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ZoNARE
ZONARE
HISTOIRE DES ROMAINS
Texte grec
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HISTOIRE ROMAINE
Écrite par Zonare.
ALEXANDRE
FILS DE MAMMÉE.
[4840]
LE faux Antonin n'eut pas sitôt été enlevé du monde, qu'Alexandre
son cousin, car c'est ainsi que les anciens appelaient les enfants
de deux frères, ou de deux sœurs, prit possession de l'Empire, et
déclara Mammée sa mère Impératrice. Le premier soin qu'elle prit en
se chargeant du gouvernement! fut de mettre auprès de son fils de
savants hommes pour l'instruire, et de choisir les plus habiles, et
les plus gens de bien du Sénat, pour prendre leur avis sur toutes
les affaires.
Ulpien Préfet
du Prétoire réforma quantité d'abus qui s'étaient introduits sous le
règne d'Héliogabale. Mais les soldats des gardes le tuèrent bientôt
après pendant la nuit de la même sorte qu'il avait lui-même fait
tuer Flavien et Chéreste pour avoir leur charge. Il y eut peu avant
sa mort une sédition, qui bien qu'excitée pour une légère occasion,
dura pourtant 3 jours entre les soldats et le peuple. Comme les
premiers avaient du désavantage, ils mirent le feu aux maisons, ce
qui obligea le peuple à s'accorder avec eux, de peur que la Ville ne
souffrît un trop grand préjudice de leur mauvaise intelligence.
Quelques
autres mouvements s'appaisèrent encore de la même force. Au reste
l'impératrice mère d'Alexandre était possédée d'une avarice
insatiable, et amassait de l'argent de toutes parts. Elle fit
épouser une jeune Princesse à l'Empereur son fils, sans permettre
qu'elle fût proclamée Impératrice. Elle la lui ôta même bientôt
après, et la rélégua en Afrique, ce qu'il ne put empêcher, bien
qu'il la chérît tendrement, tant il était soumis aux volontés de sa
mère.
Cependant,
Artaxerxe natif de Perse, homme d'une naissance basse, et obscure,
et de qui l'on croit que Cosroez est descendu, transféra l'Empire
des Parthes aux Perses. Les Macédoniens qui partagèrent les États
d'Alexandre après sa mort, commandèrent aux Perses., aux Parthes et
à d'autres nations. Mais ils se ruinèrent bientôt aprés, en tournant
leurs armes les uns contre les autres. Arsace ayant profité de leurs
divisions, et s'étant soustrait à leur obéissance, établit sa
domination sur les Parthes, et la laissa à ses successeurs, dont
Artabane fut le dernier.
Cet Artaxerxe,
dont je parle, le vainquit en trois batailles, et le tua. Ayant
depuis porté la guerre en Arménie, il fut défait par les Arméniens,
par les Mèdes, et par les fils d'Artabane. Mais ayant eu fuite
réparé ses pertes , et assemblé une arrnée plus plus nombreuse, et
plus puissante qu'auparavant, il menaça la Mésopotamis, et la Syrie,
et se vanta qu'il reprendrait tous les pays qui avaient autrefois
relevé des Perses. Mais dans le temps qu'il assiégeait Nisïbe après
avoir couru, et pillé la Cappadoce, il reçut une Ambassade que
l'Empereur Alexandre lui avait envoyée pour lui demander la paix. Au
lieu de donner audience aux Ambassadeurs, il choisit quatre cents
hommes d'une taille avantageuse, auxquels il fit donner de beaux
chevaux, avec des habits, & des armes magnifiques, et qu'il envoya à
l'Empereur dans la créance que ce spectacle lui donnerait de
l'épouvante, et jetterait la terreur dans le cœur de ses sujets.
Quand ils furent en présence d'Alexandre, ils dirent «Le grand Roi
Artaxerxe commande aux Romains d'abandonner la Syrie, et toute la
partie de l'Asie qui regarde l'Europe, et de céder aux Perses tous
les pays qui s'étendent juques à la mer». L'Empereur les fit
arrêter, leur fit ôter leurs chevaux, leurs habits, et leurs armes,
et comme il ne croyait pas les pouvoir faire mourir, il les
distribua dans plusieurs bourgs pour y cultiver la terre. Il divisa
à l'heure même son armée en trois parties, et attaqua les Perses de
trois côtes. Il tua un grand nombre de Parthes, et perdit aussi un
grand nombre des siens. Ce ne fut pas néanmoins tant par les armes
des ennemis qu'ils périrent, que par la rigueur du froid qu'ils
souffrirent en revenant par les montagnes d'Arménie, où plusieurs
perdirent pat la gelée le mouvement, et l'usage des pieds, et des
mains. Les gens de guerre blâmèrent l'Empereur de les avoir engagés
dans de si mauvais chemins, et il fut indisposé, soit que son
indisposition procédât du déplaisir que lui apportaient ces
plaintes, ou du seul changement d'air. Quand il fut guéri il marcha
contre les Germains qu'il incommoda extrêmement par le moyen des
gens de trait, et des archers qu'il leur opposa.. Mais peu après il leur envoya des ambassadeurs avec de
l'argent pour leur demander la paix, ce qui déplut si fort aux
soldats qu'ils excitèrent une sédition, et que s'étant saisis
de Maximin natif de Thrace, qui dans sa jeunesse avait été berger,
et depuis soldat, ils le proclamèrent Empereur malgré lui. Il ne
laissa pas de se mettre à la tête de ceux qui l'avaient proclamé, et
de les mener au lieu où était Alexandre. Celui-ci implora la foi, et
le secours de ses gens, qui promirent d'abord de combattre pour son
service. Mais incontinent après, ils commencèrent à déclamer contre
l'avarice de l'Impératrice sa mère, lui reprochèrent à lui-même sa
lâcheté, et l'abandonnèrent. Quand il le vit ainsi traite il
retourna dans sa tente, où il embrassa étroitement l'Impératrice sa
mère, et déplora avec elle son malheur. Maximin les fit tuer
avec leurs plus proches par un centenier, et s'assura de la
sorte la possession de l'autorité souveraine. Mammée mère
d'Alexandre était une princesse d'une grande piété. Au temps qu'elle
était à Antioche avec l'Empereur son fils, elle entendit parler
d'Origène dont le nom était alors fort célèbre, l'envoya quérir à
Alexandrie, et reçut de lui les premières instructions de la
Religion chrétienne ; comme Eusèbe, et d'autres érivains le
témoignent. Ce qui fut cause que non seulement les persécutions
cédèrent, mais que les Chrétiens furent estimés, et en vénération.
Urbain était alors évêque de Rome, et dans le même temps Hippolyte
homme d'une éminente sainteté, et d'une profonde érudition, dont les
commentaires qu'il a laissés sur l'Écriture sainte sont d'illustres
marques, était évêque de Porto. Asclépiade gouvernait au même temps
l'église d'Antioche, et Sardien celle de Jérusalem.
MAXIMIN.
[4911]
Alexandre fut tué de la manière que je viens de le dire, après qu'il
eut gouverné dix ans l'Empire Romain. Dès que Maximin lui eut
succédé, il excita persécution contre les Chrétiens, et commanda de
mettre à mort ceux qui gouvernaient les églises, qui avaient reçu le
dépôt des saints mystères, et qui dispensaient la parole de la
vérité. On dit que ce fut par le désir de se venger d'Alexandre qui
avait eu du respect pour les Chrétiens, qu'il donna ces ordres
cruels. En effet il était envenimé contre la mémoire de ce Prince,
dont il avait autrefois encouru l'indignation, lorsque ayant été
choisi par lui pour commander une armée contre les Perses, il se
porta lâchement dans la bataille, et fut honteusement défait. On
rapporte encore une autre raison de cette persécution, savoir le
grand nombre de personnes qu'il y avait dans la famille d'Alexandre,
qui faisaient profession de la piété chrétienne. Ce fut en ce
temps-là qu'Ambroise qui avait un grand amour pour l'étude des
saintes lettres, qui excitait Origène à éclaircir par ses
commentaires les divines écritures, et qui fournissait généreusement
de son bien pour payer sept hommes qui écrivaient sous lui tour à
tour, et un nombre au moins égal de ceux qui en faisaient des
copies, et des filles qui excellaient aussi en l'Art de bien écrire
: Ce fut dis-je en ce temps là, que l'on croit que cet
Ambroise reçût la couronne du martyre avec un prêtre nommé
Péototecte.
[4920]
Maximin ne fut pas sitôt en possession de l'autorité souveraine,
qu'il donna avis au Sénat qu'il avait été proclamé Empereur par
l'armée. Ce ne fut pas contre les Chrétiens seuls qu'il fit paraître
de la dureté. Il en fit paraître aussi contre ses autres sujets, Il
était possédé d'un désir insatiable du bien, qui le portai taux
injustices, aux violences, aux brigandages, et aux meurtres de
sorte qu'il faisait mourir les personnes les plus innocentes. Sa
cruauté monta à cet excès de ne pas épargner sa propre femme. Pour
cacher la bassesse de son extraction il méprisait les personnes
d'une naissance illustre, et n'entretenaient habitude qu'avec ceux
qui n'avaient rien que d'obscur, et de méprisable; ce qui l'exposa à
la haine publique. Il fit la guerre aux Germains, et. ravagea leurs
terres sans qu'ils osassent paraître pour en empêcher le dégât. Ils
parurent pourtant depuis le long des marécages, et y furent
attaqués, et défaits par les Romains. Ainsi Maximin retourna
victorieux, et emmena avec lui quantité de prisonniers.
[4932]
Comme il ne songeait qu'aux moyens d'amasser de l'argent de toutes
parts, et que pour cet effet il s'emparait contre toute forte de
justice du bien de ses sujets, et ne s'abstenait pas même des choses
feintes, tout le monde condamna le choix que l'armée avait fait de
lui, et ses troupes d'Afrique en prirent occasion d'exciter
une sédition, à laquelle elles furent encore portées par ses
violences de ceux qui faisaient les affaires dans cette Province :
car ils enlevaient le bien des riches sans aucun prétexte, et leur
ôtaient ensuite la vie. Les troupes étant donc touchées de
l'indignation que leur donnait l'injustice de ses traitements, se
saisirent d'un vieux Sénateur nommé Gordien, et lui mirent malgré
qu'il en eût, le Diadème, et la robe de pourpre, et le proclamèrent
Empereur. Il se rendit à l'heure même à Carthage, où ayant été
favorablement accueilli, il écrivit au Sénat pour l'informer de la
manière dont il avait été proclamé. Ceux qu'il avait envoyés à Rome
ayant mis beaucoup de temps à ce voyage, les Romains se lassèrent
cependant de la domination de Maximin, renversèrent ses statues, et
dirent contre lui quantité de paroles injurieuses. Se repentant
incontinent après de leur entreprise, dont ils ne pouvaient espérer
aucun heureux succès pendant que Maximin jouissait d'une parfaite
santé, et qu'il avait encore entre les mains la souveraine
puissance, ils choisirent parmi les Sénateurs, Maxime, et Albin
auxquels ils donnèrent le commandement des troupes. Quelques-uns
assurent qu'ils furent proclamés Empereurs par le Sénat, qui
ne savait pas encore que Gordien l'eût été en Afrique. Quand Maximin
eut appris cette nouvelle, il marcha vers l'Italie faisant de
furieuses menaces contre le Sénat. Mais quand il sut que Maxime
marchait contre lui, et qu'Albin était demeuré à Rome pour la
garder, avec les Maures qu'il avait avec lui, il se hâta de marcher
vers Aquilée dans le dessein de s'en assurer. La Ville d'Aquilée est
celle que l'on appelle aujourd'hui Venise. Mais ceux de dedans
s'étant mis en état de se défendre, il fut obligé de se retirer. Il
en vint ensuite aux mains avec l'armée de Maxime, fut défait, et se
sauva dans son camp, où ses soldats et ses gardes ayant excité
sédition, il sortit avec son fils de sa tente pour les apaiser. Mais
à l'instant même qu'ils parurent, ils furent massacrés par la fureur
des séditieux. Maximin vécut soixante et cinq ans, et en régna
six. Leurs têtes furent coupées, montrées aux habitants d'Aquilée,
et portées à Rome, où celle de Maximin fut exposée dans la place
publique au haut d'un pieu, afin qu'elle fût vue de tout le monde.
[4962]
Maxime retourna victorieux à Rome, d'où Albin, le Sénat, et le
peuple sortirent pour aller au devant de lui, et pour le recevoir
avec des témoignages d'estime, et des acclamations de joie. Ces deux
Princes gouvernèrent ensuite l'Empire avec une bonne intelligence,
et une grande équité. Mais Ies gens de guerre ne leur voyaient pas
volontiers la souveraine puissance entre les mains, parce qu'elle ne
leur avait pas été déférée par leur suffrage, mais par celui du
Sénat, et du peuple. Ils eurent depuis ensemble des différents qui
furent la cause de leur perte. Car les soldats, en ayant eu avis, se
saisirent d'eux, les lièrent, les promenèrent ignominieusement par
toute la ville» avec de piquantes railleries, et de sanglants
outrages. Sur le bruit que les Allemands avaient dessein de les
tirer de leurs mains, ils les tuèrent. Maxime était âge de soixante
et quatorze ans, et Albin de soixante. Ils ne régnèrent selon
quelques auteurs que vingt-deux jours, et selon quelques autres un
peu moins de trois mois. Quelques-uns ont écrit qu'après leur mort
Pompeian parvint à l'Empire, mais qu'il en fut privé aussitôt, et
n'en jouit que comme du plaisir d'un songe. Avant que deux
mois se fussent écoulés, il perdit et la puissance, et a vie. Mais
comme je n'ai pu apprendre quels furent les auteurs de sa mort, ni
quel en fut le sujet, ou les circonstances, je suis obligé de
les passer sous silence. On dit que Balbin lui succéda, qu'il ne
posséda que trois mois l'autorité souveraine, et qu'il fut tué à
l'arrivée de Gordien, qui comme nous l'avons dit, avait été proclamé
Empereur en Afrique. Ce Gordien ne fut pas sitôt arrivé à Rome,
qu'il y fut attaqué d'une fâcheuse maladie, soit qu'elle procédât de
son grand âge, qui était de soixante et dix-neuf ans, ou de la
fatigue du voyage, et qu'il y mourut le vingt-deuxième jour de son
règne, auquel Gordien son fils lui succéda. Voilà comment
quelques-uns assurent que Ies choses se passèrent. D'autres les
racontent d'une autre sorte, et disent dès que Gordien eût été
proclamé en Afrique, plusieurs se déclarèrent contre lui, et que les
deux partis ayant donné combat, celui de Gordien fut défait, avec
perte d'un grand nombre de ceux qui le soutenaient, que le jeune
Gordien fut trouve parmi les morts, et que le père ne pouvant
survivre à son fils, ni surmonter la douleur se procura la mort.
Ceux qui tiennent que le vieux Gordien mourut de maladie, et qu'il
eût son fils pour successeur, rapportent que son fils fit la guerre
aux Persess, et que comme il exhortait ses soldats à se porter en
gens de cœur, il tomba de cheval, se rompit la cuisse par sa
chute, et fut porté à Rome, où il mourut après avoir régné six ans.
Urbain après avoir gouverné huit ans l'église de Rome mourut sous le
règne de Maximin, et eut Potien pour successeur. Zebin succéda à
Philet dans l'évêché d'Antioche. Pontien étant mort sous le règne du
jeune Gordien en la sixième année de son épiscopat, Anteros lui
succéda, et mourut lui-même après avoir gouverné fort peu de
temps cette église. Flavien fut élu par l'ordre de Dieu pour lui
succéder, comme Eusèbe le témoigne. On dit que pendant que les
fidèles étaient assemblés pour élire un évêque, Flavien arriva de la
campagne sans qu'aucun eût la pensée de lui donner son suffrage, et
qu'à l'heure même une colombe s'étant arrêtée sur sa tête, toute
l'assemblée s'écria d'une voix qu'il était digne de la charge
épiscopale, et le plaça dans la chaire.
[4999]
Zébin évêque d'Antioche mourut au même temps, et eut Babilas pour
successeur. Origène demeurait alors à Césarée en Palestine, où il
eut pour auditeurs Grégoire si célèbre par ses miracles, et
Athénedore son frère. Africanus historien célèbre fleurissait au
même temps.
GORDIEN
TROISIÈME DU NOM.
[5003]
Après la mort du jeune Gordien, un autre de même nom, et qui
vraisemblablement était son parent, prit le gouvernement de
l'Empire. Il fit la guerre à Sapor fils d'Artaxerce, le vainquit, et
reprit Nisibe et Carres que les Perses avaient prises sur les
Romains sous le règne de Maximin. Il fut depuis tué à Ctésiphon par
la perfidie de Philippe Préfet du Prétoire. Dés qu'il fut en
possession paisible de l'autorité souveraine, il avait donné cette
éminente charge à Timésocle son beau-père, durant la vie duquel il
gouverna l'Empire avec autant de sagesse, que de bonheur. Mais après
la mort de Timésocle, il la laissa à Philippe qui pour exciter les
gens de guerre à sédition diminua le blé qu'on avait accoutumé de
leur distribuer, et feignit en avoir reçu ordre de l'Empereur.
D'autres disent qu'il arrêta le blé destiné pour le camp ; de sorte
que les gens de guerre étant pressés par la faim se portèrent à la
révolte, le soulevèrent ouvertement contre Gordien qu'ils croyaient
auteur du mal qu'ils souffraient, et le tuèrent dans la sixième
année de son règne, et par ce meurtre ouvrirent à Philippe le chemin
à l'Empire. On ajoute qu'aussitôt que le Sénat eût reçu la
nouvelle de la mort de Gordien, il déféra la souveraine puissance à
Marc le Philosophe, qui avant que de s'y être bien établi, mourut
subitement dans son Palais. Sévère Scilien lui succéda, et
rendit presqu'incontinent le tribut que les hommes doivent à la
nature. Car se sentant malade, il se fit saigner et expira.
PHILIPPE.
[5020]
Philippe retournant à Rome se rendit maître de la puissance
souveraine, à laquelle il associa Philippe son fils. Il termina la
guerre des Perses par un traité qu'il fit avec Sapor leur Roi,
auquel il abandonna la Mésopotamie, et l'Arménie. Mais ayant depuis
reconnu le déplaisir que l'abandon de ces Provinces causait aux
Romains, il les reprit sans avoir aucun respect pour son traité.
Sapor était, à ce que l'on dit, d'une si prodigieuse stature, que
jamais on n'avait vu d'homme qui en approchât. Au reste quand
Philippe fut de retour, il parut fort favorable aux Chrétiens, et
quelques-uns même se persuadent qu'il embrassa la foi de l'église,
qu'il participa à ses prières, et qu'il ne refusa pas de confesser
les fautes qu'il avait commîtes, quand il vit que celui qui
présidait à l'assemblée, ne l'y voulait admettre qu'a cette
condition, et qu'ainsi il subit la loi commune des pénitents.
Quelques-uns le croient père d'Eugénie martyre, mais ils se trompent
; parce qu'il est certain qu'elle était fille, non d'un Préfet au
Prétoire, mais d'un Préfet d'Égypte, qui renonça à cette dignité
pour faire profession publique de la foi, et qui eut l'honneur de
recevoir la couronne du Martyre.
[5035]
Au reste dans le temps que l'Empereur Philippe avait entrepris la
guerre contre les Scythes, et qu'il était de retour à Rome, un
officier nommé Marin fut proclamé Empereur par les troupes en Mésie.
Comme Philippe faisait le récit de de cette sédition dans le Sénat,
et qu'il en témoignait de l'inquiétude, et du trouble, tous les
autres Sénateurs gardant le silence, Dèce prit la parole, et dit
qu'il n'y avait rien à appréhender de la proclamation de Marin,
parce qu'il était tout à fait indigne de la souveraine
puissance, et que les gens de guerre qui la lui avaient déférée, ne
manqueraient pas de la lui ôter avec la vie. Ce qui arriva bientôt
après, c'est pourquoi Philippe admirant la pénétration de Dèce
lui donna charge d'aller en Mésie réprimer l'insolence des rebelles.
Il s'exécuta de cet emploi, soutenant qu'il n'était
avantageux, ni à l'Empereur de le lui donner, ni à lui de le
recevoir. Mais Philippe ayant persisté, il l'accepta à regret, et ne
fut pas sitôt arrivé en Mésie, qu'il y fut salué par l'armée en
qualité d'Empereur. Comme il refusait cette dignité, les gens
de guerre tirèrent leurs épées, et le contraignirent de l'accepter.
Il écrivit à Philippe qu'il ne s'inquiétât point de sa
proclamation, et que dès qu'il serait arrivé à Rome, il mettrait bas
les marques de l'autorité souveraine. Philippe n'ayant ajouté aucune
foi à cette promesse prit les armes, donna combat à Dèce, et fut tué
à la tête de son année avec Philippe son fils. Après leur mort tous
les Romains se soumirent à l'obéissance de Dèce. Philippe régna cinq
ans selon quelques auteurs, et six ans six mois selon d'autres. Il
était natif de Bostra, où il bâtit une ville qu'il appela de
son nom Philippopole.
DÈCE
[5057]
Dèce ayant été reconnu pour Empereur par toutes les troupes, comme
je viens de le dire, se rendit à Rome pour y affermir sa puissance,
et en même temps en considérant le poids, il la partagea avec
Valérien. Ils s'exhortèrent réciproquement à exciter une persécution
très violente contre la Religion chrétienne. Quelques-uns disent que
ce fut la haine dont Dèce était animé contre Philippe, qui le porta
à outrager les fidèles, que cet Empereur avait respectés. Mais de
quelque principe que procédât la passion contre nous, il est
certain qu'elle fut furieuse. Ce fut sous son règne que Flavien
évêque de Rome, Babilas évêque d'Antioche, et Alexandre évêque de
Jérusalem reçurent la couronne du martyre. Ce dernier avait combattu
dès auparavant pour la défense de la foi: mais ce ne fut qu'alors
qu'il reçût la récompense qui lui était due. Ce fut au même temps
que le grand Cyprien évêque de Carthage. fit paraître une constance
invincible pour la vérité de la Religion. Corneille succéda à Havien
dans Rome, un autre Flavien succéda à Babilas dans Antioche, Denys
prit le gouvernement de l'église d'Alexandrie, et Mazabanes succéda
à Alexandre. dans Jérusalem. Ce fut aussi en ce temps-là qu'Origène
fut conduit en qualité de Chrétien devant le tribunal des
persécuteurs de l'église: mais il n'y reçût pas la couronne, dont,
comme je me le persuade, Dieu le jugeait indigne, à cause de
l'impiété de ses sentiments. Il perdit son rang de confesseur, bien
qu'il eût souffert des tourments pour la cause de la Foi. Nous avons
déjà dit que la grandeur de Ion savoir, et de son éloquence lui
ayant inspiré une excessive vanité, au lieu de suivre la doctrine
des anciens Pères,il en voulut inventer une nouvelle, tira du faux
trésor de son coeur d'exécrables blasphèmes contre les secrets
Mystères de la Trinité, et de l'Incarnation, et jeta les semences de
presque toutes les erreurs qui se sont élevées depuis. Il enseigna
que le fils .unique du Père éternel avait été créé, et qu'il
n'avait point de part à la gloire, ni à la substance de Dieu.. Il
rabaissa le Saint Esprit au dessous du Père, et du Fils, en assurant
que le Père ne peut être vu par le Fils, ni le Fils par le Saint
Esprit, non plus que le Saint Esprit ne le peut être par les Anges,
ni les Anges par les hommes. Voilà les :blasphèmes qu'Origène avança
contre la sainte et consubstantielle Trinité;. Quant à ce qui
regarde le Mystère de l'Incarnation, il eut l'impiété de nier que le
Sauveur ait pris dans le sein de la Vierge, un corps animé d'une âme
raisonnable. Car il prétend par une imagination fabuleuse, que le
Verbe était uni à une âme avant la création du monde, qu'il suppose
avoir été dès lors, et que dans les derniers temps, il s'est incarné
avec cette âme, en prenant un corps dépourvu d'une âme intelligente
et raisonnable. Il soutient aussi que le Seigneur a quitté son
corps, et que son règne doit finir. Il dit encore que le supplice
des démons n'est qu'un supplice temporel, après lequel ils seront
rétablis dans leur première félicité. Ainsi il s'imagine que les
hommes, et les démons seront un jour purifiés de leurs péchés, et
qu'alors ils seront tous réunis. Je ne dirai rien de la manière dont
il se figure que cette réunion se fera, non plus que les autres
extravagances, parce que je ne les pourrais rapporter sans employer
beaucoup de paroles. Voilà ce qui regarde Origène que l'on appelait
aussî Adamantius.
[5088]
Novat prêtre de l'église romaine,donna au même temps commencement à
une nouvelle secte nommée la secte des purs, en réfutant la grâce de
la pénitence à ceux qui étaient tombés dans l'idolâtrie pendant la
persécution, et qui confessaient leurs péchés et offraient de
l'effacer par une satisfaction salutaire. On assembla contre lui un
Concile dans Rome où Corneille présida, et où il fut résolu qu'on
accorderait à ceux qui étaient tombés durant la persécution le
remède de la pénitence, lorsqu'ils retourneraient à l'église ; et
parce que Novat ne voulut pas consentir à cette décision, les saints
Pères le retranchèrent de la Communion, comme un ennemi du salut de
ses frères. Eusèbe rapporte sur ce sujet une histoire contenue dans
une lettre de Denys évêque d'Alexandrie, dont voici les termes,
[5095]
"
Nous avions
parmi nous un ancien fidèle nommé Sérapion, qui avait toujours mené
une vie irrépréhensible. Mais étant tombé dans l'idolâtrie, et ayant
sacrifié aux démons durant la violence de la persécution, il demanda
souvent pardon, sans que personne voulût l'écouter. Étant depuis
tombé malade, il demeura trois jours sans voix, et sans sentiment.
Étant revenu à lui le quatrième jour, il appela son petit-fils, et
lui dit ; jusques à quand me tiendra-t-on ici, que l'on me donne
l'absolution, et je vous prie de me faire venir un prêtre. Après
cela il perdit encore la parole. L'enfant courut chercher le
prêtre, mais il était nuit, et le prêtre était malade. Or comme
j'avais ordonné que l'on fit grâce aux mourants qui la
demanderaient, et surtout à ceux qui l'auraient demandée en santé,
afin qu'ils mourussent dans l'espérance d'être sauvés, le prêtre lui
donna une portion de l'Eucharistie avec ordre de la détremper dans
de l'eau, et de la mettre dans la bouche du malade. L'enfant s'en
retourna, et ce vieillard qui avant qu'il fût à la maison était
revenu à lui, lui dit, mon fils, vous voilà de retour, le prêtre
n'a pu venir, faites ce qu'il vous a commandé, et me laissez partir
de cette vie. L'enfant détrempa la portion de l'Eucharistie, la mit
dans la bouche du vieillard, qui mourut presque aussitôt qu'il
l'eut reçue. Ne paraît-il pas clairement que Dieu avait conservé en
vie jusques à ce qu'il eût obtenu le pardon de sa faute, et qu'étant
réconcilié à l'église, il reçut la récompense de ses bonnes oeuvres
? "
Voilà ce qui
est dans la lettre de Denys.
[5109] Au reste Dèce
qui était dans une si mauvaise disposition pour les serviteurs de
JÉSUS CHRIST, périt misérablement avant que d'avoir gouverné deux
ans entiers l'Empire romain. Car après qu'il eut tué un grand nombre
de barbares, ou de Goths qui avaient fait le dégât dans le Bosphore, et qu'il eut poussé dans des lieux étroits ceux qui restaient, il
refusa de leur faire la composition qu'ils demandaient, et de
recevoir le butin qu'ils offraient de rendre, et commanda à Gallus
de leur fermer les passages. Gallus s'entendant avec eux leur
conseilla de se ranger en bataille le long d'un étang fort profond,
et de faire semblant de prendre la fuite. Alors Dèce les ayant
poursuivis tomba dans l'étang avec son fils, et avec un grand nombre
de Romains, sans qu'ils puissent jamais en être retirés.
GALLUS, ET VOLUSIEN.
[5117] Il
y a des historiens qui donnent deux noms à cet Empereur savoir celui
de Gallus, et celui de Volusien. D'autres assurent que
Volusien était le nom de son fils son collègue à l'Empire. Quand
Gallus eut entre les mains l'autorité souveraine, il fit un traité
avec les barbares, par lequel il leur promit un tribut annuel, à la
charge, qu'ils ne feraient plus le dégât sur les terres, de
l'Empire. Après cela il retourna à Rome, on il déclara Volusien son fils César. Il fut grand ennemi des Chrétiens, excita
contre eux une persécution aussi cruelle qu'avait été celle de Dèce,
et en fit mourir un aussi grand nombre. Sous son règne recommença la
guerre des Perses qui reprirent l'Arménie., d'où s'échappa le Roi Ticidate, dont les fils s'étaient retirés parmi les Perses ses
ennemis. Une multitude incroyable de Scythes se répandirent en
même temps en Italie, et coururent la Macédoine, la Thessalie, et la Grèce. On dit qu'une partie de ces peuples ayant traversé la
Méotide, entra par le Bosphore dans le Pont-Euxin, et ruina
leurs Provinces. Il y eut encore d'autres nations qui prirent
au même temps les armes pour attaquer l'Empire. Pour comble de
malheur une une petite sortie d'Éthiopie se répandit en Orient, et
en Occident, s'y arrêta quinze ans, et mit la plus grande partie
des villes dans une furieuse désolation. Les Scythes étant venus
demander le tribut que les Romains avaient promis de leur payer
chaque année, prétendirent qu'on leur en retranchait une partie, et
menacèrent de s'en venger. Alors Émilien Africain de nation qui
commandait les troupes de Mésie offrit de leur donner les sommes que
l'on devait aux Scythes, si elles voulaient employer contre eux
leurs armes. Ces troupes ayant chargé les Barbares à l'improviste
les tuèrent presque tous, pillèrent leur pays, et emportèrent un
grand butin. Émilien enflé du bonheur de ce succès, se fit
proclamer Empereur par ses troupes, et ayant amassé de nouvelles
forces marcha vers l'Italie. Gallus au bruit de sa marche se mit en
défense, et les deux partis en étant venus aux mains, ce dernier
perdit la bataille. Les vaincus se saisirent de leur Empereur, et de
son fils, et les tuèrent, approuvèrent la proclamation d'Émilien,
et raffermirent sur le trône. Au reste Gallus ne régna que
deux ans, et huit mois.
ÉMILIEN
[5144] Émilien
s'étant emparé de la sorte de l'autorité souveraine, écrivit au
Sénat pour l'assurer qu'il chasserait les Scythes, de la Thrace,
qu'il attaquerait les Perses, et qu'en toutes occasions, il ne
combattrait que sous les ordres, et pour le service de la compagnie,
et lui laisserait l'autorité, et le commandement. Mais Valérien qui
commandait les troupes qui étaient dans la Gaule ne lui donna pas le
loisir d'exécuter ses projets. Car à la première nouvelle qu'il
reçut de sa proclamation, il se résolut d'usurper lui -même la
souveraine puissance, et pour cet effet assembla son armée, et
la mena vers Rome. Le parti d'Émilien, ne se trouvant pas en état de
résister à une si grande puissance, craignant aussi le malheur et
l'impiété d'une guerre civile, et jugeant d'ailleurs Émilien indigne
de posséder le pouvoir absolu le fit mourir en la quarantième année
de son âge, et avant qu'il eût commandé quatre mois en qualité
d'Empereur. Ils se rendirent ensuite à Valérien, et lui
déférèrent d'un commun consentement l'autorité souveraine dans la
créance qu'il la méritait. Flavien ayant reçu la couronne du martyre
sous le règne de Dèce, Corneille le fut chargé du gouvernement de
l'église de Rome, dont il s'acquitta avec beaucoup de zèle et de
succès l'espace de trois ans. Luce lui succéda, et lui ayant survécu
moins de huit ans laissa sa place à Etienne. Celui-ci ordonna que
les hérétiques qui retourneraient à l'église ne seraient point
rebaptisés mais reçus seulement avec des prières, et l'imposition
des mains. On a une de ses lettres adressée à saint Cyprien sur ce
sujet. Etienne étant mort deux ans après, Xiste fut placé fur le
siège de l'église de Rome. Voilà ce que j'avais à dire des évêques
de cette grande ville. Au reste ce fut en ce temps-là que l'hérésie
des Sabelliens sortit de Ptolémaïde ville de la Pentapole.
VALÉRIEN.
[5164] Valérien
s'étant rendu maître de l'Empire avec Galien son fils, excita
une violente persécution contre les Chrétiens, de sorte que
plusieurs d'entre eux donnèrent de grands combats en divers pays
pour la défense de la foi, et remportèrent d'illustres victoires.
Les affaires temporelles furent en aussi mauvais état sous son règne
que celles de la religion. Les Scythes partirent du Danube,
coururent et pillèrent la Thrace, et assiégèrent la célèbre ville de
Thessalonique, sans pouvoir pourtant la prendre. Ils jetèrent une
si effroyable terreur dans tout le pays, que les Athéniens
relevèrent leurs murailles qui avaient été abattues dès le temps de
Sylla, et que les habitants du Péloponnèse fermèrent leur isthme
d'une muraille depuis une mer jusques à l'autre. Les Perses firent
aussi le dégât dans la Syrie, et dans la Cappadoce, et mirent le
siège devant Édesse. Valérien n'osa rien entreprendre jusques à ce
qu'il eut appris que les habitants d'Édesse avaient fait de
vigoureuses sur les Barbares, et avaient remporté sur eux beaucoup
de dépouilles. Mais alors il attaqua les Perses avec ce qu'il avait
de troupes, et comme ces peuples étaient en plus grand nombre que
les Romains, ils les enveloppèrent sans peine, les taillèrent en
pièces, prirent Valérien avec ses gardes, et le menèrent à Sapor.
Ce Prince superbe le promit qu'il n'y aurait rien dont il ne pût se
rendre maître à l'avenir, mais qu'il était maître de l'Empereur, et
quelque inhumanité qu'il eût fait paraître jusques alors, il en
donna depuis des exemples beaucoup plus étranges. Voila la manière
dont quelques-uns disent que Valérien fut pris par les Perses.
D'autres assurent qu'étant à Édesse, se mit lui-même entre les mains
de ses ennemis par l'appréhension de tomber entre celles des soldats
de la garnison, qui se sentant pressés par la disette de vivres, et
par la faim avaient excité une furieuse sédition. Il abandonna de la
sorte toutes les troupes de l'Empire Romain, ce qui n'empêcha pas
néanmoins que la plus grande partie des soldats ne trouvassent moyen
de se sauver aussitôt qu'ils eurent découvert sa trahison. Mais
enfin soit que Valérien eût été pris par les Perses, ou qu'il se fût
rendu volontairement à Sapor, il fut traité par ce Prince avec la
dernière indignité. Les Perses n'étant plus retenus par aucune
crainte attaquèrent les plus grandes villes, prirent Antioche sur
l'Oronte, Tarse la Capitale de Cilicie, et la célèbre Césarée
de Cappadoce. Ils traitèrent leurs prisonniers avec une extrême
dureté, ne leur donnant qu'autant de vivres qu'il leur en
fallait pour conserver un reste de vie languissante, leur refusant
l'eau en la quantité nécessaire, et ne les menant boire qu'une fois
le jour comme des troupeaux de bêtes. La ville de Césarée qui
est une ville fort peuplée, et qui contient à ce que l'on dit
jusques à quatre cent mille habitants se défendit longtemps avec
beaucoup de valeur sous la sage conduite de son gouverneur nommé
Démosthène. Elle ne fut prise qu'après qu'un médecin qui était
prisonnier entre les mains des Perses, et qui ne pouvait plus
résister à la violence des tourments qu'ils lui faisaient souffrir
leur montra un endroit par où ils entrèrent dans la ville, et mirent
au fil de l'épée tous les habitant. Démosthène se voyant enveloppé
d'une multitude innombrable d'ennemis qui avaient ordre de le
prendre vif, monta sur un excellent cheval, et passa au travers
d'eux l'épée à la main, en renversa plusieurs, et sortit de la
ville. Les Perses ayant eu de si favorables succès coururent tout le
pays que les Romains possédaient en Orient, et y firent un
épouvantable dégât sans trouver de résistance. Les Romains qui
avaient pu s'échapper se rallièrent, et prirent Calliste pour leur
chef. Celui-ci ayant remarqué que les Perses couraient de côté et
d'autre sans garder aucun ordre, fondit sur eux lorsqu'ils
l'attendaient le moins, en fit un grand carnage, et prit les femmes
de Sapor avec un riche butin. Le regret de cette perte obligea Sapor
à se retirer en son pays, où il emmena Valérien à qui il fit
souffrir tous les outrages, et tous les affronts de la plus cruelle
captivité. Calliste ne fut pas le seul, qui servit utilement en ce
temps-là contre les Perses. Odenat Palmyrenien notre allié en tua
aussi un grand nombre qui s'en retournaient par l'Euphrate, et en
récompense fut fait chef des troupes d'Orient par Galien. On dit que
les Romains en dépouillant les corps des Perses trouvèrent quantité
de femmes habillées, et. armées de la même sorte que les hommes,
et qu'ils en prirent même quelques-unes en vie. On dit aussi que
Sapor ayant trouvé en s'en retournant un grand creux par où les
bêtes de charge ne pouvaient passer, il le fit combler des corps des
prisonniers qu'il avait fait tuer pour cet effet, et qu'ensuite il
fit marcher par dessus les bêtes, et le bagage. Telle fut la tin de
Valérien. Xiste gouvernait alors l'église romaine ; Démétrien
successeur de Flavien gouvernait celle d'Antioche ; Hyménée
gouvernait celle de Jérusalem depuis la mort de Mazabene, et Denys
celle d'Alexandrie.
GALIEN.
[5211] Galien
gouverna l'Empire romain après la prise de Valérien son père. Quand
celui-ci partit pour aller faire la guerre aux Perses, il le laissa
en Occident, pour repousser les ennemis qui menaçaient l'Italie, et
ceux qui pillaient la Trace. Bien qu'il n'eût une armée que de dix
mille hommes, il ne laissa pas de donner bataille auprès de Milan à
trente mille Allemands, et de la gagner. Il défit au même
temps les Erules qui sont de la nation des Scythes, et des
Goths, et fit la guerre aux Français.
[5218] Auréole né de
la partie du pays des Goths que l'on a depuis appelé Dacie, et issu
d'une basse famille, n'eût point d'autre emploi au commencement que
celui de berger. Mais comme la fortune avait dessein de l'élever il
suivit les armes, et dans la suite parvint à une charge de l'écurie,
dont il s'acquitta avec tant de soin qu'il entra bien avant dans les
bonnes grâces de l'Empereur. Les légions de Mésie s'étant
soulevées quelque temps après, et ayant élevé Ingenuus sur le
trône, Galien mena contre lui jusques à Sirmium ses troupes, parmi
lesquelles il y avait quantité de Maures, qui sont des peuples que
l'on croit être descendus des Mèdes. En cette occasion Auréole qui
était maître de la cavalerie combattit avec tant de valeur, qu'il
tailla en pièces les ennemis, mit Ingenuus en déroute,
pendant laquelle il fut tué par ses propres gardes. Ce rebelle
n'eût pas sitôt été réprimé de cette sorte,
qu'un autre nommé Posthume se souleva par l'occasion que je vais dire. Galien avait un fils de même nom que lui, bien fait,
et adroit, et qu'il regardait comme son futur successeur. Il
l'avait laissé à Cologne
pour y défendre les Gaulois contre les incursions des Scythes, et à cause de
son bas âge il lui avait donné Alban pour lui servir de
conseil. Posthume qui dans le même temps avait
charge de garder les bords du Rhin et d'empêcher
aux Barbares de le passer & de piller nos terres, en
ayant rencontré un parti qui avait traversé ce fleuve sans être aperçu,
et qui s'était chargé d'un grand
butin, fondit dessus à l'improviste, le tailla en
pièces, reprit le butin, et le distribua entre ses soldats. Alban ayant demandé que tout ce butin fût
apporté au jeune Galien, Posthume excita ses soldats à sédition, les mena vers Cologne, contraignit
les habitants de lui mettre entre les mains le
jeune Galien, et Alban, et quand il les eut, il les
fit mourir. Galien marcha à l'heure même contre
Posthume, en vint aux mains avec lui, et fut défait. Il rallia toutefois
ses troupes, donna un second
combat à Posthume, le mit en fuite, et commanda
à Auréole de le poursuivre. Il aurait été aisé
à celui-ci de l'atteindre, et de le prendre. Mais au
lieu de le poursuivre il retourna dire à Galien que son ennemi s'était retiré avec une
si grande précipitation
après sa défaite qu'il avait été impossible
de le joindre. Posthume s'étant échappé de la sorte
fit de nouvelles levées. Galien assembla de son côté de nouvelles forces contre lui, et l'obligea à se retirer
dans une ville des Gaules, où il mit le siège.
Mais y ayant reçu un coup au dos, il perdit l'envie
de continuer son entreprise.
[5241] Macrin suscita une autre guerre à Galien,
et aspira à la souveraine puissance. Il avait deux fils, Macrien, et Quintus, qu'il revêtit de la robe Impériale,
ne voulant pas la prendre à cause qu'il était incommodé
d'une jambe. Il fut reçu fort volontiers par les peuples d'Asie, et
après s'être occupé un peu de temps contre les Perses, il donna
charge à Bailiste qu'il avait fait maître de la cavalerie, et à
Quintus son fils de leur résister, et se prépara à employer les
principales forces contre Galien. Ce Prince envoya contre Macrin et
contre Macrien son fils, Auréole et d'autres chefs qui ayant
enveloppé les rebelles, en tuèrent quelques-uns, et épargnèrent les
autres, comme leurs compatriotes, dans l'espérance qu'ils
retourneraient à leur devoir, et se soumettraient à l'obéissance de
l'Empereur. Cependant comme ils continuaient encore à se défendre,
un de ceux qui portaient leurs étendards tomba, et à son exemple les
autres abaissèrent les autres étendards dans la créance que le
premier avait eu dessein de baisser le sien pour reconnaître
l'Empereur comme son légitime souverain, et tous ensemble firent
des acclamations en l'honneur de Galien ; de sorte que les seuls
Pannoniens demeurèrent avec Macrin et Macrien, par lesquels ils
furent priés incontinent après de les tuer de peur qu'ils ne
tombassent vifs entre les mains de leurs ennemis, ce qu'ils firent,
et se rendirent à l'heure même à l'Empereur. Galien envoya cependant
Odenat chef des Palmiréniens, contre Quintus fils puîné de Macrin
qui s'était emparé de presque tout l'Orient. Mais la nouvelle de la
défaite de Macrin, et de Macrien n'eut pas sitôt été
répandue, que plusieurs villes secouèrent le joug de l'obéissance de
Quintus, et de Balliste. Odenat les attaqua proche d'Émèse, les
vainquit, tua Balliste, et à son exemple les habitants tuèrent
Quintus. L'Empereur récompensa la valeur, et les services d'Odenat
du commandement des troupes d'Orient, où il acquit beaucoup de
gloire en combattant diverses nations, et même les Perses. Le genre
de sa mort ne répondit pas à la générosité de les exploits, parce
qu'il eut le malheur d'être tué par son neveu. Comme il était à la
chasse ayant ce jeune homme avec lui, il le reprit d'avoir jeté le
premier un trait contre une bête que les chiens avaient fait lever,
été parce qu'au lieu de profiter de sa réprimande, il avait jeté
encore deux autres traits de la même sorte, il lui ôta son cheval,
ce qui est regardé par les barbares comme un châtiment plein
d'infamie. Ce jeune courage en ayant aussi témoigné la dernière
indignation fut chargé de fers, et enfermé dans une étroite prison.
Depuis ayant été mis en liberté à la prière du fils aîné d'Odenat,
il tua dans un festin, et son oncle, et son cousin son libérateur,
et fut tué incontinent lui-même par d'autres. Auréole qui comme nous
l'avons déjà dit, commandait la cavalerie; et possédait un grand
pouvoir, forma une nouvelle conjuration contre Galien, s'empara de
Milan, et se prépara à une bataille. L'Empereur ayant amassé toutes
les forces chargea rudement les gens du rebelle, en tailla en pièces
un grand nombre, le blessa lui-même, et le contraignit à se
renfermer dans Milan, où il l'assiégea. Pendant que ce Prince
courait de côté, et d'autre pour donner la chasse à ses ennemis,
peu s'en fallut que l'Impératrice sa femme ne tombât entre leurs
mains. Car le camp n'étant gardé que d'une petite troupe, ils
s'approchèrent de la tente où était cette Princesse, et l'auraient
enlevée, si un soldat qui raccommodait son soulier ne les eût
aperçus, et si ayant pris à l'heure même son bouclier, et son
poignard, il ne les eût arrêtés, et donné le loisir aux autres
d'accourir et de sauver l'Impératrice. Tandis que l'Empereur était
occupé au siège de Milan, Aurélien y arriva avec un corps de
cavalerie à dessein de tuer ce Prince. Il communiqua son dessein à
quelques-uns des principaux de l'armée, qui furent d'avis d'en
remettre l'exécution après la prise de Milan. Mus quand ils virent
que la conspiration était découverte, ils se résolurent de ne point
perdre de temps, et pour opprimer plus promptement Galien, ils lui
donnèrent avis d'une sortie des ennemis. Comme il partait sur
l'heure du dîner pour aller au devant d'eux, il rencontra des
cavaliers qui ne descendirent point de cheval, ni ne lui rendirent
aucun des honneurs qu'on avait accoutumé de lui rendre, ce qui
l'obligea de demander à ceux de sa suite qui étaient ces
cavaliers-là, et ce qu'ils prétendaient. Ils lui répondirent qu'ils
le voulaient dépouiller de la souveraine puissance. Il poussa à
l'heure même son cheval à toute bride, et se serait sauvé, s'il
n'eût rencontré un ruisseau qu'il n'osa sauter, et s'il n'eut été
percé d'un trait que lui jeta un de ceux qui le poursuivaient. Il
tomba à terre du coup, et mourut peu après de la perte de son sang.
Il régna quinze ans, tant avec Valérien son père, que seul. Il avait
beaucoup d'élévation d'esprit, et une extrême passion pour la
gloire. Il brûlait d'un désir si ardent de faire des grâces, qu'il
n'en refusa jamais aucune, et que jamais il ne se vengea de ceux qui
s'étaient déclarés contre lui, et qui avaient favorisé le parti des
rebelles. Voilà de quelle manière quelques-uns rapportent la mort de
Galien. D'autres assurent qu'il fut tué par le préfet Héraclien.
Comme Auréole marchait vers l'Italie à la tête des légions des
Gaules qu'il commandait, et que Gratien allait au devant de lui à
dessein de le combattre, Héraclien qui était de la conjuration
d'Auréole, et qui l'avait communiquée à un vaillant homme nommé
Claude, entra dans la tente de Galien durant la nuit, et lui dit,
qu'Auréole s'approchait avec des troupes. Ce Prince surpris de cette
nouvelle se leva en hâte, et demanda ses armes : mais à l'heure même
Héraclien lui porta un coup mortel, et le renversa .
[5314] Sixte étant
mort en ce temps-là en la onzième année de son pontificat, eut Denys
pour successeur. Démétrien évêque d'Antioche eut aussi pour
successeur Paul de Samosate, qui eut de si bas sentiments du Sauveur, que de prétendre que bien loin d'être Dieu, il n'était qu'un
homme ordinaire. Les évêques des autres églises assemblèrent contre
lui un Concile, où Grégoire taumaturge, et Athénodore son frère
assistèrent, et après avoir convaincu Paul de ses erreurs, ils le
déposèrent. Mais parce qu'il ne voulait pas quitter le siège de
cette église, les saints Pères implorèrent le secours de l'Empereur
Aurélien, qui commanda que l'église fût donnée à celui dont les
évêques de Rome, et d'Italie approuveraient la doctrine, et ainsi
Paul fut honteusement châtié, et Domne mis en sa place.
CLAUDE.
[5322] Galien ayant
été tué de la sorte, Claude fut élu Empereur, et Auréole mit les
armes bas, et se soumit a son obéissance. Mais ayant fait depuis de
nouveaux projets de révolte, il fut massacré par les gens de
guerre.
[5325] Claude fut un
bon Prince, qui aima la justice, et défendit de lui demander le
bien d'autrui: car plusieurs étaient alors persuadés que l'Empereur
avait le pouvoir de le donner, et c'est de là que procèdent
certaines lois qui sont encore en vigueur. Une femme dont il
possédait la terre en vertu d'un don qui lui en avoir été fait par
l'Empereur précédent, s'étant plainte à lui de cette violence, il
lui dit, Claude vous rend maintenant qu'il est Empereur, la terre
qu'il vous avait prise lorsqu'il n'était que particulier, qu'il
commandait la cavalerie, et qu'il n'était pas fort religieux
observateur des lois. Dès que le Sénat eut appris la nouvelle de la
mort de Galien, il condamna à mort son frère, et son fils. Comme on
délibérait dans l'assemblée de cette compagnie à quels ennemis on
s'opposerait les premiers ou à Posthume qui prétendait encore
usurper l'autorité souveraine, ou aux étrangers qui avaient de la
Palus Méotide, et qui faisaient le dégât en Asie et en Europe
.Claude avança une parole fort remarquable. La guerre que fait
Posthume, dit-il, ne regarde que moi : mais la guerre que font les
étrangers regarde tout l'Empire, dont les intérêts doivent être
préférés à tous autres. Ces étrangers coururent plusieurs pays, et
affrétèrent Thessalonique, qui a reçu ce nom de Thessalonique fille
de Philippe, et femme de Cassandre, au lieu qu'elle s'appelait
auparavant Emathie. Il ne purent pourtant la prendre. mais ils
prirent Athènes, et ayant amassé tous les livres qu'ils y avaient
trouvés, ils étaient prêts d'y mettre le feu, lorsqu'un des plus
avisés de leur nation les en détourna, en leur disant qu'il les
fallait laisser aux Grecs, afin que s'occupant à la lecture, ils
oubliaient l'exercice des armes, et fussent plus aisés à vaincre.
Cependant un Athénien nommé Cleodème ayant trouvé moyen de sortir de
la ville, et d'assembler un nombre de gens de guerre monta sur mer,
d'où il tua une prodigieuse multitude de barbares, et mit les autres
ensuite. Claude les attaqua dispersés en divers pays, les battit sur
mer, et sur terre. Les tempêtes, et la famine en firent aussi
périr un grand nombre. Après ces expéditions il tomba malade à
Sirmium, où ayant assemblé les principaux de l'armée pour conférer
avec eux touchant le choix d'un Empereur, il leur témoigna qu'il
jugeait Aurélien digne de posséder la souveraine puissance.
Quelques-uns assurent qu'à l'heure même il fut salué en qualité
d'Empereur. D'autres assurent qu'aussitôt que le Sénat eut appris la
mort de Claude, le regret de sa perte le porta à déférer l'autorité
souveraine à Quintile son frère, dans le même temps que les gens de
guerre la désiraient de leur côté à Aurélien. Comme Quintile fort
simple, et entièrement incapable des affaires, à la première
nouvelle de la proclamation d'Aurélien, il se fit ouvrir les
veines des mains, et mourut de la perte de son sang après
n'avoir joui de l'Empire, que comme d'un songe, l'espace de dix-sept
jours. Les auteurs ne conviennent pas du temps du règne de Claude,
les uns ne lui donnant qu'un an, et les autres deux. Eusèbe est de
ce dernier lentement. Constant Clore père du grand Constantin fut
fils d'une fille de Claude, dont nous venons de rapporter
l'histoire.
AURÉLIEN.
[5352] Quand Aurélien
fut en possession de l'Empire, il demanda aux principaux officiers
de quelle manière ils croyaient qu'il le dût gouverner. Seigneur,
lui dit un d'entre eux, pour vous bien acquitter de l'administration
de ce grand état dont vous êtes chargé, il faut que vous fassiez
provision de fer, et d'or. Par l'un vous punirez les rebelles, et
vous réprimerez vos ennemis, et par l'autre vous récompenserez vos
amis, et vos fidèles sujets. Celui
qui avait donné ce conseil en reçût le fruit, et passa un des
premiers par l'épée de l'Empereur. Au commencement de son règne, il
fit paraître quelque clémence envers les Chrétiens, mais il changea
depuis de sentiment, fit contre eux des lois très rigoureuses dont
la justice divine détourna l'exécution en terminant le cours de sa
vie. Mais avant que de parler de sal mort, il faut raconter ce qui
le passa sous son règne. Comme il avait beaucoup de valeur, et qu'il
excellait dans l'exercice des armes, il fit plusieurs guerres avec
d'heureux succès. Il réduisit à son obéissance Zénobie reine des
Palmiréniens, qui s'était rendue maîtresse d'Égypte après avoir pris
Probus qui la gouvernait en qualité de préteur. On parle diversement
de la fortune de cette princesse, les uns soutenant qu'elle fut
menée à Rome, et qu'elle y fut mariée à un homme de la première
qualité, et les autres soutenant qu'elle ne pût survivre à sa
digrâce, et qu'elle mourut de douleur pendant le voyage. Aurélien
épousa une de les filles, et plusieurs grands de la Cour épousèrent
les autres.
[5365] Ce Prince
réunit à l'Empire Romain les Gaules qui en avaient été détachées
depuis plusieurs années par la violence de divers usurpateurs de
l'autorité, et après y avoir mis des Gouverneurs rentra en triomphe
à Rome sur un char tiré par quatre éléphants. Il réprima aussi
quelques mouvements des Gaulois. Mais il fut tué proche d'Héraclée
ville de Thrace dans le cours d'une expédition, qu'il avait
entreprise contre les Scythes. Un nommé Eros qui selon quelques-uns
avait le soin de présenter à l'Empereur les requêtes des étrangers,
et de leur rapporter les réponses, et qui selon quelques autres
n'était qu'un espion, lui tendit un piège en haine de ce qu'il avait
reçu de lui une sévère réprimande. Il contrefit son écriture, et
traça sous son nom un projet de mettre à mort les plus considérables
de l'Empire. Il leur montra ce projet, et par cet artifice les porta
à attenter à la vie de leur Prince, et à se défaire de lui en la
sixième année de son règne.
TACITE.
[5375] Tacite succéda
à Aurélien. Il avait soixante et quinze ans, et était dans la
Campanie lorsqu'il fut élu par les gens Je guerre. Quand il eut
appris son élection, il alla à Rome en habit de particulier, où par
l'avis du Sénat et du peuple il prit la robe Impériale .Comme les
Scythes avaient passé en ce temps là la Palus Méotide, et la Phase,
et qu'ils couraient le Pont, la Cappadoce, la Galatie, et la
Cilicie, Tacite fondit sur eux avec Florien Préfet du Prétoire, en
tua un grand nombre, et mit les autres ensuite. Les gens de guerre
ayant tué au même temps Maximin gouverneur de Syrie, et parent de
Tacite en haine de ce qu'il abusait en cette Province du pouvoir qui
lui avait été confié, et jugeant bien que l'Empereur ne laisserait
pas impuni un crime aussi atroce que celui-là, ils le tuèrent
lui-même dans le septième mois de son règne selon quelques auteurs,
et à la fin de la seconde année selon quelques autres.
PROBUS et
FLORIEN.
[5387] Dès que Tacite
eut été de cette sorte enlevé du monde deux Empereurs furent
proclamés, savoir Probus en Orient par l'armée, et Florien à Rome
par le Sénat. Ils jouirent tous deux en différent pays de cette
souveraineté. Probus en jouît en Égypte, en Syrie, en Phénicie, et
en Palestine, et Florien dans toutes les contrées qui s'étendent
depuis la Cilicie jusques en Italie, et en Occident. Ce dernier n'en
jouît que trois mois, à la fin desquels il fut tué par les gens de
guerre que l'on dit que Probus avait gagnés pour cet effet. Ainsi il
se vit seul en possession de tout l'Empire. On dit qu'il eut une
rare suffisance jointe à une extraordinaire valeur, par laquelle il
dompta plusieurs nations. On rapporte aussi qu'il assembla les gens
de guerre qui étaient coupables du meurtre des Empereurs
Aurélien, et Tacite, et qu'après leur avoir reproché fortement
leur perfidie, il les condamna au dernier supplice. Saturnin Maure
de nation son intime ami ayant formé des desseins de rébellion
contre lui, un particulier lui en donna avis : mais parce qu'il crut
que l'avis était faux,il fit châtier le particulier comme un
imposteur. Ce qui n'empêcha pas que les gens de guerre ne se
défissent de Saturnin. Un autre se souleva en la grande Bretagne, où
l'Empereur Probus lui avait donné le commandement des troupes à la
prière de Victorin Maure de nation, son ami particulier.
L'Empereur s'en étant plaint à Victorin celui-ci lui demanda
permission d'aller trouver le rebelle, et l'ayant obtenue il se
rendit en la grande Bretagne,où il fit semblant de s'être sauvé pour
éviter les effets de la colère de Probus, et ayant été reçu très
civilement, il trouva moyen de tuer durant la nuit le rebelle, après
quoi il retourna vers l'Empereur qui gagnait de jour en jour
l'affection de tout le monde par sa douceur, et par sa libéralité.
L'armée romaine fut extrêmement incommodée de la disette des vivres
pendant la guerre que l'Empereur fit aux Germains, qui attaquaient
diverses villes de son obéissance. On dit qu'une grande pluie étant
survenue, il se trouva du blé mêlé avec l'eau, que les soldats s'en
étant nourris, reprirent de nouvelles forces, et défirent leur
ennemis. Outre les conjurations que je viens de remarquer, on en
forma encore une contre Probus. Carus qui commandait dans une
Province d'Europe ayant reconnu que ses soldats méditaient de lui
déférer la souveraine puissance, en avertit l'Empereur, et le
supplia de le rappeler. L'Empereur ayant refusé de lui donner un
successeur, les soldats entourèrent Carus, l'obligèrent malgré qu'il
en eût à accepter la couronne, et marchèrent sous fa conduite vers
l'Italie. Probus assembla à l'heure même des troupes, et les envoya
sous un bon chef contre les rebelles. Mais dés qu'elles eurent
appris que Carus était proche, ils se saisirent de leur chef, le
lièrent, le mirent entre les mains de leur ennemi, et s'y
rendirent elles-mêmes. Les gardes de Probus ébranlés par cet exemple
de la perfidie de l'armée, le tuèrent dans la sixième année de son
règne.
CARUS.
[5417] CArus s'étant
ainsi rendu maître de l'Empire, mit le diadème sur le front de ses
deux fils, Carin, et Numérien, et partit à l'heure même avec ce
dernier pour aller faire la guerre aux Perses. Il s'empara d'abord
des Villes de Ctésiphon, et de Séleucie. Comme les Romains étaient
campés dans un fond, peu s'en fallut qu'ils ne fussent noyés par le
fleuve que les Perses détournèrent par un canal, et firent inonder
sur eux. Mais enfin Carus ayant remporté l'avantage retourna à Rome
avec une multitude innombrable de prisonniers, et un inestimable
butin. Il réprima ensuite une révolte des Sarmates, et les réduisit
à son obéissance. Il était Gaulois de nation, vaillant homme, et
expérimenté dans l'art de la guerre. Les écrivains ne
s'accordent point en la manière de rapporter sa mort. Les uns disent
qu'il mourut dans une guerre contre les Huns. Les autres assurent
que comme il était campé le long du Tigre, il fut frappé de la
foudre, et que la tente en fut consumée. Numérien son fils étant
resté seul Empereur mena l'armée contre les Perses, donna bataille à
ces peuples, et la perdit. Quelques-uns dirent qu'il fut pris dans
la déroute des Romains, et écorché vif. D'autres assurent que comme
il retournait de Perse il fut attaque d'un mal d'yeux, et que par la
perfidie de son beau-père, qui étant Préfet du Prétoire ne se
contentait pas de fa dignité, et aspirait à la souveraine puissance.
Il ne jouit pas pourtant du fruit de son crime, parce que l'armée
élut pour Empereur Dioclétien, vaillant homme qui était présent, et
qui s'était signalé dans cette dernière guerre. Le premier exploit
de son règne depuis son arrivée à Rome, fur la défaite de Carin fils
de Carus, qui s'était rendu fort odieux par l'infamie de ses
débordements, et par l'excès de sa cruauté, et de sa vengeance. La
domination de ces trois Princes ne dura pas plus de trois ans. Ce
fut en ce temps là que le détestable Manez Manez auteur de la secte
des Manichéens partit de Perse pour répandre par tout le monde le
poison de ses erreurs. Il s'appelait quelquefois le Saint Esprit,
lui qui était visiblement possédé par un très méchant esprit.
Quelquefois il s'appelait Christ, lui qui n'avait point d'autre
onction que celle dont le Démon consacre les ministres. Il menait
douze disciples qui étaient autant de prédicateurs de ses
extravagances, donc le mélange confus était comporté du reste des
hérésies précédentes.
[5443] Denys après
avoir conduit neuf ans l'église de Rome, eut Félix pour successeur.
Celui-ci ayant survécu cinq ans, fut suivi d'Eutichien, qui n'exerça
que dix mois cette charge pastorale,et& la laissa par sa mort à
Caius, qui gouverna l'église environ quinze ans, et Marcellin fut
choisi après lui pour remplir sa place. Le temps de tous ces évêques
fut un temps de persécution, et de troubles.
[5451] Timée succéda
à Domne dans le gouvernement de l'église d'Antioche, Cyrille à
Timée, et Tyran à Cyrille. Sous le pontificat de ce dernier les
fidèles furent extrêmement tourmentés par leurs ennemis, et opprimés
par leurs ennemis, et opprimés par la pesanteur d'une domination
tout à fait insupportable.
[5453] Himénée évêque
deJérusalem étant mort, Zabdas lui succéda, et celui-ci étant mort
aussi incontinent après, Ermon fut placé sur son siège, donc il fut
un grand ornement.
[5454] Maxime qui
avait succédé à Denys, et qui avait gouverné dix-huit ans après lui
l'église d'Alexandrie, la laissa par sa mort à Théon, qui depuis la
laissa pareillement à Pierre qui reçût la couronne du martyre. Voilà
quelle fut la suite des évêques des grands sièges.
DIOCLÉTIEN.
[5457] Dioclétien
était de Dalmatie, et de si basse naissance, que quelques-uns
assurent qu'il avait été l'affranchi d'un Sénateur, nommé Anulin. De
simple soldat il devint général des troupes de Mésie. D'autres
prétendent qu'il était Comte des domestiques, et quelques-uns
croient que ces domestiques étaient ceux qui composaient la
garde à cheval. En haranguant l'armée il protesta qu'il n'avait
point eu de part au meurtre de Numérien, et s'étant tourné à
l'heure même vers Aper Préfet du Prétoire, il dit voilà celui qui
lui a porté le coup de la mort, et en disant cette parole, il le
perça de son épée. Quand il fut arrivé à Rome il se chargea de
l'administration de l'Empire, mais en ayant considéré le poids, et
ne s'étant pas trouvé capable de le supporter seul, il le partagea
avec Maximien Herculius en la quatrième année, où selon quelques
auteurs en la seconde année de son règne. Ils excitèrent tous deux
ensemble d'un commun accord, une persécution plus violente, et plus
cruelle contre les Chrétiens, que toutes celles qui avaient jamais
été excitées par le passé. Ils ne prétendirent rien moins que
d'exterminer du monde le nom du Sauveur, et ils massacrèrent
dans toutes les Provinces, et dans toutes les villes une si
prodigieuse multitude de ceux qu leur curent la générosité de le
conseiller qu'il ne nous est pas possible de les compter; et
s'appliquèrent à ces sanglantes exécutions, avec un soin
incomparablement plus grand qu'à toute autre affaire. Les habitants
de Busiris et de Copte Villes d'Égypte voisines de Thèbes s'étant
soulevés, Dioclétien les assiégea, et après les avoir prises les
ruina de fond en comble. Celle d'Alexandrie avec l'église, prit
incontinent après les armes contre les Romains à la persuasion
d'Achille ; mais les rebelles n'ayant pas eu des forces capables de
résister à la puissance de Dioclétien, ils furent châtiés avec
Achille leur chef.
[5479] Au reste les
Empereurs déclarèrent tous deux leurs gendres Césars, savoir
Dioclétien honora de cette dignité Maximien Galère, à qui il avait
donné en mariage, Valérie sa fille ; et Maximien Herculius honora de
la même dignité Constance qui pour la pâleur de son visage avait été
surnommé Clorus, et oui comme nous l'avons déjà dit, était petit
fils de l'Empereur Claude. Il lui donna aussi en mariage Théodore sa
fille. Ces deux Césars étaient mariés dès auparavant. Mais ils
répudièrent leurs femmes pour rentrer dans l'alliance des
Empereurs.
[5483] Maximien alla
dans les Gaules, où il réprima les entreprises d'un rebelle nommé
Amand. Le Préfet Alcopiodote défit à peu prés au même tems Crassus,
qui depuis trois ans s'était emparé de la grande Bretagne. Herculius
dompta les Quinquegentiens qui pillaient l'Afrique. Constance César
combattit les Allemands dans les Gaules, et en un même jour, fut
vaincu et vainqueur. Les Allemands fondirent d'abord avec une si
extrême violence sur son armée, qu'ils la contraignirent de
tourner le dos. Constance se retira le dernier, et les ennemis
firent tous leurs efforts pour le prendre. Il courut sans doute le
dernier hasard, et n'eut jamais évité de tomber entre leurs mains,
si lorsqu'il fut arrivé à une ville où il se voulait retirer, et
donc les portes étaient fermées, et n'eût été tiré par dessus la
muraille avec des cordes. Il rallia à l'heure même ses troupes,
releva leur courage par ses discours, les mena contre les Allemands, en tua environ soixante mille sur la place, et remporta une très
signalée victoire.
[5495] Narzez régnait
alors sur les Perses, et était le septième depuis Artaxerxe, qui
comme nous l'avons vu avait rétabli l'Empire de sa nation. Cet
Artaxerxe, ou Artaxare (car on l'appelle indifférement de ces deux
noms) eut Sapor pour successeur. Hormisdas succéda à Sapor, Vararane
à Hormisdas, Vararace à Vararane un autre Vararane à Vararace, et
enfin Narsez à ce Vararane.
[5500] Comme ce Narsez faisait lz dégât dans la
Syrie, Dioclétien se rendit en Éthiopie par l'Égypte, et envoya
contre lui Maximinien Galère son gendre avec de bonnes troupes. Ce
Prince ayant été vaincu dans une bataille, Dioclétien le renvoya
avec une armée plus puissante que la première. Il remporta cette
seconde fois une victoire si entière, qu'elle effaça toute la honte
de sa défaite. La plus grande partie de l'armée des Perses fut
taillée en pièces dans ce combat. Narsez y fut blessé, et poursuivi
jusques dans le cœur de son pays. Ses femmes, ses sœurs, ses
enfants, et les premiers de son état y furent pris avec l'argent, et
le bagage. Lorsque Narsez fut guéri de sa blessure fit un traité de
paix avec Dioclétien et Galère, retira les femmes, et ses enfants
d'entre leurs mains, et leur abandonna les villes, et les pays
qu'ils voulaient. Dioclétien, et Maximien achevèrent heureusement
plusieurs autres guerres, les unes par eux-mêmes, et les autres par
les Césars leurs gendres, et par d'autres chefs, et accrurent
extrêmement l'étendue de leur Empire. La gloire de ces succès donna
une si étrange vanité à Dioclétien, que ne le consentant plus
d'être salué par les Sénateurs selon l'ancien usage, il voulut en
être adoré. Il enrichit d'or et de pierreries ses habits, et ses
souliers, et rendit les ornements Impériaux beaucoup plus précieux
qu'ils n'avaient été auparavant : Car il est certain que les
Empereurs ses prédécesseurs ne recevaient point d'honneurs
différents de ceux que recevaient les consuls, et qu'ils n'avaient
point d'autre marque de dignité que la robe de pourpre. Bien que la
persécution se fut répandue depuis plusieurs années par tout
l'Empire, et qu'une quantité incroyable de Chrétiens tant hommes que
femmes, fussent morts constamment pour la défense de leur maître,
il y avait encore un nombre innombrable de personnes qui faisaient
profession de cette Religion. Ce fut pour ce sujet qu'en la
dix-neuvième année du règne de Dioclétien les deux Empereurs firent
publier un édit par lequel ils ordonnaient de démolir les églises
des Chrétiens, de brûler leurs livres et d'exécuter à mort leurs
docteurs, et leurs prêtres, d'exclure des dignités, et de l'armée
ceux qui s'y trouveraient de cette secte, et de réduire à la
servitude les personnes privées.
[5512] L'année
suivante ces deux Princes d'un commun accord se démirent de la
souveraine puissance, protestant en public qu'ils ne se sentaient
pas des foces suffisantes pour en soutenir la pesanteur, et avouant
en particulier à leurs amis qu'ils ne s'en défaisaient que par dépit
de n'avoir pu abolir le nom Chrétien. Ils renoncèrent le même jour à
l'Empire, savoir Dioclétien dans Nicomédie, et Maximien dans Milan.
Après quoi le premier demeura dans Salone ville de Dalmatie, d'où il
avait tiré sa naissance, et l'autre demeura dans la Lucanie. Avant
néanmoins cette solennelle renonciation ils jouirent de l'honneur du
triomphe pour l'heureux succès de la guerre contre les Perses. Les
femmes, les sœurs et les enfant de Narsez, les chefs et les généraux
vaincus, le riche butin pris sur les ennemis servirent d'ornement à
cette pompe.
[5518] Il ne sera peut-être pas hors de propos d'expliquer en
cet endroit d'où vient du nom de triomphe. Quelques-uns croient
qu'il vient du nom de Trion qui signifie des feuilles de figuier.
Car avant que l'art de faire des masques eût été inventé les acteurs
se couvraient le visage de feuilles pour débiter des railleries en
vers iambiques. Dans la cérémonie des triomphes les soldats se
couvraient de semblables feuilles, quand ils se voulaient
moquer des vainqueurs. D'autres prétendent que le mot de
triomphe vient des trois ordres qui paraissaient dans ces actions si
solennelles, et qui marchaient séparément savoir le Sénat, le
peuple, et l'armée.
[5524] Quand la cérémonie fut achevée, ils remirent
l'autorité souveraine entre les mains des Césars, et partagèrent
entre eux les Provinces en attribuant a Maximien Galère l'Orient, et
l'Illyrie, et à Constance Clorus l'Occident, et l'Afrique. Au temps
qu'on faisait ce partage de l'Empire, les soldats des gardes
proclamèrent Empereur dans Rome Maxence, fils de Maximien Herculius.
[5530] Entre ces trois princes, Constance qui commandait dans la grande
Bretagne, dans les Alpes Cottiennes, et dans les Gaules usait d'une
grande douceur envers tous ses sujets, et principalement envers les
Chrétiens, et se montrait tout à fait au dessus de la passion du
bien. Maximien au contraire persécuta cruellement les Chrétiens en
Orient, et gouverna les peuples avec la dernière dureté. Comme il
était dans l'excès des débordements, il ne se contentait pas de
violer des personnes de médiocre condition ; mais il enlevait les
femmes de la première qualité d'entre les bras de leurs maris, et
les leur renvoyait après qu'il avait satisfait sa brutalité, et ses
désirs. Il était fort adonné à l'art de deviner, n'entreprenait rien
sans consulter les devins, et leur rendait de grands honneurs. Il
déclara une guerre irréconciliable à la piété, poursuivant
impitoyablement des personnes irrépréhensibles, et confisquant
leur bien, quoi qu'il ne pût les accuser d'aucun autre crime, que de
celui de connaître Dieu, et de l'honorer.
[5536] Maxence ne
commandait pas dans Rome avec plus de clémence, ni plus de justice.
Il imitait la cruauté de Maximien contre les Chrétiens, et sa
perfidie envers le reste des peuples. Il faisait mourir les
personnes les plus illustres sans aucune formalité : il enlevait des
filles, et des femmes de condition : il prenait le bien des riches ;
et accablait le peuple d'impositions nouvelles, et insupportables.
Ayant un jour conçu une furieuse passion pour une dame romaine qui
n'était pas moins illustre par sa vertu que par sa naissance, il
l'envoya quérir par les ministres ordinaires de ses plaisirs. Quand
elle vit qu'elle ne se pouvait exempter d'être menée à l'Empereur,
et que son mari qui était présent n'osait s'opposer à cette
violence, elle demanda un peu de temps pour se parer. Elle avait
reçu le baptême, et. faisait profession de la Religion chrétienne,
Quand elle fut feule dans son cabinet, elle s'enfonça un poignard
dans le sein, préférant ainsi la chasteté à la vie, et se délivrant
par une action si hardis des infâmes poursuites de Maxence.
[5545] Sous le règne
de ces trois princes Dioclétien, et Maximien. moururent dans une
condition privée bien que les écrivains ne conviennent point du
genre, ni des circonstances de leur mort. Car Eusèbe dit, dans le
huitième livre de son histoire de l'église que Dioclétien après
avoir perdu l'usage de la raison, et avait été consumé d'une longue
maladie finit misérablement sa vie criminelle, et que Maximien
Herculius se pendit lui-même par désespoir. D'autres auteurs
rapportent que ces deux princes s'étant repentis de s'être démis de
la souveraine puissance, et ayant entrepris de s'y rétablir, furent
exécutés à mort par arrêt du Sénat.. D'autres disent que Maximien
Herculius ayant conçu le désir de rentrer en possession de l'Empire,
il le communiqua à Dioclétien, mais que celui-ci l'ayant rejeté,
Maximien entra dans le camp, et tâcha de persuader aux gens de
guerre, que son fils était incapable du commandement. Ils jugèrent
par son discours qu'il avait dessein de se rendre maître du
pouvoir absolu, et en témoignèrent de l'indignation ce qui l'obligea
à déclarer qu'il n'avoir point eu d'autre intention que de fonder la
disposition de l'armée, et d'éprouver son affection envers son fils,
et que par ce moyen il l'apaisa. Ils ajoutent qu'il alla ensuite
dans les Gaules trouver le grand Constantin auquel il avait donné
Fauste sa fille en mariage, qu'il tâcha d'usurper son état, et que
son dessein ayant été découvert, et ruiné, ce fut alors qu'il se
procura la mort. Mais enfin
ces deux princes finirent leur vie d'une des manières que je viens
de rapporter.
[5560] Constance
après avoir gouverné l'Empire onze ans avec beaucoup de douceur,
mourut dans la grande Bretagne au regret de ses sujets. Avant
sa mort il nomma pour successeur le grand Constantin, l'aîné de ses
fils qu'il avait eu de sa première femme. Car il en avait eu
d'autres de Théodore fille d'Herculius, savoir Constantin,
Annaballien, et Constance. Constant préféra Constantin à ses frères,
parce qu'il les jugeait incapables de commander. Ou plutôt ce fut la
divine Providence qui le choisît pour avancer sous son règne la
publication de la vérité, et pour délivrer les peuples de la
tyrannie. On dit que comme Constance s'affligeait durant sa dernière
maladie de l'incapacité des trois plus jeunes de ses fils, un ange
lui apparut, et lui commanda de choisir Constantin
pour successeur.
[5568] Il l'avait mis dans sa jeunesse auprès de Galère
afin qu'il lui servit comme d'un gage de sa fidélité, et qu'il
apprît sous lui l'art de la guerre. Galère conçut de la jalousie de
son adresse, et de sa valeur, et il tendit des pièges dans un combat
contre les Sarmates. Il lui commanda d'attaquer leur chef qui le
faisait remarquer sur tous les autres par la beauté, et par l'éclat
de ses armes. Constantin le prit, et le mena à Galère. Ce Prince lui
commanda une autre fois de combattre un effroyable lion. Il s'exposa
à ce danger, et en échappa par une protection visible du Ciel, Mais
ayant reconnu par l'excès de la jalousie dont Galère était animé
contre lui, et le désir dont il brûlait de le perdre, il se retira
avec ses amis, et alla trouver Constance son père. Voilà de quelle
manière il évita les pièges de son ennemi, et parvint à l'Empire.
MAXIMIN.
[5576] Maximin
associa à l'Empire Licine originaire de Dacie et beau-frère du grand
Constantin, et le lassa dans l'Illyrie pour défendre la Thrace
contre les interruptions des étrangers. Quant à lui il alla à Rome à
dessein d'y combattre Maxence, ayant depuis conçu quelque soupçon de
la fidélité des troupes, et appréhendé qu'elles ne se rendissent à
son ennemi, il jugea à propos de se retirer. Après cela il se
repentit d'avoir associé Licine à l'Empire, lui dressa des pièges,
et enfin l'attaqua à force ouverte. Mais ayant été vaincu, et
contraint de prendre la fuite, il se tua de désespoir.
[5582] D'autres
racontent sa mort d'une autre manière, et disent que par un effet
visible de la colère du Ciel il fut châtié de la fureur qu'il avait
fait paraître contre la piété chrétienne. Un ulcère formé dans les
parties que la pudeur ne permet pas de nommer, consuma en lui les
instruments de ses débauches. La corruption en était si horrible
qu'on en voyait sortir quantité de vers. Les médecins qui n'osèrent
entreprendre de le guérir furent égorgés sur le champ en punition de
leur retenue, et ceux qui l'entreprirent, et ne purent en venir à
bout furent exécutés par des supplices nouveaux, exquis, comme des
criminels, qui avaient joint la perfidie à l'ignorance. Mais enfin,
cet impie s'étant aperçu trop tard que le mal qu'il souffrait
était le juste châtiment des violences qu'il avait exercées contre
l'innocence des chrétiens, révoqua les édits qu'il avait auparavant
publiés contre eux, leur permit l'exercice de leur religion, et leur
ordonna de faire des prières pour sa faute. On raconte ce fait en
deux différentes sortes. La première est, qu'après qu'il eut
été guéri contre toute sorte d'espérance, au lieu de changer de
mœurs, il continua, et accrut la persécution jusques à ce qu'il eût
bu toute la lie de la coupe que Dieu tient à sa main dans sa colère.
D'autres soutiennent que bien loin de guérir de ce mal, il en
mourut, et que les accidents en furent si horribles qu'il jeta des
vers par sa bouche. Bien que je ne puisse marquer affirmativement
de quelle manière il finit sa vie, je puis avancer que ce fut de
l'une de celles que je viens de rapporter.
Marcellin étant mort
après avoir gouverné deux
ans l'église
de Rome, Eusèbe lui succéda, ne lui
survécut qu'un
an, et eut Miltiade pour successeu. Celui-ci s'acquitta des
fonctions pastorales l'espace
de quatre ans,
après lesquels Sylvestre fut choisi
pour remplir
sa place. Tiran exerça pendant treize ans la charge épiscopale dans
Antioche. Vital lui succéda,
et six ans après Philogène succéda à Vital.
Cinq ans après
il eut Paulin pour successeur.
Après que
Jabdas se fut acquitté pendant dix ans du sacré ministère dans le
siège de l'église de Jérusalem, Hernom y fut élevé en sa place.
Après le
martyre de Pierre, qui avait honoré la chaise de l'église
d'Alexandrie l'espace de onze ans qu'il l'avait remplie,
Alexandre fut placé dessus pour s'y acquitter des mêmes devoirs de
la charité du sacerdoce.
Après que
Sylvestre eut conduit vingt-huit ans les fidèles de la ville de
Rome, Jules lui succéda qui les conduisit quinze ans. Libère Ies
conduisit après lui six ans, et Damase vingt-huit après Libère.
Sirice lui succéda dans ce ministère, dont il s'acquitta seize ans.
Innocent fut élu après sa mort, et enseigna pendant quinze ans le
peuple du Seigneur. Zosime fut placé après lui sur la chaise de
l'église romaine, où il demeura douze ans, après lesquels Célestin
la remplit dix ans. Sixte lui succéda, et lui survécut huit ans.
Léon qui fut choisi pour remplir fa place défendit pendant vint-
quatre ans la bonne doctrine. Hilaire succéda à Léon, et six
ans après donna lieu à l'élection de Simplicius. Celui-ci ayant
rempli l'espace de dix-neuf ans les fonctions de son ministère, le
laissa à Félix qui s'en acquitta durant neuf, après lesquels il fut
défère à Gélase, qui l'exerça cinq ans. Anastase fut élu après lui,
et quatre ans après Simmaque lui succéda. Il eut douze ans durant le
conduite des fidèles, laquelle fut confiée ensuite à Hormisdas
; qui étant mort dans la dixième année de son pontificat, le laissa
à Jean qui l'exerça trois. Quand Jean fut mort, Félix fut élevé sur
son siège, où il demeura quatre ans. Boniface qui lui succéda ne
jouit que deux ans de cet honneur.
Agapet
gouverna après lui un pareil espace de temps le troupeau, que JÉSUS
CHRIST le grand pasteur a dans Rome, et rendit ensuite le tribut dû
à la nature. Silvère qui lui succéda ne posséda que deux ans la
dignité épiscopale. Vigile son successeur la posséda dix-huit, à la
fin desquels elle fut déposée entre les mains de Pélage, qui n'en
jouît que cinq. Après lui le siège de Rome fut rempli pendant huit
ans par Jean, et après Jean pendant quinze, par Grégoire. On ne
trouve plus depuis ce temps-là la fuite des évêques de cette ville.
Paulin ayant
été assis cinq ans sur le siège de l'Empire d'Antioche, Eustate lui
succéda pendant dix-huit, et Euphrone succéda à Eustate pendant huit
autres. Phlacite eut ensuite durant douze ans le gouvernement de
cette église, auquel Etienne sectateur d'Arius s'ingéra trois autres
ans. Léonce fut placé ensuite sur le siège de cette église, qu'il
gouverna huit ans. Euxode ne la gouverna qu'un an après lui, et la
laissa à Arien qui la gouverna quatre. Méléce la gouverna vingt-cinq
après Arien, et Flavien vingt-six âpres Mélèce. Théodote qui lui
succéda ne survécut que quatre ans. Jean son successeur en survécut
dix-huit. Domne fut élu après Jean, et exerça huit ans les fondions
épiscopales. Maxime les exerça quatre ans après lui. Quand il fut
mort Martirius fut choisi en sa place qu'il remplit neuf ans. Julien
la remplit ensuite six. Après sa mort Pierre la remplit pendant
trois ans, et Etienne la remplit trois autres ans après la mort de
Pierre. Calandion succéda à Etienne, et quarte ans après un autre
Pierre fut mis sur la chaise de Calandion, et y demeura trois ans.
Pallade son successeur jouît dix ans de cette dignité, et Flavien
successeur de Pallade en jouît treize. Sévère prit sa place après sa
mort, et sept ans après la laissa à Euphrase, qui ne l'ayant tenue
que cinq ans, la laissa à Ephrem, qui la remplit dix-huit.
CONSTANTIN.
[1] Constantin ce
prince si célèbre parmi les Empereurs, et si religieux parmi les
Chrétiens, succéda aux états de son père de la manière que je viens
de rapporter. Constance l'eut d'Hélène au sujet de laquelle les
historiens ne sont point d'accord. Quelques-uns soutiennent qu'elle
fut femme légitime de Constance, & qu'elle ne fut répudiée de lui
qu'au temps qu'il épousa Théodore fille de Maximien Herculius, et
qu'il fut déclaré César. Les autres prétendent qu'elle n'était point
sa femme, et qu'il ne l'avait prise que pour sa beauté.
[5] Lorsqu'il se
mit en possession des états de son père qui contenaient la grande
Bretagne, les Alpes et les Gaules, il était encore contraire aux
Chrétiens, et engagé dans la superstition, où Fauste sa femme qui y
était elle- même fort attachée le retenait. Fauste était fille de
Maximien Herculius, Constance et Constantin ayant épousé les deux
soeurs.
[8] L'Empire étant
alors partagé entre trois princes, savoir Constantin Licine et
Maxence, ce dernier abusait de son autorité pour opprimer les
sujets, comme je l'ai déjà remarqué. Quand sa domination fut devenue
tout à fait insupportable aux peuples, ils supplièrent Constantin de
les délivrer de la tyrannie. Il leva donc une armée à la tête de
laquelle il marcha vers Rome. Maxence demeura longtemps renfermé
dans la ville sans oser paraître pour combattre ; ce qui donna lieu
de l'accuser de lâcheté, et de faire des railleries. Mais enfin il
mena son armée en campagne après avoir ouvert des enfants pour tirer
des présages par l'inspection de leurs entrailles, et après avoir
fait d'autres cérémonies impies, dont Constantin fut un peu
épouvanté. Mais son épouvante fut incontinent dissipée par l'éclat
d'une croix qui lui parut dans le ciel avec cette inscription,
Vainquez par ce signe. Il fit faire à l'heure même une Croix d'or
sur le modèle de celle qu'il avait vue dans le ciel, commanda de la
porter dans son armée en forme d'étendard, donna bataille à Maxence,
tailla en pièces une grande partie de son armée, mit le reste en
déroute. Comme Maxence fuyait avec les autres, et qu'il passait à
cheval le pont, il tomba dans le Tibre, et s'y noya.
[17] Les Romains
délivrés, par cette victoire du joug de la tyrannie, ouvrirent leurs
portes à leur libérateur, le reçurent avec des acclamations de joie,
et lui élevèrent une statue dans la place publique. Il voulut
qu'elle eut une Croix à la main, et défendit par édit de persécuter
les Chrétiens. Ayant ainsi joint Rome, et l'Italie à ses états il
n'eut plus que Licine son beau-frère pour compagnon de la souveraine
puissance. Celui-ci se défit du fils, et de la fille de Maximin, de
sorte qu'il ne restait plus que lui et Constantin sur le trône, et
qu'il y avait apparence que si l'un des deux venait à manquer,
l'autre jouirait seul de tout l'Empire.
[23] Voilà comment quelques-uns
disent que Licine se rendit maître des états de Galère. D'autres
rapportent l'affaire autrement, et assurent que quand Licine épousa
la sœur de Constantin, il fut proclamé César par l'armée, qui en
cela même avait dessein de servir Constantin. On ajoute que Licine
ayant été envoyé contre Maximin, il le défit, et fut gratifié par
son beau-frère des états du vaincu, à condition de ne faire aucune
persécution aux Chrétiens. Mais au lieu d'observer cette condition,
il se porta contre la sainte Religion avec une fureur aussi aveugle
qu'aucun de ses prédécesseurs, et exerça contre elle des cruautés
inouïes.
[27] Le différent que Constantin et Licine eurent pour ce sujet
fut un de ceux qui les engagèrent à la guerre, qui après plusieurs
batailles se termina enfin par la victoire de Constantin. Il
fît avec lui un traité par lequel en considération de sa soeur, il
le laissa jouir de l'autorité souveraine. Mais Licine ayant
encore violé l'accord avec son infidélité ordinaire, Constantin le
défit encore une fois, prit Byzance, et Chrysopole, et contraignit
le vaincu de se retirer dans Nicomédie. Alors la soeur de Constantin
le supplia de nouveau de laisser la souveraine puissance à son
mari, ce que n'ayant pu obtenir, elle lui demanda qu'au moins il lui
sauvât la vie. Ainsi il eut ordre de demeurer à Thessalonique,
et d'y mener une vie privée. Les gens de guerre trouvèrent mauvais
que l'on épargnât ainsi un perfide qui avait violé tant de fois ses
promesses, et sur leurs plaintes l'Empereur par ses lettres remit
l'affaire au jugement du Sénat. Quelques-uns disent que cette
compagnie l'abandonna à la discrétion des gens de guerre, qui le
tuèrent ou à Thessalonique, ou proche de Serras. Les autres affurent
qu'au lieu de se tenir en repos dans Thessalonique, il tâcha de
remonter sur le trône, en haine de quoi Constantin commanda de
l'exécuter à mort.
[41] On dit que dans les combats que Constantin donna
à ce Licine, et à Maxence, il vit à la tête de ses troupes un
cavalier armé qui portait Ie signe de la Croix en forme d'étendard,
et qu'il vit à Andrinopole deux jeunes hommes qui taillaient en
pièces ses ennemis. Il vit aussi une nuit durant laquelle tout
le monde se reposait, un grand feu qui éclairait son camp aux
environs de Byzance. Ce qui lui fit croire que ces heureux succès de
ses victoires venaient du ciel.
[45] Quand il se fut ainsi rendu maître
de tout l'Empire, il prit le nom de Flavius, et demeura, dans Rome,
et commença à s'y faire instruire des mystères de la Religion
chrétienne, bien qu'il n'eût pas encore renoncé eaux superstitions
du Paganisme. Il contracta pat la suite du temps une maladie qui
consistait dans une corruption de la masse des humeurs et qui selon
le jugement des médecins avait beaucoup de rapport avec la
lèpre. Les prêtres de Jupiter Capitolin ayant été consultés sur ce
sujet, répondirent que l'unique remède qui le pût soulager était un
bain du sang encore tout fumant de jeunes enfants. On amassa donc
quantité d'enfants de tous les pays de son obéissance, et on
marqua le jour auquel on les devait égorger. Comme il allait au
Capitole à dessein de se baigner dans le sang de ces enfants, il
entendit les cris des mères, qui déploraient leur malheur, et
s'étant comme réveille d'un profond sommeil, il dit les paroles qui
suivent.
" L'impiété du
remède est manifeste, et le succès de la guérison est incertain.
Mais quand il serait certain, je devrais plutôt souffrir les
incommodités de ma maladie, que de m'en délivrer par le massacre de
tant d'innocents, et par la douleur de tant de mères. "
Il commanda
après cela qu'on leur rendît leurs enfants, et pour comble de leur
joie, il joignit la libéralité à la justice, et leur fit donner de
l'argent.
[54] Quelque temps après il crut voir durant la nuit deux hommes
qui lui dirent qu'ils étaient Pierre, et Paul apôtres de Christ, et
que s'il désirait acquérir une parfaite santé de corps et d'esprit,
il fallait qu'il envoyât quérir l'évêque Sylvestre qui le guérirait
de sa maladie, et lui donnerait une vie nouvelle et spirituelle.
Quand il fut éveillé, il manda Sylvestre,et l'ayant reçu avec
respect, je vous prie, lui dit il, de m'apprendre, si vous adorez
deux Dieux, dont l'un s'appelle Pierre, & l'autre Paul ? Nous ne
connaissons qu'un Dieu, répartit l'évêque, dont Pierre et Paul sont
les ministres. L'Empereur lui raconta ensuite son songe, apprit de
sa bouche les premières vérités qui servent comme de fondement à
notre Religion, reçût le baptême par son ministère, et trouva dans
ce bain sacré et mystérieux, une santé parfaite de l'âme, et du
corps. Il publia ensuite des édits en faveur des Chrétiens, leur
permit d'ouvrir leurs églises, et d'en bâtir de nouvelles, autorisa
l'exercice de leur religion, et condamna la superstition païenne,
faisant démolir les temples profanes. Il n'usa de contrainte envers
personne ; mais il témoigna qu'il approuvait ceux qui de leur bon
gré faisaient profession de la piété. Voilà comment il
reçût l'évangile, et comment il délivra de la crainte des
persécutions ceux qui l'avaient reçu, et qui le suivaient comme la
régie de leur vie.
[65] Au reste les
Juifs allèrent trouver la mère de Constantin, et lui dirent qu'il
avait été trompé, et qu'après avoir fait une action pleine de piété,
il s'était porté ensuite à un autre toute contraire. Ils lui
expliquèrent leur pensée, en disant que c'était une action de piété
d'avoir aboli le culte des idoles, mais que c'était une impiété de
croire en JÉSUS CHRIST. Ils ajoutèrent qu'il n'y avait qu'un Dieu,
savoir celui qu'ils adoraient, et que JÉSUS CHRIST n'était qu'un
fourbe, et un imposteur. Hélène ayant rapporté ce discours à
l'Empereur, il ordonna que les Juifs conférassent avec Sylvestre, et
d'autres Chrétiens en sa présence, et en celle de quelques Sénateurs
qu'il choisirait. Sylvestre parla si fortement dans la conférence
qu'il n'y avait point de doute qu'il n'en dût remporter l'avantage.
C'est pourquoi
les Juifs qui en appréhendaient l'événement, déclarèrent qu'ils ne
pouvaient résister à la subtilité, et à l'éloquence de Sylvestre,
mais qu'ils étaient prêts de confirmer la vérité de leur doctrine
par l'évidence des miracles. A l'heure même un imposteur d'entre eux
nommé Zambrez demanda qu'on lui amenât un bœuf sur lequel il put
faire voir la puissance de son Dieu. Quand on le lui eut
amené, il s'en approcha, lui dit quelques mots à l'oreille, et à
l'heure même le bœuf fut agité de tremblement, et de convulsions, et
tomba mort. Les Juifs tirèrent vanité de ce prodige, et publièrent
que le boeuf n'avait pu entendre le nom de leur Dieu sans mourir.
[79] Alors Sylvestre dit, celui qui parle de la sorte à l'oreille d'une
bête, n'entend-il pas ses propres paroles, et ne meurt-il pas sur le
champ ; il ne s'agit pas maintenant de paroles, répartit Zambrez, il
s'agit de preuves, et de miracles. Puisqu'il s'agit de miracles,
reprit Sylvestre, si par la force du nom de JÉSUS CHRIST je
rends la vie à ce bœuf auquel vous l'avez ôtée, ne m'avouerez-vous
pas que j'aurai fait un plus grand miracle que vous. Le Juif en
étant demeuré d'accord, et ayant juré par le salut de l'Empereur que
quand il verrait le bœuf en vie, il croirait en JÉSUS CHRIST.
Sylvestre s'étant donc approché du corps de cette bête, et ayant
levé les yeux au ciel dit à haute voix, si JÉSUS CHRIST que je
prêche est vrai Dieu, lève toi bœuf, et marche. Cet
animal se leva à l'heure même, et ceux qui étaient présents
s'écrièrent tout d'une voix que le Dieu de Sylvestre était un grand
Dieu. Les Juifs se jetèrent en foule aux pieds de ce saint évêque,
et le supplièrent de leur donner le baptême.
[88] La mère de
l'Empereur qui n'était point encore instruite des vérités de la
Religion chrétienne, souhaita de les apprendre, et de recevoir les
sacrés mystères. Dès qu'elle connut le vrai Dieu elle eut la sainte
curiosité de visiter les lieux qui avaient été autrefois honorés de
sa présence, et de voir les belles traces de ses pieds qui avaient
apporté la paix au monde. Elle partit donc avec le vénérable
Sylvestre, alla à Jérusalem, adora le tombeau du Sauveur, trouva la
Croix où son corps avait été attaché, bâtit de magnifiques églises,
retourna trouver Constantin son fils. Cet Empereur eut
trois fils de
Fauste fille de Maximien savoir Constantin, Constance, et Constant,
et une fille nommée Hélène qui fut depuis mariée à Julien. Il
avait eu dès auparavant d'une concubine un autre fils nommé Crispe,
qui avait donné des preuves de sa valeur dans la guerre contre
Licine. Fauste sa belle-mère étant devenue éperdument amoureuse de
lui, et n'en ayant pu obtenir ce qu'elle désirait, l'accusa devant
Constantin d'avoir attenté à son honneur. Ce prince trop crédule en
ce point le condamna à la mort. Mais ayant depuis reconnu la
fausseté de l'accusation, il en tira une terrible vengeance en
faisant étouffer Fauste dans un bain qui pour cet effet avait été
extraordinairement échauffé. Voilà quel fut le châtiment de son
impudicité, et de sa calomnie. Les Sarmates et les Goths ayant fait
irruption sur les terres de l'Empire, et ravagé la Thrace, le grand
Constantin les combattit, et remporta sur eux une mémorable
victoire. Comme il avait dessein de fonder une ville selon l'oracle
qu'il avait reçu, et de lui donner son nom, il se résolut d'abord de
choisir Sardique pour cet effet, puis il eut envie de l'élever sur
le Sigée qui est un promontoire de Troade, où l'on dit même qu'il en
jeta les fondements. Enfin on assure qu'il commença de grands
édifices à Calcédoine, mais que des aigles y volèrent qui prirent
les cordes et les mesures des ouvriers, et les apportèrent à
Byzance. Cet événement ayant été rapporté à l'Empereur, il le prit
pour un avertissement visible du ciel, se rendit à Byzance, en
considéra la situation, la jugea propre pour son dessein, y fit
venir les ouvriers, y bâtit une ville, à laquelle il donna son nom,
et qu'il consacra à la mère de Dieu.
[108]
L'ouvrage fut achevé le onzième
jour de mai de l'an cinq mille huit cent trente-huitième depuis la
création du monde, auquel Constantin en célébra la dédicace.
Quelques-uns ont écrit qu'il commanda à Valens le plus célèbre
mathématicien de son temps d'en faire l'horoscope pour juger combien
elle durerait d'années. Valens ayant considéré le Ciel
répondit que le ville durerait six cent quatre-vingt treize ans.
Ce terme là étant expiré il y a longtemps, il faut croire que la
prédiction de Valens était fausse et que son art était trompeur.
Ou bien il faut expliquer la prédiction de la durée du gouvernement
pendant lequel le Sénat conservait son ancienne autorité, et où les
peuples étaient gouvernés selon les lois, sans qu'ils eussent encore
subi le joug d'une tyrannique domination. Les Princes
n'usurpaient pas alors le bien public, comme s'il eût été à eux en
particulier. Ils ne l'employaient pas à des plaisirs qui
souvent ne font ni honnêtes, ni légitimes. Ils n'en faisaient pas
des largesses superflues, ou extravagantes. Ils imitaient les
pasteurs qui en tondant leurs brebis ne leur ôtent que la laine qui
les incommode, et qui ne tirent jamais leur lait qu'avec beaucoup de
retenue, et n'avaient rien de la cruauté des voleurs qui ravagent le
troupeau, qui égorgent les moutons, qui mangent leur chair, qui
sucent leur mœlle. Voilà comment l'Empereur fonda la ville de
Constantinople, au lieu même où avait été celle de Byzance. Cette
dernière était autrefois fort célèbre par la beauté de son assiette,
par la bonté de ses murailles, par la multitude, la valeur, et les
richesses de ses habitants. Elle soutint un siège de trois ans sous
le règne de Sévère comme nous l'avons vu en son lieu. Dion écrivant
l'histoire de ce Prince parle en ces termes de la puissance de cette
Ville. Les murailles de Byzance étaient extrêmement fortes. La face
qui paraissait au dehors était de pierres carrées, liées ensemble
avec des barres de fer. Le dedans était soutenu d'arc-boutants et
d'autres édifices qui semblaient ne faire qu'un seul corps avec la
muraille. Elle était embellie de quantité de tours qui avaient des
saillies, et des ouvertures.
[120] "Elle
était haute à l'endroit de la terre, et basse à celui de la mer. Les
deux ports se fermaient avec des chaînes, et étaient fortifiés par
de bonnes tours. II y avait dans ces ports cinq cent vaisseaux, dont
la plupart n'avaient qu'un rang de rames, et les autres deux,
Quelques-uns avaient double gouvernail, l'un, à la poupe, et l'autre
à la proue, de sorte que sans se tourner ils pouvaient aller
aisément de côté, et d'autre, attaquer les ennemis."
[122] Dion ajoute
que depuis la porte de Thrace jusques à la mer il y avait sept tours
qui étaient faites de telle sorte que quand ou parlait, ou qu'on
faisait du bruit dans l'une des sept, à la réserve de la première,
la parole où le bruit ne se communiquaient point aux autres. Mais
quand on parlait dans la première, ou que l'on la frappait avec une
pierre, le son passait à la seconde, et aux autres ensuite dans leur
ordre.
[125] Tel était
l'état de Byzance, dont l'incomparable Constantin accrut extrêmement
l'étendue et la beauté par la magnificence des églises, et ces
autres édifices qu'il y éleva. Un des plus riches ornements donc il
l'embellit, fut la colonne de porphyre que l'on dit qu'il fit
apporter de Rome, et qu'il plaça dans la place publique parée de
grandes pierres. Il mit tout proche la célèbre statue de
bronze dont on ne saurait assez admirer l'artifice, et la grandeur.
C'est un ouvrage auquel la main d'un des plus habiles maîtres de
l'antiquité semble avoir inspiré la vie. On dit que c'était une
statue d'Apollon qui avait été apportée de Troie en Phrygie. Mais
l'Empereur y fit mettre son nom, et fit attacher à la tête
quelques-uns des clous qui avaient attaché le Sauveur à la croix. Cette statue
est demeurée jusques à notre temps sur une colonne. Mais sous le
règne d'Alexis Commène fut renversée par le vent, et brisée par la
violence de sa chute, par laquelle elle écrasa aussi plusieurs
personnes. Constantin fit apporter de Troie l'image si fameuse de
Pallas, et la mit à Constantinople dans la place dont j'ai parlé.
Parmi les privilèges dont il releva la splendeur de cette ville, je
ne dois pas omettre de remarquer qu'il honora le siège de son église
du titre Patriarcal, au lieu qu'auparavant elle était dépendante de
celle d'HéracIée depuis que la Ville de Byzance avait été pris pat
Sévére, et soumise à celle de Perinte, comme nous l'avons vu dans
l'histoire de ce Prince. Il laissa néanmoins à l'église de Rome
l'honneur de sa primauté à cause de son antiquité, et du siège
de l'Empire qui avait été transféré à Constantinople.
[138] L'église de
Byzance était alors gouvernée par un saint évêque, nommé Métrophane.
Il était fils de Domitius frère de l'empereur Probus. Ce Domitius
s'étant converti, et ayant été obligé de sortir de Rome pour éviter
la persécution que l'on y faisait aux Chrétiens, alla à Byzance où
il fut élevé à la dignité épiscopale. Son fils nommé aussi Probus
lui succéda, et à ce Probus succéda Métrophane son frère.
[141] Ce fut sous le
règne de Constantin que parut Arius prêtre de l'église d'Alexandrie
qui eut la témérité d'avancer que le Fils, et le Verbe de Dieu était
une créature d'une nature différente de celle du Père, et qu'il
n'était point Éternel comme lui. Il faut pourtant avouer que ce ne
fut pas lui qui inventa ces pernicieuses erreurs, mais que ce
fut Origène qui entre plusieurs hérésies qu'il débita, enseigna que
le Fils de Dieu était créé, qu'il était d'une autre nature que le
Père, et qu'il ne pouvait voir le Père de la même sorte que le
saint Esprit ne pouvait voir le Fils. Origène avait tiré ces
impiétés du mauvais trésor de son cœur. Mais pendant qu'elles
n'étaient que dans les livres, elles y demeuraient comme ensevelies
sous le silence, et n'infectaient l'esprit de personne, au lieu
qu'Arius les a publiées, et leur a donné du crédit et a rempli les
assemblées des fidèles de confusion, et de désordre.
[145] Constantin ne
fut pas plutôt informé de la publication de cette mauvaise doctrine,
qu'il assembla un Concile d'évêques à Nicée pour en arrêter le
cours. Les saints Pères s'assemblèrent donc au nombre de trois cent
dix-huit. Il y avait parmi eux des prêtres, des diacres, et des
moines. Le grand Athanase s'y trouva, bien qu'il ne fût que dans
l'ordre des diacres. L'Empereur très Chrétien y assista, prit séance
parmi les évêques, fit examiner les propositions d'Arius pour
reconnaître si elles étaient contraires aux sentiments orthodoxes.
Les évêques après un examen très exact déclarèrent, Que le Fils de
Dieu est de même substance que son Père, qu'il a la même Éternité,
et qu'il mérite les mêmes honneurs. Ils retranchèrent en même tems
de la communion des fidèles, Arius, et ses sectateurs. Eusèbe
surnommé Pamphile, évêque de Césarée en Palestine suivit la doctrine
d'Arius. Mais on dit qu'il l'abandonna depuis pour embrasser celle
de la consubstantialité, et de la coéternité, et qu'il fut reçu par
les saints évêques dans leur communion. Il paraît par les actes du
premier Concile qu'il défendit les fidèles avec beaucoup de vigueur.
Voilà ce que quelques-uns publient de lui, et la manière dont il
parle dans son histoire ecclésiastique semble rendre probable ce
qu'ils en disent. En effet il semble souvent y favoriser Arius ; en
effet en expliquant des le commencement ces paroles de David : Il
a parlé, et tout a été fait, il a commandé, et tout a été créé.
Il fait entendre que le Père est le souverain qui donne les ordres
pour la création du monde, et que le Verbe est comme sous lui pour
les exécuter. Il dit encore que le Verbe étant la puissance, et la
sagesse du Père, il possède après lui le commandement de l'Empire
sur tout l'Univers. Il enseigne encore un peu après qu'il y a eu une
substance plus ancienne que le monde, et qui a servi au Père à le
créer, et dont il prétend que Salomon parle quand sous le nom de la
Sagesse, il dit le Seigneur m'a créé au commencement de ses voies.
Après avoir inséré d'autres discours, il ajoute ce qui suit. Le
Verbe de Dieu qui est avant les siècles, et qui a reçu du Père
l'honneur, et la gloire est adoré comme Dieu.
[156] Ces passages,
et quelques autres font voir qu'Eusèbe a tenu la doctrine d'Arius,
si ce n'est que quelqu'un veuille dire qu'il avait composé cet
ouvrage avant que de reconnaître, et d'embrasser la vérité. Le
saint Concile ayant défini que le Fils de Dieu est de même
subsistance que son Père, et qu'il est Éternel comme lui, composa
un Symbole où il expliqua la divinité du Père et du Fils, et qu'il
finit par ces paroles, dont le règne n'aura point de fin. Car
la doctrine qui regarde le saint Esprit ne fut ajoutée que dans le
second Concile tenu contre les erreurs de Macédonius, où ces
questions furent agitées.
[160] L'Empereur
égal aux Apôtres témoigna aux évêques la joie qu'il avait de voir
leurs différents terminés, et la paix rétablie parmi eux. Il baisa
les précieuses marques que quelques-uns portaient de leur foi, et
les parties de leurs corps où ils avaient souffert pour le
confession du nom du Sauveur, et ne pouvait se lasser de les
féliciter du bonheur de leurs souffrances. Il ne voulut, ni lire, ni
juger les requêtes qui lui avaient été présentées contre quelques
évêques. Mais il les jeta au feu, en disant ces paroles : Si je
voulais un évêque faire une mauvaise raison, je le couvrirais de ma
robe. Il les mena ensuite dans sa ville Impériale, afin qu'ils
attirassent sur elle par leurs prières les bénédiction du ciel, et
qu'ils élussent un patriarche en la place de Métrophane qui était
mort. Ce qu'ils firent en élisant Alexandre, après quoi ils s'en
retournèrent chacun en leurs églises fort satisfait des honneurs, et
des présents qu'ils avaient reçus de la libéralité de Constantin.
[164]
Hélène mère de ce prince mourut à l'âge de quatre-vingts ans, et fut
enterrée avec une grande magnificence dans l'église des saints
Apôtres. L'Empereur ayant entrepris la guerre contre les Perses se
rendit par mer à Soscropole, que l'on appelle maintenant Pithée, y
prit le bain des eaux chaudes qui y sont, et y fut a ce que l'on
dit, empoisonné par ses frères de père. Étant allé de là à
Nicomédie, il y mourut d'une lente maladie, à l'âge de soixante et
cinq ans, dont il en avait régné trente-deux, Constance étant parti
en diligence d'Antioche où il s'opposait aux desseins des Perses,
arriva assez tôt pour assister à sa mort, et pour prendre soin de sa
pompe funèbre, et pour la rendre très magnifique. Le corps fut
déposé dans une galerie de l'église des saints Apôtres. Ce célèbre
Empereur fut accusé d'avoir levé de trop grandes sommes d'argent, et
d'en avoir fait une trop grande profusion. Ainsi la grandeur de sa
dépense au lieu d'être attribuée à magnificence ne devrait être...
Interrompons notre discours pour ne rien dire contre un si grand
Prince.
[170]
C'est ce qui a donné lieu à l'impie Julien de feindre dans
le livre des Césars, un Dialogue où Mercure demande quel est le
caractère d'un bon Empereur, et où Constantin répond, que
c'est d'avoir, et de dépenser beaucoup. On dit qu'il aimait les
sciences, et qu'il ne s'y était pas moins adonné qu'aux armes. Il
parlait bien, et s'insinuait agréablement dans l'esprit. On dit
qu'il haïssait les méchants, et qu'il disait qu'un Empereur ne
devait rien épargner non pas même son propre corps quand il
s'agissait de conserver la tranquillité publique. Il usait au
contraire de clémence envers ceux qui quittaient le crime, & disait
que s'il fallait couper les membres pourris de peur qu'ils ne
gâtassent le reste du corps, il fallait conserver ceux qui
commençaient à guérir.
CONSTANTIN,
CONSTANCE, ET CONSTANT.
[175] Lorsque le
grand Constantin eût pris possession du Royaume du Ciel, l'Empire
qu'il avait possédé sur la terre fut partagé, comme quelques-uns
disent suivant les ordres qu'il en avait donnés, ou par un pur effet
du contentement de ses fils: Enfin de quelque autorité qu'ait
procédé le partage, voici quel il fut. Constant eut l'Italie, Rome,
l'Afrique, la Sicile avec les autres îles, l'Illyrie, la Macédoine,
l'Acaïe, et le Peloponnès. Constantin eut les Alpes surnommées
Cottiennes dc Cottrus qui en était autrefois Roi, les Gaules, & le
détroit des Pyrénées jusqu'au détroit qui sépare l'Espagne du pays
des Maures. Constance eut tout ce que les Romains possédaient en
Orient, la Thrace, et la Ville que l'Empereur, son père avait
fondée.
[181] Dès que ce
partage fut achevé il s'alla opposer aux courses que les Perses
avaient commencé de faire sur les terres des Romains aussitôt qu'ils
avaient appris la mort du grand Constantin. Il s'éleva
cependant un différent entre Constantin et Constant, couchant la
division de leurs provinces, le premier prétendant que le second
devait lui céder une partie de ce qu'il retenait, ou qu'au moins ils
devaient faire ensemble un nouveau partage. Comme Constant
prétendait maintenir le partage qui avait été fait, et ne voulait
rien relâcher de ce qui lui était échu, Constantin prit les armes,
et entra dans son pays. Constant qui était alors en Dacie envoya des
troupes en hâte contre celles de son frère dans la résolution d'y
aller bientôt lui-même avec de plus puissantes forces. Lorsque ceux
qu'il avait envoyés furent proche de Constantin, ils dressèrent une
embuscade, commencèrent le combat, et prirent la fuite. L'armée de
Constantin les ayant poursuivis, elle trouva d'un côté ceux qui
sortirent de l'embuscade, et de l'autre les fuyards qui étaient
retournés à la charge, et fut de la sorte accablée par la multitude.
Constantin fut tué dans le combat, car son cheval s'étant cabré à
cause d'une blessure qu'il avait reçue, et l'ayant jeté à terre, il
y fut percé de plusieurs coups. Voilà comment il déchut de ses
prétentions, et comment il perdit la vie, et l'Empire en punition de
l'injustice par laquelle il voulait usurper les états de son frère.
Constant devint ainsi maître de tout l'Empire d'Occident, mais parce
qu'il s'abandonnait aux plus infâmes plaisirs, et qu'il vivait dans
le dernier débordement, il périt par un effet de la trahison de
Magnence auquel il avait autrefois sauvé la vie, en le retirant
d'entre les mains des soldats mutinés, qui avaient déjà tiré leurs
épées pour se jette sur lui.
[192] Constance
était cependant occupé en Orient à faire la guerre à Sapor roi
des Perses, fils naturel de Narsez. Il avait eu trois fils de sa
première femme, savoir Adanarse, Hormisdas, et un autre. Lorsqu'il
mourut, il eût pour successeur Adanarse son fils aîné. Mais sa
cruauté le rendit si odieux à ses sujets, qu'ils le déposèrent. Je
rapporterai en cet endroit une preuve de la malignité de son
naturel. Narsez son père lui ayant fait voir un jour une tente de
peaux de boeuf de différentes couleurs qu'on lui avait apportée de
Babylone, et lui ayant demandé s'il la trouvait belle, il répondit,
que quand il serait sur le trône, il en ferait faire une plus belle
qui serait toute de peaux d'hommes. Voilà comment il faisait
paraître son inhumanité dés son enfance.
[203]
Dès qu'il eût été dépouillé
de la souveraine puissance, Sapor en fut revêtu, qui mit à l'heure
même Hormisdas en prison, et creva les yeux à son autre frère. La
mère, et la femme du premier ayant gagné ses gardes le visitèrent,
et lui donnèrent une lime, avec laquelle il lima ses chaînes pendant
qu'on lui tenait des chevaux, et des courriers tout prêts pour
l'enlever. Sa femme ayant donc fait un festin à ses gardes, lors
qu'après avoir bien mangé, et bien bu, ils furent dans un profond
sommeil, Hormisdas qui avait rompu les chaînes, et ouvert la porte
de sa prison, s'échappa, et se retira chez les Romains, dont il fut
reçu fort civilement. Sapor au lieu de témoigner du déplaisir de son
évasion, n'en témoigna que de la joie, comme se trouvant délivré de
I'appréhension que lui causait sa présence. Aussi bien loin de le
redemander comme un fugitif, il lui envoya sa femme. Cet Hormisdas
avait une force de corps tout à fait extraordinaire, et une si
grande adresse à jeter son javelot, qu'en le jetant il disait en
quel endroit il frapperait l'ennemi. Il servit Constance contre sa
nation, et commanda des troupes de cavalerie.
[213]
Cet Empereur donna
divers combats aux Perses, et y perdit toujours une partie de ses
gens. Les Perses y perdirent aussi quelques-uns des leurs, et Sapor
même y fut blessé. Magnence crut que le mauvais succès de cette
guerre lui fournissait une favorable occasion d'usurper la
souveraine autorité à laquelle il aspirait depuis longtemps avec une
extrême ambition. Il invita donc à un festin les principaux de la
ville d'Autun, sous prétexte de célébrer son jour natal.
Quelques-uns des invités avaient eu communication de son
dessein, et les autres n'en avaient aucune connaissance. Après avoir
continué le festin bien avant dans la nuit, il se leva de table, et
se retira avec les marques de la dignité Impériale, et avec un grand
nombre de gardes.
[219] Ce spectacle
étonna ceux qui ne savaient rien de son dessein. Mais il gagna les
uns par ses discours, et emporta les autres de force. Il entra donc
avec eux dans le Palais, fit des largesses au peuple, mit des gardes
aux portes de la ville, avec ordre d'y laisser entrer tous ceux qui
le voudraient, et de n'en laisser sortir personne de peur que son
entreprise ne fut trop tôt publiée. Il envoya à l'heure même des
gens de guerre pour faire mourir Constant. Il prenait alors le
divertissement de la chasse, à laquelle il était passionnément
adonné, bien qu'il fût presque toujours tourmenté de la goutte qu'il
s'était attirée par son intempérance. La chasse n'était quelquefois
qu'une couleur, dont il se servait pour cacher ses plaisirs, et pour
dérober aux yeux du public les infâmes divertissements que l'on
disait qu'il prenait avec de jeunes garçons d'une exquise beauté, et
les rares parures entretenaient le feu de sa brutale passion. Il
recherchait aussi la solitude des forêts à dessein de s'éloigner de
la présence des personnes sages, et modérées. Ceux que Magnence
avait envoyés le trouvèrent proche du Rhône où il s'était endormi au
retour de la chasse, et le tuèrent avec un petit nombre de
gardes qui étaient autour de lui. Quelques écrivains racontent là
mort avec d'autres circonstances, et disent que quand il apprit la
conspiration, et
qu'il se vit abandonné des siens, il se retira dans une église, et
il se dépouilla de ses ornements, et d'où il fut tiré de force, et
ensuite tué en la dix-septième année de son règne, et en la
trentième de son âge.
[229]
On dit que l'Empereur son père fit autrefois
faire son horoscope, et que les astrologues prédirent qu'il serait
tué sur le sein de son aïeule. La circonstance du sein de son aïeule
fut cause, parce qu'elle mourut avant lui. Mais la prédiction du
lieu du massacre ne laissa pas d'être vraie. Il fut massacré dans
une petite ville à laquelle on avait donné le nom de l'Impératrice
Hélène, et trouva dans sa mort tragique la peine de la vie
voluptueuse. Magnence s'étant si heureusement rendu maître de
l'Empire, se résolut de tuer tout ce qu'il y avait de personnes
considérables dans l'état. Il les manda pour cet effet par des
lettres écrites sous le nom de Constant, et on fit assassiner la
plus grande partie sur les chemins, sans épargner ceux qui avaient
favorisé sa révolte, et conspiré avec lui contre leur souverain.
Pendant qu'il travaillait ainsi à affermir la puissance qu'il avait
usurpée,
[237]
Constance qui avait appris la mort de Constant son
frère, doutait s'il devait continuer la guerre contre Sapor, ou
tourner les armes contre l'usurpateur pour venger la mort de son frère, et se rendre maître de l'Empire d'Occident. Sapor qui avait
appris aussi bien que Constance la mort de Constant crut devoir
tirer avantage de l'occasion, entre sur les terres des Romains à la
tête d'une formidable armée, prend plusieurs forts, et met le siège
devant Nisîbe. Cette ville faisait autrefois partie de l'Arménie.
Mais elle fut prise par les Romains sur Mithridate, auquel Tigrane
roi d'Arménie l'avait donnée en faveur de mariage. Sapor l'ayant
donc assiégée, employa toute sorte de machines pour la prendre, et
surtout des béliers, et des mines, les assiégés se défendirent
vaillamment, de sorte que Sapor désespérant de les prendre par
force, tâcha de les séduire par la disette des choses les plus
nécessaires.
[245]
ll détourna pour cet effet le cours du fleuve qui
passait au milieu de la ville. Mais cet artifice ne lui ayant de
rien servi, parce que les assiégés avaient une quantité suffisante
d'eau de puits, et de fontaines, il eut recours à un autre
stratagème, qui fut de remonter à la source du fleuve, où il est
extrêmement serré entre des montagnes, d'en arrêter le cours en cet
endroit là par une digue, et puis de rompre la digue, et de lâcher
l'eau, dont la pesanteur et la violence ne manqua pas d'abattre une
partie de la muraille. Quand les Perses virent la ville ouverte, ils
ne se hâtèrent pas d'y entrer, tant parce que la nuit était proche,
que parce qu'ils espéraient s'en rendre maîtres le jour suivant sans
s'exposer au moindre hasard. Cependant les habitants bien
qu'épouvantés de la chute de leur muraille ne perdirent pas pour
cela courage, et travaillèrent toute la nuit a la réparer. A la
pointe du jour Sapor condamna sa négligence, et ne laissa pas
néanmoins de tenter divers moyens pour le rendre maître de la place.
Il y perdit de la sorte vingt mille hommes, et leva enfin le siège
sur la nouvelle que les Massagètes avaient fait irruption en Perse.
Constance eut donc moyen de réparer les fortifications de Nisibe, et
d'y mettre toute sorte de rafraîchissements. Quand il se vit en
repos, et en assurance du côté d'Orient, il marcha vers l'Occident,
où il apprit que Vétranion était d'intelligence avec Magnence.
[256]
Il
commandait les troupes d'Illyrie lorsqu'il reçût la nouvelle
de la révolte de Magnence, et du meurtre de Constant, et au lieu de
suivre le parti de l'usurpateur, il en forma lui-même un nouveau, et
ne laissa pas d'écrire à l'Empereur pour l'exhorter à réprimer
l'insolence du rebelle, et pour l'assurer qu'il s'opposerait de
toute sa puissance à sa révolte. Il ne laissa pas de traiter avec
Magnence, et quand ils furent d'accord, ils envoyèrent une ambassade
à Constance pour lui proposer de mettre les armes bas, et lui offrir
le premier rang. Ces ambassadeurs rencontrèrent Constance à Héraclée
ville de Thrace. Comme il repassait leur proposition par son esprit,
et qu'il était agité d'inquiétudes, il eut un songe durant lequel il
crut voir Constantin son père qui tenait Constant son frère par la
main, et qui lui disait Constant votre frère quoi que descendu d'une
longue suite d'Empereurs a succombé sous l'injustice, et sous la
violence d'un rebelle. Vous êtes obligé de venger sa mort, et
d'empêcher le démembrement de l'Empire . Hâtez-vous donc de réprimer
l'insolence de l'usurpateur. Dès que Constance fut éveillé il
commanda de mettre les ambassadeurs en prison, et se rendit à
Sardique.
[266] Vétranion étonné de l'arrivée si prompte de l'Empereur
alla au devant de lui comme au devant de son maître, et renonça au
traité qu'il avait fait avec Magnence, et à toutes les pensées de
rébellion. Constance le reçût civilement, lui fit l'honneur de le
mettre à sa table. La posture soumise, et respectueuse où il avait
vu Vetranion lui avait sans doute inspiré ces sentiments de
clémence. Car ce rebelle avait posé les marques de la dignité
Impériale, s'était prosterné devant lui en habit de personne privée.
Ce fut ce qui porta Constance à l'appeler son père, à lui tendre la
main pour le soutenir, à le mettre à sa table, et à lui
assigner Pruse ville de Bithynie pour sa demeure, et des terres pour
sa subsistance. Il y passa six ans agréablement, et y mourut d'une
mort tranquille. L'Empereur marcha incontinent après contre
Magnence, qui de Milan où il était, avait envoyé dans les
Gaules Décence son frère avec le titre de César, pour y veiller à la
défense de ces importantes provinces. Sapor faisait cependant
un effroyable dégât en Orient, où il ne trouvait nulle résistance.
Quand il fut las de courir, et de piller nos terres, il
retourna en son pays avec un riche butin, et un nombre innombrable
de prisonniers.
[276] L'empereur se
sentant pressé de deux côtés, et un nombre d'ennemis et
d'inquiétudes, chargea Gallus son cousin du soin de la guerre
d'Orient, après lui avoir donne la dignité de César, et Constantie,
sa sœur en mariage. Gallus César étant ainsi parti pour l'Orient,
Constance se prépara à la guerre contre Magnence, il souhaita
pourtant de la terminer par un accord, de peur que ses sujets ne
trempassent leurs armes dans le sang de leurs proches, et pour cet
effet il envoya des personnes illustres en ambassade vers
l'usurpateur, avec une lettre par laquelle il lui promettait de lui
accorder amnistie de tout le passé, pourvu qu'il mît bas les armes,
et de le laisser jouir de l'autorité souveraine dans l'étendue des
Gaules. Magnence n'ayant rien de modéré dans ses prétentions, rejeta
les offres qui étaient faites, et préféra la guerre à la paix. Il
crut en devoir venir d'autant plus promptement aux mains, qu'un de
ses tribuns nommé Sylvain l'avait abandonné pour le rendre à
l'Empereur. Les deux armées s'étant campées assez proche l'une de
l'autre, les deux chefs exhortèrent chacun leurs gens à faire
paraître leur valeur. Magnence exhorta aussi ses soldats à lui être
fidèles, et leur promit de grandes récompenses. Ils rangèrent leurs
armées en bataille de part et d'autre, et perdirent la meilleure
partie de la journée sans rien entreprendre.
[285]
Magnence eut aussi
recours à la magie, et écouta le conseil que lui donna une vieille
de sacrifie rune jeune fille, et de mêler son sang avec du vin, et
de le donner à boire aux soldats, pendant qu'elle prononcerait
certains termes mystérieux, et qu'elle invoquerait les Démons, Le
combat ayant été commencé sur le soir, il demeura
quelque temps douteux. Mais enfin l'Empereur remporta la victoire,
et plusieurs du parti de l'usurpateur furent tués sur la place.
Alors il ne mit plus l'espérance de son salut que dans la suite, et
pour faire accroire qu'il avait été tué, il prit l'habit d'un
soldat, laissa aller son cheval sans lui ôter les ornements de la
dignité Impériale, afin que ceux qui le verraient de la sorte,
crussent que l'Empereur avait été tué, et qu'ils perdissent l'envie
de le poursuivre.
[291]
On dit que Constance ayant découvert le matin
suivant d'une hauteur où il était monté, la plaine qui avait servi
de champ à la bataille, il versa des larmes, et témoigna plus de
regret de la perte des morts, que de joie de sa victoire. De
quatre-vingt mille hommes qu'il avait eus dans son armée, il en
avait perdu trente mille dans le combat, et de trente-six mille
qu'avait eu Magnence, il en était mort vingt-quatre mille. Il
commanda d'enterrer également tous les morts sans distinction de
parti, et de panser les blessés, et tous ceux qui donnaient encore
quelque marque de vie. Magnence s'étant heureusement sauvé rallia
ceux qu'il put trouver de son parti qui s'étaient échappés de la
défaite, en fit venir d'autres et envoya un sénateur en ambassade à
Constance. Mais ce Prince persuadé qu'il n'était venu qu'à dessein
de découvrir l'état de son armée lui refusa audience. Magnence
envoya après cela des évêques pour implorer sa clémence, et pour lui
demander permission de servir sous ses enseignes, comme un simple
volontaire. Ces prélats ayant été congédiés sans réponse favorable,
et Constance étant parti à l'heure même vit diminuer le parti de son
ennemi par le concours de plusieurs qui l'abandonnaient chaque jour,
qui lui remettraient les places qu'ils gardaient, et qui se
soumettaient à son obéissance.
[299] L'usurpateur espérant plus aucune
grâce, fit de nouvelles levées dans les Gaules, et se prépara à la
guerre. Pour faire quelque sorte de diversion, et pour susciter
d'autres affaires à l'Empereur, il envoya à Antioche un homme qu'il
avait suborné pour assassiner Galius. Cet assassin pour se mieux
cacher alla demeurer hors la ville dans la cabane d'une vieille île
long des bords de l'Oronte, qui fut ainsi nommé du nom d'un ils de
Cambyse Roi des Perses, lequel avait été noyé dans ses eaux. Il
s'appelait avant cela Ophite. Lorsque l'assassin eut gagné plusieurs
soldats, et qu'il crut avoir fort bien préparé son dessein, il s'en
entretint un soir en soupant dans sa cabane sans se défier de la
vieille qu'il tenait incapable d'entendre ce qu'il disait. Elle
l'entendit pourtant fort bien, sans faire semblant de l'entendre, et
lorsque le conjuré eut bu avec excès, et qu'il se fut endormi, elle
sortit secrètement de sà cabane, et alla à Antioche, où elle avertit
Gallus de la conjuration formée contre lui. Il envoya à l'heure même
arrêter le coupable, qui ayant été pressé par la douleur de la
question, avoua toute l'affaire, qui fut terminée par son exécution,
et par celle de ses complices.
[306]
Cependant Magnence ayant levé de
nouvelles troupes donna un second combat, où il fut encore défait,
et mis en déroute. Ses soldats ne voyant aucune apparence de
ressource, crurent qu'il y aurait de l'extravagance à s'opiniâtrer à
soutenir un parti tout à fait ruiné, et résolurent de se saisir de
lui, et de le livrer à l'Empereur. Ayant donc entouré le lieu où il
logeait, ils l'enveloppèrent comme s'ils eussent en dessein de lui
servir de gardes, de peur qu'il ne leur échappât. Lorsqu'il reconnut
leur intention, il se porta avec une fureur désespérée à tuer tout
ce qu'il avoir de parents, de proches, et d'amis, à donner plusieurs
coups à Désidérius son frère, dont aucun ne se trouva mortel,
et enfin à se tuer soi-même, de peur de tomber entre les mains de
Constance, et de souffrir avant la mort un long supplice.
[312]
Décence
son frère auquel il avait donné le titre de César, n'eut pas sitôt
appris cette nouvelle, que désespérant de soutenir son parti
s'étrangla dans les Gaules. Désidérius guérit des blessures que
Magnence son frère lui avait faites, et se rendit volontairement à
Constance. Ce prince reprit de la sorte tout ce que Magnence avait
usurpé, se vit en possession par sa mort de tous les états de
Constantin son père. L'Occident était alors en repos. Mais l'Orient
était en trouble. Gallus enflé de fa fortune usait insolemment de
son pouvoir dans Antioche, et traitait injurieusement les peuples,
tant par sa propre inclination qu'à la persuasion de sa femme.
[318]
L'Empereur qui appréhendait que pressés par l'impatience, et par le
désespoir, ils n'excitassent une guerre civile, envoya à Antioche
Domitien préfet du Prétoire homme d'un âge avancé, avec un ordre
secret de persuader à Gallus de s'en retourner à Constantinople.
Mais au lieu de ménager adroitement une affaire de cette importance,
il ordonna ouvertement à Gallus d'aller trouver Constance, et le
menaça de retrancher les vivres à ses gens, s'il ne partait à
l'heure même. Gallus qui était naturellement fort porté à la colère
le fit arrêter et garder par les soldats, et parce que le trésorier
nommé Montius lui représenta que c'était une entreprise qui tendait
à une rébellion manifeste, il le fit charger de chaînes. Étant
ensuite excité à la vengeance par les discours de sa femme, dont
l'humeur était extraordinairement impérieuse, et violente, il les
mit tous deux entre les mains des gens de guerre qui les traitèrent
outrageusement par la place publique, et qui après leur avoir fait
souffrir divers tourments les jetèrent enfin dans l'Oronte.
[323] Quand la
nouvelle de cette exécution eut été portée à Constance, il envoya
des gens de guerre pour lui amener Gallus. Ne pouvant se dispenser
d'obéir, il fit partir Constantie sa femme la première, afin
qu'elle apaisât l'Empereur son frère. Mais elle mourut en
chemin. Dès que Constance sut sa mort, il dépouilla Gallus de la
dignité de César, et le relégua. Peu après il envoya à la
suspication de quelques-uns de sa Cour des soldats pour le tuer.
Puis s'étant repenti d'avoir donne cet ordre, il le révoqua. Ceux
qui étaient chargés de cette révocation furent retenus par les
ennemis de Gallus, et principalement par l'eunuque Eusèle qui avait
la charge de grand Chambellan, et qui était en grand crédit auprès
de l'Empereur : de sorte qu'ils n'en avertissent point ceux qui
devaient tuer Gallus qu'après qu'il eut été exécuté. Voilà de quelle
mani§re il fut enlevé du monde.
[330] Sylvain
excellent homme de guerre fut envoyé en ce temps-là vers le Rhin
pour réprimer les courses, et les irruptions des belliqueuses
nations qui habitent au delà de ce fleuve. Mais l'Empereur ayant
trop légèrement ajouté foi selon son inclination et sa coutume à des
rapports désavantageux qu'on lui avait faits de ce général, prit
résolution de le perdre. Dès que Sylvain en eut avis, il se déclara
ouvertement contre l'Empereur, et prit l'habit de César. Cette
révolte n'eût aucune suite, parce qu'Ursicin que Constance avait
envoie pour l'assoupir, eut l'adresse de gagner par argent quelques
soldats pour leur faire assassiner le rebelle.
[336] Comme
Constance retournait d'Occident à Constantinople, il reçut dans la
ville de Sirmium des ambassadeurs de Sapor, qui lui redemandèrent la
Mésopotamie, et l'Arménie, comme des provinces qui depuis longtemps
avaient appartenu aux Perses, moyennant quoi ils entretiendraient la
paix, sinon qu'ils prendraient les armes. Constance leur fit
réponse, qu'il s'étonnait de ce qu'ils ignoraient que les Perses
avaient autrefois été sujets des Macédoniens, et que les Romains en
soumettant les Macédoniens, à leur obéissance, y avaient aussi
soumis les Perses. Sapor irrité de cette réponse, prend les armes,
assiège Nisibe, et en ayant été repoussé, attaque d'autres villes
avec aussi peu de succès, et enfin se rend maître de celle d'Amide.
[344] Cependant
Constance ne se trouvant pas capable de gouverner seul un Empire qui
n'avait point d'autres bornes que celles de l'univers, manda
d'Athènes Julien frère de Gallus, le déclara César, et lui donna en
mariage Hélène sa soeur. On dit qu'au temps que sa mère était
enceinte de lui, elle eut un songe, où elle crut accoucher, et
mettre Achille au monde. Dès qu'elle fut éveillée, elle raconta son
songe à son mari, et au même instant accoucha de Julien, presque
sans douleur. Cette naissance extraordinaire ayant donné lieu au
père, et à la mère de concevoir de grandes espérances de leur fils,
ils le mirent entre les mains d'Eusèbe évêque de Nicomédie, afin
qu'il lui enseignât les saintes Écritures.
[348] Constance
l'ayant donc déclaré César, comme je viens de le dire, l'envoya dans
les Gaules avec fort peu de troupes, ce qui fit juger qu'il avait
moins dessein de l'associer à l'Empire, que de lui tendre un piégé
en l'exposant aux ennemis sans lui donner des forces suffisantes
pour leur résister. Le bonheur seconda pourtant de telle sorte ses
entreprises, qu'il vainquit les ennemis, et après même qu'ils eurent
amassé de nouvelles troupes, et qu'ils furent revenus l'attaquer, il
les défit une seconde fois, en tailla en pièces un grand nombre, en
poussa un grand nombre dans un fleuve, où ils se noyèrent, et en
prit un grand nombre prisonniers. On dit que la délivrance d'onze
mille Romains fut le fruit de cette victoire. Il fît après cela la
guerre aux Allemands avec un pareil bonheur, leur accorda la paix,
et retira les prisonniers qu'ils avaient entre leurs mains.
[353] La prospérité
de ses armes lui ayant inspiré de la vanité, où la connaissance
qu'il avait du naturel de Constance lui ayant donné lieu
d'appréhender les effets de la jalousie ; semblables à ceux qu
'avait senti Gallus son frère, il entreprit de secouer le joug de
son obéissance. Il gagna d'abord l'amitié de quelques tribuns qui
ébranlèrent la fidélité des soldats, qui ayant excité sédition, le
proclamèrent Empereur, et tenant leurs épées nues, menacèrent
de le tuer, s'il n'acceptait cette dignité. Il l'accepta de la sorte
pour éviter les effets de la colère des gens de guerre, et peut-être
contre son inclination. On chercha longtemps un diadème sans en
pouvoir trouver, et Julien protesta avec ferment qu'il n'en avait
point. On voulut employer un collier de femme pour en faire un, mais
il s'y opposa, en disant que cela blessait la bienséance. Enfin un
tribun donna un carquant d'or enrichi de pierreries, que l'on lui
mit sur la tête en forme de diadème.
[359]
Il dépêcha à l'heure même
Pentade maître des offices avec des lettres pour l'Empereur, par
lesquelles il assurait que ce n'était point par son inclination
qu'il avait accepté le titre d'Empereur, mais par un effet de la
violence des gens de guerre,qui pour pouvoir espérer d'obtenir un
jour la récompense de leurs services avaient refusé de combattre
sous lui en qualité de César. Il le suppliait par les mêmes lettres
de lui faire l'honneur de l'associer à l'Empire, ce qui serait sans
doute avantageux à l'état, et en ce cas-là lui promit de lui envoyer
tous les ans des chevaux d'Espagne, selon la coutume, et des hommes
des Gaules. Dans la souscription, il ne prit que la qualité de
César, de peur que s'il eût pris celle d'Empereur, Constance ne
rejetât ses lettres, et ne refusât de les lire.
[361] Il
les reçût à Césarée en Cappadoce, et en conçût une très grande
colère, qu'il tâcha pourtant de modérer en se tenant dans le
silence. Il commanda à l'heure même à son armée de marcher contre
les Perses, et au même temps dépêcha Léonas questeur vers Julien
avec une lettre par laquelle il se plaignait de ce que sans son
contentement il avait accepté la qualité d'Empereur, et lui
reprochait qu'il lui était honteux de l'avoir reçue du suffrage
d'une multitude tumultueuse au lieu de l'attendre de son jugement.
Il lui conseillait ensuite de s'abstenir des fonctions d'une charge
où il était parvenu par de mauvaises voies, et de se contenter
de celle qu'il tenait de lui. Outre cela il donna ordre à Léonas, de
casser le Préfet du Prétoire, et le reste des officiers qui étaient
auprès de Julien, et d'en établir d'autres en leur place qu'il lui
avait nommés. Lorsque Léonas fut arrivé dans les Gaules, il déclara
à Julien les intentions de Constance. Voici à peu prés le sens
de ce qu'il lui dit au nom de ce Prince.
[365] "Vous deviez
conserver le souvenir des grâces que vous aviez reçues de ma bonté.
Je ne vous ai pas seulement élevé à la dignité de César, mais j'ai
pris un soin tout particulier de vous dès votre enfance, et vous ai
fait instruire dans le temps que vous étiez orphelin, et que vous
n'aviez point d'autres parents qui se chargeassent de la peine de
votre éducation."
Qui a été
cause, repartit Julien, que j'aie perdu mon père dès mon bas âge,
sinon celui qui l'a enlevé du monde ? Ne juge-t-il pas bien
que ce faux reproche qu'il me fait de des prétendus bienfaits n'est
propre qu'à renouveler le sentiment de ses véritables outrages, et à
aigrir ma douleur ? Il lut après cela la lettre de Constance, où
ayant trouvé le conseil qu'il lui donnait de quitter l'habit
d'Empereur, et de reprendre celui de César, il dit qu'il le suivrait
pourvu que les légions y consentissent. Léonas qui appréhendait
d'être mis en pièces par les gens de guerre, supplia Julien de ne
leur rien expliquer du contenu de la lettre de l'Empereur.
Comme il
délibérait d'exécuter les ordres qu'il avait reçus, il se contenta
de prendre la réponse de Julien pour la porter à son maître. Elle
était pleine d'invectives contre l'Empereur, de reproches des
injures qu'il avait faites à sa famille, de menaces de venger le
sang de ceux qui avaient été exécutés à mort par une violence
tyrannique. Julien ayant cependant considéré qu'il avait à sa suite
un grand nombre de personnes affectionnées à Constance, les renvoya
toutes, et se prépara à la guerre civile.
[374] Sa femme mourut en
ce temps-là. Quelques-uns disent qu'elle était encore alors avec
lui, et d'autres qu'il l'avait répudiée. Julien ayant donc assemblé
ses troupes leur persuada de ne point perdre de temps, et
de prévenir Constance. Il avait dès lors renoncé au fond de son cœur
à la Religion chrétienne. Mais il tenait son apostasie secrète par
l'appréhension qu'il avait d'une grande partie des gens de guerre,
dont il connaissait la piété. L'artifice dont il usa pour déguiser
ses sentiments fut de permettre d'un côte l'exercice de toute sorte
de Religions, et d'un autre de faire sa prière dans l'église des
Chrétiens le jour de Noël, afin que les gens de guerre le crussent
de leur sentiment. Il donna ensuite les charges à ceux pour lesquels
il avait le plus d'estime, et déclara qu'il n'avait point intention
d'employer ses armes contre Constance, mais seulement d'assembler
les troupes d'Orient, et d'Occident afin que d'un commun accord
elles élussent un Empereur. Il avait aussi la vanité de dire qu'il
savait le jour auquel Constance devait mourir, et qu'il lui avait
été révélé pendant son sommeil par des vers qu'il récitait, et dont
le sens était que Julien perdrait par la mort, l'Empire qu'il
exerçait sur l'Asie, lorsque la planète de Jupiter se trouverait
dans le signe du verseur d'eau.
[384]
Constance retournait de la guerre
contre les Perses lorsqu'il mourut, et le Roi de Perse retournait au
même temps en son pays. L'inquiétude dont il était agité sur le
point d'entreprendre la guerre civile, lui causa une fièvre, et un
dévoiement dont il mourut à Mopsicréne ville au pied du Mont Taurus.
On dit qu'en mourant il témoigna le repentir de trois choses. De
s'être défait de ses proches. (Car il ne s'était pas défait
seulement de Gallus, mais encore de ses oncles.) D'avoir
déclaré Julien César; et d'avoir introduit des nouveautés dans la
Religion. Il usait de clémence envers ses sujets, gardait la justice
dans le jugement des affaires, la tempérance dans son boire, et son
manger, et la bienséance dans la distribution des charges, et des
emplois. Il n'admit jamais personne dans le Sénat qui ne fût savant,
et qui ne fût capable d'écrire en prose, et en vers. Pour ce qui est
de la Religion, il ne la conserva pas dans toute sa pureté. Au lieu
de suivre l'exemple de Constantin son père, il favorisa les erreurs
d'Arius. Il voulut à la suscitation d'Eusèbe premier de ses évêques
contraindre Alexandre qui avait succédé à Métrophane dans le
gouvernement de l'église de Constantinople, de recevoir Arius à sa
communion, et sur le refus que cet évêque en fit, il indiqua un
Concile. Comme le jour auquel le Concile avait été convoqué était
proche, Alexandre entra seul dans l'église, et s'étant
prosterné contre terre, pria Dieu de ne pas permettre qu'un loup
aussi furieux qu'Arius entrât dans sa bergerie, protestant qu'il
serait plus aisé de mourir que de voir son troupeau en proie. Le
jour suivant, qui était celui auquel le Concile avait été convoqué,
Arius parut avec une extrême insolence; mais ayant été saisi d'une
grande douleur, il se retira dans un lieu secret ou il jeta ses
entrailles arec ses excréments, et périt misérablement.
[398] Le patriarche
Alexandre mourut heureusement
après
s'être acquitté l'espace de vingt-trois ans des fonctions du
Sacerdoce. Les Orthodoxes élurent en sa place Paul qui durant la
persécution avait conseillé généreusement le nom de JÉSUS CHRIST.
Mais Constance étant retourné d'Antioche à Constantinople, le chassa
du siège épiscopal, pour mettre Eusèbe auparavant évêque de
Nicomédie, protecteur passionné de l'Arianisme. Paul se réfugia à
Rome, où il obtint du Pape Jules son rétablissement sur le siège de
l'église de Constantinople. Mais il en fut chassé une seconde fois
par ordre de l'Empereur, et tué par la fureur des Ariens dans le
lieu de son exil. Macedonius qui fut surnommé Pneumatomaque, à cause
de la guerre qu il avait déclarée au saint Esprit, fut élevé par les
hérétiques sur le siège l'église de Constantinople dès qu'Eusèbe
l'eut laissé vacant par sa mort. Il y tint un an, et eut la vanité
d'ôter le corps de Constantin de l'église des saints Apôtres, pour
le mettre dans celle de saint Acace martyr. En haine de quoi
Constance le relégua, et mit en sa place Eudoxe Arien, qui posséda
dix ans cette dignité, et remit le corps de Constantin dans l'église
d'où il avait été tiré par son prédécesseur. Le même Empereur fit
porter à Constantinople les corps de saint André, & de saint Luc, et
les fit placer sous l'autel de l'église des saints Apôtres par les
soins, et par le ministère d'Artème, qui était alors gouverneur
d'Alexandrie, et qui fut depuis célèbre
martyr et Sauveur. Ce Prince eut pour femme Eusébie, qui avait une
excellente beauté, mais qui fut peu heureuse dans son mariage, à
cause des indispositions continuelles, et de la froideur naturelle
de l'Empereur son mari. Elle en tomba dans une si profonde
tristesse, qu'elle mourut avant lui sans avoir jamais eu d'enfants.
Quelques-uns assurent qu'avant que de mourir elle perdit l'esprit
par la violence, et par la malignité des vapeurs qui lui montèrent
au cerveau. On dit que Constance était fort adroit à monter à
cheval, et à tirer, et que pour les lettres, il y avait été si bien
instruit qu'il faisait des vers.
JULIEN.
[410] LA nouvelle de
la mort de Constance n'eut pas sitôt été portée à Julien, que les
légions firent de grandes acclamations en son honneur, et le
saluèrent en qualité d'Empereur. Pour lui, il affecta de paraître
triste et affligé de la mort de Constance, ordonna qu'on en fît un
deuil public, en prit l'habit, et quitta ses ornements Impériaux. Il
le rendit après cela à Constantinople, d'où le Sénat, et le peuple
sortirent pour aller au devant de lui, et pour le conduire dans le
Palais avec des cris de joie. Le corps de Constance ayant été
apporté peu après sur un char, et conduit par son armée, pour être
mis dans l'église des saints Apôtres, il alla au devant sans avoir
le front ceint de son diadème, et le suivit par honneur. Dès
le commencement de son règne il fit mourir plusieurs personnes de la
Cour, en relégua plusieurs autres, et les dépouilla de leur bien. Il
ajouta aux autres charges de l'Empire, le soin de juger, les
différends des particuliers. Comme on plaidait un jour devant
lui une cause, où il s'agissait d'une accusation de péculat, et où
l'accusé niait constamment qu'il eût jamais détourné les deniers
publics, l'accusateur lui dit: Seigneur, s'il suffisait à un accusé
de nier son crime, jamais personne ne serait trouvé coupable. Il lui
répartit, s'il suffisait à un accusateur d'avancer des faits en
l'air, et s'il en était cru sur sa parole, jamais personne ne serait
trouvé innocent. Il donna audience à des ambassadeurs de diverses
nations, qui avaient été envoyés vers Constance, fit la revue des
troupes, et réforma une grande partie des officiers de sa maison.
Comme il avait un jour demandé un barbier, et que celui qui
avait autrefois servi Constance s'était présenté à l'heure même dans
un équipage fort propre, et fort leste, Julien, dit qu'il avait
demandé un barbier, et non un sénateur, ni un homme de condition, et
le renvoya. Un cuisinier de la vieille Cour ayant paru un autre jour
devant lui, avec un trop bel habit, il envoya quérir le sien, et
demanda à ceux qui étaient présents, lequel des deux ils prenaient
pour un cuisinier. Ils répondirent que c'était celui qui était le
plus mal habillé, et à l'heure même il châtia l'autre. Il ne faisait
tout cela que par vanité, et qu'à dessein de paraître tempérant, et
tel qu'un vrai philosophe doit être. Il fit des largesses aux
soldats, et se prépara à la guerre contre les Perses.
[429] Lorsqu'il crût
son autorité bien affermie, il se déclara ouvertement pour le
paganisme. J'ai déjà dit que dès auparavant il avait renoncé dans le
secret de son coeur à la religion chrétienne, mais qu'il n'avait osé
faire protection publique de l'impiété. On dit qu'au temps qu'il
cachait comme sous la cendre d'une fausse modestie le feu de
l'ambition dont il brûlait, il consulta les devins pour savoir
s'il parviendrait à l'Empire, et que ce furent eux qui lui
corrompirent l'esprit, et qui l'engagèrent dans l'idolâtrie. Lors
qu'il eut entre les mains l'autorité qu'il avait si ardemment
souhaitée, il en usa si cruellement, que par un jugement
impénétrable de Dieu, il fit remporter à plusieurs la couronne du
martyre. La fureur dont il était animé contre les Chrétiens alla à
un tel excès qu'il leur voulut interdire l'étude des lettres
profanes, sous prétexte, que puisqu'ils les décriaient comme des
fables, il n'était pas juste qu'ils en reçussent aucun avantage, ni
qu'ils en tirassent des armes pour combattre l'ancienne religion. On
dit donc qu'en ce temps-là auquel on défendait aux enfants la
lecture des poètes païens, Apollinaire fit en vers une paraphrase
des Psaumes, et que Grégoire si savant en Théologie, composa
diverses poésies, afin que les enfants des Chrétiens s'en pussent
servir pour apprendre la langue grecque, et l'art de faire des vers.
[435] Julien permit aux Jjuifs de rebâtir leur temple en Jérusalem. Mais
comme ils commençaient à creuser la terre pour jeter les
fondements, on dit qu'il en sortit un feu qui brûla les ouvriers, et
qui empêcha la continuation de l'ouvrage. Il fit exécuter à mort
Eusèbe eunuque pour avoir autrefois conseillé le meurtre de Gallus
son frère, et chassa de la Cour tous les autres eunuques. Comme il
se promenait un jour aux environs de Calcédoine, Maris évêque de
cette ville l'appela perfide, et apostat. Il affecta de paraître
modéré et patient, et au lieu de se venger de sa liberté, il
se contenta de lui dire: Retire-toi misérable, et déplore la perte
de ta vue. Maris reprenant après cela la parole lui dit : Je rends
grâces à JÉSUS CHRIST mon Sauveur, de ce qu'il m'a envoyé cette
incommodité qui m'empêche de voir un visage aussi exécrable que le
vôtre.
[441] Dans le temps qu'il se préparait à la guerre contre les
Perses, et qu'il était à Tarse ville célèbre de Cilicie, Attème
prêtre du temple d'Esculape lui demanda des colonnes qu'un évêque en
avait tirées pour les faire servir à son église. Il commanda à
l'heure même que les colonnes fussent remises aux dépens de
l'évêque dans le temple bâti à Eges ville renommée de la même
province, en l'honneur d'Esculape. Les Païens déplacèrent aussitôt
une de ces colonnes, et la traînèrent avec de grands frais, et avec
beaucoup de peine jusques à la porte de l'église sans pouvoir jamais
la tirer plus loin. Mais après la mort de Julien l'évêque la releva
sans aucune peine, et la remit en sa place. Comme Julien était à
Daphné, et qu'il y offrait souvent des sacrifices devant l'image
d'Apollon qui était un excellent ouvrage de l'art, les habitants
d'Antioche le raillèrent de sa superstition, et dirent qu'il était
un sacrificateur,et non un Empereur. Ils l'appelèrent bouc à cause
qu'il avait une grande barbe, qu'ils disaient être propre à faire
des cordes. Il repoussa ces railleries par d'autres railleries qu'il
fît de la vanité de leur délicatesse, et de leur luxe, je ne
voudrais pas, dit-il, donner ma barbe pour faire des cordes, de peur
qu'elles ne fussent trop rudes, et que des mains aussi
délicates que celles des Antiochiens n'en fussent écorchées. Il fit
aussi une satire contre eux à l'occasion de l'aversion qu'ils
avaient témoignée de sa barbe. Il sacrifiait cependant des
hécatombes à Apollon pour obtenir de lui une réponse sur le succès
de la guerre, sur laquelle il le consultait. Mais comme l'oracle
demeurait dans le silence, il en demanda la raison aux prêtres, qui
lui répondirent que leur Dieu était offensé de ce qu'il y avait des
corps morts enterrés aux environs. Les corps qui y étaient, étaient
des corps de martyrs, et principalement de saint Babilas. L'Empereur
commanda qu'on les ôtât, et qu'on les mît ailleurs. La nuit suivante
le tonnerre tomba sur le temple, et sur l'image d'Apollon, et les
consuma, mais attribuant ce malheur aux Chrétiens, il commanda de
fermer leurs églises, et d'exécuter à mort le célèbre Artème, qu'il
accusait d'avoir été auteur de la mort de Gallus. Il fit aussi
souffrir le martyre à Eugène, et à Macaire prêtres. Il le fit aussi
souffrir à Manuel, à Sabel, et à Ismael qui avaient été
envoyés de Perse vers lui en qualité d'ambassadeurs, et. enfin il le
fit souffrir à plusieurs autres.
[458] Au reste le
commencement de la guerre qu'il fit aux Perses fut assez heureux. Il
prit d'abord quelques villes, et tailla en pièces un grand nombre
d'ennemis, prit quantité de prisonniers, et de bagage, et mit le
siège devant Ctésiphon. Mais le sort des armes s'étant changé tout
d'un coup, l'Empereur périt misérablement dans un pays étranger avec
la plus grande partie de son armée. Comme les Perses désespéraient
de vaincre les Romains à force ouverte, quelques-uns d'entre eux se
refusèrent de s'exposer a un péril évident pour leur causer quelque
perte considérable. Il y en eut donc deux qui se présentèrent comme
des transfuges à Julien, et qui lui promirent une victoire aisée,
s'il voulait prendre le chemin court et assuré, qu'ils lui
montreraient pour entrer jusques dans le cœur de la Perse, et s'il
brûlait ses vaisseaux, de peur qu'ils ne servissent à ses ennemis.
Ce pernicieux prince ajouta follement foi à ces promesses, et
quelques remontrances qu'Hormisdas et plusieurs autres lui puissent
faire pour l'empêcher de tomber dans ce piège, il mit le feu à ses
vaisseaux; il n'en réserva en tout que douze, bien qu'il eût au
commencement de la guerre sept cents galères, et quatre cents
bâtiments propres à porter des vivres. Lorsque tous ses bâtiments
eurent été réduits en cendres, il était prêt de suivre les guides
qui offraient de le conduire, et ne déféra qu'à peine aux pressantes
instances des tribuns qui soutenaient que c'étaient des imposteurs,
et qui demandaient qu'on les mît à la question. Quand on les y eût
mis la violence des tourments tira de leur bouche la confession de
la vérité. Voilà la manière dont quelques-uns rapportent que Julien
fut trompé.
[471] D'autres disent que comme il désespérait de se rendre
maître de Ctésiphon, à cause de ses fortifications, et à cause aussi
que son armée manquait de vivres, il prit résolution de se retirer.
Ils ajoutent que comme il se retirait les Perses chargèrent son
arrière garde, et la mirent en désordre. Les Gaulois qui avaient été
mis derrière pour la soutenir signalèrent leur valeur dans cette
rencontre et tuèrent non seulement un grand nombre non seulement
soldats, mais aussi d'officiers des Perses. Mais enfin les Romains,
étant pressés par la faim, et n'ayant aucune connaissance du pays,
Julien sans savoir ce qu'il faisait, prit le chemin des montagnes.
Les Perses les y ayant attaqués à l'heure même, le sort des armes
fut fort différent, l'aile droite des Romains ayant été défaite, et
la gauche étant demeurée victorieuse. Comme Julien courait au
secours de ceux qui étaient pressés par les ennemis, et que ne
pouvant supporter la chaleur du soleil, ni la pesanteur de sa
cuirasse, il l'ôta, et fut blessé au côté d'un coup de flèche. On
dit qu'il s'éleva un si grand vent, que l'air fut couvert d'un si
épais nuage, et obscurci d'une si prodigieuse quantité de poussière
que les deux armées avaient élevées, qu'on ne se pouvait plus
connaître, et qu'aucun ne sachant ni ce qu'il faisait, ni où
il était, on ne put remarquer d'où vint le trait dont l'Empereur fut
percé, si bien que l'on doute encore s'il partît de la main d'un
Romain, ou de celle d'un Perse, ou s'il fut envoyé du ciel. Ceux qui
croient que le coup venait du Ciel, disent que Julien reçût dans le
creux de sa main quelques gouttes de son sang, et que les jetant en
l'air il dit, tiens Nazaréen, voilà de quoi te rassasier. Sa vie
criminelle fut terminée par cette mort sanglante. Son règne ne fut
que de deux ans. Les gens de guerre portèrent son corps à
Tarse, et l'enterrèrent dans un faubourg. On mit sur Ion tombeau une
épitaphe, dont voici à peu près le sens. Julien prince aimé de
ses sujets, et redouté de ses ennemis, gît ici sur tes bords du
Cidne, où il a été arrêté par les eaux, de l'Euphrate, et par les
armes des Perses.
[486] Son corps fut
depuis tiré de là, et porté à Constantinople. Il avait un désir
insatiable de la gloire, tirait vanité des moindres choses. Il
souffrait volontiers que ses amis l'avertissent de ses fautes. Il
était habile en toute sorte de sciences, et surtout dans les plus
cachées. Il était si tempérant que jamais il ne crachait, et jamais
n'avait de rapports. Il avait accoutumé de dire qu'un philosophe
devait vivre dans une si extrême modération, qu'il devait presque
s'abstenir de respirer. On dit que pendant son sommeil il vit à
Antioche un jeune homme d'une chevelure blonde qui lui prédit qu'il
mourrait en Phrygie. C'est pourquoi dès qu'il se sentit blessé, il
demanda le nom du lieu où il était, et quand on lui eut répondu
qu'il s'appelait Phrygie, il s'écria, ô Soleil, vous avez perdu
Julien. On dit que sa mort fut sue dans Antioche le jour même
qu'elle arriva. On prétend qu'un homme du pays, qui y avait une
charge de judicature, et qui faisait profession de la même Religion
que Julien, vit une multitude d'étoiles dont l'assemblage
formait ces paroles, aujourd'hui Julien est tué dans la Perse. Cette
vision fut l'occasion de la conversion de ce Juge. Au reste Julien
fut tué de la sorte à l'âge de trente et un an.
JOVIEN.
[498] Jovien, tribun
fut choisi pour remplir le trône qui vaquait par la mort de Julien.
C'était un homme de piété. Il était fils du Comte Varronien,
et réfuta d'abord l'autorité qui lui était déférée, et quand on lui
en demanda la raison, il s'écria, c'est que je luis Chrétien, et que
je ne veux point commander à des Païens. Les gens de guerre s'étant
écrié tout d'une voix, et comme de concert qu'ils étaient
Chrétiens aussi bien que lui, il accepta la qualité
d'Empereur, et fit avec les Perses un traité peu honorable, mais que
le temps rendait nécessaire. Il leur céda deux villes célèbres
Ninive, et Singare, et en transféra ailleurs les habitants, qui
pressés par la violence de la douleur, lui parlèrent en des termes
fort éloignés du respect qu'ils lui devaient. Il leur abandonna des
provinces et des droits qui appartenaient depuis longtemps aux
Romains. Lorsque les otages eurent été donnés de côté, et d'autre,
les Romains partirent pour retourner en leur pays, mais ils
souffrirent de grandes incommodités durant tout leur voyage, et
furent extrêmement pressés par la faim et par la soif.
[508] Jovien étant
pourtant retourné à Antioche après de longues fatigues, rappela tous
les Chrétiens qui avaient été exilés sous le règne précédent, et
principalement Athanase ce célèbre évêque d'Alexandrie. D'Antioche
il se rendit à Tarse, où il fit embellir le tombeau de Julien. Il
alla ensuite à Ancyre ville de Galatie et de là à Dadastane qui n'en
est éloignée que d'une journée, où il mourut subitement,
quelques-uns disant que ce fut d'avoir mangé des champignons
empoisonnés, car il ne mangeait rien que de fort commun. Les autres
assurent qu'ayant passé la nuit dans un bâtiment neuf où l'on avait
allumé grande quantité de charbon à cause de la rigueur du froid, la
chaleur du feu tira de la chaux une prodigieuse quantité de vapeurs,
dont il fut étouffé durant son sommeil. On ajoute aussi qu'il avait
bu alors avec excès, et qu'il était fort adonné au vin.
L'Impératrice sa femme, et Varronien leur fils qui étaient partis
avec un équipage magnifique pour l'aller trouver, ne purent arriver
avant sa mort.
[513] Les gens de guerre affligés de cet accident
s'assemblèrent à Nicée pour y délibérer touchant l'élection d'un
autre Empereur. On en proposa plusieurs pour les élever à cette
haute dignité. Salluste Préfet du Prétoire eut un grand nombre de
voix en sa faveur. Mais il s'excusait sur son âge d'accepter cette
charge, et quand on la lui offrit pour son fils, il dit qu'il était
trop jeune, et qu'il avait trop peu d'expérience. Il nomma après
cela Valentinien quoique absent, et son choix fut confirmé par le
suffrage de l'armée.
[518] Jovien eût toujours de bons sentiments touchant
la Religion. Il fut d'un naturel libéral, et bienfaisant. Il ne
laissa pas d'avoir des défauts et d'être fort sujet au vin, et fort
adonné à ses plaisirs. Il fut d'une haute stature, et eût quelque
teinture des sciences. Comme il suivait un jour en qualité de
tribun, l'Empereur Julien qui montait une hauteur, il marcha sur le
bas de sa robe, dont Julien prit un présage qu'il serait son
successeur, et dit à l'heure même, plaise au Ciel que tu le sois,
quoi que tu sois un homme. Il régna un peu moins de huit mois. Son
corps fut porté à Constantinople, et enterré dans l'église des
Saints Apôtres, ou celui de Carito sa femme fut aussi mis depuis. Il
vécut trente-trois ans..
VALENTINIEN.
[526] Vaentinien
ayant été élu de la sorte fut ensuite proclamé Empereur, et revêtu
des ornements convenables à cette haute dignité. Salluste lui ayant
demandé à l'heure même la grâce d'être déchargé de sa charge de
Préfet du Prétoire en reconnaissance des offices qu'il lui avait
rendus pour ménager son élection, il lui dit, était-ce donc à
dessein de vous délivrer entièrement du soin des affaires publiques,
que vous me les avez mises entre les mains ? Il était de Pannonie et
faisait profession de la piété chrétienne, en haine de quoi il avait
été banni par Julien. Mais depuis il avait été rappelé, et honoré
d'une charge de tribun.
[534] Il avait une
grande force de corps, un zèle ardent pour la Justice, qui le porta
à réprimer très sévèrement les violences des Magistrats. Il avait
accoutumé de dire que le soin de faire observer la justice était le
principal soin que dut avoir un Souverain. Il associa Valens son
frère à l'Empire, lui laissa l'Orient, et alla en Occident, où il
remporta plusieurs victoires sur diverses nations. Il déclara
Empereur Gratien, qu'il avait eu de Sévère sa femme avant que d'être
parvenu à l'Empire. Il épousa Justine, bien que sa première
femme vécût encore, et eut d'elle le jeune Valentinien, et trois
filles, savoir Justa, Grata, et Galla.
[540] Eudoxe qui avait de
mauvais sentiments, concernant la Religion, étant mort sous son
règne, Démophile, qui tenait les mêmes sentiments gouverna après lui
l'église de la nouvelle Rome l'espace de douze ans. Ce fut
aussi sous son règne, et de son consentement qu'Ambroise fut élu
évêque de Milan. Quand il sut que Valens son frère favorisait
l'Arianisme, et contraignait chacun de l'embrasser, il l'en reprit
par ses lettres avec beaucoup dr force. Mais Valens, au lieu
de profiter de ces réprimandes, suivit plus aveuglément que jamais
le mouvement de sa passion.
[545] Rodane, grand Chambellan qui était
en grand crédit à la Cour de l'Empereur, ayant été accusé devant lui
d'avoir fait une injustice à une femme femme nommée Bérénice, et le
crime ayant été clairement prouvé, Valentinien commanda qu'il lui
fit réparation. Comme il se fiait en son crédit, et qu'il négligeait
de satisfaire aux ordres du Prince, Bérénice se plaignit derechef de
ce qu'elle n'avait reçu aucune réparation, alors l'Empereur lui ôta
la charge, et en un jour auquel on célébrait des jeux publics, le
fit promener devant le peuple pendant que des hérauts récitaient à
haut voix l'injustice qu'il avait faite à Bérénice, et le
mépris qu'il avait eu des ordres de l'Empereur. Il fut après cela
brûlé et la confiscation donnée à cette dame, qu'il avait outragée.
Au reste Valentinien mourut dans les Gaules à l'âge de
quatre-vingt-quatre ans, dont il en avait régné onze. Il
laissa Gratien son fils successeur de son Empire d'Occident.
VALENS.
[556] VAlens
partisan et défenseur des Ariens persécuta les Orthodoxes, et leur
fit souffrir de grands maux à la persuasion de Domnine sa femme.
Quatre-vingt prêtres députés par des Catholiques étant allés le
trouver à Nicomédie, il commanda qu'on les brûlât avec le vaisseau
sur lequel ils étaient venus, ce qui fut exécuté. Le feu fut mis au
vaisseau en pleine mer, et les prêtres furent brûlés de la
sorte avec le vaisseau,qui arriva pourtant jusqu'aux environs de
Dacibize. Grégoire le Grand Théologien a parlé de cette cruelle
exécution. Valens non content de persécuter les Orthodoxes, chassa
les évêques catholiques pour donner leurs églises aux Ariens. On dit
que les Catholiques qui avaient été chassés de l'église de Nicée,
eurent recours au grand Basile, qui se chargea d'aller représenter a
Valens l'injustice de ce traitement. Quand il vit qu'il n'en pouvait
rien obtenir, il lui dit, faisons Dieu juge de ce différend. Fermons
la porte de l'église, que les Ariens fassent leur prière pour en
obtenir l'ouverture, et s'ils l'obtiennent, qu'ils en jouissent. Que
s'ils ne la peuvent obtenir, nous ferons notre prière à notre tour,
et si la porte de l'église s'ouvre, vous nous permettrez de la
posséder. Que s'il arrivait que notre prière ne fût pas écoutée de
Dieu, et que la porte demeurât fermée, nous consentirons encore en
ce cas, que les Ariens demeurent en possession de l'église. Valens
agréa la condition. L'église de la ville de Nicée fut fermée. Les
Ariens prièrent à la porte tout le jour, et se retirèrent sur le
soir sans avoir rien obtenu. Alors les Catholiques conduits par le
grand Basile s'approchèrent, et à peine eurent-ils commencé leur
prière, que les serrures et les verrous se rompirent, et que les
portes s'ouvrirent pour donner entrée aux fidèles. Valens permettait
aux païens d'offrir des sacrifices, favorisait les Juifs, et ne
persécutai que les Orthodoxes.
[573] Comme il
partait pour s'aller opposer aux courses, et aux brigandages que les
Scythes faisaient dans la Thrace, et dans la Macédoine, il fut
rencontré par le célèbre Isac qui lui dit: Sachez que si vous
rétabliriez les Orthodoxes dans la possession des églises vous
retournerez victorieux, et que si au lieu de les rétablir vous
continuez à faire la guerre à Dieu, vous ne rentrerez jamais dans
votre Palais. Ce prince impie irrité de cette liberté, commanda que
l'on arrêtât le serviteur de Dieu, et que l'on le gardât jusques à
ce qu'il fut de retour. Isac lui dit alors, si vous revenez de ce
voyage, Dieu n'aura point parlé par ma bouche. Valens eut ensuite un
songe où il crut voir un homme qui lui disait, qu'il partît
promptement pour aller trouver le grand Mimas, et pour être accablé
des douleurs de la mort. Quand il fut éveillé il demanda ce que
c'était que Mimas. Un homme savant qui était à sa suite, car en ce
temps-là les cours des Empereurs avaient des hommes savants, et
plût à Dieu qu'elles en eussent encore aujourd'hui.! Un homme
savant, dis je, lui dit que Mimas était un mont d'Asie proche de la
mer, dont Homère avait parlé dans l'Odyssée, et qu'il appelait
venteux. Pourquoi faut-il, répartit Valens, que j'aille à ce
mont-là, et que j'y meure; Il donna bataille aux Scythes dans la
Thrace, et après l'avoir perdue, il se sauva dans une maison, où il
se cacha. Il y fut depuis brûlé par les vainqueurs dans le
temps que courant le pays des vaincus, ils y mettaient le feu
partout. Isac eut révélation de sa mort dans sa prison, et dit au
moment qu'elle arriva que Valens était brûlé vif.
[590] Procope cousin
de Julien conspira contre Valens, et se rendit maure de
Constantinople. Mais ayant été trahi, et livré par ceux de son
parti. Il fut attaché à deux arbres que l'on avait courbés avec
violence, et mis en pièces lorsque ces arbres reprirent leur
situation naturelle.. Les murailles de Calcédoine furent démolies à
cette occasion sur ce que les habitants étaient accusés d'avoir
favorisé l'usurpateur, on trouva dans les ruines une table où cette
inlscription était gravée.
[594] Quand de
jeunet beautés de mille attraits parées.
Par cent nobles rivaux humblement adorées
Feront retentir l'air de leurs charmants accents,
Et donneront aux sens des plaisirs innocents.
Quand de l'antique mur les pierres détachées
Pour faire un bain public se verront rapprochées,
Des peuples inconnus qui n 'auront rien de doux
Seront les messager du céleste courroux.
A travers le Danube ils se feront passage,
Et sur le Scythe errant exerceront leur rage.
Mais quand de l'âpre Thrace ils toucheront le bord,
Et que portant partout le fer, le feu et la mort,
Au timide habitant ils donneront la fuite :
Peuples, rassurez-vous, n'en craignez plus la suite,
Mars les arrêtera dans leur rapide cours,
Et Cloto coupera la trame de leurs jours.
[596] Valens employa
les démolitions des murailles de Calcédoine à la construction d'un
aqueduc auquel il donna son nom. Son dessein était que la ville
Impériale eut de l'eau en abondance pour toute sorte d'usages, et
surtout pour la commodité des bains. Le Préfet de la Ville fit
faire un réservoir de Taurus. La construction de ces ouvrages
fut suivie l'irruption des barbares qui périrent en Thrace selon la
prédiction, dont je viens de parler.
[599] On dit que sous le règne de
Valens, Libanius et Jamblique maître de Proclus entreprirent de
deviner par le moyen d'un coq, celui qui parviendrait après lui à
l'Empire. Voici quelle est cette manière de deviner. On imprime sur
la poussière vingt-quatre lettres, sur chacune desquelles on met un
grain de blé, et un grain d'orge. On récite après cela certains vers
charmés, et on laisse aller un coq. On remarque les grains qu'il
prend, et on croit que les lettres d'où, il les tire, signifient ce
que l'on désire savoir. Libanius et Jamblique ayant donc fait la
cérémonie que je viens de dire, le coq prit les grains sur T, H, E,
O, D. Ce qui ne formait qu'une prédiction incertaine, parce qu'on
doutait s'ils signifiaient Théodose, Théodote ou Théodore.
Valens, ayant eu avis de cette affaire, fit mourir plusieurs
personnes qui avaient ces noms-là, et chercha les auteurs de la
cérémonie. Jamblique prit du poison pour éviter les effets de la
colère de Valens qu'il savait être implacable. Il est vrai aussi
qu'il ne pardonnait point, et qu'il avait accoutumé de dire que
quiconque renonce à la sévérité, renonce à la justice. Il régna
treize ans et quatre mois, et eut une mort digne de sa vie.
GRATIEN.
[613] Gratien fils
de Valentinien, et le jeune Valentinien frère de Gratien possédèrent
ensemble l'Empire Romain. Gratien avait été déclaré Empereur par
Valentinien son père, comme nous l'avons dit, et n'avait point été
présent à sa mort. L'armée salua aussi le jeune Valentinien en
qualité d'Empereur, bien qu'il n'eût encore que quatre ans. Quand il
fut de retour, il reprit les gens de guerre avec beaucoup
d'aigreur de ce qu'ils avaient osé proclamer son frère
Empereur, sans avoir auparavant obtenu son consentement, et en
châtia quelques-uns pour ce sujet. Il ne refusa pas pour cela de
partager avec son frère la souveraine puissance. Il imita la piété
de son père, et comme Valens son oncle lui demandait du secours
contre les Scythes, il le lui refusa, en disant qu'il ne lui était
pas permis de s'allier avec un ennemi de Dieu. Il permit par édit
aux évêques de retourner à leurs églises, d'où ils avaient été
chassés.
[622] Comme les Scythes enflés des avantages qu'ils avaient
remportés sur Valens couraient et pillaient la Thrace, et qu'il ne
paraissait aucun moyen de réprimer leurs courses, et leurs
brigandages, l'Empereur manda d'Espagne, qui est la principale ville
de l'Ibérie européenne, Théodose homme recommandable par la
grandeur de son courage, et par l'ardeur de sa piété, et lui donna
le commandement des troupes destinées contre ces barbares. Cet
excellent général les chargea si rudement, qu'il en tua le plus
grand nombre, mit les autres en fuite, qui furent ou pris par le
victorieux, ou écrasés par ceux de leur parti dans le désordre de
leur déroute ; de sorte qu'il y en eut fort peu qui échappèrent.
Théodose laissa ses troupes dans le pays, et alla porter lui-même à
Gratien la nouvelle de sa victoire. La promptitude avec laquelle
elle avait été obtenue sur des peuples, dont la réputation était
grande pour les armes, la rendit tout à fait incroyable. Mais
quand le temps en eut confirmé la vérité, l'Empereur l'admira,
et la releva par des louanges extraordinaires. Alors considérant
qu'il ne pouvait soutenir seul le poids de l'Empire depuis que les
Provinces qui avaient été gouvernées autrefois par Valens lui
étaient échues, il l'associa, et le plaça sur le trône de la
nouvelle Rome pour y commander sur l'Orient, et sur la Thrace. Il se
réserva l'Occident et alla alla dans les
Gaules, où six ans après la mort de son père, il fut tué par un
effet de la trahison d'Andragathe.
VALENTINIEN LE JEUNE, ET
THÉODOSE.
[631] L'Emire
d'Occident étant tombé après la mort de Gratien entre les mains du
jeune Valentinien qui était encore en bas âge, son esprit fut de
telle forte corrompu par Justine sa mère qui favorisait les Ariens,
qu'il suivit lui-même leurs erreurs, et le déclara contre la foi.
Maxime s'étant soulevé contre lui, et ayant remporté de l'avantage
en plusieurs rencontres, il implora le secours de Théodose. Ce
religieux Empereur lui manda d'abord qu'il n'y avait pas lieu de
s'étonner qu'un sujet rebelle remportât de l'avantage sur un Prince
qui ne reconnaissait plus son Seigneur, et qui mettait au rang des
créatures et des sujets le Fils qui a créé le monde, et qui est égal
à son Père en nature, et en puissance. Bien qu'il lui eût fait cette
réponse, il ne laissa pas de l'assister, et de punir de mort Maxime,
et Andragathe qui était celui, qui comme nous l'avons dit, avait tué
Gratien par surprise. Eugène forma depuis le dessein d'une révolte,
dont Valentinien fut si fort épouvanté qu'il s'étrangla.
[638] Théodose
prit les armes contre ce rebelle. Étant allé à Thessalonique à la
tête de son armée, il y fut injurieusement traité par le peuple, et
le Préfet y fut tué dans une sédition excitée pour quelque sujet. Il
crut néanmoins que la circonstance de la guerre l'obligeait à
dissimuler son ressentiment. Mais depuis il y indiqua une courte de
chevaux, et quand le peuple fut assemblé au théâtre pour en
être spectateur, il le fit envelopper par les gens de guerre, qui
tuèrent à coups de traits jusques à quinze mille habitants. Quand il
eut ainsi satisfait sa colère, il alla à Milan, où il fut forcement
repris par le grand Ambroise de ce massacre, interdit de l'entrée de
l'église, où il ne fut reçu qu'après qu'il eut fait publier une loi,
par laquelle il était ordonné que les condamnations à mort
n'auraient lieu que trente jours après qu'elles auraient été
prononcées. Ce terme là fut pris pour donner lieu à l'Empereur de
modérer sa colère à laquelle il était fort porté de son naturel, et
d'examiner ses sentences, et faire exécuter quand il en aurait
reconnu la justice, et d'en arrêter l'exécution quand il trouverait
qu'elles auraient été rendues par passion. Il donna combat dans les
Gaules à Eugène usurpateur de l'autorité souveraine, le vainquit, le
prit, et le fit mourir. Avant que de monter sur le trône il épousa
Phlacille, qui avait de la piété, de la modestie, de la charité, et
de la compassion pour les pauvres. Il eut d'elle Arcadius, et
Honorius, et la déclara Impératrice.
[649] Quand elle fût morte, il épousa
Galla fille de Valentinien; Pendant qu'il était en Occident les
Juifs de Constantinople à la faveur d'Honorat, Préfet de la Ville
païen dont ils avaient gagné les bonnes grâces, élevèrent avec
beaucoup de dépense une Synagogue dans la place des Calcoprates. Le
peuple ne pouvant voir cette entreprise sans indignation se plaignit
du silence, et de la négligence du Préfet, et fur le mépris que !e
Préfet fit de ses plaintes, mit le feu à la Synagogue. Le Préfet
ayant envoyé une relation de cette affaire à l'Empereur, il commanda
que ceux qui avaient brûlé la Synagogue en payeraient le dommage, et
que les Juifs auraient la liberté de la rebâtir.
[657] Le grand Ambroise
ayant été averti de cet ordre prit le temps auquel Théodose entrait
un jour de Dimanche dans!'église de Milan pour lui parler en cet
termes,
"Pourquoi
déshonorez- vous le Seigneur, qui vous a honoré de la charge, et de
la conduite de son peuple, et qui vous a mis le diadème sur le
front; pourquoi préférez-vous ceux qui le méprisent à ceux qui le
servent ? Pourquoi voulez-vous qu'au milieu d'une ville, où la
doctrine du Sauveur est enseignée, et où la Croix est adorée, on
éléve une Synagogue pour assembler les auteurs de sa mort?
l'Empereur ayant demandé à Ambroise, si dans un état bien policé ou
devait laisser au peuple une licence absolue de faire ce qu'il lui
plairait: On ne doit pas sans doute, répartit le grand évêque,
laisser au peuple cette licence absolue. Mais on ne doit pas aussi
donner liberté aux Juifs, d'avoir une Synagogue au milieu d'une
ville chrétienne, et d'offenser par leurs blasphèmes les oreilles
des fidèles."
[661] Théodose se
rendant à cette raison du grand Ambroise, déchargea les habitants de
Constantinople du rétablissement de la Synagogue, et défendit aux
Juifs d'en avoir dans cette ville. Il fit de nouvelles importions
sur les habitants d'Antioche, qui ayant excité sédition pour ce
sujet, renversèrent les statues qu'on avait élevées dans la place
publique en l'honneur de l'Impératrice Flaccille, et les traînèrent
par les rues. En punition de cette insolence, l'Empereur ôta à la
ville ses privilèges, l'assujettit à celle de Laodicée, et l'aurait
traitée avec une rigueur encore plus grande si l'évêque FIavien
n'eût été implorer la clémence en faveur de son troupeau, et n'eût
apaisé sa colère. Ce fut en ce temps-là que le célèbre Jean
Chrysostome prêtre de l'église d'Antioche composa les Oraisons, qui
pour ce sujet sont intitulées les Statues. Ce fut au même temps que
le savant théologien Grégoire qui enseignait auparavant le peuple en
secret dans l'église de saint Anastase, à cause du pouvoir, et de la
violence des Ariens, commença à jouir de l'effet de la grâce
que Théodore avait faite aux Orthodoxes en leur ouvrant les églises,
et à prêcher hautement que le Fils de Dieu est de même substance que
son Père, et que le saint Esprit est digne du même respect, et des
mêmes honneurs que le Père, et le Fils.
[667] Macédonius qui, comme je
l'ai déjà dit, fut durant peu de temps Patriarche de Constantinople
ne pouvait souffrir que l'on appelât le saint Esprit Dieu, ni que
l'on dît qu'il avait la même nature, et la même puissance que le
Père, et le Fils. Ce fut pour ce sujet que le second Concile de
Constantinople fut convoqué par l'Empereur. Cent cinquante évêques y
assistèrent, les deux Grégoires, savoir le Théologien, et l'évêque
de Nisse, et Amphiloque évêque d'Icone eurent la principale part à
l'examen des matières. Les saints Pères déclarèrent que le saint
Esprit est Dieu, et qu'il est égal au Père, et au Fils en dignité,
et en puissance. Ils retranchèrent de l'Église Macédonius, et ses
sectateurs, et ajoutèrent au Symbole les articles, dont le premier
commence par
ces paroles :
Je crois au saint Esprit, et confirmèrent le Concile précédent.
Quelques
évêques qui
enviaient à Grégoire le Théologien le siège de l'Église de
Constantinople, dirent qu'il ne lui pouvait appartenir, puisqu'un
autre avait été élu avant lui pour l'occuper. Ce saint évêque
bien loin de contester prononça un discours sur ce sujet, renonça à
la dignité d'évêque de Constantinople, et se retira à Nazianze ville
de sa naissance. Celui sur lequel on avait jeté les yeux pour le
placer sur la chaise de cette église était Nectaire homme du Sénat,
qui avait exercé auparavant des charges du siège. Ce fut dans ce
Concile que le second rang fut attribué au siège de la nouvelle
Rome, immédiatement après le siège de l'ancienne.
[673] Ce fut aussi en ce
temps-Ià qu' Amphiloque supplia l'Empereur de chasser les Ariens de
Constantinople, ou au moins de leur défendre d'y continuer leurs
assemblées. Comme ce Prince ne se pressait pas de lui accorder sa
prière, il pris le temps auquel il était dans son conseil ayant
Arcadius son fils assis proche de lui, et après avoir rendu à
Theodose les respects, et les honneurs qui font dus aux souverains,
et traita Arcadius avec beaucoup de familiarité, en lui disant,
bonjour mon enfant. L'Empereur ayant témoigné de l'indignation de ce
procédé, Amphiloque lui dit, si vous qui n'êtes qu'un homme ne
pouvez souffrir que votre fils soit méprisé : Dieu n'a-t-il pas de
l'horreur, et de l'exécration pour ceux qui outragent par leurs
blasphèmes son Fils unique, et n'entre-t-il pas dans une juste
colère contre ceux, qui permettent que ces blasphémateurs demeurent
parmi les Orthodoxes, et qu'ils en corrompent plusieurs par le
poison de leur mauvaise doctrine ? Alors l'Empereur admirant
l'adresse de ce saint évêque, défendit les assemblées des
hérétiques.
[679] Après qu'il eut détruit, comme nous l'avons vu, la
puissance d'Eugène le dernier des deux usurpateurs, il jouît seul de
tout l'Empire, auquel il alloua ses deux fils. Le désir qu'il avait
de les bien élever le porta à mander de Rome Arsène diacre de
l'église de cette ville, homme célèbre par son érudition, et par sa
vertu.
[682] Théodose lui commanda d'instruire les deux fils, et de les
considérer en les enseignant, non comme des Princes, mais comme des
particuliers, et des sujets, et de ne leur pardonner aucune faute.
L'Empereur lui fit de grands présents, et lui rendit de grands
honneurs. Il entra un jour dans le lieu où Arsène faisait la leçon à
ses fils, et trouva que les deux Princes étaient assis, et que le
précepteur était debout. Il commanda à ses deux fils de se tenir
debout durant leur leçon, et au précepteur de s'asseoir: ce qu'ils
firent toujours depuis. Arcadius irrité du châtiment qu'il en avait
reçu., entreprit de se défaire d'Arsène, et suborna un homme pour
l'assassiner. Arsène ayant découvert ce dessein, partit sourdement
du Palais, et se retira dans les déserts de Sceris, où il mena une
vie toute angélique. Théodose le fit chercher sans le pouvoir jamais
trouver. Ce Prince mourut à Milan après avoir régné dix-sept ans,
cinq mois. Son Empire fut partagé de telle sorte entre les deux
fils, qu'Arcadius eut l'Orient, la nouvelle Rome, et les pays
d'alentour, et Hononus l'ancienne Rome, avec les Provinces
d'Occident.
ARCADIUS, ET HONORIUS.
[690] LES deux fils
de Théodose gouvernèrent séparément la partie de l'Empire qui leur
était échue. Quand ils furent qu'Arsène menait une vie solitaire
dans Scétis, ils lui écrivirent plusieurs fois pour implorer le
secours de ses prières. Arcadius lui écrivit en particulier, pour
lui demander pardon du dessein qu'il avait formé de le perdre, et
lui offrit l'imposition d'une année sur l'Égypte, afin qu'il
l'employât à tel usage qu'il lui plairait. Arsène ne leur voulut
point faire de réponse par écrit. Il se contenta de dire à ceux
qu'ils avaient envoyés, qu'ils leur rapportassent, qu'il
priait Dieu qu'il leur pardonnât leurs péchés, et qu'i leur fit la
grâce d'accomplir sa volonté. Que pour lui depuis qu'il était mort
au monde, il n'avait plus besoin d'argent.
[694] Arcadius fonda
une ville en Thrace, lui donna son nom, et plaça sa statue au haut
d'une colonne dans le quartier du Xerolophe. Après la mort de
Néctaire patriarche de Constantinople, il choisit Jean prêtre
de l'église d'Antioche pour lui succéder, et l'envoya quérir pour
cet effet de cette ville d'Orient. Orcadius était d'un naturel lent,
n'avait aucune force d'esprit, et se laissait gouverner par Eudoxie
sa femme, Princesse fière, et avare. Le saint prélat s'étant souvent
opposé à ses passions avec vigueur épiscopale, et lui ayant
représenté l'injustice avec une généreuse liberté, elle en conçût un
furieux dépit, et résolut de s'en venter.
[699] Elle trouva Théophile
évêque d'Alexandrie fort disposé à se rendre ministre de ses
vengeances, persuada ensuite à l'Empereur d'exiler le grand
Chrysostome. Quand il eut été emmené de Constantinople, le peuple de
cette grande ville pleura son absence, et excita du tumulte.
Arcadius le rappela aussitôt par un effet de sa timidité naturelle.
Mais comme ce saint évêque avait un courage invincible, qu'il
n'épargnait jamais le vice, Eudoxie s'appliqua par le témoignage
particulier de sa conscience, les discours que Jean faisait en
général contre les désordres de son siècle. Elle aigrit donc contre
le saint, l'esprit du Prince son mari, qu'elle tournait comme il lui
plaisait, et lui persuada de l'exiler une seconde fois. Il fut
arraché avec violence du sein de son église, emmené par de mauvais
chemins dans des pays déserts et exposé aux incommodités qu'il a
décrites dans ses lettres avec son éloquence ordinaire. Il fut
conduit d'abord à Cucuse, puis à Pirionte, et enfin à Comanes, ville
de Cappadoce, où il mourut à l'âge de cinquante-deux ans, et après
en avoir passé cinq et demi sur le siège de Constantinople. Dieu ne
différa pas longtemps le châtiment de la malheureuse Eudoxie,
puisque trois mois après il la retira du monde par une mort
violente, et mourut en couche avec des douleurs effroyables, et
l'enfant dont elle était grosse mourut avant elle dans son ventre.
Arsace fut choisi pour remplir la place de Chrysostome, et ne
l'occupa que deux ans, à la fin desquels il mourut. Il eut Attique
pour successeur.
[714] Arcadius ne survécut pas longtemps à Eudoxie. Il ne
régna que douze ans, trois mois, et quelques jours depuis la mort de
Théodose son père. On dit que la colonne qui est au quartier nommé'
les Pittaces, est un ouvrage d'Eudoxie. Arcadius laissa pour
successeur Théodose son fils, qui fut surnommé le jeune, soit par
rapport à son aïeul, ou par rapport à son âge qui nétait que de sept
ans. Nous parlerons de lui dès que nous aurons rapporté en peu de
paroles ce qui s'est passé sous Honorius.
[720] Il n'avait que
dix ans lorsqu'il prit possession de l'Empire d'Occident. Mais
Stilicon que Théodose son père lui avait donné pour tuteur,
gouvernait sous son nom. Il épousa Marie fille de Stilicon, laquelle
étant morte, on dit qu'il épousa Theumatia sœur de Marie, bien
qu'elle ne fût pas encore en âge de puberté, et cette Theumatia
mourut peu de temps après elle-même.
[724] Comme il avait reconnu que sa
stupidité l'avait rendu odieux aux personnes de qualité de Rome, et
leur avait donné lieu de former diverses entreprises contre sa
personne, il se retira à Ravenne, et envoya des ambassadeurs à
Alaric Roi des Vandales, ou des Goths pour l'exciter à mettre
le siège devant Rome. Alaric attaqua cette grande Ville, mais au
lieu de la ruiner, il s'accorda avec les habitants, reçût d'eux les
trésors de l'Empereur, Placidie sa sœur qu'il mit entre les mains du
Comte Constance pour la garder. Ce Constance trahissant Alaric, la
mena à Honorius, qui la lui donna en mariage, le mit dans le Sénat,
et depuis l'associa à la souveraine puissance, à cause qu'il n'avait
point d'enfants entre les mains desquels il pût la laisser en
mourant. Constance fut tué incontinent après, et laissa deux
enfants de Placidie, savoir Valentinien, et Honoria. Voilà de quelle
manière quelques-uns rapportent cette affaire. D'autres disent
que Stilicon fut tué, et qu'Honorius devint odieux aux Romains
depuis qu'il se fut retiré à Ravenne.
[733] Alaric méprisant la lâcheté de
cet Empereur, assiégea Rome, et la prit. Quand cette nouvelle fut
portée à Honorius, il trembla de tout le corps, et frappant ses
cuisses, s'écria. il n'y a qu'un moment que Rome était ici, et
comment est-ce qu'elle a été perdue ? Celui qui apportait la
nouvelle s'étant aperçu de l'équivoque, lui répartit en jetant un
profond soupir qu'il ne parlait pas de sa grande poule qui
s'appelait Rome et dont il regrettait la perte, mais qu'il
parlait de la
capitale d'Occident, qui était tombée
sous la domination des étrangers. Il mourut
d'hydropisie à
l'âge de quarante ans, dont il en
avait passé
trente sur le trône sans y avoir acquis aucune réputation. Jean qui
s'était emparé dans Rome de l'autorité souveraine, en chassa
Placidie sœur d'Honorius, avec Valentinien son fils, et Honoria sa
fille.
THÉODOSE LE JEUNE.
[740] Le jeune
Théodose était élevé à Constantinople par les soins de Pulchérie sa
soeur, sans que personne osât se soulever contre lui, à cause qu'Idiger
Roi de Perse avait été nommé son tuteur par le testament d'Arcadius
son père. Ce roi ayant accepté la tutelle, envoya Antiochus le
premier de ses eunuques à Constantinople pour veiller à la
conservation de la personne, et des intérêts de son pupille, et
écrivit aux principaux de la Cour qu' ils gardassent la fidélité
qu'ils devaient à leur souverain, et que s'ils y manquaient leur
perfidie ne demeurerait pas impunie.
[745] Dès qu'il eut atteint l'âge de
puberté, Pulchérie sa sœur lui fit épouser Eudoxie native d'Athènes,
personne d'une excellente beauté, et d'un rare savoir. Elle était
fille du philosophe Léonce, et s'appelait Athénaïs. Le père ayant
jugé par la connaissance qu'il avait de l'avenir, qu'elle
parviendrait un jour à une haute fortune, ne lui laissa par son
testament que cent pièces d'or, et nomma Valère, et Genèse ses deux
fils ses héritiers. Ils le saisirent du bien de leur père après sa
mort, et chassèrent leur soeur de la maison. Elle se retira chez une
de ses tantes, qui l'amena à Constantinople, et la présenta à
Pulchérie pour se plaindre à elle de l'injustice du testament, et de
la violence de ses frères. Cette princesse ayant admiré sa beauté,
et. appris qu'elle était encore fille, eut soin qu'elle fût
instruite des vérités de la religion chrétienne, qu'elle reçût le
baptême, et lui changea son nom, et la nomma Eudocie, et la fit
épouser à Théodose son frère.
[756] Après que l'Empereur eut contracté ce
mariage, il ôta la charge de maître de sa Chambre à Antiochus le
plus puissant de ses eunuques, qui gouvernait l'Empire, non avec la
retenue d'un ministre, mais avec un pouvoir aussi absolu, que s'il
eût été indépendant et souverain. Il fut en même temps dépouillé de
son bien, rasé, et mis à Calcédoine dans le clergé de l'église de la
célèbre martyre Euphémie, où il ne survécut pas longtemps à sa
fortune. Eudocie étant parvenue à la souveraine puissance de la
manière que nous l'avons vu, bien loin de concevoir des sentiments
de colère, et de vengeance contre ses frères qui l'avaient chassée
de la maison de leur père, crut leur en être obligée, puisque ce
mauvais traitement avait été l'occasion de sa grandeur, obtint de
l'Empereur la charge de Préfet du Prétoire de l'Illyrie, pour
Genèse, et celle de Maître pour Valère.
[760] Attique patriarche de
Constantinople expliqua en ce temps-là les vérités de notre Religion
à un Juif qui était paralytique, le lava de ses péchés par les eaux
du baptême, et le guérit de sa maladie. Ce fut aussi lui qui mit
dans les diptyques de l'Église le nom de Jean Chrysostome, lequel
n'y avait point encore été; parce qu'il était accusé de tenir la
doctrine d'Origène. Cet Attique gouverna durant vint ans les fidèles
de la ville impériale, et eut pour successeur Sisinius, qui ne lui
survécut que deux années, et mourut dans la vingt-deuxième du règne
de Théodose. Nestorius fut mis en sa place, qu'il ne remplit que
deux ans. Il enseigna que la Vierge ne devait point être appelée
Mère de Dieu, que JÉSUS CHRIST n'était qu'un homme dans lequel le
Fils de Dieu était descendu, comme dans un prophète. Ainsi niant que
le Verbe de Dieu eût pris chair dans le chaste sein de la Vierge, il
séparait le Fils de Dieu de JÉSUS CHRIST, et soutenait que
JÉSUS CHRIST n'était Fils de Dieu que par adoption, et n'était Dieu
que par grâce.
[765] Quand les patriarches Célestin de Rome, Cyrille
d'Alexandrie, Jean d'Antioche, Juvénal de Jérusalem eurent
connaissance de ces erreurs, ils en avertirent Théodose et
Pulchérie, et les supplièrent de convoquer un Concile, où cette
matière fût examinée. Il y eut donc à Éphèse un Concile composé de
deux cents évêques, dont le très saint Cyrille était le
Président. Il tenait la place de Célestin pape de Rome, à qui les
indispositions n'avaient pas permis de s'y rendre. La doctrine de
Nestorius y fut examinée, et condamnée comme une doctrine
dangereuse. Il fut décidé que la sainte Vierge devait être appelée,
et crue Mère de Dieu, et déclaré que son Fils qui avait pris
un corps dans son sein sans avoir eu de père sur la terre, était
Dieu. Cyrille pour confirmer de plus en plus la vérité de la
doctrine catholique, et pour ruiner entièrement celle des
hérétiques, composa douze Chapitres, et déposa Nestorius.
[770] Au reste
trois jours après que le Concile eut été commencé Jean évêque
d'Antioche, Théodore, évêque de Cir, Ibas évêque d'Édesse, et
quelques autres arrivèrent à Éphèse, et se fâchèrent de ce que
Cyrille président de l'assemblée ne les avait pas attendus. Ils
trouvèrent à redire à la manière dont Nestorius avait été déposé, et
déposèrent Cyrille, et Memnon, évêque d'Éphèse. Théodoret écrivit
contre les douze Chapitres de Cyrille, et composa pour cet effet des
ouvrages, dont Cyrille découvrit manifestement les erreurs; de sorte
que Jean d'Antioche, et les autres évêques de son parti furent
condamnés par le Concile, et qu'ils se séparèrent de la communion
des Orthodoxes. L'Empereur ne pouvant souffrir que les évêques
demeurassent divisés de la sorte, le manda à Constantinople, où
après que leurs différends eurent été examinés en sa présence,
Nestorius fut exilé en Orient. Jean, et Théodoret reçurent la
décision du Concile, qu'ils n'avaient rejetée auaravant que par
quelque forte de colère et d'emportement.
[775] Comme Nestorius inspirait
ses erreurs à plusieurs personnes dans le lieu de son exil, Jean
évêque d'Antioche en donna avis à Théodose, et l'exhorta à l'envoyer
plus loin. Il fut donc envoyé à Oasis pays désert d'Arabie, et
exposé à des vents dangereux. Maximien prêtre fut mis en fa place
sur le siège de la nouvelle Rome. Il ne le remplit que deux ans,
après lesquels Proclus disciple de eau Chrysostome, fut élu
Patriarche. Sisînnius l'avait désigné dès auparavant évêque de
Cyzique. Mais les habitants de cette ville-là n'ayant pas voulu le
recevoir, parce qu'ils en avaient élu un autre, il était demeuré
sans emploi. Dès qu'il fut en possession de cette dignité, il
supplia l'Empereur de permettre que le corps de Chrysostome fût
apporté de Pitionte à Constantinople, de peur que ce saint évêque ne
fût encore exilé après sa mort. L'empereur y consentit. Le corps fut
apporté à Constantinople, reçu honorablement, et enterré dans
l'église des saints apôtres. Théodose ayant résolu d'accroître la
ville en donna l'ordre à Cirus qui en était Préfet, et qui apporta
une telle diligence, qu'en soixante jours il fit achever la muraille
qui s'étend depuis une mer jusques à l'autre. Le peuple
admirant la diligence des ouvriers, et la beauté de l'ouvrage
s'écria, Constantin à fondé cette ville. Mais Cirus l'a accrue, et
embellie. Ces acclamations populaires ayant rendu Cirus suspect, et
odieux à Théodose, il fut rasé contre son consentement et mis dans
le Clergé, et depuis fait évêque de Smyrne.
[785] Proclus étant mort après
avoir gouverné douze ans les fidèles de Constantinople, Flavien fut
mis en sa place. Ce fut en son temps qu'un abbé nommé Eutichez
enseigna que notre Seigneur JÉSUS CHRIST n'avoir point retenu deux
natures depuis son Incarnation. Mais que ces deux natures-là avaient
été mêlées, et confondues en une. Comme il soutenait cette doctrine
pernicieuse avec une opiniâtreté invincible, Flavien le retrancha du
corps de l'Église, de peur qu'il n'infectât les parties qui étaient
saines et entières. Entichez eut recours à Chrisaphe qui tenait les
mêmes erreurs que lui, et qui avait beaucoup de crédit auprès
de l'Empereur, et par son moyen obtint de ce Prince, que la doctrine
fût examinée à Éphèse par Dioscore qui avait succédé à Cyrille dans
le gouvernement de l'Église d'Alexandrie, et par les évêques des
autres sièges en présence de Flavien.
[790] Dioscore qui s'accordait
parfaitement avec Eutichez ayant assemblé dans Éphèse quelques
évêques du même sentiment, approuva la mauvaise doctrine. Comme
Flavien s'y opposait de tout son pouvoir, Dioscore se jeta avec
fureur sur lui, et le chassa à coups de pieds, et de poings hors de
l'assemblée. Flavien mourut trois jours après des coups que Dioscore
lui avait donnés dans l'estomac. Il y avait deux ans qu'il honorait
par sa vertu le siège de la nouvelle Rome, lorsqu'il fut ainsi
enlevé du monde. Au reste Dioscore appuyé par la puissance de
l'eunuque Chrisaphe, qui avait disposé des hommes armés aux environs
du lieu où se tenait le Concile, épouvanta si fort les autres
évêques, qu'il les contraignit d'approuver par écrit ses sentiments.
[795] Domne évêque d'Antioche qui s'était laissé emporter par cette
violence à signer comme les autres, réclama depuis contre sa
signature, et détesta l'impiété qu'il semblait avoir approuvée.
Quand Théodose apprit la mort de Flavien, et le reste des violences
exercées dans le Concile, il en rejeta la faute sur Crisaphe. Mais
Dioscore, conseilla à cet eunuque de faire en sorte que ce Prince
nommât Anatolius son Apocrisiaire ou son Agent, patriarche de
Constantinople, afin qu'il reçût Eutichez à la communion, et que
l'on ne fît aucune recherche de la mort de Flavien.
[798] Crisaphe
persuada sans peine à Théodose tout ce qu'il voulut, et fit placer
Anatolius sur la chaise de l'église patriarcale, le même eunuque
abusant de la faiblesse de l'Empereur, et étant appuyé du crédit d'Eudocie,
éloigna Pulchérie de la Cour, et lui ôta le maniement des affaires.
Elle se retira à l'Hebdome, où elle mena une vie privée. L'Empereur
étant à peine revenu à lui, et ayant reconnu la cruauté du meurtre
de Flavien, et l'injustice de la disgrâce de Pulchérie la rappela,
et punit Crisaphe comme le véritable auteur de ces désordres, en le
reléguant, et en confisquant son bien.
[802] Pulchérie était une princesse
très avisée qui par sa prudence réparait les fautes de son frère, et
couvrait ses défauts. On dit qu'il signait tout
indifféremment, sans prendre garde à ce que l'on lui présentait pour
signer. Quand elle l'en avertissait, il lui répondait qu'il savait
bien ce qu'il faisait, et que personne ne pouvait le tromper. Voici
donc l'agréable invention donc elle usa pour le convaincre de son
peu d'application. Elle composa un écrit par lequel il lui vendait
Eudocie, et le lui présenta à signer. Elle retint après cela Eudocie,
et lorsque Théodose la demanda, elle lui montra l'écrit qui lui
donnait droit de la retenir, et lui fit avouer qu'il signait des
ordres dont il n'avait point de connaissance, et de
l'exécution
desquels il aurait du déplaisir.
[812] Après cela elle lui renvoya Eudocie,
qui tomba bientôt après dans la disgrâce pour le sujet que je vais
dire.
Comme l'on
avait présenté un jour à Théodose une pomme d'une extraordinaire
grosseur, il l'envoya à Eudocie, qui la donna à Paulin homme d'une
grande érudition, et pour lequel elle avait une estime particulière.
Paulin qui ne savait d'où elle venait la montra à l'Empereur à cause
de sa rareté. Ce Prince l'ayant reconnue, et l'ayant cachée fit
venir l'Impératrice sa femme, et lui demanda où était la pomme qu'il
lui avait donnée. Eudocie craignant que l'Empereur ne conçût le
soupçon qu'il avait déjà conçu, répondit qu'elle l'avait mangée. Sur
ce qu'il la pressa de dire la vérité, elle assura avec serment
qu'elle la disait. Alors l'Empereur transporté de colère lui montra
la pomme, et la convainquit de mensonge. Cet accident accrût de
telle sorte la jalousie, et les soupçons de Théodose qu'il fit
mourir Paulin, bien qu'il fût très innocent. Eudocie voyant qu'elle
avait encouru la haine de l'Empereur son époux, lui demanda
permission d'aller à Jérusalem. Elle fit de grandes dépenses, et
employa de grandes sommes au soulagement des pauvres, au
profit des monastères, et à la construction, et à l'embellissement
des églises. Elle y fit encore un second voyage depuis la mort de
l'Empereur son mari, et y finit ses jours. Les Centons qu'elle
a faits des vers d'Homère font des preuves de sa rare érudition. Un
patrice les avait commencés, et ne les avait pu achever. Mais elle y
mit la dernière main, et les laissa dans la perfection où nous les
voyons, comme il paraît par une inscription en vers héroïques, qui
est au commencement.
[832] Théodose mourut à cinquante ans, qu'il passa
presque tous sur le trône, savoir quelques-uns avec Arcadius son
père, et les autres seul. Les uns attribuent sa mort à une
maladie ordinaire, et les autres à un accident par lequel étant à la
chasse, il tomba avec son cheval, s'offensa les parties nobles, et
mourut peu après. Il avait quelque teinture des lettres, avait assez
bien appris les Mathématiques, et surtout l'Astronomie. Il était
excellent homme de cheval, et tirait de l'arc avec une adresse toute
singulière. Il avait aussi appris quelque chose de la peinture, et
de la sculpture. Il avait d'un naturel lent, et mol, et peu propre
aux affaires. Cette faiblesse de son naturel avait donné lieu aux
eunuques de prendre un grand pouvoir sur son esprit, et d'abuser de
celui qu'il leur donnait, comme firent Antiochus, Amantius, et
depuis Crisaphe. Ce fut sous son règne qu'il arriva un grand miracle
à Constantinople.
[838] Un jour que, l'évêque Proclus, le
clergé, et le peuple faisaient leurs prières, un enfant fut enlevé
en l'air. Le peuple surpris de cet événement, cria à haute voix :
Seigneur, ayez pitié de nous. L'enfant ayant été remis sur la terre,
rapporta que dans ce ravissement, il avait appris qu'au Trisagion,
il ne fallait point ajouter ces paroles, qui a été crucifié pour
nous.
MARCIEN.
[841] PUlchérie tint
la mort de Théodose son frère la plus secrète qu'il lui fut
possible, envoya quérir Marcien homme d'un âge avancé, et d'une
prudence consommée, et lui dit: Je vous ai choisi sur tous pour vous
mettre entre les mains la souveraine puissance, à condition que vous
consentirez que je garde à Dieu la virginité que je lui ai vouée. Il
lui promit ce qu'elle souhaitait, et à l'heure même reçût de sa main
le diadème en présence du patriarche, et du Sénat.
[843] Il n'était
recommandable ni par sa naissance, ni par aucune charge qu'il eût
exercée. Au temps de sa jeunesse auquel il était simple soldat, il
partit pour aller
avec sa légion
au lieu où elle était commandée. Il fut surpris
en Lycie d'une maladie qui l'empêcha
de suivre ses
compagnons et l'obligea à demeurer chez
deux frères,
dont l'un se nommait Jules, et l'autre Tatien. Lorsqu'il fut
guéri, il alla un jour à la chasse avec eux, la fatigue de ce
violent exercice les ayant obligés à descendre de cheval sur le midi
pour prendre un peu de repos, ils s'endormirent.
Tatien s'étant réveillé le premier aperçut une aigle qui voltigeait
sur la tête de Marcien, et le couvrait de ses ailes, il éveilla
Jules son frère pour lui faire remarquer ce rare événement qu'ils
admirèrent ensemble, et qu'ils regardèrent comme un présage certain
de l'Empire auquel Marcien était destiné. Dès qu'il fut éveillé, ils
racontèrent ce qu'ils avaient vu, lui firent promettre qu'il se
souviendrait d'eux, lorsqu'il serait sur le trône, et en prenant
congé de lui, lui donnèrent deux cents pièces d'or. Dans le temps
qu'il servait sous Aspar, il fut pris avec beaucoup d'autres par les
Vandales. Le Prince de ces Barbares regardant un jour par une
fenêtre les prisonniers qui étaient enfermés dans une cour, vit une
aigle qui faisait ombre à Marcien pendant qu'il dormait, crut aussi
que c'était un présage de sa future grandeur, et le mit eu liberté,
après avoir tiré promesse de lui, que quand il serait sur le trône,
il ne ferait point la guerre aux Vandales. Lors donc qu'il eût entre
les mains la puissance à laquelle longtemps auparavant le ciel avait
paru si visiblement le destiner, il s'en servit pour donner des
marques de sa reconnaissance a ses deux frères qui la lui avaient
prédite. Il fit Tatien préfet de Constantinople, et Jules préfet
d'Illyrie, et de sentir les effets de la clémence, et de la bonté à
tous les sujets.
[860] Ce fut en ce temps-là, que Pulchérie fit élever à
Blaquernes une église en l'honneur de la sainte Vierge, et que
Marcien convoqua un quatrième Concile général à la prière de Léon
Pape de l'ancienne Rome, et d'Anatolius, patriarche de la nouvelle
qui lui avaient demandé l'examen, de la doctrine d'Eutichez, et de
la mort de Flavien. Six cent trente évêques remplis de l'esprit le
Dieu s'assemblèrent à Calcédoine dans l'église le sainte Euphémie
martyre. Les principaux étaient Léon pape de Rome, Anatolius de
Constantinople, et Juvénal de Jérusalem. Le sujet de leur assemblée
était d'examiner la doctrine de Dioscore, et d'Eutichez qui
enseignaient que JÉSUS CHRIST nôtre Seigneur avait pris une chair
d'une autre condition que la nôtre, et qu'il n'avait qu'une nature;
de sorte qu'ils rendaient la divine sujette aux souffrances, et aux
passions. L'opiniâtreté avec laquelle ils soutinrent leurs erreurs
obligea les Saints Pères à les déposer, et à prononcer contre eux
l'anathème. Ils reçurent Théodoret, et Ibas, et condamnèrent
Nestorius avec les ouvrages qui avoient été composés par un désir
indiscret de contester. Ils approuvèrent aussi les trois Conciles
précédents, avec le Symbole. Ils prononcèrent l'anathème contre ceux
qui admettent deux fils, contre ceux qui disent que la divinité est
passible, contre ceux qui avaient la hardiesse le mêler, ou de
confondre les deux natures, contre ceux qui s'imaginaient vainement
qu'avant l'union il y avait eu deux natures en JÉSUS CHRIST, mais
que depuis l'union, il n'y en avait plus qu'une, contre ceux
qui avançaient que le corps que le Sauveur avait pris était un corps
céleste, ou un corps d'une autre condit:on que les nôtres. Ils
déclarèrent que JÉSUS CHRIST notre Seigneur a toute la perfection de
la nature divine, et de la nature humaine, qu'il est vraiment Dieu,
et vraiment Homme, que l'humanité qu'il a prise est composée d'une
âme raisonnable, et d'un corps, que selon la nature divine, il est
semblable à son Père, que selon la nature humaine, il est semblable
à nous en toute choses, excepté le péché, qu'il est un en deux
natures sans confusion, sans changement, sans division, sans
réparation, et que l'union hypostatique conserve dans une même
personne les propriétés des deux natures. Après que les saints Pères
eurent porté ce jugement touchant la doctrine en présence de
l'Empereur, Dioscore fut relégué à Gangre par son ordre. Eutichez ne
reçût pas pareil traitement, parce qu'il était déjà mort. Protère
homme d'une rare vertu, et d'une saine doctrine fut mis en la place
de Dioscore sur la chaise de l'Église d'Alexandrie.
[871] Comme les
sectateurs qu'Eutichez, et Dioscore avaient dans Constantinople,
faisaient tous leurs efforts pour ruiner le Concile, en publiant que
ces décisions au lieu d'être appuyées sur la vérité, n'étaient
soutenues que par la puissance de l'Empereur, le patriarche
Anatolius les assembla, et leur tint en présence de ses suffragants
le discours qui suit.
Puisqu'au lieu
de reconnaître vos erreurs, vous continuez à les soutenir, et que
vous avez la témérité de nous attribuer celles des Nestoriens, à
cause que nous faisons profession de croire, qu'il y a dans Ie
Sauveur deux natures, dont chacune conserve ses propriétés, sans se
mêles, se confondre avec l'autre : Voulez-vous que nous remettions
au jugement de Dieu la décision de cette question ? Que l'on écrive
votre sentiment, et le nôtre, et que l'on mette les deux écrits dans
la Chasse de l'illustre martyre Euphémie.
[873] Les hérétiques
ayant accepté la condition, on fit deux écrits, que l'on mit sur
l'estomac de la sainte, puis on referma la chasse. On se mit après
cela en prières, et on demanda à Dieu qu'il eut la bonté de déclarer
lequel des deux sentiments était véritable. On ouvrit trois jours
après la chasse en présence de l'Empereur, et par un miracle
surprenant, on vit l'écrit des hérétiques aux pieds de la Sainte, et
celui des Catholiques dans sa main, que l'on dit même qu'elle
étendit pour le présenter à l'Empereur, et au patriarche. Ce
jugement remplit les catholiques de joie, et couvrit les hérétiques
de confusion, de sorte qu'ils se retirèrent tristes et affligés. Il
y en eut même quelques-uns d'entre eux qui se convertirent.
[878] L'Impératrice
Pulchérie finit en ce temps-là sa vie d'une manière aussi pleine de
gloire que conforme à la piété, puisqu'avant que de mourir elle
distribua tous ses biens aux pauvres, et attira sur elle la
miséricorde de Dieu, par le soin qu'elle prit de soulager les
misérables. Valentinien empereur d'Occident, neveu d'Honorius, et
fils de Placidie sa sœur, épousa Eudoxie fille du jeune Théodose,
mais ce Prince adonné à ses plaisirs méprisa sa femme, quoiqu'elle
eût une excellente beauté, et en rechercha d'autres avec une licence
scandaleuse. Il eut aussi une curiosité fort dangereuse de
s'instruire de l'art magique. Le malheur de sa mort répondit au
dérèglement de sa vie. Maxime patrice fils du tyran du même nom, qui
fut vaincu par la valeur de Théodose, tua Valentinien au milieu de
son Palais, viola Eudoxie sa femme, et se rendit maître de
l'autorité absolue. Cette princesse désolée, ne sachant à qui avait
recours depuis la mort de Théodose son père, et depuis celle de
Pulchérie sa tante, implora la puissance de Genzéric roi des
Vandales, et le supplia de venger son injure, et de la délivrer de
la tyrannie de Maxime. Genzéric se rendit aussitôt au port de Rome
avec une grande flotte, et une nombreuse armée
[887]
qui épouvanta si fort Maxime par son arrivée, qu'il prit la fuite,
pendant laquelle il fut tué par les siens ; réduisit sans peine Rome
sous sa puissance, pilla toutes ses richesses , enleva les vases des
Églises, et ceux mêmes que Tite avait apportés du temple de
Jérusalem qui étaient aussi des vases d'or, et emmena en Afrique
Eudoxie, et ses deux filles. Il donna Eudocie en mariage à Hunneric
son fils aîné, et garda Placidie qu'il savait être promise à
Olibrius. Deux ans après Eudoxie retourna avec Placidie à
Constantinople, où Marcien régnait encore alors, et laissa en
Afrique Eudoxie son autre fille, qui après avoir vécu seize ans avec
son mari, et en avoir eu un fils nommé Hilderic, le quitta à cause
de l'attachement qu'il avait aux erreurs d'Arius, et se retira
pareillement à Constantinople, où Eudoxie sa mère était déjà morte.
Elle alla après cela à Jérusalem, où elle mourut elle-même.
[894]
Marcien mourut après avoir régné sïx ans, et quelques mois.
Quelques-uns n'attribuèrent sa mort qu'à une maladie ordinaire. Mais
d'autres l'attribuèrent à un poison qu'ils prétendent lui avoir été
donné par l'ordre d'Aspar Patrice. Il était fort âgé, d'un esprit
doux, et fort porté au soulagement des peuples. Il avait accoutumé
de dire qu'un Empereur ne devait jamais faire la guerre, quand il
était en son pouvoir d'entretenir la paix. Quelque autorité que le
Patrice Aspar eût acquise, il ne fut pas pourtant élu Empereur, à
cause que l'habitude dont il était lié avec le parti des Ariens lui
avait fait encourir la haine du peuple. Il déclara donc soit de sa
propre autorité, ou au nom, et du contentement du peuple, Léon
Empereur, à condition qu'il ferait un de ses fils César. Ce Léon
avait eu le maniement des affaires d'Aspar. Quelques-uns disent
qu'il avait été Tribun, et qu'il avait été chargé du soin de lever
les impositions de Sélivrée. Il y en a qui croient qu'il était de
Thrace, et d'autres qui se persuadent qu'il était de la Dace
d'Illyrie.
LÉON.
[902]
Dès que Léon fut en possession de l'autorité absolue, Aspar le
pressa de s'acquitter de la promesse qu'il lui avait faite, de
conférer à un de ses fils la dignité de César. Comme il différait,
Aspar lui dit en prenant le bout de sa robe, «Il n'est pas permis à
celui qui porte cette robe, de manquer à sa parole. -Je demeure
d'accord , repartit Léon , qu'il ne doit pas manquer à sa parole :
mais aussi ne doit-il pas être contraint par force d'agir contre son
inclination, ni être traité comme un esclave.» Ne pouvant pourtant
résister longtemps aux ardentes sollicitations d'Aspar, il céda
enfin à la nécessité, et déclara César un de ses fils qui auparavant
était Patrice. Cette déclaration déplut au Sénat, et excita le
peuple à sédition, parce qu'il appréhendait que quand la souveraine
puissance serait tombée dans la famille d'Aspar qui favorisait les
Ariens, ces hérétiques ne persécutassent impunément les Orthodoxes
avec une violence encore plus insupportable qu'ils n'avaient fait
par le passé. Les Ecclésiastiques, les Moines, et ceux du peuple qui
étaient dans les bons sentimcnts, s'étant assemblés, suppliérent
l'Empereur de choisir une personne de même religion que lui pour
l'honorer de la dignité de César. Léon n'oublia rien de ce qu'il
devair ou dire, ou faire pour apaiser la sédition, et quelque temps
après découvrit une conjuration qu'Aspar avait formée contre lui ,
pour raison de quoi il le fit exécuter à mort avec Ardabure son
fils. Un homme savant nommé Isocase Quêteur ayant été accusé au même
temps de quelques crimes, et entre autres d'être fort attaché à la
superstition Païenne , il lui ôta sa charge, et le mit entre les
mains du Préfet, afin qu'il lui fit son procès.
Lorsqu'il fut amené devant lui en l'équipage où l'on a
accoutumé de mettre les condamnés, il lui dit : Vous voyez Isocase à
quel état vous êtes réduit. Je le vois bien, répartit Isocase, et ne
trouve point étrange, qu'étant homme, je sois sujet aux mêmes
accidents et aux mêmes malheurs que les autres. Je fuis content que
vous me fassiez la même justice, que vous aviez faite autrefois avec
moi. Le peuple loua en cette rencontre la piété de Léon, et emmena
Isocase à l'église où il fut baptisé, dont l'Empereur reçût beaucoup
de joie. Il eut Vérine pour femme, et eut d'elle deux filles, savoir
Ariane qui fut mariée a Zénon, et Léoncie qui le fut à Marcien
patrice, fils d'Anthéme, qui a commandé dans l'ancienne Rome avec un
pouvoir absolu.
[919] Il arriva sous son règne dans Constantinople un
horrible embrasement qui s'étendit depuis une mer jusques à l'autre
; c'est à dire depuis le côté de Septentrion jusques à celui de
Midi. En longueur depuis le Bosphore jusques à l'église de saint
Jean Calibite. Du côté de Midi depuis l'église de saint Thomas
apôtre, jusques à celle de saint Serge, et de saint Bacchus martyrs.
Vers le milieu de la ville depuis le quartier du Palais de Laufus
jusques à celui de Taurus. On dit qu'Aspar porta lors par la ville
de l'eau sur les épaules, et que non content d'exciter le peuple par
son exemple à éteindre le feu, il donna une pièce d'argent à chacun
de ceux qui voulurent bien y travailler. L'embrasement dura quatre
jours, et consuma le lieu où se faisaient les assemblées des
Sénateurs, et des plus considérables d'entre les citoyens, et où
l'Empereur prenait sa robe consulaire. Il consuma un autre bâtiment
fort ample situé vis avis, et qui a été nommé Ie Nimphée, parce
qu'il servait à faire la cérémonie des noces à ceux qui n'avaient
point de maison propre à cet effet. Il brûla encore un superbe
édifice dans le quartier de Taurus, des églises fort magnifiques, un
grand nombre de maisons particulières. On dit que sous le même règne
la ville d'Antioche fut ébranlée, et presque ruinée par un furieux
tremblement de terre, et que dans le territoire de Constantinople,
il tomba une pluie de cendre de la hauteur de quatre doigts.
L'Empereur épouvanté de ces prodiges sortit de sa capitale, demeura
longtemps à saint Mamas.
[928] Il donna le
commandement des armées à Rustine homme vaillant, et habile dans
l'art de la guerre. Après sa mort il donna cette importante charge à
Basilique, frère de Vérine sa femme. Il fut envoyé avec une
puissante flotte en Afrique contre Genzéric, par lequel il fut
vaincu, soit qu'il n'eût pas eu le courage ou l'adresse, ou qu'il
eût reçu de l'argent des ennemis pour trahir l'intérêt de son pays.
On dit que peu après le commencement du combat, il se retira sur son
vaisseau, abattit par sa retraite le courage des siens, releva celui
des ennemis, se sauva avec un petit nombre de ses gens et abandonna
tous les autres, dont aucun n'échappa.
[932] Léon avait
d'Ariane sa fille, et de Zénon son gendre un petit fils nommé Léon
comme lui, auquel il attacha le diadème sur le front, bien qu'il fût
encore en bas âge. Ce qui l'obligea à faire ce choix est, qu'il ne
voyait dans Zénon nulle qualité de corps, ni d'esprit qui le rendit
propre à posséder l'autorité souveraine. Il avait en effet fort
mauvaise mine, & l'esprit beaucoup plus mal fait que le corps.
Quelques-uns assurent que l'Empereur ne se porta à faire mourir
Aspar, et Ardabure, que par le désir qu'il avait d'élever Léon son
petit-fils sur le trône, et par la crainte que ces puissants favoris
ne méprisassent la jeunesse de ce Prince, et n'usurpassent
l'autorité absolue. Ce fut sous son règne
que la très précieuse robe de la très sainte Vierge fut apportée de
Palestine à Constantinople, et mise dans l'église de Blaquernes dans
une chasse d'argent, d'où l'église même a été depuis appelée la
sainte chasse. Anatolius patriarche de Constantinople étant mort
après avoir gouverné huit ans l'église de cette grande ville,
Gennade lui succéda, et la gouverna treize ans, après lesquels Acace
fut choisî pour remplir sa place.
[939] Léon, mourut de maladie dans la
dix-huitième année de son règne, et laissa pour successeur Léon son
petit-fils. Il avait d'excellentes qualités, et surtout une clémence
singulière. Aussi avait-il accoutumé de dire que le Prince devait
faire sentir les effets de cette vertu à tous ceux qui s'approchent
de lui, comme le soleil communique la chaleur à toutes les créatures
qu'il éclaire.
LÉON LE JEUNE.
[941] Léon parvint à l'Empire dès son
enfance,et ne le posséda qu'un an. Il eut pour successeur Zénon son
père, auquel il attacha de ses propres mains le diadème sur le
front.
ZÉNON.
[942] Zénon était de l'infâme nation des
Isauriens, mal fait de corps, et d'esprit. Il gouverna, non en
Prince légitime, mais en tyran. Il avait un frère plus méchant que
lui, nommé Conan, homme cruel, et dont le plus grand plaisir était
de répandre le sang humain. Basilisque dont nous avons
ci-devant parlé, étant appuyé du crédit de Vérine sa sœur, et de
quelques-uns du Sénat prit en Thrace les armes contre Zénon, qui
s'enfuit comme un lâche dans son pays avec Ariane sa femme.
BASILISQUE
[946] Basilisque s'étant rendu à
Constantinople, et ayant été salué dans le champ en qualité
d'empereur, déclara Zénonide sa femme impératrice, Marc son fils
César. Il n'avait pas de meilleures qualités que Zénon son
prédécesseur. Ses sentiments touchant la Religion n'étaient point
orthodoxes. Il favorisait par complaisance pour sa femme le parti de
Dioscore, et d'Eutichez, persécutait les fidèles, et entreprit de
ruiner par un édit l'autorité du concile de Chalcédoine. Il usa de
violence envers le patriarche Acace pour l'obliger à improuver ce
concile dans une assemblée d'évêques. Mais le peuple catholique
s'étant assemblé loua les décisions de ce concile, et fit des
imprécations contre l'Empereur, que son impiété avait rendu l'objet
de la haine publique.
[952] Il envoya
contre Zénon une armée dont il donna le commandement à Ille, et à
Trocande. Ces deux généraux investirent et assiégèrent ce prince
dépouillé dans l'espérance . de le prendre vif. Mais quand ils
virent que Basilisque avait peu de soin de s'acquitter des promesses
qu'il leur avoir faites, et que d'ailleurs il était devenu fort
odieux aux gens de guerre depuis que le Sénat leur avait tracé une
image affreuse de ses crimes dans une lettre qu'il leur avait
écrite, ils s'accordèrent avec Zénon, et. ses ennemis devinrent ses
sujets, et l'emmenèrent avec eux.
[956] Basilisque envoya contre Zénon,
Armace son parent avec des troupes levées en Thrace. Cet Armace
l'ayant rencontré proche de Nicée, et s'étant laissé corrompre par
la promesse que Zénon lui fit de déclarer son fils Basilisque que
César, prit son parti, et lui donna lieu de se rendre à
Constantinople,où il fut reçu par le Sénat et par le peuple.
Basilisque qui s'était réfugié dans une église avec sa femme, et ses
enfants, en fut tiré sous la promesse qu'on lui fit de lui sauver la
vie, et conduit à un fort, où il mourut de faim. Quelques-uns dirent
que sur le chemin il fut tué avec sa femme et ses enfants. Zénon
chassa Vérine sa belle-mère. [964] Ce fut sous le règne de Basilisque
qu'il arriva à Constantinople un embrasement qui ayant commencé aux
Calcoprates, brûla les édifices d'alentour, les galeries, les
logements qui étaient au-dessus, la basilique, et la bibliothèque où
il y avait six-vingt mille volumes. On dit qu'il y avait un intestin
de serpent long de six-vingt pieds, où l’Iliade, et l’Odyssée
étaient écrites en lettres d'or. Malque a fait mention de cet
ouvrage dans l’histoire qu’il a laissée des Empereurs. Le feu
consuma les principaux ornements du Palais, et les statues renommées
de la Junon de Samos de la Minerve de Linde, de la Vénus de Cnide.
[967] Lorsque Zénon
se fut ainsi remis en possession de l'autorité souveraine, il
s'acquitta de la promesse qu’il avait faite à Armace de déclarer son
fils César et donna à Armace même le commandement de ses armées.
Cette charge n'empêcha pas qu'il ne le fit mourir bientôt après sous
prétexte qu'il y avait apparence qu'il lui manquerait de fidélité,
puisqu'il en avait manqué à Basilisque. A l'égard de son fils qu'il
avoir déclaré César il le contraignit d'entrer dans le clergé. Il
fit mourir Ille maître des Offices qui avait médité d'usurper
l'autorité souveraine, pour éviter un piège qu'Ariane du
contentement de Zénon, avait dressé pour le perdre. Le même empereur
fit encore mourir Pélage patrice, très homme de bien et très habile.
Le prétexte qu'il prit fut de l'accuser de faire profession de la
religion païenne. Mais le véritable motif était qu'il appréhendait
sa liberté. Car comme il était homme de coeur il ne pouvait voir les
dérèglements du prince, sans lui en témoigner franchement ses
sentiments. Il fit mourir outre cela plusieurs personnes illustres,
tomba dans des erreurs grossières, commit des crimes atroces, et
finit sa vie d'une manière tragique. On ne convient pas néanmoins du
genre de sa mort. Quelques-uns disent que comme il avait accoutumé
de boire, et de manger avec excès, et jusques à perdre la raison, le
mouvement, et le sentiment, un jour qu'il avait bu. de la sorte,
Ariane sa femme qui ne l'aimait pas, le fit mettre dans le tombeau
des empereurs, qui fut fermé d'une pierre d'une pesanteur
extraordinaire. Quand il fut éveillé et qu'il se trouva en cet état,
il jeta des cris lamentables, et n'excita pourtant la compassion de
personne. D'autres disent qu'ayant été attaqué d'une maladie
dangereuse, et tourmenté de douleurs aiguës on le crut mort, et on
le mit dans le tombeau. Il y revint à lui, jeta de grands cris, et
implora le secours de ses domestiques auxquels Ariane sa femme
défendit de l'assister.
ANASTASE.
[979] Zénon étant ainsi misérablement péri,
Ariane par l'avis du Sénat et de l'armée, et par les intrigues
d'Urbice eunuque qui avait alors le plus grand crédit, éleva sur le
trône Anastase Dicore qui n'avait point eu d'autre charge que celle
de Silentiaire, qui n'en pas une charge forts relevée. Il fut
surnommé Dicore, à cause qu'il avait les prunelles de différentes
couleurs, l'une noire, et l'autre verdâtre.
[982] Avant qu'il
fut couronné, le patriarche Euphéme lui fit promettre par écrit
qu'il n'apporterait aucun changement à la doctrine l' Église. Cet
Euphème était un très saint prélat, et très orthodoxe qui avait
succédé à deux autres qui n'avaient rien de ces bonnes qualités. Car
Acace qui avait occupé dix-sept ans le siège de cette célèbre
église, avait très mal traité les défenseurs des bons sentiments.
Fravica son successeur avait imité son impiété, et celle de Zénon,
et ne lui avait survécu que trois mois et demi après lesquels
Euphème fut élu. Il ôta des diptiques le nom de Pierre Monge, comme
le nom 'un hérétique qui s'était intrus dans le gouvernement de
l'église d'Antioche, et mit celui de Félix Pape de Rome, et très
orthodoxe, qui avait repris Zénon et Acace par ses lettres de ce
qu'ils étaient unis de communion arec Pierre Monge, qui était
infecté des erreurs d'Eutichez, et de Dioscore, & avait même envoyé
à Acace un écrit, par lequel il le déposait en haine de quoi cet
Acace avait ôté son nom des diptyques. Lors donc qu'Euphème
patriarche eut reçu d'Anastase un écrit par lequel il promettait
d'embrasser la doctrine de l'église, et d'observer tous les décrets
du concile de Calcédoine, il le couronna. Dés qu'il fut en
possession de l'autorité souveraine, il remit généreusement à
plusieurs particuliers les sommes qu'ils devaient au trésor public,
rechercha Ariane en mariage, et l'épousa quarante jours après que la
pompe funèbre de l'empereur Zénon eut été achevée. Il abolit l'impôt
nommé Chrisargire, qui était n impôt fort incommode, que les
pauvres, les courtisanes, et les affranchis payaient chaque année
dans les villes, et à la campagne. On ne le levait pas seulement sur
les hommes, on le levait aussi sur les chevaux, sur les mulets, sur
les boeufs, sur les ânes, et sur les chiens. On levait une pièce
d'argent sur chaque homme, sur chaque cheval, sur chaque mulet, sur
chaque bœuf, six petites pièces nommées folles, sur chaque âne, et
sur chaque chien. Anastase fit donc brûler dans le cirque les
registres de cet impôt qui avait si fort surchargé les peuples, et
qui avait tiré de leurs bouches tant de plaintes, Il faut avouer
qu'il est louable à cet égard, qu'il gouverna l'état d'une manière
fort généreuse, et qu'il abolit le commerce des charges, et ne les
donna qu'au mérite. Mais aussi ne peut-on excuser ses sentiments
touchant la religion, puisqu'il suivit les erreurs des Sinchiriques
qui confondent les deux natures en Jésus-Christ depuis l'union,
qu'il persécuta les orthodoxes, et ne se laissa jamais fléchir aux
.raisons, ni aux prières de leurs évêques. Il exila le patriarche
Euphème en haine de ce qu'il refusait de prononcer anathème contre
le concile de Calcédoine. Avant que de l'exiler il tira d'entre ses
mains, soit par ruse, ou par force l'écrit par lequel il lui avait
promis de ne rien changer dans la Religion. Il fit le même
traitement à Macédonius qui lui avait succédé, et qui était un
prélat de grande vertu et le relégua à Euchaites en haine de ce
qu'il. condamnait ses sentiments Il mit en la place Timothée qui les
approuva.
[1002] Il réduisit à
son obéissance Longin frère de Zénon qui avait entrepris d'usurper
l'autorité souveraine, et l'exila à Alexandrie, où il mourut après y
avoir été ordonné prêtre. Il chassa aussi de Constantinople quantité
d'Isauriens qui y demeuraient. Un autre Longin s'étant mis à la tête
de ces étrangers, et ayant couru et pillé avec eux les provinces
d'Orient, fut vaincu, et vit tailler en pièces tous ces Barbares qui
l'avoient suivi. On dit qu'en ce temps-là Théodoric gouverneur
d'Afrique, qui était Arien, ayant vu qu'un diacre de ses amis avait
suivi le parti d'Arius par complaisance pour lui, le fit mourir, en
disant qu'il ne pouvait espérer qu'il lui fût fidèle, puisqu'il ne
l'avait pas été à Dieu. Anastase pape de Rome étant mort, le peuple
se partagea au sujet de l'élection d'un successeur, les uns voulant
élever Laurent à cette dignité, et les autres qui étaient orthodoxes
y voulant élever Symmaque. Théodoric de qui Rome relevait alors, s'y
rendit en diligence au premier bruit de cette sédition, et y ordonna
la célébration d'un concile où Symmaque fut préféré à son
compétiteur. On dit que ce fut en ce temps-là, que la nation des
Bulgares qui n'avait point encore été connue, commença à courir et a
piller l'Illyrie, et la Thrace. Il fit la paix avec les Agaréniens
ou Sarrasin, qui ravageaient l'Orient, et donna charge à Marien de
réprimer l'insolence de Vitalien natif de Thrace, qui ayant amassé
des Mésiens, et des Scythes faisait le dégât dans le territoire de
Constantinople, et incommodait extrêmement cette ville par la
présence de son armée navale. La flotte des Barbares fut dissipée
par la valeur des Romains, et embrasée par l'adresse de Proclus
excellent ingénieur qui outre les machines d'Archimède, dont il
avait une parfaite connaissance, en avait inventé de nouvelles. On
dit qu'il attacha aux murailles de la ville des miroirs d'airain, où
les rayons du soleil s'étant réunis lancèrent comme des feux qui
brûlèrent les vaisseaux et les Scythes qui étaient dessus de la même
sorte que les miroirs d'Archimède avaient autrefois brûlé les
navires des Romains qui assiégeaient Syracuse. Comme Anastase
suivait les erreurs d'Eutichez, il entreprit d'ajouter à l'hymne du
Trisagion la clause, qui a été crucifié pour nous. Le logothète, et
le préfet étant entrés dans l'église, et ayant commencé à y lire
d'un lieu élevé un édit, les orthodoxes coururent sur eux pour les
mettre en pièces. Cette populace transportée de colère n'ayant pu se
saisir d'eux, pilla leurs maisons, les ruina de fond en comble, et
tua plusieurs personnes. Elle avança cependant des discours fort
contraires au respect de l'Empereur et d'autres fort avantageux à
Vitalien, par lesquels elle semblait le juger digne de posséder
l'autorité souveraine. Ces séditieux mirent le feu à des maisons, et
tuèrent quelques personnes, en entre autres un moine fort aimé de
l'Empereur, et qui demeurait proche de la citerne nommée la citerne
de saint Mocius et qui avait été faite par l'ordre de l'empereur
Anastase. Ils firent aussi mourir une religieuse recluse proche de
la porte Xilocerce, qui était fort estimée de l'Empereur. Ils
traînèrent les corps par les rues après leur mort, et les brûlèrent.
[1019] Sous le règne
de cet Empereur, Alamoudare, prince des Sarrasins fut instruit par
les Orthodoxes des vérités de nôtre Religion, et reçut le Baptême
.Sévère lui envoya aussitôt deux évêques de sa secte de l'attirer à
leur communion. Mais ce Prince pour réfuter l'hérésie qu'ils
soutenaient de la confusion des deux natures en Jésus-Christ d'où il
s ensuivait que la Divinité avait été sujette aux souffrances, et à
la mort, fit semblant de prêter l'oreille à ce que lui disait un de
ses domestiques auquel il avait donné ordre en secret de lui parler
de la sorte. Quand ce domestique eut achevé de lui parler, il fit
paraître sur son visage des marques de tristesse, et de douleur,
dont ces deux évêques lui ayant demandé la cause, il leur répondit
qu'il venait d'apprendre la mort de l'archange saint Michel. Les
deux évêques lui ayant réparti que la nouvelle était fausse, et que
saint Michel était immortel, le Prince reprit la parti de pour leur
dire : si vous avouez que les anges sont immortels, comment
osez-vous avancer que la Divinité a souffert, et est morte avec le
corps, avec lequel elle était mêlée, et confuse ? Ces évêques ayant
reconnu sa pénétration par cette réponse perdirent l'espérance de
l'attirer à leur parti.
[1027] Les Bulgares
ayant fait une nouvelle irruption en Illyrie, et quelques troupes
romaines ayant entrepris de s'y opposer, elles furent presque toutes
taillées en pièces. Quelques-uns attribuèrent cette victoire aux
secrets de la magie, et à des enchantements dont ces barbares
avaient usé. La défaite des Romains avait été présagée par une
comète chevelue, et par une troupe de corbeaux qui voltigèrent
devant l'armée de ces Barbares, et enfin par le son triste et
lugubre que les trompettes rendirent, au lieu de rendre le son
ordinaire de la guerre. Timothée, dont j'ai parlé ci-devant, étant
mort, après avoir causé une infinité de maux aux Orthodoxes., Jean.
de Cappadoce fut chargé du. gouvernement de l’Église, duquel il
s’acquitta pendant deux ans. L'impératrice Arranne mourut en même
temps. On a. écrit que sous le règne d'Anastase on voyait à
Constantinople l'image de la fortune de la ville. Elle. était en
bronze, et renfermait une femme qui avait un pied sur un vaisseau de
même métal. On raconte quelques pièces de ce. vaisseau ayant été
rompues ou arrachées à dessein, les navires n’abordèrent plus depuis
à Constantinople, et que si l’on ne les eût déchargés. avec. des
barques. Les habitants eussent manqué de vivres. La cause de ce
malheur ayant été découverte par la conjecture d'un homme d'esprit,
on rechercha. les morceaux du vaisseau de bronze, et dès qu’on les
eût réunis ensemble, les navires abordèrent au port comme
auparavant. On eut la curiosité d'approfondir la. vérité de ce fait,
et de séparer les morceaux de ce vaisseau, et à l'heure même on vit
avec étonnement que les navires qui approchaient du bord en étaient
repoussés par la violence du vent, et ainsi on prit un soin tout
extraordinaire de réparer ce vaisseau, de la conservation duquel
dépendait l'entrée des provisions dans la ville.
[1041] Anastase
ayant eu avis, un peu avant sa mort d’une conjuration qui avait été
formée contre lui fit arrêter plusieurs coupables, et entre autres
Justin, et Justinien qui parvinrent depuis à l'Empire. Comme il
méditait de les laisser mourir, il en fut empêché par un songe, où
il crut voir un homme d’un aspect affreux qui lui dit que Dieu
voulait se servir de Justin, et de Justinien, et qui lui défendit de
leur faire aucun mauvais traitement. On dit qu'après qu'il leur eut
pardonné, il eut un autre songe, où il vit un homme, qui tenant un
livre à la main, lui dit d'une voix étonnante : Voilà qu'à cause de
votre impiété, je retranche quatorze années de votre vie. Comme il
était persuadé que sa destinée était de mourir d’un coup de
tonnerre, il fit faire un dôme bien voûté pour s'en garantir. Mais
cette précaution là lui fut inutile car un jour que l'air était
rempli d'éclairs et que les tonnerres grondaient dans les nues il
passa d'appartement en appartement, et fut enfin trouvé mort dans
une chambre. Il vécut quatre-vingt huit ans, et en régna
vingt-sept, et trois mois. Il y eut sous son règne un horrible
tremblement de terre, dont quantité de maisons de Constantinople
furent renversées, et Antioche fut presque toute détruite, et les
habitants accablés sous les ruines.
[1051] Anastase fit
bâtir la longue muraille pour arrêter les incursions des Mésiens ou
Bulgares, et des Scythes. Il éleva sa statue de bronze, sur une
colonne au quartier de Taurus, où il y en avait eu une de l’empereur
Théodose le grand, qui était tombée.
JUSTIN
[1053]
Justin natif de Thrace, homme de basse naissance fut élu empereur.
Il n’y avait rien de si ravalé que ses premiers emplois, puisqu’il
avait travaillé à la journée, et conduit des troupeaux de bœufs et
de porcs. Il suivit depuis la profession des armes et fut pourvu
d'une charge de tribun, et ensuite d’une de Comte. Lorsqu’Anastase fut
mort, et que l'on commença à délibérer touhant le choix d'un
Empereur, Amance eunuque qui était un des premiers officiers de la
Chambre, et qui avait un grand pouvoir donna de l'argent à Justin
pour le distribuer aux gens de guerre, afin qu'ils proclamassent
Théocritie son ami particulier, Empereur. Mais au lieu d'employer
cet argent dans les intentions d'Amance, il s'en servit pour acheter
le suffrage du peuple et de l'armée, à la faveur duquel il monta sur
le trône. Amance fâché d'avoir été trompé de la sorte, conspira
contre Justin avec plusieurs personnes de qualité. Mais la
conspiration ayant été découverte, il fut exécuté à mort avec André,
et Théocritien. Au tems même où Anastase eut un songe pendant lequel
il vit effacer d'un livre quelques années de sa vie. Amance en
eut un, ou il crut être renversé par un sanglier en présence de
l'Empereur. Il fit bâtir une église en l'honneur de saint Thomas
apôtre, et on l'appelle encore aujourd'hui l'église d'Amance. Justin
n'avait que des sentiments orthodoxes touchant la religion. C'est
pourquoi il ordonna que le Concile de Calcédoine fut reçu de tout le
monde, et que les noms des six cents trente Pères qui l'avaient tenu
fussent mis dans les Diptyques. Il mit le diadème sur le front de sa
femme, la déclara Impératrice, et lui ôta son nom de Lupicine, pour
lui donner celui d'Euphémie. Il avait une affection singulière pour
Vitalien qui avait excité une sédition sous le règne précédent,
c'est pourquoi il lui donna le commandement des troupes, lui confia
une grande autorité, et l'honora de la dignité de consul. Le zèle
qu'il avait pour la pureté de la foi, le porta à chasser Sévère de
la chaise de l'église d'Antioche ; Mais cet évêque s'étant enfui en
Égypte avec quelques personnes infectées se ses erreurs, y troubla
les esprits par les questions qu'il y excita touchant le corruptible
et l'incorruptible. Paul administrateur de l'hôpital d'Eubule, fut
choisi pour gouverner cette église en sa place. Justin rappela tous
ceux qu'Anastase avait exilés contre la justice. On vit sous son
règne du côté d'Orient une comète chevelue. Vitalien fut tué par les
habitants de Constantinople, qui voulurent venger par sa mort le
sang qu'il avait autrefois répandu dans une sédition excitée contre
le précédent Empereur. Quelques-uns disent qu'il ne fut pas tué par
le peuple, mais qu'il fut exécuté à mort dans le Palais par l'ordre
de Justin, et de Justinien, en haine de ce qu'il avait l'insolence
de vouloir disposer avec empire de l'esprit de l'Empereur. Justinien
fut alors chargé du commandement des troupes. Jean de Cappadoce
patriarche de Constantinople étant mort, Epiphane prêtre de la même
église, fut choisi pour lui succéder. Hormisdas pape de Rome étant
mort, Jean prêtre de la même ville fut chargé du gouvernement de
cette église.
[1074] Les différends
qui étaient entre les Romains, et les Perses obligèrent Justin à
rechercher l'alliance des Huns, et à leur envoyer des présents. Leur
Roi les reçût, et promit d'assister Justin, et nonobstant cette
promesse, alla se joindre aux Perses, qui de leur côté lui avaient
aussi demandé du secours. Quand Justin se vit un si grand nombre
d'ennemis, il envola une ambassade à Cavade toi des Perses pour
ménager avec lui un traité de paix, et pour l'avertir que les Huns
le trahiraient comme ils avaient trahi les Romains, et qu'ils ne
manqueraient pas de l'abandonner au jour de la bataille, puisqu'ils
violaient la foi qu'ils lui avaient donnée avec serment, et qu'âpres
avoir reçu son argent, ils tournaient contre lui leurs armes.
Cavade n'eut pas sitôt reçu cette lettre, qu'il demanda au Prince
des Huns,s'il était vrai qu'i eût reçu de l'argent des Romains. Il
avoua franchement qu'il en avait reçu, et à l'heure même Cavade se
persuadant que le reste que Justin lui avait écrit n'était pas moins
véritable que le fait de l'argent, dont il demeurait d'accord, il le
fit mourir, et tailla en pièces les Huns à la réserve d'un
petit nombre qui s'échappèrent. Il conclut après cela la paix avec
les Romains, et pria Justin d'accepter la tutelle de Cosroez, le
plus jeune de ses fils, qu'il désignait son successeur au préjudice
des aînés. Mais Justin refusa cette tutelle. Tzare roi des Laziens
quitta le parti des Perses pour le venir trouver, fut tenu de
lui sur les sons, salué en qualité de Roi, épousa la fille d'un
sénateur, et retourna en son pays. La jalousie que Cavade eut de ce
voyage, et de cette entrevue, causa de nouveaux différents entre lui
et l'Empereur, qu'il accusait de lui débaucher ses sujets. Ce fut au
même temps que ce que l'on raconte de saint Areras arriva dans la
ville de Négra. Cavade fit mourir au même temps les Manichéens de
son royaume, et leur évêque,et fit brûler leurs livres en haine de
ce qu'ils avaient infecté un de ses fils de leur extravagante
doctrine. Il arriva au même temps divers accidents. Anazarbe
métropole de la seconde Cilicie fut renversé par un tremblement
déterre. Édesse ville célèbre de l'Osroène fut ruinée par le
débordement du Scirte qui passe au travers de son enceinte. Lorsque
ce fleuve fut diminué, on trouva sur le bord une table de pierre où
il y avait des hiéroglyphes avec cette inscription. Le Scirte
dansera mal pour Ies habitants. Plusieurs de ceux de Pompéiopole
furent abîmés dans une ouverture qui s'y fit subitement : On vit en
Cilicie une femme d'une taille gigantesque, qui surpassait les plus
grands hommes de la hauteur d'une coudée, qui avait l'estomac d'une
largeur extraordinaire, et des bras, et des mains proportionnées au
reste du corps. Depuis que Vitalien eût été tué, Justinien en
recevant le commandement des troupes fut charge du gouvernement de
l'Empire. Les grands de l'état ayant un jour supplié Justin de
l'associer à l'Empire, il répondit en tenant le bout de sa robe de
pourpre, vous devez souhaiter que jamais un jeune prince ne soit
revêtu de cette robe. Il se défit de la sorte pour cette fois de
leur demande. Mais depuis ils donnèrent le titre de nobilissime à
Justinien, et obligèrent Justin à le lui confirmer. Ce dernier étant
tombé malade bientôt après d'une blessure qu'il avait eue à la
jambe, et se sentant en danger de mourir fit venir Epiphane
patriarche, et les principaux de l'Empire, et en leur présence
attacha le diadème à Justinien son neveu. Il entra incontinent après
dans l'hippodrome, où il fut reçu aux acclamations de tout le
peuple. Il s'en retourna après cela en son Palais. Il était alors
âgé de quarante-cinq ans. Théodore sa femme fut bientôt après
déclarée Impératrice, et Justin mourut après avoir régné neuf
ans, et vint jours.
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