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table des matières d'EUMENE D'AUTUN

 

EUMÈNE D'AUTUN.

 

DISCOURS.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 
 

EUMÈNE

NOTICE SUR L’AUTEUR

 

Extrait de l’Histoire littéraire de la France: où l'on traite de l'origine et du progrès, de la décadence et du rétablissement des sciences parmi les Gaulois et parmi les François... / par des religieux bénédictins de la Congrégation de S. Maur, Paris, 1865-1869, tome I, partie II, pages 44-49.

 

Orateur et Rhéteur.

 

HISTOIRE DE SA VIE.

 

Eumène cet illustre orateur et professeur d'éloquence, dont nous avons déjà fait si souvent mention, fleurissait sur la fin du IIIe siècle et au commencement du IVe. Il était originaire d'Athènes, d'où son aïeul passa à Rome, et y enseigna la rhétorique avec beaucoup de réputation. De Rome il vint à Autun, dont les citoyens lui témoignèrent tant d'ardeur pour l'éloquence, qu'il fixa sa demeure dans cette ville, et y continua sa profession de rhéteur jusqu'à l'âge de 80 ans et au-delà.

Ce fut à Autun qu'Eumène prit naissance, quelques années après le milieu de ce siècle ; puisqu'il était encore enfant sous l'empire de Claude II vers l'an 269. Il ne tarda pas à faire voir que l'éloquence était un bien héréditaire dans sa famille. Il l'enseigna, comme son aïeul, à la jeunesse d'Autun ; et de cette chaire d'éloquence, il fut élevé à la charge de secrétaire d'Etat. Après l'avoir exercée quelque temps, on lui permit de se retirer, et d'aller vivre en repos à la campagne.

Il y goûtait avec plaisir les douceurs de la retraite et de la vie champêtre, occupé des études particulières d'un de ses enfants, lorsque le collège d'Autun vint à perdre son modérateur ou principal. Aussitôt Constance Chlore jeta les yeux sur Eumène, par l'estime qu'il faisait non seulement de son éloquence, mais encore de la dignité de ses mœurs, pour remplir cette place vacante.

Ce Prince n'étant alors que César, eut recours à l'autorité des Empereurs Maximien Hercule et Dioclétien, afin d'engager Eumène à se charger de l'administration du collège et du soin d'y enseigner de nouveau la rhétorique. Il en obtint une lettre ou rescrit adressé à Eumène même, et aussi glorieux à sa mémoire qu'honorable à la jeunesse d'Autun, en qui l'on voyait les plus belles dispositions du monde pour les sciences. Comme Eumène jouissait encore de la pension de secrétaire d'Etat, les Empereurs la lui doublèrent, et l'assurèrent qu'il ne perdrait rien du rang ni des privilèges que ses autres emplois lui avoient acquis.

Ce grand homme se rendit à de si puissantes sollicitations, et accepta la chaire d'éloquence avec les appointements que l'on y attachait. Ils étaient considérables, faisant plus de vingt-six mille livres de notre monnaie. Mais par un trait de détachement et de générosité que l'on ne saurait assez louer, il ne voulut point en profiter, et les appliqua au rétablissement du collège d'Autun. C'est ce que nous apprenons d'un discours qu'il fit devant un des gouverneurs des Gaules, pour demander que ce collège fût compris dans les édifices publics que Constance faisait rebâtir, afin de rendre à Autun sa première splendeur.

Eumène dans un autre de ses discours prononcé en 310, semble dire qu'il n'était alors que dans la 50e année de son âge.

Il avait néanmoins dès lors un de ses fils qui était avocat du fisc. Il se voyait quatre autres enfants, qu'il recommande à Constantin le Grand dans le même discours.

On ne sait point s'il vécut au-delà de l'an 311, où nous conduit ce qui nous reste de ses écrits, ni s'il renonça au Paganisme dont il faisait profession, pour embrasser la foi de J. C. à l'exemple de Constantin, le dernier des Empereurs sous lesquels il fleurissait.

 

SES ECRITS.

 

Eumène n'a pas seulement mérité la qualité de rhéteur, pour avoir si longtemps et si dignement enseigné l'art de bien parler. Il s'est encore acquis le titre d'orateur et de panégyriste de l'empire par l'usage qu'il a fait lui-même de l'éloquence dans plusieurs panégyriques qu'il a prononcés en public. Il ne nous en reste néanmoins aujourd'hui que quatre de sa façon.

Le premier fut prononcé à Autun en faveur du collège de cette ville, et en présence du gouverneur de la Gaule Celtique ou Lyonnaise, que l’on croit avoir été Rictiovare. Eumène la divise en deux parties. Dans la première, il montre combien il est juste, utile et avantageux pour le public de rétablir dans leur première splendeur les écoles d’Autun qui étaient autrefois si magnifiques par leurs édifices, et si célèbres par le concours des étudiants. Il emploie la seconde partie pour faire voir que l'on pouvait exécuter ce dessein, sans, être à charge au public, en prenant les moyens qu'il propose, s'offrant généreusement à céder pour ce grand ouvrage tout ce qu'il retirait de la libéralité des Empereurs.

Il y parle des dommages qu'Autun venait de recevoir tout de nouveau, surtout par les incursions des Bagaudes. Il y touche la magnificence qu'un Empereur avait déjà fait paraître dans les réparations de cette ville, et le soin que les Empereurs régnants prenaient de les faire continuer, en y employant des ouvriers qu'ils avaient fait venir d'au-delà la mer, c’est-à-dire, de la Grande Bretagne. Eumène y fait mention de sa charge de secrétaire d'État, et des appointements qui y étaient attachés. C'est dans ce même discours qu'il nous fait connaître son aïeul. Il le finit en priant le gouverneur devant qui il le prononçait, d'écrire aux Empereurs, et de leur faire agréer le dessein qu’il proposait de rétablir le collège d'Autun. On croit que ce discours fut prononcé en 296 quoique d'autres, peut-être avec raison, ne le placent que deux ans plus tard en 298. On y trouve insérée la lettre que les empereurs Maximien Hercule et Dioclétien écrivirent à Eumène, pour l'engager à se charger une seconde fois d'instruire la jeunesse d'Autun, comme nous l'avons déjà dit.

Le second discours de notre orateur est à la louange de Constance Chlore, qui n'était encore que César, et en présence de qui il fut prononcé à Trêves, au nom de la ville d'Autun. Eumène y relève les victoires de ce Prince. Mais le sujet principal qu'il y traite, est la conquête de la grande Bretagne, après, la défaite de Carause qu'il qualifie le chef des Pirates, et d'Allecte qui s'était élevé à sa place.

Les critiques ne conviennent pas entre eux de l'année à laquelle ce panégyrique fut prononcé. Les uns le placent le premier des quatre qui nous restent d'Eumène ; et les autres ne le comptent que pour le second. On trouve dans les deux pièces de quoi appuyer l'un et l'autre sentiment. Le P. de la Baune met celui dont il est ici question en 296, après que Constance Chlore eut recouvré les îles Britanniques, et avant la victoire de Langres, dont il n'y est pas dit un mot. Il ne laisse pas de ne le mètre que le second des quatre. Mr de Tillemont, qui le compte pour le premier, le rapporte à l'année suivante, sur ce qu'il y est parlé du premier jour de Mars, auquel Constance avait été fait César, et que l'on peut présumer qu'il fut prononcé à la solennité de sa cinquième année, qui finissait en 297. Il y est fait mention, comme dans le premier, des ouvriers que Constance employait au rétablissement de la ville d'Autun, après que ce Prince les eut amenés de la grande Bretagne.

Rhenanus a attribué ce second discours à Claude Mamertin, ou à quelque autre auteur de la Gaule Belgique. C'est pourquoi dans son édition au lieu du terme latin Heduensium, il a mis Cliviensium, lieu inconnu alors. Mais il est certain qu'outre la ressemblance de style entre ce panégyrique et le précédent, Eumène y est si bien caractérisé, qu'on ne peut le lui refuser.

Le troisième fut encore prononcé à Trêves l'an 309 ou 310, en présence de Constantin le grand, au jour qu'il célébrait la fondation de cette ville. Il roule particulièrement sur les victoires de ce nouvel Empereur, et sur l'éloge dé Constance Chlore son père, qu'il place bien haut dans le ciel, quoique mort dans le paganisme. Eumène témoigne que ce fut Constantin lui-même qui le chargea de ce panégyrique, et qu'il le fit sur le champ. En parlant des victoires de ce Prince, il relevé particulièrement celles qu'il avait remportées sur les François, dont il avait défait les Rois ou les Ducs. Il fait mention du siège qu'il avait mis devant Marseille en 308 et de sa marche contre Maximien Hercule, à qui il reproche avec véhémence de ce que s'étant jusqu'à trois fois volontairement démis de l'Empire, il l'avait repris autant de fois. Eumène y donne des marques non équivoques de la religion Païenne qu'il professait. Il dit que les mauvaises actions des hommes sont des suites du destin, et leurs vertus des dons de la divinité.

Sur la fin de ce discours il invite Constantin à honorer d'une de ses visites la ville d'Autun, et l'exhorte à achever de la rétablir. Mais il n'ose pas se promettre que son âge avancé lui permette de voir ce rétablissement. Il semble néanmoins par un trait de cette pièce, qu'Eumène n'avait alors que 50 ans. Il finit en recommandant à l'Empereur cinq enfants qu'il avait, dont l'un servait ce Prince en qualité d'avocat du fisc, et ses disciples dont plusieurs étaient déjà employés dans les premières charges de la Cour et de l'Etat.

Le quatrième et dernier panégyrique d'Eumène est un remerciement à l'Empereur Constantin de la part des citoyens d'Autun. C'est pourquoi le titre latin porte qu'il a été prononcé Flaviensium nomine, parce que cette ville sensible aux bienfaits de ce Prince, avait pris le nom de Flavia, qui était celui de la famille de Constantin. En effet sur la fin de l'an 311, cet Empereur passant par Autun, déchargea les Bourgeois d'une partie des impôts qu'ils payaient, et leur fit quelques autres gratifications. Sitôt qu'il fut de retour à Trêves, où il faisait sa résidence ordinaire, la ville d'Autun lui députa Eumène pour lui rendre leurs actions de grâces. On faisait alors à Trêves la cérémonie des cinq ans de l'empire de Constantin, et tous les seigneurs des environs et les ambassadeurs des Princes s'y étaient rendus pour cette solennité. Ce fut en cette occasion qu'Eumène prononça son quatrième discours.

Il y parle d'abord de l'ancienne noblesse d'Autun, et de son alliance avec les Romains, qui leur ouvrit la voie à la conquête des Gaules. Il passe ensuite à ce que fit cette ville pour le service de l'Empereur Claude II, dont Constantin était issu du côté des femmes ; et delà à ce que fit Claude pour reconnaître les services d'Autun. Il y fait une description du triste état auquel cette ville avait été réduite dans la suite des tems, et des faveurs dont cet Empereur venait de la gratifier.

En faisant le caractère de l'éloquence telle qu'elle était en usage aux IIIe et IVe siècles, nous avons donné une idée suffisante de celle qui se trouve dans ces quatre panégyriques. On peut voir par les traits que nous en avons rapportés, qu'ils sont encore plus considérables pour les faits historiques qu'ils contiennent, que pour l'éloquence.

Ils ont été imprimés plusieurs fois avec les autres harangues des anciens panégyristes de l'Empire. Nous en avons déjà marqué les différentes éditions à l'article de Claude Mamertin, et il serait inutile de les répéter ici. Dans l'édition qu'en publia Rhenanus en 1520, outre le défaut d'ordre chronologique entre ces quatre harangues, il n'y a que la première qui porte le nom d'Eumène. La seconde est attribuée à Mamertin, et les deux autres à des inconnus. Mais il n'y a qu'à les lire avec attention, pour convenir qu'elles sont d'un seul et même auteur, et que cet auteur est l'orateur Eumène. C'est aussi de quoi tous les modernes conviennent aujourd'hui.

Il y a eu une édition particulière du premier de ces quatre panégyriques d'Eumène, c'est-à-dire, de celui qui est fait pour le rétablissement du collège d'Autun. Il fut imprimé avec celui de Latinus Pacatus Drepanius à la louange du grand Théodose, par les soins de François Baudoin, qui les enrichit d'observations de sa façon. Cette édition parut à Paris chez Sébastien Nivelle, l'an 1577 en un volume in-4°.

 

 

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Extrait de l’Essai sur les éloges d’Antoine Léonard Thomas (1732-1785), 1802, pages 161-167.

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Il est à remarquer que dans ces temps-là, on ne trouve plus de traces de l’éloquence latine, que dans les gaules. C’étaient des celtes qui étaient les successeurs d’Hortensius et de Cicéron. Ce peuple, si longtemps libre dans ses forêts, et qui souvent même avait fait trembler Rome, apprivoisé enfin par un long esclavage, et poli par les vices même de ses vainqueurs, s’était livré aux arts, comme au seul charme et au dédommagement de la servitude à Autun, à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, on cultivait l’éloquence ; souvent même les romains les plus distingués envoyaient leurs enfants dans ces villes pour s’y instruire. Il semble en effet que, depuis Marc-Aurèle, les arts et les lettres pouvaient difficilement habiter dans Rome. Ce ne fut, pendant près de cent ans, que conspirations, assassinats, tyrannie et révolte. Les provinces étaient plus loin de ces orages. On y apprenait plutôt qu’on ne sentait, les révolutions du trône. On y avait moins à craindre, moins à espérer ; et les esprits n’étaient pas sans cesse occupés, comme à Rome, par cette espèce de férocité inquiète, que donne l’habitude des dangers et le spectacle des crimes. Les gaules étaient d’ailleurs remplies d’une foule de romains. Leur commerce y porta cette culture, et ce goût qui naît d’abord dans les capitales, parce que le goût n’est que le résultat d’une multitude d’idées comparées, et d’une foule d’idées qu’on ne peut avoir que dans l’oisiveté, l’opulence et le luxe. Ajoutez la douceur du climat, et tous les monuments élevés dans ce pays par la grandeur romaine. Tout cela réuni, disposa peu à peu les esprits à cette fermentation utile, d’où naît l’amour des lettres et des arts. Mais, comme en même temps il y a dans chaque siècle un caractère qui s’imprime à tout, la servitude de l’Asie s’étendit dans les gaules, et l’éloquence corrompue et faible n’y fut, comme ailleurs, que le talent malheureux ou d’exagérer quelques vertus, ou de déguiser des crimes. Un défaut naturel dans de pareils ouvrages, était le vide des idées ; on employait de grands mots pour dire de petites choses. Ce n’était plus d’ailleurs la langue de Cicéron et d’Auguste ; elle était altérée. Gaulois, germains, espagnols, sarmates, tous se précipitaient dans la patrie commune. L’univers se mêlait. Ces idiomes barbares corrompaient nécessairement la langue romaine. Formée par des conquérants, elle n’avait jamais été une langue de philosophes ; mais alors elle n’était plus même une langue d’orateurs.

Il y en eut pourtant, dans ce siècle, trois de célèbres ; ce furent Eumène, Nazaire et Mamertin, tous trois panégyristes de princes, et tous trois comblés de bienfaits par les empereurs : car, si la vérité a souvent nui à ceux qui ont eu le courage de la dire, il faut convenir que la flatterie et le mensonge ont presque toujours été utiles à ceux qui ont voulu échanger leur honneur contre de la fortune. Mamertin prononça deux panégyriques devant Maximien. Pour bien juger et des discours et de l’orateur, il est bon de se rappeler que Maximien, d’abord paysan, ensuite simple soldat, quand il fut prince voulut avoir un nom, et prit celui d’Hercule. En conséquence, on ne manqua pas de le faire descendre, en droite ligne, de cet hercule, qui, du temps d’Evandre, était venu ou n’était pas venu en Italie. Son seul mérite était d’aimer la guerre, et d’y réussir. D’ailleurs, dur et impitoyable, avide d’or et de sang, en même temps féroce et faible, c’était un lion à la chaîne, que gouvernait Dioclétien, et qu’il avait approché du trône, pour le lancer de là sur les ennemis de l’empire. Obligé malgré lui d’abdiquer après un règne de vingt ans, n’ayant point assez de force pour supporter le repos, dans son activité inquiète, sans cesse occupé de conjurations et de crimes, il reprit trois fois la pourpre, qui lui fut arrachée trois fois. Il conspira contre Maxence son fils, contre Constantin son gendre, et finit enfin par vouloir rendre sa fille complice de l’assassinat de son époux. N’ayant pu réussir, il se donna la mort ; et le petit-fils d’Hercule se pendit à Marseille. Voilà pourtant l’homme sur lequel nous avons trois pompeux panégyriques. Voilà celui qu’on appelle empereur très sacré, à qui on parle de sa divinité, du culte qui lui est dû, du palais auguste et vénérable qui lui sert de temple. Il faut convenir que le premier de ces éloges, prononcés à Trèves, est, d’un bout à l’autre, un chef-d’œuvre d’impertinence et de flatterie.

Le second est plus raisonnable ; il y a moins de mensonges exagérés, moins de ces bassesses qui révoltent. Les louanges sont plus fondées sur les faits. Il y a même en général de l’éloquence, du style, de l’harmonie, mais nulle philosophie et très peu de goût. Le troisième, dont on ne connaît pas l’auteur, est curieux, surtout par la manière dont on y traite l’abdication de ce prince, et son retour à l’empire. Il semble que l’univers allait s’écrouler, si Maximien cessait d’être empereur. " il nous est permis, dit l’orateur, de nous plaindre des dieux, lorsqu’ils négligent l’univers... etc. " ensuite on prouve à Maximien, que, malgré son grand âge, il ne pouvait sans injustice quitter le fardeau de l’empire ; " mais les dieux l’ont permis, lui dit l’orateur,... etc. " ensuite on représente Rome désespérée d’avoir perdu un si grand prince ; Rome suppliante et à genoux, lui tendant les mains, lui adressant un discours pathétique et touchant, pour le conjurer de vouloir bien encore régner sur elle. On le loue de sa piété céleste, et de ce qu’il a bien voulu se rendre aux instances de la patrie ; " empereur éternel, tu n’as pu résister aux larmes de cette mère auguste. " Après cela on le compare au soleil, qui, en remontant sur son char, et de ses propres mains le guidant dans les cieux, a réparé les désordres du monde, embrasé par l’ignorance de Phaéton. On s’étonne qu’après avoir goûté la douceur et les charmes du repos, il veuille bien se donner encore la peine de commander ; et l’on finit par prier sa divinité de vouloir bien, du faîte où elle est placée, veiller sur l’univers, et de sa tête céleste faire quelques signes, pour marquer aux choses humaines le cours de leur destinée. Il est difficile, je crois, de porter plus loin la démence de l’adulation. Comment un prince n'était-il pas révolté de ces lâches mensonges ? Comment n’imposait-il pas silence au vil orateur ? Mais il y a apparence que, dans ces malheureux, le besoin d’être flattés, était pour le moins égal à celui qu’on avait de les flatter. Il y a, pour ainsi dire, des besoins d’orgueil, comme il y en a de bassesse. Une âme profondément corrompue par le pouvoir, n’a plus de mesure juste, ni pour elle-même, ni pour les autres, et le genre humain tout entier se recule à une distance immense d’elle. Il y a bien, dans une des presqu'îles de l’Inde, un chef de quelques bourgades, qui, assis tranquillement sur sa natte, qu’il appelle son trône, dit froidement aux européens qui le visitent : " pourquoi ne viens-tu pas voir plus souvent le roi du ciel ? " et ce roi du ciel, c’est lui.

En suivant l’ordre des temps, nous trouvons un panégyrique prononcé par Eumène pour l’établissement des écoles publiques d’Autun. Eumène, quoiqu’il fût orateur, vivait à la cour, et il exerçait une charge considérable dans le palais. Il fut choisi pour ranimer dans Autun, qui était sa patrie, le goût de l’éloquence et des arts. Les deux empereurs lui écrivirent à ce sujet la lettre la plus honorable. C’est un monument flatteur du respect de la puissance pour les talents. Le discours d'Eumène roule tout entier sur les bienfaits accordés à sa patrie et aux lettres. On respire au moins quand, parmi tant de sujets d’éloges, ou ridicules ou atroces, on en trouve un de raisonnable : mais le sujet du discours est ce qu’il y a de mieux dans le discours même. Il est adressé à un gouverneur de province, que l’orateur ne manque pas d’appeler vir perfectissime, c’est-à-dire, homme très parfait, ce titre d’honneur était apparemment une leçon adroite, donnée, sous le voile du respect, à un homme puissant. Quelque temps après, Eumène prononça un autre panégyrique sur les victoires de Constance-Chlore en Hollande, et principalement sur sa conquête en Angleterre. Nous y apprenons que ce prince, en abordant, pour se réduire à la nécessité de vaincre, fit mettre le feu à sa flotte, comme avait fait un roi de Syracuse, en portant la guerre à Carthage ; comme fit depuis Cortès, en abordant au Mexique. L’histoire ramène souvent les mêmes actions et la même audace dans des hommes et des siècles différents. L’orateur s’étend beaucoup sur des lieux communs de carnage. Il eût mieux fait, je crois, de célébrer les vertus de Constance Chlore, car il en avait. Il eût mieux valu dire que sa valeur n’ôtait rien à son humanité ; qu’empereur il fut modeste et doux ; que maître absolu, il donna, par ses vertus, des bornes à un pouvoir qui n’en avait pas ; qu’il n’eut point de trésor, parce qu’il voulait que chacun de ses sujets en eût un ; que les jours de fêtes, il empruntait la vaisselle d’or et d’argent de ses amis, parce qu’il n’en avait point lui-même ; qu’il fut humain en religion comme en politique ; et que, pendant tout le temps qu’il régna, tandis que les autres empereurs, persécuteurs des chrétiens, lui donnaient l’exemple d’une superstition inquiète et féroce, il ne fit jamais, dans ses états, ni dresser un échafaud, ni allumer un bûcher. C’eût été là sans doute l’objet d’un panégyrique plus éloquent, et surtout plus utile. Mais il y a des temps où l’on dirait que les grandes vérités morales sont obscurcies. Le genre humain semble en avoir perdu la trace, et il faut des révolutions et des siècles pour l’y ramener.


 

PANEGYRIQUE DE CONSTANTIN AUGUSTE.

 

I. Très auguste Empereur, le jour que Votre Majesté a bien voulu me fixer pour faire entendre ma faible voix est un glorieux anniversaire pour cette ville, et plusieurs personnes viennent de m'engager à tirer de cette circonstance l'exorde de mon discours; j'aurais suivi leurs conseils, si deux raisons ne m'en avaient détourné. Il m'a semblé qu'un homme, arrivé au milieu de sa carrière, ne doit pas avoir la prétention d'improviser, et qu'il convenait de ne faire entendre aux oreilles d'un si grand prince que des choses soumises d'abord à un long travail de pensée et de composition : improviser en présence d'un empereur du peuple romain, c'est ne point comprendre la majesté de l'empire. Puis, un assez grand nombre de personnes redoutent un trop long discours : cette crainte, j'en ai la conviction, n'est point fondée sur l'opinion qu'ils auraient conçue de mon talent, dont je reconnais la médiocrité, mais sur les droits nombreux que vous avez, ainsi que vos collègues, à nos éloges. A mon grand regret, je tromperai leur attente par la brièveté de mon discours : je l'avouerai, j'avais préparé une longue harangue, mais j'aime mieux être court qu'engendrer l'ennui. Aussi j'entre en matière, en limitant même la dédicace de mon discours; et malgré la profonde vénération que je professe pour vous tous, invincibles Princes, dont la majesté est unie par les liens d'une fraternelle autorité, je consacrerai à vous seul, Constantin, mon faible éloge. Nous rendons à tous les Dieux immortels le même culte intérieur, et cependant il est des circonstances où nous les honorons en particulier, chacun dans son temple et dans son sanctuaire : il me sera permis d'imiter cet exemple, et, en payant à tous les princes un culte de pieux souvenir, de réserver spécialement mes louanges pour celui qui nous honore de sa présence.

II. Je commencerai donc par la noblesse de votre origine, ignorée peut-être de la foule, mais connue de ceux qui vous aiment. Dans vos veines coule le sang du divin Claude, qui, le premier, rendit à l'empire romain la vigueur d'une discipline que le relâchement avait conduit à une ruine totale, et qui détruisit sur terre et sur mer les innombrables bataillons des Goths, vomis par les défilés du Pont et les bords du Danube. Plût au ciel qu'il eût travaillé plus longtemps à la restauration de l'empire, et qu'il ne fût pas devenu trop tôt le compagnon des Dieux ! Aussi, sans nous arrêter à ce moment heureux, où la religion des peuples, vous voyant revêtu pour la première fois de la pourpre, célébrait naguères la solennité d'un jour que l'on regarde comme celui de votre avènement, nous aimons à faire remonter à votre père votre droit à l'empire. Et même, par suite de cette ancienne prérogative de la maison impériale, votre père eut l'honneur d'avoir un fils qui, élevé au plus haut rang et dominant les destinées humaines, est le troisième empereur d'une famille déjà deux fois illustrée par ce titre glorieux. Une chose donc vous distingue de vos collègues à l'empire : c'est que vous êtes empereur par le fait même de votre naissance, et telle est la noblesse de votre origine que votre promotion n'a rien ajouté à votre gloire, et que la fortune ne peut pas vous reprocher comme un bienfait ce qui vous appartient en dehors de toute brigue et de tout suffrage.

III. Ce n'est point le consentement fortuit des hommes, ni le hasard soudain de la faveur qui vous a fait prince : en naissant, vous avez mérité l'empire. Et tel est, ce me semble, le premier et le plus grand don des Dieux immortels ; naître heureux, et recueillir, comme un héritage paternel, ce que d'autres ont de la peine à obtenir par les travaux de toute leur vie ! Sans doute elle est grande et admirable la fortune de celui qui, ayant successivement épuisé les années du service militaire et traversé les différents grades de la hiérarchie, arrive au sommet du pouvoir et, appuyé sur la seule base du mérite, acquiert un si haut degré de force et d'honneur (et même sous ce rapport, vous n'avez rien à désirer; autant que votre âge l'a permis, vous avez obtenu cette gloire, et quoique la fortune vous eût dispensé de toutes les lenteurs qui arrêtent la célébrité, vous avez voulu grandir en combattant; par les dangers que vous avez affrontés à la guerre, et jusque dans des combats particuliers, vous ne pouviez rien ajouter à la noblesse de votre nom, mais vous lui avez donné plus de célébrité) : je le répète, c'est une grande chose de partir de son propre mérite pour arriver au faite des honneurs. Cependant il y a une grande différence entre une ascension pénible et difficile au sommet des montagnes, et la position de celui qui, établi sur la hauteur de sa naissance, occupe les cimes de la fortune et possède, sans avoir eu besoin de l'espérer, le rang le plus illustre.

IV. Vous n'êtes point entré dans cet auguste palais comme candidat, mais comme désignée l'empire, et la maison paternelle a vu de suite en vous un légitime successeur : car on ne pouvait douter que l'héritage n'appartint au premier fils que les destins eussent accordé à l'empereur. Vous êtes en effet le seul enfant que votre père, salué empereur sur la terre et dieu dans le ciel, ait engendré dans la première fleur de son âge, dans la plénitude de sa force, et doué de cette activité et de celte vigueur qu'il montra en de nombreuses guerres et surtout dans les champs de Vindonissa. Aussi vous a-t-il légué une telle ressemblance de physionomie, que la nature elle-même semble en avoir imprimé tous les traits sur votre visage : ce sont les mêmes formes extérieures qui s'offrent de nouveau à notre respect en votre personne, la même gravité repose sur le front, le même calme dans les yeux et sur les lèvres : en vous aussi la rougeur modeste indique la pudeur de l'âme, et la parole atteste l'amour de la justice. Recevez, Empereur, l'aveu de nos sentiments. Nous sommes affligés de la mort de Constance, mais en vous voyant, nous ne croyons pas qu'il nous ait quittés. D'ailleurs, comment dire qu'il soit mort, celui dont les immortelles actions vivent parmi nous, et, admirées de tout le monde, forment le sujet de tous les discours ?

V. Qui ne se rappelle, ou plutôt qui ne voit en quelque sorte les embellissements et les glorieuses conquêtes de l'Etat sous son règne? Associé à l'empire, il arrive, repousse l'Océan dont les eaux s'agitaient sous les innombrables vaisseaux de l'ennemi, et renferme par terre et par mer l'armée qui s'était établie sur les côtes de la ville de Boulogne; ce coup de main s'exécute par des retranchements pratiqués au milieu des eaux et qui arrêtent le reflux de la mer; et les habitants, qui voyaient les portes de leur ville baignées par les flots, sont privés de toute communication avec l'Océan. Par sa valeur il soumet cette armée, la conserve dans sa clémence, et tandis qu'on prépare une flotte pour reconquérir la Bretagne, il délivre de tout ennemi le territoire batave dont s'étaient emparées, sous la conduite d'un enfant adoptif de ce pays, diverses tribus appartenant à la nation des Francs. Non content de les vaincre, il les dissémine au milieu des nations romaines, les obligeant ainsi à déposer non seulement leurs armes, mais encore leurs habitudes barbares. Que dirai-je de la soumission de la Bretagne? Il s'y transporta par une mer si tranquille que l'Océan semblait immobile de stupéfaction à la vue d'un tel passager; et il effectua si heureusement ce trajet que la victoire parut non l'accompagner, mais l'attendre sur le rivage.

VI. Que dirai-je de la clémence dont il usa envers les vaincus? de sa justice, qui fit restituer leurs biens à ceux qui en avaient été dépouillés? de cette sagesse prévoyante, qui traita avec ménagement les alliés qu'il venait de conquérir? Dans leur nouvelle position, ils croyaient avoir recouvré une douce liberté après un ancien esclavage, et le pardon accordé inspirait le repentir aux coupables. Parlerai-je des peuples francs[1] les plus éloignés? Il les arracha non plus aux régions autrefois occupées par les Romains, mais aux contrées même qui les avaient vus naître, aux derniers rivages de la barbarie; et il les établit dans les parties désertes de la Gaule, afin que par la culture ils contribuassent à la paix de l'empire, et à ses victoires par leur contingent militaire. Pourquoi rappeler la victoire remportée sur les Lingons, qui devint encore plus glorieuse par la blessure qu'y reçut l'empereur ? Et les plaines de Vindonissa engraissées du sang des ennemis et encore couvertes d'ossements? El cette immense multitude formée des diverses nations de la Germanie? Attirées par les fortes gelées qui avaient durci les eaux du Rhin, elles osent gagner à pied l’île formée par les deux bras du fleuve : tout-à-coup le dégel les constitue prisonnières, on détache des vaisseaux armés qui les forcent de se rendre; mais, par des conditions d'une sévérité exceptionnelle, elles sont obligées de choisir des otages dans leurs rangs et de les laisser en captivité, emportant ainsi, avec les débris de leur année, la honte d'avoir livré leurs frères.

VII. Le jour finirait avant mon discours, si je voulais parcourir, même en les abrégeant ainsi, tous les exploits de votre père. Dans sa dernière expédition, ce n'étaient point, comme on le croit communément, les trophées de la Bretagne qu'il ambitionnait : il avait entendu la voix des Dieux qui l'appelaient aux extrémités du monde. Après de si nombreuses et de si brillantes actions, il se souciait peu de conquérir, je ne dis pas les forêts et les régions marécageuses des Calédoniens et des autres Pictes, mais même l'Hibernie qui est voisine, et l'île de Thulé placée comme aux limites de la terre, et les Iles Fortunées, si toutefois elles existent. Non; mais conduit par une pensée secrète qu'il ne confia à personne, il voulut, avant de prendre son rang parmi les puissances célestes, contempler le père des Dieux, l'Océan, qui nourrit les astres enflammés du ciel; et sur le point de jouir d'une lumière perpétuelle, il désirait dès cette vie voir dans ces contrées un jour presque sans nuit. Car, nous ne pouvons en douter, les palais des Immortels se sont ouverts devant lui, et Jupiter lui a tendu la main, en lui offrant une place dans l'assemblée des Dieux. Et même, lorsqu'on lui demanda à qui il destinait l'empire, il fit une réponse digne de Constance le Pieux : il vous désigna clairement pour son successeur. Ce souvenir, que la vérité nous force à rappeler, est, je le vois, très agréable à votre piété filiale. Mais pourquoi flatter seulement vos affections personnelles, puisque rien n'a manqué à la solennité de ce choix, ni la volonté unanime des Dieux, ni l'autorité de la prescription, ni la confirmation du suffrage universel ? Déjà les décrets d'en haut vous appelaient à sauver l'empire, lorsque, au moment où votre père passait en Bretagne, votre soudaine arrivée frappa les regards de la flotte qui mettait à la voile : à la rapidité de votre course, il semblait que vous étiez venu sur un char divin et non sur les véhicules de l'Etat.

VIII. Vous êtes arrivé bien à propos pour vous associer à l'expédition de votre père, au moment où il allait quitter le rivage, et par la sécurité de votre présence vous avez calmé les angoisses et les tristes pressentiments qui s'agitaient dans son Ame silencieuse; les traits lancés par les Perses et les Cydoniens n'atteignent pas aussi sûrement leur but. Dieux propices ! quel bonheur vous avez accordé à Constance le Pieux même à l'heure de sa mort ! sur le point de monter au ciel, empereur il a vu celui qu'il laissait comme son héritier. Car aussitôt qu'il eut rendu le dernier soupir, tous les suffrages de l'armée se portèrent sur vous, tout le monde vous désigna de la pensée et du regard, et quoique vous en eussiez référé aux anciens[2] pour connaître leur avis sur l'acceptation du souverain pouvoir, l'empressement de l'armée prévint une décision qui néanmoins ne se fit pas longtemps attendre. Aussitôt qu'une première sortie permit aux soldats de vous environner, ils vous couvrirent, malgré vos pleurs, de la pourpre impériale, consultant bien plus l'utilité publique que votre douleur ; car il n'était pas permis de pleurer plus longtemps un prince placé au rang des Dieux. On dit même, invincible Empereur, que, pour échapper aux désirs empressés de l'armée, vous avez pressé avec vigueur les flancs de votre cheval, permettez-nous de vous dire la vérité, c'était là une erreur de jeunesse. Quel Cyllarus ou quel Arion aurait pu enlever celui que poursuivait la majesté de l'empire? cette majesté qui, accordée par la volonté de Jupiter, et confiée, non pas à Iris, messagère des Dieux, mais aux ailes à la victoire, vous accompagnait aussi facilement que les messages du ciel nous arrivent promptement ici-bas. Aussi vos efforts pour retarder votre élévation ont montré votre modestie et votre piété filiale, et la bonne fortune de l'empire l'a emporté.

IX. O Bretagne fortunée ! et maintenant plus heureuse que tous les autres pays du monde, puisque la première tu as vu Constantin proclamé César! c'est avec raison que la nature t'a communiqué tous les avantages du climat et du sol; car sous ton ciel l'hiver n'est pas trop rigoureux, ni l'été trop ardent, la fécondité de la terre suffit au double présent de Cérès et de Bacchus; les forêts ne sont point habitées par des bêtes féroces, et les campagnes ne recèlent point de reptiles dangereux ; on y trouve au contraire de nombreux et paisibles troupeaux, aux mamelles gonflées de lait, à la riche et épaisse toison. Les jours y sont très longs, ce qui augmente le charme de la vie, et les nuits conservent toujours quelques rayons de lumière, car les plaines qui terminent les rivages de ces contrées ne forment pas d'ombres, et dans ces régions la vue du ciel et des astres dépasse les bornes de l'ombre nocturne ; et ainsi le soleil, qui pour nous paraît se coucher, semble dans ce pays raser l'horizon. Dieux propices! comment se fait-il que toujours de quelques-unes des extrémités du monde viennent de nouveaux Dieux s'offrir à la vénération de l'univers entier? Ainsi Mercure est venu du Nil, dont on ignore la source, et Bacchus des Indes, contrée qui assiste presque au lever du soleil ; et ces deux divinités se montrèrent favorables aux nations. Les lieux voisins du ciel sont sans doute plus sacrés que les pays situés au milieu des terres, et un empereur, sorti des contrées où la terre finit, vient plus immédiatement des Dieux.

X. Fils d'un empereur si célèbre, arrivé vous-même si heureusement au souverain pouvoir, comment avez-vous commencé à venger l'empire? Une troupe misérable de Barbares essaya, je crois, par une subite irruption et un brigandage imprévu, de mettre à l'épreuve la puissance et la force du commencement de votre règne ; vous lui avez fait subir la peine de sa témérité. Les rois francs avaient violé la paix pendant l'absence de votre père ; vous n'avez pas hésité à leur infliger les derniers supplices, sans craindre les haines éternelles et l'implacable ressentiment de cette nation. Car, pourquoi un empereur craindrait-il qu'on lui reprochât une juste sévérité, lorsqu'il peut maintenir ses mesures de rigueur? Il n'y a point de danger dans la clémence qui songe, en épargnant ses ennemis, à ses propres intérêts plutôt qu'au pardon. Mais pour vous, Constantin, libre à vos ennemis de vous haïr, pourvu qu'ils vous craignent et tremblent devant vous; car le vrai courage consiste à tenir en repos ceux qui ne vous aiment pas. Il y a certainement plus de sûreté à s'attacher les rebelles par le pardon, mais il y a plus de force à les briser malgré leur fureur. Empereur, vous avez renouvelé les anciens principes de fermeté en usage dans l'empire romain ; après avoir fait prisonniers les chefs des ennemis, on s'en vengeait en les condamnant à mort. Les rois captifs allaient alors des portes de la ville jusqu'au Forum pour servir d'ornement aux chars des triomphateurs; mais aussitôt que le général dirigeait sa course vers le Capitole, on traînait les prisonniers dans les cachots, où ils subissaient le dernier supplice. Cette loi sévère n'eut d'exception que pour Persée, à la prière de Paul-Emile qui avait reçu sa soumission. Tous les autres, mis à mort dans leurs prisons, ont appris aux rois à cultiver l'amitié des Romains, plutôt qu'à provoquer leur justice. Ainsi le châtiaient infligé aux ennemis a le grand avantage d'écraser leur insolence, et de rendre les amis plus empressés dans leur respectueux dévouement.

XI. Telle est donc la source de la paix dont nous jouissons. Notre rempart, ce ne sont plus les profondeurs du Rhin, mais la terreur de votre nom; que ce fleuve se dessèche ou soit arrêté par les gelées, l'ennemi, dans aucun cas, n'osera le franchir. La nature n'a point fait de rempart qui soit inexpugnable à l'audace, tant qu'il reste l'espérance d'un effort; la renommée seule de la valeur peut construire des murs que l'on ne renverse pas. Les Francs savent qu'ils peuvent traverser le Rhin, et volontiers vous leur ménageriez une sanglante réception, mais ils ne peuvent espérer ni victoire, ni pardon. Le supplice de leurs rois leur indique le sort qui les attend, et loin de tenter le passage du fleuve, ils sont plutôt découragés par l'épreuve qu'ils ont faite de votre puissance. Peuple des Francs, où est donc maintenant votre fierté? et votre inconstance toujours perfide? la crainte vous fait tenir à une grande distance du Rhin, et à peine ôtes-vous tranquilles, en buvant l'eau des fleuves qui parcourent l'intérieur de votre pays. Les forts disposés à distance de ce côté du fleuve servent plutôt d'ornement que de défense aux frontières; sur cette rive jadis si redoutable le laboureur sans armes cultive la terre, et nos troupeaux se baignent dans toute l'étendue du fleuve aux deux bras. Tels sont, Constantin, les fruits journaliers et continuels de la victoire que vous avez gagnée par le supplice d'Ascaric et de Régaïse; victoire préférable à tous les autres avantages remportés autrefois sur les ennemis de l'empire; il n'y a eu qu'une seule défaite, mais la leçon en demeure pour toujours. Quel que soit le nombre des morts, l'armée ignore ses pertes ; faire périr les chefs est une voie abrégée pour soumettre les ennemis.

XII. Cependant, invincible Empereur, par les ravages que vous avez promenés dans le pays des Bructères, vous êtes parvenu à briser entièrement la férocité des Barbares, et vous leur avez laissé d'autres supplices à déplorer que la mort sanglante de leurs rois. Votre plan de campagne a été de faire défiler subitement vos troupes, et de fondre sur l'ennemi à l'improviste; loin de redouter une attaque en règle, vous l'auriez désirée, mais il fallait enlever le temps de la fuite à une nation qui avait pour tactique d'échapper à la lutte, en se réfugiant dans les bois et les marais. Une foule innombrable fut massacrée, d'autres en assez grand nombre tombèrent entre les maint de vos soldats; tous les troupeaux furent pris ou égorgés, tous les villages abandonnés aux flammes. On fit un choix parmi les jeunes gens, et tous ceux qui n'offraient pas les garanties de fidélité pour le service militaire, ou dont la fierté ne pouvait se plier au rôle d'esclave, furent donnés en spectacle et livrés comme des criminels aux botes féroces, qu'ils fatiguèrent par leur nombre. Empereur, c'est là compter sur sa valeur et sa fortune ; c'est là, non pas acheter la paix par le pardon, mais chercher la victoire en lui portant un défi.

XIII. De plus, en faisant construire un pont à Cologne, vous insultez aux restes de cette nation vaincue; vous l'obligez à craindre, à trembler sans cesse, et à tendre toujours des mains suppliantes ; et cependant, par cette construction, vous vous proposiez plutôt la gloire de votre règne et l'embellissement des frontières que la facilité de passer à volonté dans le pays ennemi. En effet, le Rhin est tout entier couvert de vaisseaux équipés, et sur toutes les rives jusqu'à l'Océan, des soldats sous les armes sont prêts au combat. Mais il vous semblait beau, et dans la réalité c'est une œuvre magnifique, de mettre le Rhin à vos pieds en jetant un nouveau pont, non plus seulement dans les régions éloignées de la mer, où une grande largeur le rend guéable, et près de la source où le cours d'eau est très faible; mais dans les lieux même où il a pris tous ses accroissements et reçu de nombreux affluents amenés par le grand fleuve qui arrose nos contrées, par le barbare Nicer et par le Mein; là, où déjà fier de l'énorme volume de ses eaux, et ne pouvant plus les contenir dans un seul lit, il est impatient de se verser en deux bras. Sans doute, très illustre Constantin, la nature elle-même seconde votre puissance, puisque vous jetez dans la profondeur des abîmes les fondements de si gigantesques constructions qui doivent conserver une solidité à toute épreuve. Que Xerxès, le plus puissant roi des Perses, ait réuni autrefois avec des vaisseaux les deux rives de l'Hellespont, cet ouvrage ne devait avoir qu'une durée passagère. Que le troisième césar après Auguste ait également jeté un pont de vaisseaux sur le golfe de Baïes, ce n'était qu'une agréable promenade pour charmer les loisirs d'un prince oisif. Mais votre travail est d'une difficile exécution, et son utilité doit durer éternellement. A peine était-il commencé et déjà les ennemis sont venus faire leur soumission, demander la paix comme des suppliants et offrir les plus nobles otages. Aussi tout le monde prévoit ce qu'ils feront après l'achèvement des constructions, puisque déjà ils se soumettent maintenant que le pont est seulement commencé.

XIV. Vous étiez occupé à ces travaux entrepris pour l'utilité et la gloire de l'empire, lorsque votre activité fut détournée par les nouveaux mouvements de cet homme[3] qui aurait dû, selon toutes les règles de la convenance, être le premier à seconder vos succès. Je ne sais encore comment aborder ce sujet, et j'attends l'avis de Votre Majesté, car, quelque justes que soient les plaintes et les reproches de votre bonté méconnue, la voix d'un simple particulier doit user de réserve, surtout par un sentiment de respect pour votre présence; respect qui nous oblige à modérer notre indignation, et à traiter avec ménagement un homme qui a payé par l'ingratitude de si grands bienfaits et la faveur inestimable de votre amitié. Comment, avec une main légère, effleurer de si profondes blessures ? J'aurai recours à cette doctrine générale qui protège tous les crimes et qu'admettent cependant presque tous les sages, c'est-à-dire que les fautes viennent du destin, que les crimes des hommes sont les actes de la fortune, tandis que les vertus sont un présent des Dieux. Constantin, félicitez votre bon naturel et vos heureuses dispositions de ce que les qualités originelles, que vous avez reçues de Constance le Pieux et de l'influence des astres, ne vous permettent pas d'être cruel. Pour lui, lorsque, sur le point de paraître à la lumière, il a fait choix d'un genre de vie, je suis convaincu qu'il a subi une destinée inévitable qui devait causer injustement la ruine de plusieurs citoyens, et le conduire lui-même à un supplice volontaire. Car, pour ne citer qu'un fait, n'est-ce pas la nécessité du destin qui l'a amené à méconnaître ainsi vos bienfaits? lui qui, chassé de Rome, banni de l'Italie, repoussé de l'Illyrie, avait été accueilli dans vos provinces, dans votre palais, et traité avec toutes les ressources de votre munificence.

XV. Je le demande, qu'a-t-il voulu? qu'a-t-il désiré? pouvait-il obtenir plus que ce qu'il tenait de votre libéralité? lui, à qui vous aviez procuré les avantages les plus grands et les plus variés, le repos d'un particulier et les richesses d'un roi : à son départ, vous vous étiez par honneur assis à sa gauche; vous nous aviez commandé de lui rendre des hommages plus empressés qu'à vous-même, et de lui obéir avec une telle ponctualité qu'il avait vraiment l'autorité, tandis que vous n'en portiez que les insignes. Quel était donc, je ne dis pas l'ambition du pouvoir, car que ne pouvait-il pas sous votre règne? mais l'égarement d'un âge affaibli, pour exposer les derniers moments d'une extrême vieillesse aux plus graves sollicitudes et à toutes les horreurs d'une guerre civile? Il est donc vrai que les présents de la fortune ne peuvent jamais satisfaire ceux dont les désirs ne sont point limités par la raison; pour se venger de cette ingratitude, le bonheur leur échappe; toujours pleins d'espérances et vides de réalités, ils regardent l'avenir et ne jouissent pas du présent. Cependant cet homme divin,[4] qui le premier a partagé et déposé la puissance impériale, ne se repent pas de sa résolution, et il ne croit point avoir perdu ce qu'il a transmis spontanément. Vraiment heureux dans la vie privée, il est honoré par le culte de respect que vous lui rendez de concert avec votre illustre collègue dans l'empire.[5] Il se repose avec joie sur la puissance d'un vaste empire et à l'ombre de vos exploits; il sait que vous êtes les rejetons de sa race, et il s'approprie avec raison l'éclat de votre gloire. Son collègue[6] a donc eu honte d'imiter celui qui se l'était associé comme frère; il s'est même repenti des serments qu'il lui avait faits dans le temple de Jupiter Capitolin : il n'est pas étonnant qu'il soit devenu parjure à l'égard de son gendre.

XVI. Telle a donc été la conclusion de la foi donnée et des serments reçus dans les sanctuaires du palais : entreprendre un voyage à petites journées, et avec des projets de guerre déjà bien arrêtés, détruire les provisions sur son passage afin d'enlever à l'ennemi tout moyen de le poursuivre, se montrer soudain dans le palais avec la pourpre impériale, usurper pour la troisième fois un pouvoir auquel on avait deux fois renoncé, envoyer des lettres pour corrompre la fidélité du soldat et l'ébranler par la promesse des récompenses; comme si l'on pouvait compter sur la foi d'une armée qu'on aurait formée à la vénalité ! Empereur, l'illusion de cet homme ne servit qu’à montrer l'affection de vos troupes : ce sentiment l'emporta sur toutes les promesses et toutes les offres d'honneur. Vous avez rendu commune parmi tous les hommes cette vertu si rare de désintéressement que pratiquaient à peine de temps en temps quelques maîtres de la sagesse : non seulement les hommes dont une éducation cultivée et une vie paisible ont civilisé les mœurs, mais le soldat lui-même, malgré son ardeur impétueuse, a méprisé pour vous les avantages qui lui étaient offerts. D'autres armées ont pu égaler la vôtre en activité et en valeur ; à vous seul était réservée la gloire d'avoir une armée sage. On citera peut-être dans l'histoire ancienne des généraux pervers qui employaient la corruption pour lutter contre des forces supérieures, mais leur triomphe fut court et leur popularité fragile : ils trouvèrent des vainqueurs dans ceux qui suivirent leur exemple. Un chef est le ferme et éternel appui de l'Etat, quand c'est à sa propre personne que les soldats sont attachés et quand il commande, non pas à des flatteurs mendiés ou gagés, mais à des hommes vraiment et sincèrement dévoués. Vos présents, Constantin, sont certainement agréables à vos soldats, mais c'est votre main qui en fait le plus grand prix, quand vous donnez une chose, elle devient plus chère. Qui oserait vous disputer cette gloire? personne assurément : on ne peut pas vaincre dans une lutte de libéralité, lorsque l'empereur est lui-même la récompense du soldat. Ainsi vous accordez à vos troupes plus qu'elles ne vous demandent ; mais ce qui vous rend surtout recommandable, c'est votre nom, l'autorité que vous communique le souvenir de votre père, la grâce de votre âge et les traits d'une physionomie qui commande le respect.

XVII. Dieux propices! quel beau et céleste prodige de voir un empereur, jeune encore, chez qui la force arrivée à son plus haut degré va néanmoins toujours en augmentant; qui, par la vivacité des yeux et une majesté à la fois douce et vénérable, éblouit les regards en même temps qu'il les attire. Ainsi je me représente le grand roi de Macédoine et le héros thessalien, dont on loue la haute valeur unie à la beauté. Car elle n'est pas vaine cette doctrine des hommes savants, lorsqu'ils enseignent que la nature prépare pour les grandes âmes une demeure digne d'elles, et que d'après la physionomie et l'harmonie des membres on peut juger la perfection de l'hôte céleste qui habite à l'intérieur. Aussi les soldats admirent votre démarche, ils vous aiment, vous suivent du regard, vous portent gravé dans le souvenir du cœur, et croient obéir à un Dieu dont la forme est aussi belle que la nature divine est incontestable.

XVIII. Aussitôt donc qu'ils apprennent ce honteux forfait, ils vous de mandent spontanément le signal du départ ; et comme vous prépariez des vivres pour la roule, ils se plaignent du retard et prétendent que les dons ordinaires de votre largesse sont déjà plus que suffisants. Ils prennent les armes, gagnent les portes et parcourent sans s'arrêter l'énorme distance qui sépare le Rhin de la Saône; les corps sont infatigables, les âmes sont en feu, et le désir de la vengeance augmente à mesure qu'ils approchent. Vous aviez eu soin dans votre prévoyance de faire préparer, depuis le port de Cabillonum, des bateaux pour réparer leurs forces; ils ont de la peine à goûter cette précaution. Jamais cette rivière, au cours tardif et paresseux, ne leur avait paru couler plus lentement. L'équipage glisse silencieusement sur les eaux, et les rives s'éloignent avec peine, aussi ils se plaignent hautement d'une marche qu'ils appellent stationnaire. Alors ils se courbent sur les rames et travaillent avec ardeur; ils surmontent par leur activité l'obstacle que leur présente la nature de la rivière, et, après avoir triomphé des lenteurs de la Saône, ils sont à peine satisfaits de la rapidité du Rhône : ce fleuve leur semble se précipiter avec lenteur, et courir vers Arelate moins vite qu'à l'ordinaire. Que dirai-je de plus? il faut le proclamer, noble Empereur, vous avez mis à contribution la vigueur de votre corps et l'ardeur de votre Ame; et vous obéissiez ainsi au mouvement d'une armée marchant sous vos ordres. Un mouvement impétueux entraîne vos soldats ; arrivés à Arelate, ils apprennent qu'il[7] a quitté cette ville pour se rendre à Massilie : aussitôt ils laissent les bateaux et, par des marches précipitées, ils devancent non seulement le cours du Rhône, mais je dirai presque le souffle des vents. Ils savaient fort bien qu'ils auraient à assiéger une ville très fortifiée, mais ils pensaient qu'il leur suffisait d'arriver, tant ils vous étaient profondément attachés !

XIX. Massilie s'avance, dit-on, jusque dans l'intérieur de la mer; environnée d'un port très fortifié, qui reçoit par un passage étroit les eaux de la Méditerranée, elle ne tient au continent que par une étendue de mille cinq cents pas, et cette partie est entourée d'un mur très solide garni de tours nombreuses. Lorsque les Grecs, et avec eux les Italiens, vinrent s'établir sur ces côtes, leur science et leur génie, et même la disposition des lieux, tout leur fît comprendre la nécessité de réunir abondamment, dans ce seul point accessible, tout ce qui pouvait être utile à la guerre; ailleurs la nature avait dispensé des frais du travail. Aussi lorsque, pour son malheur, cette ville, prenant le parti du vieux Pompée, ferma ses portes à César, il fallut l'environner par terre et par mer, approcher les machines, construire des terrasses, livrer plusieurs batailles navales, et encore on réussit plutôt à l'assiéger qu'à l'effrayer ; une longue persévérance put à peine ouvrir les portes de la ville, et cependant les magistrats, grecs de nation, résistaient à César, aux généraux et aux soldats romains, moins par la vigueur de leurs troupes que par la force de leurs murailles. Mais, Empereur, à votre première arrivée, et à la première attaque de vos soldats, ni la hauteur des murailles, ni le nombre infini des tours, ni la position avantageuse des lieux, rien ne put vous empêcher de prendre le port; la ville elle-même aurait succombé tout d'abord si vous l'aviez voulu. En effet, vos troupes avaient envahi la muraille avec tant de résolution que certainement elles l'auraient immédiatement escaladée, si, en préparant les échelles dont elles faisaient usage, elles ne se fussent trompées dans l'évaluation de la hauteur. Et même plusieurs d'entre eux, voyant que les échelles déjouaient leur calcul, étendaient leur corps pour atteindre le haut de la muraille, et portés sur les épaules de ceux qui les suivaient, ils saisissaient de leurs mains recourbées la dentelure des créneaux. Dans cette œuvre de vengeance ils craignaient si peu le danger, qu'ils croyaient, non pas monter à l'assaut, mais combattre en rase campagne.

XX. Mais, ô merveilleuse clémence qui ne se dément pas même au milieu des armes! vous avez donné le signal de la retraitent ajourné la victoire afin de pouvoir pardonner à tous, et de prévenir de la part de vos troupes irritées ces actes de cruauté incompatibles avec la bonté de votre caractère. Vous avez voulu d'abord, dans votre sollicitude d'excellent empereur, laisser le temps du repentir aux soldats égarés, et les engager à venir eux-mêmes demander leur pardon. Mais nous, qui voyons toute la délicatesse de votre bienveillance (car rien n'est plus évident que la bonté de votre cœur), nous comprenons que vous avez voulu épargner celui que personne n'eût pu soustraire à la mort, si la prise de la ville eût suivi la première attaque. Ainsi, autant qu'il a dépendu de votre clémence, vous l'avez conservé, lui et les soldats qu'il avait séduits : qu'ils s'en prennent à eux-mêmes tous ceux qui n'ont pas voulu profiter de votre bienfait, et ne se sont pas jugés dignes de la vie ; vous leur aviez laissé la faculté de vivre. Vous avez épargné des coupables qui ne le méritaient pas : cela suffit à votre conscience. Mais, pardonnez-moi cette parole, vous n'êtes pas tout-puissant : les Dieux vous vengent malgré vous.

XXI. Puissent vos entreprises réussir au-delà de vos vœux ! c'est ce que nous pouvons désirer de mieux pour nous, qui avons mis toutes nos espérances dans le sein de Votre Majesté, et qui voudrions, comme si la chose était possible, que votre présence pût se multiplier sur tous les points de l'empire. Car, à peine étiez-vous un peu éloigné des frontières, que la perfidie des Barbares avait éclaté en menaces effrayantes; ils se demandaient les uns aux autres : Quand arrivera-t-il? quand vaincra-t-il? quand verrons-nous de nouveau son armée épuisée? A la nouvelle subite de votre arrivée, frappés de stupeur, ils perdent tout courage. Votre amour pour la patrie n'eut à souffrir que les inquiétudes d'une seule nuit. Le lendemain du jour où la nouvelle de ces mouvements avait accéléré votre marche, on vous apprit que l'agitation était calmée, et que la tranquillité était revenue au point où vous l'aviez laissée auparavant. La fortune le réglait ainsi, afin que le succès de vos entreprises vous avertit d'accomplir les promesses que vous aviez faites aux Dieux immortels, et vous rappelât ce souvenir dans le lieu même où vous auriez pu détourner vos pas pour aller visiter le plus beau temple de l'univers, et le Dieu lui-même qui s'est montré visiblement à vous, lorsque vous êtes arrivé dans ce pays. Car, je le crois, ô Constantin ! vous avez vu votre Apollon, avec la victoire qui l'accompagne, vous offrir des couronnes de laurier, dont chacune renferme un présage de trente années : tel est le nombre qui sert à supputer l'âge des hommes, et il est juste que votre existence se prolonge au-delà de la vieillesse de Nestor. Et que dis-je : Je crois? oui, vous l'avez vu, et vous vous êtes reconnu sous les traits de celui à qui les poètes, dans leurs chants divins, ont annoncé l'empire du monde entier. L'accomplissement de cet oracle est arrivé et se vérifie dans un empereur qui possède, comme Apollon, la jeunesse, la sève épanouie de la joie, la bienveillance active et une beauté incomparable. C'est donc avec raison que vous avez orné nos augustes temples d'offrandes si riches qu'elles font oublier les anciennes. Aussi il me semble que tous ces temples réclament votre présence, et surtout notre Apollon, dont les eaux brûlantes punissent les parjures, crime que vous devez spécialement détester.

XXII. Dieux immortels! quand ferez-vous luire ce jour heureux, où cette Divinité propice, après avoir établi partout la paix, visitera les bois sacrés d'Apollon, et ces sanctuaires vénérés, et les bouches haletantes de nos fontaines? Constantin, vous verrez nos sources au-dessus desquelles une douce chaleur entretient de légers nuages : elles sembleront sourire à vos regards et vouloir glisser sous l'aspiration de vos lèvres.[8] Vous admirerez certainement le sanctuaire de votre Apollon, et les eaux chaudes dans un sol qui n'offre aucun indice de matière ignée : ces eaux n'ont rien de désagréable au goût, ni à l'odorat, elles sont aussi pures sous ce rapport que les eaux froides. Vous répandrez parmi nous vos bienfaits, vous établirez des privilèges, et la vénération des lieux vous engagera à rendre à ma patrie son ancienne splendeur. Cette noble et antique cité, qui se glorifiait autrefois d'être la sœur de Rome, attend les secours de Votre Majesté, afin que là aussi les édifices publics et les superbes temples soient réparés par les soins de votre libéralité. C'est ainsi que je vois maintenant la ville heureuse de Trêves, dont aujourd'hui vous célébrez avec un sentiment religieux le glorieux anniversaire, se relever tellement de ses ruines, qu'elle se réjouit pour ainsi dire d'un désastre qui lui ménage de votre part un état plus florissant. Je vois le grand Cirque qui me semble rivaliser avec celui de Rome, je vois les basiliques et le Forum, constructions vraiment royales, et le siège de la justice: monuments dont l'élévation toujours croissante annonce qu'ils seront voisins des astres et dignes du ciel. Ces grandes œuvres sont certainement le fruit de votre présence ; car, en tous les lieux que Votre Majesté honore de sa fréquente visite, les hommes, les murailles et les bienfaits se multiplient; et la terre n'a pas répandu, sur la couche de Jupiter et de Junon, des fleurs nouvelles avec plus de profusion que les villes et les temples ne s'élèvent sous vos pas. Aussi, il me suffit de désirer que vous visitiez ma patrie avec votre bienveillance ordinaire : elle sortira de ses ruines aussitôt que vous l'aurez vue. Mais je ne sais si ce bonheur sera accordé à ma vie.

XXIII. Cependant, je vous rends de très humbles actions de grâces de ce que vous avez daigné exaucer le plus grand de mes vœux, en me permettant de faire entendre devant vous ma faible voix, exercée dans les diverses fonctions des écoles et du palais. Il ne me reste plus qu'à vous recommander mes enfants, et spécialement celui qui est déjà si haut placé dans l'administration des deniers publics, et sur lequel j'ai concentré toutes mes affections paternelles ; s'il était assez heureux pour mériter l'honneur de se dévouer à votre service, votre Age trouverait en lui le lien d'une parfaite convenance. Du reste, Empereur, en vous parlant de toute ma famille, mes vues sont bien ambitieuses. En effet, outre les cinq enfants que la nature m'a donnés, je considère comme miens tous ceux que j'ai formés aux luttes du barreau et aux offices du palais ; car de ma source sont sortis de nombreux ruisseaux qui me font honneur, et plusieurs de mes élèves administrent vos provinces. Je me réjouis de leurs succès, je regarde leur gloire comme la mienne, et si aujourd'hui j'avais trompé dans mon discours l'attente du public, j'ai la confiance que du moins j'aurais su plaire en la personne de mes disciples. Cependant, si Votre Majesté me permet de lui offrir ce discours comme un témoignage, je ne dis pas de mon éloquence (cette expression serait présomptueuse), mais de mon faible talent et d'un cœur dévoué, je mettrai de côté les viles préoccupations des intérêts privés, et je trouverai un sujet perpétuel à mes discours, dans la personne même de l'Empereur qui m'aura honoré de son approbation.


 

PANÉGYRIQUE DE CONSTANCE.

 

 

I. Invincible César, si, après un long silence, j'avais seulement à surmonter la crainte que m'inspire ce nouvel essai de ma voix, ce trouble, je l'avoue, ne conviendrait ni à mon âge, ni même à la faible opinion que j'ai de mon talent, surtout après avoir célébré, en présence de votre majesté, les divins prodiges de vos exploits. Tout ce que ce genre d'éloquence exige de soins, de travail, de religieuse sollicitude, je l'ai éprouvé, dans le moment même où je m'exerçais tous les jours à former l'esprit et le cœur de la jeunesse. Si ma parole ne pouvait alors atteindre à la grandeur des premiers services rendus à la république renaissante par votre père et par votre oncle, du moins il m'était possible de les indiquer dans une rapide énumération; mais depuis, j'ai quitté cette ancienne carrière, et j'ai été admis dans l'intérieur de votre palais à la sublime fonction de secrétaire intime, ou bien grâce au repos que m'a accordé votre bienveillance, j'ai pu suivre mes goûts pour la vie des champs : et cependant vous n'avez perdu aucune occasion de venger ou d'agrandir l'Etat. Je ne puis énumérer tant de victoires gagnées par votre valeur, tant de nations barbares écrasées sur tous les points, tant de colons transférés dans les contrées déjà soumises au peuple romain, tant de provinces reconquises, et partout les limites de l'empire romain reculées. A la vue de ces prodiges, la parole me manque, je suis frappé de stupeur, tout m'effraie, la pesanteur d'un esprit dont le repos a diminué la vigueur, et la difficulté d'entreprendre la longue énumération de si glorieux exploits. Une seule chose encourage mes efforts; la présence de César qui m'écoute relève à la hauteur de son sujet mon esprit, quelque énervé qu'il soit par le repos et tout-à-fait inférieur à sa tâche. Je me rappelle surtout que je dois à votre bienveillante protection la faveur d'avoir pu prononcer, en présence de votre auguste père, un discours qui, le premier, me tira de l'obscurité. J'ai la confiance que Votre Majesté n'a point oublié mes éloges : je puis donc ne pas répéter ce que j'ai dit, et commencer mon discours par les faits qui suivirent le premier Panégyrique.

II. Et encore, parmi ces exploits, un grand nombre doit être passé sous silence, et spécialement les choses que m'a permis de voir l'honorable fonction qui m'avait été confiée par votre auguste personne. Ainsi je ne parlerai pas de ce roi d'une nation très barbare, qui fut fait prisonnier au milieu même des embûches qu'il avait dressées, ni de l'Allemagne dévastée et entièrement ruinée depuis le pont du Rhin jusqu'au passage du Danube à Guntia : car ces exploits sont trop grands pour être racontés au milieu des autres, et afin de ne pas paraître m'enorgueillir de mes anciennes fonctions, il suffit à ma conscience d'en avoir été le témoin oculaire. Invincible Prince, je commencerai donc aujourd'hui mon Panégyrique, en célébrant le jour où Votre Majesté fut créée César. Cette glorieuse nomination se fit au printemps, et tira de cette circonstance un nouvel éclat. Le ciel était serein, et comme nous l'avons remarqué en célébrant cette fête, un soleil d'été, plus chaud que ne le permettait la saison, avait dans sa lumière une clarté plus majestueuse que lorsqu'il anima l'origine du monde naissant : car alors, au milieu des premiers et tendres germes de la nature, on dit que le soleil tempéra ses feux, pour ne point nuire à la création par des rayons trop ardents : mais le jour de votre élévation à la dignité de César, on pense qu'il a fait tous ses efforts pour ne point paraître inférieur à Votre Majesté, dans une lutte de gloire et de splendeur.

III. O heureuse saison du printemps ! ce qui vous a rendu la source d'une religieuse allégresse, c'est moins le délicieux épanouissement des fleurs, et l'aspect verdoyant des campagnes, et les bourgeons naissants de la vigne, et le souffle du zéphyr, et la douceur d'une lumière sereine, que la production d'un genre tout nouveau; je veux dire la création des deux plus grands Césars ! ô saison fortunée, où l'on fixe avec raison la première naissance de l'univers, puisque c'est elle encore qui aujourd'hui, nous le voyons, lui assure l'existence ! O Calendes de Mars, vous avez autrefois commencé le cours mobile des années, et plus tard vous avez inauguré la gloire des empereurs éternels! Invincibles princes, combien de siècles vous ajoutez à votre gloire et à la vie de l'Etat, en vous associant des collègues pour la défense de l'univers soumis à votre empire. Sans doute, tous les ennemis sont domptés, et la sécurité est parfaite, mais les diverses provinces de l'empire, auxquelles vous deviez une seconde visite, réclamaient de votre part des voyages trop fréquents et sur les points les plus éloignés. Le Parthe avait été refoulé au-delà du Tigre, la Dacie était reconquise, les limites de la Germanie et de la Rhétie étendues jusqu'aux sources du Danube ; la Batavie et la Bretagne étaient vengées : après tous ces exploits, il fallait fortifier dans son administration un empire dont les agrandissements actuels en faisaient présager d'autres; et les princes, dont la valeur avait repoussé les bornes de la puissance romaine, devaient par une paternelle affection en partager l'exercice chacun avec un fils adoptif.

IV. D'ailleurs, indépendamment des intérêts et des soins de l'Etat, une parenté de majesté entre Jupiter et Hercule, et les Joviens et les Herculiens, exigeait une ressemblance avec l'univers et les phénomènes célestes. Le nombre quatre complète en vous la puissance impériale, et c'est sur ce même nombre que repose avec bonheur tout ce qu'il y a de plus grand dans le monde : les quatre éléments, les quatre saisons, les quatre parties de l'univers séparées par deux mers, les lustres qui reviennent après quatre révolutions du ciel, les quatre coursiers du soleil, et Vesper et Lucifer, qui, ajoutés aux deux grands luminaires du ciel, forment le nombre quatre; mais ni le soleil ni aucun astre n'arrêtent leur regard lumineux sur les choses humaines avec autant de constance que vous : sans presque aucune différence du jour et de la nuit, vous éclairez l'univers, et vous veillez au salut des nations non seulement avec les yeux puissants de vos immortels visages, mais bien plus encore avec le coup d'œil de votre intelligence céleste. Et cette lumière qui porte avec elle la vie et le bonheur, vous ne la répandez pas seulement à l'orient, au midi et à l'occident : elle nous arrive même des régions septentrionales. Tant il est vrai, César, que vos bienfaits, distribués sur tous les points du globe, surpassent presque en nombre les bienfaits des Dieux. Si je voulais les raconter tous en détail, le jour présent, celui qui va suivre, et les autres qui viendront après, seraient loin de suffire. D'ailleurs je dois être court : je parle, et César se tient debout.

V. Hommage donc aux expéditions contre les Sarmates, où ce peuple fut presque anéanti, et n'a guères conservé que son nom pour le distinguer dans l'esclavage ! Que les trophées du Nil me pardonnent mon silence, eux qui ont lait trembler l'Ethiopien et l'Indien ! Qu'il suffise à la dernière victoire remportée sur les Carpiens de voir mentionner sa gloire ! Laissons aux courriers qui vont arriver le soin de nous apprendre la ruine complète des Maures. Avec l'agrément de Votre Majesté, je célébrerai ces exploits en d'autres temps : Dieux immortels ! je fais des vœux pour que ce soit en présence de ceux qui en sont les héros. Mais, invincible César, ce que je dois raconter sans délai, aujourd'hui que vous daignez m'écouter, ce sont les belles actions exécutées sous les ordres et sous les auspices de Votre Majesté, et que nous avons le bonheur de contempler nous-mêmes. Cet exposé sera d'autant plus naturel, que si nous devons être reconnaissants du bien général de l'empire, un souvenir particulier de gratitude et de joie nous est commandé pour les heureux événements qui nous touchent de plus près.

VI. Vous veniez d'arriver, César, et déjà la Gaule était affranchie et rendue à votre domination. Votre marche fut si rapide que, devançant le bruit de votre nouvelle dignité et de votre arrivée, vous avez surpris et écrasé dans les murs de Gessoriacum cette bande opiniâtre de pirates factieux, égarée par un déplorable aveuglement, et que vous leur avez dérobé l'Océan, qui faisait leur force en baignant les portes de la ville. Là se montra votre divine prévoyance, et le succès couronna votre dessein. Le bassin sinueux du port, où le flux et le reflux se succèdent à des intervalles réglés, vous l'avez rendu inaccessible aux vaisseaux en fermant son entrée à l'aide de poutres enfoncées et garnies d'énormes rochers, et vous avez, par cet admirable plan, si bien triomphé de la difficulté du lieu, que la mer dont le reflux était devenu inutile semblait insulter ceux qu'elle empêchait de fuir, et offrait aux habitants renfermés dans leurs murailles aussi peu de ressources que si elle eût complètement arrêté son mouvement de retour. Quel retranchement méritera notre admiration, après ce rempart d'un genre tout nouveau, «t jeté au milieu de la mer? Est-il étonnant que des murailles aient été assez solides pour résister aux coups de bélier, assez élevées pour braver les machines de guerre? L'Océan lui-même dont les flots balancés avec tant d'impétuosité élèvent de si grandes nappes d'eau ( qu'il soit, comme l'on dit, repoussé des terres lointaines, ou soulevé par les mouvements de sa propre respiration, ou agité par toute autre cause), l'Océan n'a pu, par le flux et le reflux de tant de jours et de tant de nuits, ni briser, ni arracher vos barrières : et cependant, partout où il baigne les continents, il allait dégrader les terres et entraîner les rivages. En ce seul lieu, on l'a vu vraiment céder à la puissance de Votre Majesté, ou bien modérer sa violence par une juste pensée d'honneur et de respect.

VII. Xerxès, le plus puissant roi des Perses, jeta, dit-on, des chaînes d'or au fond de la mer, se flattant, comme il le prétendait, d'enchaîner Neptune, pour le punir de ses violences au milieu des flots. Arrogance insensée et sacrilège vanité ! Mais pour vous, César, vous avez, par une divine prévoyance, employé un moyen efficace; vous n'avez point jeté l'insulte à l'élément, aussi, loin de provoquer sa haine, vous avez mérité son obéissance. Comment pourrions-nous expliquer autrement la suite de cette entreprise? Aussitôt que forcés par la nécessité, et confiants en votre clémence, les assiégés eurent fait leur soumission, ces mêmes retranchements se renversèrent au choc de la première vague; et toute cette ligne d'arbres, qui, comme des bataillons impénétrables aux flots, avaient prolongé la résistance aussi longtemps qu'elle vous était utile, s'affaissa sous les eaux, comme si, au signal de la retraite, elle avait quitté un poste fidèlement gardé. Il fallait qu'il fût prouvé évidemment aux yeux de tout le monde, que ce même port, fermé au pirate pour l'empêcher de secourir les siens, s'ouvrait spontanément pour vous conduire à de nouvelles victoires. En effet, vous auriez pu, invincible César, emporté sur les ailes de votre courage et de votre bonne fortune, terminer entièrement la guerre : mais le besoin des circonstances vous fit prendre le temps nécessaire à des constructions navales. Néanmoins, vous n'avez cessé, dans l'intervalle, d'abattre tous ceux des ennemis que la terre ferme vous permit d'aborder.

VIII. Du reste, César, cette contrée que vos divines expéditions ont vengée et purgée de ses ennemis, que le Scalde arrose dans son cours sinueux, et que le Rhin renferme entre ses deux bras ; cette contrée n'est point une terre, si je puis hasarder celte expression. Elle est tellement pénétrée par les eaux jusque dans ses parties les plus intimes, que non seulement les endroits vraiment marécageux cèdent à la moindre pression, et engloutissent la trace des pas qui les ont foulés, mais que les points même où elle paraît un peu plus ferme s'ébranlent au choc du pied, et montrent, par une secousse prolongée, qu'ils sont sensibles au moindre poids. Ce pays nage vraiment au milieu des eaux, et suspendu sur l'abîme, il oscille au loin, tellement qu'on pourrait, à juste titre, le considérer comme un lieu très propre aux exercices d'un combat naval. Mais ni ces pièges inhérents au sol, ni les nombreuses retraites des forêts ne purent protéger les Barbares, et les empêcher de tomber tous sous votre domination. Ils furent obligés de se rendre à Votre Majesté, et de passer avec leurs femmes, leurs enfants, leur suite nombreuse et tous leurs biens, dans des régions depuis longtemps désertes, pour cultiver en esclaves des terres que peut-être autrefois ils avaient ravagées dans leurs courses de brigands.

IX. Avant votre règne, illustres Princes, quel Dieu, quand même il aurait voulu parler lui-même en notre présence, eût réussi à nous persuader qu'il arriverait un temps où nous verrions les choses dont nous avons été et dont nous sommes témoins : des bataillons de Barbares captifs, assis sous tous les portiques des cités, des hommes dont la férocité est abattue, et à qui il ne reste que la crainte; les vieilles mères et les épouses, enchaînées ensemble, se retournant pour contempler la lâcheté de leurs fils et de leurs époux ; les jeunes gens et les jeunes filles entretenant de doux et de familiers propos, et toute cette foule partagée entre les habitants des provinces romaines pour vivre sous leur dépendance, et tous attendant qu'on les conduise dans les solitudes qui leur sont désignées pour la culture. Certes, il me plaît de triompher ici au nom de toute la Gaule, et, si vous le permettez, de distribuer aux provinces le fruit de vos victoires. C'est donc pour moi que labourent maintenant le Chamave et le Frise : c'est pour moi que ces vagabonds et ces ravisseurs cultivent la terre, tout couverts de sueur, peuplent nos marchés avec leurs troupeaux à vendre, et que le laboureur barbare fait diminuer le prix des subsistances. Bien plus, si on l'appelle sous les drapeaux, il accourt : on le façonne rudement à l'obéissance, on emploie la verge, et il se réjouit encore de voir son nom inscrit sur nos rôles. Que ferai-je, César ? pardonnez-moi si je suis trop long : pardonnez-moi si ma description est trop rapide : car je passe sous silence plusieurs de vos glorieux exploits, qui se rattachent à l'époque où se préparait l'expédition en Bretagne, et j'arrive en toute hâte à cette mémorable victoire, qui a enfin vengé l'empire tout entier, la grandeur de ce triomphe, invincible César, ne sera bien comprise qu'après avoir expliqué sa nécessité et ses difficultés, avant d'en faire connaître les détails et la conclusion.

X. La scission que ces provinces opérèrent avec l'empire était une chose triste, mais cependant moins déshonorante sous un prince comme Gallien : car alors, soit incurie, soit prédisposition fatale, l'empire se trouvait comme mutilé dans presque tous ses membres. Le Parthe avait orgueilleusement relevé la tète, le roi de Palmyre voulait s'égaler au peuple romain, toute l'Egypte et la Syrie s'étaient séparées, la Rhétie était perdue, la Norique et la Pannonie ravagées : l'Italie, elle-même, cette maîtresse des nations, pleurait la ruine d'un grand nombre de ses villes. On ressentait moins de douleur à la perte de chaque province, puisqu'elles étaient presque toutes perdues. Aujourd'hui, grâce à votre valeur, non seulement nous avons recouvré ce qui appartenait à l'empire dans tout l'univers, mais nous avons fait de nouvelles conquêtes sur les ennemis : aujourd'hui l'Allemagne et la Sarmatie ont été tant de fois écrasées, les Vitongues, les Quades, les Carpiens tant de fois battus : le Goth s'est soumis à demander la paix, et le roi des Perses, comme un suppliant, a envoyé des présents pour l'obtenir. Et maintenant, à la vue de ces brillants exploits, l'heure est venue pour nous de faire un aveu : la pensée de cette unique injure faite à un si grand empire nous desséchait le cœur, et l'affront nous paraissait d'autant plus insupportable, que c'était le seul imprimé sur notre gloire.

XI. Sans doute la Bretagne ne portait qu'un seul nom : toutefois c'était une perte considérable pour l'Etat, que la privation d'une terre si fertile en toutes sortes de productions, si heureuse de ses nombreux pâturages, et où coulent dans les veines intérieures tant de ruisseaux métalliques : terre si productive par ses impôts, fortifiée par des ports si nombreux, et si large dans l'étendue de son circuit. Lorsque César, à qui vous devez votre nom, fit, le premier des Romains, son entrée en Bretagne, il écrivit qu'il venait de découvrir un autre monde, et il crut cette contrée si vaste, qu'elle lui semblait, non pas être environnée par l'Océan, mais plutôt étendre ses rivages autour de l'Océan lui-même. A cette époque, la Bretagne ne possédait aucun vaisseau équipé pour un combat naval, et la puissance romaine était aussi forte sur terre que sur mer, exercée depuis longtemps dans les guerres de Carthage et de l'Asie, et tout récemment encore dans les guerres contre les pirates, et en dernier lieu contre Mithridate. En outre, cette contrée ne renfermait que les seuls Bretons, peuple encore grossier, à demi-nu, qui n'avait eu jusqu'alors à combattre que les Pictes et les Hibernes. Les armes et les enseignes du peuple romain obtinrent donc une facile victoire, et dans cette expédition, César n'eut guères d'autre sujet de gloire que la traversée de l'Océan.

XII. Dans cet horrible brigandage, le pirate en fuyant avait d'abord emmené la flotte qui autrefois protégeait la Gaule : il l'avait augmentée en construisant plusieurs vaisseaux sur le modèle des nôtres; il avait surpris une légion romaine, arrêté au passage quelques groupes de soldats étrangers, réuni sous ses drapeaux des marchands gaulois, et invité, par l'espérance du pillage des provinces, de nombreuses hordes barbares : et lui-même, l'auteur de cette honteuse révolte, avait exercé toutes ces bandes à la manœuvre des vaisseaux, tandis que nos armées, malgré leur invincible valeur, étaient encore novices dans les opérations navales. Ainsi nous apprîmes, sans toutefois éprouver la moindre inquiétude sur le résultat, qu'une guerre gigantesque s'était préparée avec ces éléments du plus indigne brigandage. A cela joignez une longue impunité du crime : elle avait tellement accru l'audace de ces furieux, qu'ils attribuèrent à la terreur de leur nom les lenteurs occasionnées par une tempête, dont la fureur avait ajourné la victoire par je ne sais quelle fatale nécessité : ils allèrent même jusqu'à penser qu'il n'y avait pas seulement interruption prudente de la guerre, mais cessation de toute hostilité par suite de notre désespoir. Aussi la crainte d'un châtiment commun ayant disparu, un des satellites du chef des pirates le fit mourir, et regarda la souveraine autorité comme la récompense nécessaire d'un si grand crime.

XIII. Cette guerre si nécessaire, si difficile à entreprendre, préparée depuis si longtemps et avec tant de soin, vous l'avez commencée, César, avec tant de vigueur, qu'elle nous a paru terminée aussitôt que nous avons vu Votre Majesté diriger de ce côté la foudre vengeresse. D'abord, précaution essentielle, vous avez appelé à votre aide la puissance de votre père, pour empêcher les nations barbares d'exciter des troubles pendant votre expédition en Bretagne. C'est vous-même, Maximien notre maître, empereur éternel, qui, en vous frayant des routes nouvelles et abrégées, avez daigné précipiter l'arrivée de votre divine Majesté, et vous présentant tout-à-coup sur le Rhin, ave> protégé toutes ces frontières, non point par des escadrons ou des cohortes d'infanterie, mais par la terreur de votre présence. Maximien sur. la rive valait à lui seul les plus puissantes armées. Pour vous, invincible César, vous avez équipé et armé de nombreux vaisseaux que vous avez disposés sur divers points; et l'ennemi, effrayé de tous ces préparatifs, a tellement perdu l'esprit de conseil et de résolution, qu'il s'est enfin aperçu que l'Océan était pour lui une prison et non un rempart.

XIV. Ici je me rappelle avec quel bonheur facile et efféminé l'empire était administré et les lauriers de la gloire moissonnés par ces princes qui, sans sortir de Rome, recueillaient les triomphes et les noms des nations vaincues par leurs généraux. Ainsi Fronton, je ne dirai pas la seconde, mais une des premières gloires de l'éloquence romaine, attribua à l'empereur Antonin tout l'honneur de la guerre terminée en Bretagne, et cependant ce prince, sans quitter son palais, avait seulement confié aux généraux la conduite de cette guerre : il osa même affirmer que toute la gloire de cette expédition maritime revenait à l'empereur, comme s'il se fût en personne assis au gouvernail des galères. Pour vous, invincible César, non seulement vous avez, en usant de votre droit de commandement, ordonné cette traversée et cette guerre, mais vous-même par votre action et par les exemples de votre fermeté, vous étiez une harangue vivante qui excitait l'ardeur du soldat. Le premier, quittant les rivages de Gésoriacum, vous vous êtes élancé sur la mer irritée, et par cette intrépidité, vous avez inspiré un courage inébranlable, même à cette partie de vos troupes que la Seine avait jetée au milieu de l'Océan. Au milieu de l'hésitation des chefs, et malgré l'ébranlement du ciel et de la terre, les soldats demandent eux-mêmes le signal du départ, méprisent quelques présages menaçants, mettent à la voile malgré la pluie, et comme le vent ne les poussait pas en ligne droite, ils le prennent de côté. En effet, lorsque vous-même vous affrontez les flots, quel est l'homme qui n'oserait se confie à la mer la plus furieuse ? A la nouvelle de votre embarcation, il n'y eut, dit-on, qu'une seule voix et qu'un cri d'encouragement : Pourquoi ces hésitations et ces lenteurs? lui-même a déjà levé l'ancre, il est en route, peut-être même est-il déjà arrivé. Livrons-nous à tous les hasards, bravons les vagues les plus menaçantes. Que pourrions-nous craindre ? nous suivons César.

XV. Le succès justifia pleinement l'opinion qu'on avait de votre bonne fortune. En effet, comme les soldats l'ont eux-mêmes raconté, la surface de la mer fut couverte dans le moment même d'un nuage si épais, que la flotte ennemie, placée en observation et en embuscade près de l'île de Veota, ne s'aperçut pas du passage de la flotte romaine, et l'on aurait pu craindre, non point qu'elle arrêtât, mais du moins qu'elle retardât la marche impétueuse de vos troupes. A peine débarquée sur le rivage de la Bretagne, l'armée invincible sous vos auspices met le feu à tous ses vaisseaux : or, quelle puissance a pu leur inspirer cette résolution hardie, sinon les instincts prophétiques que leur suggérait la présence de Votre Majesté? Quel motif le» a engagés à ne se ménager aucune ressource dans la fuite, à ne point redouter les chances de la guerre, et à ne pas croire le succès douteux ? n'est-ce point parce que la vue seule de votre personne donnait des gages assurés de la victoire? La confiance des troupes était alors moins dans leur nombre et dans l'énergie romaine, que dans votre majesté divine. Dans toute bataille, c'est plutôt la bonne fortune des généraux qui donne les garanties de la victoire, que la confiance des soldats. Et celui qui était à la tête de cette criminelle révolte, pourquoi a-t-il quitté le rivage qu'il occupait ? pourquoi a-t-il abandonné la flotte et le port? n'est-ce pas encore parce qu'il redoutait votre prompte arrivée, invincible César, vous dont il avait aperçu le vaisseau à la marche menaçante? Il a mieux aimé se mesurer avec vos généraux, et ne pas s'exposer à la foudre que portait avec elle Votre Majesté. Insensé ! il ne savait pas que, quel que fût le lieu de sa retraite, il retrouverait la puissance de votre auguste personne partout où l'on vénérait votre image et les emblèmes de votre souveraineté.

XVI. Cependant, en cherchant à vous éviter, il est tombé entre les mains de vos soldats : vous l'aviez vaincu, vos troupes achevèrent la défaite. Effrayé et croyant toujours vous voir à sa suite, il se précipitait vers la mort, frappé de stupeur comme un homme qui a perdu le sens. Sans songer à déployer ses bataillons, ni à mettre en ordre cette immense multitude qu'il traînait après lui, il oublie les forces considérables dont il pouvait disposer, et s'élance au combat avec les anciens chefs de la révolte, et les bandes mercenaires des Barbares. Et telle fut encore, César, l'influence de votre bonne fortune, que cette victoire de l'empire romain a coûté peu de chose au sang romain. Mais à en croire la renommée, les restes des plus féroces ennemis couvrirent toutes les campagnes et les collines. Leurs cadavres de race barbare, ou qui en portaient naguères le brillant costume avec la longue chevelure, étaient étendus sur le sol, souillés de poussière et de sang, et repliés dans les diverses attitudes qu'avait commandées la douleur de leurs blessures. Au milieu des morts on retrouva le chef de cette troupe de brigands; il avait spontanément déposé les insignes du pouvoir profanés pendant sa vie, et c'est à peine si on put le découvrir à l'indice d'un voile qu'il portait. Sentant sa fin approcher, il avait tellement pressenti le traitement qu'essuierait son cadavre, qu'il désirait n'être point reconnu après sa mort.

XVII. Invincible César, tous les Dieux immortels vous adjugèrent d'un consentement unanime la victoire sur tous les ennemis que vous avez attaqués, mais ils livrèrent les Francs à votre vengeance spéciale ; car ceux de vos soldats qui s'étaient séparés de la flotte, égarés par l'épais nuage dont nous avons parlé plus haut, arrivèrent à Londinum : là ils rencontrèrent les restes de cette multitude de barbares mercenaires, qui, après avoir échappé au carnage, venaient de piller la ville et se préparaient à prendre la fuite ; ils les exterminèrent dans tous les quartiers de la cité, et par cette mesure énergique non seulement ils sauvèrent la vie aux habitants des provinces romaines, mais ils leur ménagèrent le plaisir d'un spectacle de vengeance. O victoire féconde en résultats, et qui a amené d'innombrables triomphes! c'est elle qui a ménagé la nouvelle conquête de la Bretagne, anéanti les forces des Francs, imposé le joug de l'obéissance à plusieurs nations reconnues complices de cette criminelle révolte; c'est elle qui, en purgeant la mer de ses pirates, a assuré pour toujours le repos de la navigation. Pour vous, invincible César, glorifiez-vous d'avoir découvert un autre monde, vous qui, en rétablissant 1« puissance navale des Romains, avez ajoutée l'empire la puissance d'un élément plus étendu que toutes les terres fermes. Vous avez, dis-je, terminé une guerre qui semblait menacer toutes les provinces, et qui pouvait s'étendre et s'allumer dans toutes les contrées, que baignent au loin les eaux de l'Océan et de la Méditerranée.

XVIII. En effet, si, grâce à la terreur de votre nom, cette maladie contagieuse s'est desséchée dans les seules entrailles de la Bretagne, nous n'ignorons pas cependant avec quelle fureur elle se serait propagée ailleurs, si elle avait espéré s'étendre partout où elle aurait pu naître facilement. Il est vrai, nos légions placées à toutes les frontières l'auraient empêché de franchir les limites formées par les montagnes et par les fleuves ; mais, malgré votre valeur et votre bonne fortune, les vaisseaux ennemis nous auraient menacés de terreurs continuelles, partout où s'étendent les mers, partout où se portent les vents. Nous n'avions point oublié l'incroyable audace qui, sous le règne du divin Probus, s'empara de quelques bandes captives des Francs, et les indignes succès de leur entreprise. Ils partent du Pont sur des vaisseaux dont ils s'étaient emparés, ravagent la Grèce et l'Asie, visitent, en y laissant des traces de leur passage, presque toutes les cotes de la Lybie, prennent enfin la ville de Syracuse, si célèbre autrefois par ses victoires navales ; et après avoir parcouru un immense trajet, ils abordent vers les côtes où l'Océan envahit les terres. Le succès de leur téméraire audace avait prouvé qu'aucune contrée n'était à l'abri de la fureur désespérée des pirates, pourvu qu'un vaisseau pût y pénétrer. Votre victoire donc a non seulement délivré la Bretagne de l'esclavage, mais encore rendu la sécurité à tous les peuples, à qui le voisinage de la mer peut faire courir autant de dangers en temps de guerre, qu'il leur procure d'avantages pendant la paix. Aujourd'hui, sans parler des rivages de la Gaule, la sécurité est partout, sur les côtes de l'Espagne, quoiqu'elles soient presque situées en face de la Bretagne, en Italie, en Afrique; aujourd'hui toutes les nations, jusqu'aux Palus-Méotides, sont délivrées de ces inquiétudes auxquelles elles étaient toujours en proie. Maintenant que le péril a disparu, la pensée de n'en avoir point subi les chances ne diminue pas l'étendue de leur joie, mais c'est pour elles une nouvelle raison de féliciter Votre Majesté, d'avoir, et par la prévoyance de votre administration, et par les heureux succès de votre bonne fortune, écrasé jusque dans ses derniers vestiges la fureur de cette révolte et de cette guerre navale. Quant à la Bretagne, qui avait servi de retraite à un crime si longtemps impuni, il est certain qu'elle ne s'aperçut de votre victoire que par le recouvrement de son ancienne prospérité.

XIX. A peine vous aviez abordé le rivage, attendu depuis longtemps comme un vengeur et un libérateur, et vous fûtes accueilli avec tous les honneurs d'un triomphe que vous aviez si bien mérité. Les Bretons tressaillant de joie se présentent à vous avec leurs femmes et leurs enfants, ils vénèrent non seulement votre personne, qu'ils regardent comme descendue du ciel, mais encore les voiles et les rames qui vous avaient transporté ; ils sont prêts à vous faire de leurs corps prosternés une route pour entrer dans leur pays. Il n'est pas étonnant que leur joie fût si grande, ils avaient si longtemps enduré la plus affreuse servitude, et les insultes faites à l'honneur de leurs épouses, et les honteux traitements de leurs enfants réduits à l'esclavage y et maintenant ils étaient enfin libres, ils étaient enfin romains, et ils se réjouissaient en contemplant dans Votre Majesté la véritable lumière de l'empire. Vous étiez déjà précédé de cette réputation de clémence et de bonté, que les peuples célébraient d'une voix unanime ; mais alors, César, ils pouvaient contempler sur votre visage même les signes de toutes les vertus, la gravité sur le front, la douceur dans les yeux, la rougeur modeste dans les traits de la physionomie, et dans la parole une expression de justice. Après s'être assurés par leurs propres yeux de toutes ces belles qualités, ils poussaient des cris de joie ; ils se dévouaient à vous, eux et leurs enfants; et tous les descendants de leur race, ils les donnaient à l'avance à votre postérité.

XX. Nous aussi, ô éternels pères et maîtres du genre humain, nous demandons aux Dieux immortels, de toute l'ardeur de nos vœux, que nos enfants, nos petits-enfants, et toute notre postérité, dût-elle durer pendant tous les siècles, soient consacrés à vos personnes, aux princes que vous élevez et à ceux que vous formerez encore! Que pourrions-nous désirer de mieux pour nos descendants, que le bonheur dont nous jouissons nous-mêmes? L'empire embrasse maintenant dans les étreintes de la paix générale toutes les contrées qui, à différentes époques, ont autrefois appartenu à la domination du peuple romain ; et ce vaste corps, qui souvent s'était affaissé sous son énorme poids, a enfin réuni ses différentes parties, et forme un seul empire désormais inébranlable. Dans les régions de la terre et des airs, partout la paix a chassé la crainte, les armes tiennent les peuples soumis, ou bien la bonté a enchaîné les cœurs. Dans les autres parties du monde, il reste bien quelques coins de terre que vous pourriez conquérir, si vous le désiriez, ou si les circonstances le demandaient. Mais au-delà de l'Océan, y avait-il d'autres pays que la Bretagne? vous l'avez si bien reconquise que vous avez obtenu la soumission à vos moindres volontés, chez les peuples qui touchent aux frontières de cette tle. Il n'y a pas de raison d'avancer plus loin, à moins qu'on ne veuille rechercher les bornes de l'Océan; mais la nature a rendu la chose impossible. Invincibles Princes, tout ce qui est digne de vous vous appartient : et cette domination universelle vous permet de prodiguer également vos soins à chaque partie séparément.

XXI. Déjà, depuis longtemps, Dioclétien Auguste, l'Asie par vos ordres a envoyé ses colons peupler les déserts de la Thrace, plus tard, Maximien Auguste, au signe de votre volonté, les champs abandonnés des Nerviens et des Trévires ont été cultivés par les Francs, heureux de rentrer dans un pays d'où on les avait chassés, et d'être incorporés à l'empire. Ainsi, Constance César Auguste, par suite de vos victoires, tout ce qui avait échappé à la culture dans le sol des Ambiens, des Bellovaques, des Tricassins et des Lingons, est maintenant rendu fertile par le travail du Barbare. Et même cette ville des Eduens, au nom de laquelle je dois vous adresser de particulières actions de grâces, cette cité qui vous est entièrement dévouée, a recueilli, comme fruit de votre victoire en Bretagne, une multitude d'ouvriers qui étaient fort nombreux en ce pays ; et maintenant elle se lève de ses ruines, avec la reconstruction des vieilles maisons et des édifices publics, et la restauration des temples. Comme vous êtes son nouveau fondateur, elle croit par là même que le vieux nom de frères du peuple romain a été rendu à ses habitants. César invincible, je suis allé au-delà de mes forces dans ce discours, et cependant je n'ai pas dit tout ce que j'aurais dû. J'ai donc, avec la permission de Votre Majesté, une juste raison définir ce panégyrique, comme aussi de reprendre souvent votre éloge.


 

DISCOURS POUR LA REPARATION DES ECOLES.

 

I. Très illustre Gouverneur, le discours que je vais prononcer sera, j'en ai la conviction, un sujet d'étonnement, non point pour vous, qui avez toujours excellé dans tous les genres d'éloquence, mais pour le plus grand nombre de mes auditeurs. Depuis ma première jeunesse jusqu'à ce jour, je n'ai jamais parlé sur ce Forum, aimant mieux exercer dans l'ombre mes faibles connaissances acquises par le travail et l'application, que de les étaler pompeusement sur la place publique ; et il doit sembler étrange de me voir enfin aborder aujourd'hui, par un tardif coup d'essai, une tribune à laquelle je ne suis point accoutumé. Il est vrai, ce siège de la justice m'a toujours paru un magnifique théâtre pour l'action et la parole ; néanmoins j'avoue que la défiance de mes forces m'en a jusqu'alors constamment éloigné, et que, même en ce moment où le sujet que je vais traiter est tout-à-fait étranger aux disputes du barreau, je suis confirmé dans ma résolution par le sentiment du trouble qui s'est emparé de moi.

II. Voici donc ma pensée : j'ai cru pouvoir, sans confier cette mission à personne, formuler moi-même une demande pour obtenir dans ma patrie la restauration des écoles Méniennes, et je dois d'abord ne laisser aucun doute à l'opinion publique, et prévenir les interprétations que l'on pourrait donner à ma démarche : il ne faut pas qu'on me soupçonne de prétendre à une carrière que je sens au-dessus de mes forces. Je veux que, dès mon exorde, il soit bien établi dans l'esprit de mes auditeurs que mon discours est une œuvre spéciale, temporaire et conforme aux études de ma vie; je n'ai point l'intention, par une jalousie de gloire, de m'enrôler dans la classe des avocats, à laquelle je suis toujours demeuré étranger. Je ne suis ni assez léger, ni assez présomptueux pour ignorer la différence qui existe entre les combats du Forum, et les paisibles exercices de nos écoles. Ici les esprits se préparent à la lutte, là ils combattent : d'un côté le prélude, de l'autre la bataille; les traits informes et les pierres volent au Forum, dans nos écoles les armes sont toujours polies. Dans les deux camps on applaudit : mais là l'orateur est souillé d'une poussière mêlée de sueur, ici il conserve toute l'élégance de sa tenue. Et si, pour faire un essai, ils voulaient changer de rôle, ils ne tarderaient point à s'en repentir; l'un serait éloigné par le son des trompettes et le bruit des armes, l'autre par l'appareil même du triomphe.

III. Je sais toutes ces choses, très illustre Gouverneur, et je ne me fais point illusion. Aussi je suis bien éloigné de renoncer aux fonctions de l'enseignement, et de me croire le talent du barreau, puisqu'en ce jour où je dois parler au Forum une seule fois et sur un seul sujet, je me borne à espérer de l'indulgence plutôt que de la gloire. Du reste, très illustre Gouverneur, ce n'est point la nouveauté du sujet qui me trouble, mais la nouveauté du lieu ; ce que je demande ne doit point rencontrer les obstacles de la contradiction, et même doit être appuyé favorablement et soutenu avec joie par tous ceux qui attachent du prix à la divine libéralité de nos princes, à la restauration de la ville et au culte des beaux-arts. Il s'agit de réparer, en même temps que les temples et les autres édifices, ces écoles Méniennes, autrefois si célèbres par la beauté des constructions, et si fameuses par le nombre des étudiants. Ainsi, autant la nouveauté du lieu m'effraie, autant la cause que j'ai à plaider me donne d'assurance. Je crois devoir, très illustre Gouverneur, diviser mon discours en deux parties : d'abord je parlerai de l'importance et de l'obligation de rendre à cet édifice son ancienne magnificence; puis je montrerai comment, sans avoir recours au trésor public, on peut exécuter cette œuvre avec les largesses de nos illustres princes, que sauront sacrifier mon amour et mon zèle pour la patrie.

IV. Avant toutes choses, très illustre Gouverneur, nous devons songer par cette restauration à seconder la divine et prévoyante sollicitude de nos empereurs et de nos césars, et la bonté incomparable avec laquelle ils nous traitent. Notre ville, qui autrefois portait avec orgueil le nom de sœur du peuple romain, venait d'être entièrement dévastée dans un siège qu'elle eut à soutenir contre les brigandages des Bagaudes, et où elle avait imploré le secours de l'empereur. Nos princes voulurent la relever de ses ruines et la restaurer, non seulement d'après une pensée d'admiration pour nos anciens services, mais en suivant les règles de la commisération qui se proportionne au malheur. Ils ont pensé que la grandeur de ses ruines leur demandait des monuments immortels de libéralité, afin que la gloire des restaurateurs fût éclatante, en raison même de l'ensemble gigantesque des reconstructions. Aussi ils emploient des sommes énormes, et même, en cas de besoin, tout le trésor, à réparer non seulement les temples et les édifices publics, mais encore les maisons des particuliers; ils ne se bornent pas à ces secours d'argent, ils font venir des ouvriers d'outre-mer, des colons choisis parmi les plus illustres familles des provinces ; ils établissent dans nos murs, en quartier d'hiver, les légions les plus dévouées, sans recourir à leur valeur invincible, même dans les nombreuses guerres qu'alors ils ont à soutenir. Ils veulent qu'elles consacrent leurs travaux aux intérêts de la ville par un sentiment de reconnaissance pour notre bienveillante hospitalité; qu'elles facilitent l'écoulement des eaux, et qu'elles établissent de nouveaux courants qui pénètrent pour ainsi dire dans les entrailles arides de la ville épuisée.

V. Puisque les empereurs ont voulu relever cette colonie et la vivifier avec les plus grandes et les plus nombreuses ressources de l'empire, il est évident que leur intention est surtout de voir réparer ce sanctuaire des belles-lettres, où ils ont préparé le concours d'une jeunesse d'élite, par l'éclatante protection avec laquelle ils soutiennent l'honneur des études. Quel est en effet celui des anciens princes qui a mis, à faire fleurir l'instruction et l'éloquence, autant de zèle que ces incomparables et excellents maîtres de l'univers? Pour moi, à consulter mon désir et mon affection, je ne crains pas de les appeler les pères de nos enfants ; ils ont jeté un regard de compassion sur leur Gaule bien-aimée et sur les généreuses dispositions de sa jeunesse d'élite, qui venait de perdre le professeur le plus distingué; ils ont eux-mêmes et d'une manière expresse choisi un maître pour instruire et diriger nos élèves, et au milieu des occupations beaucoup plus importantes que leur crée la haute administration de l'Etat, ils n'ont point voulu que le soin éclairé des lettres leur échappât ; comme s'il se fût agi de nommer un chef pour un corps de cavalerie, ou pour une cohorte prétorienne, ils ont revendiqué comme un droit le choix du directeur des écoles. Ils craignaient que les jeunes gens destinés aux différentes fonctions des tribunaux, aux charges d'instructeur impérial, ou peut-être aux divers offices du palais, ne fussent tout-à-coup surpris par un nuage ténébreux au milieu des vagues de l'adolescence, sans avoir des règles d'éloquence sûrement établies.

VI. Très illustre Gouverneur, je ne cherche pas à faire mon éloge, mais je ne puis assez admirer l'incroyable sollicitude et la bienveillance que Constance notre souverain, vrai prince de la jeunesse, témoigne aux générations adolescentes de sa Gaule bien-aimée ; pour ajouter un nouveau lustre à l'honneur des lettres, et lorsque je n'avais plus d'autre pensée que de diriger mon fils dans la carrière de mes anciennes études, il m'a ordonné de reprendre mes leçons d'éloquence; et ainsi ma faible voix, qui, malgré son impuissance naturelle, avait prononcé de célestes paroles et expliqué les pensées divines des princes, sortit des retraites sacrées du palais, pour se faire entendre dans le sanctuaire privé des Muses. Ce n'est pas qu'en me chargeant de cette nouvelle fonction, il ait voulu en rien déroger à la dignité de ma position ; soit dit sans exciter l'envie, le prince me témoigne une bienveillante estime qui, pour le sage, doit tenir lieu des plus grands honneurs ; mais il a voulu que mon ancienne fonction pût rehausser l'éclat de la nouvelle qui m'était confiée. On ne saurait donc révoquer en doute l'intention des princes sur la restauration et l'embellissement des édifices consacrés à l'enseignement, puisque leur divine intelligence a mis tant de soin à choisir pour la jeunesse un maître d'éloquence. Tout homme, qui s'est fait partisan et protecteur d'une pensée, ne croit pas avoir satisfait à son désir et au vœu de sa conscience, tant qu'il n'a pas érigé un monument pour perpétuer le genre de gloire qu'il ambitionne.

VII. Ainsi le naturel compatissant des Athéniens érigea l'autel de la miséricorde, et la grandeur d'âme d'un général romain fit élever le temple de la vertu et de l'honneur; car toutes les fois qu'un grand homme reçut de la nature l'amour des arts ou quelque noble passion, il voulut que la consécration d'un monument en rappelât le souvenir à la postérité. Fulvius Nobilior employa les revenus de sa censure à construire dans le cirque Flaminien le temple de l'Hercule des Muses ; il suivit d'abord en cela son amour pour les lettres, et un sentiment d'amitié pour un illustre poète; puis il se rappelait avoir appris, lorsqu'il commandait en Grèce, qu'Hercule était Musagète, c'est-à-dire le compagnon et le guide des Muses. Aussi, fit-il transporter de la ville d'Ambracie les neuf statues des Muses, pour les mettre le premier sous la garde de ce Dieu puissant. Il pensait, et avec raison, que ces Divinités se devaient mutuellement l'appui, le secours et l'illustration ; le repos des Muses a besoin de la protection d'Hercule, et la valeur d'Hercule réclame le chant des Muses.

VIII. C'est sans doute pour obéir à cette inspiration naturelle d'Hercule son aïeul, et de Maximien Hercule son père, que César Hercule favorise avec tant d'empressement le culte des belles-lettres. Il pense qu'il appartient à la prévoyante sollicitude de Sa Majesté impériale, de former ses sujets à la science de bien dire comme à celle de bien faire; la haute intelligence de son âme divine lui fait comprendre que l'étude des lettres est le fondement de toutes les vertus ; elles sont en effet une école de tempérance, de modestie, de vigilance, de patience, et quand toutes ces vertus se sont changées en habitude dans le cœur de l'enfance, elles pénètrent avec une sève de vigueur toutes les fonctions de la vie civile, et même celles qui paraissent tout-à-fait opposées, je veux dire les charges et les devoirs de la vie militaire. Et puisque César Hercule a daigné choisir lui-même le maître de ces belles-lettres, qui nourrissent, ou, pour parler le langage de la vérité, qui engendrent tous les talents et toutes tes gloires, nécessairement il doit désirer la restauration de leur sanctuaire, afin que, rendu à son ancienne stabilité et à sa splendeur primitive, on puisse l'appeler, avec plus de justesse et de vérité que le sanctuaire de Fulvius, le temple d'Hercule et des Muses.

IX. Et certes, très illustre Gouverneur, il y va de la gloire que nos illustres princes ont acquise par tant de victoires et de triomphes, et il faut que les intelligences préparées par l'éducation à chanter leurs exploits, puissent recevoir la sève vivifiante, non point dans des maisons particulières, mais au conspect du public, et dans la position la plus en évidence de toute la ville. Or, quel est l'édifice mieux situé sur la partie la plus apparente et le côté dominant de la ville, que ces écoles Méniennes placées sur le passage même des invincibles princes, lorsqu'ils nous honorent de leur visite? Déjà ils se montrent si heureux du concours de la joyeuse jeunesse qui se presse sous leurs pas, comme le prouvent et les libéralités qu'ils lui accordent, et les lettres qui me sollicitent de me dévouer à son instruction ; combien plus grand sera leur bonheur, lorsqu'ils verront réparé l'édifice où doivent se réunir les élèves ! Très illustre Gouverneur, il est encore une circonstance qui rend ce monument plus célèbre, et attire davantage sur lui les yeux des césars et de tous les citoyens : c'est qu'il est placé dans un quartier très important, pour ainsi dire entre les deux yeux de la cité, entre le temple d'Apollon et le Capitole. Le voisinage des deux Divinités, en rendant ce sanctuaire plus vénérable, est un nouveau motif pour le réparer dans toute son étendue; et il ne conviendrait pas que les deux plus beaux temples de cette ville fussent défigurés par les constructions en ruine qui se trouvent au milieu. J'insiste sur cette pensée; car il me semble que le premier constructeur des écoles Méniennes leur a réservé cet emplacement afin qu'elles fussent soutenues par les étreintes bienveillantes des deux Divinités voisines; et telle est en effet la position de cet auguste sanctuaire des lettres, que d'un côté Minerve fondatrice d'Athènes le protège de son regard, et de l'autre Apollon entouré des Muses.

X. Il est donc très convenable et très juste d'exercer l'intelligence de la jeunesse à côté de ces Divinités amies de la science, près du maître du ciel qui inspire la sagesse, du Dieu de la poésie qui soutient la voix, de la vierge éternelle qui forme à la modestie, et du Dieu-prophète qui donne la prévoyance. Là il faut que la jeunesse d'élite, entendant notre voix préluder à des chants solennels, apprenne à célébrer les exploits de nos illustres princes. Que Jupiter père des Dieux et des hommes, et Minerve sa compagne, et Junon propice, entendent donc ici et presque devant leurs autels les éloges des Joviens et des Herculiens : on ne saurait faire un meilleur usage de l'éloquence. Je pense en avoir dit assez, très illustre Gouverneur, pour prouver la première partie de mon discours ; c'est-à-dire combien il est utile et nécessaire de réparer un édifice consacré aux études, qui sont l'objet d'une haute protection de la part de nos excellents princes ; édifice placé sur le point le plus apparent de la ville,[9] et touchant de chaque côté aux deux temples les plus remarquables du pays.

XI. Maintenant j'aborde la seconde partie de mon sujet, et je vais montrer comment la restauration des écoles peut se faire, sans toucher au trésor public, et avec des largesses dont la gloire revient aux empereurs. Dans leur excessive libéralité, les princes m'ont ordonné de recevoir sur les fonds de l'Etat six cent mille sesterces ; ils n'ont point prétendu limiter ainsi les émoluments de ma charge, puisque déjà auparavant et plus tard ensuite ils m'accordèrent de bien plus grandes largesses; mais afin d'honorer cette fonction privée, ils ont voulu doubler les trois cent mille sesterces que je recevais comme secrétaire du palais. J'accepte avec respect ce traitement, je le porte en recette, et au point de vue de l'honneur, je m'en glorifie : mais je veux le dépenser dans les intérêts de mon pays, et destiner à la restauration des écoles la somme qui sera nécessaire. Il n'est pas à propos de développer tous les motifs de ma détermination : cependant, pour répondre à votre bienveillance et aux désirs empressés que me parait témoigner l'auditoire, j'en dirai quelques mots.

XII. Il me semble d'abord que le fruit le plus précieux d'une récompense, est de s'en être montré digne : car l'usage même de l'argent, bien ou mal acquis, est commun à tous les hommes : mais pouvoir se le procurer honnêtement, sauf à y renoncer ensuite, c'est là le plus glorieux avantage. Sans doute les marchands de Syrie, de Délos ou des Indes ne comprennent pas ce sentiment, qui est le résumé de la vraie gloire : elles sont Tares les âmes, qui, au sein de la médiocrité, se contentent de ce que leur conscience a mérité. Cependant toute la gloire d'une récompense consiste à né point paraître avoir recherché le salaire avec une pensée de cupidité : et pour obtenir ce but, il est nécessaire de considérer comme reçu ce qui nous est offert. Ainsi il y a gloire à avoir mérité cette somme, et désintéressement à ne pas la conserver.

XIII. Les hommes courageux, qui s'exposent dans les jeux sacrés aux plus grandes fatigues, et même au péril de la vie, ne demandent comme récompense que la proclamation du héraut et la couronne de la victoire : et moi je ne recevrais pas avec plus de respect que toute la gloire des proclamations, ces paroles divines, ces lettres venues du ciel, où de si grands princes ont daigné me confier le soin d'élever la jeunesse ! Je ne les mettrais pas avec vénération au-dessus de toutes les couronnes de laurier ! lettres que je vais, très illustre Gouverneur.... et il faut que vous m'accordiez encore cette permission. Une simple narration ne suffit pas pour un témoignage aussi sacré : il mérite d'être entendu tout entier. Sa lecture complète fera mieux sentir combien est raisonnable le zèle que je mets non seulement à la culture des lettres, mais à la restauration des temples et des sanctuaires des lettres.

XIV. « Les Gaulois, nos fidèles sujets, méritent que nous nous intéressions à leurs enfants, dont l'esprit est formé à la culture des beaux-arts dans la ville d'Augustodunum : les jeunes gens eux-mêmes, qui, à notre retour d'Italie, nous[10] accompagnèrent avec un si joyeux empressement, méritent que nous secondions leurs nobles inclinations. Quel bienfait devons-nous donc leur accorder, sinon celui que la fortune ne peut ni donner, ni ravir? Aussi, voulant désigner un maître à ces élèves, qui semblent orphelins depuis la mort de leur professeur, nous avons cru devoir vous choisir spécialement, vous dont nous avons su apprécier l'éloquence et la gravité des mœurs dans les fonctions que nous vous avions confiées. Sans donc porter atteinte au privilège de votre dignité, nous vous engageons à reprendre vos leçons d'éloquence, à donner aux jeunes gens une culture qui tende surtout » à l'amélioration des mœurs, dans une ville à laquelle, vous le savez, nous essayons de rendre son ancienne splendeur. Et ne pensez pas que cette fonction déroge en rien à vos anciens titres d'honneur : une honnête profession relève encore une noble position, loin de la décréditer. Enfin, pour vous faire comprendre que notre bienveillance n'a point oublié votre mérite, nous ordonnons qu'il vous soit donné pour honoraires, sur les fonds de l'Etat, six cent mille sesterces. Adieu, Eumène, très cher à notre cœur. »

XV. A cette pressante invitation de nos illustres princes, très noble Gouverneur, ne vous semble-t-il pas voir, non seulement mon esprit affaibli par le repos se retremper avec vigueur pour reprendre ses anciennes fonctions, mais je dirai presque, les murailles elles-mêmes et les toits de nos vieilles écoles se lever par un mouvement simultané? Parlerons-nous des chants magnifiques d'Amphion, de la douceur ravissante des cordes et de la lyre, et de ces pierres, qui, selon la fable, suivaient la mesure, et soulevées par l'harmonie, ou bien s'arrêtant au repos de la musique, construisirent les murailles avec un art spontané? Comparerons-nous ces prodiges à la force et h la puissance qui existent dans ces lettres des empereurs et des césars, pour exciter tous les mouvements de l'âme et produire de merveilleux effets ? Nos princes pourraient commander; ils veulent bien agir par insinuation. Leurs volontés, même silencieuses et exprimées par un simple mouvement de tête, ont une autorité semblable à celle du Père tout-puissant, dont le moindre signe, pour confirmer sa volonté et ses promesses, fait trembler l'univers; et cependant ils tempèrent la force impérative du commandement par une bienveillante exhortation. Bien plus, ils m'animent par des louanges, en assurant qu'ils connaissent, pour les avoir éprouvés, et la gravité de mes mœurs et mes talents oratoires, et en conservant sains et saufs au professeur d'éloquence tous les privilèges attachés à ses fonctions dans le palais. Quand même jusqu'alors j'aurais été totalement dépourvu de sens, les charmes de cette divine bonté sont si puissants qu'ils auraient suffi à me donner au moins quelque intelligence : car, accorder dans un rang si illustre de si grands éloges à un seul homme, c'est, non pas exciter un orateur, mais le créer.

XVI. Que m'importe donc l'argent qui me serait compté? que m'importent les trésors du roi Midas, ou de Crésus, ou du Pactole qu'on dit avoir roulé de l'or? Le témoignage divin que j'ai reçu, je le préfère à toutes les richesses et à toutes les récompenses de ces princes, à moins que peut-être on ne trouve plus admirable l'oracle de la Pythie proclamant l'excellente sagesse de Socrate; à moins qu'on ne le trouve plus vrai que l'approbation des Joviens et des Herculiens, dont les paroles, que dis-je, dont les moindres signes sont irrévocables. Ainsi donc, comme je l'ai dit, très illustre Gouverneur, je croîs, en considérant la question d'honneur, devoir accepter les six cent mille sesterces ; mais j'en réserve l'usage à ma patrie, et je veux qu'ils soient employés spécialement à la reconstruction de cet édifice, où je dois exercer mes fonctions. Il me semble que cet avantage renfermé dans la lettre des empereurs de pouvoir enseigner, sans rien perdre des privilèges attachés à mon ancienne dignité, je le conserverai avec plus d'éclat et de gloire, si, par mon dévouement au bien public, je justifie les éloges que m'ont accordés nos princes immortels. Oui, j'en atteste les Dieux de la patrie, je brûle d'un si grand amour pour cette cité que, quels que soient les lieux où se promènent mes regards, j'éprouve, en voyant la reconstruction de chaque édifice, un profond sentiment de joie qui me porte à offrir quelquefois le sacrifice de ma vie pour la conservation de ceux dont les ordres et les largesses font exécuter ces travaux. Mais cependant je crois devoir, d'une manière spéciale, consacrer à ce monument les sommes qui me sont accordées pour honorer ma profession.

XVII. En effet, si l'on consacre à Mars les dépouilles de la guerre, à Neptune celles de la mer, à Mercure les gains du commerce; si l'on rapporte tous les bienfaits au culte de leurs auteurs, où sera-t-il permis de consacrer le salaire de l'enseignement, sinon dans le sanctuaire même où se donnent les leçons de l'éloquence? Et même, outre le culte religieux que je professe avec d'autres pour l'étude des belles-lettres, j'ai, dans le souvenir de mes ancêtres, un motif particulier d'affection aux écoles Méniennes. Il est vrai qu'avant les premières années de mon enfance, il y eut interruption dans le cours de leur enseignement : cependant le témoignage public assure qu'autrefois mon aïeul y donna des leçons; né à Athènes, il avait obtenu pendant de longues années une grande célébrité dans la ville de Rome, et il se fixa dans notre cité, dont les habitants lui avaient paru aimer sérieusement les sciences, attiré d'ailleurs par un culte de vénération pour ce sanctuaire. Voici le lieu où, d'après la tradition, il enseignait encore à l'âge de plus de quatre-vingts ans : si, par les soins de ce vénérable vieillard (c'est à vous que je m'adresse, Glaucus, vous qui êtes ici présent, et qui, sans avoir pris naissance dans la ville-mère des lettres grecques, en rappelez l'atticisme par votre éloquence), si par vos soins je pouvais obtenir la réparation et l'embellissement de ce sanctuaire, je croirais faire revivre mon aïeul, en lai succédant dans sa chaire. Très illustre Gouverneur, je ne manifesterais pas un si grand zèle pour l'honneur de ma maison et de ma famille, si je n'avais la confiance qu'il dût être agréable aux empereurs et aux césars de voir chaque citoyen, par son zèle à renouveler selon son pouvoir le souvenir des siens, imiter cette bienveillance impériale qui répare les ruines de l'univers.

XVIII. Quel est l'homme dont le cœur ait assez peu de noblesse et d'élévation, et soit assez étranger au désir de la célébrité, pour ne pas faire revivre, quelque faible qu'elle soit, la renommée de ses ancêtres, et ne pas souhaiter pour lui un reflet de cette gloire de famille? Ce sentiment est bien naturel, surtout à la vue de toutes ces ruines des temps passés qui se redressent dans ce siècle fortuné ; à la vue de ces villes si longtemps couvertes de forêts, servant de repaire aux bêtes féroces, et qui maintenant se relèvent avec leurs murailles et se peuplent de nouveaux habitants. Une seule fois, dans la mer Egée, l'île de Délos sortit tout-à-coup des flots, après avoir erré longtemps cachée sous les vagues ; ce prodige se renouvelle pour tant de villes qui surgissent de toutes parts, pour on si grand nombre d'îles qui renaissent à la vie et à des mœurs civilisées. Les désastres de la Bretagne n'étaient-ils pas plus grands que si cette île eût été longtemps inondée sous les eaux de l'Océan? délivrée du plus profond abime de malheurs, elle se lève à la première apparition de la gloire romaine. Et ce pays,[11] qui vient de sortir de l'état de barbarie, n'avait-il pas été plus couvert de raines et de désastres sous les pas féroces des Francs, que s'il eût été submergé par tous les fleuves qui l'arrosent et par la mer qui baigne ses côtes? Ferai-je l'énumération des escadrons et des cohortes rétablies sur toutes les frontières, le long du Rhin, de l'Ister et de l'Euphrate? La multitude d'arbres plantés à la main, et que développe la douce chaleur du printemps et de l'automne; les nombreuses moissons versées par les pluies, et que relèvent les rayons ardents du soleil, pourraient-elles nous faire comprendre le nombre des murailles qui se dressent sur les traces à peine retrouvées de leurs anciens fondements? Tant il est vrai que nous voyons renaître, sous les éternels auspices de Jupiter et d'Hercule, ces siècles d'or qui autrefois fleurirent trop peu de temps sous le règne de Saturne.

XIX. Cependant, très illustre Gouverneur, parmi les œuvres de restauration exécutées avec bonheur par la puissance de nos princes, il en est peut-être de plus grandes et de plus utiles, mais certainement il n'en est pas de plus dignes d'admiration que cette libéralité avec laquelle ils vivifient et honorent l'étude des belles-lettres. Car, je l'ai dit en commençant, jamais auparavant les princes n'avaient aussi bien compris et les devoirs de la guerre, et les embellissements qui font fleurir la paix. Les voies qui conduisent à la carrière des armes et à la culture des lettres sont bien différentes ; elles supposent diversité de caractère et opposition dans le jugement qui choisit ; enfin il n'y a aucun rapport entre les inspirations et les habitudes des Divinités qui président à ces deux genres de vie. C'est une raison de plus pour trouver nouvelles et incroyables la valeur et l'intelligence de nos princes ; au milieu de si grandes opérations militaires, ils trouvent le temps de protéger les lettres, et ils sont convaincus que le seul moyen de ramener cette époque où Rome, d'après l'histoire, était toute-puissante sur terre et sur mer, c'est de lui rendre à la fois le sceptre de l'autorité et celui de l'éloquence.

XX. Très illustre Gouverneur, la largesse qui nous a été accordée par nos Princes excellents, maîtres de toutes vertus, sera donc employée à cet édifice, sanctuaire dédié à l'instruction et à l'éloquence. Et ainsi, comme nous témoignons notre reconnaissance pour les bienfaits de la vie dans le sanctuaire même des Dieux qui nous les ont obtenus, de même nous célébrerons, dans l'antique séjour des lettres, la merveilleuse bienveillance de nos Princes pour favoriser la culture de l'éloquence. II faut d'ailleurs que, sous ces portiques, la jeunesse voie et contemple tous les jours l'étendue de toutes les terres et de toutes les mers; et toutes les œuvres de nos invincibles princes, les villes restaurées par leur bienveillance, les peuples soumis par leur valeur, les Barbares enchaînés par la terreur de leurs armes. Car là, ainsi que vous avez pu, je crois, le vérifier par vous-même, pour faciliter l'instruction de la jeunesse, et partant de ce principe que des choses difficiles à saisir par l'enseignement oral sont plus clairement expliquées au regard, on a représenté la situation des lieux avec leurs noms, leur étendue, leurs distances, la source et l'embouchure de tous les fleuves, les sinuosités des rivages et les circuits de la mer qui embrasse les continents, et les contrées victimes de ses mouvements impétueux.

XXI. Là, parmi les diverses indications des contrées, sont signalées à la mémoire de la jeunesse les glorieuses actions de nos Princes valeureux : et tandis que les courriers de la victoire se succèdent tout haletants de sueur, nous examinons de nouveau les deux fleuves de Perse, et les régions desséchées de la Lybie, et les deux bras unis du Rhin, et les nombreuses embouchures du Nil. A la vue de ces diverses contrées, l'esprit se représente les scènes les plus variées : ce sera vous, Dioclétien Auguste, pacifiant par votre clémence l'Egypte agitée et lui procurant le repos : vous, invincible Maximien, foudroyant les bataillons des Maures écrasés : vous, empereur Constance, étendant votre droite, et commandant à la Batavie et à la Bretagne de sortir des forêts et des flots leur tête défigurée : vous, Maximien César, foulant aux pieds les armées perses avec leurs arcs et leurs carquois. Aujourd'hui enfin, nous aimons à contempler la carte géographique de l'univers, puisque nous n'y découvrons plus de régions étrangères. Je viens, très illustre Gouverneur, de vous manifester mes sentiments et mes désirs. Pourrais-je, sans indiscrétion, réclamer de votre part une lettre pour appuyer ma demande auprès de l'empereur? Quand un désir est conforme à la raison, le plus grand et presque le seul fruit que nous puissions en attendre est de le voir porté aux oreilles divines de si grands Princes.


 

DISCOURS D'ACTIONS DE GRACES A CONSTANTIN AUGUSTE

AU NOM DES HABITANTS DE FLAVIE.

 

I. Très auguste Empereur, si Flavie, cette cité des Eduens qui porte enfin un nom éternel, pouvait s'ébranler sur ses fondements et venir en ces lieux, elle se réunirait certainement tout entière dans une commune voix pour célébrer vos grandes et illustres faveurs ; et vous regardant comme son restaurateur, ou, à dire plus vrai, comme son fondateur, elle aimerait à vous rendre grâces, surtout dans une ville avec laquelle vous avez commencé à lui donner des traits de ressemblance. Mais comme, malgré son vif désir, elle ne peut lutter contre les lois de la nature, et comme la grande distance ne vous permet pas d'entendre les acclamations qui font monter chaque jour vos louanges jusqu'au ciel, je me suis chargé bien volontiers de remplir un devoir de haute convenance, en acceptant la mission d'être auprès de vous l'interprète des joies de ma patrie ; et quittant le sanctuaire de mes études privées, je viens vous adresser, au nom de tout un peuple, un discours d'actions de grâces. Très auguste Empereur, lorsque, dans le vestibule de votre palais, par la parole divine de votre bonté, et en étendant votre droite invincible, vous avez fait lever les sénateurs prosternés à vos pieds, je n'ai pas voulu exprimer à Votre Majesté les sentiments de notre gratitude. Je n'avais rien prévu, mais les paroles ne m'eussent pas fait défaut : il était, me semble, aussi impossible de retenir l'expression de la reconnaissance, que de préparer un éloge pour des bienfaits aussi inattendus ; mais j'ai eu égard aux lieux et aux circonstances. Sûr de l'accueil bienveillant que vous auriez fait à mon zèle et à l'empressement de ma parole, et qui eût suffi à immortaliser mon nom, je devais craindre que le petit nombre de mes auditeurs ne donnât pas à ma voix un retentissement digne de Votre Majesté. D'ailleurs, comme vous n'aviez qu'an jour à consacrer aux nombreux intérêts de la ville, mon discours vous eût retenu trop longtemps, et la grandeur de vos bienfaits ne me permettait pas d'abréger le témoignage de notre gratitude.

II. Aujourd'hui, nous sommes dans une ville qui, jusqu'à présent, a eu plus que toute autre l'honneur habituel de votre présence, et nous espérons que désormais pour partager ce bonheur notre Flavie sera sa rivale : aujourd'hui tous Vos amis sont assemblés, tout l'appareil de la majesté impériale vous environne, et des hommes de presque toutes les cités se sont réunis, les uns ambassadeurs officiels de leur patrie, les autres solliciteurs dans leur propre cause. C'est le moment, illustre Empereur, de révéler des choses que vous aimerez à reconnaître, des bienfaits auxquels mes auditeurs ne croiraient point, si je ne les racontais en présence de celui qui ne peut les ignorer. Très auguste Empereur, le premier devoir d'un panégyriste est de montrer que les faveurs accordées sont dues, non pas à un bonheur fortuit, mais à une juste clémence; car, si c'est le propre d'un bon prince de faire du bien à ceux mêmes qui ne sont pas dans le besoin, il appartient à un prince sage de secourir ceux qui sont dignes de ses bienfaits et par leur mérite et par leurs malheurs. En développant cette vérité, je songerai moins au désir de louer ma patrie, qu'à l'obligation de faire ressortir votre prévoyante bonté; et je m'attacherai spécialement à montrer la grandeur de vos bienfaits, avec un zèle dont l'ardeur égalera la faiblesse du talent. Quelle est donc, dans tout l'univers, la nation qui puisse réclamer la préférence sur les Eduens pour son attachement au nom romain? Les premiers de tous, au milieu des nations innombrables et barbares de la Gaule, ils furent, par plusieurs décrets du sénat, déclarés frères du peuple romain. Lorsque, de tous les peuples situés entre le Rhin et le Rhône, on ne pouvait espérer qu'une paix suspecte, seuls les Eduens osèrent se glorifier de cette fraternité; dans ces derniers temps, et pour omettre bien des faits intermédiaires, ils furent encore les seuls à appeler le divin Claude, votre parent, pour reconquérir la Gaule. Il y a très peu d'années, ce que je tiens surtout à proclamer, votre père leur accorda et leur promit de nombreuses faveurs, dont les unes ont été réalisées et les autres font le sujet de leurs joyeuses espérances.

III. Sagonte cultiva autrefois l'alliance des Romains, mais à une époque où toute l'Espagne fatiguée de la guerre Punique éprouvait le besoin d'un changement de domination. Massilie fut aussi l'amie de la République, et elle se glorifiait d'être protégée par la majesté du nom romain : les Mamertins en Sicile, les Troyens en Asie eurent recours à des fables pour justifier une commune parenté avec les maîtres de l'univers. Les Eduens seuls, sans être poussés par la crainte, ni excités par l'adulation, mais animés par un dévouement cordial et sincère, ont été dignes d'être crus les frères du peuple romain et d'en porter le nom : de tous les mots propres à exprimer les rapports d'affection, il n'en est aucun qui peigne aussi bien et la communauté de l'amour, et l'égalité du rang. Dans la suite, les nations voisines, envieuses plutôt de cette fraternité romaine que de la gloire des Eduens, et poussées par la haine jusqu'à préparer leur propre ruine, appelèrent à leur secours les Germains, regardant comme auxiliaires ceux qui allaient devenir leurs maîtres. Aussitôt le chef des Eduens se présente au sénat pour l'informer de ce qui se passe : on lui offre un siège dans l'assemblée; il décline cet honneur et parle appuyé sur son bouclier. On fait droit à sa demande,[12] et le premier il conduit, en deçà du Rhône, César et l'armée romaine ; car jusqu'alors on avait donné le nom de Gaule transalpine à un pays qui était seulement le chemin de la Gaule.[13] Et les Eduens livrèrent à la puissance romaine tout ce qui est renfermé entre le Rhin, l'Océan, les Pyrénées et toutes les Alpes; hospitalité dans les quartiers d'hiver, vivres fournis en abondance, fabrication d'armes, secours d'hommes et de chevaux, telle fut leur part d'action dans ces conquêtes. Ainsi les peuples celtes et belges purent se réunir dans une paix commune, et tout ce que les Eduens donnèrent à l'empire romain fut une proie enlevée aux Barbares.[14]

IV. Mais, dira-t-on, ces faits sont anciens : je l'avoue, mais ils sont plus vénérables en raison même de leur ancienneté, car le temps ajoute au mérite et à la valeur des vrais services. Notre vénération et nos égards augmentent tous les jours pour nos parents avancés en âge, tandis que l'affection des frères et des enfants, malgré sa plus grande douceur, a des racines moins profondes dans nos âmes ; de même les bienfaits anciens ont plus de droit à nos respects, quoique les faveurs actuelles semblent plus agréables. Mais en supposant même que ces anciens services aient, avec le temps, perdu de leur valeur, que dirons-nous des choses plus récentes dont nous avons été témoins dans notre enfance? Remarquez, je vous prie, noble Empereur, l'importance du fait suivant : les Eduens engagèrent les premiers le divin Claude votre parent à reconquérir la Gaule, ils attendirent son secours, renfermés pendant sept mois dans leurs murailles et souffrant toutes les horreurs de la famine, et ils ne laissèrent enfoncer leurs portes par les Gaulois rebelles que lorsque l'épuisement de leurs forces ne leur permit plus de les défendre. Si la fortune eût favorisé vos efforts et ceux des Eduens, et que le sauveur de l'empire eût pu nous envoyer les secours demandés, les frères du peuple romain auraient promptement ramené le calme dans les provinces pacifiées; et cette œuvre aurait réussi sans que les armées romaines eussent essuyé aucune perte, et sans le carnage des champs catalauniens. En considération de cette belle conduite et des services anciens, votre divin père voulut relever de ses ruines la ville des Eduens et réparer toutes ses pertes : non seulement il lui fournit des capitaux à placer[15] et fit reconstruire les bains détruits, mais il attira dans la ville des colons de tous les pays, afin de constituer comme la mère unique des provinces une cité qui, la première, avait pour ainsi dire rendu romaines toutes les autres villes.

V. Empereur, je viens de dire combien les Eduens ont mérité les secours que vous leur avez accordés; il me reste à raconter ceux que vous leur avez procurés dans leurs graves infortunes. Ici, la matière de mon discours serait encore plus abondante s'il était permis de retracer longuement devant Votre Majesté de trop tristes détails. En célébrant les louanges de ma patrie, la modestie m'a imposé des bornes et m'a empêché de m'élever avec une orgueilleuse présomption ; de même, en retraçant ses malheurs, je serai retenu par ma douleur et par les usages consacrés en votre présence; car vous n'aimez à entendre que ce qui peut être pour vos amis un objet de félicitation. Cependant, je vous en conjure, Empereur, commandez la patience à votre sensibilité : les médecins les plus distingués ne dédaignent pas de fixer les plaies qu'ils ont à guérir ; écoutez de même pendant quelques instants les malheurs des Eduens auxquels vous avez remédié; car la connaissance de notre misère est nécessaire pour justifier les éloges dus à votre clémence. L'appui du nom romain n'était plus suffisant à soutenir la ville, mais plutôt elle s'affaissait dans une complète défaillance, épuisée par la rigueur de nouvelles contributions. Toutefois nous n'avions aucun droit de nous plaindre, puisque nous possédions réellement les champs frappés de l'impôt, et que la loi qui nous atteignait était commune à toute la Gaule ; et cependant nous n'égalons aucun peuple en richesses. Nous sommes d'autant plus empressés à vous témoigner notre gratitude pour votre bienveillance, noble Empereur, vous qui, par la concession spontanée du remède, nous avez mis dans une position où il semble que nous ayons obtenu à titre de justice ce que nous ne pouvions pas légalement réclamer.

VI. Comme je l'ai dit, nous possédons réellement le nombre d'hommes et l'étendue du terrain qui ont été déclarés, mais le tout a peu de valeur : les habitants n'ont point d'énergie, et la terre est infidèle. Peut-on comparer notre sol et nos habitants avec le sol et les cultivateurs rémois, naviens ou même tricassins qui sont dans notre voisinage, puisque dans ces pays les revenus répondent à l'activité du travail ? Du reste on pardonne avec raison à un cultivateur qui s'ennuie d'un travail improductif; car un champ, dont les revenus ne sont pas en rapport avec les dépenses, est nécessairement abandonné, quand il n'y aurait d'autre cause que l'indigence des habitants de la campagne qui, pliant sous le poids des dettes, n'ont pu ni détourner les eaux, ni abattre les forêts. Aussi les parties du soi auxquelles il restait encore un peu de fertilité ont perdu toute valeur, ensevelies sous les marais, ou envahies par les ronces et les épines. Et même c'est à regret qu'on ensemence le canton Arébrignus, seule localité où se fasse sur une très petite échelle la culture de la vigne, car au-delà on ne rencontre que des forêts et des rochers inaccessibles, où les bêtes sauvages ont une retraite assurée. Quant à la plaine adjacente et qui s'étend jusqu'à la Saône, elle était, dit-on, autrefois d'une délicieuse fécondité entretenue par une culture non interrompue, dont le travail dirigeait le cours des eaux à travers les vallées ouvertes et dans les terres de chaque particulier; mais aujourd'hui la dévastation a fermé ses canaux, et tous les lieux bas, que cette position même rendait fertiles, sont changés en fondrières et ensevelis sous des eaux dormantes. Les vignes elles-mêmes, qui sont un objet d'admiration pour ceux qui ne les connaissent point, ont tellement vieilli que la culture leur est presque inutile, car les racines des ceps, dont nous ignorons l'âge, réunies en mille replis, ne permettent pas de donner aux fosses la profondeur convenable, et le provin trop à découvert est exposé à l'action corrosive des eaux ou aux ardeurs brûlantes du soleil. Et nous ne pouvons pas, selon l'usage de l'Aquitaine et des autres provinces, planter partout de nouvelles vignes; car, dans les régions supérieures, on ne trouve qu'un sol toujours pierreux, et ailleurs ce sont des bas-fonds exposés à la gelée blanche.

VII. Que dirai-je des autres villes du territoire éduen? Vous avez avoué vous même que leur situation vous avait arraché des larmes; vous n'y avez pas rencontré, comme dans les campagnes des autres villes, un sol presque partout cultivé, découvert, émaillé de fleurs, des routes faciles, des fleuves navigables qui baignent les portes mêmes des cités. Mais depuis l'endroit où le chemin, faisant un détour en arrière, conduit en Belgique, vous avez remarqué partout l'aspect de la désolation, le défaut de culture, le deuil, le silence et de sombres horizons ; la voie militaire elle-même est pratiquée dans un sol pierreux; une succession de montagnes la rend tellement escarpée et dangereuse par ses précipices, qu'on peut à peine y conduire les chars à demi chargés et quelquefois entièrement vides. C'est ce qui met souvent du retard dans les convois dont nous vous sommes redevables, car il nous est plus difficile d'exporter quelques provisions qu'aux autres peuples d'en livrer avec abondance. La physionomie de ces contrées est telle que nous regardons comme un très grand bienfait que leur aspect ne vous en ait pas inspiré l'horreur; et, tout le monde l'avouera, il vous fallait une bonté surhumaine pour venir y porter la joie par votre présence, et nous vous en conserverons une spéciale et éternelle reconnaissance. Empereur, nous vous remercions avec d'autant plus d'empressement que, connaissant la difficulté de nos routes et l'aspect âpre et hideux de notre pays, vous avez daigné y détourner votre marche et illustrer de votre présence une ville qui n'avait de vie que par l'espérance de vos secours. Les bons princes aiment à voir leurs sujets lorsqu'ils sont dans le bonheur, mais il y a plus de bonté a les visiter même au jour de leur détresse. Dieux propices ! quel jour heureux a lui pour nous ! (et maintenant je suis amené par la suite de mon discours à raconter par ordre les remèdes que vous avez opposés à nos maux) l'heureux jour où votre entrée dans nos murs nous donna le premier gage de notre salut ! L'enceinte de la ville avec sa courbure sinueuse, dont les deux extrémités sont garnies de tours, semblait avancer ses deux bras pour vous recevoir.

VIII. Empereur, vous vous demandiez avec étonnement d'où, pouvait venir cette multitude immense qui accourait sur vos pas; car, du haut de la montagne voisine, vous n'aviez aperçu qu'un vaste désert. Les hommes de tout Age avaient quitté les champs pour voler à la ville, et voir celui à qui ils auraient volontiers souhaité une vie plus longue que la leur. Cette formule solennelle, consacrée à proclamer le vœu de prolongation pour la vie de l'Empereur, c'est pour vous seul, Constantin, que nous la répétons en toute assurance, pour vous qui devez survivre à toute cette génération et à qui une si longue existence est spécialement due. Il y a certainement une grande énergie dans le sentiment de joie qui succède à une maladie et à une tristesse longtemps prolongées. Notre allégresse était vive comme le feu d'un transport, elle était au-delà de nos forces : exaltés par un certain pressentiment du bonheur qui nous attendait, nous vous avons accueilli avec autant de joie que si nous eussions déjà reçu les faveurs qui, plus tard, devaient nous être accordées. Nous avions paré les rues qui conduisent au palais, et nos ornements se ressentaient de notre pauvreté; cependant nous avons déployé les bannières de toutes les corporations, porté les statues de tous nos Dieux; un petit nombre de musiciens, prenant des voies abrégées qui leur permettaient de se trouver plus souvent en votre présence, faisaient retentir sur leurs instruments quelques airs célèbres. A juger de la vérité par notre empressement, on nous eût crus riches ; mais, quelques soins que nous ayons pris pour la dissimuler, notre pauvreté n'a pu échapper à votre clairvoyance, et vous avez compris tout ce que renfermait d'apparat la démonstration cordiale et honnête de l'indigence.

IX. Vous nous avez appelés nous-mêmes auprès de Votre Majesté; vous avez daigné nous parler spontanément et nous demander vous-même le premier quels secours nous réclamions. Ce sont là, Empereur, devrais bien» faits : non sollicités, ils proviennent de votre volontaire bienveillance, et ils procurent le plaisir de recevoir sans l'ennui de la demande. Ce n'est pas chose facile de réclamer une faveur particulière à l'Empereur de tout l'univers, d'être assez hardi pour paraître en présence d'une si grande majesté, de composer son visage, d'affermir son esprit, de méditer ses paroles, de s'exprimer avec la précipitation de la crainte, de finir convenablement et d'attendre la réponse. Toutes ces difficultés, Empereur, vous les avez épargnées à notre timidité, non seulement en nous demandant de vous-même quels remèdes nous désirions, mais en cherchant à comprendre ce que nous passions sous silence; et cependant, prosternés à vos pieds, vous nous releviez avec les paroles les plus bienveillantes. Vos yeux humides nous ont révélé la grandeur de votre bonté compatissante. Des larmes coulaient sur votre visage, larmes salutaires pour nous et glorieuses pour vous ; de notre côté, nous avions banni nos douleurs et nous pleurions de joie. Une pluie désirée féconde les campagnes qu'avaient desséchées les longues chaleurs : de même vos larmes faisaient ruisseler la joie dans nos cœurs. Et quoiqu'il ne fût pas permis de se réjouir, tandis que vous versiez des pleurs, cependant la joie de la reconnaissance triompha du respect; car vos larmes étaient un signe de bonté, et non de douleur.

X. Et ces bienfaits suffiraient à justifier une solennelle action de grâces, lors même que vous eussiez différé l'espérance du remède et que la nature même du secours nous fût demeurée incertaine ; mais la promptitude est le caractère de votre bonté, et ce que votre cœur bienveillant a conçu, votre parole le fait connaître immédiatement. Ainsi les sources abondantes qu'a formées la main de la nature précipitent leurs eaux, afin de promener partout leurs bienfaits ; ainsi ce que le ciel nous envoie descend avec rapidité sur la terre; et enfin c'est ainsi que cette intelligence divine, qui gouverne le monde entier, a réalisé sur-le-champ ce qu'elle avait conçu. Cependant, Empereur, si vous demandiez en cela le conseil d'un ami plus adroit, il vous ferait peut-être un reproche : c'est de manifester trop facilement ce que vous devez accorder, et de découvrir de suite et sans déguisement ce qui devrait être l'objet de longues espérances. Vous ne savez pas, Empereur, faire valoir vos dons ; vous prévenez le temps du désir par la promptitude du bienfait. Par cette activité du bien, vous surpassez même les éléments qui nous donnent et nous conservent la vie. On désire longtemps la naissance d'un homme qui doit venir au monde; des vagissements confus retardent longtemps la formation de la voix articulée-r longtemps l'hiver arrête la végétation, le printemps l'aide à sortir, l'été donne les assurances de la fleur, et la chaleur procure la maturité. Vous nous avez aussi donné entièrement la vie ; vous nous avez fait moissonner de suite les fruits de vos bienfaits, et en même temps vous nous avez ordonné de les recueillir dans nos greniers. Pour diminuer l'impôt, vous avez fixé le nombre des personnes portées sur les rôles ; pour nous remettre les arriérés, vous avez demandé ce que nous devions, et cette seule question était une promesse évidente. Car, lorsque celui qui a tout pouvoir fait une semblable demande, il n'a point le désir curieux d'une réponse, mais plutôt c'est une manière noble d'apprendre ce qu'il doit remettre au débiteur.

XI. Je parlerai donc séparément de ces deux bienfaits; ils sont trop importants pour les réunir et les confondre ensemble. Vous avez retranché des impôts la part de sept mille têtes, c'est-à-dire plus de la quatrième partie;[16] et cependant plusieurs fois vous nous avez demandé si cette diminution était suffisante. Et nous (était-ce excès de réserve ou désir satisfait?), nous nous sommes tus ; nous avons hésité à répondre, nous avons mis une digue à votre bonté qui coulait à pleins bords. Vous désiriez nous accorder encore davantage si nous eussions osé le réclamer, Empereur, je ne puis assez exprimer la grandeur de ce bienfait, ni dire combien il nous était nécessaire et utile, môme pour satisfaire aux exigences de notre dévouement. En retranchant des impôts la part de sept mille têtes, vous avez rendu à vingt-cinq mille citoyens les forces, la richesse, la vie; et vous avez plus gagné en assurant le reste, que vous n'avez perdu par la remise ; les paiements que l'on réclamait inutilement, vous les avez affermis et rendus certains quatre fois autant, car la conviction désespérée de ne pouvoir payer intégralement nous empêchait même de nous acquitter selon nos forces, et nous ne trouvions pas de motifs pour faire des efforts, là où nous n'avions point l'espérance de compléter la somme. 0 le divin remède que vous avez employé à guérir la cité! Les corps malades et accablés par la torpeur des membres engourdis sont rendus à la santé par l'amputation de quelques-unes de leurs parties, et recouvrent ainsi la vigueur que leur enlevait une trop grande plénitude, de même, courbés sous un poids au-dessus de nos forces, nous nous sommes relevés aussitôt qu'on a diminué le fardeau.

XII. Ce ne serait pas apprécier votre bonté que de la restreindre à celte remise des impôts pour une part de sept mille têtes ; nous vous devons vraiment tout ce que vous avez mis de vie et de prospérité dans notre cité. Quoique nous chancelions encore sous notre ancien fardeau, cependant il parait plus léger, parce qu'il ne pèse pas sur nous tout entier; l'espoir de la délivrance donne la patience qui supporte. Aujourd'hui les enfants aiment certainement leurs pères et mères avec plus d'affection, les époux ne regardent plus leurs femmes avec peine, et les parents ne sont plus fâchés de voir grandir leurs enfants, dont ils savent avec bonheur que la charge n'est plus aussi lourde pour eux. Ainsi les affections de tous, longtemps comprimées, respirent à l'aise, et chacun, sans inquiétude, aime à compter les membres de sa famille dont le nombre diminue les charges. Ceci nous fait concevoir pour l'avenir de plus grandes espérances encore; notre esprit est tranquille dans la sécurité du passé, et comme les arriérés nous sont remis, nous n'éprouvons, en jetant les yeux sur notre position, aucune de ces craintes qui abattent les forces à la pensée des paiements futurs. Ainsi nous n'avons plus à porter les inquiétudes des deux périodes du temps qui sont les plus longues, et nous traversons avec une facile peine celle qui est la plus courte. Car le temps passé est long dans sa mesure, et le temps à venir est comme infini, mais le présent est court et mobile dans les deux directions, puisque continuellement il s'éloigne du passé et se rend vers l'avenir. Cette année est la seule où nous n'éprouvions presque pas le sentiment de la peine, renfermée dans les bienfaisantes limites des deux autres périodes du temps, elle est comme une borne érigée au bonheur et placée au milieu du passé et de l'avenir, dont l'un nous laisse libres, et l'autre nous offre la sécurité.

XIII. Vous nous avez remis les arriérés de cinq ans. 0 lustre le plus heureux de tous ! o lustre qui par un heureux rapport égale les années de votre règne ! C'est pour nous spécialement que les Dieux vous ont fait Empereur, puisque pour chacun de nous le bonheur doit dater du commencement de votre règne. Nous devons donc célébrer en votre honneur les quinquennales qui sont complètement révolues, car ces fêtes, que de droit commun les peuples célèbrent au commencement de la cinquième année, nous appartiennent en propre, puisque pour nous le lustre est vraiment accompli. On dit que Caton fit un très beau discours sur les événements heureux des cinq premières années de sa charge; car alors, en cette vieille République, c'était déjà un titre glorieux pour les censeurs s'ils avaient pu fonder un lustre heureux, si les moissons avaient rempli les greniers, si les vendanges avaient été abondantes, si les olives avaient coulé en ample récolte. Et l'on nous demanderait pourquoi nous devons nous féliciter de ce lustre rempli par vos bontés ! — Quand même, pendant ces cinq années, nos champs nous eussent prodigué toutes les richesses de la fécondité, telle est l'étendue de votre libéralité qu'ils n'auraient pu, ce semble, nous donner ce que nous possédons aujourd'hui. Votre lustre nous vaut tout ce que nous avons cessé de devoir ; il nous vaut des greniers abondants, des celliers remplis, puisque nous n'avons plus d'arriérés qui nous pèsent. Votre largesse a remplacé la Terre mère des fruits, et Jupiter modérateur des vents; elle nous a prodigué tout ce que leur main avare nous avait mesuré avec réserve.

XIV. Où trouverait-on dans tout l'univers des mines d'or et d'argent aussi abondantes? Quel Tage, ou quel Pactole roule autant d'or que vous nous en avez donné par vos bienfaits? car la libéralité ne serait pas plus grande si elle s'était épanchée en monnaie d'or. Et même, autant il est plus dur d'être dépouillé de ce qu'on possède que de ne pas acquérir le bien d'autrui, autant la remise d'une dette est plus douce que l'heureuse facilité d'obtenir la même somme. Empereur Auguste, combien de citoyens obligés par la misère de se cacher dans les forêts, ou même de se condamner à l'exil, et que la remise des arriérés a rendus à la lumière, à la patrie! Maintenant ils n'accusent plus leur ancienne pauvreté, ils ne maudissent plus la stérilité de leurs champs; ils se remettent à l'œuvre avec vigueur, font les préparatifs de la culture, travaillent sous de meilleurs auspices, revoient leurs maisons, apportent leurs offrandes au temple. Mais le jour où vous, qui êtes notre sauveur à tous, viendrez parmi nous avec celui qui est comme le compagnon et le collègue de Votre Majesté, c'est alors surtout que toute la ville se mettra en mouvement et fera retentir les airs de ses cris de joie, et peut-être, quand vous voudrez partir, elle vous retiendra. Vous nous pardonnerez cette indiscrétion, et vous supporterez cette hardiesse de notre amour. Quoique vous soyez le maître de toutes les villes et de toutes les nations, cependant nous n'avons pas craint de donner votre nom à notre ville en mettant de côté l'ancien, car Bibracte s'est appelée jusqu'à présent Julia, Pola, Florentia ; mais Flavie sera désormais le vrai nom de la cité des Eduens?

 


 

[1] On lit dans le latin Franciae, ce qui indiquerait un nom de contrée, déjà appliqué aux régions du nord habitées par les Francs.

[2] Dioclétien et Maximien.

[3] Maximien.

[4] Dioclétien.

[5] Galère.

[6] Maximien.

[7] Toujours Maximien, qu'Eumène affecte de ne pas nommer.

[8] On pourrait encore traduire : elles sembleront sourire à vos regards et vouloir pénétrer dans votre bouche, en déposant un baiser sur vos lèvres (le mot latin osculum signifie bouche et baiser).

[9] Mot à mot : au front même de la cité.

[10] Il s'agit de Constance.

[11] Les Pays-Bas.

[12] César affirme que le sénat n'accorda aucun secours (De bello Gallico).

[13] Eumène veut dire, selon le sens auquel nous nous sommes arrêtés, que jusqu'alors les Romains ne connaissaient pas la vraie Gaule, et que ce qu'ils appelaient Gaule transalpine n'était que les premiers postes et le chemin qui conduisait dans les Gaules.

[14] Eumène veut-il, par cette belle réflexion, justifier la conduite des Eduens, et montrer que les grands intérêts de l'humanité et de la civilisation doivent l'emporter sur des considérations locales? Il est certain que les Romains avaient, selon les vues de la Providence, une mission civilisatrice dans tout l'univers. Les Eduens avaient-ils compris cette mission des maîtres du monde et voulaient-ils la seconder?

[15] Le texte ad caldaria donne également un sens très raisonnable : pour construire ou réparer les bains chauds.

[16] Il y avait 35 mille hommes payant l'impôt : remettre la part de sept mille têtes, c'est remettre moins que le tiers et plus que le quart