers plus grands de la guerre. Ce n'est donc pas sur la crainte de la misère que porte le courage.
#535. — En troisième (1115a22), il montre que le courage ne porte pas sur n'importe quelles craintes de maux personnels. Il dit qu'on ne nous dit pas lâche du fait que l'on craint d'être injurié ou d'être envié, soi ou ses fils, ou sa femme, ou n'importe quelle autre chose de la sorte; et l'on ne nous dit pas courageux du fait de ne pas craindre le fouet et de supporter le fouet avec audace, car ce ne sont pas les [choses] les plus effrayantes. Mais on est courageux de manière absolue du fait qu'on le soit touchant le plus effrayant. Qui se montre intrépide en autre chose, on ne le dit pas courageux de manière absolue, mais en ce genre.
#536. — Ensuite (1115a24), il montre sur la crainte de quels maux porte le courage, disant qu'on nous dit courageux de manière absolue du fait que l'on soit intrépide en ce qui est le plus effrayant. La vertu, en effet, est déterminée selon le dernier [point] de la puissance, comme on l'a dit au premier [livre] Du ciel (ch. 11); c'est pourquoi il faut que la vertu de courage porte sur ce qu'il y a de plus effrayant, de sorte que nul ne soutienne davantage les dangers que le courageux. Or entre tout, le plus effrayant est la mort. La raison en est que la mort est le terme de toute la vie présente, et rien, après la mort, ne paraît ainsi être bon ou mauvais, des choses qui touchent la vie présente, et qui nous apportent la mort. En effet, ce qui touche au statut des âmes après la mort ne nous est pas visible. Or est effrayant au plus haut point ce par quoi on perd tous les biens. Aussi semble-t-il que le courage porte proprement sur la crainte des dangers de mort.
#537. — Ensuite (1115a28), il montre sur quelle crainte de la mort porte le courage. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quel genre de mort porte le courage. En second (1115a32), il montre quel rapport il entretient avec tous les genres de mort. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente ce qu'il vise. En second (1115a30), il prouve son propos. Il dit donc, en premier, que le courage ne porte pas non plus sur la mort que l'on supporte en n'importe quel hasard ou affaire, comme sur la mer ou dans la maladie; mais sur la mort que l'on supporte pour les meilleures causes, comme il arrive lorsque l'on meurt à la guerre pour la défense de sa patrie. Et la même raison vaut pour n'importe quelle autre mort que l'on supporte pour le bien de la vertu. Mais il fait spécialement mention de la mort à la guerre, parce qu'en telle affaire, la plupart du temps, les gens supportent la mort pour un bien.
#538. — Ensuite (1115a30), il prouve son propos de deux manières. En premier, certes, parce que la mort qui arrive à la guerre se produit dans le danger le plus grand, car là on meurt facilement; elle se produit aussi dans le danger le meilleur, car l'on supporte là des dangers pour le bien commun, qui est le meilleur, comme on l'a dit au début (#30). Par aileurs, la vertu porte sur le plus grand et le meilleur. Donc, la vertu de courage porte le plus sur la mort qui se produit à la guerre.
#539. — En second (1115a31), il prouve la même [chose] du fait qu'à ceux qui meurent de pareille mort, ou qui s'exposent courageusement au danger de cette sorte de mort, on accorde des honneurs, tant dans les cités qui vivent sous le régime de la communauté, que même dans les monarchies, c’est-à-dire, chez les rois qui dominent seuls. Car à ceux qui combattent courageusement à la guerre, on accorde des honneurs à la fois pendant leur vie et après leur mort. Or l'honneur est la récompense de la vertu. Donc, c'est en rapport à une mort de la sorte que l'on conçoit la vertu de courage.
#540. — Ensuite (1115a32), il montre quel rapport entretient le courage avec tous les genres de mort. En premier, comment il se comporte en matière de crainte de la mort. En second (1115b4), comment il se comporte en matière d'audace, laquelle porte sur des dangers de la sorte. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre sur quelle mort porte principalement le courage. Il dit que l'on dit principalement quelqu'un courageux du fait qu'il reste sans crainte devant une bonne mort, tout comme toute vertu est ordonnée au bien, et devant les dangers de mort, surtout s'ils sont subits. C'est, en effet, là où il faut agir tout de suite que se montre le plus ce que l'on fait par habitus. Car ailleurs, on peut, par préméditation, poser des gestes semblables à ceux qui se font par habitus. Par ailleurs, parmi de tels gestes, sont le plus pertinents au bien, et subits, les dangers liés à la guerre. Aussi est-ce à leur propos, principalement, que le courageux se montre sans crainte.
#541. — Ensuite (1115a35), il montre comment le courageux reste sans crainte devant les autres morts. Il dit qu'en conséquence, le courageux reste sans crainte à la fois sur mer et dans les maladies, car il ne panique pas et n'est pas troublé par la crainte de telles [choses]. Mais c'est d'une autre manière que les marins que, sur mer, les courageux restent sans crainte. En effet, les courageux, même s'ils ne gardent aucun espoir de salut, ne sont pas dans la crainte, et méprisent cette mort. En effet, ils ne s'en préoccupent pas au point de s'en émouvoir de manière désordonnée. Tandis que les marins sont sans crainte devant le danger de la mer, pour autant qu'ils espèrent pouvoir bien s'en tirer grâce à leur expérience.
#542. — Ensuite (1115b4), il montre que le courage porte principalement non seulement sur la crainte de la mort, mais aussi sur les audaces en rapport à de tels dangers. Il dit que, pareillement, les courageux se comportent avec virilité en affrontant les dangers en matière où le courage est louable ou où il est bon de mourir, comme il en va en cas de guerre. Il est bon, en effet, d'exposer sa vie pour le bien commun. Mais dans les corruptions dont on a parlé, à savoir, dans la mort qui se rencontre sur mer ou dans la maladie, le courage n'est pas louable et il ne s'ensuit aucun bien de la mort. Aussi, affronter audacieusement de tels dangers ne concerne pas la vertu de courage.
#543. — Après avoir investigué la matière du courage, le Philosophe traite ici de son acte même. En premier, il distingue cet acte des actes des vices opposés. En second (1116a16), il traite de [dispositions] qui ont un acte semblable au courage. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il explique comment on peut différencier des actes qui portent sur la matière investiguée plus haut. En second (1115b17), il montre, par comparaison aux actes des vices opposés, quel est l'acte le plus approprié au courage. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il assigne le critère de différenciation des actes touchant la matière qui précède. En second (1115b10), il montre comment, de fait, ils se différencient. Il dit donc, en premier, que ce n'est pas la même chose qui est effrayante pour tous.
#544. — Comme, en effet, la crainte est dans l'irascible, dont l'objet est l'ardu, il n'y a pas de crainte, sauf d'un mal qui se trouve de quelque manière élevé au-dessus de la capacité de celui qui craint. Aussi une chose est-elle effrayante pour l'enfant, qui ne l'est pas pour un adulte. Il y a, par ailleurs, un mal qui excède la capacité humaine, avec laquelle on ne peut lui résister, comme un tremblement de terre, un raz-de-marée, et autres maux de la sorte; aussi des maux de la sorte sont-ils effrayants pour n'importe quel homme sage, qui dispose du jugement correct de son intelligence. Par ailleurs, ce qui est effrayant, et à la mesure de l'homme, non en excès à sa capacité de résister, diffère de deux manières. D'une manière, selon la grandeur différente de la chose; par exemple, c'est plus effrayant s'il vient plus d'ennemis que s'il en vient moins. D'une autre manière, selon le plus et le moins; par exemple, qu'ils aient plus ou moins de haine, ou s'ils s'approchent plus ou moins. Et ce que l'on a dit de ce qui est effrayant, il faut le dire de pareille manière de ce qui prête à oser. Car c'est sur le même [objet] que portent la crainte et l'audace, comme on l'a dit (#530).
#545. — Ensuite (1115b10), il montre, d'après le critère qui précède, comment se différencient les actes touchant la matière en question. Il dit que, lorsque l'on dit que le courageux n'est pas frappé de stupeur par la crainte, on doit le comprendre en rapport à ce qui est à la mesure de l'homme qui, s'il a une intelligence saine, craindra ce qui le dépasse. Aussi, même le courageux craindra pareilles [choses]. Cependant, en cas de nécessité ou d'utilité, il les supportera comme il le faut, et comme en jugera la raison droite, qui est propre à l'homme. En conséquence, il ne s'éloignera pas du jugement de la raison par crainte de pareilles [choses], mais supportera des [choses] ainsi effrayantes, quelque grandes qu'elles soient, en raison du bien qui est la fin de la vertu.
#546. — Il peut arriver, cependant, quelquefois, que l'on craigne plus ou moins des [choses] effrayantes, en excès à la capacité de l'homme ou proportionnées à elle, plus ou moins que la raison ne le juge; ce qui est plus encore, il peut arriver que l'on craigne ce qui n'est pas effrayant comme s'il l'était: et c'est en cela que consiste la faute de celui qui contrarie le plus la raison droite. De même que la maladie se produit dans le corps par le désordre de n'importe quelle humeur, de même aussi la faute contre la raison se produit dans l'âme par le désordre de n'importe quelle circonstance. Aussi, touchant la crainte, on se rend fautif quelquefois du fait que l'on craigne ce qu'il ne faut pas craindre; et, quelquefois, du fait que l'on craigne quand il ne faut pas craindre. On doit dire la même [chose] des autres circonstances mentionnées plus haut (#544). En outre, ce que l'on a dit de ce qui est effrayant, on doit le comprendre aussi de ce qui prête à audace, dont vaut la même raison, comme on l'a dit (#544).
#547. — Ensuite (1115b17), il montre quel est l'acte du courage, par comparaison aux vices opposés. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente l'acte de la vertu et des vices. En second (1116a7), il compare la vertu à des [dispositions] qui lui paraissent semblables. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de l'acte de la vertu et des vices quant à la crainte et à l'audace. En second (1116a2), quant à l'espoir et au désespoir. En troisième (1116a4), il conclut. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il traite l'acte du vertueux. En second (1115b24), les actes des vicieux. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il présente à quoi il vise. En second (1115b20), il manifeste ce qu'il avait dit.
#548. — Il dit donc, en premier, que celui qui supporte ce qu'il faut supporter et fuit par crainte ce qu'il faut éviter, et fait cela en vue de ce qu'il faut et de la manière qu'il faut et quand il le faut, on l'appelle courageux. Celui aussi qui, pareillement, ose ce qu'il faut, et en vue de ce qu'il faut, etc. Il en assigne la raison, en disant que le courageux et le vertueux souffre par crainte et agit par audace selon qu'il est digne et selon que le dicte la raison droite. En effet, toute vertu morale se conforme à la raison droite, comme il en a été traité plus haut (#322, 326).
#549. — Ensuite (1115b20), il manifeste ce qu'il avait dit, à savoir, en vue de quoi il faut agir. Il dit que la fin de n'importe quelle action vertueuse se conforme à ce qui convient à l'habitus approprié. L'habitus acquis par accoutumance, en effet, meut à la manière de la nature, en ce que l'accoutumance est comme une nature, comme il est dit au livre De la mémoire et de la réminiscence (c. 2; lect. 6, #383). Or la fin ultime d'un agent naturel en opération est le bien de l'univers, qui est le bien parfait. Mais sa fin prochaine est d'imprimer sa similitude en autre chose, comme la fin du chaud est, par son action, de rendre chaud. Pareillement, par ailleurs, la fin ultime de la vertu en opération est le bonheur, qui est le bien parfait, comme il en a été traité au premier [livre] (#45, 111, 112, 117, 118, 201, 222, etc.). Mais sa fin prochaine et plus propre est que la similitude de l'habitus existe en acte.
#550. — C'est ce qu'il dit, en affirmant que le bien que poursuit le courageux, c'est le courage. Non pas, bien sûr, l'habitus de courage qui préexiste déjà, mais sa similitude en acte. Et cela aussi est la fin, que chaque chose qui est en raison de la fin soit fixée selon sa propre fin, car c'est de la fin que se prend la raison des moyens. C'est pourquoi la fin du courage est quelque chose qui touche la définition du courage. Ainsi donc, le courageux supporte et agit en vue du bien. Et c'est dans la mesure où il cherche à faire ce qui est conforme au courage.
#551. — Ensuite (1115b24), il traite des actes des vicieux. En premier, de celui qui manque de crainte. En second (1115b28), de celui qui a trop d'audace. En troisième (1115b33), de celui qui a trop de crainte. Il dit donc, en premier, que, parmi les vices qui tiennent à un excès, celui-là n'a pas de nom, dont l'excès est absence de peur, et qui ne craint rien. On a dit, plus haut, que bien des [cas] n'ont pas de nom. C'est ce qui arrive surtout en ce qui se produit rarement. Or une telle absence de peur se produit rarement. Cela ne se peut pas, en effet, sauf chez quelqu'un de malade, ou chez quelqu'un qui n'a pas le sens de la douleur, à savoir, de ne rien craindre, par exemple, ni tremblement de terre, ni raz-demarée, ni autre chose de tel, comme on dit que cela arrive à des gens que l'on appelle des celtes, d'après le nom d'une nation. Celui-là, par ailleurs, on le dit sans sens de la douleur, parce que ce sont les mêmes [choses] que nous craignons comme futures et dont nous souffrons, lorsque présentes.
#552. — Ensuite (1115b28), il traite de celui qui a trop d'audace. Il dit que celui qui a trop d'audace face à des [choses] effrayantes, de façon qu'il les affronte avec audace plus que la raison ne le dicte, on l'appelle audacieux. Il y en a, par ailleurs, qui ne sont pas vraiment audacieux, mais le paraissent: les fanfarons, puisqu'ils feignent d'être courageux. Aussi, comme le courageux ou l'audacieux se comportent face à des [choses] effrayantes, c'est ainsi que le fanfaron cherche à se montrer. À cause de cela, quand il le peut sans danger, il imite les actions du courageux ou de l'audacieux. C'est ainsi 104 que beaucoup de ceux qui paraissent courageux ou audacieux sont lâches. Alors qu'ils se comportent comme l'audacieux en ce qui ne présente que peu de danger, ils ne supportent plus, quand vient ce qui est vraiment effrayant.
#553. — Ensuite (1115b33), il traite de celui qui craint trop. Il dit que l'on appelle lâche un homme tel qu'il craint ce qu'il ne faut pas craindre, et de la manière dont il ne faut pas, et pareillement pour ce qui est des autres circonstances. Celui-là, bien sûr, qui craint trop, manque d'audace. Car il n'y a aucune raison de ne pas affronter pour le détruire ce qui est effrayant, sauf par crainte. Cependant, le défaut de crainte peut aller sans l'audace d'affronter. Il ne s'ensuit pas, en effet, que quiconque ne fuit pas comme il faut, attaque plus qu'il ne faut. Mais quiconque est déficient pour l'attaque qu'il faut ne le fait que par crainte. C'est pourquoi il a séparé le défaut de crainte de l'excès d'audace, mais a uni l'excès de crainte avec le défaut d'audace. Et quoique le lâche craint à l'excès et manque d'audace, toutefois, il se manifeste davantage du fait de craindre à l'excès les tristesses que du fait de manquer d'audace, parce que le défaut n'est pas aussi perceptible que l'excès.
#554. — Ensuite (1116a2), il montre comment les [dispositions] mentionnées se comportent en regard de l'espoir et du désespoir. Pour l'évidence de quoi on doit tenir compte que l'objet de l'audace et de la crainte est le mal, tandis que l'objet de l'espoir et du désespoir est le bien. Or, c'est au bien par soi que tend l'appétit, mais il le fuit par accident, en raison de quelque mal qui s'y ajoute. Semblablement aussi, l'appétit fuit le mal par soi. Ce qui, par ailleurs, est par soi est cause de ce qui est par accident. C'est pourquoi l'espoir, auquel il appartient de tendre au bien, est la cause de l'audace, qui tend au mal qu'elle affronte. Pour la même raison, la crainte qui fuit le mal est cause du désespoir, par lequel on s'éloigne du bien. C'est pourquoi il dit que le lâche désespère, pour autant qu'il craint de se trouver déficient pour tout. Le courageux, au contraire, en tant qu'il ose, est de bon espoir.
#555. — Ensuite (1116a4), il conclut ce qui a été dit, partant de ce qui précède, que c'est en regard des passions en question qu'agissent à la fois le lâche, l'audacieux et le courageux, mais avec un comportement différent à leur égard. En effet, l'audacieux et le lâche osent trop et ne craignent pas assez. Mais le courageux se tient au milieu en cela, comme il le faut aussi, d'après la raison droite.
#556. — Ensuite (1116a7), il compare le courage à d'autres [dispositions] semblables à lui. Il montre, en premier, la différence entre courageux et audacieux. En second (1116a10), avec celui qui supporte la mort pour éviter d'autres embarras. Les lâches, quant à eux, ne paraissent convenir avec les courageux d'aucune [manière], et c'est pourquoi il ne s'occupe pas d'assigner une différence entre eux. Il dit donc que les audacieux sont pleins d'ardeur et de volonté avant les dangers, c'est-à-dire, qu'ils y accourent avec ardeur et violence, car ils sont mus par l'impulsion d'une passion qui déborde la raison. Mais quand ils se trouvent dans les dangers mêmes, ils en rabaissent, parce que le mouvement de la passion de départ se trouve vaincu par la difficulté imminente. Mais les courageux, quand ils sont dans les actions mêmes difficiles, restent vifs, car le jugement de leur raison, sur la base duquel ils agissent, n'est pas vaincu par la difficulté. Mais avant de venir au danger, ils sont lents, car ils n'agissent pas par impulsion passionnelle, mais par délibération rationnelle.
#557. — Ensuite (1116a10), il montre la différence entre le courageux et celui qui supporte la mort pour éviter d'autres embarras. Il dit que l'on a dit, plus haut (#535-540), que le courage est un milieu à propos de maux effrayants, et dont on a parlé, à savoir, en rapport aux dangers de mort; et il désire agir vertueusement, et supporte de tels dangers pour qu'en sorte quelque bien honorable, ou pour fuir quelque mal déshonorable. Mais que l'on meure en portant la main sur soi-même ou en accueillant volontiers la mort portée par un autre en vue de fuir la misère, ou la convoitise d'une chose que l'on ne peut avoir, ou quoi que ce soit d'autre qui entraînerait de la tristesse, cela ne relève pas du courageux, mais plutôt du lâche, pour deux raisons. En premier, bien sûr, parce que cela est manifestement une mollesse de l'âme contraire au courage, que l'on ne puisse supporter les choses pénibles et tristes. En second, parce que l'on ne supporte pas la mort pour un bien honorable, comme le courageux, mais par fuite d'un mal attristant.
#558. — Enfin, il conclut qu'à partir de ce qui précède, on peut savoir ce qu'est le courage.
#559. — Après avoir identifié l'acte du vrai courage et des vices opposés, le Philosophe traite ici de certaines [dispositions] dont l'acte ressemble au courage, mais qui restent en deçà du vrai courage. Cela peut se produire de cinq manières. En effet, le vrai courage est une vertu morale, à laquelle il est requis de savoir, et de choisir sur la base de ce [savoir]; aussi, en exerçant l'acte du courage, on peut manquer de trois manières au vrai courage. D'une manière, du fait de ne pas agir en connaissance de cause: c'est ainsi que se produit le cinquième mode du courage non véritable, selon lequel on est dit courageux par ignorance. D'une autre manière, du fait de ne pas agir par choix, mais par passion, qu'il s'agisse d'une passion qui pousse à foncer sur les dangers, comme il en va de la colère, ou qu'il s'agisse d'une passion qui tranquillise l'esprit de la peur, comme il en va de l'espoir. Sous ce rapport, on tire deux modes de courage non véritable.
#560. — D'une troisième manière, on manque au vrai courage du fait que l'on agisse sans doute par choix, mais en ne choisissant pas ce que choisit le courageux. En supportant les dangers grâce à l'expérience des armes, on pense qu'il n'est pas dangereux pour soi de combattre à la guerre, comme on le voit chez les soldats. Ou du fait que l'on chosit de supporter les dangers, mais non pour la fin en vue de laquelle le choisit le courageux, mais en raison des honneurs ou des peines, qu'imposent les dirigeants des cités.
#561. — Sous ce rapport, on divise donc cette partie en cinq parties. Dans la première partie, il traite du courage politique, ou civil. Dans la seconde (1116b3), du courage militaire. Dans la troisième partie (1116b23), du courage qui tient de la colère. Dans la quatrième partie (1117a9), du courage qui tient à l'espoir. Dans la cinquième (1117a22), du courage qui tient à l'ignorance. Sur le premier [point], il présente trois degrés de courage politique. Le premier appartient à ceux qui supportent les dangers pour l'honneur. En second (1116a29), il s'agit de ceux qui le supportent à cause de la crainte de peines. En troisième (1116a36), il s'agit de ceux qui affrontent et supportent les dangers en raison d'une contrainte présente. Sur le premier [point], il fait trois [considérations].
#562. — En premier, il présente ce degré du courage, et dit: en dehors du vrai courage, on appelle certaines autres [dispositions] courage, selon cinq modes. Tient la première place parmi elles le courage politique, c'est-à-dire, civil, car pareil courage s'assimile le plus au vrai courage. Les citoyens, en effet, supportent les dangers pour éviter les blâmes et les opprobres que l'on inflige aux lâches, d'après les statuts des lois civiles, et pour accéder aux honneurs que l'on accorde aux courageux, d'après les mêmes lois. Ainsi arrive-t-il que, dans ces cités où on administre des réprimandes aux lâches, et des honneurs aux courageux, les gens se trouvent ainsi les plus courageux de ce courage, et peut-être aussi du vrai, par accoutumance.
#563. — En second (1116a21), il énumère des exemples tirés d'Homère qui, en décrivant la guerre de Troie, présente de pareils courageux, à savoir, à cause des honneurs ou des blâmes: Diomède, par exemple, chez les Grecs, et Hector, chez les Troyens. Il fait parler Hector ainsi, en effet: Polidamas, c'est-à-dire, certain chef des Troyens, m'imposera le premier rejet, c'est-à-dire, me rejettera, si je ne me conduis pas courageusement. Et Diomède disait, en s'exhortant à agir courageusement: Hector, en fêtant avec les Troyens, dira pour se louer et me blâmer: Tydides, c'est-à-dire, Diomède, ainsi nommé à cause de son père, m'a fui et s'est trouvé vaincu.
#564. — En troisième (1116a26), il manifeste ce qu'il avait dit, à savoir, que ce courage s'assimile le plus au vrai. Il dit que le courage politique s'assimile le plus à celui duquel on a dit plus haut qu'il l'est par vertu. Ce courage politique, en effet, a lieu par vergogne, qui consiste en la crainte de ce qui est honteux, en tant, donc, que l'on fuit l'opprobre, et par suite à cause du désir du bien, c'est-à-dire, de l'honorable, dans la mesure où ce courage recherche l'honneur, qui est le témoignage de l'honorabilité. C'est pourquoi, en exposant cela, il ajoute que pareil courage dépend de l'honneur et de la fuite de l'opprobre, de ce qui est honteux. Comme l'honneur, donc, est quelque chose de proche du bien 106 honorable, et le blâme, [proche] de ce qui est honteux et déshonore, il s'ensuit que ce courage est proche du vrai courage, qui vise l'honorable et fuit le déshonorant.
#565. — Ensuite (1116a29), il présente le second degré du courage politique, celui qui s'exerce à cause de la crainte de la peine. Il dit que l'on peut réduire au même mode du courage politique ceux qui sont courageux à cause de ce qu'ils sont forcés par la crainte de peines par les dirigeants de la cité. Ils sont quand même moins bien que les précédents, dans la mesure où ils n'agissent pas courageusement par vergogne de ce qui est honteux, mais par crainte de la peine. C'est ce qu'il ajoute, qu'ils ne fuient pas le honteux, c'est-à-dire, le déshonorant, mais du triste, c'est-à-dire, quelque chose de douloureux ou de dommageable qui attristerait. C'est par cela, en effet, que les seigneurs forcent leurs subordonnés à combattre courageusement. Ainsi, d'après Homère, Hector menaçait les Troyens en disant: Celui que je prendrai à fuir sans combattre, c'est-à-dire, sans combattre courageusement, je le traiterai si mal qu'il n'arrivera même plus à fuir les chiens.
#566. — Ensuite (1116a36), il présente le troisième degré du courage politique, selon lequel on est forcé actuellement par les chefs, et non seulement par la crainte de peines futures. C'est ce qu'il dit, que c'est de la même façon que modèlent leurs actions les chefs qui ordonnent à leurs subordonnés de ne pas fuir de la bataille et qui frappent ceux qui s'éloignent de la bataille. Pareillement encore, ceux qui, pour qu'on ne puisse fuir, creusent avant le combat des fossés et construisent des murs et imaginent de semblables empêchements à la fuite. Tous les chefs qui agissent de même, en effet, forcent leurs subordonnés à combattre. Mais ceux qui se trouvent ainsi forcés ne sont pas vraiment courageux. Car le vertueux doit être courageux non par nécessité, mais à cause du bien de la vertu.
#567. — Ensuite (1116b3), il traite du courage militaire. Sur ce [point], il fait deux [considérations]. En premier, en effet, il montre ce qui amène les soldats à agir courageusement. En second (1116a15), il compare le courage militaire au politique. Il dit donc, en premier, que l'expérience du terrain passe pour du courage. En effet, en n'importe quelle affaire, l'expert agit avec audace et sans crainte, comme Vegetius le dit, dans son livre sur la question militaire: «Personne ne doute de faire ce qu'il a confiance d'avoir bien appris.» C'est pourquoi Socrate estimait que le courage est une science, qui s'acquière par l'expérience; il pensait aussi que toutes les autres vertus sont des sciences. Mais on traitera de cela plus loin, au sixième [livre] (#1286). Ainsi donc, de même que certains sont courageux en n'importe quoi par expérience, de même les soldats sont courageux par expérience dans les affaires de guerre.
#568. — De cela, deux [choses] s'ensuivent. La première est qu'à la guerre bien des choses dépassent les non-experts, c'est-à-dire, leur infligent de la crainte, bien qu'elles ne comportent que peu ou pas de danger; par exemple, le fracas des armes, le galop des chevaux, et d'autres choses de la sorte. Ces choses, bien sûr, avec l'expérience, perdent leur aspect effrayant. Aussi paraît-on courageux, lorsqu'on entre sans crainte en de telles [choses], qui paraissent dangereuses aux autres, à savoir, aux nonexperts, qui ne savent comment elles sont. En second, on tire aussi de l'expérience de pouvoir faire souffrir l'ennemi sans souffrir, c'est-à-dire, ne pas souffrir de sa part, à savoir, en se gardant des coups et en frappant les autres, du fait d'avoir la capacité de bien user de ses armes, et de disposer de choses de la sorte, efficaces pour pouvoir blesser les autres sans l'être soi-même. Aussi est-il manifeste que pareilles gens combattent avec les autres comme gens armés contre gens désarmés. Car il est quasi désarmé celui qui ne peut ou ne sait user de ses armes.
#569. — Il en va de même d'athlètes, c'est-à-dire, de pugilistes courageux et instruits, contre des idiots, c'est-à-dire, des rustres sans expérience. Car en leurs combats, à savoir, en ceux des athlètes, ce ne sont pas ceux qui peuvent le plus combattre qui sont les plus courageux, mais ceux qui sont puissants sous le rapport de la vertu corporelle, doués de corps bien disposés.
#570. — Ensuite (1116a15), il compare le courage militaire au politique. Il dit que les soldats agissent courageusement aussi longtemps que les dangers ne paraissent pas imminents. Mais quand le danger dépasse l'habileté qu'ils ont avec les armes, et quand ils ne sont pas entourés d'une multitude, ou d'autres préparatifs de guerre, alors ils deviennent lâches. Et alors, ils fuient les premiers: ils n'étaient pas audacieux pour autre chose, en effet, que parce qu'ils estimaient que le danger n'était pas menaçant pour eux. C'est pourquoi, quand ils voient le danger, ils fuient les premiers. Mais ceux qui sont courageux civilement restent dans les dangers et meurent. Comme il est arrivé en certain lieu où, après la fuite des soldats, les citoyens sont restés. Car les citoyens jugeaient honteux de fuir, et choisissaient plutôt la mort que le salut par la fuite. Mais les soldats s'exposent aux dangers au début, tant qu'ils se pensent plus puissants. Mais une fois qu'ils se sont rendus compte que les ennemis sont plus puissants, ils fuient, craignant davantage la mort qu'une fuite honteuse. Cependant, il n'en va pas ainsi du courageux, qui craint davantage la honte que la mort.
#571. — Après avoir présenté deux modes du courage non véritable, il présente ici le troisième mode, tenant à la colère pour autant qu'elle pousse à l'acte du courage. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment la fureur incline à l'acte du courage. En second (1116b30), il montre la différence avec le vrai courage. Il dit donc, en premier, que, dans la manière habituelle de parler, on prend la fureur pour du courage, quand on attribue au courage ce que des gens enragés ou fâchés font de rage. Car les gens enragés ou fâchés paraissent bien être courageux. Comme aussi les bêtes qui, une fois enragées, se ruent sur les gens qui les frappent. En effet, le courage a de la ressemblance avec la rage, en ceci que la rage pousse au danger avec beaucoup d'élan, comme justement le courageux tend au danger avec grande vertu d'âme.
#572. — Il apporte à l'appui des vers d'Homère qui dit, en rappelant quelqu'un: «Il a mis sa vertu dans sa rage», de façon à régler sa rage par la vertu de son âme. Et «il excitait leur vertu et leur rage», de sorte que, par colère, la vertu de son âme soit rendue plus prompte à agir. Ailleurs, il dit de certains que «par chaque narine, ils émettaient une vertu âpre», à savoir, de la rage, qui, en raison du réchauffement du cœur, fait respirer avec beaucoup d'animation, du fait que parfois, avec l'élan de la colère, le sang bouillonne par les narines. Le Philosophe dit que les paroles précédentes d'Homère paraissent signifier que la rage est exigée, et ajoute de l'élan, aux actes du courage.
#573. — Ensuite (1116b30), il montre la différence de ce courage avec le vrai courage. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre ce qui convient au vrai courage. En second (1116b31), ce qui convient à la rage des bêtes. En troisième (1117a5), ce qui convient à la rage humaine. Il dit donc que les courageux ne sont pas poussés à accomplir les actions du courage par l'élan de la rage, mais par l'intention du bien; toutefois, la fureur seconde leur acte à la manière d'une aide.
#574. — Ensuite (1116b31), il montre comment la colère des bêtes se rapporte à l'acte du courage. Il dit que les bêtes affrontent les dangers par tristesse, devant les maux qu'elles souffrent en acte, par exemple, lorsqu'elles sont blessées, ou par crainte de celles qu'elles craignent de souffrir, par exemple, si elles craignent d'être blessées; incitées ainsi à la colère, elles attaquent les gens. Car si elles étaient en forêt ou au marais, elles ne seraient pas blessées ni ne craindraient d'être blessées, et ainsi ne viendraient pas à attaquer les gens. Aussi est-il évident qu'il n'y a pas chez elles de vrai courage, car elles sont poussées aux dangers seulement par la douleur et la rage, alors que, cependant, elles ne prévoient rien des dangers, au contraire de ceux qui agissent courageusement par choix. Si, en effet, les bêtes qui agissent par passion étaient courageuses, pour la même raison les ânes aussi seraient courageux, qui, en raison de leur convoitise de nourriture, ne quittent pas les pâturages quand ils ont faim, même si on les frappe. Pareillement, en raison de leur convoitise sexuelle, les [bêtes] affrontent bien de l'osé, et pourtant il n'y a pas en cela de vrai courage. Car elles n'agissent pas par choix du bien, mais par passion. Ainsi devient-il évident que même les animaux poussés aux dangers par la douleur n'ont pas de vrai courage.
#575. — Bien qu'on ait présenté la ressemblance entre convoitise et rage, parmi toutes les passions, cependant, ce courage paraît être le plus connaturel avec le vrai courage, qui procède de la rage; tellement que, s'il préadmettait choix et fin due en vue de quoi agir, il serait du vrai courage. C'est 108 expressément qu'il dit préadmettait, car, dans le vrai courage, la rage doit suivre le choix, non le précéder.
#576. — Ensuite (1117a5), il montre ce qui convient au courage qui procède de la colère chez les hommes, lesquels certes paraissent agir par choix et poursuivre une fin, à savoir, la punition de celui contre qui ils sont fâchés. Aussi dit-il que les gens fâchés souffrent à cause de l'injure portée et non encore vengée. Mais quand ils punissent, ils ont du plaisir, du fait de satisfaire leur désir. Mais ceux qui agissent ainsi pour cela, on peut sans doute les appeler combatifs, mais non courageux. Car ils n'agissent pas pour un bien ni par conduite de la raison, mais par passion, à cause de quoi ils désirent vengeance. Cependant, ils ont quelque chose de semblable au vrai courage, comme il appert de ce qui précède.
#577. — Ensuite (1117a9), il présente le quatrième mode du courage, selon lequel on est dit courageux à cause de l'espoir. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il présente ce mode du courage. En second (1117a11), il compare ce mode au vrai courage. En troisième (1117a17), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Il dit donc, en premier, que, de même que ceux qui agissent avec courage à cause de la colère ne sont pas vraiment courageux, de même ceux qui [le font] à cause du seul espoir de la victoire, on ne les appellent pas non plus courageux. Il y a en eux, en effet, une prééminence par laquelle ils diffèrent des autres: c'est qu'à cause du fait qu'en se trouvant dans des dangers, ils ont vaincu plusieurs fois, ils ont confiance d'obtenir la victoire encore maintenant, non à cause de la compétence qu'ils auraient acquise par l'expérience (cela, en effet, appartient au second mode du courage), mais à cause de la seule confiance qu'ils ont tirée de fréquentes victoires.
#578. — Ensuite (1117a11), il compare ce courage au vrai courage. Il dit que ceux qui ont ainsi grand espoir ressemblent aux vrais courageux, parce que les deux sont audacieux, c'est-à-dire, affrontent avec audace les dangers, quoique non sous ce rapport sous lequel on dit quelqu'un audacieux avec vice. Mais ils sont différents: car les courageux affrontent avec audace pour les [motifs] mentionnés, à savoir, par choix, et en vue du bien; mais ceux qui entretiennent bon espoir affrontent avec audace pour cela qu'ils s'estiment meilleurs au combat, et ne doivent souffrir aucune contrariété de la part des autres. Il en va comme des gens ivres qui, aussi, avec les esprits multipliés par l'effet du vin, acquièrent grand espoir. Mais quand il ne leur arrive pas ce qu'ils espèrent, ils ne tiennent pas, mais s'enfuient. Or le propre du courageux est de supporter en vue du bien, ou pour éviter la honte du déshonorable, des choses effrayantes en vérité et non seulement en apparence.
#579. — Ensuite (1117a17), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Comme, en effet, il appartient au courageux, selon l'inclination de son habitus propre, de supporter ce qui est effrayant, il paraît davantage courageux celui qui, face à des objets soudains de crainte, ne craint ni n'est troublé, que si cela arrive en ce qu'on connaît d'avance. Cela procède manifestement davantage par habitus, en effet, en tant qu'on s'est manifestement moins préparé à supporter pareilles choses. En effet, ce que l'on connaît d'avance, on peut le choisir par raison et délibération, même contre l'inclination de son habitus ou de sa passion. En aucun cas, en effet, l'inclination de l'habitus ou de la passion n'est si violente que la raison ne puisse lui résister, tant que reste l'usage de la raison par laquelle, par soi, on reste ouvert aux opposés. Mais en matière soudaine, on ne peut délibérer. Aussi opère-t-on manifestement d'une inclination intérieure en conformité avec son habitus.
#580. — Ensuite (1117a22), il présente le cinquième mode du courage non véritable. Il dit que ceux qui ignorent les dangers paraissent courageux, quand ils affrontent avec audace ce qui est dangereux, bien qu'il ne leur en semble pas ainsi. Ils n'ont pas grande différence avec ceux qui sont courageux par grand espoir. L'un et l'autre, en effet, estiment que le danger n'est pas imminent pour eux.
#581. — Mais ils sont différents en ceci que les ignorants ne pensent pas que ce qu'ils affrontent soit du danger de manière absolue et en soi. Tandis que ceux qui sont de bon espoir savent quels sont en elles-mêmes les choses qu'ils affrontent. Cependant, ils ne pensent pas que ce soit dangereux pour eux. Aussi, ceux qui sont ignorants sont d'autant pires que ceux qui ont grand espoir, qu'ils n'ont nulle dignité, mais courent au danger par seul défaut de science, tandis que ceux qui ont grand espoir, même une fois qu'ils connaissent le danger, tiennent encore un certain temps, tant que la grandeur du danger ne surpasse leur espoir. Mais ceux qui sont courageux par ignorance, dès qu'ils connaissent qu'il en est autrement qu'ils ne le soupçonnaient, s'enfuient. C'est ce dont étaient affligés les Argiens, des citoyens de la Grèce, qui, tant qu'ils pensaient combattre contre les Sicyoniens, d'autres citoyens plus faibles qu'eux, fonçaient avec courage sur d'autres.
#582. — Enfin, il conclut que ceux dont on a parlé, on les appelle courageux en tant qu'on les estime courageux par ressemblance, mais non parce qu'ils seraient vraiment courageux.
#583. — Après avoir traité de la matière et de l'acte du courage, le Philosophe traite ici de certaines propriétés du courage, comme quoi le courage entretient un rapport au plaisir ou à la tristesse. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il présente les propriétés du courage. En second (1117b17), il les exclut du courage militaire. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre quel rapport le courage entretient avec la crainte et l'audace. En second (1117a32), quel rapport le courage entretient avec la tristesse. En troisième (1117a35), quel rapport il entretient avec le plaisir. Il dit donc, en premier, que, quoique le courage porte sur les audaces et les craintes, il ne porte pas également sur les unes et les autres. Plutôt, la louange propre à cette vertu réside davantage en ce qu'il s'agit de bien se tenir face à ce qui est effrayant. En effet, celui qui n'est pas troublé par quelque chose d'effrayant, et se comporte comme il faut à son endroit, fait mieux valoir qu'il est courageux que celui qui se comporte bien en matière d'audaces. La raison en est que la crainte atteint l'homme à l'occasion d'un assaut par quelque chose de plus fort [que lui], tandis que l'audace surgit de ce que l'on estime que celui que l'on attaque ne dépasse pas notre force. Or il est plus difficile de tenir contre un plus fort que d'attaquer un égal ou un plus petit.
#584. — Ensuite (1117a32), il montre de quelle manière le courage se rapporte à la tristesse. Pour en avoir l'évidence, on doit tenir compte que l'objet de la crainte et de la tristesse, c'est le même, à savoir, le mal. Mais ils diffèrent selon la différence du présent et du futur. Car le mal futur est effrayant, tandis que le mal présent est attristant. Au courageux, toutefois, il appartient non seulement de tenir le coup contre les craintes de dangers futurs, mais aussi de persister dans les dangers mêmes, comme il a été dit auparavant (#548). C'est pourquoi il dit que l'on appelle quelqu'un courageux principalement du fait qu'il supporte bien des [choses] tristes, c'est-à-dire, présentes, par exemple, des coups et blessures. Aussi le courage comporte-t-il une tristesse adjointe.
#585. — C'est avec justesse qu'on loue qu'il ne recule pas du bien de la vertu pour fuir la tristesse. Rationnellement, d'ailleurs, c'est pour cela que le courage est le plus louable, car la louange de la vertu tient le plus à ce qu'on agisse bien en matière difficile. Or il est plus difficile de supporter des [choses] tristes, ce qui appartient au courage, que de s'abstenir de plaisirs, ce qui appartient à la tempérance. Aussi le courage est-il plus louable que la tempérance.
#586. — Ensuite (1117a35), il montre quel rapport le courage entretient avec le plaisir. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre son propos. En second (1117b9), il exclut une erreur. En troisième (1117b15), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Il dit donc, en premier, que, comme le courage consiste à supporter des [choses] tristes, le courageux paraît avoir quelque plaisir dans la poursuite de la fin pour laquelle il agit courageusement; mais ce plaisir s'évanouit, c'est-à-dire, est senti faiblement, à cause des tristesses qui l'entourent, comme il arrive dans les combats gymniques, à savoir, où les combattants combattent nus.
#587. — Les combattants, en effet, prennent du plaisir à la fin en vue de laquelle ils combattent, à savoir, être couronnés et honorés. Mais supporter des coups leur est douloureux. Nier cela, c'est nier qu'ils soient de chair. Car s'ils ont une chair sensible, il faut bien que ce qui les blesse leur cause de la 110 douleur. Pareillement, toute peine qu'ils supportent en combattant leur est attristante. Comme il y a pour eux bien des [choses] tristes et douloureuses qu'ils supportent, et que le bien qu'ils ont comme fin est quelque chose de petit, ils paraissent ne pas sentir de plaisir, car leur plaisir est absorbé par la tristesse, plus grande. Il en va aussi ainsi dans l'acte du courage: car la mort et les blessures sont douloureuses pour le courageux, bien que le courageux les supporte en vue d'atteindre le bien de la vertu et pour éviter la honte du vice, laquelle fin, bien sûr, est plus puissante que le combat. Aussi leur reste-t-il davantage quelque chose du plaisir de la fin.
#588. — Ensuite (1117b9), il exclut l'erreur des Stoïciens, qui prétendaient que les vertueux n'ont aucune tristesse. Sur ce [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que c'est au courageux qu'arrive la tristesse la plus grande. En second (1117b13), que son courage n'en est pas diminué, mais augmenté. Il argumente, par ailleurs, dans la première partie, à partir de ce que supposaient les Stoïciens, à savoir, qu'il n'y a aucun bien de l'homme, sinon la vertu. C'est pourquoi ils disaient que le vertueux ne s'attriste pas, car en son bien propre on ne souffre pas de dommage. Mais le Philosophe dit, au contraire, que c'est pour autant que l'on est plus parfait en vertu et plus heureux selon le bonheur de la vie présente, que l'on est le plus susceptible de s'attrister dans la mort, selon la considération des biens de la vie présente.
#589. — Il y a deux [choses], en effet, qui augmentent la tristesse d'un homme dans la perte d'un bien. En premier, bien sûr, quand on est privé d'un bien dont on était digne. En second, en raison de la grandeur du bien dont on est privé. Or l'un et l'autre se produisent dans le propos, car c'est pour le vertueux qu'il est le plus digne de vivre. De plus, le vertueux est privé sciemment des plus grands biens, à savoir, la vie la meilleure et les vertus qu'il perd quant à l'usage de la vie présente. Cela lui cause de la tristesse, même en accordant que ne le menace pas la tristesse en regard de n'importe quels autres maux qui sont tolérés, sauf la vie.
#590. — On doit toutefois tenir compte que, pour certains vertueux, à cause de l'espoir d'une vie future, la mort soit désirable. Mais les Stoïciens ne parlaient pas ainsi, et il n'appartenait pas au Philosophe de parler dans l'œuvre présente de ce qui concerne le statut de l'autre vie.
#591. — Ensuite (1117b13), il dit que la tristesse mentionnée ne diminue pas le courage. Au contraire, à partir de cela, on est dit plus courageux, du fait de préférer ce bien du courage que l'on cherche à la guerre à ces biens qu'on laisse en mourant, désirant davantage réaliser un grand bien que conserver plusieurs petits biens, comme il sera dit plus loin, au neuvième livre (#1879-1880).
#592. — Ensuite (1117b15), il conclut de ce qui précède que, bien qu'il ait été dit au premier et au second [livre] (#154-160, 267, 275-279) que les actions des vertus sont plaisantes, ce n'est pas, cependant, dans toutes les vertus que l'opération est plaisante, sauf sous le rapport d'atteindre la fin. Cela, il le dit à cause du courage, comme il appert de ce que l'on a dit.
#593. — Ensuite (1117b17), il exclut du courage militaire les propriétés mentionnées. Il dit que rien n'empêche certains d'être de très bons soldats, sans être tels que nous avons décrit le courageux. Peutêtre même que ceux qui sont moins courageux sont de meilleurs soldats, et ne visent d'ailleurs pas d'autre bien, comme pas même celui du courage. Car ce n'est pas pour quelque bien de vertu qu'ils sont prêts au combat, mais leur vie, en l'exposant au péril, ils l'échangent de quelque manière pour de petits gains, par exemple, des salaires et des récompenses.
#594. — Ensuite (1117b20), il conclut ce qui a été dit. Il dit que l'on peut donc décrire en gros ce qu'est le courage, et dire que le courage est une vertu qui tient le milieu, conforme à la raison droite, portant sur les craintes et les audaces, en vue d'un bien.
#595. — Après avoir traité du courage, qui regarde les [choses] effrayantes dangereuses pour la vie humaine, le Philosophe traite ici de la tempérance, qui regarde les [choses] plaisantes par lesquelles la vie humaine est conservée, à savoir, les aliments et le sexe. À ce sujet, il fait deux considérations. En premier, il dit sur quoi porte son intention. En second (1117b24), il exécute son propos. Il dit donc, en premier, qu'après avoir ainsi parlé du courage, on doit parler de la tempérance. Il assigne comme raison de faire suite de cette façon le fait que ces deux vertus se rejoignent quant à leur sujet. En effet, l'une et l'autre relèvent des parties irrationnelles, pour autant que l'on appelle partie irrationnelle de l'âme celle qui est de nature à s'harmoniser avec et à obéir à la raison, comme on en a traité plus haut (#239), au début. Or l'appétit sensible est de la sorte, lui duquel relèvent les passions de l'âme.
#596. — Aussi faut-il que toutes les vertus qui portent sur les passions résident dans l'appétit sensible. Or le courage porte sur les passions de crainte et d'audace, qui résident dans l'irascible, alors que la tempérance, quant à elle, porte sur les plaisirs et les tristesses, qui résident dans le concupiscible. Aussi le courage réside-t-il dans l'irascible, tandis que la tempérance réside dans le concupiscible.
#597. — On doit tenir compte, cependant, que les plaisirs sur lesquels porte la tempérance sont communs à nous et aux brutes, ce sont les plaisirs liés à l'aliment et au sexe. Pareillement, les craintes sur lesquelles porte le courage sont communes à nous et aux brutes, ce sont les craintes de mort. C'est pourquoi il a dit spécialement que ces deux vertus relèvent des parties irrationnelles, car elles relèvent de parties irrationnelles de l'âme non seulement en raison des passions mêmes, mais aussi en raison des objets des passions. Il y a des passions, en effet, dont les objets n'atteignent pas les animaux brutes, comme les richesses, honneurs, et autres choses de la sorte.
#598. — Ensuite (1117b24), il commence à traiter de la tempérance. En premier, il cherche ce qu'est la matière de la tempérance. En second (1118b8), il traite de son acte à elle et de celui des vices opposés. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il propose en général la matière de la tempérance. En second (1117b27), il cherche sa matière spéciale. Sur le premier [point], il reprend trois [choses] dites plus haut, au second [livre] (#342). La première est que la tempérance tient le milieu à propos de plaisirs. La seconde est qu'elle porte aussi sur des tristesses, celles qui proviennent de l'absence d'[objets] plaisants. Mais la tempérance porte moins sur les tristesses que sur les plaisirs, car une chose agit de manière plus efficace par sa présence que par son absence. La troisième, enfin, [c'est] que l'intempérance porte pareillement sur des plaisirs et des tristesses, du fait que les contraires ont lieu quant à la même [chose].
#599. — Ensuite (1117b27), il cherche la matière spéciale de la tempérance. Sur ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il dit à quoi vise son intention. En second (1117b28), il distingue entre les plaisirs. En troisième (1117b31), il montre sur quels plaisirs porte la tempérance. Il dit donc, en premier, que, comme la tempérance porte sur les plaisirs, il faut maintenant, pour connaître en détail la définition de la tempérance, regarder sur quels plaisirs elle porte.
#600. — Ensuite (1117b28), il distingue entre les plaisirs. Il dit que, parmi eux, certains relèvent de l'âme, d'autres du corps. Relèvent du corps, bien sûr, les plaisirs qui se consomment dans une passion corporelle du sens externe, tandis que relèvent de l'âme les plaisirs qui se consomment par la seule appréhension interne. Il exemplifie quant aux plaisirs de l'âme, en commençant par la cause du plaisir, qui est l'amour. Chacun, en effet, prend plaisir au fait d'avoir ce qu'il aime. Or on trouve en certains l'amour de l'honneur, et en d'autres l'amour de la connaissance, qui ne s'appréhendent pas par le sens externe, mais par l'appréhension interne de l'âme. Aussi, l'un et l'autre, à savoir, tant celui qui est amateur d'honneur que celui qui est amateur de connaissance, se réjouit par ce qu'il aime, au moment où il l'a. Et cette joie ne se produit pas par le biais de quelque passion du corps, mais par la seule appréhension de l'esprit.
#601. — Ensuite (1117b31), il montre que ce n'est pas sur des plaisirs de l'âme que porte la tempérance. Il désigne trois genres de ces plaisirs. Certaines [choses], en effet, sont plaisantes de manière animale, qui détiennent un aspect d'honorabilité, comme l'honneur et la connaissance, comme il a été dit précédemment (#600). C'est pourquoi il dit que l'on ne dit personne tempérant ni intempérant à propos de plaisirs de la sorte, puisque la tempérance regarde manifestement des plaisirs qui comportent de la honte. Il y a toutefois aussi, à propos des plaisirs de l'honneur et de la connaissance, d'autres milieux et extrêmes, qui relèvent d'autres vertus, comme il apperra au quatrième [livre] (#792-799).
#602. — En second (1117b32), il présente d'autres plaisirs animaux, qui consistent en paroles ou faits humains. Il dit que, de même que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de l'honneur et de la connaissance, de même elle ne porte pas non plus sur d'autres plaisirs qui ne sont pas corporels. Ceux, en effet, qui aiment entendre des récits et en raconter, et écoulent ou dépensent toute leur journée à de ces paroles ou de ces actes contingents, c'est-à-dire, ni nécessaires ni utiles, nous les appelons des bavards, mais nous ne disons pas qu'ils sont intempérants. Car l'intempérance ne comporte pas seulement de la vanité, mais aussi de la honte.
#603. — En troisième (1118a1), il présente le troisième genre de plaisirs animaux, qui regardent les choses externes, comme l'argent et les amis. Aussi dit-il que ceux qui s'attristent de manière désordonnée de la perte d'argent et d'amis, on ne les appelle pas des intempérants. Mais on peut les appeler vicieux quant à quelque chose, parce que de telles tristesses ne comportent pas de honte, mais un simple désordre de l'appétit. De là, il conclut, du fait que la tempérance ne porte pas sur un genre des plaisirs animaux, qu'elle porte sur les plaisirs corporels.
#604. — Ensuite (1118a2), il montre que la tempérance ne porte pas sur tous les plaisirs corporels, mais sur certains. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs des trois sens qui sentent par un moyen extrinsèque. En second (1118a26), il montre comment elle porte sur les plaisirs des deux sens qui sentent par un moyen conjoint. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs des trois sens annoncés. En second (1118a16), il montre que des plaisirs de la sorte ne conviennent pas aux animaux brutes. En troisième (1118a23), il tire une conclusion de ce qu'il a dit. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il manifeste que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de la vue.
#605. — Il dit que la tempérance ne porte pas sur tous les plaisirs corporels qui se produisent par les sens externes. Ceux, en effet, qui prennent plaisirs à ce qui se voit ne sont appelés de ce fait ni tempérants ni intempérants. Il exemplifie dans les trois genres d'objets de la vue. Les uns sont les sensibles propres de la vue, comme les couleurs. D'autres, par ailleurs, sont les sensibles communs, connus toutefois le plus par la vue, comme les figures. D'autres, en fin, sont des sensibles par accident, comme l'écriture, en raison de ce que l'on signifie par l'écriture.
#606. — On ne dit pas, ici, qu'il ne puisse y avoir vertu et vice en ces [cas]. Il arrive, en effet, qu'en de telles [matières], on prenne plaisir comme il faut, c'est-à-dire, d'une manière moyenne, et en excès et en manque, ce qui relève de la curiosité, mais non de l'intempérance, qui porte sur des plaisirs plus violents.
#607. — En second (1118a6), il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs propres de l'ouïe. Il dit qu'il en va pareillement dans les plaisirs qui concernent l'ouïe, à savoir, que la tempérance et l'intempérance ne portent pas sur eux non plus. Si, en effet, dans les mélodies, c'est-à-dire, dans l'harmonie des voix humaines, et dans la comédie, c'est-à-dire, dans l'imitation de la voix humaine qui se fait par des instruments, on tire trop de joie, ou celle qu'il faut, on n'en sera pas appelé tempérant ou intempérant, parce que ces plaisirs-là non plus ne sont pas très violents. Mais cela peut relever d'une autre vertu ou d'un autre vice.
#608. — En troisième (1118a9), il montre que la tempérance ne porte pas sur les plaisirs de l'odorat. À ce sujet, on doit tenir compte que, comme il est dit au livre Du sens et de la sensation (ch. 5; lect. 13, #177-186), les espèces d'odeurs se distinguent de deux manières. D'une manière, en elles-mêmes. D'une autre manière, par comparaison à des espèces de saveurs. Il dit donc que ceux qui prennent plaisir à des odeurs regardées en elles-mêmes comme il faut ou plus qu'il ne faut ne sont pas non plus appelés tempérants ou intempérants; mais [ils le sont] seulement s'ils y prennent plaisir par accident, c’est-à-dire, pour autant que les odeurs coïncident avec les objets des plaisirs du goût et du toucher.
#609. — En effet, ceux que nous disons intempérants, ce ne sont pas ceux qui tirent de la joie d'odeurs de pommes ou de roses ou de thym, qui sont des espèces de l'odeur en elle-même, mais ceux qui prennent plaisir aux odeurs des mets, ou des onguents dont les femmes se maquillent. Les intempérants y prennent plaisir, en effet, en raison du rappel d'autre chose qu'ils convoitent. Il manifeste cela par l'exemple de ceux qui ont faim, qui tirent de la joie d'odeurs auxquelles ils ne prennent pas plaisir une fois rassasiés. Ainsi appert-il qu'ils ne prennent pas plaisir aux odeurs pour elles-mêmes, mais par accident. Tirer ainsi de la joie d'odeurs concerne l'intempérant, à qui est désirable ce qui est représenté par les odeurs.
#610. — Ensuite (1118a16), il montre que les plaisirs des sens mentionnés ne conviennent pas aux autres animaux par soi, mais seulement par accident. Il dit que, chez les autres animaux, ne se produit pas de plaisir selon les trois sens mentionnés, sauf par accident, c'est-à-dire, en relation au goût et au toucher. Il manifeste cela, d'abord, dans le sens olfactif, du fait que les chiens ne prennent pas plaisir à l'odeur de mets délicieux en raison de l'odeur même, mais en raison de la nourriture qu'ils espèrent, dont ils ont sensation par son odeur. En second, il montre la même [chose] pour le sens de l'ouïe. Il dit que le lion prend plaisir à la voix du bœuf en raison du repas dont il connaît par cette voix la proximité. Aussi tire-t-il manifestement joie de la voix du bœuf, mais par accident. En troisième, il manifeste la même chose pour la vue. Il dit que même le lion ne prend aucun plaisir à l'aspect du cerf et de la chèvre, qu'il appelle la chèvre des champs, quand il en trouve de la sorte, mais qu'il prend plaisir à l'espoir d'avoir de la nourriture.
#611. — La raison en est que l'appétit des autres animaux se meut par le seul instinct naturel. C'est pourquoi ils ne prennent plaisir qu'à ce qui concerne l'entretien de leur nature, en vue duquel sont donnés des sens de la sorte aux animaux. Mais ils sont donnés aux hommes en vue de la connaissance des sensibles, dont on procède à la connaissance de la raison qui meut l'appétit de l'homme. De là vient que l'homme prenne plaisir à la convenance même des sensibles considérés en eux-mêmes, même s'ils ne sont pas ordonnés à l'entretien de sa nature.
#612. — Ensuite (1118a23), il conclut donc, de ce qui précède, que la tempérance porte sur des opérations ou des plaisirs tels que les autres animaux les ont en commun avec l'homme; et pareillement l'intempérance. Aussi des plaisirs de la sorte paraissent-ils serviles et bestiaux. Car ce que nous avons en commun avec les bêtes est en nous servile et naturellement sujet à la raison. Or sont de la sorte les plaisirs du toucher et du goût, deux autres sens à part les trois mentionnés.
#613. — Après avoir montré que la tempérance et l'intempérance ne portent pas sur les plaisirs de trois des sens, mais sur ceux de deux [d'entre eux], le goût et le toucher, le Philosophe montre ici de quelle manière elles portent sur les plaisirs de l'un et de l'autre. À ce [sujet], il fait trois [considérations]. En premier, il montre que la tempérance ne porte pas directement sur les plaisirs du goût, mais sur les plaisirs du toucher. En second (1118a32), il manifeste ce qu'il avait dit par un exemple. En troisième (1118b1), il tire une conclusion de ce qu'il a dit. Il dit donc, en premier, que la tempérance et l'intempérance n'usent manifestement que peu ou pas de ce qui appartient proprement au goût, pour autant qu'il appartient au goût de juger des saveurs. Ceux qui usent de la sorte du goût, ce sont ceux qui goûtent les vins, ou préparent les mets et testent s'ils ont donné aux mets la saveur qui convient.
#614. — Or les intempérants ne prennent pas beaucoup plaisir à cela; même que cela n'enlève pas beaucoup à leur plaisir, s'ils ne discernent pas bien les saveurs des aliments. Tout leur plaisir consiste plutôt dans l'usage des objets plaisants, par exemple, dans la prise d'aliments et de boissons, et dans l'usage du sexe, lequel usage se fait par le toucher. Aussi est-il manifeste que le plaisir de l'intempérant porte directement sur le toucher. Sur le goût, par ailleurs, il ne porte que selon que les saveurs rendent plus plaisant l'usage d'aliments. C'est pourquoi il a dit, plus haut (#608-611, 613), que l'intempérance use peu du goût, quant à ce qui est ordonné au toucher, ou pas, quant à ce qui convient au goût en lui-même.
#615. — Ensuite (1118a32), il manifeste ce qu'il avait dit par un exemple. Un type, en effet, du nom de Philoxène, d'Éryxis, alors qu'il avalait un mets avec voracité, eut le désir que son gosier devienne plus long que celui d'une grue, de façon que l'aliment y demeure longtemps. De là, il appert qu'il ne prenait pas plaisir avec le goût, qui n'a pas lieu dans le gosier mais sur la langue, et qu'il prenait son plaisir seulement avec le toucher.
#616. — Ensuite (1118b1), il tire un corollaire de ce qui a été dit. En effet, le sens du toucher, sur lequel porte la tempérance, est le plus commun parmi tous les sens, parce que tous les animaux ont ce sens en commun. C'est pourquoi l'intempérance paraît être à juste titre blâmable, puisqu'elle n'appartient pas à l'homme quant à ce qui lui est propre, mais quant à ce qu'il a en commun avec les autres animaux. Prendre plaisir à de tels [objets], et en aimer de la sorte comme s'il s'agissait des biens les plus grands, est manifestement ce qu'il y a de plus bestial. C'est par là que les vices [liés à] l'intempérance comportent le plus de honte, car par eux l'homme s'assimile aux bêtes. C'est par là encore qu'avec des vices de cette sorte l'homme se rend le plus infame et vitupérable.
#617. — Parce que l'on pourrait dire qu'il y a un bien propre qui n'est pas bestial même en ce qui concerne le toucher, il ajoute, pour exclure cette objection, que sont soustraits à la tempérance les plaisirs du toucher qui sont le plus libéraux en tant qu'appropriés aux hommes, et faits en rapport à la raison, comme les plaisirs qui ont lieu dans les gymnases, c'est-à-dire, dans les exercices des jeux, par l'onction et le réchauffement, au moment où certains luttent entre eux, ou s'exercent autrement, sans ordonnance aux convoitises de l'aliment ou du sexe. Le plaisir du toucher, en effet, que cherche l'intempérant, ne porte pas sur tout le corps, mais sur certaines parties du corps.
#618. — Ensuite (1118b8), il montre de quelle nature est l'acte de la tempérance sur la matière décrite, et [celui] des vices opposés. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre son propos. En second (1119a21), il compare les vices de l'intempérance à d'autres vices. Sur le premier [point], il fait trois [considérations]. En premier, il traite de l'intempérance, montrant de quelle manière elle opère sur la matière investiguée plus haut. En second (1119a5), il traite de l'insensibilité. En troisième (1119a11), de la tempérance. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre comment l'[in]tempérance se comporte en rapport aux plaisirs. En second (1118b28), comment elle se comporte en rapport aux tristesses. Comme, par ailleurs, il a été dit plus haut (#584), que c'est au même [objet] que sont ordonnées la crainte et la tristesse, parce que la tristesse porte sur les maux présents comme la crainte sur les futurs, de même aussi c'est au même [objet] que sont ordonnés le désir, qui porte sur les biens futurs, et le plaisir, qui porte sur les présents. La tempérance, en effet, porte par définition sur les désirs et sur les plaisirs. Il présente donc, en premier, une division des désirs. En second (1118b9), il la manifeste. En troisième (1118b15), il montre de quelle manière l'intempérance porte sur les uns et les autres désirs.
#619. — Il dit donc, en premier, que certains désirs sont communs, et que certains sont propres, lesquels entretiennent une relation d'apposition avec les communs.
#620. — Ensuite (1118b9), il manifeste la division présentée. En premier, il manifeste quels sont les désirs communs. Il dit que le désir de la nourriture en général est naturel, en tant que s'ensuivant de toute la nature de l'espèce et du genre. De là s'ensuit que tout homme, pour subvenir au besoin de sa nature, désire l'aliment sec, que l'on appelle nourriture, ou humide, que l'on appelle boisson. Et quelquefois l'un et l'autre, comme Homère dit que tout homme, jeune comme en croissance, c’est-à-dire, adolescent, désire un lit sur lequel reposer.
#621. — En second (1118b15), il montre quels sont les plaisirs propres. Il dit que tous les hommes ne désirent pas tel ou tel lit, garni de plumes ou de couvertures précieuses. Pareillement aussi, tous ne désirent pas tel ou tel aliment, par exemple, de grande valeur ou préparé avec délicatesse. En outre, tous ne désirent pas la même [chose]; mais certains, en pareille matière, désirent cela, certains autre chose. Aussi des objets de convoitise de la sorte paraissent-ils être nôtres, parce que nous n'y sommes pas inclinés de nature, mais plutôt par invention. Rien n'empêche non plus, en cela, qu'il y ait du naturel qui appartienne à la nature de l'individu bien que cela n'appartienne pas à la nature du genre ou de l'espèce. Car nous voyons que différents sont les objets de plaisir pour différentes [personnes], selon leurs complexions différentes. Et qu'à certaines gens certains objets, indifféremment (02), sont plus plaisants que d'autres, en raison de leur complexion naturelle.
#622. — Ensuite (1118b15), il montre quel rapport entretient l'intempérance avec les désirs présentés. Il dit que, dans les désirs naturels qui sont communs, peu se rendent fautifs. De plus, il n'y a de faute en cela que d'une manière, selon que l'on prend plus que la nature ne demande. Il arrive, en effet, que l'on mange ou boive quoi que ce soit qu'il nous soit donné de manger ou boire, au point d'en arriver à la satisfaction superflue en laquelle réside l'excès en regard de la quantité de nourriture que la nature requiert. La nature, en effet, ne désire que ce qui supplée son besoin. Aussi, que l'on prenne au-delà de son besoin, c'est un excès au-delà de la nature.
#623. — C'est pourquoi de pareilles gens sont appelés des goinfres, des gastrimarges, de gaster, qui signifie ventre, et de margos, qui signifie fureur ou insanité, comme une fureur ou une insanité du ventre, parce qu'ils rassasient leur nature en dehors de son besoin. Ainsi sont certaines gens très bestiaux, parce qu'assurément ils ne donnent de soin qu'à cela seulement qu'ils emplissent leur ventre sans discernement, comme les bêtes.
#624. — En second (1118b21), il montre quel rapport entretient l'intempérance avec les désirs ou les plaisirs propres. Il dit qu'à leur endroit, beaucoup se rendent fautifs de bien des manières, à savoir, en regard de toutes les circonstances. En effet, ceux qui sont amateurs de pareils plaisirs se rendent fautifs en cela qu'ils trouvent plaisir en ce en quoi il ne faut pas: par exemple, à prendre des aliments qui ne leur conviennent pas; ils se rendent même fautifs en trouvant plus de plaisir qu'il ne faut, par exemple, si l'on se réjouit trop à prendre des aliments qui conviennent; ou même, ils y prennent plaisir sans discernement, comme la multitude des gens stupides; ou encore, ils ne respectent pas la manière due dans un plaisir comme il faut. En tout cela, les intempérants exagèrent, car ils tirent plaisir de choses dont il ne faut pas, parce qu'elles sont indécentes, et par nature haïssables. Et s'il faut tirer du plaisir de certaines, ils en tireront plus qu'il ne faut, sans discernement, comme la multitude.
#625. — Ainsi conclut-il, ultimement, que, comme l'intempérance est l'excès dans les plaisirs de la sorte, elle est blâmable, comme le sont les autres excès, ainsi qu'on l'a dit plus haut, au second livre (#333-344).
#626. — Après avoir traité de quelle manière la tempérance porte sur les plaisirs, il montre ici comment elle porte sur les tristesses. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que le courageux, le tempérant et l'intempérant entretiennent des relations différentes avec la tristesse. En second (1119a1), il manifeste ce qu'il avait dit. Il dit donc, en premier, que le courageux, le tempérant et l'intempérant n'entretiennent pas la même relation avec la tristesse. Le courageux, en effet, souffre de grandes tristesses, bien sûr, mais on le loue de ce qu'il les supporte bien, comme on l'a dit plus haut (#584, 586). Le tempérant, quant à lui, on ne le loue pas de ce qu'il supporte des tristesses. On ne blâme pas l'intempérant non plus du fait de ne pas les supporter, comme on blâme le lâche. On blâme l'intempérant, plutôt, de ce qu'il s'attriste plus qu'il ne faut. Et sa tristesse ne vient pas de quelque [objet] douloureux menaçant, comme la tristesse du lâche; il s'attriste plutôt de ce qu'il n'accède pas aux plaisirs qu'il désire. C'est ainsi le plaisir qui, par son absence, cause en lui de la tristesse. Au contraire, par ailleurs, on loue le tempérant de ce qu'il ne s'attriste pas, et de ce qu'il supporte de s'abstenir des plaisirs, parce qu'il ne les désire pas beaucoup. Car l'effet qui vient de la présence d'une cause est plus fort que celui qui vient de son absence.
#627. — C'est pourquoi le courage porte plus comme sur son objet principal sur les tristesses qui viennent de la présence d'objets nocifs. La tempérance, elle, porte comme sur un objet secondaire sur les tristesses qui viennent de l'absence des plaisirs, et comme sur son objet principal sur les plaisirs qui viennent de la présence d'[objets] de plaisir.
#628. — Ensuite (1119a1), il manifeste ce qu'il avait dit, qu'à l'intempérant, c'est le plaisir qui cause de la tristesse. Cela arrive, en effet, parce que l'intempérant désire tout objet de plaisir, du fait qu'il désire le plaisir pour lui-même. C'est pourquoi il désire tout ce qui donne du plaisir, ou désire ce qu'il y a de plus plaisant, en comparaison de quoi il se préoccupe moins d'autres choses moins plaisantes. De là, il s'ensuit que son plaisir n'est pas gouverné par la raison, et qu'il est conduit par sa concupiscence, au contraire, à choisir des objets de plaisir, et principalement ceux qui le sont le plus, de préférence aux autres biens, utiles ou honorables. En effet, les intempérants remettent à plus tard l'utile et l'honorable, de manière à poursuivre le plaisir. C'est pourquoi l'intempérant s'attriste quand il n'atteint pas un plaisir qu'il désire. Le désir, en effet, quand il n'atteint pas ce qu'il désire, s'accompagne de tristesse.
#629. — Bien que cela paraisse inconvenant, d'après une vraisemblance superficielle, de s'attrister en raison du plaisir, cependant, il est vrai que l'intempérant s'attriste à cause du plaisir. Mais il ne s'attriste de fait que de son absence, comme aussi le navire périt à cause de l'absence du pilote.
#630. — Ensuite (1119a5), il traite du vice qui s'oppose à la tempérance du fait d'une déficience en regard du plaisir. Il dit que cela ne se peut pas beaucoup que l'on soit déficient en regard du plaisir, de sorte qu'on prenne moins de plaisir qu'il ne faut, c'est-à-dire, qu'il n'est requis à sa santé, à la bonne tenue de son corps et à des relations décentes avec les autres, en quoi consiste le vice par défaut que, plus haut, au second [livre] (#262, 342), il a nommé insensibilité. Celle-ci ne convient pas à la nature humaine, parce que même les autres animaux discernent des aliments en lesquels ils ont du plaisir, et d'autres en lesquels non. Ainsi, avoir du plaisir paraît relever de la nature commune du genre.
#631. — Aussi, s'il y a quelqu'un pour qui rien n'est plaisant, il paraît loin de la nature humaine. Comme cela arrive rarement, celui qui manque ainsi n'a pas de nom, sauf que, plus haut, Aristote l'a appelé insensible. Par ailleurs, il tient pas à cette insensibilité que l'on s'abstienne de plaisirs en vue d'une fin utile ou honorable, comme les marchands en vue de profits et les soldats en vue de la victoire. En effet, cela ne se produit pas en dehors de ce qu'il faut, chose qui relève du vice par défaut.
#632. — Ensuite (1119a11), il montre de quelle manière le tempérant se comporte avec la matière dont il a parlé. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il montre de quoi le tempérant s'abstient. En second (1119a16), de quoi il use, et comment. Il dit, en premier, que le tempérant garde le milieu quant à ce dont on a parlé, à savoir, quant au plaisir, à la tristesse et au désir. En effet, d'abord, bien sûr, quant aux plaisirs, il ne prend pas plaisir à ces [choses] honteuses auxquelles prend le plus de plaisir l'intempérant; il s'attriste plutôt, quand pareille chose arrive. De manière générale, il ne prend pas plaisir à ce qu'il ne faut pas, ni non plus ne prend plaisir avec plus d'intensité qu'il ne faut. Pareillement, il ne commet d'excès en aucune autre circonstance. En second, quant aux tristesses, il ne s'attriste pas de manière superflue en l'absence d'objets de plaisir. En troisième, par ailleurs, quant aux désirs, il ne désire pas les objets de plaisir absents, car il ne se préoccupe pas beaucoup d'eux ou, du moins, ne les désire qu'en conformité à la due mesure, qu'il ne dépasse pas; il ne désire pas non plus plus qu'il ne faut, ni ne désire quand il ne faut pas, ni selon une autre circonstance qui dépasse la mesure de la raison.
#633. — Ensuite (1119a16), il montre de quoi use le tempérant, et comment. Il dit que le tempérant désire tout objet de plaisir utile à la santé du corps ou à sa bonne tenue, de façon à être prompt et efficace à ce qu'il a à faire. Cependant, selon la mesure due et selon ce qu'il faut. Mais s'il se trouve 117 d'autres objets de plaisir, qui ne sont pas nécessaires aux deux [intentions] mentionnées, le tempérant les désire, en observant toutefois une triple condition.
#634. — En premier, bien sûr, que ce ne soient pas des empêchements pour la santé et la bonne tenue, comme les aliments ou boissons superflus. En second, que ce ne soit pas en dehors du bien, c'est-à-dire, en dehors de l'honnêteté, comme il en est du plaisir de l'adultère. En troisième, que ce ne soit pas ultra-substance, c'est-à-dire, que cela ne dépasse pas sa capacité, comme un pauvre qui voudrait user de nourritures trop dispendieuses. Celui-là, en effet, qui se comporte de façon à désirer des plaisirs nuisibles à la santé et à la bonne tenue et contraires à l'honnêteté ou dépassant ses richesses prend plus de plaisir qu'il n'est digne. Cela ne convient pas au tempérant, qui aime le [plaisir] selon la raison droite.
#635. — Après avoir traité de l'acte de la tempérance et des vices opposés, le Philosophe compare ici la faute de l'intempérance à d'autres fautes. À ce [sujet], il fait deux [considérations]. En premier, il compare l'intempérance au vice de la lâcheté. En second (1119a33), aux vices des enfants. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'intempérance comporte davantage de volontaire que la lâcheté. En second (1119a27), il montre que l'on trouve d'une autre manière le volontaire dans l'un et l'autre vice. Sur le premier [point], il fait deux [considérations]. En premier, il montre que l'intempérance comporte plus de volontaire que la lâcheté. En second (1119a25), il tire un corollaire de ce qui a été dit. Il dit donc, en premier, que l'intempérance s'assimile davantage au volontaire que la crainte, parce qu'elle comporte plus de volontaire. Il le prouve avec deux raisons.
#636. — La première se prend de ce qui s'ensuit proprement du volontaire et de l'involontaire. Chacun, en effet, prend plaisir à ce qu'il fait volontairement, tandis qu'il s'attriste de ce qui est involontaire. Or il est manifeste que l'intempérant agit à cause du plaisir qu'il désire, tandis que le lâche agit à cause de la tristesse qu'il fuit. Or entre les deux, le plaisir plaît non seulement parce qu'on trouve plaisir à jouir actuellement du plaisir, mais aussi [parce qu'on en trouve] à chercher le plaisir, à cause de l'espoir du plaisir qui va suivre, tandis que la tristesse, elle, est à fuir et, par conséquent, involontaire. Ainsi, il est manifeste que l'intempérance est mue par ce qui est par soi volontaire, tandis que la lâcheté l'est par ce qui est à fuir et involontaire. L'intempérance, donc, accède davantage au volontaire que la lâcheté.
#637. — Il présente ensuite sa seconde raison (1119a23), qui se prend de l'ignorance qui cause l'involontaire. Parce qu'en effet, la tristesse vient de la présence d'un principe contraire et nocif, il s'ensuit que la tristesse laisse stupéfait et corrompe la nature de ce qui en est atteint. De là s'ensuit que la tristesse mette obstacle à notre sens en son acte même de connaître. À l'inverse, le plaisir vient de la présence de ce qui nous convient, et cela ne corromp pas notre nature. Aussi le plaisir ne laisse pas stupéfait, ni ne corromp le sens de qui a du plaisir. Aussi s'ensuit-il que l'intempérance, qui agit à cause du plaisir, comporte plus de volontaire que la crainte, qui est mue par la tristesse.
#638. — Ensuite (1119a25), il conclut que, parce qu'on doit la louange au bien et le blâme au mal, le vice d'intempérance est plus blâmable que le vice de lâcheté, qui comporte moins de volontaire. À cela, il ajoute aussi une autre raison, du fait qu'un vice est d'autant plus à blâmer qu'il peut plus facilement s'éviter.
#639. — D'ailleurs, on peut éviter n'importe quel vice en s'accoutumant à son contraire. Or il est facile de s'accoutumer à bien agir en ce qui concerne la tempérance, pour deux raisons. En premier, bien sûr, parce que les plaisirs des aliments, boissons et autres choses de la sorte se présentent bien des fois durant la vie humaine. Aussi, il ne manque pas d'occasion de s'accoutumer à bien agir à leur endroit. En second, parce que s'accoutumer à bien agir à leur endroit ne comporte pas de danger. Il n'y a, en 118 effet, pas de grand danger à s'abstenir parfois d'un plaisir du toucher. Mais à propos du vice de la lâcheté, il en va au contraire, car c'est rarement que se présentent les dangers de guerre. En outre, il est dangereux d'affronter ces dangers. Aussi, il s'ensuit que le vice de l'intempérance est plus blâmable que [celui] de la lâcheté.
#640. — Ensuite (1119a27), il montre que ce n'est pas de la même manière que l'on trouve du volontaire dans l'un et l'autre vice. En premier, on montre de quelle manière on [en] trouve dans la lâcheté. En second (1119a31), de quelle manière on [en] trouve dans l'intempérance. Il dit donc, en premier, que la crainte ne paraît pas comporter de la même manière du volontaire aux niveaux universel et singulier. L'universel, en effet, va manifestement sans tristesse, par exemple, aller au combat et s'attaquer aux ennemis. Mais les [événements] singuliers qui arrivent, par exemple, que l'on soit blessé, chassé, et qu'on souffre autre chose de la sorte, produisent assez de tristesse pour qu'on en reste stupéfié, et assez pour qu'on jette ses armes et fasse d'autres [actions] honteuses de la sorte. Aussi, pour que ce qui est volontaire à un [niveau] universel soit rendu involontaire à un [niveau] singulier, doit manifestement intervenir quelque chose de violent, dans la mesure, où l'on est induit, par un principe extérieur, à abandonner ce que l'on voulait antérieurement.
#641. — Ensuite (1119a31), il montre de quelle manière il en va dans l'intempérance. Il dit qu'on trouve là l'ordre inverse, car les singuliers sont les plus volontaires: en effet, ils proviennent selon ce que l'on désire et convoite. Mais le tout, considéré universellement, est moins volontaire, par exemple, que l'on fasse l'adultère. Personne, en effet, ne désire être intempérant d'une manière universelle. Mais ce sont les cas singuliers où l'on devient intempérant qui sont plaisants.
#642. — La raison d'une différence de la sorte, par ailleurs, est à prendre de ce que la tristesse, qui meut la crainte, appartient à l'involontaire, comme le plaisir, qui meut l'intempérance, appartient au volontaire. Par ailleurs, toute affection de l'âme est plus violente en rapport à des [objets] singuliers. C'est pourquoi la lâcheté comporte plus d'involontaire en rapport au singulier, et l'intempérance plus de volontaire. C'est aussi pourquoi, dans les vices de l'intempérance, il est nocif au plus haut point de s'attarder à y penser, par quoi l'on descend aux [objets] singuliers qui excitent la volonté.
#643. — Ensuite (1119a27), il compare le vice de l'intempérance aux fautes des enfants. En premier, il présente leur ressemblance de nom. En second (1119b3), il assigne la raison de cette ressemblance. Il dit donc, en premier, que le nom de l'intempérance s'étend aux fautes des enfants, ce qui, toutefois, dans notre langue, apparaît davantage du côté de la vertu que du côté du vice. Nous nommons chasteté, en effet, une espèce de la tempérance, comme nous disons châtiés les enfants disciplinés. Et ceux qui sont indisciplinés, nous pouvons les dire non châtiés. De même aussi, celui qui n'est pas chaste se dit inceste. Et la raison de cette extension est que les fautes de la sorte comportent une ressemblance, comme on le montrera plus loin (#647). Lequel d'entre eux, toutefois, est nommé à partir de l'autre, cela n'est pas pertinent à notre propos. Il est manifeste, cependant, que cela à quoi le nom est imposé par après est nommé à partir de ce à quoi il a été imposé auparavant.
#644. — Ensuite (1119b3), il assigne la raison de l'extension précédente de nom, d'après la ressemblance de la faute de l'intempérance avec les fautes des enfants. En premier, quant à la nécessité du châtiment, ou de la répression. En second (1119b11), quant à la manière de châtier et de réprimer. Il dit donc, en premier, que l'extension de ce nom n'a manifestement pas été mal faite, d'une faute à l'autre. Et cela, à cause de leur ressemblance, d'après quoi ces extensions se font. Il faut, en effet, punir, c'est-à-dire, châtier et réprimer celui qui désire des [objets] mauvais, et dont l'appétit mauvais augmente beaucoup: en cela, le désir et l'enfant se ressemblent.
#645. — Cette ressemblance est manifestement rationnelle, car ce sont les enfants qui ordonnent le plus leur vie en rapport à leur concupiscence, car ils désirent beaucoup le plaisir, ce qui relève de la définition de la concupiscence. La cause, par ailleurs, pour laquelle ils désirent le plaisir, on la dira au septième [livre] (#1531). C'est pourquoi si l'enfant et le désir ne sont pas bien persuadés par la raison, ils 119 parviennent à une espèce de maîtrise, et augmentent beaucoup, de sorte que l'appétit de plaisir, qu'est la concupiscence, dominera.
#646. — La raison en est que l'appétit de plaisir est insatiable. Même que plus on y goûte, plus on en désire, du fait qu'il est désirable en soi. De là s'ensuit que, de même que pour l'enfant et l'insensé, de même aussi pour la concupiscence, l'opération propre augmente son pareil, c'est-à-dire, ce qui lui est semblable. En effet, si l'enfant et l'insensé est laissé à agir selon sa sottise, la sottise croît d'autant en lui. De même, si on satisfait sa concupiscence, la concupiscence croît d'autant plus en soi, et vient à dominer. Principalement si la concupiscence ou les plaisirs sont grands du côté de l'objet, c'est-à-dire, [porte sur] des objets très plaisants, et violents du côté de celui qui les désire et y prend plaisir, qui s'en trouve beaucoup affecté, dans la mesure ou elles empêchent la connaissance de l'homme ou son raisonnement, lequel, d'autant plus il reste, d'autant moins la concupiscence peut dominer.
#647. — Ensuite (1119b11), il montre la ressemblance de l'une et l'autre fautes, quant à la manière de les châtier, ou de les réprimer. Il dit que, parce que la concupiscence et le plaisir sont violents, ils augmentent d'eux-mêmes; c'est pourquoi il faut qu'ils soient mesurés, c'est-à-dire, ne comportent pas d'excès en grandeur, ou en violence d'affection, soient peu en nombre, et ne contrarient en rien la raison quant à l'espèce de concupiscence ou de plaisir concerné, qui se prend du côté de l'objet. Celui qui se comporte ainsi dans ses concupiscences et plaisirs, nous le disons bien persuadé et puni, c'est-à-dire, châtié par la raison. De même qu'il faut, en effet, que l'enfant vive selon les préceptes du pédagogue, de même faut-il que la faculté concupiscible s'accorde avec la raison. L'intention de l'une et de l'autre, en effet, à savoir, de la raison et du pédagogue, va vers le bien. Le concupiscible, chez l'homme tempéré, est disposé de façon à désirer ce qu'il faut, comme il le faut, et quand il le faut, autant que l'ordonne la raison.
#648.
— Enfin, il conclut que voilà que l'on a traité de la tempérance. C'est en
cela que se termine le troisième livre.
(01) Son nom grec: , prise [d'une chose] avant [une autre].
(02) C'est-à-dire, quant à la nature commune.