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table des matières de l'œuvre d'ISOCRATE

 

ŒUVRES

COMPLÈTES

D'ISOCRATE

TRADUCTION  NOUVELLE

AVEC    TEXTE   EN   REGARD

LE DUC DE CLERMONT-TONNERRE

(AIMÉ-MARIE-GASPARD)

Ancien Ministre de la guerre et de la marine

Ancien élève de l'École polytechnique

TOME DEUXIÈME

PARIS

LIBRAIRIE  DE  FIRMIN  DIDOT  FRÈRES,   FILS  ET Cie

Imprimeur de l'Institut, rue Jacob, 56.

M  DCCC LXIII

 

ÉLOGE D'HÉLÈNE.

 

Ἑλένη

 

ARGUMENT.

On ignore à quel âge Isocrate a écrit l'Éloge d'Hélène, mais tout porte à croire qu'il était jeune, quand on considère la différence qui existe sous le rapport moral entre cette oeuvre et ses autres discours. Voici comment il a pu être amené à la composer. Les rhéteurs grecs avaient de très bonne heure accoutumé leurs disciples, par le précepte et par l'exemple, à traiter des sujets de nature à provoquer l'émulation des esprits et à exalter la curiosité publique. Il y eut un moment, à Athènes, où l'éloge d'Hélène se trouva offert comme un sujet spécial à l'ambition des orateurs, et Gorgias, qui avait été le professeur d'éloquence d'Isocrate, ayant composé sur ce sujet un écrit qui excita une grande admiration dans la Grèce, Isocrate ne put résister au désir d'entrer en rivalité avec son ancien maître; mais il avait compris qu'en faisant l'éloge d'une femme dont la vie était entachée par des actes qui auraient flétri la femme la plus vulgaire, il sortait de la ligne de sévérité philosophique qu'il avait toujours suivie et fournissait à la critique des prétextes dont ses ennemis se serviraient pour attaquer son caractère; aussi le voit-on constamment préoccupé de se soustraire à ce danger, et partout on aperçoit l'embarras qu'il éprouve à louer une femme douée, sans doute, de grands avantages dans sa personne, mais qui, n'étant recommandable par aucune vertu, le force à chercher sans cesse en dehors d'elle-même les moyens de lui donner de véritables louanges. C'est à tel point qu'il ne parle d'elle directement que dans une partie de son discours, et que, pour se soustraire à la responsabilité de la gloire qu'il lui attribue, il s'appuie sur des témoignages de nature à devoir être acceptés sur parole et sans discussion.

Après avoir stigmatisé les sophistes de son temps, qui exerçaient leur éloquence sur des sujets de peu de valeur et sans dignité, pour lesquels il est toujours facile de trouver des expressions qui dépassent leur hauteur, il loue, dit-il, parmi les hommes qui ont voulu se signaler dans l'art de l'éloquence, celui qui a écrit un éloge d'Hélène, parce qu'il a rappelé la mémoire d'une femme au-dessus de toute comparaison par sa beauté, sa naissance et sa renommée ; mais en même temps il a soin d'ajouter que l'auteur a commis une grave erreur, parce qu'en annonçant qu'il faisait l'éloge d'Hélène , il a fait en réalité l'apologie de ses actions, et que l'apologie est destinée à ceux qui sont accusés d'avoir blessé la justice, tandis que la louange est réservée pour ceux qui se distinguent par quelque grand avantage.

Hélène était fille de Jupiter, c'était un titre de gloire, niais cet honneur était souillé par une double tache d'adultère, dont Isocrate cherche à détourner la pensée en disant que, si beaucoup de demi-dieux sont nés de Jupiter, Hélène est la seule femme dont il ait voulu être appelé le père, et qu'après avoir donné à Hercule la force qui peut tout dompter, il avait réservé pour Hélène la beauté, qui subjugue la force même.

Hélène n'avait pas encore franchi les limites de l'enfance, que le bruit de sa beauté avait déjà rempli toute la Grèce, et que Thésée, subjugué par le pouvoir de ses charmes, ne pouvant l'obtenir de ceux qui disposaient d'elle, l'avait enlevée et conduite à Aphidna, dans l'Attique.

Isocrate, qui reconnaît l'énormité d'un tel acte, et qui ne veut pas qu'on l'ignore, convient que, si son auteur était un homme du vulgaire, et s'il n'avait pas montré une incontestable supériorité dans tout le reste du sa vie, ou pourrait demander ni sou discours présente l'éloge d'Hélène ou l'accusation de Thésée ; mais il croit qu'il doit profiter de cette circonstance pour montrer que ceux qui l'ont admirée étaient eux-mêmes dignes d'admiration ; et cependant il hésite encore , parce qu'il craint qu'on ne lui reproche de perdre de vue, dans l'intérêt de Thésée, celle qu'il a présentée comme l'objet de son discours ; mais il se décide à poursuivre, dans l'espoir qu'en s'exprimant avec brièveté, et seulement sur un petit nombre des faits les plus remarquables qui se rapportent à Thésée, il pourra remplir son objet et échapper aux traits de l'envie.

Thésée, fils de Neptune, s'était fait l'émule de gloire d'Hercule, fils de Jupiter, dans la poursuite et la destruction des brigands qui désolaient la Grèce. Isocrate rapproche les exploits les plus célèbres des deux héros, et les place sur la même ligne, mais il a soin défaire observer qu'Hercule exécutait, dans ses exploits, les ordres d'un pouvoir étranger auquel la destinée l'avait soumis, tandis que Thésée, roi indépendant, agissait par la seule impulsion de sa volonté, et que le résultat de ses actes était directement utile à sa patrie.

 Isocrate montre ensuite que Thésée, loin de profiter, pour se rendre souverain absolu, d'une puissance à laquelle rien ne résistait, se faille législateur de son pays, et, réunissant les bourgs séparés qui formaient la cité d'Athènes, fonde un gouvernement qui offrait à la vertu toutes les chances pour arriver aux honneurs et dans lequel, roi par la puissance et chef populaire par les bienfaits, il commandait à sa patrie d'une manière si noble et si conforme aux lois, qu'à l'époque d'Isocrate on retrouvait encore, dans les mœurs athéniennes, les traces de la douceur de son gouvernement.

Après avoir montré tout ce qu'il y avait de grand dans Thésée, Isocrate le présente comme l'irrécusable témoin des perfections d'Hélène, mais aussitôt il reprend la suite des faits pour s'assurer contre le reproche d'abuser de la gloire d'un homme célèbre pour relever celle d'Hélène.

Thésée étant descendu aux enfers pour accompagner Pirithoüs, son ami, qui voulait enlever Proserpine, et qui périt dans cette entreprise, Castor et Pollux, frères d'Hélène, profitèrent de l'absence de Thésée pour la délivrer et la rendre à sa famille.

Tous les rois éprouvant pour Hélène les mêmes sentiments que Thésée, accoururent à Lacédémone pour l'obtenir, et l'ardeur qui les animait était telle qu'il devenait évident qu'une guerre universelle résulterait de cette rivalité. Pour éviter un si grand malheur, ils s'engagèrent tous, par serment, à secourir celui qu'elle jugerait digne de la posséder, si un autre la lui enlevait. Hélène choisit Ménélas. Mais, pendant que ces événements s'accomplissaient, une lutte s'était ouverte pour la palme de la beauté entre les trois grandes déesses, Junon, Minerve et Vénus ; elles avaient choisi pour arbitre Paris, le fils de Priam. Paris, également ébloui par l'éclat de leur beauté, crut devoir se décider d'après la valeur des dons qui lui étaient offerts par elles. Junon lui promettait l'empire de l'Asie, Minerve la victoire dans tous les combats, Vénus la possession d'Hélène. Il se prononça en faveur de Vénus, d'abord parce qu'il voulait être appelé le gendre de Jupiter; ensuite, parce qu'aucun autre mortel ne pourrait, dans l'avenir, être jugé digne de posséder une telle femme ; et enfin, parce qu'il laisserait ainsi pour héritage à ses enfants l'honneur de descendre de Jupiter par leur père et par leur mère. Et, de plus, n'eût-il pas été un insensé si, en voyant les déesses se disputer avec tant d'ardeur la palme de la beauté, il n'eût pas estimé à son prix une telle faveur du ciel ? Comment croire qu'il eût pu dédaigner la possession d'Hélène, quand, après son enlèvement, on voit, d'un côté, tous les Grecs, de l'autre, tous les Barbares, convaincus également que de la possession d'Hélène, résulterait pour leur pays la gloire et la prospérité, quand on les voit transportés les uns contre les autres, dans la guerre dont Hélène est la cause, d'une fureur dont jamais ils ne s'étaient montrés animés, quand on voit les dieux eux-mêmes partager ces sentiments au point de ne pas détourner les héros qui leur devaient l'existence de prendre part aux dangers de cette guerre, et quand on voit ces mêmes dieux se livrer entre eux des combats plus grands, plus terribles que ceux qu'ils avaient jadis soutenu» contre les Géants ?

Isocrate dit alors qu'ils agissaient conformément à la raison , et il en donne pour motif qu'il n'est rien dons la nature de plus noble, de plus divin que la beauté; il proclame sa puissance, et il ajoute que la vertu est surtout admirée parce qu'elle est la beauté de l'âme. Il est regrettable que, changeant la nature de ces considérations , et se laissant de nouveau entraîner par celles qui ressortaient de son sujet, il se soit cru obligé de rappeler les immoralités de la mythologie païenne ; nous aimons aussi à croire que c'est avec répugnance qu'il a écrit que, plus que tous les autres avantages, la beauté avait procuré le don de l'immortalité à un grand nombre de mortels, et qu'Hélène l'avait obtenu pour Ménélas en le faisant compagnon de son apothéose et de sa divinité.

Isocrate ajoute encore qu'Hélène a montré l'étendue de sa puissance en frappant de cécité le poète Stésichorus, qui avait osé, dans une ode, insérer quelques traits blessants contre elle, et en lui rendant la lumière lorsqu'il eut réparé sa faute dans une éloquente palinodie. Il rappelle aussi qu'il se rencontre des auteurs qui disent qu'elle apparut en songe à Homère pour lui ordonner de célébrer, dans des vers harmonieux, la gloire des héros qui, sous les murs de Troie, avaient combattu pour elle ; de sorte que ce serait aux inspirations d'Hélène que l'on devrait attribuer le charme que respirent les vers du grand poète.

Tel est l'Éloge d'Hélène, qu'Isocrate termine en insistant principalement sur la gloire qui s'attache à son nom pour avoir été la cause de la grande lutte qui a sauvé la Grèce et le inonde du joug des Barbares, et pour avoir, en réunissant les Grecs dans un même intérêt, fait pour, la première fois triompher l'Europe de l'Asie. En effet, dit-il, depuis cette époque, l'Asie fut ouverte à nos conquêtes, tandis que, dans les siècles antérieurs, elle voyait ses princes, lorsqu'ils éprouvaient chez eux les rigueurs de la fortune, se transporter en Europe, et fonder, soit en Grèce, soit dans d'autres pays, de nouveaux peuples, de nouvelles dynasties.

Ce discours est regardé comme l'un des plus remarquables d'Isocrate; mais on comprend que, la nature du sujet étant peu en harmonie avec la sévère morale qui est un des traits caractéristiques des œuvres du grand orateur, il ait été l'objet de beaucoup de critiques. La plus importante se trouve dans le jugement de Fénelon, qui, sans doute, blâme avec raison Isocrate d'avoir fait l'éloge d'Hélène, mais qui l'aurait peut-être traité avec plus d'indulgence, s'il eût considéré les circonstances qui se rattachent à cette composition. Il aurait vu, comme nous l'avons dit, qu'Isocrate était jeune lorsqu'il l'entreprit, et que le sujet était, en quelque sorte, présenté à l'émulation des orateurs dans toute la Grèce; il lui eût aussi rendu la justice de reconnaître qu'il avait senti le point vulnérable que présentait, sous le rapport moral, le sujet qu'il se hasardait à traiter.

SOMMAIRE.

PROLOGUE — 1. Il y a des hommes qui sont parfaitement satisfaits d'eux-mêmes lorsqu'ils peuvent s'exprimer d'une manière tolérable sur un sujet absurde ou paradoxal, et qui consument le temps dans des discussions où l'on rencontre plus de difficulté que d'utilité. — 2. Si de telles inepties avaient été trouvées par eux, je ne m'étonnerais pas de les voir s'attribuer avec orgueil l'honneur de l'invention ; mais quel est celui qui ignore que Protagoras et d'autres sophistes de son temps, Gorgias, Zénon, Mélissus, nous ont laissé des ouvrages de la même nature, mais encore plus difficilement travaillés ? — 3. Bien que ces philosophes aient montré avec évidence qu'il n'était pas difficile de composer un discours mensonger sur un sujet quel qu'il fût, nos rhéteurs néanmoins s'attachent à ces puérilités, déjà depuis longtemps rejetées avec mépris, tandis qu'ils auraient mieux fait de marcher à la poursuite de la vérité, d'instruire leurs auditeurs et de leur donner l'expérience des choses qui touchent à la vie civile, dont une notion même légère est préférable à la connaissance approfondie de ce qui est vain et superflu. — 4. Mais leur unique soin est de s'enrichir aux dépens des jeunes gens qui possèdent de la fortune et qui ont pour habitude de discourir sur des futilités. — 5. Il faut accuser de ce désordre moins les jeunes gens que les docteurs qui trompent leurs disciples, — 6. et qui accordent une telle faveur à l'art de mentir, que quelques-uns ont osé dire que la vie des ' bannis et des mendiants était la plus désirable de toutes, afin, peut-être, de montrer qu'ils pourraient discuter avec plus de facilité encore sur les affaires et les intérêts civils. Les véritables sophistes doivent l'emporter sur ceux qui prétendent à la sagesse, et surpasser les ignorants, non dans les choses auxquelles les Grecs n'attachent aucune importance, mais dans celles qui sont pour eux l'objet d'une émulation universelle. Aussi est-ce à cause de la faiblesse de leur génie que ceux dont je viens de parler se réfugient sur ce terrain, car les discours qui ont pour but l'utilité de tous, sont nécessairement d'une invention et d'une composition plus difficiles que ces inutilités. Dans les choses de peu de valeur, les paroles s'élèvent facilement au-dessus du sujet et chacun tiré de son propre fonds ce qu'il dit, mais il en est autrement dans les choses importantes. — 7. C'est pourquoi j'approuve celui qui a voulu louer Hélène; parce qu'il a choisi pour sujet une femme supérieure par sa beauté, sa naissance et sa renommée. Mais il s'est trompé en ce point que, devant écrire l'éloge d'Hélène, il a écrit son apologie, et a mêlé ainsi deux choses essentiellement différentes. — 8. Or, pour ne pas paraître blâmer les autres sans rien produire de moi-même, j'essayerai de parler d'Hélène, en laissant de côté tout ce qui a été dit par d'autres orateurs. — 9. Confirmation. Entre tous les demi-dieux qui sont nés de Jupiter, Hélène est la seule femme dont il ait voulu être appelé le père ; il l'a tellement élevée au-dessus d'Hercule, qu'ayant donné à celui-ci la force, et à Hélène la beauté, il a fait de cette beauté l'objet de l'admiration de toute la terre et des vœux de tous les hommes. —10. Et d'abord, Thésée, vaincu par ses charmes, et ne pouvant l'obtenir de ses parents et de ses frères, parce qu'elle n'avait pas atteint l'âge de l'hyménée, l'enleva, et la transporta dans Aphidna, ville de l'Attique, sans tenir compte des périls qui le menaçaient du coté de Lacédémone, et il éprouva une telle reconnaissance pour Pirithoüs, qui avait été le compagnon de son entreprise, qu'il le suivit aux enfers pour enlever à Pluton Proserpine, fille de Jupiter et de Cérès, dont Pirithoüs ambitionnait la possession. — 11. Si Thésée eût été un homme du vulgaire, on ne verrait pas d'une manière évidente comment ce récit renferme l'éloge d'Hélène plutôt que l'accusation de Thésée; mais, comme nous trouvons qu'aucune qualité n'a manqué à Thésée, c'est pour obtenir une confiance plus entière à l'éloge d'Hélène, que nous allons ajouter diverses circonstances à la louange de Thésée, qui l'a aimée. — 12. Et nous suivrons, pour le récit de ces circonstances, le témoignage des hommes de cette époque les plus dignes de foi. Digression en l'honneur de Thésée. Né dans le même temps qu'Hercule, Thésée se sentit animé du désir d'obtenir une gloire semblable à la sienne. Issus de deux frères, l'un étant fils de Jupiter, l'autre de Neptune, ils associèrent fraternellement leurs travaux, et se constituèrent les défenseurs du genre humain. — 13. Il y avait, toutefois, cette différence qu'Hercule, en «'acquittant des travaux qui lui étaient imposés par Eurysthée, s'exposait moins pour les autres que pour lui-même, tandis que Thésée, maître de sa personne, choisissait des combats d'une nature telle qu'on dut le regarder comme le bienfaiteur des Grecs ou de sa propre patrie. Un taureau, envoyé par Neptune, dévastait l'Attique ; les habitants, même réunis, u'osaient l'attaquer: Thésée, seul, le dompta, délivra d'une immense terreur les habitants du pays, et peu après, avec le secours des Lapithes, vainquit et extermina les Centaures, monstres à la double nature, qui dévastaient une partie des villes et menaçaient les autres d'une entière destruction. Vers le même temps, il vainquit le monstre né de Pasiphaé, auquel la ville d'Athènes envoyait, par ordre de l'oracle, deux fois sept enfants chaque année, et non seulement il rendit les enfants à leurs parents, mais il délivra pour toujours la ville d'un tribut aussi injuste que cruel. — 14. Me trouvant ainsi engagé dans le récit des grandes actions de Thésée, je me persuade difficilement que je dois passer sous silence la cruauté de Sciron et de Cercyon qu'il extermina, et dont la défaite affranchit la Grèce de grandes et nombreuses calamités. Mais, afin de n'être pas accusé par des auditeurs malveillants de m'écarter de mon sujet, et pour ne pas paraître cependant leur faire des concessions exagérées, laissant de roté le plus grand nombre des actions de Thésée, j'en exposerai seulement une partie dans le moins de mots possible, — 15. Thésée a montré sa valeur dans les combats où il s'est engagé seul ; sa science militaire dans ceux qu'il a livrés a la tête des armées de sa patrie; sa piété envers les dieux, lors des supplications d'Adraste et des enfants d'Hercule ; ses autres vertus, enfin, dans la manière dont il a administré son pays. — 10. Regardant, pour beaucoup de motifs , la vie des tyrans comme, la plus misérable de toutes, et les considérant eux-mêmes, non comme les princes, mais comme les fléaux de leur pays, il montra qu'il y avait une situation intermédiaire entre la tyrannie et un État libre. — 17. Les Athéniens habitaient d'abord dans des bourgs séparés, il réunit ces bourgs en une seule ville, qui est aujourd'hui la plus grande des villes de la Grèce ; il ouvrit ensuite à tous les citoyens l'entrée des magistratures, et il voulut que le peuple eût la suprême direction des affaires. Réservant pour lui les périls, il admit ses concitoyens au partage de tout ce qui pouvait leur être utile ; et, roi par la puissance, prince populaire par les bienfaits, il accomplit sa vie sans être exposé à aucune embûche, entouré de l'amour de ses concitoyens. — 18. Bien que nous ne puissions avoir, des hautes qualités dont Hélène était douée, un témoin plus digne de foi, un juge plus éclairé que Thésée, je ne veux pas cependant que l'on me reproche d'abuser de la gloire d'un homme célèbre pour exalter Hélène, et je passe à une autre considération. — 19. Après la descente de Thésée aux enfers, les rois les plus distingués de celte époque, dédaignant les alliances que pouvait leur offrir leur patrie, demandèrent la main d'Hélène, qui était revenue à Lacédémone ; et, s'étant réunis, ils s'engagèrent, par des serments mutuels, à être les appuis de celui qui serait jugé digne de devenir son époux; car il était évident qu'elle deviendrait une cause de guerre. — 20. Peu de temps après, la palme de la beauté étant disputée entre les déesses, Alexandre, fils de Priam, choisi pour juge, préféra Hélène à tous les dons qui lui étaient offerts; parce que, être appelé le gendre de Jupiter, et donner à ses enfants une noblesse dont l'origine remonterait au maître des dieux, lui paraissait pour lui-même le plus magnifique honneur, et, pour sa race, une illustration qui se perpétuerait d'âge en âge. — 21. Il existe, à la vérité, des hommes qui, considérant l'événement dont ce choix a été la cause, poursuivent Alexandre de leurs injures, mais ils ne s'aperçoivent pas qu'ils se couvrent de ridicule, en mettant leur intelligence au-dessus de l'intelligence de celui que les déesses avaient choisi pour arbitre dans une chose à laquelle elles attachaient tant d'importance. — 22. Il n'est pas étonnant qu'Alexandre ait voulu passer sa vie avec une femme pour laquelle un grand nombre de demi-dieux n'ont pas refusé de mourir, et qu'il ait préféré à tout autre avantage un bien pour lequel il avait vu les déesses enflammées d'une si ardente rivalité. — 23. Qui aurait pu dédaigner la main d'Hélène, dont l'enlèvement a fait éclater entre les Grecs et les Barbares une guerre si terrible que jamais il n'en avait existé une semblable? Les uns aimaient mieux vieillir misérablement sur une terre étrangère que. de revenir dans leur pays en abandonnant Hélène ; les autres consentaient à laisser détruire leurs villes et ravager leur pays, pourvu qu'ils ne fussent pas contraints de rendre Hélène aux Grecs, convaincus que, quelle que fût celle des deux contrées qui posséderait Hélène, cette contrée serait heureuse. — 24. L'ardeur avec laquelle ils se portaient tous à cette guerre était si grande que non seulement les Grecs et les Barbares, mais les dieux eux-mêmes combattaient entre eux, et n'empêchaient pas leurs enfants, bien qu'ils prévissent le sort qui les attendait, de prendre part à la lutte. — 25. Ils agissaient selon la raison, puisque la cause de cette lutte était la beauté, qui occupe un rang si élevé dans les choses humaines, que la vertu elle-même est surtout admirée, parce qu'elle est la beauté de l'Âme. L'amour de la beauté, supérieur à toute délibération, nous est donné par la nature ; nous ressentons des dispositions bienveillantes pour les êtres qui en sont doues ; nous les honorons comme des divinités, nous éprouvons plus d'attrait pour leur obéir que pour leur commander, et nous considérons ceux qui se dévouent à la beauté comme des hommes d'énergie et de bon goût. Nous notons d'infamie ceux qui flétrissent la fleur de leur jeunesse, et nous honorons, au contraire,ceux qui conservent sa pureté. — 26. Non seulement les hommes sont vaincus par la beauté, mais Jupiter lui-même, plus grand que tout ce qui existe, est soumis à son empire. Ses amours avec AIcmène, Danaé, Némésis et Léda en dorment la preuve. Bien plus, un si grand honneur est attribué à la beauté chez les dieux, qu'ils pardonnent à leurs compagnes de se laisser vaincre par elle; et que celles-ci désirent moins que leurs faiblesses à l'égard des mortels soient couvertes par le silence, que célébrées par les poètes; qu'enfin un plus grand nombre de mortels sont admis au rang des dieux, à cause de leur beauté que pour d'autres avantages. — 27. Hélène, les avant tous surpassés, a reçu non seulement le don de l'immortalité, mais celui d'une puissance divine, de telle sorte qu'elle a rendu ses frères immortels, qu'elle a préservé Ménélas du malheur commun aux Pélopides, que, le plaçant au rang des dieux, elle l'a fait siéger près d'elle, et que, depuis celle époque jusqu'à nos jours, les Spartiates ont offert aux deux époux, à Thérapné, dans la Laconie, des sacrifices comme à des divinités. — 28. Hélène a aussi fait sentir sa puissance au poète Stésichorus qui l'avait poursuivie de ses vers satiriques; tout à coup il perdit la vue, et il la recouvra des qu'il se fut rétracté dans une palinodie. Quelques disciples d'Homère rapportent qu'il a composé ses vers sous l'inspiration d'Hélène, et que c'est surtout pour cette raison que ses poésies sont pleines de charmes et ont obtenu une si grande célébrité. — 29. Il faut donc que ceux qui possèdent des richesses honorent Hélène par des sacrifices et que les savants publient ses perfections dans leurs écrits. — 30. Épilogue. Parmi les choses qui ont été passées sous silence, je trouve que, si nous ne sommes pas esclaves des Barbares, c'est Hélène qui en a été la cause ; car c'est pour elle que tous les Grecs réunis ont fait la guerre, aux Barbares, et que, pour la première fois, l'Europe a triomphé de l'Asie. Avant cette guerre, un grand nombre d'entre eux, victimes des calamités de leur patrie, venaient s'établir en Grèce et y fonder des royaumes ; tandis que, depuis celte expédition, nous leur avons arraché un grand nombre de contrées. — Et ici pourrait se trouver la matière d'un plus long discours pour célébrer la gloire d'Hélène. (LANGE)


 

 

Ἑλένη

[1] Εἰσί τινες οἳ μέγα φρονοῦσιν, ἢν ὑπόθεσιν ἄτοπον καὶ παράδοξον ποιησάμενοι περὶ ταύτης ἀνεκτῶς εἰπεῖν δυνηθῶσι· καὶ καταγεγηράκασιν οἱ μὲν οὐ φάσκοντες οἷόν τ' εἶναι ψευδῆ λέγειν οὐδ' ἀντιλέγειν οὐδὲ δύω λόγω περὶ τῶν αὐτῶν πραγμάτων ἀντειπεῖν, οἱ δὲ διεξιόντες ὡς ἀνδρία καὶ σοφία καὶ δικαιοσύνη ταὐτόν ἐστι, καὶ φύσει μὲν οὐδὲν αὐτῶν ἔχομεν, μία δ' ἐπιστήμη καθ' ἁπάντων ἐστίν· ἄλλοι δὲ περὶ τὰς ἔριδας διατρίβουσι τὰς οὐδὲν μὲν ὠφελούσας, πράγματα δὲ παρέχειν τοῖς πλησιάζουσι δυναμένας.

[2] Ἐγὼ δ' εἰ μὲν ἑώρων νεωστὶ τὴν περιεργίαν ταύτην ἐν τοῖς λόγοις ἐγγεγενημένην καὶ τούτους ἐπὶ τῇ καινότητι τῶν εὑρημένων φιλοτιμουμένους, οὐκ ἂν ὁμοίως ἐθαύμαζον αὐτῶν· νῦν δὲ τίς ἐστιν οὕτως ὀψιμαθής, ὅστις οὐκ οἶδε Πρωταγόραν καὶ τοὺς κατ' ἐκεῖνον τὸν χρόνον γενομένους σοφιστάς, ὅτι καὶ τοιαῦτα καὶ πολὺ τούτων πραγματωδέστερα συγγράμματα κατέλιπον ἡμῖν; [3] Πῶς γὰρ ἄν τις ὑπερβάλοιτο Γοργίαν τὸν τολμήσαντα λέγειν ὡς οὐδὲν τῶν ὄντων ἔστιν, ἢ Ζήνωνα τὸν ταὐτὰ δυνατὰ καὶ πάλιν ἀδύνατα πειρώμενον ἀποφαίνειν, ἢ Μέλισσον ὃς ἀπείρων τὸ πλῆθος πεφυκότων τῶν πραγμάτων ὡς ἑνὸς ὄντος τοῦ παντὸς ἐπεχείρησεν ἀποδείξεις εὑρίσκειν;

[4] Ἄλλ' ὅμως οὕτω φανερῶς ἐκείνων ἐπιδειξάντων ὅτι ῥᾴδιόν ἐστι, περὶ ὧν ἄν τις πρόθηται, ψευδῆ μηχανήσασθαι λόγον, ἔτι περὶ τὸν τόπον τοῦτον διατρίβουσιν· οὓς ἐχρῆν ἀφεμένους ταύτης τῆς τερθρείας, τῆς ἐν μὲν τοῖς λόγοις ἐξελέγχειν προσποιουμένης, ἐν δὲ τοῖς ἔργοις πολὺν ἤδη χρόνον ἐξεληλεγμένης, τὴν ἀλήθειαν διώκειν, καὶ περὶ τὰς πράξεις ἐν αἷς πολιτευόμεθα, [5] τοὺς συνόντας παιδεύειν, καὶ περὶ τὴν ἐμπειρίαν τὴν τούτων γυμνάζειν, ἐνθυμουμένους ὅτι πολὺ κρεῖττόν ἐστι περὶ τῶν χρησίμων ἐπιεικῶς δοξάζειν ἢ περὶ τῶν ἀχρήστων ἀκριβῶς ἐπίστασθαι, καὶ μικρὸν προέχειν ἐν τοῖς μεγάλοις μᾶλλον ἢ πολὺ διαφέρειν ἐν τοῖς μικροῖς καὶ τοῖς μηδὲν πρὸς τὸν βίον ὠφελοῦσιν.

[6] Ἀλλὰ γὰρ οὐδενὸς αὐτοῖς ἄλλου μέλει πλὴν τοῦ χρηματίζεσθαι παρὰ τῶν νεωτέρων. Ἔστι δ' ἡ περὶ τὰς ἔριδας φιλοσοφία δυναμένη τοῦτο ποιεῖν· οἱ γὰρ μήτε τῶν ἰδίων πω μήτε τῶν κοινῶν φροντίζοντες τούτοις μάλιστα χαίρουσι τῶν λόγων οἳ μηδὲ πρὸς ἓν χρήσιμοι τυγχάνουσιν ὄντες.

[7] Τοῖς μὲν οὖν τηλικούτοις πολλὴ συγγνώμη ταύτην ἔχειν τὴν διάνοιαν· ἐπὶ γὰρ ἁπάντων τῶν πραγμάτων πρὸς τὰς περιττότητας καὶ τὰς θαυματοποιίας οὕτω διακείμενοι διατελοῦσι· τοῖς δὲ παιδεύειν προσποιουμένοις ἄξιον ἐπιτιμᾶν, ὅτι κατηγοροῦσι μὲν τῶν ἐπὶ τοῖς ἰδίοις συμβολαίοις ἐξαπατώντων καὶ μὴ δικαίως τοῖς λόγοις χρωμένων, αὐτοὶ δ' ἐκείνων δεινότερα ποιοῦσιν· οἱ μὲν γὰρ ἄλλους τινὰς ἐζημίωσαν, οὗτοι δὲ τοὺς συνόντας μάλιστα βλάπτουσιν.

[8] Τοσοῦτον δ' ἐπιδεδωκέναι πεποιήκασι τὸ ψευδολογεῖν ὥστ' ἤδη τινές, ὁρῶντες τούτους ἐκ τῶν τοιούτων ὠφελουμένους, τολμῶσι γράφειν ὡς ἔστιν ὁ τῶν πτωχευόντων καὶ φευγόντων βίος ζηλωτότερος ἢ τῶν ἄλλων ἀνθρώπων, καὶ ποιοῦνται τεκμήριον, ὡς εἰ περὶ πονηρῶν πραγμάτων ἔχουσί τι λέγειν, περί γε τῶν καλῶν κἀγαθῶν ῥᾳδίως εὐπορήσουσιν. [9] Ἐμοὶ δὲ δοκεῖ πάντων εἶναι καταγελαστότατον τὸ διὰ τούτων τῶν λόγων ζητεῖν πείθειν ὡς περὶ τῶν πολιτικῶν ἐπιστήμην ἔχουσιν, ἐξὸν ἐν αὐτοῖς οἷς ἐπαγγέλλονται τὴν ἐπίδειξιν ποιεῖσθαι· τοὺς γὰρ ἀμφισβητοῦντας τοῦ φρονεῖν καὶ φάσκοντας εἶναι σοφιστὰς οὐκ ἐν τοῖς ἠμελημένοις ὑπὸ τῶν ἄλλων, ἀλλ' ἐν οἷς ἅπαντές εἰσιν ἀνταγωνισταί, προσήκει διαφέρειν καὶ κρείττους εἶναι τῶν ἰδιωτῶν. [10] Νῦν δὲ παραπλήσιον ποιοῦσιν. Ὥσπερ ἂν εἴ τις προσποιοῖτο κράτιστος εἶναι τῶν ἀθλητῶν ἐνταῦθα καταβαίνων, οὗ μηδεὶς ἂν ἄλλος ἀξιώσειεν. Τίς γὰρ ἂν τῶν εὖ φρονούντων συμφορὰς ἐπαινεῖν ἐπιχειρήσειεν; Ἀλλὰ δῆλον, ὅτι δι' ἀσθένειαν ἐνταῦθα καταφεύγουσιν. [11] Ἔστι γὰρ τῶν μὲν τοιούτων συγγραμμάτων μία τις ὁδός, ἣν οὔθ' εὑρεῖν οὔτε μαθεῖν οὔτε μιμήσασθαι δύσκολόν ἐστιν· οἱ δὲ κοινοὶ πιστοὶ καὶ τούτοις ὅμοιοι τῶν λόγων διὰ πολλῶν ἰδεῶν καὶ καιρῶν δυσκαταμαθήτων εὑρίσκονταί τε καὶ λέγονται, καὶ τοσούτῳ χαλεπωτέραν ἔχουσι τὴν σύνθεσιν, ὅσῳ περ τὸ σεμνύνεσθαι τοῦ σκώπτειν καὶ τὸ σπουδάζειν τοῦ παίζειν ἐπιπονώτερόν ἐστιν. Σημεῖον δὲ μέγιστον· [12] τῶν μὲν γὰρ τοὺς βομβυλιοὺς καὶ τοὺς ἅλας καὶ τὰ τοιαῦτα βουληθέντων ἐπαινεῖν οὐδεὶς πώποτε λόγων ἠπόρησεν, οἱ δὲ περὶ τῶν ὁμολογουμένων ἀγαθῶν ἢ καλῶν ἢ τῶν διαφερόντων ἐπ' ἀρετῇ λέγειν ἐπιχειρήσαντες πολὺ καταδεέστερον τῶν ὑπαρχόντων ἅπαντες εἰρήκασιν. [13] Οὐ γὰρ τῆς αὐτῆς γνώμης ἐστὶν ἀξίως εἰπεῖν περὶ ἑκατέρων αὐτῶν, ἀλλὰ τὰ μὲν μικρὰ ῥᾴδιον τοῖς λόγοις ὑπερβαλέσθαι, τῶν δὲ χαλεπὸν τοῦ μεγέθους ἐφικέσθαι· καὶ περὶ μὲν τῶν δόξαν ἐχόντων σπάνιον εὑρεῖν, ἃ μηδεὶς πρότερον εἴρηκε, περὶ δὲ τῶν φαύλων καὶ ταπεινῶν ὅ τι ἄν τις τύχῃ φθεγξάμενος ἅπαν ἴδιόν ἐστιν.

[14] Διὸ καὶ τὸν γράψαντα περὶ τῆς Ἑλένης ἐπαινῶ μάλιστα τῶν εὖ λέγειν τι βουληθέντων, ὅτι περὶ τοιαύτης ἐμνήσθη γυναικός, ἣ καὶ τῷ γένει καὶ τῷ κάλλει καὶ τῇ δόξῃ πολὺ διήνεγκεν. Οὐ μὴν ἀλλὰ καὶ τοῦτον μικρόν τι παρέλαθεν· φησὶ μὲν γὰρ ἐγκώμιον γεγραφέναι περὶ αὐτῆς, τυγχάνει δ' ἀπολογίαν εἰρηκὼς ὑπὲρ τῶν ἐκείνῃ πεπραγμένων. [15] Ἔστι δ' οὐκ ἐκ τῶν αὐτῶν ἰδεῶν οὐδὲ περὶ τῶν αὐτῶν ἔργων ὁ λόγος, ἀλλὰ πᾶν τοὐναντίον· ἀπολογεῖσθαι μὲν γὰρ προσήκει περὶ τῶν ἀδικεῖν αἰτίαν ἐχόντων, ἐπαινεῖν δὲ τοὺς ἐπ' ἀγαθῷ τινὶ διαφέροντας.

Ἵνα δὲ μὴ δοκῶ τὸ ῥᾷστον ποιεῖν, ἐπιτιμᾶν τοῖς ἄλλοις μηδὲν ἐπιδεικνὺς τῶν ἐμαυτοῦ, πειράσομαι περὶ τῆς αὐτῆς ταύτης εἰπεῖν, παραλιπὼν ἅπαντα τὰ τοῖς ἄλλοις εἰρημένα.

[16] Τὴν μὲν οὖν ἀρχὴν τοῦ λόγου ποιήσομαι τὴν ἀρχὴν τοῦ γένους αὐτῆς. Πλείστων γὰρ ἡμιθέων ὑπὸ Διὸς γεννηθέντων μόνης ταύτης γυναικὸς πατὴρ ἠξίωσε κληθῆναι. Σπουδάσας δὲ μάλιστα περί τε τὸν ἐξ Ἀλκμήνης καὶ τοὺς ἐκ Λήδας, τοσούτῳ μᾶλλον Ἑλένην Ἡρακλέους προὐτίμησεν ὥστε τῷ μὲν ἰσχὺν ἔδωκεν, ἣ βίᾳ τῶν ἄλλων κρατεῖν δύναται, τῇ δὲ κάλλος ἀπένειμεν, ὃ καὶ τῆς ῥώμης αὐτῆς ἄρχειν πέφυκεν. [17] Εἰδὼς δὲ τὰς ἐπιφανείας καὶ τὰς λαμπρότητας οὐκ ἐκ τῆς ἡσυχίας, ἀλλ' ἐκ τῶν πολέμων καὶ τῶν ἀγώνων γιγνομένας, βουλόμενος αὐτῶν μὴ μόνον τὰ σώματ' εἰς θεοὺς ἀναγαγεῖν ἀλλὰ καὶ τὰς δόξας ἀειμνήστους καταλιπεῖν, τοῦ μὲν ἐπίπονον καὶ φιλοκίνδυνον τὸν βίον κατέστησε, τῆς δὲ περίβλεπτον καὶ περιμάχητον τὴν φύσιν ἐποίησεν.

[18] Καὶ πρῶτον μὲν Θησεύς, ὁ λεγόμενος μὲν Αἰγέως, γενόμενος δ' ἐκ Ποσειδῶνος, ἰδὼν αὐτὴν οὔπω μὲν ἀκμάζουσαν, ἤδη δὲ τῶν ἄλλων διαφέρουσαν, τοσοῦτον ἡττήθη τοῦ κάλλους ὁ κρατεῖν τῶν ἄλλων εἰθισμένος, ὥσθ' ὑπαρχούσης αὐτῷ καὶ πατρίδος μεγίστης καὶ βασιλείας ἀσφαλεστάτης ἡγησάμενος οὐκ ἄξιον εἶναι ζῆν ἐπὶ τοῖς παροῦσιν ἀγαθοῖς ἄνευ τῆς πρὸς ἐκείνην οἰκειότητος, [19] ἐπειδὴ παρὰ τῶν κυρίων οὐχ οἷός τ' ἦν αὐτὴν λαβεῖν, ἀλλ' ἐπέμενον τήν τε τῆς παιδὸς ἡλικίαν καὶ τὸν χρησμὸν τὸν παρὰ τῆς Πυθίας, ὑπεριδὼν τὴν ἀρχὴν τὴν Τυνδάρεω καὶ καταφρονήσας τῆς ῥώμης τῆς Κάστορος καὶ Πολυδεύκους καὶ πάντων τῶν ἐν Λακεδαίμονι δεινῶν ὀλιγωρήσας, βίᾳ λαβὼν αὐτὴν εἰς Ἄφιδναν τῆς Ἀττικῆς κατέθετο, [20] καὶ τοσαύτην χάριν ἔσχε Πειρίθῳ τῷ μετασχόντι τῆς ἁρπαγῆς, ὥστε βουληθέντος αὐτοῦ μνηστεῦσαι Κόρην τὴν Διὸς καὶ Δήμητρος, καὶ παρακαλοῦντος ἐπὶ τὴν εἰς Ἅιδου κατάβασιν, ἐπειδὴ συμβουλεύων οὐχ οἷός τ' ἦν ἀποτρέπειν, προδήλου τῆς συμφορᾶς οὔσης ὅμως αὐτῷ συνηκολούθησε, νομίζων ὀφείλειν τοῦτον τὸν ἔρανον, μηδενὸς ἀποστῆναι τῶν ὑπὸ Πειρίθου προσταχθέντων ἀνθ' ὧν ἐκεῖνος αὐτῷ συνεκινδύνευσεν.

[21] Εἰ μὲν οὖν ὁ ταῦτα πράξας εἷς ἦν τῶν τυχόντων ἀλλὰ μὴ τῶν πολὺ διενεγκόντων, οὐκ ἄν πω δῆλος ἦν ὁ λόγος, πότερον Ἑλένης ἔπαινος ἢ κατηγορία Θησέως ἐστίν· νῦν δὲ τῶν μὲν ἄλλων τῶν εὐδοκιμησάντων εὑρήσομεν τὸν μὲν ἀνδρίας, τὸν δὲ σοφίας, τὸν δ' ἄλλου τινὸς τῶν τοιούτων μερῶν ἀπεστερημένον, τοῦτον δὲ μόνον οὐδ' ἑνὸς ἐνδεᾶ γενόμενον, ἀλλὰ παντελῆ τὴν ἀρετὴν κτησάμενον. [22] Δοκεῖ δέ μοι πρέπειν περὶ αὐτοῦ καὶ διὰ μακροτέρων εἰπεῖν· ἡγοῦμαι γὰρ ταύτην μεγίστην εἶναι πίστιν τοῖς βουλομένοις Ἑλένην ἐπαινεῖν, ἢν ἐπιδείξωμεν τοὺς ἀγαπήσαντας καὶ θαυμάσαντας ἐκείνην αὐτοὺς τῶν ἄλλων θαυμαστοτέρους ὄντας.

Ὅσα μὲν γὰρ ἐφ' ἡμῶν γέγονεν, εἰκότως ἂν ταῖς δόξαις ταῖς ἡμετέραις αὐτῶν διακρίνοιμεν, περὶ δὲ τῶν οὕτω παλαιῶν προσήκει τοῖς κατ' ἐκεῖνον τὸν χρόνον εὖ φρονήσασιν ὁμονοοῦντας ἡμᾶς φαίνεσθαι. [23] Κάλλιστον μὲν οὖν ἔχω περὶ Θησέως τοῦτ' εἰπεῖν, ὅτι κατὰ τὸν αὐτὸν χρόνον Ἡρακλεῖ γενόμενος ἐνάμιλλον τὴν αὑτοῦ δόξαν πρὸς τὴν ἐκείνου κατέστησεν. Οὐ γὰρ μόνον τοῖς ὅπλοις ἐκοσμήσαντο παραπλησίοις, ἀλλὰ καὶ τοῖς ἐπιτηδεύμασιν ἐχρήσαντο τοῖς αὐτοῖς, πρέποντα τῇ συγγενείᾳ ποιοῦντες. Ἐξ ἀδελφῶν γὰρ γεγονότες, ὁ μὲν ἐκ Διός, ὁ δ' ἐκ Ποσειδῶνος, ἀδελφὰς καὶ τὰς ἐπιθυμίας ἔσχον. Μόνοι γὰρ οὗτοι τῶν προγεγενημένων ὑπὲρ τοῦ βίου τοῦ τῶν ἀνθρώπων ἀθληταὶ κατέστησαν.

Συνέβη δὲ τὸν μὲν ὀνομαστοτέρους καὶ μείζους, [24] τὸν δ' ὠφελιμωτέρους καὶ τοῖς Ἕλλησιν οἰκειοτέρους ποιήσασθαι τοὺς κινδύνους. Τῷ μὲν γὰρ Εὐρυσθεὺς προσέταττε τάς τε βοῦς τὰς ἐκ τῆς Ἐρυθείας ἀγαγεῖν καὶ τὰ μῆλα τὰ τῶν Ἑσπερίδων ἐνεγκεῖν καὶ τὸν Κέρβερον ἀναγαγεῖν καὶ τοιούτους ἄλλους πόνους, ἐξ ὧν ἤμελλεν οὐ τοὺς ἄλλους ὠφελήσειν ἀλλ' αὐτὸς κινδυνεύσειν· [25] ὁ δ' αὐτὸς αὑτοῦ κύριος ὢν τούτους προῃρεῖτο τῶν ἀγώνων ἐξ ὧν ἤμελλεν ἢ τῶν Ἑλλήνων ἢ τῆς αὑτοῦ πατρίδος εὐεργέτης γενήσεσθαι. Καὶ τόν τε ταῦρον τὸν ἀνεθέντα μὲν ὑπὸ Ποσειδῶνος, τὴν δὲ χώραν λυμαινόμενον, ὃν πάντες οὐκ ἐτόλμων ὑπομένειν, μόνος χειρωσάμενος μεγάλου φόβου καὶ πολλῆς ἀπορίας τοὺς οἰκοῦντας τὴν πόλιν ἀπήλλαξεν· [26] καὶ μετὰ ταῦτα Λαπίθαις σύμμαχος γενόμενος, στρατευσάμενος ἐπὶ Κενταύρους τοὺς διφυεῖς, οἳ καὶ τάχει καὶ ῥώμῃ καὶ τόλμῃ διενεγκόντες τὰς μὲν ἐπόρθουν, τὰς δ' ἤμελλον, ταῖς δ' ἠπείλουν τῶν πόλεων, τούτους μάχῃ νικήσας εὐθὺς μὲν αὐτῶν τὴν ὕβριν ἔπαυσεν, οὐ πολλῷ δ' ὕστερον τὸ γένος ἐξ ἀνθρώπων ἠφάνισεν. [27] Περὶ δὲ τοὺς αὐτοὺς χρόνους τὸ τέρας τὸ τραφὲν μὲν ἐν Κρήτῃ, γενόμενον δ' ἐκ Πασιφάης τῆς Ἡλίου θυγατρός, ᾧ κατὰ μαντείαν δασμὸν τῆς πόλεως δὶς ἑπτὰ παῖδας ἀποστελλούσης, ἰδὼν αὐτοὺς ἀγομένους καὶ πανδημεὶ προπεμπομένους ἐπὶ θάνατον ἄνομον καὶ προῦπτον καὶ πενθουμένους ἔτι ζῶντας, οὕτως ἠγανάκτησεν ὥσθ' ἡγήσατο κρεῖττον εἶναι τεθνάναι μᾶλλον ἢ ζῆν ἄρχων τῆς πόλεως τῆς οὕτως οἰκτρὸν τοῖς ἐχθροῖς φόρον ὑποτελεῖν ἠναγκασμένης. [28] Σύμπλους δὲ γενόμενος, καὶ κρατήσας φύσεως ἐξ ἀνδρὸς μὲν καὶ ταύρου μεμιγμένης, τὴν δ' ἰσχὺν ἐχούσης οἵαν προσήκει τὴν ἐκ τοιούτων σωμάτων συγκειμένην, τοὺς μὲν παῖδας διασώσας τοῖς γονεῦσιν ἀπέδωκε, τὴν δὲ πόλιν οὕτως ἀνόμου καὶ δεινοῦ καὶ δυσαπαλλάκτου προστάγματος ἠλευθέρωσεν.

[29] Ἀπορῶ δ' ὅ τι χρήσωμαι τοῖς ἐπιλοίποις· ἐπιστὰς γὰρ ἐπὶ τὰ Θησέως ἔργα καὶ λέγειν ἀρξάμενος περὶ αὐτῶν ὀκνῶ μὲν μεταξὺ παύσασθαι καὶ παραλιπεῖν τήν τε Σκίρωνος καὶ Κερκύονος καὶ τῶν ἄλλων τῶν τοιούτων παρανομίαν, πρὸς οὓς ἀνταγωνιστὴς γενόμενος ἐκεῖνος πολλῶν καὶ μεγάλων συμφορῶν τοὺς Ἕλληνας ἀπήλλαξεν, αἰσθάνομαι δ' ἐμαυτὸν ἔξω φερόμενον τῶν καιρῶν καὶ δέδοικα μή τισι δόξω περὶ τούτου μᾶλλον σπουδάζειν ἢ περὶ ἧς τὴν ἀρχὴν ὑπεθέμην. [30] Ἐξ ἀμφοτέρων οὖν τούτων αἱροῦμαι τὰ μὲν πλεῖστα παραλιπεῖν διὰ τοὺς δυσκόλως ἀκροωμένους, περὶ δὲ τῶν ἄλλων ὡς ἂν δύνωμαι συντομώτατα διελθεῖν, ἵνα τὰ μὲν ἐκείνοις, τὰ δ' ἐμαυτῷ χαρίσωμαι, καὶ μὴ παντάπασιν ἡττηθῶ τῶν εἰθισμένων φθονεῖν καὶ τοῖς λεγομένοις ἅπασιν ἐπιτιμᾶν.

[31] Τὴν μὲν οὖν ἀνδρίαν ἐν τούτοις ἐπεδείξατο τοῖς ἔργοις ἐν οἷς αὐτὸς καθ' αὑτὸν ἐκινδύνευσε, τὴν δ' ἐπιστήμην ἣν εἶχε πρὸς τὸν πόλεμον, ἐν ταῖς μάχαις αἷς μεθ' ὅλης τῆς πόλεως ἠγωνίσατο, τὴν δ' εὐσέβειαν τὴν πρὸς τοὺς θεοὺς ἔν τε ταῖς Ἀδράστου καὶ ταῖς τῶν παίδων τῶν Ἡρακλέους ἱκετείαις, τοὺς μὲν γὰρ μάχῃ νικήσας Πελοποννησίους διέσωσε, τῷ δὲ τοὺς ὑπὸ τῇ Καδμείᾳ τελευτήσαντας βίᾳ Θηβαίων θάψαι παρέδωκε, τὴν δ' ἄλλην ἀρετὴν καὶ τὴν σωφροσύνην ἔν τε τοῖς προειρημένοις καὶ μάλιστ' ἐν οἷς τὴν πόλιν διῴκησεν.

[32] Ὁρῶν γὰρ τοὺς βίᾳ τῶν πολιτῶν ἄρχειν ζητοῦντας ἑτέροις δουλεύοντας καὶ τοὺς ἐπικίνδυνον τὸν βίον τοῖς ἄλλοις καθιστάντας αὐτοὺς περιδεῶς ζῶντας, καὶ πολεμεῖν ἀναγκαζομένους μετὰ μὲν τῶν πολιτῶν πρὸς τοὺς ἐπιστρατευομένους, μετὰ δ' ἄλλων τινῶν πρὸς τοὺς συμπολιτευομένους, [33] ἔτι δὲ συλῶντας μὲν τὰ τῶν θεῶν, ἀποκτείνοντας δὲ τοὺς βελτίστους τῶν πολιτῶν, ἀπιστοῦντας δὲ τοῖς οἰκειοτάτοις, οὐδὲν δὲ ῥᾳθυμότερον ζῶντας τῶν ἐπὶ θανάτῳ συνειλημμένων, ἀλλὰ τὰ μὲν ἔξω ζηλουμένους, αὐτοὺς δὲ παρ' αὑτοῖς μᾶλλον τῶν ἄλλων λυπουμένους· [34] τί γάρ ἐστιν ἄλγιον ἢ ζῆν ἀεὶ δεδιότα μή τις αὑτὸν τῶν παρεστώτων ἀποκτείνῃ, καὶ μηδὲν ἧττον φοβούμενον τοὺς φυλάττοντας ἢ τοὺς ἐπιβουλεύοντας; Τούτων ἁπάντων καταφρονήσας καὶ νομίσας οὐκ ἄρχοντας ἀλλὰ νοσήματα τῶν πόλεων εἶναι τοὺς τοιούτους, ἐπέδειξεν ὅτι ῥᾴδιόν ἐστιν ἅμα τυραννεῖν καὶ μηδὲν χεῖρον διακεῖσθαι τῶν ἐξ ἴσου πολιτευομένων.

[35] Καὶ πρῶτον μὲν τὴν πόλιν σποράδην καὶ κατὰ κώμας οἰκοῦσαν εἰς ταὐτὸν συναγαγὼν τηλικαύτην ἐποίησεν ὥστ' ἔτι καὶ νῦν ἀπ' ἐκείνου τοῦ χρόνου μεγίστην τῶν Ἑλληνίδων εἶναι· μετὰ δὲ ταῦτα κοινὴν τὴν πατρίδα καταστήσας καὶ τὰς ψυχὰς τῶν συμπολιτευομένων ἐλευθερώσας ἐξ ἴσου τὴν ἅμιλλαν αὐτοῖς περὶ τῆς ἀρετῆς ἐποίησε, πιστεύων μὲν ὁμοίως αὐτῶν προέξειν ἀσκούντων ὥσπερ ἀμελούντων, εἰδὼς δὲ τὰς τιμὰς ἡδίους οὔσας τὰς παρὰ τῶν μέγα φρονούντων ἢ τὰς παρὰ τῶν δουλευόντων. [36] Τοσούτου δ' ἐδέησεν ἀκόντων τι ποιεῖν τῶν πολιτῶν ὥσθ' ὁ μὲν τὸν δῆμον καθίστη κύριον τῆς πολιτείας, οἱ δὲ μόνον αὐτὸν ἄρχειν ἠξίουν, ἡγούμενοι πιστοτέραν καὶ κοινοτέραν εἶναι τὴν ἐκείνου μοναρχίαν τῆς αὑτῶν δημοκρατίας. Οὐ γὰρ ὥσπερ ἕτεροι τοὺς μὲν πόνους ἄλλοις προσέταττε, τῶν δ' ἡδονῶν αὐτὸς μόνος ἀπέλαυεν, ἀλλὰ τοὺς μὲν κινδύνους ἰδίους ἐποιεῖτο, τὰς δ' ὠφελείας ἅπασιν εἰς τὸ κοινὸν ἀπεδίδου. [37] Καὶ γάρ τοι διετέλεσε τὸν βίον οὐκ ἐπιβουλευόμενος ἀλλ' ἀγαπώμενος, οὐδ' ἐπακτῷ δυνάμει τὴν ἀρχὴν διαφυλάττων, ἀλλὰ τῇ τῶν πολιτῶν εὐνοίᾳ δορυφορούμενος, τῇ μὲν ἐξουσίᾳ τυραννῶν, ταῖς δ' εὐεργεσίαις δημαγωγῶν· οὕτω γὰρ νομίμως καὶ καλῶς διῴκει τὴν πόλιν ὥστ' ἔτι καὶ νῦν ἴχνος τῆς ἐκείνου πραότητος ἐν τοῖς ἤθεσιν ἡμῶν καταλελεῖφθαι.

[38] Τὴν δὴ γεννηθεῖσαν μὲν ὑπὸ Διός, κρατήσασαν δὲ τοιαύτης ἀρετῆς καὶ σωφροσύνης, πῶς οὐκ ἐπαινεῖν χρὴ καὶ τιμᾶν καὶ νομίζειν πολὺ τῶν πώποτε γενομένων διενεγκεῖν; Οὐ γὰρ δὴ μάρτυρά γε πιστότερον οὐδὲ κριτὴν ἱκανώτερον ἕξομεν ἐπαγαγέσθαι περὶ τῶν Ἑλένῃ προσόντων ἀγαθῶν τῆς Θησέως διανοίας. Ἵνα δὲ μὴ δοκῶ δι' ἀπορίαν περὶ τὸν αὐτὸν τόπον διατρίβειν, μηδ' ἀνδρὸς ἑνὸς δόξῃ καταχρώμενος ἐπαινεῖν αὐτήν, βούλομαι καὶ περὶ τῶν ἐχομένων διελθεῖν.

[39] Μετὰ γὰρ τὴν Θησέως εἰς Ἅιδου κατάβασιν ἐπανελθούσης αὖθις εἰς Λακεδαίμονα καὶ πρὸς τὸ μνηστεύεσθαι λαβούσης ἡλικίαν ἅπαντες οἱ τότε βασιλεύοντες καὶ δυναστεύοντες τὴν αὐτὴν γνώμην ἔσχον περὶ αὐτῆς· ἐξὸν γὰρ αὐτοῖς λαμβάνειν ἐν ταῖς αὑτῶν πόλεσι γυναῖκας τὰς πρωτευούσας, ὑπεριδόντες τοὺς οἴκοι γάμους ἦλθον ἐκείνην μνηστεύσοντες. [40] Οὔπω δὲ κεκριμένου τοῦ μέλλοντος αὐτῇ συνοικήσειν ἀλλ' ἔτι κοινῆς τῆς τύχης οὔσης οὕτω πρόδηλος ἦν ἅπασιν ἐσομένη περιμάχητος ὥστε συνελθόντες πίστεις ἔδοσαν ἀλλήλοις ἦ μὴν βοηθήσειν, εἴ τις ἀποστεροίη τὸν ἀξιωθέντα λαβεῖν αὐτήν, νομίζων ἕκαστος τὴν ἐπικουρίαν ταύτην αὑτῷ παρασκευάζειν. [41] Τῆς μὲν οὖν ἰδίας ἐλπίδος πλὴν ἑνὸς ἀνδρὸς ἅπαντες ἐψεύσθησαν, τῆς δὲ κοινῆς δόξης ἧς ἔσχον περὶ ἐκείνης οὐδεὶς αὐτῶν διήμαρτεν.

Οὐ πολλοῦ γὰρ χρόνου διελθόντος, γενομένης ἐν θεοῖς περὶ κάλλους ἔριδος ἧς Ἀλέξανδρος ὁ Πριάμου κατέστη κριτής, καὶ διδούσης Ἥρας μὲν ἁπάσης αὐτῷ τῆς Ἀσίας βασιλεύειν, Ἀθηνᾶς δὲ κρατεῖν ἐν τοῖς πολέμοις, [42] Ἀφροδίτης δὲ τὸν γάμον τὸν Ἑλένης, τῶν μὲν σωμάτων οὐ δυνηθεὶς λαβεῖν διάγνωσιν ἀλλ' ἡττηθεὶς τῆς τῶν θεῶν ὄψεως, τῶν δὲ δωρεῶν ἀναγκασθεὶς γενέσθαι κριτής, εἵλετο τὴν οἰκειότητα τὴν Ἑλένης ἀντὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων, οὐ πρὸς τὰς ἡδονὰς ἀποβλέψας, -- καίτοι καὶ τοῦτο τοῖς εὖ φρονοῦσι πολλῶν αἱρετώτερόν ἐστιν, [43] ἀλλ' ὅμως οὐκ ἐπὶ τοῦθ' ὥρμησεν, ἀλλ' ἐπεθύμησε Διὸς γενέσθαι κηδεστής, νομίζων πολὺ μείζω καὶ καλλίω ταύτην εἶναι τὴν τιμὴν ἢ τὴν τῆς Ἀσίας βασιλείαν, καὶ μεγάλας μὲν ἀρχὰς καὶ δυναστείας καὶ φαύλοις ἀνθρώποις ποτὲ παραγίγνεσθαι, τοιαύτης δὲ γυναικὸς οὐδένα τῶν ἐπιγιγνομένων ἀξιωθήσεσθαι, πρὸς δὲ τούτοις οὐδὲν ἂν κτῆμα κάλλιον καταλιπεῖν τοῖς παισὶν ἢ παρασκευάσας αὐτοῖς ὅπως μὴ μόνον πρὸς πατρὸς ἀλλὰ καὶ πρὸς μητρὸς ἀπὸ Διὸς ἔσονται γεγονότες. [44] Ἠπίστατο γὰρ τὰς μὲν ἄλλας εὐτυχίας ταχέως μεταπιπτούσας, τὴν δ' εὐγένειαν ἀεὶ τοῖς αὐτοῖς παραμένουσαν, ὥστε ταύτην μὲν τὴν αἵρεσιν ὑπὲρ ἅπαντος τοῦ γένους ἔσεσθαι, τὰς δ' ἑτέρας δωρεὰς ὑπὲρ τοῦ χρόνου μόνον τοῦ καθ' αὑτόν.

[45] Τῶν μὲν οὖν εὖ φρονούντων οὐδεὶς ἂν τοῖς λογισμοῖς τούτοις ἐπιτιμήσειεν, τῶν δὲ μηδὲν πρὸ τοῦ πράγματος ἐνθυμουμένων ἀλλὰ τὸ συμβαῖνον μόνον σκοπουμένων ἤδη τινὲς ἐλοιδόρησαν αὐτόν· ὧν τὴν ἄνοιαν ἐξ ὧν ἐβλασφήμησαν περὶ ἐκείνου ῥᾴδιον ἅπασι καταμαθεῖν. [46] Πῶς γὰρ οὐ καταγέλαστον πεπόνθασιν, εἰ τὴν αὑτῶν φύσιν ἱκανωτέραν εἶναι νομίζουσι τῆς ὑπὸ τῶν θεῶν προκριθείσης; Οὐ γὰρ δή που περὶ ὧν εἰς τοσαύτην ἔριν κατέστησαν τὸν τυχόντα διαγνῶναι κύριον ἐποίησαν, ἀλλὰ δῆλον ὅτι τοσαύτην ἔσχον σπουδὴν ἐκλέξασθαι, κριτὴν τὸν βέλτιστον, ὅσηνπερ περὶ αὐτοῦ τοῦ πράγματος ἐπιμέλειαν ἐποιήσαντο. [47] Χρὴ δὲ σκοπεῖν ὁποῖός τις ἦν καὶ δοκιμάζειν αὐτὸν οὐκ ἐκ τῆς ὀργῆς τῆς τῶν ἀποτυχουσῶν, ἀλλ' ἐξ ὧν ἅπασαι βουλευσάμεναι προείλοντο τὴν ἐκείνου διάνοιαν. Κακῶς μὲν γὰρ παθεῖν ὑπὸ τῶν κρειττόνων οὐδὲν κωλύει καὶ τοὺς μηδὲν ἐξημαρτηκότας· τοιαύτης δὲ τιμῆς τυχεῖν ὥστε θνητὸν ὄντα θεῶν γενέσθαι κριτὴν, οὐχ οἷόν τε μὴ οὐ τὸν πολὺ τῇ γνώμῃ διαφέροντα.

[48] Θαυμάζω δ' εἴ τις οἴεται κακῶς βεβουλεῦσθαι τὸν μετὰ ταύτης ζῆν ἑλόμενον, ἧς ἕνεκα πολλοὶ τῶν ἡμιθέων ἀποθνῄσκειν ἠθέλησαν. Πῶς δ' οὐκ ἂν ἦν ἀνόητος, εἰ τοὺς θεοὺς εἰδὼς περὶ κάλλους φιλονικοῦντας αὐτὸς κάλλους κατεφρόνησε, καὶ μὴ ταύτην ἐνόμισε μεγίστην εἶναι τῶν δωρεῶν, περὶ ἧς κἀκείνας ἑώρα μάλιστα σπουδαζούσας;

[49] Τίς δ' ἂν τὸν γάμον τὸν Ἑλένης ὑπερεῖδεν, ἧς ἁρπασθείσης οἱ μὲν Ἕλληνες οὕτως ἠγανάκτησαν ὥσπερ ὅλης τῆς Ἑλλάδος πεπορθημένης, οἱ δὲ βάρβαροι τοσοῦτον ἐφρόνησαν, ὅσον περ ἂν εἰ πάντων ἡμῶν ἐκράτησαν. Δῆλον δ' ὡς ἑκάτεροι διετέθησαν· πολλῶν γὰρ αὐτοῖς πρότερον ἐγκλημάτων γενομένων περὶ μὲν τῶν ἄλλων ἡσυχίαν ἦγον, ὑπὲρ δὲ ταύτης τηλικοῦτον συνεστήσαντο πόλεμον οὐ μόνον τῷ μεγέθει τῆς ὀργῆς ἀλλὰ καὶ τῷ μήκει τοῦ χρόνου καὶ τῷ πλήθει τῶν παρασκευῶν ὅσος οὐδεὶς πώποτε γέγονεν. [50] Ἐξὸν δὲ τοῖς μὲν ἀποδοῦσιν Ἑλένην ἀπηλλάχθαι τῶν παρόντων κακῶν, τοῖς δ' ἀμελήσασιν ἐκείνης ἀδεῶς οἰκεῖν τὸν ἐπίλοιπον χρόνον, οὐδέτεροι ταῦτ' ἠθέλησαν· ἀλλ' οἱ μὲν περιεώρων καὶ πόλεις ἀναστάτους γιγνομένας καὶ τὴν χώραν πορθουμένην, ὥστε μὴ προέσθαι τοῖς Ἕλλησιν αὐτήν, οἱ δ' ᾑροῦντο μένοντες ἐπὶ τῆς ἀλλοτρίας καταγηράσκειν καὶ μηδέποτε τοὺς αὑτῶν ἰδεῖν μᾶλλον ἢ 'κείνην καταλιπόντες εἰς τὰς αὑτῶν πατρίδας ἀπελθεῖν. [51] Καὶ ταῦτ' ἐποίουν οὐχ ὑπὲρ Ἀλεξάνδρου καὶ Μενελάου φιλονικοῦντες, ἀλλ' οἱ μὲν ὑπὲρ τῆς Ἀσίας, οἱ δ' ὑπὲρ τῆς Εὐρώπης, νομίζοντες, ἐν ὁποτέρᾳ τὸ σῶμα τοὐκείνης κατοικήσειε, ταύτην εὐδαιμονεστέραν τὴν χώραν ἔσεσθαι.

[52] Τοσοῦτος δ' ἔρως ἐνέπεσε τῶν πόνων καὶ τῆς στρατείας ἐκείνης οὐ μόνον τοῖς Ἕλλησι καὶ τοῖς βαρβάροις ἀλλὰ καὶ τοῖς θεοῖς, ὥστ' οὐδὲ τοὺς ἐξ αὑτῶν γεγονότας ἀπέτρεψαν τῶν ἀγώνων τῶν περὶ Τροίαν, ἀλλὰ Ζεὺς μὲν προειδὼς τὴν Σαρπηδόνος εἱμαρμένην, Ἠὼς δὲ τὴν Μέμνονος, Ποσειδῶν δὲ τὴν Κύκνου, Θέτις δὲ τὴν Ἀχιλλέως, ὅμως αὐτοὺς συνεξώρμησαν καὶ συνεξέπεμψαν, [53] ἡγούμενοι κάλλιον αὐτοῖς εἶναι τεθνάναι μαχομένοις περὶ τῆς Διὸς θυγατρὸς μᾶλλον ἢ ζῆν ἀπολειφθεῖσι τῶν περὶ ἐκείνης κινδύνων. Καὶ τί δεῖ θαυμάζειν, ἃ περὶ τῶν παίδων διενοήθησαν; Αὐτοὶ γὰρ πολὺ μείζω καὶ δεινοτέραν ἐποιήσαντο παράταξιν τῆς πρὸς Γίγαντας αὐτοῖς γενομένης· πρὸς μὲν γὰρ ἐκείνους μετ' ἀλλήλων ἐμαχέσαντο, περὶ δὲ ταύτης πρὸς σφᾶς αὐτοὺς ἐπολέμησαν.

[54] Εὐλόγως δὲ κἀκεῖνοι ταῦτ' ἔγνωσαν, κἀγὼ τηλικαύταις ὑπερβολαῖς ἔχω χρήσασθαι περὶ αὐτῆς· κάλλους γὰρ πλεῖστον μέρος μετέσχεν, ὃ σεμνότατον καὶ τιμιώτατον καὶ θειότατον τῶν ὄντων ἐστίν. Ῥᾴδιον δὲ γνῶναι τὴν δύναμιν αὐτοῦ· τῶν μὲν γὰρ ἀνδρίας ἢ σοφίας ἢ δικαιοσύνης μὴ μετεχόντων πολλὰ φανήσεται τιμώμενα μᾶλλον ἢ τούτων ἕκαστον, τῶν δὲ κάλλους ἀπεστερημένων οὐδὲν εὑρήσομεν ἀγαπώμενον ἀλλὰ πάντα καταφρονούμενα, πλὴν ὅσα ταύτης τῆς ἰδέας κεκοινώνηκε, καὶ τὴν ἀρετὴν διὰ τοῦτο μάλιστ' εὐδοκιμοῦσαν, ὅτι κάλλιστον τῶν ἐπιτηδευμάτων ἐστίν. [55] Γνοίη δ' ἄν τις κἀκεῖθεν ὅσον διαφέρει τῶν ὄντων, ἐξ ὧν αὐτοὶ διατιθέμεθα πρὸς ἕκαστον αὐτῶν. Τῶν μὲν γὰρ ἄλλων ὧν ἂν ἐν χρείᾳ γενώμεθα, τυχεῖν μόνον βουλόμεθα, περαιτέρω δὲ περὶ αὐτῶν οὐδὲν τῇ ψυχῇ προσπεπόνθαμεν· τῶν δὲ καλῶν ἔρως ἡμῖν ἐγγίγνεται, τοσούτῳ μείζω τοῦ βούλεσθαι ῥώμην ἔχων, ὅσῳ περ καὶ τὸ πρᾶγμα κρεῖττόν ἐστιν. [56] Καὶ τοῖς μὲν κατὰ σύνεσιν ἢ κατ' ἄλλο τι προέχουσι φθονοῦμεν, ἢν μὴ τῷ ποιεῖν ἡμᾶς εὖ καθ' ἑκάστην τὴν ἡμέραν προσαγάγωνται καὶ στέργειν σφᾶς αὐτοὺς ἀναγκάσωσι· τοῖς δὲ καλοῖς εὐθὺς ἰδόντες εὖνοι γιγνόμεθα, καὶ μόνους αὐτοὺς ὥσπερ τοὺς θεοὺς οὐκ ἀπαγορεύομεν θεραπεύοντες, [57] ἀλλ' ἥδιον δουλεύομεν τοῖς τοιούτοις ἢ τῶν ἄλλων ἄρχομεν, πλείω χάριν ἔχοντες τοῖς πολλὰ προστάττουσιν ἢ τοῖς μηδὲν ἐπαγγέλλουσιν. Καὶ τοὺς μὲν ὑπ' ἄλλῃ τινὶ δυνάμει γιγνομένους λοιδοροῦμεν καὶ κόλακας ἀποκαλοῦμεν, τοὺς δὲ τῷ κάλλει λατρεύοντας φιλοκάλους καὶ φιλοπόνους εἶναι νομίζομεν. [58] Τοσαύτῃ δ' εὐσεβείᾳ καὶ προνοίᾳ χρώμεθα περὶ τὴν ἰδέαν τὴν τοιαύτην ὥστε καὶ τῶν ἐχόντων τὸ κάλλος τοὺς μὲν μισθαρνήσαντας καὶ κακῶς βουλευσαμένους περὶ τῆς αὑτῶν ἡλικίας μᾶλλον ἀτιμάζομεν ἢ τοὺς εἰς τὰ τῶν ἄλλων σώματ' ἐξαμαρτόντας· ὅσοι δ' ἂν τὴν αὑτῶν ὥραν διαφυλάξωσιν ἄβατον τοῖς πονηροῖς ὥσπερ ἱερὸν ποιήσαντες, τούτους εἰς τὸν ἐπίλοιπον χρόνον ὁμοίως τιμῶμεν ὥσπερ τοὺς ὅλην τὴν πόλιν ἀγαθόν τι ποιήσαντας.

[59] Καὶ τὶ δεῖ τὰς ἀνθρωπίνας δόξας λέγοντα διατρίβειν; Ἀλλὰ Ζεὺς ὁ κρατῶν πάντων ἐν μὲν τοῖς ἄλλοις τὴν αὑτοῦ δύναμιν ἐνδείκνυται, πρὸς δὲ τὸ κάλλος ταπεινὸς γιγνόμενος ἀξιοῖ πλησιάζειν. Ἀμφιτρύωνι μὲν γὰρ εἰκασθεὶς ὡς Ἀλκμήνην ἦλθε, χρυσὸς δὲ ῥυεὶς Δανάῃ συνεγένετο, κύκνος δὲ γενόμενος εἰς τοὺς Νεμέσεως κόλπους κατέφυγε, τούτῳ δὲ πάλιν ὁμοιωθεὶς Λήδαν ἐνύμφευσεν· ἀεὶ δὲ μετὰ τέχνης ἀλλ' οὐ μετὰ βίας θηρώμενος φαίνεται τὴν φύσιν τὴν τοιαύτην. [60] Τοσούτῳ δὲ μᾶλλον προτετίμηται τὸ κάλλος παρ' ἐκείνοις ἢ παρ' ἡμῖν ὥστε καὶ ταῖς γυναιξὶ ταῖς αὑτῶν ὑπὸ τούτου κρατουμέναις συγγνώμην ἔχουσι, καὶ πολλὰς ἄν τις ἐπιδείξειε τῶν ἀθανάτων, αἳ θνητοῦ κάλλους ἡττήθησαν, ὧν οὐδεμία λαθεῖν τὸ γεγενημένον ὡς αἰσχύνην ἔχον ἐζήτησεν, ἀλλ' ὡς καλῶν ὄντων τῶν πεπραγμένων ὑμνεῖσθαι μᾶλλον ἢ σιωπᾶσθαι περὶ αὐτῶν ἠβουλήθησαν. Μέγιστον δὲ τῶν εἰρημένων τεκμήριον. Πλείους γὰρ ἂν εὕροιμεν διὰ τὸ κάλλος ἀθανάτους γεγενημένους ἢ διὰ τὰς ἄλλας ἀρετὰς ἁπάσας.

[61] Ὧν Ἑλένη τοσούτῳ πλέον ἔσχεν, ὅσῳ περ καὶ τὴν ὄψιν αὐτῶν διήνεγκεν. Οὐ γὰρ μόνον ἀθανασίας ἔτυχεν, ἀλλὰ καὶ τὴν δύναμιν ἰσόθεον λαβοῦσα πρῶτον μὲν τοὺς ἀδελφοὺς ἤδη κατεχομένους ὑπὸ τῆς πεπρωμένης εἰς θεοὺς ἀνήγαγε, βουλομένη δὲ πιστὴν ποιῆσαι τὴν μεταβολὴν οὕτως οὕτως αὐτοῖς τὰς τιμὰς ἐναργεῖς ἔδωκεν ὥσθ' ὁρωμένους ὑπὸ τῶν ἐν τῇ θαλάττῃ κινδυνευόντων σῴζειν, οἵτινες ἂν αὐτοὺς εὐσεβῶς κατακαλέσωνται. [62] Μετὰ δὲ ταῦτα τοσαύτην Μενελάω χάριν ἀπέδωκεν ὑπὲρ τῶν πόνων καὶ τῶν κινδύνων οὓς δι' ἐκείνην ὑπέμεινεν, ὥστε τοῦ γένους ἅπαντος τοῦ Πελοπιδῶν διαφθαρέντος καὶ κακοῖς ἀνηκέστοις περιπεσόντος οὐ μόνον αὐτὸν τῶν συμφορῶν τούτων ἀπήλλαξεν ἀλλὰ καὶ θεὸν ἀντὶ θνητοῦ ποιήσασα σύνοικον αὑτῇ καὶ πάρεδρον εἰς ἅπαντα τὸν αἰῶνα κατεστήσατο. [63] Καὶ τούτοις ἔχω τὴν πόλιν τὴν Σπαρτιατῶν τὴν μάλιστα τὰ παλαιὰ διασῴζουσαν ἔργῳ παρασχέσθαι μαρτυροῦσαν· ἔτι γὰρ καὶ νῦν ἐν Θεράπναις τῆς Λακωνικῆς θυσίας αὐτοῖς ἁγίας καὶ πατρίας ἀποτελοῦσιν οὐχ ὡς ἥρωσιν ἀλλ' ὡς θεοῖς ἀμφοτέροις οὖσιν.

[64] Ἐνεδείξατο δὲ καὶ Στησιχόρῳ τῷ ποιητῇ τὴν αὑτῆς δύναμιν· ὅτε μὲν γὰρ ἀρχόμενος τῆς ᾠδῆς ἐβλασφήμησέ τι περὶ αὐτῆς, ἀνέστη τῶν ὀφθαλμῶν ἐστερημένος, ἐπειδὴ δὲ γνοὺς τὴν αἰτίαν τῆς συμφορᾶς τὴν καλουμένην παλινῳδίαν ἐποίησε, πάλιν αὐτὸν εἰς τὴν αὐτὴν φύσιν κατέστησεν. [65] Λέγουσι δέ τινες καὶ τῶν Ὁμηριδῶν ὡς ἐπιστᾶσα τῆς νυκτὸς Ὁμήρῳ προσέταξε ποιεῖν περὶ τῶν στρατευσαμένων ἐπὶ Τροίαν, βουλομένη τὸν ἐκείνων θάνατον ζηλωτότερον ἢ τὸν βίον τὸν τῶν ἄλλων καταστῆσαι· καὶ μέρος μέν τι καὶ διὰ τὴν Ὁμήρου τέχνην, μάλιστα δὲ διὰ ταύτην οὕτως ἐπαφρόδιτον καὶ παρὰ πᾶσιν ὀνομαστὴν αὐτοῦ γενέσθαι τὴν ποίησιν.

[66] Ὡς οὖν καὶ δίκην λαβεῖν καὶ χάριν ἀποδοῦναι δυναμένην, τοὺς μὲν τοῖς χρήμασι προέχοντας ἀναθήμασι καὶ θυσίαις καὶ ταῖς ἄλλαις προσόδοις ἱλάσκεσθαι καὶ τιμᾶν αὐτὴν χρή, τοὺς δὲ φιλοσόφους πειρᾶσθαί τι λέγειν περὶ αὐτῆς ἄξιον τῶν ὑπαρχόντων ἐκείνῃ· τοῖς γὰρ πεπαιδευμένοις πρέπει τοιαύτας ποιεῖσθαι τὰς ἀπαρχάς.

[67] Πολὺ δὲ πλείω τὰ παραλελειμμένα τῶν εἰρημένων ἐστίν. Χωρὶς γὰρ τεχνῶν καὶ φιλοσοφιῶν καὶ τῶν ἄλλων ὠφελειῶν, ἃς ἔχοι τις ἂν εἰς ἐκείνην καὶ τὸν πόλεμον τὸν Τρωϊκὸν ἀνενεγκεῖν, δικαίως ἂν καὶ τοῦ μὴ δουλεύειν ἡμᾶς τοῖς βαρβάροις Ἑλένην αἰτίαν εἶναι νομίζοιμεν. Εὑρήσομεν γὰρ τοὺς Ἕλληνας δι' αὐτὴν ὁμονοήσαντας καὶ κοινὴν στρατείαν ἐπὶ τοὺς βαρβὰρους ποιησαμένους, καὶ τότε πρῶτον τὴν Εὐρώπην τῆς Ἀσίας τρόπαιον στήσασαν· [68] ἐξ ὧν τοσαύτης μεταβολῆς ἐτύχομεν ὥστε τὸν μὲν ἐπέκεινα χρόνον οἱ δυστυχοῦντες ἐν τοῖς βαρβάροις τῶν Ἑλληνίδων πόλεων ἄρχειν ἠξίουν, καὶ Δαναὸς μὲν ἐξ Αἰγύπτου φυγὼν Ἄργος κατέσχε, Κάδμος δὲ Σιδώνιος Θηβῶν ἐβασίλευσε, Κᾶρες δὲ τὰς νήσους κατῴκουν, Πελοποννήσου δὲ συμπάσης ὁ Ταντάλου Πέλοψ ἐκράτησεν, μετὰ δ' ἐκεῖνον τὸν πόλεμον τοσαύτην ἐπίδοσιν τὸ γένος ἡμῶν ἔλαβεν ὥστε καὶ πόλεις μεγάλας καὶ χώραν πολλὴν ἀφελέσθαι τῶν βαρβάρων. [69] Ἢν οὖν τινὲς βούλωνται ταῦτα διεργάζεσθαι καὶ μηκύνειν, οὐκ ἀπορήσουσιν ἀφορμῆς, ὅθεν Ἑλένην ἔξω τῶν εἰρημένων ἕξουσιν ἐπαινεῖν, ἀλλὰ πολλοῖς καὶ καινοῖς λόγοις ἐντεύξονται περὶ αὐτῆς.

X. ÉLOGE D'HÉLÈNE.

[1] Il est des hommes qui conçoivent une grande idée d'eux-mêmes, lorsque après avoir fait choix d'un sujet paradoxal ou bizarre, ils parviennent à le traiter d'une manière supportable, et qui vieillissent, les uns, en répétant qu'il est impossible de dire ou de contredire des mensonges, ou de composer deux discours en opposition sur le même sujet ; les autres, que la valeur, la sagesse, la justice, sont une seule et même chose; que nous ne tenons de la nature aucune de ces vertus, que l'éducation seule nous les transmet ; d'autres enfin consument leur existence dans des discussions sans utilité, qui ne peuvent qu'embarrasser l'esprit de leurs auditeurs.

[2] 2. Pour moi, si je voyais ces subtilités récemment introduites dans l'enseignement de l'éloquence, et si ces hommes pouvaient se vanter de la nouveauté de leur découverte, je serais moins étonné de leur orgueil ; mais qui pourrait aujourd'hui être assez en arrière de la science pour ne pas savoir que Protagoras et les sophistes de son temps nous ont laissé des écrits de la même nature, et encore beaucoup plus dépourvus de raison? [3] Qui pourrait, en effet, dépasser Gorgias, lorsqu'il a l'audace d'avancer que rien de ce qui est n'existe; ou Zénon, quand il veut démontrer que les mêmes choses sont possibles et ne le sont pas; ou bien encore Mélissus, qui, lorsque la multitude des êtres est infinie, prétend trouver des preuves que leur universalité n'est qu'une seule et même chose?

[4] 3. C'est pourtant lorsque ces hommes ont montré, avec une si grande évidence, qu'il est facile de faire un discours mensonger sur un sujet quel qu'il puisse être, que nos sophistes s'agitent encore sur ce terrain. Ils devraient, au contraire, abandonnant un charlatanisme qui veut prouver par des paroles ce qui depuis longtemps est démontré faux par les faits, marcher à la poursuite de la vérité, enseigner à leurs disciples les choses qui se rattachent à notre vie politique, [5] et les exercer de manière à leur donner l'expérience des affaires, convaincus qu'il vaut mieux se former une opinion saine sur les choses utiles, que d'apprécier habilement des objets qui ne le sont pas, et posséder une légère supériorité dans les grandes choses , plutôt que d'exceller dans les petites, dans celles qui ne contribuent en rien au perfectionnement de la vie.

[6] 4. Mais nos sophistes ne sont occupés que d'un seul soin, celui de s'enrichir aux dépens des jeunes gens; or la science des discussions a la puissance «le produire ce résultat, parce que ceux qui n'ont aucun souci ni des intérêts privés, ni des intérêts publics, se plaisent surtout aux discours entièrement dépourvus d'utilité.

[7] 5. On doit accorder une grande indulgence aux jeunes gens qui se laissent entraîner dans cette voie ; la jeunesse, dans toutes les affaires, est naturellement portée ù l'exagération et au merveilleux ; mais les hommes qui ont la prétention d'instruire méritent d'être blâmés, lorsque après avoir accusé ceux qui trompent dans les contrats et qui font de leur éloquence un usage contraire à la justice, ils agissent eux-mêmes d'une manière plus répréhensible encore. Les premiers nuisent à des hommes qui leur sont étrangers, les autres nuisent surtout à leurs propres disciples.

[8] 6. Ils ont tellement fait prospérer l'art de débiter des mensonges, qu'en les voyant s'enrichir par de tels moyens, il se rencontre des hommes qui osent écrire que la vie des mendiants et des bannis est plus digne d'envie que toute autre. Ils concluent de la faculté qu'ils ont de dire quelques paroles sur de misérables sujets, qu'il leur serait facile de trouver en abondance des expressions pour des sujets nobles et utiles. [9] Mais ce qui me paraît le comble du ridicule, c'est de chercher à persuader par de semblables discours qu'ils possèdent la science des choses politiques, quand ils pourraient, dans leurs promesses mêmes, donner la preuve de ce qu'ils avancent. Il ne convient pas à ceux qui disputent le prix de la sagesse, et qui se vantent d'être sophistes, de l'emporter sur le vulgaire en se montrant supérieurs dans les choses que tout le monde néglige, mais de se signaler dans celles qui sont l'objet d'une émulation universelle. [10] Ils agissent à peu près comme le ferait un homme qui, après s'être proclamé le plus fort des athlètes, descendrait dans une arène où personne ne daignerait le suivre. Quel est, parmi les hommes de bon sens, celui qui entreprendrait l'éloge des calamités? Il est évident que ces hommes ne cherchent qu'un refuge pour leur faiblesse ; [11] car il n'existe pour ces sortes d'écrits qu'une seule voie, qu'il n'est pas difficile de trouver, d'apprendre et de suivre, tandis que les discours d'une utilité générale, les discours dignes de foi, et ceux que l'on peut leur assimiler , exigent do celui qui les compose et les prononce une variété de formes, une convenance d'expressions, qu'il est difficile de connaître et d'appliquer; et la composition en est d'autant plus laborieuse qu'il faut se donner plus de travail pour parler avec noblesse que pour briller par la légèreté, pour être grave que pour être enjoué. En voici la plus grande preuve : [12] jamais ceux qui ont voulu louer ou les abeilles, ou le sel, ou de semblables objets , n'ont manqué d'expressions pour rendre leur pensée ; mais ceux qui ont entrepris de parler de choses universellement reconnues pour nobles et grandes, ou de célébrer des bouillies distingués par leur vertu, sont tous restés de beaucoup au-dessous de la vérité. [13] Il n'appartient pas au même génie de s'exprimer convenablement sur ces deux natures d'objets; car, s'il est facile de dépasser par ses paroles le sujet que l'on traite lorsqu'il a peu d'importance , il est difficile d'atteindre à la hauteur de celui qui commande l'admiration. Pour les choses qui ont de l'éclat, il est rare de rencontrer des pensées qui n'aient encore été exprimées par personne ; tandis que, pour celles qui sont dépourvues d'élévation ou de valeur, il est nécessaire que l'orateur les tire de son propre fonds.

[14] 7. Voilà pourquoi, parmi les hommes qui ont voulu prêter à un sujet l'éclat de leur éloquence, je loue surtout celui qui a écrit un éloge d'Hélène ; parce qu'il a rappelé la mémoire d'une femme au-dessus de toute comparaison par sa beauté, sa naissance et sa renommée. Toutefois une erreur légère a échappé a son jugement : il dit qu'il a écrit l'éloge d'Hélène, et il se trouve avoir fait l'apologie de ses actions. [15] Mon discours n'est pas de la même nature, il ne porte pas sur les mêmes objets; ou plutôt il est conçu dans un ordre d'idées contraire. Ou fait l'apologie de ceux qui sont accusés d'avoir blessé la justice : on loue ceux qui se distinguent par quoique noble qualité.

8. Mais, afin qu'on ne puisse pas m'accuser de faire ce qui est toujours facile , c'est-à-dire de blâmer les autres sans rien produire de moi-même, je vais essayer de parler d'Hélène, en laissant de côté tout ce qui a été dit avant moi.

[16] 9. Je commencerai mon discours à l'origine de sa race. Beaucoup de demi-dieux sont nés de Jupiter ; mais Hélène est la seule femme dont il ait voulu être appelé le père. Bien que le fils d'Alcmène et les fils de Léda fussent l'objet particulier de ses soins, il honora Hélène d'une telle prédilection , qu'après avoir doué Hercule de la force qui peut tout dompter, il donna à Hélène la beauté qui subjugue la force elle-même. [17] Sachant que la renommée et la gloire ne sont pas filles du repos, mais de la guerre et des combats, et voulant non seulement placer Hercule et Hélène parmi les dieux, mais rendre leur mémoire immortelle, à l'un il donna une vie pleine de travaux et de dangers ; et il répandit sur l'autre une beauté digne d'attirer tous les regards et d'être disputée les armes à la main.

[18] 10. Et d'abord Thésée, que l'on nomme le fils d'Égée, quoique, dans la réalité, il doive le jour à Neptune, la voyant à une époque où elle n'était pas encore sortie de l'enfance, mais où déjà sa beauté éclipsait celle de toutes les jeunes filles de son âge, se sentit tellement subjugué par ses charmes que, bien qu'il fût accoutumé à commander aux autres hommes, et qu'il fût à la fois chef de la patrie la plus puissante et possesseur de la royauté la plus assurée, il ne crut pas qu'au sein même des prospérités dont il jouissait, la vie put avoir quelque prix pour lui, s'il n'unissait sa destinée à celle d'Hélène; [19] et, quand il reconnut qu'il était impossible de l'obtenir de ceux qui disposaient de son sort, qu'ils attendaient, d'une part, l'âge où elle remplirait les conditions de l'hyménée, de l'autre, une réponse de l'oracle d'Apollon , sans calculer la puissance de Tyndare, sans considérer la force de Castor et de Pollux, sans tenir compte des dangers qui pouvaient le menacer du côté de Lacédémone, il l'enleva, la conduisit dans Aphidna, au sein de l'Attique, et la reconnaissance qu'il éprouva pour Pirithoüs, qui lui avait prêté son appui dans cet enlèvement, fut si grande que, celui-ci aspirant à la possession de Proserpine, fille de Jupiter et de Cérès, et lui ayant demandé de l'accompagner dans sa descente aux enfers, Thésée, après avoir fait de vains efforts pour l'en détourner par ses conseils, le suivit malgré l'évidence du danger, croyant devoir à Pirithoûs, comme prix des périls qu'il avait bravés pour lui, de ne refuser aucune de ses demandes.

[21] 11. Si l'homme qui a fait de telles choses était un homme du vulgaire, et s'il n'avait pas montré une incontestable supériorité, on se demanderait, peut-être, si ce discours présente l'éloge d'Hélène ou l'accusation de Thésée; mais, parmi tous ceux qui se sont illustrés, nous trouvons que l'un a manqué de force, qu'un autre a manqué de prudence , un antre de quelque autre qualité, tandis que Thésée n'a été privé d'aucune et a ainsi possédé une vertu complète. [22] Il me semble donc convenable de m'exprimer à son égard avec plus d'étendue; car je crois que le moyen le plus sur d'inspirer de la confiance à ceux qui veulent louer Hélène, est de montrer que les hommes qui l'ont aimée et admirée étaient des hommes dignes de plus d'admiration que les autres.

12. Pour juger les événements arrivés de notre temps, il est naturel de prendre nos propres sentiments pour guides; mais, lorsqu'il s'agit de faits qui remontent à une aussi haute antiquité , il est nécessaire que l'on nous voie en harmonie avec les sages qui ont vécu à cette époque. [23] Ce que je puis dire de plus glorieux pour Thésée, c'est qu'étant né dans le même temps qu'Hercule, il s'est créé une renommée qui rivalise avec celle de ce héros. Non seulement on les vit l'un et l'autre se revêtir d'armes semblables, mais aussi se consacrer aux mêmes travaux; et en cela ils agissaient d'une manière qui convenait à leur commune origine. Fils de deux frères, l'un de Jupiter, l'autre de Neptune, leurs inclinations présentaient une véritable fraternité. Seuls, en effet, dans toute l'antiquité, ils se sont constitués les défenseurs de la vie des hommes.

13. Il arriva toutefois que l'un dut braver des périls plus grands, plus glorieux, [24] l'autre des dangers plus utiles, plus spécialement liés aux destinées de la Grèce. Eurysthée ordonna à Hercule de conduire devant lui les taureaux d'Erythée, de lui apporter les pommes du jardin des Hespérides, de lui amener Cerbère, et il lui imposa divers travaux de la même nature, qui, sans utilité pour les autres, devaient l'exposer aux plus grands dangers; [25] Thésée, maître de lui-même, choisit, entre tous les périls, ceux qui devaient montrer en lui le bienfaiteur de la Grèce ou de sa patrie. Il attaqua le taureau envoyé par Neptune, qui ravageait l'Attique; les populations réunies n'osaient lutter contre ce formidable ennemi : Thésée, seul, le terrassa et délivra les habitants de son pays d'une immense terreur et des plus cruelles anxiétés. [26] Ayant ensuite fait alliance avec la nation des Lapithes, il marcha contre les Centaures, monstres à la double nature, également redoutables par leur rapidité à la course, leur force et leur audace; ils avaient saccagé une partie des villes grecques, se préparaient à en attaquer d'autres, et les menaçaient toutes d'une entière destruction. Thésée, les ayant vaincus dans un combat, mit immédiatement un terme à leur insolence, et fit bientôt disparaître leur race de la surface la terre. [27] Vers le même temps, le monstre nourri dans la Crète, né de Pasiphaé, fille du Soleil, devait recevoir le tribut de deux fois sept jeunes enfants, qu'Athènes lui envoyait pour obéir à l'oracle. Thésée , voyant les victimes, accompagnées par le peuple entier, s'avancer vers une mort injuste, inévitable, et assister pleines de vie aux larmes que leur mort faisait répandre, se sentit enflammé d'une telle indignation qu'il préféra mourir, plutôt que de vivre et de régner sur une ville condamnée à payer à ses ennemis un si déplorable tribut. Il monte avec les victimes sur le vaisseau; [28] il fait voile vers la Crète; et, vainqueur de cette nature mêlée de l'homme et du taureau , qui réunissait en elle la double force inhérente à cette double origine, il rend à leurs parents les enfants qu'il a sauvés, et délivre sa patrie d'une servitude si injuste, si barbare, si difficile à faire cesser.

[29] 14. Ici, j'éprouve une sorte d'incertitude sur le parti que je dois prendre relativement à la suite de mon discours : je viens de parler des hauts faits de Thésée, et j'ai commencé à exprimer mon opinion à leur égard ; maintenant j'hésite à m'arrêter, et à passer sous silence la scélératesse de Sciron , de Cercyon et des autres brigands de la même nature, contre lesquels Thésée a signalé son courage, en délivrant la Grèce des plus affreuses calamités : d'un autre côté, je sens que je suis entraîné en dehors de mon sujet, et je crains de paraître aux jeux de quelques hommes plus occupé de Thésée que de celle que j'ai présentée d'abord comme le sujet de mon discours. [30] Placé entre ces deux écueils, je préfère, pour échapper au blâme des auditeurs difficiles , abandonner la plupart des exploits de Thésée, et parler des autres le plus brièvement possible. J'agis ainsi pour leur être agréable, me satisfaire moi-même, et pour n'être pas complètement vaincu par des hommes accoutumés à céder aux suggestions de l'envie et à blâmer tout ce qu'ils entendent.

[31] 15. Thésée a manifesté sa valeur dans les dangers où il s'est exposé seul ; sa science pour la guerre, dans les combats qu'il livra à la tête des armées de sa patrie; sa piété envers les dieux, dans l'accueil que trouvèrent auprès de lui les supplications d'Adraste et celles des enfants d'Hercule. Il a sauvé ces derniers en remportant une victoire sur les armées du Péloponnèse ; les soldats d'Adraste, frappés par le fer des Thébains sous les murs de la Cadmée, lui ont dû les honneurs de la sépulture ; enfin, il a montré sa constance et sa sagesse, non seulement dans les faits que nous avons rappelés, mais surtout dans la manière dont il a gouverné sa patrie.

[32] 16. Il voyait ceux qui aspirent à dominer leurs concitoyens par la force devenir eux-mêmes les esclaves d'autres hommes, et ceux qui préparent une existence pleine de dangers pour les autres vivre dans des craintes continuelles et dans l'obligation de faire la guerre, d'une part, avec leurs concitoyens, contre les ennemis de leur pays ; de l'autre, avec des soldats étrangers contre leurs concitoyens. [33] Il  les voyait dépouiller les temples des dieux, donner la mort aux meilleurs citoyens, se défier de leurs parents les plus proches, et vivre dans les mêmes anxiétés que les malfaiteurs qui attendent, chargés de chaînes, le moment de leur supplice : il les voyait au dehors un objet de jalousie, et, dans l'intérieur de leur palais, en proie à plus de calamités que les hommes d'une condition vulgaire [34] (qu'y a-t-il, en effet, de plus cruel que de vivre constamment dans la crainte d'être immolé par quelqu'un de ceux qui nous approchent, et de redouter les satellites qui nous gardent, à l'égal des ennemis qui nous dressent des embûches?). Or Thésée, plein de mépris pour une semblable existence, et convaincu que les hommes qui sont dans cette position ne sont pas les princes, mais les fléaux de leur pays, montra qu'il était facile d'être roi, et de n'être pas moins heureux que les citoyens qui vivent sous l'empire d'une loi égale pour tous.

[35] 17. Et d'abord, réunissant les bourgs séparés qui formaient la cité d'Athènes, il donna à sa patrie un tel accroissement qu'elle a été, à partir de cette époque, et qu'elle est encore aujourd'hui la plus grande des villes de la Grèce. Ayant ensuite rendu la patrie commune à tous, et affranchi, en quelque sorte, l'Ame de ses concitoyens, il ouvrit des chances égales à la vertu pour arriver aux honneurs ; persuadé qu'il ne serait pas moins puissant si les citoyens participaient aux affaires publiques que s'ils y restaient étrangers, et regardant les hommages offerts par des hommes qui ont l'Ame élevée comme plus flatteurs et plus doux que ceux qui soit arrachés à des esclaves. [36] Il était si loin de rien faire contre le vœu de ses concitoyens, qu'il institua le peuple arbitre du gouvernement, tandis que le peuple eut désiré qu'il régnât seul ; convaincu qu'entre ses mains, la monarchie était plus fidèle aux lois, plus exacte observatrice de la justice, que leur propre démocratie. Contre l'usage de ceux qui disposent du pouvoir souverain, il ne faisait pas supporter le poids des travaux par le peuple, et ne réservait pas pour lui seul les jouissances du trône; mais, revendiquant pour lui les dangers, il partageait les avantages entre tous. [37] Aussi accomplit-il sa vie, non pas au milieu des embûches, mais entouré de l'affection de ses peuples; non pas appuyé sur une force étrangère pour maintenir son pouvoir, mais gardé par l'amour de ses concitoyens. En un mot, roi par la puissance, et chef populaire par les bienfaits , il gouverna sa patrie d'une manière si noble et si conforme aux lois, qu'aujourd'hui même on trouve encore dans nos mœurs des traces de la douceur de sou gouvernement.

[38] 18. Comment ne faudrait-il pas louer et honorer une fille de Jupiter qui a fait fléchir une si noble vertu, une si haute sagesse? et comment ne pas la considérer comme de beaucoup supérieure à toutes les femmes qui jamais ont existé ? Non, il n'est pas possible de produire un témoin plus digne de foi, un juge plus éclairé des perfections d'Hélène, que la haute intelligence de Thésée. Mais, pour que l'on ne m'accuse pas de m'arrêter sur cette seule considération, à cause de l'insuffisance de mon sujet, et d'abuser de la gloire d'un homme célèbre pour relever celle d'Hélène, je reprends la suite des faits.

[39] 19. Après la descente de Thésée aux enfers, Hélène revenue à Lacédémone, et ayant atteint l'âge où son hymen pouvait être recherché, tous les princes et tous les rois qui régnaient alors éprouvèrent à son égard le même sentiment que Thésée. Ils pouvaient choisir, dans leur pays, les femmes les plus distinguées; mais, dédaignant les alliances que leur offrait leur patrie, ils vinrent à Sparte solliciter la main d'Hélène. [40] Celui qui devait s'unir à elle n'était pas encore désigné, et les chances de la fortune étaient entières; mais il était si évident qu'elle deviendrait une cause de guerre pour tous, qu'ils se réunirent et s'engagèrent par des serments réciproques à secourir celui qui aurait été jugé digne de la posséder, si un autre la lui enlevait; chacun croyait ainsi se préparer un appui dans l'avenir, [41] et tous , à l'exception d'un seul, s'abusaient dans leur espérance , mais aucun ne se trompait dans la haute opinion qu'ils avaient tous conçue d'elle.

20. Une lutte pour la palme de la beauté s'étant élevée peu de temps après entre les déesses, Alexandre, fils de Priam, fut choisi par elles pour juge. Junon lui promettait l'empire de toute l'Asie; Minerve lui assurait la victoire sur ses ennemis; [42] Vénus lui offrait la main d'Hélène. Il n'était pas en son pouvoir de se former un jugement sur les charmes des trois déesses, mais, ébloui par l'éclat de leur beauté, il était contraint de juger d'après la valeur des dons qui lui étaient offerts. Il choisit la possession d'Hélène comme un bien supérieur à tous les autres avantages, et en cela il n'était pas entraîné par l'attrait des voluptés, encore que des hommes sages les regardent comme préférables à beaucoup d'autres biens ; [43] mais telle n'était pas sa pensée : il voulait devenir le gendre de Jupiter, considérant cet honneur comme plus grand, plus éclatant, que l'empire même de l'Asie. Il voyait de puissants royaumes, de glorieuses dynasties, tomber entre les mains d'hommes méprisables, tandis que jamais un mortel, dans les siècles à venir, ne pourrait être jugé digne de posséder une telle femme ; et de plus, il comprenait qu'il ne pouvait préparer à ses enfants un plus bel héritage que l'honneur de descendre de Jupiter par leur père et par leur mère. [44] Il savait que les autres faveurs de la fortune passent bientôt dans des mains étrangères, mais qu'une noble origine est un patrimoine éternel, et que la splendeur de son choix s'étendrait sur toute sa race, tandis que l'effet des autres dons ne pourrait dépasser le terme de sa vie.

[45] 21. Aucun esprit sensé ne condamnerait de tels calculs, et c'est seulement parmi les hommes qui, sans tenir compte des circonstances antérieures, ne voient que le fait accompli, qu'il s'en est trouvé quelques-uns qui l'ont blâmé avec injure. Leur démence, toutefois, est facile à reconnaître dans les reproches mêmes qu'ils lui adressent. [46] Comment, en effet, le ridicule ne s'attacherait-il pas à des hommes qui croient que leur intelligence surpasse celle qui a été honorée du choix des déesses ? N'est-il pas évident que, dans une lutte si importante à leurs yeux, elles n'avaient pas remis le droit de prononcer à un homme ordinaire, et qu'elles avaient apporté d'autant plus de soin à désigner le meilleur juge, qu'elles attachaient plus de prix à l'objet d'une si ardente rivalité ? [47] Il faut donc voir ce qu'il était, et l'estimer, non d'après le ressentiment de celles qui avaient succombé, mais d'après l'opinion qu'elles avaient conçue de lui, lorsque, délibérant ensemble, elles s'étaient déterminées à se soumettre à son jugement. Rien n'empêche d'être accablé par une puissance supérieure, alors même qu'on est innocent, mais obtenir un tel degré d'honneur, et, mortel, devenir l'arbitre des déesses, ne pouvait appartenir qu'à l'intelligence la plus élevée.

[48] 22. J'admire, au reste, que l'on puisse blâmer la résolution de celui qui a voulu passer sa vie près d'une femme pour laquelle un grand nombre de demi-dieux ont voulu mourir. N'eût-il pas été un insensé si, après avoir vu les déesses disputer avec tant d'ardeur la palme de la beauté, il eût méprisé cette faveur du ciel, et s'il n'eut pas regardé comme le bien le plus précieux un don auquel il voyait les déesses elles-mêmes attacher un si grand prix ?

[49] 23. Qui aurait pu dédaigner la possession d'Hélène, puisque, après son enlèvement, on voit  les Grecs transportes de la même colère que si la Grèce entière eût été ravagée, et les Barbares aussi fiers que s'ils nous eussent tous vaincus? Le sentiment qui enflammait les deux partis est évident, car de nombreux sujets de plaintes s'étaient élevés entre eux dans les temps antérieurs, et cependant ils étaient restés en paix : mais, dès qu'il s'agit d'Hélène, ils se firent une guerre telle que jamais l'on n'en vit une semblable, non seulement par la fureur qui animait les combattants, mais par la durée du temps et par l'immensité des préparatifs. [50] Les uns pouvaient, en rendant Hélène, s'affranchir des maux qu'ils souffraient; les autres, en l'abandonnant, pouvaient passer le reste de leur existence dans une sécurité complète-, mais ni les uns ni les autres ne voulurent y consentir. Les Barbares regardaient d'un œil indifférent leurs villes saccagées, leur pays dévasté, pourvu qu'ils ne fussent pas obligés de remettre Hélène aux mains des Grecs; et les Grecs préféraient vieillir sur la terre étrangère et renoncer à revoir jamais leurs familles, plutôt que de revenir dans leur patrie en abandonnant Hélène. [51] Ils agissaient ainsi, non pour soutenir la querelle d'Alexandre et de Ménélas, mais les uns pour la cause de l'Asie, les autres, pour celle de l'Europe , tous également convaincus que celle des deux contrées qui posséderait Hélène serait la plus heureuse.

[52] 24. L'ardeur de s'associer aux travaux, de partager les dangers de cette grande expédition, était telle, non seulement parmi les Grecs et les Barbares, mais aussi parmi les dieux, que ces derniers ne détournaient même pas les héros auxquels ils avaient donné le jour de prendre part à la lutte engagée sous les murs de Troie. Jupiter prévoyait la mort de Sarpédon ; l'Aurore, celle de Memnon; Neptune, celle de Cycnus; Thétis, celle d'Achille; et pourtant ils les exhortaient à s'armer; ils les envoyaient à cette guerre, [53] convaincus qu'il était préférable de mourir en combattant pour la fille de Jupiter, que de vivre en se dérobant aux périls qu'on allait braver pour elle. Comment d'ailleurs s'étonner que les dieux aient éprouvé un tel sentiment à l'égard de leurs enfants, quand on les voit se livrer eux-mêmes des combats plus grands, plus terribles que ceux qu'ils avaient jadis soutenus contre les Géants? Contre les Géants, en effet, ils combattaient réunis; dans la guerre dont Hélène était l'objet, ils combattaient les uns contre les autres.

[54] 25. La résolution qu'ils prirent était conforme à la raison; et j'ai le droit, lorsque je parle d'Hélène, de me servir d'un langage si pompeux, car Hélène réunissait en elle la plupart des trésors dont la beauté se compose, et il n'est rien dans l'univers de plus auguste, de plus noble, de plus divin que la beauté. Il est facile de reconnaître sa puissance. Parmi les choses qui ne participent ni de la force, ni de la sagesse, ni de la justice, il en est un grand nombre qui sont plus honorées que chacune de ces vertus, tandis que, sans la beauté, nous ne trouvons rien qui nous charme, ou plutôt nous dédaignons tout ce qui n'est pas doué de ce précieux avantage, et la vertu est surtout admirée parce qu'elle est la beauté de l'âme. [55] On peut apprécier à quel point la beauté l'emporte sur toutes les choses qui existent, par la disposition où nous sommes à l'égard de chacune d'elles. Pour tous les autres objets, dans le moment où nous en ressentons le besoin , nous cherchons à les obtenir; au delà, ils n'exercent aucune action sur notre âme : mais l'amour de ce qui est beau existe en nous, avec une force d'autant plus supérieure à notre volonté que ce qui en est l'objet le mérite davantage. [56] Nous éprouvons de la jalousie à l'égard de ceux qui se distinguent par leur intelligence ou par quelque autre avantage, à moins que, nous attirant chaque jour par des bienfaits, ils ne nous forcent à les aimer; tandis que ceux qui ont la beauté en partage nous inspirent au premier aspect un tel sentiment de bienveillance que pour eux seuls, de même que pour les dieux, nous ne nous lassons jamais du culte que nous leur rendons ; [57] nous trouvons plus de douceur à leur obéir en esclaves qu'à commander aux autres hommes; et nous savons plus de gré à ceux qui multiplient leurs ordres qu'à ceux qui ne nous commandent rien. Nous poursuivons de nos injures, nous appelons vils flatteurs ceux qui subissent le joug d'un ascendant étranger, et nous considérons ceux qui se vouent au culte de la beauté comme des hommes distingués par l'intelligence et le bon goût. [58] Nous entourons d'un tel respect, d'un soin si religieux, ce don de la divinité que, parmi les êtres qui en sont doués , nous vouons à l'infamie ceux qui, séduits par un vil intérêt ou entraînés par de funestes conseils, flétrissent la fleur de leur jeunesse, et nous les méprisons plus encore que les êtres dégradés qui outragent dans les autres le sentiment de la pudeur: tandis que ceux qui gardent leur innocence dans sa pureté, qui en font comme un sanctuaire impénétrable aux méchants, sont l'objet de nos respects, et sont honorés dans tout le cours de leur vie , comme les auteurs d'un bienfait qui se répand sur la société tout entière.

[59] 26. Mais pourquoi nous arrêter à reproduire les opinions des hommes ? Jupiter, le maître de l'univers, se montre partout environné de l'éclat de sa puissance ; mais, dès qu'il veut s'approcher de la beauté, aussitôt sa fierté s'abaisse. S'il se rend pies d'AIcmène , c'est sous les traits d'Amphitryon ; il se répand en pluie d'or pour s'unir à Danaé ; c'est sous la forme d'un cygne qu'il se réfugie dans le sein de Némésis, et c'est encore sous cette forme qu'il devient l'époux de Léda; en un mot, on le voit toujours employer l'art, et non la force, pour soumettre la beauté. [60] La beauté est encore plus honorée chez, les dieux que chez les hommes; elle l'est à un tel point que les premiers pardonnent même à leurs compagnes de se laisser vaincre par elle : et nous pourrions nommer ici un grand nombre de déesses qui ont été subjuguées par lu beauté d'un mortel, sans qu'aucune ait jamais cherché à cacher sa défaite comme un acte honteux. Que dis-je? toutes ont voulu que la poésie célébrât leurs entraînements comme des faits glorieux, plutôt que de les ensevelir dans le silence. La preuve la plus grande de la vérité de mes assertions, c'est que la beauté a fait obtenir le don de l'immortalité à un plus grand nombre de mortels que tous les autres avantages.

[61] 27. Ces avantages, Hélène les a possédés dans un degré proportionné à la supériorité de ses charmes. Elle n'a pas seulement obtenu l'immortalité pour elle-même, mais, exerçant une puissance égale à celle de la divinité, elle a d'abord placé parmi les dieux ses frères, qui avaient déjà subi l'arrêt de la destinée; et, voulant assurer à leur apothéose une ferme croyance, elle leur a donné des privilèges si manifestes qu'aperçus au milieu des dangers de la nier, ils sauvent ceux qui les invoquent avec une piété sincère. [62] Elle a ensuite montré envers Ménélas une si grande reconnaissance pour les travaux et les périls qu'il avait affrontés pour elle, que, la race de Pélops ayant succombé tout entière, précipitée dans des malheurs irrémédiables, non seulement Hélène l'a préservé du destin funeste de sa famille , mais, de mortel, l'élevant au rang des dieux, elle a fait de lui pour jamais son compagnon et son époux. [63] Et je puis produire, comme témoin de ces faits extraordinaire, la ville de Sparte elle-même, cette ville si attentive à conserver les traditions antiques. Encore aujourd'hui, à Thérapné, au sein de la Laconie, se conformant à l'usage de leurs ancêtres, les Lacédémoniens offrent, au nom de la patrie, aux deux époux, de religieux sacrifices, non comme à des héros, mais comme à des dieux.

[64] 28. Hélène a aussi montre au poète Stésichorus l'étendue de sa puissance. Il avait placé au début d'une ode quelques traits acérés contre elle : il se lève, privé tout à coup de la lumière des cieux ; et, lorsqu'ensuite, ayant connu la cause de son infortune, il fit un de ces ouvrages que l'on nomme palinodies , Hélène le rétablit dans ses facultés premières. [65] Quelques auteurs, et même des disciples d'Homère, disent qu'Hélène lui apparut une nuit, et lui ordonna de faire un poème destine à célébrer les héros qui avaient combattu pour elle sous les murs de Troie, voulant montrer que leur mort était plus digne d'envie que l'existence des autres hommes. Si donc les poésies d'Homère offrent un charme si doux, et si leur renommée a rempli l'univers, c'est à son génie, sans doute, qu'il faut en partie l'attribuer; mais c'est surtout aux inspirations d'Hélène que l'honneur en appartient.

[66] 29. Hélène ayant la puissance de punir et de récompenser, il est juste que ceux qui possèdent des richesses lui rendent un culte et l'apaisent par des offrandes , des sacrifices et de pieuses supplications ; mais le devoir des philosophes est d'essayer de lui donner des louanges dignes de ses perfections : car c'est aux maîtres de la science qu'il appartient d'offrir de semblables hommages.

[67] 30. Les faits que nous passons sous silence sont en beaucoup plus grand nombre que ceux dont nous avons parlé. Car, sans rappeler ici les arts, les sciences, les institutions utiles, dont l'origine peut se rapporter à Hélène et à la guerre de Troie, la justice nous oblige à reconnaître que nous devons à Hélène d'avoir échappé au joug des Barbares. C'est à cause d'elle que les Grecs, réunis dans un même sentiment, ont fait en commun une expédition contre les Barbares, et que, pour la première fois, l'Europe a élevé un trophée sur l'Asie. [68] Le changement qui s'est opéré parmi nous, à partir de cette époque , a été si grand que, dans les temps antérieurs, les Barbares qui éprouvaient dans leur pays les rigueurs de la fortune se croyaient appelés à commander aux villes de la Grèce ; qu'ainsi Danaüs, fuyant d'Égypte, s'établissait dans Argos ; Cadmus, sorti de Sidon , fondait un royaume à Thèbes ; les peuples de la Carie envoyaient des colonies dans nos îles, et Pélops, fils de Tantale, soumettait le Péloponnèse entier; mais, depuis la guerre de Troie, on a vu notre nation prendre un tel accroissement que nous avons conquis sur les Barbares des villes considérables et un immense territoire. [69] Si donc quelques orateurs veulent traiter et développer ce sujet, les ressources ne leur manqueront pas : ils pourront louer Hélène, en dehors de ce que nous avons dit, et composer à sa louange des discours éloquents et nombreux.