JORNANDÈS.

 

NOTICE SUR JORNANDÈS.

I.

Jornandès (01) naquit à la fin du cinquième siècle ou au commencement du sixième. Son père, comme il nous l'apprend lui-même dans son Histoire des Goths (02), s'appelait Alanowamuth. Son aïeul paternel, Péria, avait été notaire ou secrétaire d'un chef d'Alains nommé Candax, qui, de gré ou de force, s'était rangé avec ses bandes sous les drapeaux d'Attila. Candax, après la mort de ce dernier, secoua le joug des Huns, à l'exemple de tant d'autres peuples, et se retira dans la basse Moesie. Péria le suivit; et tant que ce chef vécut il remplit auprès de lui les fonctions de notaire (03). Ce fut peut-être dans ce pays que naquit Jornandès. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il était de race gothique (04). Ainsi que son aïeul, il fut notaire (05) ; mais il ne nous apprend pas de qui. Il ne tarda pas, comme tous les hommes de cet âge qui avaient fait quelques études, à se convertir à la religion catholique (06) ; il quitta le siècle, se fit moine, et de moine devint évêque de Ravenne, ou peut-être simplement évêque des Goths (07).
« Il était versé dans l'étude des divines Écritures, dit Trithème, et suffisamment instruit des lettres profanes; de moeurs douces, d'une élocution facile, scrutateur des temps anciens, et historien de mérite. Il passe pour avoir écrit plusieurs ouvrages remarquables, dont un très petit nombre seulement est venu à ma connaissance; car je n'ai pu découvrir de lui que deux livres d'histoire. Dans l'un il passe en revue les gestes des Romains, dans l'autre les gestes des Goths depuis leur origine jusqu'à la fin de leur empire (08). »
Ces deux ouvrages sont ceux que nous avons encore, et qui, dans la plupart des éditions, sont intitulés, l'un De regnorum ac temporum successione, l'autre De rebus Geticis. Jornandès, comme Trithème le dit sans le certifier, en avait-il écrit d'autres qui se seraient perdus? Aucune preuve n'existe qui permette de l'affirmer. Le bénédictin dom Porcheron, premier éditeur de l'anonyme de Ravenne, a cru, il est vrai, en découvrir un indice dans un passage où son auteur, parlant de la Valérie, place dans cette province, sur le témoignage deJornandès, un peuple appelé la nation des Dormacanni, Dormacannorum gens (09). Jornandès, dit dom Porcheron (10), n'ayant fait mention ni de la Valérie, ni des Dormacanni, dans les livres que nous avons de lui, on doit en conclure qu'il en avait écrit d'autres qui ne nous sont point parvenus. Mais le docte bénédictin se trompe quand il prétend qu'il n'est fait aucune mention de la Valérie dans les livres qui nous restent de Jornandès. Celui-ci en parle au contraire dans son De regnorum ac temporum successione (11) ; et comme il y place, avec les Quades, les Marcomans, il est évident qu'au lieu de Dormacannorum gens, c'est Marcomannorum gens qu'il faut lire dans le passage de l'anonyme : et par conséquent la citation, étant prise dans l'un des deux ouvrages de Jornandès que nous possédons, ne prouve aucunement qu'il en existât d'autres que le temps aurait détruits.

II.

Des deux livres que Jornandès nous a laissés celui qui a pour titre De regnorum ac temporum successione, et que Trithème désigne comme une histoire romaine, sans doute parce que Rome y tient le plus de place dans les faits, est le même, selon toute apparence, que notre auteur, dans sa dédicace de l'Histoire des Goths, appelle un abrégé des chroniques, De breviatione chronicorum. il nous apprend lui-même qu'il avait déjà mis la main à cet ouvrage; mais qu'à la sollicitation de Castalius, son ami, il l'interrompit pour composer son Histoire des Goths (12). Il le reprit et l'acheva (on verra plus loin en quelle année), à la prière d'un autre ami, nommé Vigile, dont la curiosité le tira, lui écrit-il, de son long assoupissement,et auquel il dédia son travail (13).
Le De regnorum ac temporum successione est un de ces abrégés comme on en écrivit tant avant et surtout après Jornandès ; résumés informes, chroniques à la fois sèches et surabondantes, où les fait: sont entassés sans critique, sans méthode, sans égard pour leur importance relative. Après un cour préambule, l'auteur entre en matière. Il va sans dire qu'il remonte à Adam : c'était depuis longtemps h commencement obligé de toute histoire. Il énumère les générations écoulées depuis Adam jusqu'à Abraham. Vient ensuite une liste des rois des Assyriens, des Mèdes, des Perses, et des successeurs d'Alexandre. Jusque-là son oeuvre n'est qu'une ingrate série de noms et de dates; mais quand il arrive à l'histoire romaine, sa manière change tout à coup : de triviale et rampante, sa diction devient noble, ferme, rapide, comme par enchantement. On s'aperçoit, en un mot, que ce n'est plus un chroniqueur du sixième siècle qu'on lit, mais un écrivain distingué du temps de Trajan, un contemporain de Tacite. En effet, Jornandès ne fait plus que copier l'Epitome de Florus, sans en avertir le lecteur.
  Cet Épitome ou plutôt ce tableau, ainsi que l'appelle Florus lui-même (14), se distingue, comme on sait, par la simplicité du plan, la hardiesse du dessin, l'éclat du coloris. Les principaux faits de l'histoire romaine y sont retracés rapidement, à grands traits, mais dans de justes proportions. C'est ce tableau, ou, pour mieux dire, des lambeaux de ce tableau, que Jornandès a copiés; car, soit pour dissimuler son larcin, soit impéritie de sa part ou paresse, il l'a étrangement mutilé. Ainsi, des quatre livres dont se compose l'Épitome de Florus, le premier se retrouve presque en entier dans cette compilation de Jornandès, moins quelques lignes supprimées çà et là, et les cinq derniers chapitres (22-26 inclusivement), qui sont comme un coup d'oeil de l'auteur sur les divisions intestines de Rome.
  Les retranchements sont beaucoup plus considérables dans le second, celui où Florus peint les Romains, maîtres de l'Italie, entrant en lutte avec le monde. On sent que la lassitude gagne le copiste, qui tronque misérablement le récit de cette lutte, en supprimant sans intelligence et comme au hasard un grand nombre de chapitres qui le complètent. Bornons-nous à citer, parmi les événements qui font le sujet de ces chapitres omis, la guerre de Syrie contre Antiochus, les deux dernières guerres de Macédoine, la troisième guerre punique, etc.
  Le troisième et le quatrième livres sont ceux à l'égard desquels Jornandès s'est donné le plus de liberté; aussi cette partie de son travail présente-t-elle une confusion extrême. Après quelques mots sur la guerre de Jugurtha, qui fait la matière du premier chapitre du troisième livre de Florus, et sur la fin sanglante du roi Juba, suivie de la soumission de l'Afrique, dont Florus ne parle que dans son quatrième livre, le copiste abandonne son modèle, pour revenir très succinctement sur une foule de faits dont le récit se trouve, soit dans quelques-uns des chapitres de Florus qu'il a supprimés, soit dans des historiens postérieurs à ce dernier. On dirait qu'il s'est fait un jeu barbare de jeter ces faits pêle-mêle, d'en rompre l'enchaînement, d'en brouiller la chronologie. Il marche ainsi quelque temps seul et à l'aventure; mais enfin il revient à son premier guide, et l'on voit reparaître les fragments de Florus jusqu'à l'avénement d'Auguste à l'empire, époque où s'arrête cet historien.
  Jornandès poursuit l'histoire des empereurs romains depuis Auguste jusqu'à la vingt-quatrième année de Justinien, et même au delà. II redescend ici au ton de la chronique, ou plutôt au ton des écrivains qu'il prend pour guides, et qu'il est aisé de reconnaître à certains passages qu'il leur emprunte. On peut dire qu'il y a autant de distance entre cette partie de sa compilation et la précédente, qu'il y en a de ces auteurs, et pour n'en nommer qu'un, d'Eutrope (15), par exemple, à Florus.
   Ainsi donc, pour nous résumer, ce livre de Jornandès offre trois parties distinctes. La première n'est qu'un canon chronologique, à la manière d'Eusèbe et de saint Jérôme; les extraits de Florus forment la seconde; la troisième enfin est cette chronique des empereurs, depuis Auguste jusqu'à Justinien.
   Une telle oeuvre ne mérite pas d'être traduite; c'est à peine si quelque fait, quelque date qu'on peut y glaner, dans les dernières pages, dédommagent de l'ennui mortel auquel il faut se condamner pour la lire. L'abrégé de Jornandès appartient exclusivement aux érudits; eux seuls peuvent avoir la patience d'y fouiller, et les érudits n'ont pas besoin de traductions.

III.

L'Histoire des Goths, dont il nous reste à parler, ne vaut guère mieux sous le rapport littéraire que l'ouvrage précédent; mais elle a une importance bien supérieure pour le fond des choses, quoique ce ne soit encore qu'un abrégé. Jornandès nous apprend en effet, dans la dédicace qui se trouve au-devant de cette histoire, qu'il s'est simplement proposé de réduire et de resserrer en un petit volume une histoire des Goths et de leurs rois, depuis la plus haute antiquité jusqu'à l'époque où il écrivait; histoire divisée en douze livres, et dont l'auteur était un sénateur, ou s'appelait Senator, Senatoris (16). De quelque manière qu'on entende ce mot, il paraît hors de doute que Jornandès a voulu désigner ici Magnus Aurelius Cassiodore, son contemporain, aussi célèbre par le nombre et la diversité de ses écrits, que par la grande part qu'il prit au gouvernement de l'Italie sous la domination des Goths. Ce nom est en effet celui qu'on donnait communément à Cassiodore de son temps, et lui-même le plus souvent n'en prend pas d'autre dans ses ouvrages. On en trouve des exemples infinis dans ses Variarum, où, parmi les pièces de plusieurs sortes, rescrits, lettres, édits, dont se compose ce recueil si curieux, on ne voit figurer que fort rarement le nom de Cassiodore (17), tandis que celui de Senator s'y lit à tout moment. Et si l'on avait le moindre doute que ce nom désigne la personne et non le titre, la dignité de Cassiodore, il suffirait pour s'en convaincre tout à fait de jeter les yeux sur la chronique que nous avons de lui, dans laquelle, lorsqu'il arrive à son consulat, qui eut lieu l'an 514 de J. C., il omet tous ses autres noms pour ne prendre que celui-là : « Senator V. C. consul (18), »
   Il est donc incontestable que Cassiodore portait le nom de Senator ; et ce qui d'ailleurs ne permet pas de douter que ce ne soit lui que Jornandès a voulu désigner par ce nom, c'est que nous savons positivement qu'il avait écrit une Histoire des Goths qui s'est perdue, mais dont il est fait plusieurs fois mention dans le recueil de ses lettres. Cassiodore en parle dans la préface qu'il a mise à la tête de ce recueil, et nous apprend qu'elle était divisée en douze livres (19); il y renvoie encore dans une lettre adressée à Thomas et à Pierre, trésoriers du roi Théodat (20); enfin, dans le message par lequel Athalaric fait connaître au sénat de Rome qu'il vient d'élever Cassiodore à la dignité de préfet du prétoire, ce jeune roi cite avec admiration cette histoire comme un des titres qui ont commandé son choix. « Cassiodore s'est appliqué, dit-il, à connaître notre antique famille; et les livres lui ont appris ce que le souvenir de nos vieillards blanchis par l'âge ne retenait plus qu'à peine. Il a tiré les rois des Goths des profondeurs de l'oubli et de la nuit des temps qui les cachaient. Il a fait revivre la race des Amales dans tout son éclat, et montre clairement que nous étions le dix-septième rejeton de cette lignée royale. L'histoire des Goths est devenue, grâce à lui, une histoire romaine. Il a recueilli et réuni, pour ainsi dire, en une couronne, les boutons de fleurs épars auparavant çà et là dans les champs de la littérature (21). »
   C'est cette histoire, si emphatiquement louée ici, dont Jornandès nous a laissé l'abrégé. Un exemplaire lui en avait été prêté par le dispensator ou intendant de l'auteur lui-même; il la relut assidûment pendant trois jours, et se mit ensuite à la réduire de mémoire. II ne s'est pourtant pas si servilement attaché à son modèle, qu'il n'ait osé s'en écarter quelquefois; et, comme il en avertit, il a inséré dans son abrégé des passages d'auteurs grecs et latins qui ne se trouvaient point dans l'original, et entre-mêlé au commencement, à la fin et principalement au milieu de son livre, plusieurs choses qui lui appartiennent (22). Quels que puissent être le nombre et l'étendue de ces additions, il est vraisemblable que si l'histoire de Cassiodore s'était conservée, l'abrégé de Jornandès n'aurait jamais obtenu la grâce d'être lu. La perte de cette histoire, que l'ouvrage moins volumineux de ce dernier fit peut-être tomber, dans un temps où les livres les plus courts étaient les plus recherchés des lecteurs et des copistes, a donné au travail de Jornandès une importance dont il était probablement bien éloigné de se flatter. Quoi qu'il en soit, l'abrégé est devenu pour nous un original ; et cette simple esquisse, malgré les lacunes que présente le récit, malgré le défaut de critique de l'auteur, son ignorance, sa partialité pour les Goths, est encore un des monuments des plus précieux qui nous restent pour la connaissance de l'histoire et de la géographie du cinquième et du sixième siècle de notre ère.
  Nous n'entrerons point ici dans l'examen des questions historiques, géographiques, littéraires même, que soulève l'étude approfondie de l'histoire des Goths; ce travail nous entraînerait trop loin. Nous voulons nous borner, quant à présent, à deux questions qui tiennent trop étroitement au livre même dont on donne ici la traduction, pour pouvoir en être séparées.
   Nous essayerons d'abord de mieux établir qu'on n'a pris la peine de le faire avant nous, l'époque où fut écrite l'Histoire des Goths; et, par occasion, celle où fut achevé le De regnorum ac temporum successione.
   Nous distinguerons ensuite les diverses sources, la plupart perdues, dont il subsiste des traces dans l'Histoire des Goths. Peut-être la recherche de ces sources, que personne encore n'a tentée, ne sera-t-elle pas sans intérêt; elle pourra aider d'ailleurs à faire apprécier le degré de confiance que cette histoire mérite.

IV.

   On ne sait pas précisément à quelle époque Cassiodore écrivit son Histoire des Goths; mais ou découvre dans le recueil de ses lettres des indices qui prouvent qu'il ne composa cet ouvrage qu'après son consulat, et dans les années qui s'écoulèrent depuis la naissance jusqu'à la mort d'Athalaric. Il est d'abord certain que cette histoire avait déjà paru lorsque le successeur de Théodoric le nomma préfet du prétoire (23); car on a vu précédemment en quels termes pompeux ce prince la loue dans la lettre par laquelle il informe le sénat de Rome qu'il vient d'appeler Cassiodore à cette haute dignité. Cette lettre, comme toutes celles du recueil dont elle fait partie, ne porte aucune date, et ne nous apprend pas en quelle année Cassiodore fut nommé préfet du prétoire; mais il se voit par une autre lettre (24) du même recueil que sa nomination eut lieu sous le pontificat de Jean, second du nom, dit Mercure, auquel il écrivit en entrant en charge, pour se recommander à ses prières. Ce pape n'occupa le saint-siége que depuis le 22 janvier de l'an 533 jusqu'au 27 mai de l'an 535, époque de sa mort (25). Plais comme Athalaric mourut en 534, le 2 d'octobre (26), près de huit mois avant lui, il s'ensuit qu'il ne put nommer Cassiodore préfet du prétoire que dans l'intervalle qui sépare le temps de sa mort de celui de l'exaltation de Jean II, c'est-à-dire entre le 22 janvier 533 et le 2 octobre 534. Ainsi c'est entre ces deux dates que doit être placée la nomination de Cassiodore à la dignité de préfet du prétoire; et comme son Histoire des Goths était déjà connue lors de sa nomination, c'est en remontant dans les années qui l'avaient précédée qu'il faut chercher l'époque où il l'écrivit.
   Mais où s'arrêter? Il y a dans ce passage déjà cité de la lettre d'Athalaric au sénat de Rome une phrase qui nous semble indiquer une date qu'on ne peut point dépasser : c'est celle où ce prince dit que Cassiodore avait montré clairement dans son histoire qu'il était le dix-septième rejeton de la race des Amales. Athalaric était donc né avant la publication de cette histoire; car autrement comment Cassiodore aurait-il pu y parler de lui, et y marquer son degré de descendance ?La date de la naissance d'Athalaric, voilà par conséquent cette autre limite qui correspond à celle que nous avons posée. Maintenant, en quelle année naquit Athalaric? Aucun historien ne le dit; mais Procope (27) lui donne huit ans lorsqu'il monta sur le trône, et Jornandès (28) neuf ans accomplis. Or, comme il est constant qu'il commença de régner en 526 (29), sa naissance aurait eu lieu en 518 selon le premier, et suivant le second en 517. En admettant le témoignage de Jornandès, généralement préféré sur ce point (30) à celui de Procope, ce sera donc dans l'espace de temps compris entre l'année 517 et l'année 534, ou pendant la durée de la vie d'Athalaric, que Cassiodore aura composé son Histoire des Goths. On trouvera peut-être cet intervalle bien long; mais comme aucune autre indication précise n'autorise à le restreindre, il est plus sûr de s'en tenir aux deux dates qui le limitent, et qui paraissent incontestables. Il ne s'agit point ici d'ailleurs de fixer avec une exactitude minutieuse le temps où fut écrit un ouvrage que nous n'avons plus, mais seulement de montrer qu'il avait paru depuis un assez grand nombre d'années quand Jornandès entreprit de l'abréger : or, la plus récente des deux dates que nous venons d'établir suffit pour cela; car elle est antérieure de près de dix-huit ans, comme on va le voir, à celle où ce dernier composa son Histoire des Goths.
   Il est en effet certain que cette histoire fut écrite pendant l'année 552. C'est une date sur laquelle les savants (31) sont d'accord depuis longtemps; et si l'on se permet ici de la soumettre à un nouvel examen, ce n'est nullement pour la contester, mais pour en confirmer l'exactitude par des indices auxquels on ne paraît pas avoir pris garde, et qui peuvent servir à la déterminer avec plus de précision.
   Ces indices sont tous fournis par Jornandès lui-même.
   C'est d'abord la mention qu'il fait, dans trois différents endroits de l'Histoire des Goths (32), de la mort de Germanus, neveu de l'empereur Justinien, et de la naissance de l'enfant que Mathasuente, sa veuve, mit au monde après la perte de son époux. Germanus menait une armée au secours de l'Italie, ravagée par Totila, quand il mourut subitement à Sardica dans l'Illyrie (33), la seizième année de la guerre gothique, qui répond à l'an 551. A cette nouvelle aussi triste qu'inattendue, Justinien, au rapport de Procope (34), nomma Justinien et Jean, l'un fils, l'autre gendre de Germanus, pour prendre le commandement de l'armée, à la place de ce dernier : mais ceux-ci, continue le même auteur, jugeant impossible, dans la saison où l'on se trouvait, de faire le tour du golfe Adriatique, et n'ayant point de vaisseaux pour traverser la mer, allèrent hiverner à Salone, dans la Dalmatie. On était donc à l'approche de l'hiver, et par conséquent vers la fin de l'année, quand Germanus mourut ; et comme ce ne fut que plus tard que sa veuve mit au monde cet enfant posthume dont parle Jornandès, à moins de supposer que la naissance de l'enfant ait immédiatement suivi la mort du père, cette mort étant survenue vers la fin de l'année 551, ce ne sera que dans la suivante, c'est-à-dire en 552, qu'aura dû naître cet enfant.
   Mais quand même, contre toute apparence, il serait né un peu avant la fin de l'an 551, la manière dont s'exprime Jornandès en parlant de lui prouverait encore qu'il n'écrivait qu'après l'expiration de cette année : « Cet enfant, dit-il, en qui se trouvent unies la famille des Amales et celle des Anitiens, donne jusqu'ici l'espoir que ces deux familles ne s'éteindront point (35). » L'expression jusqu'ici, adhuc, atteste indubitablement qu'il s'était écoulé du temps entre la naissance de cet enfant et le moment où Jornandès écrivait ce passage; et comme c'est un point établi que Germanus mourut à l'entrée de l'hiver de l'an 551, on aurait beau restreindre l'intervalle qui sépare sa mort de la naissance de son fils, et cette naissance de l'époque où Jornandès écrivait, toujours faudrait-il reporter cette époque en deçà de l'année 551.
   Cet indice, il est vrai, ne donne point la date de l'Histoire des Goths; mais il fixe une limite au delà de laquelle on ne doit plus la chercher. Il en est d'autres qui prouvent, non seulement que cette date est postérieure à l'année 551, mais qui de plus défendent de sortir de l'année suivante.
   Ainsi, au chapitre LVIII de son Histoire des Goths, dans une courte digression sur les rois wisigoths de l'Espagne, Jornandès, après avoir noté le règne d'un moment et la mort de Thiodigisglossa, qu'Isidore de Séville appelle Theudischus (36), s'exprime de la sorte : « Son successeur, jusqu'à présent, est Agil; et c'est contre lui que vient de s'insurger Athanas gilde, sollicitant l'appui de l'empire romain, qui envoie en Espagne le patrice Libérius avec une armée (37). »Isidore, un peu moins laconique sur ce point que Jornandès, dit que cette révolte d'Athanagilde eut lieu la troisième année du règne d'Agila (38); or, comme il est constant que ce dernier fut proclamé roi l'an 550 (39), ce fut pendant l'année 552 qu'Athanagilde s'insurgea contre lui, et que l'empire le fit appuyer par des forces dont le commandement fut confié à Libérius; et la forme du présent qu'emploie Jornandès : continuat regnum... concitat vires Liberius destinatur..., aussi bien que son silence sur les incidents et l'issue de la lutte, qui se termina en 554 (40) par le triomphe d'Athanagilde et la mort d'Agila, ne laissent aucun doute qu'il n'écrivit son histoire au moment même où cette lutte s'engageait, c'est-à-dire pendant l'année 552.
   C'est en effet ce qui résulte également d'un autre passage encore plus formel de cette histoire, le seul, que nous sachions, dont on se soit servi jusqu'à présent pour déterminer l'époque où elle fut composée. Il se trouve au chapitre XIX, où l'auteur, parlant de la peste qui désola l'empire romain sous Gallus et Volusien, ajoute : « Cette peste fut semblable à celle que nous avons éprouvée avant ces neuf dernières années (41). » Il est évident qu'il désigne ici la peste qui fit de si effroyables ravages en 543, et dont Procope (42), entre autres auteurs, nous a laissé le lugubre tableau : aussi a-t-on conclu avec raison que puisque Jornandès écrivait ce passage neuf ans après que ce fléau avait commencé de sévir en Europe, c'est-à-dire neuf ans après 543, c'était en 552 qu'il composait son Histoire des Goths. Ainsi nul doute que cet ouvrage n'ait été écrit pendant la durée de cette année.
   Voici maintenant une nouvelle donnée qui paraît autoriser à restreindre encore cet intervalle, et à le réduire à la première moitié de l'an 552. Elle est doublement précieuse; car si elle a la portée qu'elle semble avoir, elle peut servir à fixer avec la dernière précision, et la date de l'Histoire des Goths, et celle du De regnorum ac temporum successione, que nous avons différé d'arrêter jusqu'à présent.
   Dans le premier de ces ouvrages Jornandès ne va pas au delà de la chute et de la mort de Vitigès; mais il descend à des événements plus récents dans le second. Il y parle des règnes éphémères d'Heldibald, d'Erraric, successeurs de Vitigès, et enfin de celui de Totila. Il raconte sommairement l'élection de ce jeune et intrépide chef ; ses victoires sur les armées de Justinien; Bélisaire lui-même se retirant devant lui ; Rome prise deux fois; la mort de Germanus, et Totila poursuivant ses succès à la faveur de cette mort : mais il s'arrête au moment où Narsès va se montrer, et ne dit pas un mot de son arrivée en Italie, ni de cette bataille où bientôt après Totila, vaincu et blessé mortellement, vit un eunuque de la cour de Byzance détruire en une journée le fruit de ses longs et héroïques efforts ; funeste retour de fortune, qui ôta pour jamais aux Goths l'empire de l'Italie, qu'ils étaient sur le point de ressaisir. Évidemment ce silence de Jornandès sur des événements aussi mémorables, aussi dignes de son intérêt, puisqu'ils frappaient sa nation, arrivés, pour ainsi dire sous ses yeux, dans le même pays qu'il habitait; ce silence prouve qu'ils ne s'étaient pas encore accomplis quand il acheva son De regnorum ac temporum successione. Cet ouvrage était donc fini avant le mois de juin de l'an 552, car c'est la date de la défaite et de la mort de Totila (43). Et comme, avant d'y mettre la dernière main, l'auteur, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut (44), d'après son propre témoignage, avait déjà composé son Histoire des Goths, on est en droit de conclure de ce qui précède que cette histoire fut écrite, et le De successione terminé, après l'expiration de l'année 551 et avant le mois de juin de la suivante, c'est-à-dire, dans la première moitié de l'an 552 (45). Mais il est temps de laisser ces discussions minutieuses, dont l'utilité, nous le craignons, n'excusera pas la longueur, pour passer aux sources de l'Histoire des Goths.

V.

   Ces sources peuvent se classer comme il suit : 
1° Les monuments des littératures grecque et latine ;
2° Les monuments en langue gothique, entre autres des poésies, des chants populaires des Goths;
3° La transmission orale, les récits des vieillards.
   Parmi les nombreux auteurs, soit grecs, soit latins, dont le témoignage est invoqué dans l'Histoire des Goths, il en est qui nous sont parvenus en entier, ou dont nous possédons une partie considérable, comme Strabon (46), Ptolémée (47), entre les géographes ; Josèphe (48), Dion (49), Tite-Live (50), Tacite (51), Orose (52), etc., entre les historiens ; Virgile (53), Lucain (54), entre les poètes. Il faut joindre à ces écrivains ceux que Jornandès ne nomme point, mais qu'il a visiblement copiés en les gâtant, selon son habitude : Pomponius Méla (55), Ammien Marcellin (56), par exemple, et d'autres encore. Tous ces auteurs étant fort connus, et Jornandès ne nous apprenant sur eux rien de nouveau, nous nous bornons à les indiquer, pour ne pas répéter ici ce qu'une infinité de livres ont déjà dit tant de fois.
   Il en est d'autres dont les ouvrages ont péri, à l'exception de quelques rares fragments, et sur lesquels nous n'insisterons pas davantage : tel est Trogne Pompée, dont il ne reste plus que la belle harangue indirecte de Mithridate à ses soldats, conservée par son abréviateur Justin (57), et dont l'histoire subsistait encore au sixième siècle, puisqu'elle est citée par Jornandès (58), et quelques années avant lui par Priscien; tel est l'Athénien Dexippe, célèbre à la fois comme général et comme historien, et comparable par son style à Thucydide, si l'on en croyait le jugement fort suspect du critique Photius (59), lequel nous donne les titres de trois ouvrages de cet auteur, dont un sur les guerres de Scythie, d'où est tiré sans doute un passage fort court, relatif aux Vandales, qu'on lit dans l'Histoire des Goths (60). Tel est encore Priscus de Panium, historien supérieur assurément à Dexippe, et digne des meilleurs temps, à en juger par les morceaux de son Histoire byzantine qui nous restent : il est souvent cité par Jornandès (61), qui nous en a conservé plusieurs fragments de peu d'étendue, mais curieux, dont nous serions privés sans lui; tel est enfin Dionysius ou Denis, que Gérard Vossius (62) range en hésitant, si latine scripsit, dit-il, parmi les historiens latins, et qui pourrait bien avoir écrit en grec, et n'être autre que saint Denys d'Alexandrie. Nous savons par Eusèbe (63) que cet illustre patriarche avait adressé à son troupeau une lettre, aujourd'hui perdue, sur la peste qui désola l'empire, et notamment Alexandrie et l'Égypte, sous Gallus et Volusien; lettre où, mettant en opposition l'héroïque charité des chrétiens et le lâche égoïsme des païens pendant les horreurs du fléau, il retraçait les souffrances qu'avait alors endurées la ville célèbre dont il occupait le siége. Or, comme c'est précisément après avoir parlé de cette peste et des maux qu'elle entraîna sur Alexandrie et l'Égypte, que Jornandès (64) renvoie le lecteur au tableau lamentable qu'en avait tracé Dionysius, nous serions porté à croire qu'il a voulu désigner saint Denys d'Alexandrie, et faire allusion à sa lettre. A la vérité, le titre d'historien, historicus, que Jornandès donne à son Dionysius, ne paraît guère convenir à celui qu'un Père appelle le docteur de l'Église catholique, et auquel on n'attribue d'autres ouvrages que des lettres et des traités de controverse; mais le caractère de la lettre de saint Denys, laquelle n'était, comme on peut le voir dans Eusèbe, que le triste et fidèle tableau de l'état d'Alexandrie durant la peste, explique, sans le justifier peut-être, ce titre d'historien donné à un écrivain qui n'avait jamais composé d'histoire proprement dite ; et l'objection qu'on pourrait tirer de Jette qualification ne nous paraîtrait devoir diminuer en rien la vraisemblance de la conjecture que sous proposons.
   Voilà ceux des écrivains cités dans l'Histoire des Goths, dont quelques débris seulement sont venusj usqu'à nous. Comme la plupart de ces fragments et les plus considérables se trouvent ailleurs que dans jette histoire, cette énumération rapide des auteurs auxquels ils appartiennent doit suffire ici; et nous nous hâtons d'arriver à ceux dont Jornandès seul, ou du moins le premier, nous a fait connaître les toms et les ouvrages.
   Il est plusieurs fois question, dans l'Histoire des Goths (65), d'une histoire des Gètes, intitulée Getica, dont l'auteur s'appelait Dion. Ce Dion est le même apparemment que Dion Cassius ou Coccéius, lequel écrivit, comme on sait, une Histoire romaine en quatre-vingts livres, dont nous ne possédons plus malheureusement qu'un bien petit nombre. Peut-être Dion avait-il donné différents noms aux diverses parties de son vaste ouvrage, selon les sujets qu'il y traitait (66) ; et alors l'Histoire des Gètes pourrait n'avoir été qu'une des parties de cet ouvrage, que le temps a détruit. Cependant Jornandès dit si expressément que Dion avait écrit en grec l'histoire des Gètes, et qu'il avait intitulé son livre Gétique (67), que l'on ne peut guère douter que cette histoire ne fût un ouvrage à part, et indépendant de sa grande Histoire romaine. En ce cas, on eût ignoré sans Jornandès que ce livre eût existé; et c'est à ce qu'il en cite au chapitre X de son histoire que nous sommes redevables de l'unique fragment de la Gétique de Dion qui soit venu à notre connaissance.
   Quelque peu de lumière que Jornandès nous donne sur cet ouvrage, il nous en offre encore moins sur les écrits d'un autre auteur dont il invoque le témoignage, et qu'il désigne par le seul nom de Fahius. Il y eut un assez grand nombre d'historiens de ce nom dans la littérature latine, depuis Fabius Pictor, Fabius Maximus, qui vécurent sous la république, jusqu'à Fabius Rusticus,Fabius Marcellinus, Fabius Cerilianus, qui écrivirent sous les empereurs. En supposant que le Fabius de Jornandès soit un de ces écrivains, le passage qu'il en cite pourrait seul nous aider à reconnaître celui d'entre eux dont il a voulu parler. C'est en décrivant la ville de Ravenne qu'il s'autorise de Fabius, auquel il fait dire que de son temps le port de cette ville était comblé et converti en jardins, et qu'à la même place où se dressaient jadis des mats aux voiles flottantes on ne voyait plus s'élever que des arbres chargés de fruits (68). Or, le port de Ravenne, creusé par Auguste, et dans lequel Claude, après avoir triomphé de l'île de Bretagne , était entré sur un vaisseau si grand, dit Pline (69), qu'il ressemblait plutôt à une maison qu'à un navire; ce port existait encore du temps de ce dernier. Le Fabius cité dans l'Histoire des Goths est donc postérieur à Pline; et comme des historiens déjà nommés les deux derniers seulement vécurent après lui, ce serait alors entre ceux-ci qu'il faudrait borner son choix. L'un, Fabius Marcellinus, fut le biographe d'Alexandre Sévère (70), et peut-être son contemporain; c'est de lui que Vopiscus a dit qu'il avait écrit avec plus de véracité que d'éloquence (71); l'autre, Fabius Cerilianus, fut auteur des Vies de Carus, de Carin et de Numérien, ouvrages où il avait mis beaucoup d'art et d'esprit, selon le même Vopiscus (72). Si nous osions nous prononcer sur une question si peu claire, nous inclinerions à penser que c'est ce dernier que cite Jornandès, parce qu'il est plus éloigné que le précédent du temps de Pline, et que l'intervalle qui l'en sépare, étant plus grand, est plus en rapport avec le temps qui dut s'écouler avant que le port de Ravenne (73) subit la transformation dont parle le passage attribué à Fahius. Mais ce n'est là, nous devons l'avouer, qu'une conjecture fort incertaine; et peut-être le Fabius de Jornandès n'eut-il que le nom de commun avec les écrivains parmi lesquels nous l'avons cherché : il serait même très possible qu'il leur fût postérieur, et qu'il n'eût écrit que dans le cinquième siècle ou le sixième. Voilà pourquoi nous avons cru devoir le placer parmi les écrivains dont notre auteur a préservé les noms d'un entier oubli.
   Il y a presque autant d'incertitude à l'égard d'Ablavius, auteur d'une Histoire des Goths citée plusieurs fois par Jornandès (74). Trois écrivains des quinzième et seizième siècles, Marc-Antoine Coccio, qui se faisait appeler Coccius Sabellicus, Pantaléon et Raphael Maffey, plus connu sous le nom de Raphael Volaterranus, parlent de l'ouvrage d'Ablavius comme existant. encore de leur temps. Vossius (75) (et c'est d'après lui que nous les citons) ne se prononce pas sur le degré de confiance que mérite le dernier, et se défie de l'assertion du second ; mais il croit que le premier avait eu réellement sous les yeux l'histoire d'Ablavius, et qu'il y avait puisé. Comme il avoue pourtant que les passages que Sabellicus en a tirés sont précisément les mêmes qu'on retrouve dans Jornandès, nous oserions élever des doutes sur l'existence de l'original à une époque si peu éloignée de nous. Il paraît permis de douter également qu'Ablavius fût Goth, comme le dit Sabellicus, et qu'il eût été élevé à Ravenne, ainsi que le prétend Raphael de Volaterre, car on n'en voit rien dans Jornandès; et certainement s'il eût été de la même nation que lui, il n'eût pas manqué de le remarquer. Qui était donc Ablavius? Ne pourrait-on pas supposer qu'il est le même que cet Ablavius préfet du prétoire, et ensuite consul en 331 , que Constance, à qui Constantin en mourant l'avait donné pour conseil, fit assassiner en Bithynie, où il s'était retiré? Il avait mérité son sort, dit Zosime; et sa mort fut l'expiation de celle du philosophe Sopater, dont il avait machiné la perte pour se délivrer d'un rival dans la familiarité de Constantin (76). La dureté avec laquelle s'exprime ici Zosime, dont on connaît assez l'attachement pour le paganisme et pour les philosophes qui le défendaient, porterait à penser qu'Ablavius était chrétien. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il cultiva les lettres : une mordante épigramme latine contre Constantin, que Sidoine Apollinaire nous a conservée de lui (77), en fait foi. Il avait donc bien pu écrire cette Histoire des Goths, dont parle Jornandès. Ce qui semblerait appuyer cette conjecture est qu'aucun des faits à propos desquels celui-ci se réfère à son témoignage n'est postérieur au règne de Constantin. Nous n'ignorons point que Gibbon (78) soupçonne Jornandès d'avoir emprunté d'Ablavius le récit du règne et des conquêtes d'Hermanaric, qui font le sujet du chapitre XXIII de l'Histoire des Goths : le savant anglais supposait donc, bien qu'il ne l'ait point dit, que l'Ablavius de notre auteur n'était ni d'une époque aussi ancienne, ni par conséquent le même personnage que celui qui vécut sous Constantin. Mais il n'a pas pris garde que dans cet endroit Jornandès annonce avoir pris chez Ablavius, non pas le récit des événements qui signalèrent le règne d'Hermanaric, mais seulement ce qu'il dit sur la situation des Hérules au bord du Palus-Méotide, et sur l'étymologie de leur nom : or, que les Hérules fussent établis dans le voisinage de la Méotide bien avant le règne de Constantin, c'est ce dont on ne saurait douter, puisqu'on les voit figurer au nombre des nations scythiques qui se rassemblèrent vers l'embouchure du Tyras ou Dniester, du temps de Claude second, pour se jeter dans les provinces de l'empire, où ce prince les défit et les dispersa l'an 268 (79), ; et quant à l'étymologie de leur nom, qu'Ablavius dérivait, suivant Jornandès , du mot grec ele (ἕλος , marais), parce qu'ils habitaient des terres marécageuses, elle était vraisemblablement aussi d'une date antérieure au quatrième siècle; et la manière dont Dexippe avait écrit le nom de ce peuple, Ἕλουροι (80) pour Ἕρουλοι, ferait même soupçonner que cet historien la connaissait déjà, et qu'il avait voulu s'y conformer. Ainsi, malgré l'autorité de Gibbon, aucun indice ne permet de supposer qu'Ablavius parlât dans son histoire des conquêtes d'Hermanaric, ni qu'il ait vécu après son règne. Tout paraît autoriser au contraire à regarder cet écrivain comme plus ancien, et comme le même que le préfet du prétoire de Constantin; et si cette opinion a quelque vraisemblance, elle ne rend que plus regrettable la perte de cette histoire d'une nation aussi peu connue quel l es Goths, écrite par un homme qui joignait, comme Ablavius, les talents littéraires aux connaissances que donnent la pratique des grandes affaires et l'exercice des plus hautes fonctions.
   Tous ces écrivains, ou la plupart d'entre eux, étaient peut-être déjà cités dans l'histoire de Cassiodore; mais nous n'avons aucun moyen de nous en assurer. A l'égard de celui dont il nous reste à parler, on peut, au contraire, affirmer que le fragment que Jornandès nous en a laissé ne se trouvait point dans l'original abrégé par lui. C'est là une de ces additions qu'il annonce avoir faites à son modèle, et c'est même la seule qu'il ait pris soin d'indiquer. Ce morceau assez étendu concerne l'empereur Maximin, d'origine gothique, comme on sait; et Jornandès nous dit qu'il l'a inséré dans son livre pour honorer dans Maximin la nation dont ce prince était sorti. Il l'a transcrit d'une histoire composée au moins de cinq livres, puisque ce passage faisait partie du cinquième; et le nom de Symmaque est celui qu'il donne à l'auteur qui l'avait écrite (81).
   De tous les personnages de ce nom qui cultivèrent les lettres latines le plus. célèbre sans contredit est celui qui fut préfet de Rome et consul l'an 391, et dont nous avons dix livres de lettres, qu'on a comparées avec trop d'indulgence à celles de Pline le Jeune. On a soupçonné qu'il pouvait être l'auteur de cette histoire; mais, outre que le style du fragment que Jornandès nous en a conservé ne ressemble guère à celui des lettres de Symmaque, il y a dans ce fragment un passage qui écarte absolument l'idée que cette histoire fût de lui. L'auteur y dit que Maximin souilla toutes ses bonnes qualités par la persécution qu'il fit souffrir aux chrétiens : or, Symmaque était païen; tout le monde sait sa lutte contre.saint Ambroise au sujet de l'autel de la Victoire, et le zèle ardent qu'il y fit paraître pour le paganisme expirant (82). Comment supposer qu'il eût pu faire un reproche à Maximin d'avoir persécuté une religion à l'influence de laquelle il imputait lui-même la décadence et les malheurs de l'empire (83) ? Il n'a donc pu écrire l'histoire dont ce fragment faisait partie.
 D'autres savants, au nombre desquels il faut, ce semble, ranger M. Daunou (84), puisqu'il rapporte leur opinion sans la combattre, ont pensé que le Symmaque de Jornandès était, non pas le préfet de Rome, mais son père, lequel était consul en 330, et auteur de portraits et d'éloges en vers des hommes célèbres de son temps; ouvrage où il s'était proposé d'imiter un recueil du même genre de Varron, intitulé le Livre des semaines, Hebdomadum liber (85). Quel que fût le mérite de ses vers et même de sa prose, auxquels son fils donne de grands éloges dans deux de ses lettres (86), comme il est constant qu'il était païen aussi, la même raison qui défend d'attribuer cette histoire au fils empêche également de l'attribuer au père.
   Ainsi, en admettant l'hypothèse que l'auteur désigné par Jornandès sous le nom de Symmaque fût de la même famille que les deux précédents, il ne pourrait avoir vécu qu'après le préfet de Rome et la conversion de sa famille au christianisme, conversion qui paraît, du reste, avoir eu lieu peu après sa mort ou celle de son fils. Il est au moins certain que Symmaque, son arrière-petit-fils, dont Boëce avait épousé la fille, et qui périt enveloppé dans la ruine de son gendre, était chrétien; et même l'Église honore sa mémoire d'un culte particulier. Et comme nous savons que, fidèle au goût de sa famille pour les lettres et les arts, il les protégeait et les cultivait lui-même (87), il est possible qu'il eût composé ces livres d'histoire dont il ne reste plus aujourd'hui que le fragment transcrit par Jornandès.
   Quant à cette histoire, elle est plus à regretter pour les choses qu'elle. pouvait contenir que pour son mérite littéraire, si l'on en juge par l'échantillon que nous en avons, quoique Vossius appelle ce morceau luculentum fragmentum (88). Le style en est assez simple, il est vrai, assez clair, et d'une latinité supérieure au temps où vécut le Symmaque auquel nous proposons de l'attribuer; mais ce que Vossius n'a pas remarqué, c'est qu'on ne saurait faire honneur de ces qualités au talent de Symmaque; car celui-ci a pris la meilleure partie de ce fragment dans les Vies des deux Maximins par Julius Capitolinus, qu'il a presque toujours suivi en l'abrégeant, et dont il a même emprunté parfois des phrases entières sans presque y rien changer (89); ce qui fait supposer que son livre n'était autre chose qu'une compilation, un placage de passages pris çà et là dans les auteurs venus avant lui, aussi peu digne du nom d'histoire que la plupart des compositions historiques que produisirent les deux derniers siècles de la littérature latine.
   Voilà ce que nous avons pu découvrir sur les écrivains ou les ouvrages dont les noms ou les titres nous sont seuls parvenus. C'est poursuivre des ombres que de se livrer à de semblables recherches; aussi avons-nous plutôt dit qui n'étaient pas ces auteurs, que nous avons fait connaître qui ils étaient. Toutefois, bien que nous n'ayons guère obtenu que des résultats négatifs, comme ces résultats ne s'accordent point avec les conjectures proposées jusqu'à présent par des hommes justement célèbres par leur érudition, nous avons cru devoir les présenter ici : nous les soumettons à ceux qui ont hérité de leur esprit de critique et de leur savoir; ils jugeront s'ils ont quelque importance, et s'ils sont dignes d'être pris en considération.

VI.

   Parlons maintenant des sources gothiques, de ces monuments où la barbarie avait essayé de se raconter elle-même, et dont la perte a laissé tant de ténèbres sur les nations qui vivaient par delà les pro vinces septentrionales de l'empire.
   On ne peut douter que la langue des Goths, de ceux du moins qui demeuraient en Thrace et en Maesie, n'eût atteint un haut degré de perfectionnement dès le quatrième siècle de notre ère; c'est ce qu'atteste la traduction de la Bible par Ulphilas, traduction dont nous avons encore une partie. Assurément pour que cette langue se prêtât à rendre tous les sentiments, toutes les idées exprimées dans les livres saints, elle devait avoir acquis beaucoup de richesse et de flexibilité : et si ceux qui la parlaient ne peuvent pas être comptés parmi les peuples civilisés, ils étaient, il faut l'avouer, bien moins engagés dans la barbarie que les autres nations avec lesquelles nous sommes accoutumés de les confondre. Jornandès garde le silence sur la version d'Ulphilas, probablement par un scrupule de religion, parce que ce dernier avait embrassé l'hérésie d'Arius, et l'avait répandue chez les Goths; nais il dit qu'Ulphilas passait pour avoir enseigné aux Goths l'art de l'écriture (90). Il est à remarquer qu'il ne lui attribue point, comme d'autres anciens auteurs, l'invention des caractères gothiques; et en effet le célèbre Codex argenteus d'Upsal prouve que ces prétendus caractères gothiques dont se servit Ulphilas ne sont autre chose que les caractères latins du temps (91). Celui-ci ne mérite donc point la gloire d'avoir créé un alphabet; mais il ne paraît pas qu'on puisse lui ôter celle d'avoir écrit le premier dans la langue des Goths.
   Cependant Jornandès (92) cite un monument beaucoup plus ancien que la version d'Ulphilas, savoir, un recueil des lois données aux Goths par un de leurs législateurs nommé Diceneus Boroïsta, qui vivait pendant la dictature de Sylla ; lois dont le texte écrit existait encore de son temps, dit-il, et auxquelles on donnait le nom de Bellagines, dont l'étymologie n'est pas bien connue. Sans rechercher si ces lois étaient en effet l'ouvrage de Diceneus, ou même si elles remontaient au temps où Jornandès le fait vivre, il est impossible de supposer qu'elles eussent été rédigées par écrit avant l'époque d'Ulphilas, puisque, suivant tous les auteurs etJornandès lui-même, ce fut lui qui apprit aux Goths l'usage des lettres. Il est très vraisemblable, au contraire, que ceux-ci n'eurent l'idée de les recueillir et de les écrire qu'après qu'ils se furent établis définitivement en deçà du Danube, et lorsqu'ils se trouvèrent mêlés aux sujets de l'empire et en présence des lois romaines. Les Bellagines furent peut-être le premier essai des nations barbares, après l'invasion, pour réduire en code leurs anciennes coutumes. Elles durent tomber en désuétude après que Théodoric, par la publication de son édit (93), puisé presque en entier dans la loi romaine, eut rendu cette loi obligatoire pour les Goths et pour les Romains.
   Après Ulphilas et les rédacteurs inconnus des Bellagines, quelques Goths écrivirent encore dans leur langue maternelle des ouvrages d'un intérêt moins général. Tels sont entre autres cet Athanarid, ce Marcomir, cet Éthelvald à tout moment cités par le géographe anonyme de Ravenne, qui leur a fait de nombreux emprunts (94). On voit, par les secours qu'il en a tirés, que leurs écrits aujourd'hui perdus traitaient, en grande partie du moins, de la géographie. Jornandès ne parle nulle part d'aucun de ces auteurs , et probablement ils ne vécurent qu'après lui ; on a cru cependant devoir placer ici leurs noms, pour donner la liste à peu près entière, quoique fort courte, des productions qu'un commencement de culture littéraire avait fait éclore chez les Goths, et dont il soit resté quelques vestiges.
   Mais ce n'était là que des fruits artificiels dus aux efforts isolés de quelques hommes, qui, frappés de la supériorité que la civilisation et les lettres assuraient encore à ces Romains dégénérés sur les Goths devenus leurs maîtres, voulaient, eux aussi, donner à leur nation cet éclat qui lui manquait, et venger l'idiome de leurs pères des dédains des populations au milieu desquelles ils vivaient. Le succès ne répondit pas à leurs voeux : leurs ouvrages, pures curiosités littéraires, n'eurent aucune action sur la foule, qui, vraisemblablement, n'en soupçonna pas même l'existence. Quel intérêt en effet pouvaient avoir les travaux de l'esprit pour des hommes qui n'estimaient que la force, la ruse, la bravoure, qui donnent la victoire, et avec elle un repos brutal dans le jeu, dans le vin, le sommeil et toutes les jouissances grossières des sens ? Pour les rendre attentifs il fallait autre chose que des traductions, des recueils de lois, des nomenclatures géographiques; il fallait leur retracer dans un langage rapide, énergique, ardent, figuré, le tableau de leur propre vie, leurs courses lointaines et aventureuses, les joies de la bataille (95), le partage du butin et des captifs, la femme barbare attendant sur les chariots du camp le retour du guerrier, le festin des chefs, la honte du lâche, la gloire du brave. L'histoire de pareilles moeurs se chante, et ne s'écrit point. De là ces poèmes, ces chants populaires qu'on retrouve autour du berceau de la plupart des peuples; histoire inspirée des âges héroïques, où le merveilleux se mêle au réel, où l'humanité prend des proportions colossales, mais sans perdre son caractère ; où l'homme se retrouve toujours dans le demi-dieu : littérature sans art, sans règle, mais pleine d'originalité, pleine de vie et de passions fougueuses; rude et naïve expression d'une société qui s'ignore, et qui s'agite instinctivement pour échapper à l'oubli, et percer les ténèbres qui la séparent du théâtre de l'histoire.
   Tel était à peu près, malgré leurs progrès dans la vie sociale, l'état des Goths au siècle de Jornandès, et telle fut avant lui leur littérature nationale. Il fait plusieurs fois mention de monuments poétiques en langue gothique, fabulae, cantus, cantiones (96), lesquels étaient vraisemblablement très nombreux, et devaient former une suite de récits où revivait le souvenir des choses mémorables arrivées dans la nation des Goths depuis les âges les plus reculés jusqu'à une époque voisine de celle où il écrivait. C'est du moins ce qu'autorisent à présumer les divers endroits de son histoire où il parle de ces poésies ; car ils sont relatifs à des temps séparés entre eux par de grands intervalles, comme aux premiers rois de la nation gothique et à ses premières migrations (97); à la vie que menait la même nation pendant qu'elle était établie au bord du Pont-Euxin (98) ; enfin, au temps plus récent où se livra la terrible bataille de Châlons, dans laquelle périt le roi Théodoric II, que les Goths emportèrent du milieu des morts en chantant des chants à sa louange (99). Si ces chants furent composés pour la circonstance, comme l'expression de Jornandès le fait supposer, on voit que la poésie populaire était encore florissante chez les Goths un siècle avant qu'il écrivit; et il est probable que de son temps, et même après lui, la multitude continua d'avoir ses poètes, tant qu'elle conserva sa langue. Quoi qu'il en soit, l'existence au sixième siècle de notre ère de poésies en langue gothique est incontestable; et non seulement elle est attestée à plusieurs reprises par Jornandès, mais celui-ci n'a fait aucune difficulté d'y puiser; et même, à l'en croire, elles méritaient en général presque autant de confiance qu'une histoire régulière (100).
   Qu'il y eût beaucoup de vrai dans ces monuments, c'est ce dont il n'est guère permis de douter; mais il est à croire aussi que la fiction y tenait une grande place. Confiés à la mémoire des hommes, ces chants, en passant de génération en génération, avaient dû subir bien des altérations; bien des événements qu'ils racontaient avaient dû perdre de leur couleur primitive, et s'altérer par le mélange des circonstances étrangères à l'âge qui les avait vus naître. On peut se faire une idée de ce que devient la vérité historique lorsqu'elle n'est point fixée par l'écriture, en comparant l'Attila et le Charlemagne de l'histoire avec l'Attila des Niebelungen et le Charlemagne des romans et des poèmes carlovingiens; on peut en juger encore, et voir combien chez les Goths aussi l'imagination avait dû se mêler à la mémoire, en rapprochant le court passage de Jornandès racontant qu'une femme nommée Sanielh, dont le mari avait trahi Hermanaric, ayant été condamnée par ce roi des Goths à être attachée à des chevaux sauvages, qui la mirent en pièces, ses frères Ammius et Sarus frappèrent, pour la venger, Hermanaric de leur glaive (101); en rapprochant, disons-nous, ce passage de deux chants de l'Edda de Soemund, intitulés, l'un le Chant provocateur de Gudrun, l'autre le Poème antique sur Hamdir (102), et tous deux évidemment inspirés par l'aventure que rapporte Jornandès, mais dans lesquels, sans les noms de Svanhild (Sanielh ), de Hamdir (Ammius) , de Jormunrek (Hermanaric ), on n'eût assurément jamais deviné, sous le voile poétique qui le couvre, l'événement auquel ils font allusion.
   Les données que pouvaient offrir à l'historien ces chants en langue gothique dont parle Jornandès étaient d'autant moins faciles à démêler, qu'elles se rapportaient à des temps plus reculés. D'ailleurs les événements qui avaient servi de thème à ces poésies appartenaient à deux périodes qu'il faut bien se garder de confondre : l'une avait commencé dans la nuit des origines gothiques, et fini vers l'année 376 de notre ère, époque de la conversion générale des Goths au christianisme ; l'autre embrassait l'intervalle compris entre cette conversion et le temps où Jornandès écrivait. Se faire chrétien, ce fut pour les Goths, comme pour tant d'autres peuples, commencer de mourir à la barbarie; ce fut entrer dans une vie de progrès et de civilisation. Les documents nous manquent pour mesurer les pas qu'ils y firent; mais on ne saurait douter que le nouveau culte, secondé par leurs relations de jour en jour plus fréquentes, plus étroites, avec les sujets de l'empire, n'eût déjà profondément modifié leur esprit et leurs moeurs au sixième siècle. Leur littérature nationale, toute d'inspiration, se ressentit assurément de cette révolution morale ; et l'influence des saintes croyances qui l'avaient amenée dut non seulement se mêler aux productions poétiques de la période chrétienne, mais même altérer les souvenirs des vieux âges païens, désormais moins fidèlement défendus par la mémoire dans ce grand changement qui en emportait toutes les croyances.
   Ces distinctions ne pouvaient guère être faites par Jornandès ni par Cassiodore lui-même. Il est douteux d'ailleurs que le sénateur romain connût ces poésies en langue gothique, et il l'est encore plus qu'il eût daigné s'en servir s'il les eût connues (103). Quant à son abréviateur, s'il eut le premier le mérite d'y puiser, on ne s'aperçoit pas qu'il en ait fait un fréquent usage. Peut-être sa piété répugnait-elle à placer dans son livre des traditions où dominait le merveilleux païen des anciens temps. Quoi qu'il en soit, bien qu'il parle de ces chants dans quatre ou cinq chapitres, tous ses emprunts, ceux du moins qu'il semble avoir voulu indiquer, se bornent à la sortie des Goths de l'île Scanzia, à leur passage dans la Scythie, et à leur établissement dans le voisinage du Pont-Euxin, qui forment la matière du chapitre IV de son histoire; et un peu plus bas, chapitre XIV à la généalogie de la famille des Amales, qu'il a dressée sur le modèle des généalogies de l'Ancien et du Nouveau Testament. Il se peut qu'il ait encore puisé dans ces poésies sans en avertir, par exemple au chapitre XXIV, où il raconte l'origine des Huns, issus dans le désert de l'accouplement de sorcières avec les esprits immondes, et dans d'autres endroits, où de loin en loin la couleur du récit en fait soupçonner les sources; mais en général ses emprunts, à l'exception de ceux que nous avons indiqués, paraissent très peu considérables; et les uns et les autres sont présentés avec une telle sécheresse et une telle inhabileté, qu'on ne peut en tirer que de bien faibles secours.
   Combien n'est-il pas à regretter qu'au lieu de mettre en oeuvre, à sa façon, un petit nombre de matériaux pris au hasard dans ces précieux monuments, Jornandès n'ait pas eu l'idée de nous transmettre textuellement quelques-unes de ces poésies, celles du moins qui lui avaient paru dignes d'être analysées? Sans exagérer l'importance des notions historiques qu'elles eussent pu nous fournir, sans croire qu'il eût été possible d'en dégager assez de faits positifs pour en construire une partie quelconque des annales perdues des nations gothiques, quels secours la critique de nos jours n'en eût-elle pas tirés pour la connaissance de la religion, des moeurs, de la condition sociale de ces nations avant leur apparition sur les limites du monde romain! Mais quel intérêt surtout n'eussent-elles pas offert au point de vue de l'art ! et qu'il eût été curieux de comparer ces fraîches inspirations avec les productions flétries d'une littérature tombée en enfance; le poète inconnu dont la multitude répétait à l'envi les chants, avec le versificateur bel-esprit dont les lettrés seuls admiraient les efforts ingénieux, avec un Ausone, par exemple, ou plutôt avec un Sidoine Apollinaire ! Celui-ci, dans des vers adressés à Catullinus, son ami, qui lui avait demandé un épithalame : « Y songes-tu, lui disait-il, de vouloir que je compose un chant en l'honneur de Dioné, la déesse amie des  vers fescennins, moi dépaysé au milieu des bandes chevelues, et contraint d'endurer le langage germanique; moi réduit parfois à louer d'un air chagrin ce que chante le Burgundion gorgé de nourriture, et qui fait couler sur ses cheveux le beurre aigri (104)?... » Si, comme on peut le supposer, ce que chantait le Burgundion repu était quelque poème populaire (105) semblable à ceux dont parle Jornandès, on eût bien étonné le panégyriste d'Avitus, de Majorien et d'Anthemius, on l'eût profondément blessé peut-être sans le persuader, si on lui eût dit que dans ce chant inculte du barbare, que la prudence le forçait d'écouter, mais dont sa fausse délicatesse était révoltée, il y avait plus de naturel, plus d'inspiration et de vraie poésie que dans tous ses vers, dont la bizarre et puérile industrie faisait l'admiration de son siècle.

VII.

   Nous avons parcouru les sources, soit grecques ou latines, soit en langue germanique, dont il subsiste des vestiges dans l'Histoire des Goths. Il nous reste à dire quelques mots des renseignements que Jornandès et Cassiodore avaient puisés, chacun de son côté, dans la tradition orale, dans les souvenirs des hommes de leur temps.
   Les récits des vieillards, a dit quelque part Voltaire, sont les premiers fondements de toute histoire. Ce genre de sources appartient à tous les temps et à tous les lieux ; et tout historien qui se propose de raconter des faits arrivés dans les premières années de sa vie, ou du vivant de son père et de son aïeul, est tenu de les consulter, les Thucydide comme les Cassiodore, les Tacite aussi bien que les Jornandès. L'auteur de l'histoire originale des Goths n'y avait certainement pas manqué, non plus que son abréviateur; et l'un et l'autre étaient en position de recueillir des détails aussi nombreux qu'intéressants sur les événements qui signalèrent une partie du cinquième siècle, et les premières années du sixième.
   Le père de Cassiodore avait été envoyé en ambassade auprès d'Attila : il avait vu sans trembler, pour emprunter le langage du fils, celui qui faisait trembler l'empire, et ces airs terribles et menaçants du roi des Huns; fort de l'autorité dont il était investi, il n'avait pas daigné y prendre garde (106). Son aïeul avait défendu la Sicile et le pays des Brutiens contre les Vandales, et repoussé de ces contrées ce Genseric dont Rome plus tard endura la cruauté (107). Lui-même, par sa naissance distinguée, par ses talents, par les dignités dont il était revêtu et la faveur dont il jouissait auprès du grand Théodoric, se trouvait en relation avec les personnages les plus éminents de son époque parmi les Romains et parmi les barbares; on voit assez combien il avait de facilité pour être bien informé d'une foule de faits curieux et de leurs moindres circonstances.
   Quant à Jornandès , il fut peut-être encore plus à portée que Cassiodore lui-même de s'instruire de ce qui s'était passé, durant la même période, non seulement chez les Goths, mais aussi chez les divers peuples barbares avec lesquels ils eurent des relations amies ou hostiles. Appartenant à la nation gothique, dont la langue lui était familière, il dut sou vent entendre autour de lui, dès son enfance, les hommes des générations venues au monde avant la sienne raconter les choses mémorables qu'ils avaient vues, les combats auxquels ils avaient pris part, les exploits qu'ils avaient faits. Comme nous l'avons dit d'ailleurs, son aïeul paternel était secrétaire d'un chef d'Alains au service d'Attila. A la suite de son maître, il avait sans doute assisté, soit comme auteur, soit comme témoin,ä la plupart des expéditions du roi des Huns. Il avait dû voir, à la mort du terrible ennemi de la civilisation, les peuples nombreux qu'il tenait sous sa forte main s'élever les uns contre les autres, et reconquérir leur indépendance. Enfin, quand ces peuples se dispersèrent, il continua de partager les hasards de la peuplade d'Alains dont il servait le chef; et jusqu'à la mort de ce dernier il ne le quitta point. N'est-il pas infiniment probable qu'il avait fréquemment entretenu son fils, et peut-être son petit-fils lui-même, des événements et des hommes auxquels il s'était trouvé mêlé, et qu'il leur avait transmis sui les uns et sur les autres beaucoup de renseignements précieux, que les chroniqueurs grecs et latins de cette époque étaient dans l'impuissance de connaître?
   Ainsi, pour les temps voisins du sien, Jornandès, soit dans ce qu'il a extrait de Cassiodore, soit dans les additions qu'il y a faites, mérite plus de confiance qu'on n'est généralement disposé à lui en accorder, quand il rapporte des faits passés sous silence, ou différemment présentés par les autres monuments historiques. Son témoignage, appuyé sur des récits dont un grand nombre de ses contemporains pouvaient vérifier l'exactitude, doit être pesé mûrement; et l'on ne peut se dispenser d'y avoir égard, à moins qu'il ne soit impossible de le concilier avec la vraisemblance et les règles de la saine critique.
   L'édition de dom Garet, ou, pour mieux dire, l'édition de Bonaventure Vulcanius améliorée par dom Garet (Oeuvres de Cassiodore, 2vol. in-fol., Rouen, 1679), et reproduite par Muratori dans ses Scriptores rerum italicarum, t.I, sans être d'une pureté irréprochable, est la meilleure que nous ayons; c'est celle que nous donnons ici. Nous avons cru devoir y faire deux changements : le premier consiste dans la restitution d'un passage tout-à-fait inintelligible du chapitre IV. Nous en donnons les motifs dans la note quatrième du chapitre IV. En second lieu, nous avons supprimé les sommaires, très mal faits pour la plupart, et très inexacts, qui se trouvent à la tête des chapitres, et qui ne sont pas de Jornandès. Nous les avons remplacés par des sommaires français renvoyés à la table, et qui résument avec plus d'exactitude la matière de chaque chapitre.

G. FOURNlER DE MOUJAN.

 


(1) Son nom est écrit diversement (Jornandès, Jordanès, Jordanis, Jordanus ) dans les différents manuscrits de ses ouvrages, et chez les plus anciens auteurs qui aient parlé de lui.

(2) Jornand., De reb. Get., cap. L.

(3)  Id., ibid., cap. L.

(4) De reb. Get., cap. LX.

(5) Ibid., cap. L.

(6) On ne sait s'il quitta la religion païenne ou l'arianisme pour la foi catholique. Les mots ante conversionem meam peuvent signifier aussi son entrée dans la vie monastique. Voy. Du Cange, Gloss., verb. Convers.

(7) Il est fort douteux que Jornandès ait été évêque de Ravenne. Ce titre ne lui est donné que dans certains Mss. de ses ouvrages; dans d'autres il est qualifié seulement évêque: c'est Trithème, De scriptoribus ecclesiast., qui dit qu'il fut évêque des Goths.

(8) ... Vir in divinis Scripturis studiosus, et in secularibus literis competenter eruditus, ingenio mitis, et apertus eloquio, scrutator temporum, et rerum gestarum scriptor insignis. Fertur quaedam praeclara composuisse volumina, de quibus ad meam notitiam paucissima pervenerunt. Reperi enim tantum historiarum libros II, in quorum primo recensuit gesta Romanorum . in secundo vero originem et gesta Gothorum, usque ad finem regni ipsorum. Trithemius, De scriptor. ecclesiaslic. Trithéme pouvait avoir puisé quelques-uns de ces détails dans des auteurs aujourd'hui perdus.

(9) Ravenat. anonym., lib. IV, xx, p. 178, éd. Percheron.

(10Ibid., not. g.

(11) Jornand., De regn. ac temp. success., p. 81, éd. Vulcanii. 

(12) Id., De reb. Get., praefat.

(13) Id., De regn. ac temp. success., epist. nuncupat.

(14) Epitom., lib. I.

(15) Confer. les notices d'Eutrope sur Tibère, lib. VII; sur Gordien, lib. IX; sur Claude II, lib. IX; sur Julien, lib. X. avec les notices des mêmes empereurs dans le De successione, pp. 98, 108, 110, 145, ed. Vulcan.

(16) De reb. Getic., præfat.

(17) Cassiod., Variar., lib. I, iii, iv; lib. III, xxviii; lib. XII, xxviii.

(18Id., Chronic., an 514. Les lettres V. C. peuvent signifier également vir consularis ou vir clarissimus.

(19) Id., Variar., lib. I, præfat.

(20)  Id., Variar., lib. XII, xx. Cassiodore écrivit deux histoires : celle des Goths, et l'histoire tripartite. Bien que dans cette lettre il ne parle que de son histoire, historia nostra, sans dire laquelle, il est évident qu'il n'y peut être question que de la première; car la seconde ne fut composée qu'après la mort de Théodat et la chute de Vitigès, lorsque Cassiodore se fut retiré dans le monastère de Viviers. Voy. G. J. Vessius, De historic. latinis, lib. II, cap. xix.

(21) Cassiod., Parker., lib. IX, xxv: Tetendit se etiam in antiquam prosapiem nostram, lectione discens quod vix majorum notitia cana retinebat. Iste reges Gothorum longa oblivione celatos Iatibulo vetustatis eduxit. Iste Amalos cum generis sui claritate restituit, evidenter ostendens in decimam septimam progeniem stirpem nos habere regalem. Originem Goyhicam historiam fecit esse Romanam, colligens quasi in unam coronam germen floridum, quod per librorum campos passim fuerat ante dispersum.

(22) Jornand., De reb. Get., præfat.

(23) Il l'avait été déjà sous Théodoric. Cassiod., Variar., lib. I, III et IV.

(24) Cassiod., Variar., XI, ii.

(25Art de vérifier les dates, 2e partie, tom. III, in-8°.

(26) De bell. Gothic., Iib. I, ii.

(27) Ib., ib., tom. IV.

(28)  De bell. Getic., cap. LIX.

(29) Art de vérifier les dates, 2e part., tom. IV.

(30) Voy. Art de vérifier les dates, 2e part., tom. IV. - Gibbon, Hist. de la décad. de l'emp. rom., chap. XLI. - Sartorius, Mémoire couronné par l'Institut, p. 215. Cependant Jornandès se trouve en contradiction avec lui-même dans son De regn. ac temp. success., où, comme Procope, il ne lui donne que huit ans lorsqu'il commença de régner : Theodorico rege defuncto, Athalaricus.... successit, et annos octo, quamvis pueriliter vivens, matre tamen regnante Amalasuentha degebat. P. 140, ed. Vulcan.

(31) G. J. Vessius, De historic. lat., lib. II, cap. xx. Diction. de Moreri. - Schoell. Hist. abrég. de la littér. rom., tom. III, p. 175-177.

(32) Cap. XIV, XLVIII, LX.

(33)  Procop., De bell. Gothic., III, LX. - Jornand., De regn. success.

(34) De bell. Gothic., III, XL.

(35)  In quo coujuncta Anitiorum gens cum Amala stirpe, spem adhuc utriusque generis, Domino præstante, promittit. De reb. Get., cap. Lx.

(36) Ou, suivant une autre leçon, Theudiselus. Isidor., Chron. Gothor.

(37) Cui succedens Hactenusagil (leg. hactenus Agil), continuat regnum. Contra quem Athanagildus insurgens Romani regni concitat vires. Ubi et Liberius patricius cum exercitu destinatur. De reb. Get, cap. LVIII.

(38) Cujus tertio anno Athanagildus tyrannidem... arripuit. Isidor., Chron. Gothor.

(39) Art de vérifier les dates, 2° part., tom., VI, in-8°.'

(40) Ib., ibid.

(41) Quando et pestilens morbus pene istius necessitatis consimilis, ut nos ante hos novem annos experti sumus.... De reb. Getic., cap. XIX.

(42) De bell. Persic., Il, XXII, XXIII.

(43Art de vérifier les dates, 2e part., tom. IV, p. 569. Voy. une note de Gibbon, Hist. de la décad., etc., chap. XLIII.

(44) Sect. Il.

(45) En envoyant à Vigile le De successione, Jornandès lui écrit : Je joins à cet ouvrage aliud volumen de origine actuque Getiae gentis, quod jamdudum communi amico Castalio edidissem. Il semblerait, d'après ce passage, que la publication de l'Histoire des Goths aurait été tort antérieure à celle du De succession. Mais on sait assez que jamdudum exprime un passé plus ou moins reculé, et quelquefois même le présent. Ce qui d'ailleurs fixe ici le sens de cet adverbe, c'est ce que dit Jornandés dans le De successione, quelques pages avant la fin, que Justinien au moment qu'il écrit a déjà régné vingt-quatre ans: Justinianus regnat jam, jubente Domino, annos XXIV. Or. comme il paraît compter les années du règne de ce prince, non du 1er avril 527, époque où il fut associé à l'empire par Justin, mais du 1er août de la même année, qu'il fut seul empereur, il s'ensuit que Jornandés écrivait ce passage après le mois d'août de l'an 551. Ce qui suit, du moins depuis la page où il fait mention de la mort de Germanus jusqu'à la fin de l'ouvrage, doit avoir été écrit dans l'année 552, avant la défaite et la mort de Totila.

(46) De reb. Get., cap. II. Jornandés est le dernier des auteurs anciens qui cite Strabon. Après lui les écrits de ce géographe disparaissent durant tout le moyen âge, pour ne revoir le jour qu'au quinzième siècle.

(47 Ibid., cap. III

(48) Ibid., cap. IV.

(49) Ibid., cap. II et XXIX.

(50Ibid., cap. II.

(51Ibid., cap. II.

(52) Ibid., cap. V, IX et XXIV.

(53) Ibid., cap. I, V et VII.

(54). Ibid., cap. V.

(55) Ibid., cap. II, v. Son nom se trouve pourtant dans le Ms. de la bibliothèque Ambrosienne, dont Muratori a donné les variantes, Scrip. rer. italicar., tom. I.

(56De reb. Getic., cap. XXIV.

(57Justin, Histor., lib. XXXVIII, cap. IV.

(58) De reb. Get., cap. VI, X.

(59) Photius, cod. 82.

(60Jornand., De reb. Get., cap. XXII.

(61) De reb. Get., cap. XXIV, XXXIV, XXXV, XLII, XLIX.

(62).  De historic. latin., lib. II cap. III.

(63). Eusèbe, Hist., VII, xxii.

(64) De reb. Get., cap. XIX.

(65) De reb. Get., cap. V, IX, X.

(66) Schoell, Hist. de la littér. grecque profan., I. IV, p. 156.

(67) Dio, qui historias eorum annalesque graeco stylo composuit, cap. v. Dio..., qui operi suo Getica titulum dedit, cap. IX.

(68Qui nunc, ut Fabius ait, quod aliquando portus fuerat, epaciosissimos hortos ostendit, arboribus plenos : verum de quibus non pendant vela, sed poma. Cap. XXIX.

(69 Plin., Natural. histor., lib., Ill, xx, 16.

(70) Lamprid., Alex. Sev., XLVIII.

(71).Minus diserte quam vere. Flav. Vopisc., Probus, Il.

(72) Fabius Cerilianus, qui tempora Cari, Carini et Numeriani sollertissime persecutus est. Flav. Vopisc, Carus, IV.

(73) Au sixième siècle, Ravenne avait encore un port situé sur l'emplacement de l'ancien, mais beaucoup plus petit. Voy. la septième note du chap. XXIX.

(74) De reb. Get., cap. IX, XIV, XXIII.

(75) G. Vossii De histor. lat., lib. III.

(76). Zosim., lib.Il., cap. XL.

(77) Voici cette épigramme :
Saturni aurea secla quis requirat?
Sunt haec gemmea, sed Neroniana.

(78) Gibbon, Hist. de la décad., etc., chap. XXV, en note.

(79 Zozim., lib. I, XLII; Trebell. Pollion., Div. Claud., VI.

(80). Ἕλουροι, Σκυθικὸν ἔθνος, περὶ ὧν Δέξιππος ἐν Χρονικῶν. Bι. Stephan. Byzant., voc. Ἕλουροι, dati non Etym. magn.

(81) Jornand., De reb. Get., cap. XV : Ut dicit Symmachus in quinto sua; historien libro... quod nos idcirco huic opusculo de Symmachi historia mutuavimus, quatenus gentem, unde agimus, ad regni Romani fastigium usque venisse doceamus.

(82) Fabricius l'appelle : Causa gentium adversus christianos pertinax et ingeniosus assertor. Bibliot. lat., t. III, éd. Ernesti.

(83 Symmach., lib. X, epist. 54.

(84) Biographie univers. de Michaud., art. SYMMAQUE.

(85).  Symmach., lib. I, epist. 2.

(86).Id., ib., epist. 5 et 4.

87) Cassiod., Var., lib. IV, cap. LI.

(88G. Vossii De hist. lat., lib. III.

(89 Julius Capitolinus, Maximi duo. Quelquefois Symmaque se montre meilleur écrivain que J. Capitolin, en l'abrégeant; mais quelquefois aussi, en voulant le changer, il le corrompt. Capitolin avait écrit : Ut eum coerceret, ac romana imbueret disciplina. A cette phrase très latine, Symmaque a substitué celle-ci, qui ne l'est pas: Ut eum coercitum ad Romanam imbueret disciplinam.  Il met : Cum imperator prodierat in campum, au lieu de cum processisset Severus ad campum, qui se trouve dans Capitolin. Ces altérations, et des phrases comme celle-ci : Quod perpetratum facinus erat quaesitum ab Heliogabalo, trahissent le contemporain de Cassiodore et de Jornandés.

(90Vulfila, qui eis dicitur et litteris instituisse. De reb. Get., cap. LI.

(91) Voy. Schoell, Hist. abrég. de la litt grecque sacrée, p.170.

(92) De reb. Get., cap. XI.

(93) Edict. Theodoric. reg. ap. Lindenbrog. Codex leg. antiquar. Cet édit fut publié pendant le séjour de Théodoric à Rome, l'an 500.

(94) Voici l'indication de ces emprunts; nous nous servons de l'édition de dom Percheron : Description du Danemark, Dania, p. 161. - Du pays des Saxons, Saxonia; du pays Albis, pp. 171, 172. - Des Pannonies, p. 175. - De la Valérie, p. 176. - Du pays de Carnech ou des Carnes, p. 178. - De la Liburnie, p. 180. - Du pays des Frigoni, p. 181. -- De la Francia Rhinensis ou Gaule belgique, p. 182. - De la Thuringe; du pays des Suaves et des Alamanes, pp. 185, 186. - De la Bretagne continentale, p. 229. Ces auteurs avaient aussi décrit l'Italie et l'Espagne, comme on le voit pp. 198. 233; mais ici le géographe de Ravenne leur a préféré d'autres écrivains.

(95) Certaminis kuius gaudia. Discours d'Attila aux Huns avant la bataille de Châlons. De reb. Get., cap. XXXIX.

(96 De reb. Getic., cap. XI, XIV, XLI. - Ammien Marcellin parle aussi des chants populaires des Goths : Barbari (Gothi) majorum laudes clamoribus stridebant inconditis, lib. XXII cap. vii.

(97) De reb. Getic., cap. IV et XIV.

(98) Ibid., cap. V.

(99)  Cantibus honoratum. Ibid., cap. XLI.

(100) ... Quemadmodum et in priscis eorum carminibus pene historico ritu in commune recolitur. De reb. Getic., cap. IV,

(101)  Jorn., De reb. Get., cap. XXIV.

(102) M. Saint-Marc Girardin avait déjà fait ce rapprochement dans ses Notices politiques et littéraires sur l'Allemagne, p. 87 et suiv.

(103) Athalaric, dans le passage de sa lettre que nous avons citée plus haut, dit que Cassiodore avait puisé dans les livres : Lectione discens quod vix majorum notitia cana retinebat. Cassiod., Var., IX, xxv.

(104 Quid me, et si valeam, parare carmen
Fescenninicolae jubes Diones
Inter crinigeras situm catervas,
Et Germanica verba sustinentem,
Laudantem tetrico subinde vultu
Quod Burgundio cantal esculentus,
Infundens acido comam butyro ?...
Sidon. Apolliin., ap. Script. rer. Franc., p. 511.

(105) Voy. Aug. Thierry, Lettres sur l'hist de Fr., p.100, 3e éd.

(106) ... Vidit intrepidus quem timebat Imperium; facies illas terribiles et minaces, fretus auctoritate, despexit. Cassiod, Var.,I, iv.

(107) Debuit itaque virtutibus ejus respublica quod illas provincias tam vicinas Gensericus non invasit, quem postes truculentum Roma sustinuit. Cassiod., Var., I, iv.