table des matières de l'œuvre d'ISOCRATE
ŒUVRES COMPLÈTES D'ISOCRATE TRADUCTION NOUVELLE AVEC TEXTE EN REGARD LE DUC DE CLERMONT-TONNERRE (AIMÉ-MARIE-GASPARD) Ancien Ministre de la guerre et de la marine Ancien élève de l'École polytechnique TOME DEUXIÈME PARIS LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie Imprimeur de l'Institut, rue Jacob, 56. M DCCC LXIII
ÉLOGE D'ÉVAGORAS.
Εὐαγόρας
ARGUMENT. Évagoras, roi de Salamine dans l'île de Cypre, fut un des grands hommes de son temps. Il descendait de Teucer, qui, après la ruine de Troie, avait bâti la ville et fondé le royaume de Salamine. Il était, par conséquent, de la race des Éacides, dont tous les membres ont obtenu le plus haut degré de gloire entre leurs contemporains · on ne pouvait avoir une plus noble origine, et Évagoras s'en est montré digne dans toutes les circonstances de sa vie. Évagoras ne naquit pas sur le trône. Son père ayant accueilli à sa cour un exilé de Phénicie, et s'étant livré envers lui à un abandon de confiance plus grand que la sagesse ne le permet à un souverain, cet homme, habile et perfide, le trahit et s'empara de la royauté. Évagoras, quoique élevé dans les malheurs de l'exil, loin de laisser fléchir les puissances de son âme sous le poids de l'infortune, s'efforça de les développer avec une telle énergie que, dès sa jeunesse, on le considérait comme digne de parvenir au rang qu'avaient occupé ses ancêtres; mais, en même temps, la générosité de ses sentiments éloignait de lui la pensée de porter le trouble dans son pays pour le seul intérêt du rétablissement de ses droits, quelque justes qu'ils pussent être; il attendit, en se rendant déplus en plus capable de régner, qu'une circonstance heureuse, d'accord avec l'intérêt de sa patrie, lui ouvrît le chemin du trône. Lorsqu'elle se présenta, il n'hésita pas à la saisir. Un homme puissant conspira contre la vie du tyran, et, redoutant Évagoras, il essaya de l'envelopper dans la même destinée. Évagoras, échappé au danger, se retira à Soles en Cilicie, et bientôt, sans aucun secours étranger, à la tête de cinquante citoyens avec lesquels il s'était concerté, il entra de nuit dans Salamine, attaqua le tyran, le mit à mort et se trouva ainsi rétabli sur le trône de ses ancêtres. Une couronne si noblement reconquise devait nécessairement être portée avec gloire en même temps qu'assurer le bonheur du pays; et, sous ce double rapport, rien n'a manqué à la fortune d'Évagoras · le tyran avait non seulement séparé les intérêts de Salamine de ceux de la Grèce, mais il avait changé ses mœurs, il avait détruit sa civilisation; il l'avait asservie aux Barbares, en se faisant vassal du Grand Roi, et cherchait par tous les moyens à remplir le cœur de ses sujets de haine pour les Grecs. Évagoras rendit à sa patrie son organisation primitive; il lui rendit son existence politique et sa civilisation ; il l'affranchit du joug de la Perse, et, heureux dans toutes ses entreprises, il transmit à Nicoclès, son fils, le royaume de Salamine, plus puissant et plus florissant qu'il ne l'avait été sous le pouvoir de ses ancêtres. Évagoras, auquel rien n'échappait de ce qui pouvait ajouter à la renommée d'un prince, avait pour usage d'attirer à sa cour les hommes étrangers à son pays, qui s'étaient fait un nom dans les lettres ou dans les sciences, dans la politique ou dans la guerre. Il avait particulièrement distingué Isocrate, et placé en lui une telle confiance, qu'il l'avait chargé de donner à son fils Nicoclès, qui devait lui succéder, des leçons de philosophie et de morale dont il lui paya le prix avec une magnificence toute royale. Lorsqu'Évayoras mourut, Isocrate comprit qu'il devait élever à la mémoire de ce prince un monument qui pût contribuer à la rendre immortelle, en composant à sa louange un discours où son nom se trouverait nécessairement associé à celui d'Évagoras, dans les souvenirs de la postérité; il adressa ce discours à Nicoclès, dont il louait le respect manifesté pour son père dans les honneurs dont il avait environné ses funérailles. Et il ne craignit pas, dans ce discours, de dire que, s'il existait chez les morts quelque sentiment des choses de la terre, Évagoras accueillerait sans doute avec faveur l'hommage de sa piété filiale, mais qu'il éprouverait encore plus de reconnaissance pour l'orateur qui présenterait d'une manière digne de lui le tableau de son caractère, de ses mœurs, des dangers qu'il avait bravés et des grandes actions qu'il avait faites. Évagoras réunissait dans son enfance la modestie à la beauté; dans sa jeunesse, l'adresse à la force; devenu homme, il se signala par la sagesse de ses conseils, la fermeté de son caractère, et par le succès constant de toutes ses entreprises. Mais il a été surtout admirable par le courage avec lequel il a délivré son pays de la tyrannie et reconquis le royaume de ses pères. Pour en donner la preuve, Isocrate rapproche le rétablissement de Cyrus sur le trône des Mèdes de celui d'Évagoras sur le trône de ses ancêtres. Il considère le rétablissement d'Évagoras comme le plus glorieux; parce que Cyrus, quand il a conquis l'empire des Mèdes, était à la tête de l'armée perse, tandis qu'Évagoras a reconquis son royaume uniquement par sa valeur personnelle ; il ajoute qu'Évagoras a accompli ce grand acte sans blesser en rien la piété ni la justice, tandis que Cyrus a souillé ses exploits, en immolant l'auteur des jours de sa mère; et que, si les conquêtes et les guerres, toujours heureuses, qui ont rempli le règne d'Évagoras, prouvent qu'il n'eût pas hésité à entreprendre la grande expédition de Cyrus, celle-ci ne prouve pas que Cyrus eût abordé en personne les périls qu'Évagoras a surmontés. Les caractères distinctifs du génie d'Évagoras étaient la réflexion et la sagesse, qui se réunissaient en lui à la valeur personnelle, et de plus, comme nous l'avons fait observer, nul prince n'a mieux senti la nécessité de développer par l'étude les facultés de son intelligence. La sagesse de son administration fit le bonheur de ses sujets, en même temps que sa politique énergique et habile, son talent pour la guerre, sa loyauté dans l'accomplissement de toutes ses promesses, donnèrent au royaume de Salamine une grandeur et une puissance qu'il n'avait atteintes à aucune époque. Toutefois les titres d'Évagoras à la gloire et à l'immortalité ne se trouvent pas seulement dans ses grandes actions et dans le bien qu'il a fait à sa patrie en la plaçant au nombre des États indépendants par l'affranchissement du joug de la Perse, et en l'élevant au plus haut degré de civilisation; il n'en a pas conquis de moins nobles par les services qu'il a rendus à la Grèce, et dont un seul suffira pour montrer l'influence qu'il a exercée non seulement sur les grands événements de son époque, mais sur les destinées futures de la Grèce. Nous voulons parler de la part qu'il a prise dans les luttes des Grecs entre eux et contre les Perses. Lysandre avait terminé la guerre du Péloponnèse par la célèbre bataille d'Aegos-Potamos (404 avant J.-C), et Sparte avait reconquis la suprématie de la Grèce. Pour assurer sa domination, elle avait conclu avec Artaxerxés- Mnémon (387 av. J.-C.) le honteux traité qui porte le nom d'Antalcidas, par lequel elle cédait au Roi la souveraineté de l'Asie Mineure. Mais les Lacédémoniens, se livrant à l'impulsion de leur cupidité, aussi bien que de leur ambition, la guerre s'était bientôt rallumée entre eux et le Roi, et, d'un autre côté, ils tyrannisaient les Grecs et humiliaient les Athéniens. Évagoras, ennemi naturel du roi de Perse, à la suzeraineté duquel il avait arraché son pays, était resté l'ami fidèle et actif d'Athènes, qui lui avait témoigné une première fois sa reconnaissance en l'admettant, par une loi, au nombre de ses citoyens. Le roi de Perse se trouvant ami d'Athènes depuis qu'il était ennemi de Sparte, Évagoras avait cessé d'être en hostilité contre lui; d'un autre côté, Conon, obligé de fuir son pays, s'était réfugie chez Évagoras, et bientôt ces deux grands hommes, unis par la plus profonde sympathie, n'avaient eu qu'une seule pensée, celle de rendre à Athènes son ancienne puissance et la suprématie de la Grèce. Ils réunirent donc le plus de forces qu'ils purent, et persuadèrent en même temps aux généraux du Roi, qu'ils voyaient incertains sur le parti qu'ils devaient prendre, d'attaquer les Lacédémoniens sur mer plutôt que sur terre, dans la pensée que si les Lacédémoniens étaient vaincus, la Grèce aurait sa part des fruits de la victoire, tandis que s'ils étaient vainqueurs, l'Asie supporterait seule les calamités de la guerre dont elle deviendrait le théâtre. La fortune seconda cette habile politique · les Lacédémoniens furent vaincus ; Athènes fut replacée à la tête de la Grèce, et, après dix années d'une guerre dont Évagoras avait supporté la plus forte partie, le roi de Perse se vit obligé de faire pour lui ce que jamais aucun roi de Perse n'avait fait pour un vassal révolté, c'est-à-dire, de reconnaître son indépendance. Ainsi ce fut Évagoras qui replaça la Grèce dans la position dont le développement devait amener, à l'époque d'Alexandre, le renversement de l'empire des Perses ; et certes, un tel service rendu à la Grèce est un titre de gloire qui peut être placé à côté de ceux qu'il a mérités en relevant aussi haut l'existence de son pays. Les Athéniens, qui lui devaient d'avoir reconquis la suprématie de la Grèce, lui élevèrent une statue en même temps qu'à Conon, et placèrent ces deux statues près de celle de Jupiter Sauveur, pour être un monument de la gloire et de l'amitié de ces deux grands hommes, et de la reconnaissance qu'ils leur portaient. SOMMAIRE. EXORDE. —1. Nicoclès, je pensais que s'il existe chez les morts quelque sentiment des choses de la terre,Évagoras devait recevoir avec bienveillance l'hommage de votre piété filiale, et considérer avec satisfaction le magnifique appareil déployé par vous dans ses funérailles; mais il me semblait qu'il éprouverait une plus grande reconnaissance encore pour celui qui, dans un discours digne de ses vertus comme de ses actions, transmettrait sa renommée chez les races futures, hommage que préfère à tous les autres quiconque a une âme grande et généreuse. — 2. Jusqu'ici, l'usage n'était pas établi de louer nos contemporains après leur mort ; mais comme l'envie pourrait seule s'opposer à des louanges de cette nature d'autant plus propres à exciter les jeunes gens à la vertu que l'orateur est obligé de se conformer à la vérité, je crois qu'il est utile de réparer une omission blâmable, et d'accorder à chacun les éloges qu'il mérite. — 3. Je sens qu'il est difficile de louer les hommes supérieurs dans un discours écrit en prose, et je pardonne aisément aux orateurs qui s'en sont abstenus, parce que les poètes ont à leur disposition une multitude d'ornements qui manquent aux orateurs ; mais ce n'est pas une raison suffisante pour s'abstenir; il faut, au contraire, tenter la fortune et voir si les hommes distingués ne peuvent pas être loués par un orateur, aussi bien que par les poètes. — 4. Confirmation. Comme Évagoras, ainsi que tout le monde le sait, n'a dégénéré en rien des vertus dont ses ancêtres lui avaient transmis les plus beaux et les plus nobles exemples, il convient déparier de son origine et des grands hommes dont il est issu. — 5. Éacus, auteur de la race des Teucrides, dont Évagoras tire sou origine, l'emporta sur les demi-dieux sortis du sang de Jupiter, à tel point que les Grecs, délivrés par son secours d'une famine désastreuse, lui élevèrent en commun un temple à Égine et publièrent qu'après sa mort il avait été appelé à siéger comme juge aux enfers avec Proserpine et Pluton. — 6. Télamon et Pélée furent les fils d'Eacus. Le premier, ayant accompagné Hercule dans la guerre contre Laomédon, reçut le prix de la valeur· Pelée, après avoir signalé son courage dans le combat contre les Centaures, obtint eu mariage, quoique mortel, Thétis, fille de Nérée, qui était immortelle. — 7. Achille dut le jour à Pélée · Ajax et Teucer à Télamon. Achille fui le plus illustre des guerriers qui combattirent sous les murs de Troie ; Ajax obtint le second rang par sa valeur; Teucer, après avoir combattu vaillamment contre les Troyens, aborda dans l'île de Cypre, bâtit Salamine, et sa famille y règne encore aujourd'hui. — 8. Salamine ayant été fondée de cette manière, les descendants de Teucer y régnèrent pendant les premiers temps ; mais, dans la suite, un exilé venu de la Phénicie, accueilli par le roi qui régnait alors, ayant acquis une grande puissance, chassa son bienfaiteur et, violant les devoirs de l'hospitalité, s'empara du royaume. — 9. C'est dans de telles circonstances qu'Évagoras vint au monde. Je passerai sous silence les choses qui ne sont connues que d'un petit nombre de personnes, et je commencerai mon discours par celles dont un consentement universel a établi la vérité.— 10. Enfant, il se distingua par sa beauté, sa force et sa modestie ; parvenu à l'âge d'homme, ces qualités s'accrurent toutes ensemble, et l'on vit s'y réunir le courage, la sagesse et la justice, avec une supériorité telle, que ceux qui régnaient alors sur Salamine croyaient qu'il ne pourrait se contenter d'une position privée, en même temps qu'ils demeuraient persuadés que jamais il ne leur dresserait d'embûches. — 11. Bien qu'ils eussent de lui deux opinions si opposées, ils ne se trompèrent ni dans l'une ni dans l'autre. Un des hommes puissants de Salamine donna la mort au tyran ; et comme il voyait dans la mort d'Évagoras une condition évidente de sécurité pour son pouvoir, Évagoras se réfugia à Soles, en Cilicie ; puis, dédaignant les fugitifs et les vagabonds, il entreprit de s'ouvrir le retour dans sa patrie avec cinquante hommes seulement, disent la plupart des historiens, ce qui montre el son courage et l'ascendant qu'il exerçait sur ses compagnons. — 12. Avec ce petit nombre d'hommes, il ne chercha point à s'établir dans une position fortifiée; mais, dès la nuit même de son débarquement, il brisa une des portes de la ville, attaqua le palais, et ne cessa de combattre contre les satellites du tyran, que lorsqu'il se fut emparé de la demeure royale, qu'il eut fait rentrer sa famille dans ses honneurs héréditaires et qu'il se fut constitué maître et souverain de la ville.— 13. Quoique la valeur d'Évagoras et la grandeur de ses actions apparaissent déjà dans ce qui vient d'être dit, je crois pouvoir les présenter sous un jour plus éclatant encore. — 14. Si l'on examine l'histoire des rois de tous les temps, on n'en trouvera pas un qui ait acquis la royauté d'une manière plus honorable ; mais, pour atteindre plus rapidement notre but, nous nous bornerons à le comparer aux plus illustres d'entre eux.— 15. Qui pourrait être assez lâche, assez dépourvu d'énergie, pour préférer recevoir par hérédité un royaume paisiblement acquis, plutôt que de transmettre à ses enfants, comme l'a fait Évagoras, une royauté si saintement reconquise ? — 16. Parmi les restaurations de royautés héréditaires, les plus célèbres sont celles dont le souvenir nous a été conservé par les poètes; aucun d'eux cependant ne nous présente un prince revenu dans le royaume de ses pères à travers de si grands, de si redoutables périls ; et tous ceux qu'ils ont célébrés sont rentrés dans leurs États, les uns par une faveur de la fortune, les autres par la perfidie et la ruse. — 17. Cyrus, qui est de tous les rois le plus admiré par la postérité pour s'être emparé du trône de Perse, a vaincu les Mèdes à la tête, de son armée ; tandis qu'Évagoras a évidemment exécuté, par l'énergie de son âme et par sa valeur personnelle, la plupart des choses qu'il a faites. Évagoras n'a immolé que ses ennemis, tandis que Cyrus a donné la mort au père de sa mère; de sorte que, s'il est permis de s'exprimer en peu de mots et avec une liberté entière, personne, parmi les mortels, les immortels ou les demi-dieux, n'a acquis une royauté avec plus de noblesse, de grandeur et de justice, que ne l'a fait Évagoras. — 18. Or, lorsqu'un homme a conquis de la manière la plus noble ce qu'il y a de plus noble au monde, comment pourrait-on lui donner des louanges à la hauteur de ses actions? — 19. Si d'ailleurs Évagoras a excellé dans les choses dont nous venons de parler, on ne le trouvera pas inférieur dans tout le reste de sa vie. Quelle que fût la puissance de son génie, il ne faisait rien au hasard ou avec négligence ; mais il employait la plus grande partie de son temps à examiner et à réfléchir, tenant pour certain que la mesure de son intelligence serait celle de la prospérité de son règne, et c'est en suivant ce principe plein de sagesse, à l'aide duquel il était parvenu au trône, qu'il administra son royaume. Rempli d'activité dans les négociations, laborieux, attentif à ce qui se passait autour de lui, on ne le vit jamais commettre une injustice; il honora les bons, châtia les méchants, et gouverna sa patrie avec tant de piété et d'humanité, que le roi et les citoyens étaient considérés comme également heureux. Bien qu'il n'eût besoin des conseils de personne, il consultait néanmoins ses amis, se rendait souvent à leurs avis ; mais il ne faisait jamais de concessions à ses ennemis; fidèle observateur de l'ordre, constant dans ses pensées, sa simple parole était aussi scrupuleusement exécutée que si elle eût été sanctionnée par un serment. Homme de cœur, sachant s'attacher les autres hommes, redoutable par la supériorité de son génie, commandant aux voluptés et ne se laissant pas dominer par elles, il savait, avec peu de travail, se procurer beaucoup de loisir, et ne se préparait pas de nombreux travaux en se livrant à de futiles jouissances. Les faits établissent d'ailleurs qu'il possédait beaucoup d'autres qualités. — 20. Il fit refleurir et accrut la prospérité de sa patrie, qui avait fléchi sous l'empire des Phéniciens; il la rendit si puissante, que ceux qui auparavant la méprisaient, la redoutaient maintenant qu'il était à sa tête. Il n'inspira pas seulement à sa patrie des sentiments de modération et de douceur, il les inspira à l'île tout entière, à tel point que les habitants qui, avant lui, étaient inabordables et cruels pour les Grecs, sont aujourd'hui tellement changés qu'ils rivalisent d'affection pour eux, prennent des femmes grecques pour épouses, ils attachent avec plaisir aux études et aux arts de la Grèce. — 21. Aussi un grand nombre de Grecs, hommes de probité et d'honneur, sont-ils venus habiter Cypre, parmi lesquels je nommerai seulement Conon, qui, après la funeste bataille d'Aegos-Potamos, pensa que Cypre serait la retraite la plus sûre pour lui, comme la plus utilement choisie dans l'intérêt de sa patrie. Et il ne se trompa point dans celle espérance ; car aussitôt qu'il fut entré en communication avec Everglades, tous les deux s'estimèrent mutuellement, et furent unanimes dans le dessein de rétablir la puissance de notre ville. Leur âme était profondément blessée de voir Athènes soumise à l'empire de Lacédémone. Tandis qu'ils délibéraient sur le moyen de l'arracher à une aussi grande infortune, les Lacédémoniens leur offrirent l'occasion qu'ils cherchaient. Enflammés d'une insatiable cupidité, les Lacédémoniens affectaient l'empire de toute l'Asie; Évagoras et Conon firent comprendre aux généraux du Roi qu'il ne fallait pas combattre les Lacédémoniens sur terre, qu'il fallait les attaquer sur mer, afin que non seulement l'Asie, mais la Grèce entière prît part aux fruits de la victoire. C'est, en effet, ce qui arriva· les Lacédémoniens furent vaincus par Conon, avec le secours d'Évagoras, dans les parages de Cnide ; ils furent privés de l'empire; les Grecs recouvrèrent leur liberté ; notre ville reconquit une partie de son ancienne gloire ; et, comme prix de si grands bienfaits, nous avons élevé à Conon et à Évagoras des statues près de celle de Jupiter Sauveur, pour être, à la fois, un monument de l'immense service rendu à la Grèce, et de l'étroite amitié qui les unissait. — 22. Le roi de Perse, toutefois, ne fut pas disposé de la même manière que les Athéniens à leur égard; il conçut d'Évagoras une si grande terreur, que, dans le moment même où il recevait ses services, il se préparait à lui faire la guerre, craignant apparemment, en voyant l'élévation de son âme, ses succès et la gloire qu'il avait acquise, qu'il ne lui fît perdre non seulement Cypre, mais l'empire des Perses tout entier. — 23. Évagoras, quoique inférieur à son ennemi en moyens de toute nature, se conduisit d'une manière si brillante, qu'aidé de sa seule vertu et du secours de son fils Pytagoras, il s'empara de l'île de Cypre presque entière, dévasta la Phénicie, prit Tyr de vive force, souleva la Cilicie contre le Roi, et fit éprouver à ses ennemis une telle satiété de la guerre, qu'après l'avoir faite pendant dix ans sans résultat, ils s'estimèrent heureux d'obtenir la paix. — 24. Évagoras me paraît donc avoir surpassé non seulement les hauts faits des autres guerres, mais encore ceux de la guerre faite par les héros qui ont renversé la ville de Troie, puisque, maître d'une seule ville, il a soutenu la guerre contre toutes les forces de l'Asie, tandis que ces héros n'ont conquis que la ville de Troie avec les forces de toute la Grèce. D'où il résulte qu'il aurait obtenu une renommée plus grande que celle dont ils jouissent, s'il eût rencontré un aussi grand nombre de poètes pour célébrer sa gloire. — 25. Quel est celui d'entre eux qui a fait d'aussi grandes choses qu'Évagoras? De simple particulier, il s'est fait roi; il a rétabli sur le trône sa race qui en avait été expulsée; ses concitoyens étaient Barbares, il les a rendus citoyens de la Grèce; ils étaient efféminés, il les a rendus belliqueux ; sa patrie était inhospitalière, il l'a rendue douce et sociable. Allié du Roi dans le combat naval livré dans les parages de Cnide, il a fourni la plus grande partie des forces qui ont combattu pour lui ; devenu son ennemi, il s'est vengé avec un tel éclat, que le souvenir de la guerre de Cypre est resté profondément gravé dans la pensée du Roi. — 26. Il me serait impossible de dire quel a été le plus grand entre les exploits d'Évagoras, car tous me paraissent mériter le plus haut degré d'admiration, quel que soit celui qui se présente à ma mémoire. — 27. Et la félicité constante dont il a joui jusqu'à la mort m'offre la preuve qu'il a été jugé digne de l'immortalité. — Épilogue. 28. Aucun genre de bonheur ne lui a manqué · ses ancêtres étaient tels que personne ne pouvait en avoir de semblables ; il l'emportait de beaucoup sur les autres hommes par la force du corps et l'énergie de l'âme ; il a laissé de son nom un souvenir immortel ; il n'a point été atteint dans sa vieillesse par les infirmités qui l'accompagnent. Il a eu un grand nombre d'enfants, tous distingués par leur beauté, dont l'un a porté le titre de roi, un autre celui de prince, de telle sorte que la qualification de dieu, de divinité ou d'immortel, est celle qu'il serait le plus convenable de lui donner. — 29. Je sens que je passe sous silence, à cause de mon grand âge, beaucoup de choses qui pourraient encore être dites d'Évagoras ; mais, du moins autant que mes forces l'ont permis, il n'est pas demeuré sans louanges. — 30. Les statues, qui représentent les hommes célèbres, sont des monuments honorables ; mais l'image de leur âme et des grandes actions qu'ils ont faites, présenté dans un discours composé avec art, me semble préférable pour beaucoup de raisons · d'abord les hommes supérieurs s'enorgueillissent de la gloire de leurs actions plus que de la beauté de leur corps; ensuite, les statues qui les représentent restent toujours dans un même lieu, tandis que les discours se répandent dans le monde et charment les hommes érudits. Personne enfin ne peut assimiler son corps aux statues et aux images · tandis que l'on peut toujours se modeler sur l'esprit et les moeurs dont le tableau est présenté dans un discours. — 31. J'ai été principalement déterminé à écrire celui-ci, parce qu'un tableau de cette nature, qui surtout ne vous est point étranger, mais qui appartient en quelque sorte à votre famille, peut contribuer à vous rendre, vous et les vôtres, supérieur aux autres hommes par vos actions, aussi bien que par vos paroles. — 32. Ne croyez pas toutefois que je vous regarde comme un homme privé d'énergie et qui a besoin d'être stimulé, parce que je vous adresse si souvent des exhortations ; sachez plutôt que je suis semblable aux spectateurs des jeux où l'on dispute le prix de la vitesse, qui encouragent non les derniers, mais ceux qui, devançant les autres, sont près d'atteindre le but.— 33. Mon devoir, et celui des hommes qui vous sont dévoués, est donc de vous exhorter à persévérer dans la voie où vous êtes entré; et vous, de votre côté, vous devez réunir tous vos efforts pour vous rendre le plus semblable possible à vos ancêtres, comme aussi vous ne devez pas vous montrer satisfait, à moins que vous ne surpassiez, non seulement les hommes d'une condition ordinaire, mais ceux qui jouissent des mêmes honneurs que vous. Vous y parviendrez sans peine, si vous persévérez dans l'étude de la sagesse, et si vous y faites les mêmes progrès que vous y avez faits jusqu'ici. (Lange.)
Ce discours paraît avoir
été écrit 374 avant J.-C, Isocrate ayant alors soixante-deux ans. (AUGER.)
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Εὐαγόρας [1] Ὁρῶν, ὦ Νικόκλεις, τιμῶντά σε τὸν τάφον τοῦ πατρὸς οὐ μόνον τῷ πλήθει καὶ τῷ κάλλει τῶν ἐπιφερομένων, ἀλλὰ καὶ χοροῖς καὶ μουσικῇ καὶ γυμνικοῖς ἀγῶσιν, ἔτι δὲ πρὸς τούτοις ἵππων τε καὶ τριήρων ἁμίλλαις, καὶ λείποντ' οὐδεμίαν τῶν τοιούτων ὑπερβολήν, [2] ἡγησάμην Εὐαγόραν, εἴ τίς ἐστιν αἴσθησις τοῖς τετελευτηκόσι περὶ τῶν ἐνθάδε γιγνομένων, εὐμενῶς μὲν ἀποδέχεσθαι καὶ ταῦτα, καὶ χαίρειν ὁρῶντα τήν τε περὶ αὑτὸν ἐπιμέλειαν καὶ τὴν σὴν μεγαλοπρέπειαν, πολὺ δ' ἂν ἔτι πλείω χάριν ἔχειν ἢ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν, εἴ τις δυνηθείη περὶ τῶν ἐπιτηδευμάτων αὐτοῦ καὶ τῶν κινδύνων ἀξίως διελθεῖν τῶν ἐκείνῳ πεπραγμένων· [3] εὑρήσομεν γὰρ τοὺς φιλοτίμους καὶ μεγαλοψύχους τῶν ἀνδρῶν οὐ μόνον ἀντὶ τῶν τοιούτων ἐπαινεῖσθαι βουλομένους, ἀλλ' ἀντὶ τοῦ ζῆν ἀποθνῄσκειν εὐκλεῶς αἱρουμένους, καὶ μᾶλλον περὶ τῆς δόξης ἢ τοῦ βίου σπουδάζοντας, καὶ πάντα ποιοῦντας, ὅπως ἀθάνατον τὴν περὶ αὑτῶν μνήμην καταλείψουσιν. [4] Αἱ μὲν οὖν δαπάναι τῶν μὲν τοιούτων οὐδὲν ἐξεργάζονται, τοῦ δὲ πλούτου σημεῖόν εἰσιν· οἱ δὲ περὶ τὴν μουσικὴν καὶ τὰς ἄλλας ἀγωνίας ὄντες, οἱ μὲν τὰς δυνάμεις τὰς αὑτῶν, οἱ δὲ τὰς τέχνας ἐπιδειξάμενοι, σφᾶς αὐτοὺς ἐντιμοτέρους κατέστησαν· ὁ δὲ λόγος εἰ καλῶς διέλθοι τὰς ἐκείνου πράξεις, ἀείμνηστον ἂν τὴν ἀρετὴν τὴν Εὐαγόρου παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις ποιήσειεν. [5] Ἐχρῆν μὲν οὖν καὶ τοὺς ἄλλους ἐπαινεῖν τοὺς ἐφ' αὑτῶν ἄνδρας ἀγαθοὺς γεγενημένους, ἵν' οἵ τε δυνάμενοι τὰ τῶν ἄλλων ἔργα κοσμεῖν ἐν εἰδόσι ποιούμενοι τοὺς λόγους ταῖς ἀληθείαις ἐχρῶντο περὶ αὐτῶν, οἵ τε νεώτεροι φιλοτιμοτέρως διέκειντο πρὸς τὴν ἀρετήν, εἰδότες ὅτι τούτων εὐλογήσονται μᾶλλον ὧν ἂν ἀμείνους σφᾶς αὐτοὺς παράσχωσιν. Νῦν δὲ τίς οὐκ ἂν ἀθυμήσειεν, [6] ὅταν ὁρᾷ τοὺς μὲν περὶ τὰ Τρωϊκὰ καὶ τοὺς ἐπέκεινα γενομένους ὑμνουμένους καὶ τραγῳδουμένους, αὑτὸν δὲ προειδῇ, μηδ' ἂν ὑπερβάλλῃ τὰς ἐκείνων ἀρετάς, μηδέποτε τοιούτων ἐπαίνων ἀξιωθησόμενον; Τούτων δ' αἴτιος ὁ φθόνος, ᾧ τοῦτο μόνον ἀγαθὸν πρόσεστιν, ὅτι μέγιστον κακὸν τοῖς ἔχουσίν ἐστιν. Οὕτω γάρ τινες δυσκόλως πεφύκασιν, ὥσθ' ἥδιον ἂν εὐλογουμένων ἀκούοιεν οὓς οὐκ ἴσασιν εἰ γεγόνασιν, ἢ τούτων, ὑφ' ὧν εὖ πεπονθότες αὐτοὶ τυγχάνουσιν. [7] Οὐ μὴν δουλευτέον τοὺς νοῦν ἔχοντας τοῖς οὕτω κακῶς φρονοῦσιν, ἀλλὰ τῶν μὲν τοιούτων ἀμελητέον, τοὺς δ' ἄλλους ἐθιστέον ἀκούειν περὶ ὧν καὶ λέγειν δίκαιόν ἐστιν, ἄλλως τ' ἐπειδὴ καὶ τὰς ἐπιδόσεις ἴσμεν γιγνομένας καὶ τῶν τεχνῶν καὶ τῶν ἄλλων ἁπάντων οὐ διὰ τοὺς ἐμμένοντας τοῖς καθεστῶσιν, ἀλλὰ διὰ τοὺς ἐπανορθοῦντας καὶ τολμῶντας ἀεί τι κινεῖν τῶν μὴ καλῶς ἐχόντων. [8] Οἶδα μὲν οὖν ὅτι χαλεπόν ἐστιν ὃ μέλλω ποιεῖν, ἀνδρὸς ἀρετὴν διὰ λόγων ἐγκωμιάζειν. Σημεῖον δὲ μέγιστον· περὶ μὲν γὰρ ἄλλων πολλῶν καὶ παντοδαπῶν λέγειν τολμῶσιν οἱ περὶ τὴν φιλοσοφίαν ὄντες, περὶ δὲ τῶν τοιούτων οὐδεὶς πώποτ' αὐτῶν συγγράφειν ἐπεχείρησεν. Καὶ πολλὴν αὐτοῖς ἔχω συγγνώμην. Τοῖς μὲν γὰρ ποιηταῖς πολλοὶ δέδονται κόσμοι· [9] καὶ γὰρ πλησιάζοντας τοὺς θεοὺς τοῖς ἀνθρώποις οἷόν τ' αὐτοῖς ποιῆσαι καὶ διαλεγομένους καὶ συναγωνιζομένους οἷς ἂν βουληθῶσι, καὶ περὶ τούτων δηλῶσαι μὴ μόνον τοῖς τεταγμένοις ὀνόμασιν, ἀλλὰ τὰ μὲν ξένοις, τὰ δὲ καινοῖς, τὰ δὲ μεταφοραῖς, καὶ μηδὲν παραλιπεῖν, ἀλλὰ πᾶσι τοῖς εἴδεσι διαποικῖλαι τὴν ποίησιν· [10] τοῖς δὲ περὶ τοὺς λόγους οὐδὲν ἔξεστι τῶν τοιούτων, ἀλλ' ἀποτόμως καὶ τῶν ὀνομάτων τοῖς πολιτικοῖς μόνον καὶ τῶν ἐνθυμημάτων τοῖς περὶ αὐτὰς τὰς πράξεις ἀναγκαῖόν ἐστι χρῆσθαι. Πρὸς δὲ τούτοις οἱ μὲν μετὰ μέτρων καὶ ῥυθμῶν ἅπαντα ποιοῦσιν, οἱ δ' οὐδενὸς τούτων κοινωνοῦσιν· ἃ τοσαύτην ἔχει χάριν, ὥστ' ἂν καὶ τῇ λέξει καὶ τοῖς ἐνθυμήμασιν ἔχῃ κακῶς, ὅμως αὐταῖς ταῖς εὐρυθμίαις καὶ ταῖς συμμετρίαις ψυχαγωγοῦσι τοὺς ἀκούοντας. [11] Γνοίη δ' ἄν τις ἐκεῖθεν τὴν δύναμιν αὐτῶν· ἢν γάρ τις τῶν ποιημάτων τῶν εὐδοκιμούντων τὰ μὲν ὀνόματα καὶ τὰς διανοίας καταλίπῃ, τὸ δὲ μέτρον διαλύσῃ, φανήσεται πολὺ καταδεέστερα τῆς δόξης ἧς νῦν ἔχομεν περὶ αὐτῶν. Ὅμως δὲ καίπερ τοσοῦτον πλεονεκτούσης τῆς ποιήσεως, οὐκ ὀκνητέον, ἀλλ' ἀποπειρατέον τῶν λόγων ἐστίν, εἰ καὶ τοῦτο δυνήσονται, τοὺς ἀγαθοὺς ἄνδρας εὐλογεῖν μηδὲν χεῖρον τῶν ἐν ταῖς ᾠδαῖς καὶ τοῖς μέτροις ἐγκωμιαζόντων. [12] Πρῶτον μὲν οὖν περὶ τῆς φύσεως τῆς Εὐαγόρου, καὶ τίνων ἦν ἀπόγονος, εἰ καὶ πολλοὶ προεπίστανται, δοκεῖ μοι πρέπειν κἀμὲ τῶν ἄλλων ἕνεκα διελθεῖν περὶ αὐτῶν, ἵνα πάντες εἰδῶσιν ὅτι καλλίστων αὐτῷ καὶ μεγίστων παραδειγμάτων καταλειφθέντων οὐδὲν καταδεέστερον αὑτὸν ἐκείνων παρέσχεν. [13] Ὁμολογεῖται μὲν γὰρ τοὺς ἀπὸ Διὸς εὐγενεστάτους τῶν ἡμιθέων εἶναι, τούτων δ' αὐτῶν οὐκ ἔστιν ὅστις οὐκ ἂν Αἰακίδας προκρίνειεν· ἐν μὲν γὰρ τοῖς ἄλλοις γένεσιν εὑρήσομεν τοὺς μὲν ὑπερβάλλοντας, τοὺς δὲ καταδεεστέρους ὄντας, οὗτοι δ' ἅπαντες ὀνομαστότατοι τῶν καθ' αὑτοὺς γεγόνασιν. [14] Τοῦτο μὲν γὰρ Αἰακὸς ὁ Διὸς μὲν ἔκγονος, τοῦ δὲ γένους τοῦ Τευκριδῶν πρόγονος, τοσοῦτον διήνεγκεν ὥστε γενομένων αὐχμῶν ἐν τοῖς Ἕλλησι καὶ πολλῶν ἀνθρώπων διαφθαρέντων, ἐπειδὴ τὸ μέγεθος τῆς συμφορᾶς ὑπερέβαλλεν, ἦλθον οἱ προεστῶτες τῶν πόλεων ἱκετεύοντες αὐτόν, νομίζοντες διὰ τῆς συγγενείας καὶ τῆς εὐσεβείας τῆς ἐκείνου τάχιστ' ἂν εὑρέσθαι παρὰ τῶν θεῶν τῶν παρόντων κακῶν ἀπαλλαγήν. [15] Σωθέντες δὲ καὶ τυχόντες ὧν ἐδεήθησαν, ἱερὸν ἐν Αἰγίνῃ κατεστήσαντο κοινὸν τῶν Ἑλλήνων, οὗπερ ἐκεῖνος ἐποιήσατο τὴν εὐχήν. Καὶ κατ' ἐκεῖνόν τε τὸν χρόνον ἕως ἦν μετ' ἀνθρώπων, μετὰ καλλίστης ὢν δόξης διετέλεσεν· ἐπειδή τε μετήλλαξε τὸν βίον, λέγεται παρὰ Πλούτωνι καὶ Κόρῃ μεγίστας τιμὰς ἔχων παρεδρεύειν ἐκείνοις. [16] Τούτου δὲ παῖδες ἦσαν Τελαμὼν καὶ Πηλεύς, ὧν ὁ μὲν ἕτερος μεθ' Ἡρακλέους ἐπὶ Λαομέδοντα στρατευσάμενος ἀριστείων ἠξιώθη, Πηλεὺς δ' ἔν τε τῇ μάχῃ τῇ πρὸς Κενταύρους ἀριστεύσας καὶ κατὰ πολλοὺς ἄλλους κινδύνους εὐδοκιμήσας Θέτιδι τῇ Νηρέως, θνητὸς ὢν ἀθανάτῃ, συνῴκησε, καὶ μόνου τούτου φασὶ τῶν προγεγενημένων ὑπὸ θεῶν ἐν τοῖς γάμοις ὑμέναιον ᾀσθῆναι. [17] Τούτοιν δ' ἑκατέρου, Τελαμῶνος μὲν Αἴας καὶ Τεῦκρος ἐγενέσθην, Πηλέως δ' Ἀχιλλεύς, οἳ μέγιστον καὶ σαφέστατον ἔλεγχον ἔδοσαν τῆς αὑτῶν ἀρετῆς· οὐ γὰρ ἐν ταῖς αὑτῶν πόλεσι μόνον ἐπρώτευσαν, οὐδ' ἐν τοῖς τόποις ἐν οἷς κατῴκουν, ἀλλὰ στρατείας τοῖς Ἕλλησιν ἐπὶ τοὺς βαρβάρους γενομένης, καὶ πολλῶν μὲν ἑκατέρων ἀθροισθέντων, [18] οὐδενὸς δὲ τῶν ὀνομαστῶν ἀπολειφθέντος, ἐν τούτοις τοῖς κινδύνοις Ἀχιλλεὺς μὲν ἁπάντων διήνεγκεν. Αἴας δὲ μετ' ἐκεῖνον ἠρίστευσε, Τεῦκρος δὲ τῆς τε τούτων συγγενείας ἄξιος καὶ τῶν ἄλλων οὐδενὸς χείρων γενόμενος, ἐπειδὴ Τροίαν συνεξεῖλεν, ἀφικόμενος εἰς Κύπρον Σαλαμῖνα*́ τε κατῴκισεν, ὁμώνυμον ποιήσας τῆς πρότερον αὑτῷ πατρίδος οὔσης, καὶ τὸ γένος τὸ νῦν βασιλεῦον κατέλιπεν. [19] Τὰ μὲν οὖν ἐξ ἀρχῆς Εὐαγόρᾳ παρὰ τῶν προγόνων ὑπάρξαντα τηλικαῦτα τὸ μέγεθός ἐστιν. Τοῦτον δὲ τὸν τρόπον τῆς πόλεως κατοικισθείσης κατὰ μὲν ἀρχὰς οἱ γεγονότες ἀπὸ Τεύκρου τὴν βασιλείαν εἶχον, χρόνῳ δ' ὕστερον ἀφικόμενος ἐκ Φοινίκης ἀνὴρ φυγὰς καὶ πιστευθεὶς ὑπὸ τοῦ τότε βασιλεύοντος καὶ μεγάλας δυναστείας λαβὼν οὐ χάριν ἔσχε τούτων, [20] ἀλλὰ κακὸς μὲν γενόμενος περὶ τὸν ὑποδεξάμενον, δεινὸς δὲ πρὸς τὸ πλεονεκτῆσαι, τὸν μὲν εὐεργέτην ἐξέβαλεν, αὐτὸς δὲ τὴν βασιλείαν κατέσχεν. Ἀπιστῶν δὲ τοῖς πεπραγμένοις καὶ βουλόμενος ἀσφαλῶς κατασκευάσασθαι τὰ περὶ αὑτὸν τήν τε πόλιν ἐξεβαρβάρωσε καὶ τὴν νῆσον ὅλην βασιλεῖ τῷ μεγάλῳ κατεδούλωσεν. [21] Οὕτω δὲ τῶν πραγμάτων καθεστώτων καὶ τῶν ἐκγόνων τῶν ἐκείνου τὴν ἀρχὴν ἐχόντων Εὐαγόρας γίγνεται· περὶ οὗ τὰς μὲν φήμας καὶ τὰς μαντείας καὶ τὰς ὄψεις τὰς ἐν τοῖς ὕπνοις γενομένας, ἐξ ὧν μειζόνως ἂν φανείη γεγονὼς ἢ κατ' ἄνθρωπον, αἱροῦμαι παραλιπεῖν, οὐκ ἀπιστῶν τοῖς λεγομένοις, ἀλλ' ἵνα πᾶσι ποιήσω φανερὸν ὅτι τοσούτου δέω πλασάμενος εἰπεῖν τι περὶ τῶν ἐκείνῳ πεπραγμένων, ὥστε καὶ τῶν ὑπαρχόντων ἀφίημι τὰ τοιαῦτα περὶ ὧν ὀλίγοι τινὲς ἐπίστανται καὶ μὴ πάντες οἱ πολῖται συνίσασιν. Ἄρξομαι δ' ἐκ τῶν ὁμολογουμένων λέγειν περὶ αὐτοῦ. [22] Παῖς μὲν γὰρ ὢν ἔσχε κάλλος καὶ ῥώμην καὶ σωφροσύνην, ἅπερ τῶν ἀγαθῶν πρεπωδέστατα τοῖς τηλικούτοις ἐστίν. Καὶ τούτων μάρτυρας ἄν τις ποιήσαιτο, τῆς μὲν σωφροσύνης τοὺς συμπαιδευθέντας τῶν πολιτῶν, τοῦ δὲ κάλλους ἅπαντας τοὺς ἰδόντας, τῆς δὲ ῥώμης ἅπαντας τοὺς ἀγῶνας8 ἐν οἷς ἐκεῖνος τῶν ἡλικιωτῶν ἐκρατίστευσεν. [23] Ἀνδρὶ δὲ γενομένῳ ταῦτά τε πάντα συνηυξήθη καὶ πρὸς τούτοις ἀνδρία προσεγένετο καὶ σοφία καὶ δικαιοσύνη, καὶ ταῦτ' οὐ μέσως οὐδ' ὥσπερ ἑτέροις τισίν, ἀλλ' ἕκαστον αὐτῶν εἰς ὑπερβολήν· τοσοῦτον γὰρ καὶ ταῖς τοῦ σώματος καὶ ταῖς τῆς ψυχῆς ἀρεταῖς διήνεγκεν, [24] ὥσθ' ὁπότε μὲν αὐτὸν ὁρῷεν οἱ τότε βασιλεύοντες, ἐκπλήττεσθαι καὶ φοβεῖσθαι περὶ τῆς ἀρχῆς, ἡγουμένους οὐχ οἷόν τ' εἶναι τὸν τοιοῦτον τὴν φύσιν ἐν ἰδιώτου μέρει διαγαγεῖν, ὁπότε δ' εἰς τοὺς τρόπους ἀποβλέψειαν, οὕτω σφόδρα πιστεύειν, ὥστ' εἰ καί τις ἄλλος τολμῴη περὶ αὐτοὺς ἐξαμαρτάνειν, νομίζειν Εὐαγόραν αὑτοῖς ἔσεσθαι βοηθόν. [25] Καὶ τοσοῦτον τῆς δόξης παραλλαττούσης οὐδετέρου τούτων ἐψεύσθησαν· οὔτε γὰρ ἰδιώτης ὢν διετέλεσεν οὔτε περὶ ἐκείνους ἐξήμαρτεν, ἀλλὰ τοσαύτην ὁ δαίμων ἔσχεν αὐτοῦ πρόνοιαν, ὅπως καλῶς λήψεται τὴν βασιλείαν, ὥσθ' ὅσα μὲν ἀναγκαῖον ἦν παρασκευασθῆναι δι' ἀσεβείας, [26] ταῦτα μὲν ἕτερος ἔπραξεν, ἐξ ὧν δ' οἷόν τ' ἦν ὁσίως καὶ δικαίως λαβεῖν τὴν ἀρχήν, Εὐαγόρᾳ διεφύλαξεν. Εἷς γὰρ τῶν δυναστευόντων ἐπιβουλεύσας τόν τε τύραννον ἀπέκτεινε καὶ συλλαβεῖν Εὐαγόραν ἐπεχείρησεν, ἡγούμενος οὐ δυνήσεσθαι κατασχεῖν τὴν ἀρχήν, εἰ μὴ κἀκεῖνον ἐκποδὼν ποιήσαιτο. [27] Διαφυγὼν δὲ τὸν κίνδυνον καὶ σωθεὶς εἰς Σόλους τῆς Κιλικίας οὐ τὴν αὐτὴν γνώμην ἔσχε τοῖς ταῖς τοιαύταις συμφοραῖς περιπίπτουσιν. Οἱ μὲν γὰρ ἄλλοι, κἂν ἐκ τυραννίδος ἐκπέσωσι, διὰ τὰς παρούσας τύχας ταπεινοτέρας τὰς ψυχὰς ἔχουσιν· ἐκεῖνος δ' εἰς τοσοῦτον μεγαλοφροσύνης ἦλθεν, ὥστε τὸν ἄλλον χρόνον ἰδιώτης ὤν, ἐπειδὴ φεύγειν ἠναγκάσθη, [28] τυραννεῖν ᾠήθη δεῖν. Καὶ τοὺς μὲν πλάνους τοὺς φυγαδικοὺς καὶ τὸ δι' ἑτέρων ζητεῖν τὴν κάθοδον καὶ θεραπεύειν αὑτοῦ χείρους ὑπερεῖδεν, λαβὼν δὲ ταύτην ἀφορμήν, ἥνπερ χρὴ τοὺς εὐσεβεῖν βουλομένους, ἀμύνεσθαι καὶ μὴ προτέρους ὑπάρχειν, καὶ προελόμενος ἢ κατορθώσας τυραννεῖν ἢ διαμαρτὼν ἀποθανεῖν, παρακαλέσας ἀνθρώπους, ὡς οἱ τοὺς πλείστους λέγοντες, περὶ πεντήκοντα, μετὰ τούτων παρεσκευάζετο ποιεῖσθαι τὴν κάθοδον. [29] Ὅθεν καὶ μάλιστ' ἄν τις καὶ τὴν φύσιν τὴν ἐκείνου καὶ τὴν δόξαν ἣν εἶχε παρὰ τοῖς ἄλλοις θεωρήσειεν· μέλλοντος γὰρ πλεῖν μετὰ τοσούτων ἐπὶ τηλικαύτην πρᾶξιν τὸ μέγεθος καὶ πάντων τῶν δεινῶν πλησίον ὄντων οὔτ' ἐκεῖνος ἠθύμησεν οὔτε τῶν παρακληθέντων οὐδεὶς ἀποστῆναι τῶν κινδύνων ἠξίωσεν, ἀλλ' οἱ μὲν ὥσπερ θεῷ συνακολουθοῦντες ἅπαντες ἐνέμειναν τοῖς ὡμολογημένοις, ὁ δ' ὥσπερ ἢ στρατόπεδον ἔχων κρεῖττον τῶν ἀντιπάλων ἢ προειδὼς τὸ συμβησόμενον οὕτω διέκειτο τὴν γνώμην. [30] Δῆλον δ' ἐκ τῶν ἔργων· ἀποβὰς γὰρ εἰς τὴν νῆσον οὐχ ἡγήσατο δεῖν χωρίον ἐχυρὸν καταλαβὼν καὶ τὸ σῶμ' ἐν ἀσφαλείᾳ καταστήσας περιιδεῖν εἰ*́ τινες αὑτῷ τῶν πολιτῶν βοηθήσουσιν· ἀλλ' εὐθύς, ὥσπερ εἶχε, ταύτης τῆς νυκτὸς διελὼν τοῦ τείχους πυλίδα καὶ ταύτῃ τοὺς μεθ' αὑτοῦ διαγαγὼν προσέβαλλε πρὸς τὸ βασίλειον. [31] Καὶ τοὺς μὲν θορύβους τοὺς ἐν τοῖς τοιούτοις καιροῖς γιγνομένους καὶ τοὺς φόβους τοὺς τῶν ἄλλων καὶ τὰς παρακελεύσεις τὰς ἐκείνου τί δεῖ λέγοντα διατρίβειν; Γενομένων δ' αὐτῷ τῶν μὲν περὶ τὸν τύραννον ἀνταγωνιστῶν, τῶν δ' ἄλλων πολιτῶν θεατῶν, δεδιότες γὰρ τοῦ μὲν τὴν ἀρχήν, τοῦ δὲ τὴν ἀρετήν, [32] ἡσυχίαν εἶχον, οὐ πρότερον ἐπαύσατο μαχόμενος καὶ μόνος πρὸς πολλοὺς καὶ μετ' ὀλίγων πρὸς ἅπαντας τοὺς ἐχθροὺς,10 πρὶν ἑλεῖν τὸ βασίλειον, καὶ τούς τ' ἐχθροὺς ἐτιμωρήσατο καὶ τοῖς φίλοις ἐβοήθησεν, ἔτι δὲ τῷ γένει τὰς τιμὰς τὰς πατρίους ἐκομίσατο, καὶ τύραννον αὑτὸν τῆς πόλεως κατέστησεν. [33] Ἡγοῦμαι μὲν οὖν, εἰ καὶ μηδενὸς ἄλλου μνησθείην, ἀλλ' ἐνταῦθα καταλίποιμι τὸν λόγον, ῥᾴδιον ἐκ τούτων εἶναι γνῶναι τήν τ' ἀρετὴν τὴν Εὐαγόρου καὶ τὸ μέγεθος τῶν πεπραγμένων· οὐ μὴν ἀλλ' ἔτι γε σαφέστερον περὶ ἀμφοτέρων τούτων ἐκ τῶν ἐχομένων οἶμαι δηλώσειν.
[34]
Τοσούτων γὰρ τυράννων ἐν ἅπαντι τῷ χρόνῳ γεγενημένων οὐδεὶς
φανήσεται τὴν τιμὴν ταύτην κάλλιον ἐκείνου κτησάμενος. Εἰ μὲν οὖν
πρὸς ἕκαστον αὐτῶν τὰς πράξεις τὰς Εὐαγόρου παραβάλλοιμεν, οὔτ' ἂν ὁ
λόγος ἴσως τοῖς καιροῖς ἁρμόσειεν οὔτ' ἂν ὁ χρόνος τοῖς λεγομένοις
ἀρκέσειεν· ἢν δὲ προελόμενοι τοὺς εὐδοκιμωτάτους ἐπὶ τούτων
σκοπῶμεν, οὐδὲν μὲν χεῖρον ἐξετῶμεν, πολὺ δὲ συντομώτερον
διαλεχθησόμεθα περὶ αὐτῶν. [36] Καὶ μὴν τῶν γε παλαιῶν καθόδων αὗται μάλιστ' εὐδοκιμοῦσιν ἃς παρὰ τῶν ποιητῶν ἀκούομεν· οὗτοι γὰρ οὐ μόνον τῶν γεγενημένων τὰς καλλίστας ἡμῖν ἀπαγγέλλουσιν, ἀλλὰ καὶ παρ' αὑτῶν καινὰς συντιθέασιν. Ἀλλ' ὅμως οὐδεὶς αὐτῶν μεμυθολόγηκεν, ὅστις οὕτω δεινοὺς καὶ φοβεροὺς ποιησάμενος τοὺς κινδύνους εἰς τὴν αὑτοῦ κατῆλθεν· ἀλλ' οἱ μὲν πλεῖστοι πεποίηνται διὰ τύχην λαβόντες τὰς βασιλείας, οἱ δὲ μετὰ δόλου καὶ τέχνης περιγενόμενοι τῶν ἐχθρῶν. [37] Ἀλλὰ μὴν τῶν γ' ἐπὶ τάδε γεγενημένων, ἴσως δὲ καὶ τῶν ἁπάντων, Κῦρον τὸν Μήδων μὲν ἀφελόμενον τὴν ἀρχήν, Πέρσαις δὲ κτησάμενον, καὶ πλεῖστοι καὶ μάλιστα θαυμάζουσιν. Ἀλλ' ὁ μὲν τῷ Περσῶν στρατοπέδῳ τὸ Μήδων ἐνίκησεν, ὃ πολλοὶ καὶ τῶν Ἑλλήνων καὶ τῶν βαρβάρων ῥᾳδίως ἂν ποιήσειαν· ὁ δὲ διὰ τῆς ψυχῆς τῆς αὑτοῦ καὶ τοῦ σώματος τὰ πλεῖστα φαίνεται τῶν προειρημένων διαπραξάμενος. [38] Ἔπειτ' ἐκ μὲν τῆς Κύρου στρατηγίας οὔπω δῆλον ὅτι καὶ τοὺς Εὐαγόρου κινδύνους ἂν ὑπέμεινεν, ἐκ δὲ τῶν τούτῳ πεπραγμένων ἅπασι φανερόν, ὅτι ῥᾳδίως ἂν κἀκείνοις τοῖς ἔργοις ἐπεχείρησεν. Πρὸς δὲ τούτοις τῷ μὲν ὁσίως καὶ δικαίως ἅπαντα πέπρακται, τῷ δ' οὐκ εὐσεβῶς ἔνια συμβέβηκεν· ὁ μὲν γὰρ τοὺς ἐχθροὺς ἀπώλεσε, Κῦρος δὲ τὸν πατέρα τὸν τῆς μητρὸς ἀπέκτεινεν. Ὥστ' εἴ τινες βούλοιντο μὴ τὸ μέγεθος τῶν συμβάντων ἀλλὰ τὴν ἀρετὴν τὴν ἑκατέρου κρίνειν, δικαίως ἂν Εὐαγόραν καὶ τούτου μᾶλλον ἐπαινέσειαν. [39] Εἰ δὲ δεῖ συντόμως καὶ μηδὲν ὑποστειλάμενον μηδὲ δείσαντα τὸν φθόνον, ἀλλὰ παρρησίᾳ χρησάμενον εἰπεῖν, οὐδεὶς οὔτε θνητὸς οὔθ' ἡμίθεος οὔτ' ἀθάνατος εὑρεθήσεται κάλλιον οὐδὲ λαμπρότερον οὐδ' εὐσεβέστερον λαβὼν ἐκείνου τὴν βασιλείαν. Καὶ τούτοις ἐκείνως ἄν τις μάλιστα πιστεύσειεν, εἰ σφόδρα τοῖς λεγομένοις ἀπιστήσας ἐξετάζειν ἐπιχειρήσειεν, ὅπως ἕκαστος ἐτυράννευσεν. Φανήσομαι γὰρ οὐκ ἐκ παντὸς τρόπου μεγάλα λέγειν προθυμούμενος, ἀλλὰ διὰ τὴν τοῦ πράγματος ἀλήθειαν οὕτω περὶ αὐτοῦ θρασέως εἰρηκώς. [40] Εἰ μὲν οὖν ἐπὶ μικροῖς διήνεγκε, τοιούτων ἂν καὶ τῶν λόγων αὐτῷ προσῆκεν ἀξιοῦσθαι· νῦν δ' ἅπαντες ἂν ὁμολογήσειαν τυραννίδα καὶ τῶν θείων ἀγαθῶν καὶ τῶν ἀνθρωπίνων μέγιστον καὶ σεμνότατον καὶ περιμαχητότατον εἶναι. Τὸν δὴ τὸ κάλλιστον τῶν ὄντων κάλλιστα κτησάμενον τίς ἂν ἢ ποιητὴς ἢ λόγων εὑρετὴς ἀξίως τῶν πεπραγμένων ἐπαινέσειεν; [41] Οὐ τοίνυν ἐν τούτοις ὑπερβαλόμενος ἐν τοῖς ἄλλοις εὑρεθήσεται καταδεέστερος γενόμενος, ἀλλὰ πρῶτον μὲν εὐφυέστατος ὢν τὴν γνώμην καὶ πλεῖστα κατορθοῦν δυνάμενος ὅμως οὐκ ᾠήθη δεῖν ὀλιγωρεῖν οὐδ' αὐτοσχεδιάζειν περὶ τῶν πραγμάτων, ἀλλ' ἐν τῷ ζητεῖν καὶ φροντίζειν καὶ βουλεύεσθαι τὸν πλεῖστον τοῦ χρόνου διέτριβεν, ἡγούμενος μέν, εἰ καλῶς τὴν αὑτοῦ φρόνησιν παρασκευάσειεν, καλῶς11 αὑτῷ καὶ τὴν βασιλείαν ἕξειν, θαυμάζων δ' ὅσοι τῶν μὲν ἄλλων ἕνεκα τῆς ψυχῆς ποιοῦνται τὴν ἐπιμέλειαν, αὐτῆς δὲ ταύτης μηδὲν τυγχάνουσι φροντίζοντες. [42] Ἔπειτα καὶ περὶ τῶν πραγμάτων τὴν αὐτὴν διάνοιαν εἶχεν· ὁρῶν γὰρ τοὺς ἄριστα τῶν ὄντων ἐπιμελουμένους ἐλάχιστα λυπουμένους, καὶ τὰς ἀληθινὰς τῶν ῥᾳθυμιῶν οὐκ ἐν ταῖς ἀργίαις ἀλλ' ἐν ταῖς εὐπραγίαις καὶ καρτερίαις ἐνούσας, οὐδὲν ἀνεξέταστον παρέλειπεν, ἀλλ' οὕτως ἀκριβῶς καὶ τὰς πράξεις ᾔδει καὶ τῶν πολιτῶν ἕκαστον ἐγίγνωσκεν ὥστε μήτε τοὺς ἐπιβουλεύοντας αὐτῷ φθάνειν μήτε τοὺς ἐπιεικεῖς ὄντας λανθάνειν, ἀλλὰ πάντας τυγχάνειν τῶν προσηκόντων· οὐ γὰρ ἐξ ὧν ἑτέρων ἤκουεν οὔτ' ἐκόλαζεν οὔτ' ἐτίμα τοὺς πολίτας, ἀλλ' ἐξ ὧν αὐτὸς συνῄδει τὰς κρίσεις ἐποιεῖτο περὶ αὐτῶν. [43] Ἐν τοιαύταις δ' ἐπιμελείαις αὑτὸν καταστήσας οὐδὲ περὶ τῶν κατὰ τὴν ἡμέραν ἑκάστην προσπιπτόντων οὐδὲ περὶ ἓν πεπλανημένως εἶχεν, ἀλλ' οὕτω θεοφιλῶς καὶ φιλανθρώπως διῴκει τὴν πόλιν ὥστε τοὺς εἰσαφικνουμένους μὴ μᾶλλον Εὐαγόραν τῆς ἀρχῆς ζηλοῦν ἢ τοὺς ἄλλους τῆς ὑπ' ἐκείνου βασιλείας· ἅπαντα γὰρ τὸν χρόνον διετέλεσεν οὐδένα μὲν ἀδικῶν, τοὺς δὲ χρηστοὺς τιμῶν, καὶ σφόδρα μὲν ἁπάντων ἄρχων, νομίμως δὲ τοὺς ἐξαμαρτόντας κολάζων· [44] οὐδὲν μὲν συμβούλων δεόμενος, ὅμως δὲ τοῖς φίλοις συμβουλευόμενος· πολλὰ μὲν τῶν χρωμένων ἡττώμενος, ἅπαντα δὲ τῶν ἐχθρῶν περιγιγνόμενος· σεμνὸς ὢν οὐ ταῖς τοῦ προσώπου συναγωγαῖς ἀλλὰ ταῖς τοῦ βίου κατασκευαῖς· οὐδὲ πρὸς ἓν ἀτάκτως οὐδ' ἀνωμάλως διακείμενος, ἀλλ' ὁμοίως τὰς ἐν τοῖς ἔργοις ὁμολογίας ὥσπερ τὰς ἐν τοῖς λόγοις διαφυλάττων· [45] μέγα φρονῶν οὐκ ἐπὶ τοῖς διὰ τύχην ἀλλ' ἐπὶ τοῖς δι' αὑτὸν γιγνομένοις· τοὺς μὲν φίλους ταῖς εὐεργεσίαις ὑφ' αὑτῷ ποιούμενος, τοὺς δ' ἄλλους τῇ μεγαλοψυχίᾳ καταδουλούμενος· φοβερὸς ὢν οὐ τῷ πολλοῖς χαλεπαίνειν, ἀλλὰ τῷ πολὺ τὴν τῶν ἄλλων φύσιν ὑπερβάλλειν· ἡγούμενος τῶν ἡδονῶν, ἀλλ' οὐκ ἀγόμενος ὑπ' αὐτῶν· ὀλίγοις πόνοις πολλὰς ῥᾳστώνας κτώμενος, ἀλλ' οὐ διὰ μικρὰς ῥᾳθυμίας μεγάλους πόνους ὑπολειπόμενος· [46] ὅλως οὐδὲν παραλείπων ὧν προσεῖναι δεῖ τοῖς βασιλεῦσιν, ἀλλ' ἐξ ἑκάστης τῆς πολιτείας ἐξειλεγμένος τὸ βέλτιστον, καὶ δημοτικὸς μὲν ὢν τῇ τοῦ πλήθους θεραπείᾳ, πολιτικὸς δὲ τῇ τῆς πόλεως ὅλης διοικήσει, στρατηγικὸς δὲ τῇ πρὸς τοὺς κινδύνους εὐβουλίᾳ, τυραννικὸς δὲ τῷ πᾶσι τούτοις διαφέρειν. Καὶ ταῦθ' ὅτι προσῆν Εὐαγόρᾳ, καὶ πλείω τούτων, ἐξ αὐτῶν τῶν ἔργων ῥᾴδιον καταμαθεῖν. [47] Παραλαβὼν γὰρ τὴν πόλιν ἐκβεβαρβαρωμένην καὶ διὰ τὴν Φοινίκων ἀρχὴν οὔτε τοὺς Ἕλληνας προσδεχομένην οὔτε τέχνας ἐπισταμένην οὔτ' ἐμπορίῳ χρωμένην οὔτε λιμένα κεκτημένην ταῦτά τε πάντα διώρθωσε καὶ πρὸς τούτοις καὶ χώραν πολλὴν προσεκτήσατο καὶ τείχη προσπεριεβάλετο καὶ τριήρεις ἐναυπηγήσατο καὶ ταῖς ἄλλαις κατασκευαῖς οὕτως ηὔξησε τὴν πόλιν ὥστε μηδεμιᾶς τῶν Ἑλληνίδων ἀπολελεῖφθαι, καὶ δύναμιν τοσαύτην ἐνεποίησεν ὥστε πολλοὺς φοβεῖσθαι τῶν πρότερον καταφρονούντων αὐτῆς. [48] Καίτοι τηλικαύτας ἐπιδόσεις τὰς πόλεις λαμβάνειν οὐχ οἷόν τ' ἐστίν, ἢν μὴ τις αὐτὰς διοικῇ τοιούτοις ἤθεσιν οἵοις Εὐαγόρας μὲν εἶχεν ἐγὼ δ' ὀλίγῳ πρότερον ἐπειράθην διελθεῖν. Ὥστ' οὐ δέδοικα μὴ φανῶ μείζω λέγων τῶν ἐκείνῳ προσόντων, ἀλλὰ μὴ πολὺ λίαν ἀπολειφθῶ τῶν πεπραγμένων αὐτῷ. [49] Τίς γὰρ ἂν ἐφίκοιτο τοιαύτης φύσεως, ὃς οὐ μόνον τὴν αὑτοῦ πόλιν πλείονος ἀξίαν ἐποίησεν ἀλλὰ καὶ τὸν τόπον ὅλον τὸν περιέχοντα τὴν νῆσον ἐπὶ πραότητα καὶ μετριότητα προήγαγεν; Πρὶν μέν γε λαβεῖν Εὐαγόραν τὴν ἀρχὴν οὕτως ἀπροσοίστως καὶ χαλεπῶς εἶχον, ὥστε καὶ τῶν ἀρχόντων τούτους ἐνόμιζον εἶναι βελτίστους οἵτινες ὠμότατα πρὸς τοὺς Ἕλληνας διακείμενοι τυγχάνοιεν· [50] νῦν δὲ τοσοῦτον μεταπεπτώκασιν ὥσθ' ἁμιλλᾶσθαι μὲν οἵτινες αὐτῶν δόξουσι φιλέλληνες εἶναι μάλιστα, παιδοποιεῖσθαι δὲ τοὺς πλείστους αὐτῶν γυναῖκας λαμβάνοντας παρ' ἡμῶν, χαίρειν δὲ καὶ τοῖς κτήμασι καὶ τοῖς ἐπιτηδεύμασι τοῖς Ἑλληνικοῖς μᾶλλον ἢ τοῖς παρὰ σφίσιν αὐτοῖς, πλείους δὲ καὶ τῶν περὶ τὴν μουσικὴν καὶ τῶν περὶ τὴν ἄλλην παίδευσιν ἐν τούτοις τοῖς τόποις διατρίβειν ἢ παρ' οἷς πρότερον εἰωθότες ἦσαν. Καὶ τούτων ἁπάντων οὐδεὶς ὅστις οὐκ ἂν Εὐαγόραν αἴτιον εἶναι προσομολογήσειεν. [51] Μέγιστον δὲ τεκμήριον καὶ τοῦ τρόπου καὶ τῆς ὁσιότητος τῆς ἐκείνου· τῶν γὰρ Ἑλλήνων πολλοὶ καὶ καλοὶ κἀγαθοὶ τὰς αὑτῶν πατρίδας ἀπολιπόντες ἦλθον εἰς Κύπρον οἰκήσοντες, ἡγούμενοι κουφοτέραν καὶ νομιμωτέραν εἶναι τὴν Εὐαγόρου βασιλείαν τῶν οἴκοι πολιτειῶν· ὧν τοὺς μὲν ἄλλους ὀνομαστὶ διελθεῖν πολὺ ἂν ἔργον εἴη· [52] Κόνωνα δὲ τὸν διὰ πλείστας ἀρετὰς πρωτεύσαντα τῶν Ἑλλήνων τίς οὐκ οἶδεν ὅτι δυστυχησάσης τῆς πόλεως ἐξ ἁπάντων ἐκλεξάμενος ὡς Εὐαγόραν ἦλθε, νομίσας καὶ τῷ σώματι βεβαιοτάτην εἶναι τὴν παρ' ἐκείνῳ καταφυγὴν καὶ τῇ πόλει τάχιστ' ἂν αὐτὸν γενέσθαι βοηθόν. Καὶ πολλὰ πρότερον ἤδη κατωρθωκὼς οὐδὲ περὶ ἑνὸς πώποτε πράγματος ἔδοξεν ἄμεινον ἢ περὶ τούτου βουλεύσασθαι· [53] συνέβη γὰρ αὐτῷ διὰ τὴν ἄφιξιν τὴν εἰς Κύπρον καὶ ποιῆσαι καὶ παθεῖν πλεῖστ' ἀγαθά. Πρῶτον μὲν γὰρ οὐκ ἔφθασαν ἀλλήλοις πλησιάσαντες καὶ περὶ πλείονος ἐποιήσαντο σφᾶς αὐτοὺς ἢ τοὺς πρότερον οἰκείους ὄντας. Ἔπειτα περί τε τῶν ἄλλων ὁμονοοῦντες ἅπαντα τὸν χρόνον διετέλεσαν καὶ περὶ τῆς ἡμετέρας πόλεως τὴν αὐτὴν γνώμην εἶχον. [54] Ὁρῶντες γὰρ αὐτὴν ὑπὸ Λακεδαιμονίοις οὖσαν καὶ μεγάλῃ μεταβολῇ κεχρημένην λυπηρῶς καὶ βαρέως ἔφερον, ἀμφότεροι προσήκοντα ποιοῦντες· τῷ μὲν γὰρ ἦν φύσει πατρίς, τὸν δὲ διὰ πολλὰς καὶ μεγάλας εὐεργεσίας νόμῳ πολίτην ἐπεποίηντο. Σκοπουμένοις δ' αὐτοῖς ὅπως τῶν συμφορῶν αὐτὴν ἀπαλλάξουσι, ταχὺν τὸν καιρὸν Λακεδαιμόνιο παρεσκεύασαν· ἄρχοντες γὰρ τῶν Ἑλλήνων καὶ κατὰ γῆν καὶ κατὰ θάλατταν εἰς τοῦτ' ἀπληστίας ἦλθον, ὥστε καὶ τὴν Ἀσίαν κακῶς ποιεῖν ἐπεχείρησαν. [55] Λαβόντες δ' ἐκεῖνοι τοῦτον τὸν καιρὸν καὶ τῶν στρατηγῶν τῶν βασιλέως ἀπορούντων ὅ τι χρήσωνται τοῖς πράγμασιν, ἐδίδασκον αὐτοὺς μὴ κατὰ γῆν ἀλλὰ κατὰ θάλατταν ποιεῖσθαι τὸν πόλεμον τὸν πρὸς Λακεδαιμονίους, νομίζοντες, εἰ μὲν πεζὸν στρατόπεδον καταστήσαιντο καὶ τούτῳ περιγένοιντο, τὰ περὶ τὴν ἤπειρον μόνον καλῶς ἕξειν, εἰ δὲ κατὰ θάλατταν κρατήσειαν, ἅπασαν τὴν Ἑλλάδα τῆς νίκης ταύτης μεθέξειν. [56] Ὅπερ συνέβη· πεισθέντων γὰρ ταῦτα τῶν στρατηγῶν καὶ ναυτικοῦ συλλεγέντος Λακεδαιμόνιοι μὲν κατεναυμαχήθησαν καὶ τῆς ἀρχῆς ἀπεστερήθησαν, οἱ δ' Ἕλληνες ἠλευθερώθησαν, ἡ δὲ πόλις ἡμῶν τῆς τε παλαιᾶς δόξης μέρος τι πάλιν ἀνέλαβε καὶ τῶ συμμάχων ἡγεμὼν κατέστη. Καὶ ταῦτ' ἐπράχθη Κόνωνος μὲν στρατηγοῦντος, Εὐαγόρου δὲ τοῦτό τε παρασχόντος καὶ τῆς δυνάμεως τὴν πλείστην παρασκευάσαντος. [57] Ὑπὲρ ὧν ἡμεῖς μὲν αὐτοὺς ἐτιμήσαμεν ταῖς μεγίσταις τιμαῖς καὶ τὰς εἰκόνας αὐτῶν ἐστήσαμεν οὗπερ τὸ τοῦ Διὸς ἄγαλμα τοῦ σωτῆρος, πλησίον ἐκείνου τε καὶ σφῶν αὐτῶν, ἀμφοτέρων ὑπόμνημα καὶ τοῦ μεγέθους τῆς εὐεργεσίας καὶ τῆς φιλίας τῆς πρὸς ἀλλήλους. Βασιλεὺς δ' οὐ τὴν αὐτὴν γνώμην ἔσχε περὶ αὐτῶν, ἀλλ' ὅσῳ μείζω καὶ πλείονος ἄξια κατειργάσαντο, τοσούτῳ μᾶλλον ἔδεισεν αὐτούς. Περὶ μὲν οὖν Κόνωνος ἄλλος ἡμῖν ἔσται λόγος· ὅτι δὲ πρὸς Εὐαγόραν οὕτως ἔσχεν, οὐδ' αὐτὸς λαθεῖν ἐζήτησεν. [58] Φαίνεται γὰρ μᾶλλον μὲν σπουδάσας περὶ τὸν ἐν Κύπρῳ πόλεμον ἢ περὶ τοὺς ἄλλους ἅπαντας, μείζω δὲ καὶ χαλεπώτερον ἐκεῖνον ἀνταγωνιστὴν νομίσας ἢ Κῦρον τὸν περὶ τῆς βασιλείας ἀμφισβητήσαντα. Μέγιστον δὲ τεκμήριον· τοῦ μὲν γὰρ ἀκούων τὰς παρασκευὰς τοσοῦτον κατεφρόνησεν ὥστε διὰ τὸ μὴ φροντίζειν μικροῦ δεῖν ἔλαθεν αὐτὸν ἐπὶ τὸ βασίλειον ἐπιστάς· πρὸς δὲ τοῦτον οὕτως ἐκ πολλοῦ περιδεῶς ἔσχεν, ὥστε μεταξὺ πάσχων εὖ πολεμεῖν πρὸς αὐτὸν ἐπεχείρησε, δίκαια μὲν οὐ ποιῶν, οὐ μὴν παντάπασιν ἀλόγως βουλευσάμενος. [59] Ἠπίστατο μὲν γὰρ πολλοὺς καὶ τῶν Ἑλλήνων καὶ τῶν βαρβάρων ἐκ ταπεινῶν καὶ φαύλων πραγμάτων μεγάλας δυναστείας κατεργασαμένους, ᾐσθάνετο δὲ τὴν Εὐαγόρου μεγαλοψυχίαν καὶ τὰς ἐπιδόσεις αὐτῷ καὶ τῆς δόξης καὶ τῶν πραγμάτων οὐ κατὰ μικρὸν γιγνομένας, ἀλλὰ καὶ τὴν φύσιν ἀνυπέρβλητον ἔχοντα καὶ τὴν τύχην αὐτῷ συναγωνιζομένην· [60] ὥστ' οὐχ ὑπὲρ τῶν γεγενημένων ὀργιζόμενος ἀλλὰ περὶ τῶν μελλόντων φοβούμενος, οὐδὲ περὶ Κύπρου μόνον δεδιώς, ἀλλὰ πολὺ περὶ μειζόνων ἐποιήσατο τὸν πόλεμον πρὸς αὐτόν. Οὕτω δ' οὖν ὥρμησεν ὥστ' εἰς τὴν στρατείαν ταύτην πλέον ἢ τάλαντα πεντακισχίλια καὶ μύρια κατηνάλωσεν. [61] Ἀλλ' ὅμως Εὐαγόρας πάσαις ἀπολελειμμένος ταῖς δυνάμεσιν, ἀντιτάξας τὴν αὑτοῦ γνώμην πρὸς τὰς οὕτως ὑπερμεγέθεις παρασκευάς, ἐπέδειξεν αὑτὸν ἐν τούτοις πολὺ θαυμαστότερον ἢ τοῖς ἄλλοις τοῖς προειρημένοις. Ὅτε μὲν γὰρ αὐτὸν εἴων εἰρήνην ἄγειν, [62] τὴν αὑτοῦ πόλιν μόνην εἶχεν· ἐπειδὴ δ' ἠναγκάσθη πολεμεῖν, τοιοῦτος ἦν καὶ τοιοῦτον εἶχε Πνυταγόραν τὸν υἱὸν τὸν αὑτοῦ συναγωνιστὴν ὥστε μικροῦ μὲν ἐδέησε Κύπρον ἅπασαν κατασχεῖν, Φοινίκην δ' ἐπόρθησε, Τύρον δὲ κατὰ κράτος εἷλε, Κιλικίαν δὲ βασιλέως ἀπέστησε, τοσούτους δὲ τῶν πολεμίων ἀπώλεσεν ὥστε πολλοὺς Περσῶν πενθοῦντας τὰς αὑτῶν συμφορὰς μεμνῆσθαι τῆς ἀρετῆς τῆς ἐκείνου· [63] τελευτῶν δ' οὕτως ἐνέπλησεν αὐτοὺς τοῦ πολεμεῖν, ὥστ' εἰθισμένων τὸν ἄλλον χρόνον τῶν βασιλέων μὴ διαλλάττεσθαι τοῖς ἀποστᾶσι πρὶν κύριοι γένοιντο τῶν σωμάτων, ἄσμενοι τὴν εἰρήνην ἐποιήσαντο, λύσαντες μὲν τὸν νόμον τοῦτον, οὐδὲν δὲ κινήσαντες τῆς Εὐαγόρου τυραννίδος. [64] Καὶ Λακεδαιμονίων μὲν τῶν καὶ δόξαν καὶ δύναμιν μεγίστην ἐχόντων κατ' ἐκεῖνον τὸν χρόνον ἐντὸς τριῶν ἐτῶν ἀφείλετο τὴν ἀρχήν, Εὐαγόρα δὲ πολεμήσας ἔτη δέκα τῶν αὐτῶν κύριον αὐτὸν κατέλιπεν, ὧνπερ ἦν καὶ πρὶν εἰς τὸν πόλεμον εἰσελθεῖν. Ὃ δὲ πάντων δεινότατον· τὴν γὰρ πόλιν, ἣν Εὐαγόρας ἑτέρου τυραννοῦντος μετὰ πεντήκοντ' ἀνδρῶν εἷλε, ταύτην βασιλεὺς ὁ μέγας τοσαύτην δύναμιν ἔχων οὐχ οἷός τ' ἐγένετο χειρώσασθαι. [65] Καίτοι πῶς ἄν τις τὴν ἀνδρίαν ἢ τὴν φρόνησιν ἢ σύμπασαν τὴν ἀρετὴν τὴν Εὐαγόρου φανερώτερον ἐπιδείξειεν ἢ διὰ τοιούτων ἔργων καὶ κινδύνων; Οὐ γὰρ μόνον φανεῖται τοὺς ἄλλους πολέμους, ἀλλὰ καὶ τὸν τῶν ἡρώων ὑπερβαλόμενος, τὸν ὑπὸ πάντων ἀνθρώπων ὑμνούμενον. Οἱ μὲν γὰρ μεθ' ἁπάσης τῆς Ἑλλάδος Τροίαν μόνην εἷλον, ὁ δὲ μίαν πόλιν ἔχων πρὸς ἅπασαν τὴν Ἀσίαν ἐπολέμησεν· ὥστ' εἰ τοσοῦτοι τὸ πλῆθος ἐγκωμιάζειν αὐτὸν ἠβουλήθησαν ὅσοι περ ἐκείνους, πολὺ ἂν μείζω καὶ τὴν δόξαν αὐτῶν ἔλαβεν. [66] Τίνα γὰρ εὑρήσομεν τῶν τότε γενομένων, εἰ τοὺς μύθους ἀφέντες τὴν ἀλήθειαν σκοποῖμεν, τοιαῦτα διαπεπραγμένον, ἢ τίνα τοσούτων μεταβολῶν ἐν τοῖς πράγμασιν αἴτιον γεγενημένον; Ὃς αὑτὸν μὲν ἐξ ἰδιώτου τύραννον κατέστησε, τὸ δὲ γένος ἅπαν ἀπεληλαμένον τῆς πολιτείας εἰς τὰς προσηκούσας τιμὰς πάλιν ἐπανήγαγε, τοὺς δὲ πολίτας ἐκ βαρβάρων μὲν Ἕλληνας ἐποίησεν, [67] ἐξ ἀνάνδρων δὲ πολεμικούς, ἐξ ἀδόξων δ' ὀνομαστούς, τὸν δὲ τόπον ἄμικτον ὅλον παραλαβὼν καὶ παντάπασιν ἐξηγριωμένον ἡμερώτερον καὶ πραότερον κατέστησεν, ἔτι δὲ πρὸς τούτοις εἰς ἔχθραν μὲν βασιλεῖ καταστὰς οὕτως αὐτὸν ἠμύνατο καλῶς ὥστ' ἀείμνηστον γεγενῆσθαι τὸν πόλεμον τὸν περὶ Κύπρον, ὅτε δ' ἦν αὐτῷ σύμμαχος, τοσούτῳ χρησιμώτερον αὑτὸν παρέσχε τῶν ἄλλων [68] ὥσθ' ὁμολογουμένως μεγίστην αὐτῷ συμβαλέσθαι δύναμιν εἰς τὴν ναυμαχίαν τὴν περὶ Κνίδον, ἧς γενομένης βασιλεὺς μὲν ἁπάσης τῆς Ἀσίας κύριος κατέστη, Λακεδαιμόνιοι δ' ἀντὶ τοῦ τὴν ἤπειρον πορθεῖν περὶ τῆς αὑτῶν κινδυνεύειν ἠναγκάσθησαν, οἱ δ' Ἕλληνες ἀντὶ δουλείας αὐτονομίας ἔτυχον, Ἀθηναῖοι δὲ τοσοῦτον ἐπέδοσαν ὥστε τοὺς πρότερον αὐτῶν ἄρχοντας ἐλθεῖν αὐτοῖς τὴν ἀρχὴν δώσοντας. [69] Ὥστ' εἴ τις ἔροιτό με, τί νομίζω μέγιστον εἶναι τῶν Εὐαγόρᾳ πεπραγμένων, πότερον τὰς ἐπιμελείας καὶ τὰς παρασκευὰς τὰς πρὸς Λακεδαιμονίους ἐξ ὧν τὰ προειρημένα γέγονεν, ἢ τὸν τελευταῖον πόλεμον, ἢ τὴν κατάληψιν τῆς βασιλείας, ἢ τὴν ὅλην τῶν πραγμάτων διοίκησιν, εἰς πολλὴν ἀπορίαν ἂν κατασταίην· ἀεὶ γάρ μοι δοκεῖ μέγιστον εἶναι καὶ θαυμαστότατον καθ' ὅ τι ἂν αὐτῶν ἐπιστήσω τὴν διάνοιαν. [70] Ὥστ' εἴ τινες τῶν προγεγενημένων δι' ἀρετὴν ἀθάνατοι γεγόνασιν, οἶμαι κἀκεῖνον ἠξιῶσθαι ταύτης τῆς δωρεᾶς, σημείοις χρώμενος ὅτι καὶ τὸν ἐνθάδε χρόνον εὐτυχέστερον καὶ θεοφιλέστερον ἐκείνων διαβεβίωκεν. Τῶν μὲν γὰρ ἡμιθέων τοὺς πλείστους καὶ τοὺς ὀνομαστοτάτους εὑρήσομεν ταῖς μεγίσταις συμφοραῖς περιπεσόντας, Εὐαγόρας δ' οὐ μόνον θαυμαστότατος ἀλλὰ καὶ μακαριστότατος ἐξ ἀρχῆς ὢν διετέλεσεν.
[71] Τί
γὰρ ἀπέλιπεν εὐδαιμονίας, ὃς τοιούτων μὲν προγόνων ἔτυχεν οἵων
οὐδεὶς ἄλλος, πλὴν εἴ τις ἀπὸ τῶν αὐτῶν ἐκείνῳ γέγονεν, τοσοῦτον δὲ
καὶ τῷ σώματι καὶ τῇ γνώμῃ τῶν ἄλλων διήνεγκεν ὥστε μὴ μόνον
Σαλαμῖνος ἀλλὰ καὶ τῆς Ἀσίας ἁπάσης ἄξιος εἶναι τυραννεῖν, κάλλιστα
δὲ κτησάμενος τὴν βασιλείαν ἐν ταύτῃ τὸν βίον διετέλεσε, θνητὸς δὲ
γενόμενος ἀθάνατον τὴν περὶ αὑτοῦ μνήμην κατέλιπε, τοσοῦτον δ' ἐβίω
χρόνον ὥστε μήτε τοῦ γήρως ἄμοιρος γενέσθαι μήτε τῶν νόσων μετασχεῖν
τῶν διὰ ταύτην τὴν ἡλικίαν γιγνομένων. [72] Πρὸς δὲ τούτοις, ὃ δοκεῖ
σπανιώτατον εἶναι καὶ χαλεπώτατον, εὐπαιδίας τυχεῖν ἅμα καὶ
πολυπαιδίας, οὐδὲ τούτου διήμαρτεν, ἀλλὰ καὶ τοῦτ' αὐτῷ συνέπεσεν.
Καὶ τὸ μέγιστον, ὅτι τῶν ἐξ αὑτοῦ γεγονότων οὐδένα κατέλιπεν
ἰδιωτικοῖς ὀνόμασι προσαγορευόμενον, ἀλλὰ τὸν μὲν βασιλέα
καλούμενον, τοὺς δ' ἄνακτας, τὰς δ' ἀνάσσας. Ὥστ' εἴ τινες τῶν
ποιητῶν περί τινος τῶν προγεγενημένων ὑπερβολαῖς κέχρηνται, λέγοντες
ὡς ἦν θεὸς ἐν ἀνθρώποις ἢ δαίμων θνητός, ἅπαντα τὰ τοιαῦτα περὶ τὴν
ἐκείνου φύσιν ῥηθῆναι μάλιστ' ἂν ἁρμόσειεν. Ἐγὼ δ', ὦ Νικόκλεις, ἡγοῦμαι καλὰ μὲν εἶναι μνημεῖα καὶ τὰς τῶν σωμάτων εἰκόνας, πολὺ μέντοι πλείονος ἀξίας τὰς τῶν πράξεων καὶ τῆς διανοίας, ἃς ἐν τοῖς λόγοις ἄν τις μόνον τοῖς τεχνικῶς ἔχουσι θεωρήσειεν. [74] Προκρίνω δὲ ταύτας πρῶτον μὲν εἰδὼς τοὺς καλοὺς κἀγαθοὺς τῶν ἀνδρῶν οὐχ οὕτως ἐπὶ τῷ κάλλει τοῦ σώματος σεμνυνομένους ὡς ἐπὶ τοῖς ἔργοις καὶ τῇ γνώμῃ φιλοτιμουμένους· ἔπειθ' ὅτι τοὺς μὲν τύπους ἀναγκαῖον παρὰ τούτοις εἶναι μόνοις, παρ' οἷς ἂν σταθῶσι, τοὺς δὲ λόγους ἐξενεχθῆναί θ' οἷόν τ' ἐστὶν εἰς τὴν Ἑλλάδα καί, διαδοθέντας ἐν ταῖς τῶν εὖ φρονούντων διατριβαῖς, ἀγαπᾶσθαι παρ' οἷς κρεῖττόν ἐστιν ἢ παρὰ τοῖς ἄλλοις ἅπασιν εὐδοκιμεῖν· [75] πρὸς δὲ τούτοις ὅτι τοῖς μὲν πεπλασμένοις καὶ τοῖς γεγραμμένοις οὐδεὶς ἂν τὴν τοῦ σώματος φύσιν ὁμοιώσειε, τοὺς δὲ τρόπους τοὺς ἀλλήλων καὶ τὰς διανοίας τὰς ἐν τοῖς λεγομένοις ἐνούσας ῥᾴδιόν ἐστι μιμεῖσθαι τοῖς μὴ ῥᾳθυμεῖν αἱρουμένοις, ἀλλὰ χρηστοῖς εἶναι βουλομένοις. [76] Ὧν ἕνεκα καὶ μᾶλλον ἐπεχείρησα γράφειν τὸν λόγον τοῦτον, ἡγούμενος καὶ σοὶ καὶ τοῖς σοῖς παισὶ καὶ τοῖς ἄλλοις τοῖς ἀπ' Εὐαγόρου γεγονόσι πολὺ καλλίστην ἂν γενέσθαι ταύτην παράκλησιν, εἴ τις ἀθροίσας τὰς ἀρετὰς τὰς ἐκείνου καὶ τῷ λόγῳ κοσμήσας παραδοίη θεωρεῖν ὑμῖν καὶ συνδιατρίβειν αὐταῖς. [77] Τοὺς μὲν γὰρ ἄλλους προτρέπομεν ἐπὶ τὴν φιλοσοφίαν ἑτέρους ἐπαινοῦντες, ἵνα ζηλοῦντες τοὺς εὐλογουμένους τῶν αὐτῶν ἐκείνοις ἐπιτηδευμάτων ἐπιθυμῶσιν, ἐγὼ δὲ σὲ καὶ τοὺς σοὺς οὐκ ἀλλοτρίοις παραδείγμασι χρώμενος ἀλλ' οἰκείοις παρακαλῶ, καὶ συμβουλεύω προσέχειν τὸν νοῦν, ὅπως καὶ λέγειν καὶ πράττειν μηδενὸς ἧττον δυνήσει τῶν Ἑλλήνων. [78] Καὶ μὴ νόμιζέ με καταγιγνώσκειν, ὡς νῦν ἀμελεῖς, ὅτι πολλάκις σοι διακελεύομαι περὶ τῶν αὐτῶν. Οὐ γὰρ οὔτ' ἐμὲ λέληθας οὔτε τοὺς ἄλλους ὅτι καὶ πρῶτος καὶ μόνος τῶν ἐν τυραννίδι καὶ πλούτῳ καὶ τρυφαῖς ὄντων φιλοσοφεῖν καὶ πονεῖν ἐπικεχείρηκας, οὐδ' ὅτι πολλοὺς τῶν βασιλέων ποιήσεις ζηλώσαντας τὴν σὴν παίδευσιν τούτων τῶν διατριβῶν ἐπιθυμεῖν, ἀφεμένους ἐφ' οἷς νῦν λίαν χαίρουσιν. [79] Ἀλλ' ὅμως ἐγὼ ταῦτ' εἰδὼς οὐδὲν ἧττον καὶ ποιῶ καὶ ποιήσω ταὐτὸν ὅπερ ἐν τοῖς γυμνικοῖς ἀγῶσιν οἱ θεαταί· καὶ γὰρ ἐκεῖνοι παρακελεύονται τῶν δρομέων οὐ τοῖς ἀπολελειμμένοις ἀλλὰ τοῖς περὶ τῆς νίκης ἁμιλλωμένοις. [80] Ἐμὸν μὲν οὖν ἔργον καὶ τῶν ἄλλων φίλων τοιαῦτα καὶ λέγειν καὶ γράφειν ἐξ ὧν μέλλομέν σε παροξύνειν ὀρέγεσθαι τούτων, ὧνπερ καὶ νῦν τυγχάνεις ἐπιθυμῶν· σοὶ δὲ προσήκει μηδὲν ἐλλείπειν ἀλλ' ὥσπερ ἐν τῷ παρόντι καὶ τὸν λοιπὸν χρόνον ἐπιμελεῖσθαι καὶ τὴν ψυχὴν ἀσκεῖν, ὅπως ἄξιος ἔσει καὶ τοῦ πατρὸς καὶ τῶν ἄλλων προγόνων. Ὡς ἅπασι μὲν προσήκει περὶ πολλοῦ ποιεῖσθαι τὴν φρόνησιν, μάλιστα δ' ὑμῖν τοῖς πλείστων καὶ μεγίστων κυρίοις οὖσιν. [81] Χρὴ δ' οὐκ ἀγαπᾶν, εἰ τῶν παρόντων τυγχάνεις ὢν ἤδη κρείττων, ἀλλ' ἀγανακτεῖν, εἰ τοιοῦτος μὲν ὢν αὐτὸς τὴν φύσιν, γεγονὼς δὲ τὸ μὲν παλαιὸν ἀπὸ Διός, τὸ δ' ὑπογυιότατον ἐξ ἀνδρὸς τοιούτου τὴν ἀρετήν, μὴ πολὺ διοίσεις καὶ τῶν ἄλλων καὶ τῶν ἐν ταῖς αὐταῖς σοι τιμαῖς ὄντων. Ἔστι δ' ἐπὶ σοὶ μὴ διαμαρτεῖν τούτων· ἂν γὰρ ἐμμένῃς τῇ φιλοσοφίᾳ καὶ τοσοῦτον ἐπιδιδῷς ὅσον περ νῦν, ταχέως γενήσει τοιοῦτος οἷόν σε προσήκει. |
IX. ÉLOGE D'ÉVAGORAS. [1] 1. Nicoclès, en vous voyant honorer le tombeau de votre père, non seulement par le nombre et la beauté des offrandes, mais par des chœurs, des chants, des combats gymniques, des courses de chars, des joutes de galères, et déployer une magnificence qui ne laisse aucun moyen de la surpasser, [2] je pensais que s'il existe chez les morts quelque sentiment des choses de la terre, Évagoras accueillait favorablement un tel hommage et voyait avec joie cette manifestation de votre piété filiale et de votre grandeur d'âme ; mais il me semblait, en même temps, qu'il éprouverait encore plus de reconnaissance pour l'orateur qui pourrait présenter d'une manière digne de lui ses grandes actions, le tableau de ses mœurs, et celui des dangers auxquels il s'est exposé. [3] Nous voyons, en effet, les hommes qui aiment la gloire et dont l'âme est généreuse, mettre la louange au-dessus de tels honneurs, préférer à la vie une mort qui les rend illustres, et, plus jaloux de leur renommée que de leur existence, ne reculer devant aucun sacrifice pour laisser un souvenir qui ne périsse jamais.[4] La profusion des dépenses ne produit rien de semblable : elle est uniquement le signe de la richesse. Ceux qui disputent la palme de la musique ou les prix offerts dans les luttes de toute nature, montrent, les uns leur force, les autres leur habileté, et ajoutent ainsi à leur propre réputation, tandis qu'un discours qui rappellerait noblement les actions d'Évagoras, imprimerait à sa vertu le sceau d'une éternelle mémoire. [5] 2. Il serait désirable que les orateurs célébrassent les louanges des hommes distingués de leur époque, afin que ceux qui auraient la faculté d'embellir les grandes actions par les charmes de l'éloquence, entretenant leurs auditeurs de faits qui leur seraient connus, restassent fidèles à la vérité, et que les jeunes gens, sachant qu'ils obtiendront, pour les actes dans lesquels ils montreraient leur supériorité, plus d'éloges que leurs devanciers, se portassent avec plus d'ardeur vers la vertu. Aujourd'hui, quel homme ne serait découragé [6] en voyant les héros qui ont vécu à l'époque du siège de Troie, et plus anciennement encore, célébrés dans des hymnes et dans des tragédies, lorsqu'il prévoit que, même s'il surpassait leurs vertus, il n'obtiendrait pas un honneur semblable? La cause de cette injustice est l'envie, dans laquelle il n'existe qu'un seul bien, c'est d'être le plus grand des maux pour ceux qui s'y abandonnent. Il y a des hommes si malheureusement nés, qu'ils préfèrent entendre louer ceux dont ils ignorent l'existence, plutôt que ceux dont ils ont reçu des bienfaits. [7] Les hommes sages ne doivent pas s'incliner devant la folie de ces insensés : ils doivent les mépriser; et ils doivent eu même temps accoutumer les autres hommes à prêter l'oreille aux faits dignes d'éloges, lorsque surtout nous savons que les progrès dans les arts, comme en toute chose, s'obtiennent, non par ceux qui restent servilement attachés à ce qui est établi, mais par ceux qui corrigent sans cesse et qui osent toujours modifier ce qui n'a point atteint sa perfection. [8] 3. Je sais combien est difficile la tâche que je me suis imposée, de louer la vertu d'un homme dans un discours en prose. En voici la preuve évidente: ceux qui consacrent leur vie à la philosophie, n'hésitent point à traiter des sujets nombreux et variés; et cependant, jamais aucun d'eux ne n'est appliqué à une œuvre semblable. J'éprouve à leur égard un juste sentiment d'indulgence. Une foule d'ornements sont à la disposition des poètes : [9] il leur est permis, quand ils le veulent, de mettre les dieux en rapport direct avec les hommes, de les faire converser avec eux, de les présenter dans les combats comme les auxiliaires des héros : ils peuvent, dans leurs récits, employer non seulement les mots consacrés par l'usage, mais tantôt des mots étrangers, tantôt des mots nouveaux, se servir de métaphores, ne négliger aucun moyen et varier de mille manières les formes de leur poésie. [10] Les orateurs, au contraire, privés de toutes ces ressources, sont contraints de s'exprimer avec précision, d'employer uniquement des termes de la langue commune et des pensées qui ressortait du sujet. En outre, les poètes emploient constamment le rythme et la mesure, tandis que les orateurs ne participent à aucun de ces deux avantages, dont le charme est si attrayant que, quand bien même les pensées et les paroles offriraient quelque chose de défectueux, ils entraîneraient les auditeurs par le nombre et la cadence. [11] On peut, d'après ce que je vais dire, reconnaître la puissance de ces moyens. Si quelqu'un, dans les poèmes les plus renommés, conservant les mots et les pensées, essayait seulement de briser la mesure, il est certain que ces grands ouvrages paraîtraient fort au-dessous de l'idée que nous en avons. Mais quelque grands que puissent être les prestiges de la poésie, il ne faut pas perdre courage, il faut voir si les hommes distingués pour leur vertu ne peuvent pas être loués dans un discours éloquent, aussi bien que dans une poésie harmonieuse. [12] 4. Et d'abord, pour ce qui touche à l'origine d'Évagoras et aux ancêtres dont il était issu, encore que beaucoup d'hommes en soient instruits, je crois qu'il est convenable d'en parler ici, à cause de ceux qui les ignorent, et afin que tout le monde sache que les plus beaux et les plus nobles exemples lui ayant été laissés par ses ancêtres, il ne s'est montré inférieur à aucun d'eux. [13] On convient unanimement que, parmi les demi-dieux, les plus nobles sont les descendants de Jupiter, et il n'existe personne qui n'accorde, parmi ceux-ci, le premier rang aux Eacides. Dans toutes les autres races, on reconnaît que, si les uns sont des hommes supérieurs,les autres sont des hommes d'un mérite ordinaire, tandis que tous les Eacides ont été les hommes les plus renommés de leur temps. [14] 5. Eacus, fils de Jupiter, auteur de la race des Teucrides, fut tellement supérieur au reste des mortels, qu'une grande sécheresse ayant affligé la Grèce et fait périr une partie de ses habitants, les chefs des villes, lorsque la grandeur du fléau eut dépassé toutes les limites, se présentèrent comme suppliants devant lui, dans la confiance que l'affinité du sang, réunie à la piété, obtiendrait bientôt des dieux la fin de leurs misères. [15] Exaucés dans leurs vœux, ils bâtirent à Égine, au nom de tous les Grecs, un temple dans le lieu même où Eacus avait adressé sa prière aux immortels. A partir de celte époque, et tant qu'il resta parmi les hommes, Eacus continua de jouir de la plus haute renommée; et lorsqu'il eut quitté la vie, la tradition nous apprend qu'entouré des plus grands honneurs dans le palais de Pluton et de Proserpine, il a pris place près de ces divinités. [16] 6. Eacus eut pour fils Télamon et Pelée. Télamon, compagnon d'Hercule dans la guerre que ce dieu fit à Laomédon, obtint le prix de la valeur ; Pelée, après avoir signalé son courage dans le combat contre les Centaures, et s'être illustré dans un grand nombre d'autres dangers, s'unit à Thétis, fille de Nérée, et, mortel, devint l'époux d'une épouse immortelle ; enfin nous savons que pour lui seul, dans toute l'antiquité, les dieux, présidant à ses noces, firent retentir eux-mêmes le chant de l'hyménée. [17] 7. Télamon eut pour fils Ajax et Teucer; Pelée fut le père d'Achille; et tous les trois donnèrent les preuves les plus brillantes de leur courage. Mais ce n'était pas assez pour eux d'occuper le premier rang dans leur patrie et dans les lieux qu'ils habitaient : les Grecs ayant entrepris une expédition contre les Barbares, d'innombrables armées s'étant réunies des deux côtés, [18] et aucun homme de quelque renom n'étant resté dans ses foyers, Achille, dans ces luttes terribles, surpassa tous les héros; Ajax obtint le second rang; Teucer, digne de la noble origine qu'il partageait avec eux, ne se montra inférieur à aucun autre guerrier, et, après avoir contribué à la conquête de Troie, il se rendit dans l'île de Cypre, bâtit Salamine, qu'il appela du nom de sa première patrie, et fut l'auteur de la race qui y règne encore aujourd'hui. [19] 8. Telle a été, dans l'origine, la grandeur dont Évagoras fut redevable à ses ancêtres. Salamine ayant été fondée connue nous l'avons dit, les descendants de Teucer en furent les premiers rois. Dans la suite, un proscrit venu de la Phénicie, admis dans la confiance du prince qui régnait alors, obtint près de lui un grand crédit : mais, au lieu d'en éprouver de la reconnaissance, [20] il se fit l'ennemi de celui qui l'avait accueilli, et, perfide autant qu'ambitieux, il chassa son bienfaiteur, et s'empara de la royauté. Ayant toutefois peu de confiance dans la stabilité de son pouvoir, et voulant assurer son usurpation, il remplit la ville de Barbares et soumit l'île entière à la puissance du Grand Roi. [21] 9. Les choses étaient dans cette position, et la race de l'usurpateur occupait le trône, quand Évagoras vint au monde. Je préfère passer sous silence les prédictions, les augures, les visions dans le sommeil, annonçant qu'il était né dans des conditions supérieures à celles de la nature humaine ; non que je refuse de croire ce qui a été dit à cet égard, mais afin de rendre évident pour tout le monde que, loin de vouloir rien inventer relativement aux actions d'Évagoras, je repousse ce qui, n'étant connu que d'un petit nombre, ne peut être affirmé par tous. Je commencerai par parler des faits que personne ne conteste. [22] 10. Évagoras, dans son enfance, réunissait en lui la beauté, la force, la modestie, qualités qui sont le premier ornement de cet âge. On pourrait appeler en témoignage de sa modestie ceux de ses concitoyens qui ont été élevés avec lui ; de sa beauté, tous ceux qui l'ont vu ; et, pour preuve de sa force, on citerait les luttes dans lesquelles il vainquit tous les jeunes gens de son âge. [23] Parvenu à l'âge d'homme, toutes ces qualités s'accrurent, et l'on vit s'y réunir le courage, la sagesse et la justice, non pas dans une mesure ordinaire et comme chez les autres hommes, mais à un degré supérieur, pour chacune de ces vertus. Il se distinguait tellement par les facultés du corps, et par les qualités de l'âme, [24] qu'en !e voyant, ceux qui gouvernaient alors étaient frappés d'étonnement et craignaient pour leur puissance, parce qu'il leur semblait impossible qu'un homme aussi favorisé de la nature put persévérer à vivre comme un simple citoyen; et lorsque, d'un autre côté, ils considéraient ses mœurs, leur confiance devenait telle qu'ils se persuadaient qu'Évagoras serait pour eux un appui, si quelqu'un osait attaquer leur autorité. [25] 11. De ces deux opinions si différentes aucune ne les trompa ; car Évagoras ne resta pas simple particulier, et cependant il ne conspira point contre leur pouvoir. La divinité prit un tel soin de le faire arriver au trône d'une manière honorable, que tous les actes qui pouvaient blesser la piété furent accomplis par d'autres mains que les siennes, [26] tandis qu'elle réserva pour lui ceux qui devaient le mettre en possession du pouvoir d'une manière à la fois loyale et sainte. Un des hommes qui participaient au gouvernement ayant dressé des embûches au tyran, le mit à mort, et essaya d'envelopper Évagoras dans la même destinée, convaincu qu'il ne pourrait conserver l'autorité s'il ne le faisait disparaître. [27] Évagoras, ayant échappé au danger, et s'étant réfugié à Soles, ville de Cilicie, ne fut pas dominé par le sentiment ordinaire à ceux qui tombent dans de semblables malheurs. Les autres hommes, et même les rois précipités du trône, laissent fléchir leur âme sous le poids de leur infortune ; Évagoras, au contraire, s'éleva à une telle grandeur d'âme qu'après avoir toujours vécu comme un simple particulier, du moment où il fut obligé de fuir, [28] il comprit qu'il devait régner. Dédaignant de s'adresser aux vagabonds et aux fugitifs, et ne voulant pas devoir à des étrangers son retour dans sa patrie, ni réclamer le secours d'hommes qu'il regardait comme au-dessous de lui, il prit la seule voie qui convienne à ceux qui, respectant les dieux, veulent repousser une injure, mais non la faire les premiers, décidé à régner si la fortune le seconde, à périr si elle le trahit. Il fait choix de cinquante hommes (c'est le nombre le plus grand indiqué par les traditions), et se prépare, avec ce secours, à rentrer dans sa patrie. [29] On peut apprécier ici la force de son caractère, aussi bien que son ascendant sur tout ce qui l'entourait; car, au moment de franchir les mers pour attaquer une ville si puissante avec un si petit nombre d'hommes, et d'aborder les plus terribles dangers, non seulement son courage ne faiblit pas, mais, parmi ses compagnons, aucun ne conçoit la pensée de se soustraire au péril ; tous, comme s'ils avaient un dieu pour guide, demeurent fidèles à leur engagement ; et, quant à lui, il conserve au fond de son âme la même tranquillité que s'il eût été le chef d'une armée supérieure à celle de ses ennemis, ou comme si l'avenir eût été dévoilé à ses yeux. [30] 12. Les preuves ressortent des faits. Descendu dans l'île, il ne juge pas nécessaire de se saisir de quelque point fortifie et d'attendre, après avoir pourvu à !a sûreté de sa personne, qu'une partie des citoyens vienne le seconder; mais à l'instant, dès la nuit même, avec les moyens dont il dispose, il brise une porte du rempart, s'introduit dans la ville, fait entrer ses compagnons, et attaque le palais. [31] Qu'ai-je besoin de m'arrêter à décrire le tumulte qui accompagne de tels combats, les terreurs de l'ennemi et les exhortations d'Évagoras ? Les satellites du tyran lui résistent; les citoyens restent spectateurs de la lutte : d'une part la puissance du tyran, de l'autre l'intrépidité d'Évagoras, [32] les ont glacés d'épouvanté. Évagoras, cependant, ne cesse pas de combattre, tantôt seul contre plusieurs, tantôt avec un petit nombre contre tous ses adversaires, jusqu'à ce qu'enfin, maître du palais, il se venge de ses ennemis, secourt ses amis, remet sa famille en possession des honneurs dont avaient joui ses ancêtres, et se constitue lui-même chef et roi de son pays. [33] 13. Il me semble que si, n'ajoutant plus rien, je terminais là mon discours, il serait facile d'apprécier, par ce qui précède, et la vertu d'Évagoras, et la grandeur de ses exploits; mais j'espère, dans ce qui va suivre, présenter l'un et l'antre sous un jour plus éclatant encore. [34] 14. Parmi tant d'hommes qui, dans tous les siècles, sont parvenus à la royauté, on n'en verra pas un seul auquel il ail été donné d'acquérir plus noblement cet honneur. Si nous voulions entreprendre de comparer les actions d'Évagoras aux actions de chacun d'eux, peut-être notre discours ne serait pas en harmonie avec les circonstances, et le temps ne suffirait pas pour ce que nous aurions à dire; mais si, choisissant les plus illustres de ces hommes, nous les plaçons en regard d'Évagoras, nos paroles ne perdront rien de leur valeur ri nous arriverons plus rapidement à notre but. [35] 15. Quel est, de tous les princes qui héritent des royaumes de leurs pères, celui qui ne préférera il pas à cette transmission paisible les dangers bravés par Évagoras ? Non, il n'existe pas un homme assez privé de sentiment pour préférer recevoir la royauté de ses ancêtres, plutôt que de l'acquérir, comme l'a fait Agoras, et de la transmettre à ses enfants. [36] 16. Les plus célèbres entre tous les anciens retours de princes dépossédés, sont ceux qui ont été chantés par les poètes ; et les poètes, non seulement nous transmettent le souvenir des faits les plus remarquables parmi ceux qui se sont réalisés, mais ils y ajoutent des circonstances enfantées par leur imagination. Aucun d'eux cependant ne nous a montré un roi qui se soit personnellement exposé à des dangers aussi extraordinaires, aussi redoutables, pour rentrer dans sa patrie; et, presque toujours, ils les présentent comme replacés sur le trône par une faveur de la fortune, ou triomphant de leurs ennemis par la perfidie et l'intrigue. [37] 17. Entre les rois qui sont venus ensuite, et entre tous les rois peut-être, Cyrus, qui arracha l'empire de l'Asie aux Mèdes pour le transporter aux Perses, est celui qui excite l'admiration la plus grande et la plus universelle. Or, c'est avec l'armée des Perses que Cyrus a vaincu l'année des Mèdes, ce que beaucoup d'autres que lui parmi les Grecs ou parmi les Barbares auraient facilement exécuté; tandis qu'il est évident qu'Évagoras a accompli la plus grande partie des choses dont nous avons rendu compte, par l'énergie de son âme et la valeur de son bras. [38] En second lieu, l'expédition de Cyrus n'a pas prouvé qu'il eut affronté les périls qui n'ont point arrêté Évagoras ; tandis qu'il est certain pour tout le monde, d'après les choses qu'il a faites, qu'Évagoras n'eut pas craint d'aborder les entreprises qui ont illustré Cyrus. Et de plus, tout ce qu'a fait Évagoras est d'accord avec la piété et la justice, tandis que Cyrus a violé la piété dans plusieurs de ses actions; Évagoras n'a fait périr que ses ennemis, et Cyrus a donné la mort au père de sa mère, de sorte que si l'on voulait juger, non la grandeur des événements, mais la vertu de l'un et de l'autre, Évagoras aurait droit à plus de louanges. [39] Si donc il faut tout dire en peu de mots, sans rien dissimuler, sans redouter l'envie, et avec une liberté entière, on ne trouvera pas un mortel, un demi-dieu, un des immortels eux-mêmes, qui ait acquis un royaume d'une manière plus noble, plus glorieuse et plus sainte que ne l'a fait Évagoras. On pourrait rendre cette vérité plus sensible encore, si, refusant toute confiance à mes paroles, on entreprenait de rechercher de quelle manière chacun d'eux a usé du pouvoir suprême : on verrait alors que, si j'ai parlé d'Évagoras avec autant d'assurance, ce n'est point par le désir de présenter, à tout prix, de nobles images, mais parce que je dis la vérité. [40] 18. Si Évagoras ne se fût distingué que par des entreprises peu importantes, il serait juste de lui donner des éloges proportionnés à ses actions ; mais la royauté étant unanimement regardée comme la plus grande, la plus auguste des prospérités divines et humaines, comme celle qui est la plus digne d'être disputée les armes à la main, quel orateur, quel poète, quel écrivain pourrait élever ses louanges à la hauteur de celui qui a conquis de la manière la plus glorieuse ce qu'il y a de plus glorieux au monde ? [41] 19. Supérieur dans tout ce que nous venons de dire, on ne le trouvera inférieur sous aucun autre rapport. Doué par la nature des facultés les plus heureuses, et capable de réussir dans la plupart des choses qu'il entreprenait, il croyait cependant ne devoir rien négliger, rien improviser dans la conduite des affaires, et il employait la plus grande partie de son temps à s'informer, à méditer, à réfléchir, convaincu que, s'il développait avec zèle les ressources de son génie, il régnerait avec gloire, et voyant avec surprise les hommes qui règlent toutes leurs affaires au moyen de leur intelligence, ne se donner aucun soin dans l'intérêt de cette intelligence elle-même. [42] Son opinion était semblable relativement à l'administration de son royaume, parce qu'il avait remarqué que les hommes qui portent le plus d'attention à leurs intérêts, éprouvent moins de revers que les autres, et que le véritable repos d'esprit ne se trouve pas dans l'oisiveté, mais dans les succès qu'obtient une activité ferme et constante. Il ne laissait donc rien sans l'examiner, et il connaissait si bien l'état des affaires et le caractère de chaque citoyen, que ceux qui lui dressaient des embûches ne pouvant sur prendre sa vigilance, et ceux qui étaient bons et honnêtes ne pouvant rester ignorés de lui, tous étaient traités comme ils méritaient de l'être. Jamais il ne punissait, jamais il ne récompensait sur des rapports étrangers ; mais il jugeait par lui-même et sur ses propres informations. [43] Entièrement consacré à ces soins, on ne le vit point s'égarer (même une seule fois) dans cette multitude d'affaires qui se reproduisent chaque jour, et il gouverna sa patrie avec tant de piété et d'humanité, que les étrangers qui venaient à Salamine enviaient moins le pouvoir d'Evagoras que le bonheur de ceux qui vivaient sous ses lois; car, dans tout le cours de son règne, il ne commit d'injustice envers personne; il honora les hommes vertueux, maintint avec fermeté son autorité sur tous, et punit les méchants conformément aux lois. [44] Encore qu'il n'eût besoin des conseils de personne, il consultait cependant ses amis, accordant beaucoup de choses aux hommes qui jouissaient de son intimité, mais ne faisant aucune concession à ses ennemis. Il imprimait le respect non par la contraction des traits de son visage, mais par l'ordre habituel de sa vie, il évitait tout désordre, toute illégalité, et ses actes présentaient l'accomplissement fidèle de ses promesses ; [45] fier, non des succès qu'il devait à la fortune, mais de ceux qu'il se devait à lui-même, il s'assurait par des bienfaits la soumission de ses amis, et subjuguait les autres hommes par sa magnanimité. Il se rendait redoutable, non par le grand nombre des supplices, mais par la supériorité de son génie; commandait aux voluptés, et n'était jamais entraîné par elles, savait, avec peu de travail, se procurer de nombreux loisirs, et ne négligeait jamais des travaux importants pour obtenir une tranquillité passagère. [46] En un mot, n'omettant rien de ce qui doit appartenir aux rois, il choisissait dans chaque forme de gouvernement ce qu'elle avait de meilleur, et, roi populaire par les soins qu'il prenait du peuple, politique par l'ensemble de son administration, guerrier par les ressources de son génie en face des périls, il manifestait sa supériorité dans toutes les parties du gouvernement. Il est facile de se convaincre, par les actions mêmes d'Évagoras, qu'il réunissait tous ces avantages et beaucoup d'autres encore. [47] 20. Il avait trouvé une ville plongée dans la barbarie, ne pouvant même admettre les Grecs chez elle, à cause de la domination phénicienne ; sans arts, sans commerce, sans ports ; il changea entièrement cet état de choses; il agrandit considérablement son territoire, l'entoura de remparts, construisit des galères, lui donna sous tous les autres rapports un tel accroissement qu'elle n'était inférieure à aucune des villes de la Grèce ; et la rendit si puissante qu'elle se vit redoutée par un grand nombre de peuples qui la méprisaient auparavant. [48] Il serait impossible à une ville de prendre de si grands développements, si elle n'était gouvernée par un homme doué de tous les avantages que possédait Évagoras, et que j'ai tout à l'heure essayé d'indiquer. Je ne crains donc pas de paraître exagérer ses hautes qualités, je crains plutôt de rester au-dessous des hauts faits qu'il a accomplis. [49] Quel discours en effet pourrait s'élever à la hauteur d'une si noble nature? Évagoras n'a pas seulement ajouté à la dignité de sa patrie, il a su encore inspirer des sentiments de modération et de douceur aux habitants des pays dont sa ville était entourée. Ces peuples, avant qu'Évagoras eût pris les rênes du gouvernement, étaient tellement sauvages, tellement inabordables, que, parmi les chefs qui les gouvernaient, ils regardaient comme les meilleurs ceux qui se montraient animés contre les Grecs des dispositions les plus cruelles ; [50] mais aujourd'hui il s'est opéré en eux un tel changement, qu'ils rivalisent de bienveillance envers ces mêmes Grecs; que la plupart, pour perpétuer leur race, prennent des femmes parmi nous ; qu'ils préfèrent les productions et les institutions de la Grèce à celles de leur propre pays; et que les hommes qui s'adonnent à la musique et aux arts de la civilisation, se rencontrent chez, eux en plus grand nombre que chez les peuples parmi lesquels ils avaient autrefois l'habitude de se fixer. Or il n'y a personne qui ne reconnaisse qu'Évagoras a été l'auteur de cette grande révolution. [51] 21. Mais voici le plus éclatant témoignage rendu à la noblesse de son caractère et à la sainteté de ses mœurs. Un grand nombre de Grecs, hommes de probité et d'honneur, abandonnant leur pays, sont tenus habiter Cypre, convaincus que la royauté d'Évagoras était plus légère à supporter et plus conforme aux lois que les gouvernements établis dans leur propre patrie. Les désigner tous par leur nom serait un grand travail ; [52] mais qui ne sait que Conon, le premier de tous les Grecs par le nombre et la grandeur de ses vertus, fit choix d'Évagoras entre tous les princes, pour se réfugier près de lui lors des malheurs de noire patrie, certain qu'il y trouverait la retraite la plus sûre pour sa personne, en même temps que le secours le plus prompt pour relever la fortune de son pays? Conon avait autrefois réussi dans un grand nombre d'entreprises; mais, dans aucune circonstance, il n'a paru plus sagement inspiré ; [53] car son arrivée dans l'île de Cypre lui donna l'occasion de procurer à d'autres et de recueillir lui-même les plus grands avantages. Évagoras et lui ne furent pas plutôt entrés en communication, qu'ils s'estimèrent l'un et l'autre plus que tous ceux avec lesquels ils avaient eu auparavant des rapports intimes ; et, de même qu'ils n'avaient pas cessé d'être unanimes sur tous les autres objets, ils n'eurent plus qu'une même pensée relativement à notre patrie. [54] En la voyant courbée sous le joug des Lacédémoniens et accablée par un grand revers, ils éprouvaient de profonds sentiments d'indignation et de douleur, sentiments qui convenaient à tous les deux, car Athènes était pour Conon sa patrie naturelle, et la république, pour reconnaître les grands et nombreux services qu'elle avait reçus d'Évagoras, l'avait admis par une loi au nombre de ses citoyens. Ils cherchaient ensemble les moyens de délivrer Athènes des maux qui l'accablaient, et bientôt Lacédémone leur en offrit l'occasion. Depuis que les Lacédémoniens commandaient aux Grecs sur terre et sur mer, leur cupidité était devenue tellement insatiable qu'ils avaient entrepris de ravager l'Asie. [55] Évagoras et Conon, profitant de cette circonstance et voyant que les généraux du Roi hésitaient sur le parti qu'ils devaient prendre, leur conseillèrent d'attaquer les Lacédémoniens sur mer et non pas sur terre, dans la pensée que si, réunissant une armée, ils remportaient une victoire sur terre, le continent seul en recueillerait les fruits ; tandis que, vainqueurs sur la mer, ils feraient participer la Grèce entière aux résultats de cette victoire. [56] L'événement justifia leur prévoyance. Les généraux du Roi, ayant cédé à leurs conseils et rassemblé une flotte, les Lacédémoniens, vaincus dans un combat naval, furent dépouillés de l'empire; les Grecs recouvrèrent leur liberté, et Athènes, reprenant une partie de son ancienne gloire, se trouva de nouveau placée à la tête des alliés. Ces événements, il est vrai, s'accomplirent sous le commandement de Conon ; mais Évagoras avait combattu en personne et fourni la plus forte partie des troupes. [57] Aussi avons-nous décrété les plus grands honneurs pour tous les deux, et leur avons-nous élevé des statues dans le lieu même où est placée la statue de Jupiter Sauveur, près du dieu, et rapprochées l'une de l'autre, pour être un double monument de la grandeur du service qu'ils avaient rendu et de l'amitié qui les unissait. 22 Quant au Roi, il n'éprouvait pas le même sentiment à leur égard : plus leurs exploits étaient grands, plus ils étaient glorieux, et plus le Roi les redoutait. Nous parlerons ailleurs de Conon. Pour ce qui touche à Évagoras, le Roi ne cherchait pas même à dissimuler ses craintes. [58] On l'a vu s'occuper de la guerre de Cyrus plus que de toutes les autres, regardant Évagoras comme un adversaire plus terrible, plus redoutable que Cyrus même, qui lui avait disputé sa couronne. Voici la preuve plus grande de cette assertion : informé des préparatifs de son frère, il s'en préoccupa si peu que Cyrus faillit le surprendre dans son palais. Pour Évagoras, au contraire, sa crainte fut si prévoyante que, même alors qu'il en recevait des services, il se préparait à lui faire la guerre; et en cela, s'il manquait à la justice, ses calculs n'étaient pas complètement dépourvus de raison. [59] Il savait que beaucoup de Grecs, et même beaucoup de Barbares, partis de situations faibles et méprisables, avaient renversé de grandes puissances; il connaissait l'âme élevée d'Évagoras; il voyait que les progrès de sa renommée et de ses affaires étaient loin de se produire par des degrés insensibles; qu'il était doué d'un génie que rien ne pouvait surpasser ; que la fortune se plaisait à seconder ses entreprises ; et il était résolu à lui faire la guerre, non par irritation à cause du passé, mais par inquiétude pour l'avenir ; [60] non pas seulement par crainte pour l'île de Cypre, mais pour de plus hautes appréhensions. En un mot, il se portait avec tant d'ardeur à celte guerre, qu'il y dépensa plus de quinze mille talents. [61] 23. Évagoras, cependant, inférieur en moyens de guerre de tout genre, mais opposant son génie à ces immenses préparatifs, se montra, dans cette circonstance, plus digne encore d'admiration que dans toutes celles que nous avons signalées. Lorsque les Perses le laissaient jouir de la paix, [62] son pouvoir était borné à l'enceinte de Salamine; mais, dès qu'il fut obligé de leur faire la guerre, il déploya une telle supériorité, et trouva dans son fils Pnytagoras un si vaillant auxiliaire, qu'il fut au moment de s'emparer de l'île entière. Il ravagea la Phénicie, enleva Tyr de vive force, souleva la Cilicie contre le Roi, et détruisit un si grand nombre d'ennemis que la plupart des Perses, lorsqu'ils déplorent les malheurs qui les ont frappés, ne manquent jamais de rappeler la valeur d'Évagoras. [63] Enfin il les remplit d'un tel dégoût pour la guerre, que, malgré l'usage établi dans tous les temps chez les rois de Perse de ne pas traiter avec leurs sujets révoltés avant qu'ils se fussent livrés entre leurs mains, on les vit, au mépris de cette loi, heureux de conclure la paix sans porter aucune atteinte à la puissance d'Évagoras. [64] Le Roi, dans l'espace de trois ans, avait arraché l'empire aux Lacédémoniens, qui alors étaient parvenus au faîte de la gloire et de la puissance ; tandis qu'après une lutte de dix ans, il se vit contraint de laisser Évagoras maître de ce qu'il possédait avant de commencer la guerre. Et ce qu'il y a de plus remarquable, cette même ville qu'Évagoras avait enlevée à la tête de cinquante hommes, lorsqu'un autre y régnait, le Grand Roi, avec toute sa puissance, ne put jamais la soumettre. [65] 24. Comment pourrait-on montrer la valeur, le génie et toute la vertu d'Évagoras avec plus d'évidence qu'en présentant le tableau de tels travaux, de tels dangers ? On ne le voit pas seulement surpasser les exploits qui ont illustré les autres guerres, mais ceux de la guerre des héros célébrée dans tout l'univers. Ceux-ci, aidés de toute la Grèce, ont pris la seule ville de Troie ; Évagoras, qui ne possédait qu'une ville, a lutté contre l'Asie entière : de sorte que, si le nombre de ceux qui ont voulu lui donner des louanges eut égalé le nombre des poètes qui ont chanté ces héros, sa gloire eût été de beaucoup supérieure à celle qu'ils ont acquise. [66] 25. Et en effet, si, laissant de côté les fables, nous n'envisageons que la vérité, quel homme trouverons-nous, dans ces temps éloignés, qui ait fait d'aussi grandes choses, ou opéré de si grandes révolutions? Il était simple particulier, il s'est fait roi ; sa famille tout entière était exclue du pouvoir, il l'a rétablie dans les honneurs auxquels elle avait droit ; ses concitoyens étaient tombés dans la barbarie, il leur a fait reprendre leur rang parmi les Grecs; [67] ils étaient lâches, il les a rendus belliqueux ; ils étaient sans renommée, il les a rendus célèbres ; il avait trouvé un pays sans relations avec les peuples étrangers et dans une situation voisine de l'état sauvage, il l'a civilisé, il a adouci ses mœurs; enfin, lorsqu'il eut encouru la haine du Roi, il combattit contre lui d'une manière si glorieuse qu'une éternelle renommée s'est attachée au souvenir de la guerre de Cypre; tandis que, lorsqu'il était son allié, il s'était montré tellement supérieur à tous les autres par ses services [68] que, d'un consentement unanime, on convient que c'est lui qui a engagé pour sa cause les forces les plus considérables dans le combat naval de Gnide, combat par suite duquel le Roi est devenu maître de toute l'Asie; les Lacédémoniens, qui ravageaient le continent, ont été forcés de combattre pour leurs propres foyers ; les Grecs, délivrés de l'esclavage, ont recouvré leur liberté ; et la puissance d'Athènes a pris un tel accroissement que ceux qui auparavant lui donnaient des ordres sont venus remettre le commandement dans ses mains. [69] 26. Si donc quelqu'un me demandait quels sont, entre tous les actes de la vie d'Évagoras, ceux que je considère comme les plus grands, soit les dispositions qu'il a prises contre les Lacédémoniens, d'où sont sortis les événements que nous avons signalés, soit la dernière guerre, soit la conquête de sa couronne, soit enfin l'ensemble de son administration, je serais dans un grand embarras; car, de toutes ses actions, celle qui dans le moment s'offre à ma pensée me semble toujours la plus grande, la plus digne d'être admirée. [70] 27. Par conséquent, si, dans les temps anciens, quelques hommes sont devenus immortels à cause de leur vertu, je crois qu'Évagoras a été jugé digne du même honneur, et j'en ai pour preuve que, tout le temps qu'il a passé sur la terre, il a été plus heureux et plus favorisé des dieux qu'il ne leur avait été donné de l'être. Nous trouverons en effet que la plupart des demi-dieux, et même les plus célèbres, ont éprouvé les plus cruelles infortunes, tandis qu'Évagoras a été, depuis le commencement et dans tout le cours de sa vie, le plus admiré des mortels et le plus heureux à la fois. [71] 28. Qu'a-t-il manqué à son bonheur? Ses ancêtres lui avaient transmis une si grande illustration que personne ne pouvait la partager, à moins d'être sorti de la même origine. Il était tellement supérieur aux autres hommes par les qualités du corps et de l'esprit, qu'il eût été digne de régner, non seulement sur Salamine, mais sur l'Asie tout entière ; il avait acquis la couronne de la manière la plus glorieuse, et il l'a conservée toute sa vie. Né mortel, il a laissé de son nom un souvenir immortel ; il a vécu assez, de temps pour connaître la vieillesse, mais il n'a pas connu les infirmités qui, chez les autres hommes, accompagnent un âge avancé. [72] Enfin le bonheur le plus rare, celui que l'on considère comme le plus difficile à obtenir, le bonheur d'avoir une postérité à la fois nombreuse et digne de son auteur, ne lui a pas été refusé, car il l'a possédé dans toute sa plénitude. Mais, ce qui est surtout remarquable, il n'a pas laissé un seul de ceux qui étaient nés de lui qui fût salué uniquement de son nom, comme un simple particulier : mais l'un avait le titre de roi, les autres celui de princes ; ses filles, celui de princesses. Si donc quelques poètes ont cru pouvoir se servir de l'hyperbole, en disant d'un personnage de l'antiquité qu'il était un dieu chez les hommes, une divinité mortelle, les mêmes titres d'honneur, employés pour Évagoras, seraient en parfaite harmonie avec sa noble nature. [73] 29. Parmi les actions d'Évagoras, il en est sans doute un grand nombre que je passe sous silence; mais je n'ai plus celte vigueur de la jeunesse, qui m'eût permis autrefois de consacrer à son éloge plus de soins et de travail. Quoiqu'il en soit, même aujourd'hui, autant que mes forces me l'ont permis, Évagoras n'est pas demeuré sans louanges. 30. Je crois, Nicoclès, que les statues qui rappellent les formes du corps sont des monuments honorables; mais j'attache beaucoup plus de prix aux images des actions et des pensées, que présentent seuls des discours composés avec art. [74] Je les préfère, d'abord, parce que les hommes distingués s'enorgueillissent bien moins de la beauté de leur corps qu'ils ne se glorifient de leurs actions et de la sagesse qui y préside; en second lieu, parce que les images matérielles restent nécessairement entre les mains de ceux chez, lesquels elles ont été placées, tandis que les discours peuvent être transportés dans toute la Grèce, et charmer les réunions des hommes érudits dont le suffrage est préférable à celui de tous les autres, [75] et, de plus, parce que personne ne peut modeler son corps sur les statues et les images, tandis qu'il est facile pour ceux qui ne veulent pas s'abandonner à la mollesse, mais qui veulent devenir des citoyens utiles, d'imiter les mœurs honnêtes, comme aussi de s'approprier les pensées renfermées dans un discours. [76] 31. Pour moi, j'ai surtout entrepris de composer cet éloge, dans la conviction que le plus noble de tous les encouragements vous serait offert, à vous, à vos enfants et à tous ceux qui sont nés d'Évagoras, si ses vertus, réunies comme dans un tableau, et parées des charmes de l'éloquence, vous étaient offertes de manière qu'il vous fût possible de les contempler et de vivre, pour ainsi dire, au milieu d'elles. [77] Nous excitons ordinairement les hommes à la vertu par les éloges que nous donnons à ceux qui en observent les règles, afin que, rivalisant avec les hommes dont ils entendent célébrer les louanges, ils se sentent enflammés du désir de les imiter; mais, pour vous et pour les vôtres, ce n'est point en invoquant des exemples étrangers, c'est en m'appuyant sur des exemples tirés de votre propre famille, que je vous engage et vous exhorte à employer toutes les ressources de votre esprit afin de ne rester inférieur à aucun des Grecs, soit pour parler, soit pour agir. [78] 32. Et ne croyez pas que je vous accuse de vous abandonner à l'indolence, parce que je reviens plusieurs fois sur les mêmes exhortations. Il n'a échappé, ni à moi, ni à personne, que, le premier et le seul, entre tous ceux qui vivent au sein du pouvoir, de la richesse et des délices, vous avez, entrepris de vous livrer à la philosophie et à l'étude ; et que vous avez, été la cause qu'un grand nombre de rois, jaloux de votre science, éprouvent le désir de se livrer aux mêmes travaux, renonçant ainsi aux habitudes qui ont aujourd'hui tant de charme pour eux. [79] Cependant, quoique instruit de ces circonstances, je fais et je continuerai de faire connue les spectateurs des jeux gymniques, qui, parmi ceux qui disputent le prix de la vitesse, encouragent de la voix, non ceux qui demeurent en arrière, mais ceux qui luttent déjà pour saisir la victoire. [80] 33. C'est donc un devoir pour moi, comme pour vos autres amis, de vous exhorter par nos discours et par nos écrits à vous porter avec ardeur vers le but que dès à présent vous avez le désir d'atteindre. Quant à vous, il vous convient de ne rien négliger, mais de donner tous vos soins, aujourd'hui et dans tout le reste de votre vie, à fortifier votre âme, afin de vous montrer digne de votre père et de vos aïeux. Il appartient à tout le monde d'estimer la sagesse, mais cela convient surtout aux princes qui, comme vous, possèdent une grande puissance. [81] Il ne faut pas vous contenter d'être déjà supérieur aux hommes de votre temps : il faut vous sentir animé d'une généreuse indignation à la seule pensée qu'étant ce que la nature vous a fait, ayant dans les temps anciens Jupiter pour l'auteur de votre race, et à l'époque la plus rapprochée de nous un père doué d'une aussi haute vertu qu'Évagoras, vous pourriez ne pas l'emporter de beaucoup sur les autres hommes, et principalement sur ceux qui jouissent des mêmes honneurs que vous. Il est en votre pouvoir d'atteindre ce noble but : car, si vous restez fidèle à la philosophie, et si vous continuez à y faire les mêmes progrès, vous deviendrez en peu de temps tel qu'il vous convient de paraître.
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