VARRON
DE LA LANGUE LATINE
DE LINGUA LATINA
LIVRE VIII.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
LIBER OCTAVUS 1. Quom oratio natura tripertita esset, ut superioribus libris ostendi, cuius prima pars, quemadmodum vocabula rebus essent imposita ; secunda, quo pacto de his declinata in discrimina ierunt : tertia, ut ea inter se ratione coniuncta sententiam efferant : prima parte exposita, de secunda incipiam hinc ; ut propago omnis natura secunda, quod prius illud rectum, unde ea, sic declinata: itaque declinatur in verbis rectum homo; obliquum hominis, quod declinatum a recto. |
LIVRE VIII.1. J’ai dit, dans les livres précédents, qu’il y avait lieu d’étudier dans les mots, 1° l’étymologie ; 2° la déclinaison; 3° la syntaxe. Ayant achevé ce qui regarde l’étymologie, je vais m’occuper de la seconde partie, c’est-à-dire des déclinaisons, qui sont des modifications secondaires de la forme primordiale des mots. Ainsi homo (homme) fait hominis (de l’homme). Dans le premier cas, le mot est direct (rectum); et dans le second, oblique (obliquum). |
2. De huiuscemodi, multiplici natura discriminum causae sunt hae : cur et quo, et quemadmodum in loquendo declinata sunt verba. De quibus duo prima duabus causis percurram breviter : quod et tum cum de copia verborum scribam, erit retractandum; et quod et, de tribus tertium quod est, habet suas permultas ac magnas partes. |
— 2. Dans cette cause de la variété munie des mots, j’aurai à considérer, 1° la raison des déclinaisons; 2° leurs différentes formes; 3° leur origine. Je parcourrai rapidement ce qui regarde les deux premiers points, parce que j’aurai à y revenir en traitant de l’abondance des mots, et aussi parce que le troisième m’arrêtera longtemps par ses détails et son importance. |
3. Declinatio inducta in sermones non solum Latinos, sed omnium hominum, utili et necessaria de causa: nisi enim ita esset factum, neque discere tantum numerum verborum possemus; infinitae enim sunt naturae, in quas ea declinantur : neque quae didicissemus, ex his, quae inter se rerum cognatio esset, appareret. At nunc ideo videmus, quod simile est, quod propagatum. Legi ubi declinatum est a lego, duo simul apparent, quodammodo eadem dici et non eodem tempore factum : at si verbi gratia alterum horum diceretur Priamus, alterum Hecuba, nullam unitatem adsignificaret, quae apparet in lego et legi, et in Priamus et Priamo. |
3. La déclinaison est une loi nécessaire et utile, non seulement de la langue latine, mais de toutes les langues : autrement, le nombre des mots excéderait l’étendue de la mémoire; car les modifications des mots déclinés sont infinies; et lors même qu’on parviendrait à retenir cette multitude de mots que supplée la déclinaison, on serait dans l’impossibilité de reconnaitre leur parenté. Mais, au moyen de la déclinaison, on distingue à la fois l’identité et la différence. Ainsi, dans legi (j’ai lu) et lego (je lis), je vois à la fois qu’il est question d’une même chose, et que cette même chose n’a pas été faite dans le même temps. Mais si l’on se servait de deux mots tout à fait différents, de Priamus, par exemple, dans le premier cas, et de Hecuba dans le second, on ne verrait pas le rapport de ces deux mots, comme dans legi et lego, dans Priamus et Priamo. |
4. Ut in hominibus quaedam sunt agnationes ac gentilitates, sic in verbis: ut enim ab Aemilio homines orti Aemilii, ac gentiles, sic ab Aemilii nomine declinatae voces in gentilitate nominali: ab eo enim, quod est impositum recto casu Aemilius, orta Aemilii, Aemilium, Aemilios, Aemiliorum et sic reliquae eiusdem quae sunt stirpis. |
— 4. Il y a donc entre les mots, comme entre les hommes, des liens de descendance et de parenté nominale. En effet, de même que Aemilius, en tant qu’homme, adonné naissance à la famille des Aemilius; ainsi le nom Aemilius a donné naissance à Aemilii, Aemilium, Aemilio, Aemiliorum, etc. |
5. Duo igitur omnino verborum principia, impositio et declinatio; alterum ut fons, alterum ut rivus. Imposititia nomina esse voluerunt quam paucissima, quo citius ediscere possent, declinata quam plurima, quo facilius omnes, quibus ad usum opus esset, dicerent. |
— 5. Les mots sont donc, en général, primitifs et déclinés (impositi et declinati). La nature a voulu que les mots primitifs fussent en très petit nombre, afin qu’on pût les apprendre très vite; et que les mots déclinés fussent en très grand nombre, afin qu’on pût exprimer très facilement toutes les nuances de la pensée. |
6. Ad illud genus, quod prius, historia opus est : nisi discendo enim, aliter id non pervenit ad nos; ad reliquum genus, quod posterius, ars: ad quam opus est paucis praeceptis, quae sunt brevia. Qua enim ratione in uno vocabulo declinare didiceris, in infinito numero nominum uti possis: itaque novis nominibus allatis in consuetudinem, sine dubitatione eorum declinatus statim omnis dicit populus; etiam novicii servi empti in magna familia cito omnium conservorum nomina recto casu accepto in reliquos obliquos declinant. |
— 6. Pour connaître l’origine des mots primitifs, nous avons besoin de l’histoire, parce que cette connaissance ne peut nous arriver que par la tradition; mais, à l’égard des mots déclinés, c’est l’art qui doit nous servir de guide, et cet art repose sur un petit nombre de préceptes, qui sont très simples. En effet, les règles de la déclinaison d’un seul mot peuvent nous servir à décliner, par analogie, une infinité d’autres mots. C’est pourquoi, lorsque de nouveaux mots s’introduisent dans la langue, tout le monde les décline aussitôt sans difficulté. Ne voit-on pas, dans les maisons dont le domestique est fort nombreux, les esclaves nouvellement achetés faire passer par tous les cas obliques les noms de leurs compagnons, aussitôt qu’ils connaissent le cas direct? |
7. Qui si nonnumquam offendunt, non est mirum: etenim illi qui primi nomina imposuerunt rebus, fortasse an in quibusdam sint lapsi: voluisse enim putantur singularis res notare, ut ex his in multitudinem declinaretur, ab homine homines; sic mares liberos voluisse notari, ut ex his feminae declinarentur, ut est ab Terentio Terentia; sic in recto casu quas imponerent voces, ut illinc essent futurae quo declinarentur: sed haec in omnibus tenere nequisse, quod et unae et binae dicuntur scopae, et mas et femina aquila, et recto et obliquo vocabulo vis. |
— 7. Que si quelquefois cette déclinaison est défectueuse, cela ne doit pas étonner, parce que ceux qui, au commencement, ont imposé les noms aux choses, ont bien pu pécher dans la formation de certains mots. Sans doute ils ont voulu faire en sorte que le nom de chaque chose pût passer, par une déclinaison facile, du nombre singulier au nombre pluriel, comme homo, homines, et que le nom d’un homme libre pût également passer, par analogie, du genre masculin au genre féminin, comme Terentius, Terentia; et ainsi pour les différents cas du même mot, soit au singulier, soit au pluriel : mais ils n’ont pas toujours pu ce qu’ils voulaient, et scopa (balai), par exemple, désigne une seule chose; aquila (aigle) désigne à la fois le mâle et la femelle; vis (violence) a le nominatif et le génitif semblables. |
8. Cur haec non tam sint in culpa quam putant, pleraque solvere non difficile, sed nunc non necesse ; non enim quid potuerint adsequi, sed qui voluerint, ad hoc quod propositum, refert, quod nihilo minus, declinari potest ab eo quod imposuerunt, scopae, scopa, quam si imposuissent scopa, ab eo scopae, sic alia. |
— 8. Il ne me serait pas difficile de prouver que, dans la plupart des mots de cette espèce, il n’y a pas eu autant de leur faute qu’on le pense : mais cela n’est pas nécessaire ici; car ce qui importe à mon dessein, c’est de constater ce qu’ils ont voulu faire, et non ce qu’il ne leur a pas été donné de faire; d’autant qu’il est aussi facile, par exemple, de tirer scopa de scopœ, qu’il l’eût été de tirer scopœ de scopa, si scopa était le mot primitif. |
9. Causa, inquam, cur ab impositis nominibus declinarint, quam ostendi. Sequitur, in quae voluerint, declinari aut noluerint, ut generatim ac summatim, item in formis. Duo enim genera verborum : unum fecundum, quod declinando multas ex se parit disparilis formas, ut est lego, legis, legam, sic alia : alterum genus sterile, quod ex se parit nihil, ut est etiam, vix, cras, magis, quor. |
9. J’ai exposé la raison de la déclinaison des mots, qui était, comme je l’ai dit au commencement de ce livre, un des trois points que je me suis proposé d’étudier. Je vais maintenant passer en revue, mais sommairement et d’une manière générale, les différentes formes de déclinaisons, dont les mots sont susceptibles. II y a deux genres de mots : des mots féconds, dont la déclinaison engendre une multitude de formes diverses, comme lego (je lis), legis (tu lis), legam (je lirai), etc.; des mots stériles, qui ne sont susceptibles d’aucune modification, comme etiam (aussi), vix (à peine), cras (demain), magis (plus), quor (pourquoi). |
10. Quarum rerum usus erat simplex, simplex ibi etiam vocabuli declinatus, ut in qua domo unus servus, uno servili opust nomine ; in qua multi, pluribus. Igitur et in his rebus quae verba sunt et nomina, quod discrimina vocis plura, propagines plures ; et in his rebus, quae copulae sunt ac iungunt verba, quod non opus fuit declinari in plura, fere singula sunt: uno enim loro alligare possis vel hominem vel equum vel aliud quod, quicquid est quod cum altero potest alligari. Sic quod dicimus in loquendo, consul fuit Tullius et Antonius : eodem illo et omnis binos consules colligare, possumus, vel dicam amplius, omnia nomina, atque adeo etiam omnia verba ; cum fulmentum ex una syllaba ; illud et, maneat unum. Quare duce natura, institutum est, ut quae imposita essent vocabula rebus, ne ab omnibus his declinatus putarent. |
— 10. On conçoit, en effet, que les mots servant à désigner des idées invariables devaient être également invariables, de même que, dans une maison où il n’y a qu’un seul esclave, cet esclave n’a besoin que d’un nom; tandis que, dans une maison où il y en a plusieurs, chaque esclave a besoin de plusieurs noms, pour qu’on puisse le distinguer de ses compagnons. Ainsi les mots et les noms qui expriment des idées variables doivent nécessairement subir des modifications correspondantes à ces idées; tandis que les mots qui ne servent qu’à unir les mots entre eux, sont ordinairement invariables et ressemblent à une courroie, qui peut également servir à attacher un homme, un cheval, etc. Quand nous disons, par exemple: sous le consulat de Tullius et d’Antonius, nous sentons que la conjonction et peut unir non seulement les noms de deux consuls quelconques, mais encore tous les noms et tous les mots sans exception. |
11. Quorum generum declinationes oriantur, partes orationis sunt duae, si, item ut Dion, in tris diviserimus partes res, quae verbis significantur: unam, quae adsignificat cassus : alteram, quae tempora : tertiam, quae neutrum. De his Aristoteles orationis duas partes esse dicit, vocabula et verba, ut homo et equos, et legit et currit. |
11. Il y a deux espèces de mots déclinables, si, à l’exemple de Dion, nous distinguons trois sortes de mots : 1° ceux qui ont des cas; 2° ceux qui ont des temps; 3° ceux qui n’ont ni cas ni temps. Aristote distingue deux parties d’oraison, les vocables et les verbes ; les vocables, comme: un homme, un cheval; les verbes, comme : il lit, il court. |
12. Utriusque generis, et vocabuli et verbi quaedam priora, quaedam posteriora; priora ut homo, scribit, posteriora ut doctus et docte ; dicitur enim homo doctus et scribit docte. Haec sequitur et locus et tempus, quod neque homo, nec scribit potest sine loco et tempore esse : ita ut magis sit locus homini coniunctus, tempus scriptioni. |
— 12. De ces deux espèces de mots, les uns sont principaux, et les autres secondaires : principaux, comme : un homme, il écrit; secondaires, comme savant, savamment. On dit, en effet : un homme savant, il écrit savamment. Viennent ensuite le lieu et le temps, puisqu’on ne peut exister ou faire quelque chose que dans un lieu et dans un temps. Remarquons toutefois que l’idée de lieu se rattache plus particulièrement à l’idée d’être, et l’idée de temps à celle d’action. |
13. Quom de his nomen sit primum (prius enim nomen est, quam verbum temporale ; et reliqua posterius, quam nomen et verbum : prima igitur nomina) : quare de eorum declinatione, quam de verborum, ante dicam. |
— 13. Le nom précède donc tous les autres mots; après lui vient le verbe. Nous nous conformerons à cet ordre naturel, et nous commencerons par la déclinaison des noms. |
14. Nomina declinantur aut in earum rerum discrimina, quarum nomina sunt, ut ab Terentius, Terenti : aut in eas res extrinsecus, quarum ea nomina non sunt, ut ab equo equiso. In sua discrimina declinantur aut propter ipsius rei naturam, de quo dicitur, aut propter illius, qui dicit. Propter ipsius rei discrimina, aut ab toto aut a parte. Ab toto, ut ab homine homunculus, ab capite capitulum; propter multitudinem, ut ab homine homines; ab eo abeo quod alii dicunt cervices et id Ortensius in poematis cervix. |
14. Les déclinaisons des noms sont intrinsèques, comme Terentius, Terenti, ou extrinsèques, comme equus (cheval), equiso (écuyer). Les uns désignent les mêmes choses; les autres, des choses différentes. Les déclinaisons intrinsèques sont relatives ou à la chose dont on parle ou à la personne qui parle. Dans le premier cas, elles dérivent de la chose entière ou d’une partie de la chose : de la chose entière, comme homunculus (petit homme), de homo (homme); capitulum (petite tête), de caput (tête); hommes (hommes), de homo, et, en sens inverse, cervix (cou), qu’on trouve dans les poèmes d’Hortensius, de cervices, dont le singulier n’est pas en usage. |
15. Quae a
parte declinata, aut a corpore, ut a mamma mammosae, a manu
manubria, aut ab animo, ut a prudentia prudens, ab
ingenio ingeniosi. Haec sine agitationibus; at ubi motus
maiores, item ab animo, aut a corpore, ut ab strenuitate et
nobilitate strenui et nobiles. Sic a pugnando et
currendo pugiles et cursores. Ut aliae declinationes
ab animo, aliae a corpore : sic aliae, quae extra hominem, ut
pecuniosi, agrarii, quod foris pecunia et ager. |
— 15. Ou d’une partie de la chose, soit du corps, comme mammosœ (qui a de grosses mamelles), de mamma (mamelle); manubria (un manche), de manus (main); soit de l’âme, comme prudens (prudent, savant), de prudentia (prudence, science); ingeniosi (spirituels), de ingenium (esprit). Ces mots ne désignent que des sentiments calmes; mais, pour en exprimer de plus vifs, l’âme a donné naissance à strenui (actifs, courageux), par exemple, de strenuitas (activité, courage); à nobiles (nobles), de nobilitas (noblesse). Ainsi de pugnare (lutter) on a fait pugiles (lutteurs); de currere (courir), cursores (coureurs). De même que les déclinaisons se tirent tantôt de l’âme, tantôt du corps, elles se tirent aussi de choses extérieures, comme pecuniosi (riches en argent), agrarii (riches en terres). |
16. Propter eorum qui dicunt, sunt declinati casus, uti is qui de altero diceret, distinguere posset, quom vocaret, quom daret, quom accusaret : sic alia eiusdemmodi discrimina, quae nos et Graecos ad declinandum duxerunt. Sine controversia sunt quinque. Quis voceturr, ut Hercules; quemadmodum vocetur, ut Hercule; quo vocetur, ut ad Herculem; quoi vocetur, ut Herculi; cui vocetur, ut Herculi; cuius vocetur, ut Herculis. |
16. Les déclinaisons relatives à la personne qui parle ont pour fin de lui donner le moyen de déterminer, en parlant d’une autre, ce qu’on appelle le nominatif, le datif, l’accusatif, et les autres modifications de noms qui ont passé de la langue grecque dans la nôtre. On s’accorde à en reconnaître cinq : le nominatif, Hercules; l’ablatif, Hercule; l’accusatif, Herculem; le datif, Herculi; le génitif, Herculis. |
17. Propter ea verba quae erant proinde cognomina, ut prudens, candidus, strenuus, quod in his praeterea sunt discrimina propter incrementum, quod maius aut minus in his esse potest, accessit declinationum genus, ut a candido, candidius, candidissimum, sic a longo, divite, id genus aliis ut fieret. |
— 17. A l’égard des adjectifs, comme les qualités qu’ils désignent peuvent être plus ou moins prononcées dans le sujet auquel ils se rapportent, on a créé une autre espèce de déclinaison, comme candidum (blanc), candidius (plus blanc), candidissimum (très blanc); et ainsi des autres adjectifs. |
18. Quae in eas res quae extrinsecus, declinantur, sunt ab equo equile, ab ovibus ovile, sic alia (haec contraria illis quae supra dicta, ut a pecunia pecuniosus, ab urbe urbanus, ab atro atratus): ut nonnunquam ab homine locus, ab eo loco homo, ut ab Romulo Roma, ab Roma Romanus. |
18. Les déclinaisons extrinsèques sont, par exemple, equile (écurie), de equus (cheval); ovile (bergerie), de ovis (brebis), etc. : au contraire de celles dont j’ai parlé plus haut, et qui consistent à changer pecunia en pecuniosus, urbs (ville) en urbanus (urbain), ater (noir) en atratus (noirci). Au nombre des déclinaisons extrinsèques il faut ranger aussi celles qui d’un nom d’homme font un nom de lieu, et réciproquement, comme: Roma, de Romulus, et Romanus, de Roma. |
19. Aliquot modis declinata ea quae foris ; nam aliter qui a maioribus suis, Latonius et Priamidae : aliter quae a facto, ut a praedando praeda, a merendo merces. Sic alia sunt, quae circum ire non difficile; sed quod genus iam videtur, et alia urgent, omitto. |
— 19. Les déclinaisons qui ont pour principe une chose extérieure sont assez variées. Ainsi autre est la déclinaison d’un nom de famille, comme Latonius (fils de Latone), Priamidae (fils de Priam); autre est la déclinaison qui pour principe une action, comme proeda (proie), de proedari (voler, pilier); merces (récompense), de mereri (mériter), etc. Je pourrais citer d’autres exemples de cette espèce de déclinaison; mais comme il est facile de s’en rendre raison, et que d’ailleurs il me reste beaucoup à dire, je passe à un autre point. |
20. In verborum genere quae tempora adsignificant, quod ea erant tria, praeteritum, praesens, futurum : declinatio facienda fuit triplex, ut saluto, salutabam, salutabo; quom item personarum natura triplex esset, qui loqueretur, ad quem, de quo : haec ab eodem verbo declinata ; quae in copia verborum explicabuntur. |
20. La distinction du temps en passé, présent et futur, a donné naissance à une triple déclinaison du verbe : saluto (je salue), salutabam (j’ai salué), salutabo (je saluerai). De même la distinction de la personne qui parle, de celle à qui l’on parle, et de celle de qui l’on parle, a également donné naissance à une déclinaison correspondante. Je parlerai de ces deux sortes de déclinaisons en traitant de l’abondance des mots. |
21. Quoniam dictum de duobus, declinatio quor et in quas sit facta : tertium quod relinquitur, quemadmodum, nunc dicetur. Declinationum genera sunt duo, voluntarium, et naturale. Voluntarium est, quo, ut cuiusque tulit voluntas, declinavit. Sic tres quom emerunt Ephesi singulos servos, nonnunquam alius declinat nomen ab eo, qui vendit Artemidorus, atque Artemidorum sive Artemam appellat : alius a regione quod ibi emit, ab Ionia, Iona ; alius quod Ephesi, Ephesium ; sic alius ab alia aliqua re, ut visum est. |
21. Des trois points que je m’étais proposé de considérer, j’en ai traité deux, savoir : la raison et la forme des déclinaisons. Il me reste à parler du troisième, c’est-à-dire de leur origine. Considérées sous ce rapport, les déclinaisons sont de deux sortes : volontaires et naturelles. Les déclinaisons volontaires sont celles qui ont pour cause la volonté de chacun. Ainsi, par exemple, trois personnes achètent chacune un esclave à Ephèse: la première donne à son esclave le nom d’Artemidorus ou d’Artemas, du nom du vendeur Artemidorus; la seconde donne au sien celui d’Ion, dérivé d’Ionie, nom de la contrée où l’esclave a été acheté; enfin la troisième choisit celui d’Ephesius, dérivé du nom de la ville d’Ephèse. Ainsi de beaucoup d’autres choses. |
22. Contra naturalem declinationem dico, quae non a singulorum oritur voluntate, sed a communi consensu. Itaque omnes, impositis nominibus, eorum item declinant casus atque eodem modo dicunt huius Artemidorin, et huius Ionis, et huius Ephesi : sic in casibus aliis. |
— 22. Les déclinaisons naturelles, au contraire, sont celles qui ont pour cause, non la volonté particulière de chacun, mais la volonté commune de tous. Ainsi, les noms une fois donnés, tout le monde les décline de In même manière, et dit, par exemple, Artemidorus, Artemidori, etc.; Ion, Ionis, etc.; Ephesius, Ephesii, etc. |
23. Cum utrumque nonnunquam accidat, et ut in voluntaria declinatione animadvertatur natura, et in naturali voluntas (quae cuiusmodi sint, aperientur infra), quod utraque declinatione alia fiunt similia, alia dissimilia, de eo Graeci Latinique libros fecerunt multos ; partim quom alii putarent in loquendo ea verba sequi oportere, quae ab similibus similiter essent declinata, quas appellarunt ἀναλογίας : alii cum id neglegendum putarent ac potius sequendam dissimilitudinem, quae in consuetudine est, quam vocarunt ἀνωμαλίαν, cum, ut ego arbitror, utrumque sit nobis sequendum, quod in declinatione voluntaria sit anomalia, in naturali magis analogia. |
— 23. Quelquefois, ainsi que je le ferai voir ci-après, ces déclinaisons sont mixtes, c’est-à-dire naturelles et volontaires, et par conséquent disparates dans leurs modifications. Les Grecs et les Latins ont beaucoup écrit sur ce sujet. Les uns veulent qu’on observe ici les lois de l’analogie; les autres veulent qu’on les néglige, et qu’on suive de préférence l’usage commun, ou anomalie. Pour moi, je pense qu’on doit suivre et l’analogie et l’anomalie, selon qu’il s’agit d’une déclinaison naturelle ou d’une déclinaison volontaire. |
24. De quibus utriusque generis declinationibus libros faciam bis ternos : prioris tris de earum declinationum disciplina ; posteriores, ex eius disciplinae propaginibus. De prioribus primus erit hic : quae contra similitudinem declinationum dicantur ; secundus, quae contra dissimilitudinem ; tertius de similitudinum forma. De quibus quae expediero, singulis tribus ; tum de alteris totidem scribere ac dividere incipiamus. |
— 24. Je me propose d’écrire six livres sur ces deux sortes de déclinaisons. Dans les trois premiers, je traiterai des règles de ces déclinaisons; dans les trois autres, des conséquences de ces règles. J’exposerai, dans le premier de ceux qui auront pour objet les règles des déclinaisons, ce qui a été dit contre l’analogie ou similitude; dans le second, ce qui a été dit contre l’anomalie ou dissimilitude; dans le troisième, ce qui a été dit sur la forme des similitudes. Je consacrerai donc trois livres distincts à la première partie) et autant de livres également distincts à la seconde. |
25. Incipiam, quod huiusce libri est, dicere contra eos qui similitudinem sequuntur : quae est, ut in aetate puer ad senem, puella ad anum, in verbis, ut est scribo scribam, dico dicam. Prius contra universam analogiam; dein tum de singulis partibus a natura sermonis incipiam. |
25. Conformément à cette division, je vais exposer d’abord (et ce sera l’objet de ce livre) ce qui a été dit contre l’analogie, laquelle est dans les mots, comme scribo (j’écris), par exemple, et scribam (j’écrirai), dico (je dis) et dicam (je dirai), ce qu’elle est dans un jeune homme opposé à un vieillard, dans une jeune fille opposée à une vieille femme, c’est-à-dire un rapport. J’argumenterai d’abord contre l’analogie en général, puis contre l’analogie en particulier, d’après la nature du langage. |
26. Omnis oratio cum debeat dirigi ad utilitatem, ad quam tum denique pervenit, si est aperta et brevis (quae petimus, quod obscurus et longior orator est odio); et cum efficiat aperta, ut intellegatur ; brevis, ut cito intellegatur ; et apertam consuetudo, brevem temperantia loquentis ; et utrumque fieri possit sine analogia : nihil ea opus est. Neque enim, utrum Herculi an Herculis clavam dici oporteat, si doceat analogia, quom utrumque sit in consuetudine, non neglegendum, quod aeque sunt et brevia et aperta. |
26. Tout langage doit avoir pour base l’utilité, laquelle consiste dans la clarté et la brièveté. Ce sont les qualités fondamentales du langage, et sans lesquelles un orateur ne peut que fatiguer ceux qui l’entendent. La clarté fait comprendre les choses; la brièveté les fait comprendre vite. La première de ces qualités ne peut s’acquérir qu’en se conformant à l’usage; la seconde dépend de l’orateur, et d’une volonté qui sait se maintenir dans de justes bornes. Or, ces deux qualités peuvent s’obtenir sans le secours de l’analogie; donc l’analogie est inutile. En effet, on doit se mettre peu en peine de savoir si, d’après l’analogie, il faut dire Herculi ou Herculis au génitif, puisque ces deux locutions sont autorisées par l’usage, et qu’elles sont également courtes et claires. |
27. Praeterea quoius utilitatis causa quaeque res sit inventa, si ex ea quis id sit consecutus, amplius eam scrutari cum sit nimium otiosi, et cum utilitatis causa verba ideo sint imposita rebus ut eas significent, si id consequimur una consuetudine, nihil prodest analogia. |
— 27. Il est certain que, après avoir atteint le but d’utilité qui a fait établir une chose quelconque, il est tout à fait oiseux de se préoccuper d’un autre soin. Or si, en se conformant seulement à l’usage, on atteint le but de tout langage, qui est la signification et la clarté, on doit pareillement conclut-e que l’analogie est superflue. |
28. Accedit quod quaecumque usus causa ad vitam sint assumpta, in his nostrumst utilitatem quaerere, non similitudinem: itaque in vestitu quom dissimillima sit virilis toga tunicae, muliebris stola pallio ; tamen inaequabilitatem hanc sequimur nihilo minus. |
28. Dans tout ce qui concerne les besoins de la vie, l’utilité est également la seule règle de notre conduite. Ainsi, dans les vêtements des hommes et des femmes, quoique la toge ne ressemble en rien à la tunique, ni l’étole au pallium, on n’a pas laissé d’accepter cette discordance. |
29. In aedificiis, quom non videamus habere ad atrium περίστυλον similitudinem et cubiculum ad equile, tamen propter utilitatem in his dissimilitudines potius quam similitudines sequimur: itaque et hiberna triclinia et aestiva non item valvata ac fenestrata facimus. |
—29. Pareillement dans les édifices, quoique l’atrium ne ressemble pas au péristyle, ni une chambre à coucher à une écurie, nous acceptons ces dissemblances à cause de l’utilité. C’est pourquoi les salles à manger d’hiver et d’été ont des portes et des fenêtres de forme différente. |
30. Quare quom ut in vestitu aedificiis, sic in supellectile, cibo, ceterisque omnibus quae usus causa ad vitam sunt assumpta, dominetur inaequabilitas, in sermone quoque, qui est usus causa constitutus, ea non repudianda. |
— 30. Si donc dans les vêtements, dans les édifices, dans les meubles, dans les aliments, en un mot dans tout ce qui concerne les besoins de la vie, règne la dissimilitude, pourquoi la condamnerions-nous dans le langage, dont la base fondamentale est l’utilité? |
31. Quod si quis duplicem putat esse summam, ad quas metas naturae sit perveniendum in usu, utilitatis et elegantiae ; quod non solum vestiti esse volumus ut vitemus frigus, sed etiam ut videamur vestiti esse honeste ; non domum habere ut simus in tecto et tuto solum, quo necessitas contruserit, sed etiam ubi voluptas retineri possit, non solum vasa ad victum habilia, sed etiam figura bella atque ab artifice ficta (quod aliud homini, aliud humanitati satis est; quodvis sitienti homini poculum idoneum, humanitati, nisi bellum parum); sed cum discessum est ab utilitate ad voluptatem : tamen in eo ex dissimilitudine plus voluptatis, quam ex similitudine, saepe capitur. |
31. On objectera peut-être qu’on doit se proposer dans le langage le double but de la nature, c’est-à-dire l’utilité et la beauté; que, dans nos vêtements, nous recherchons, non seulement un préservatif contre le froid, mais encore l’élégance; que nous aimons à trouver dans une maison, non seulement un abri et un asile, où la nécessité nous contraint à nous réfugier, mais encore un séjour agréable, où le plaisir nous retienne; que nous buvons avec plus de plaisir dans une coupe sculptée par la main habile d’un artiste, que dans une sébille grossière, parce que ce qui suffit aux besoins du corps ne suffit pas à ceux de l’esprit. Loin de favoriser les partisans de la similitude, cette objection, fondée sur l’alliance naturelle de l’utilité et du plaisir, justifie mon opinion; car c’est de la variété que naît le plus souvent le plaisir. |
32. Quo nomine et gemina conclavia dissimiliter poliunt, et lectos non omneis paris magnitudine ac figura faciunt. Quod si esset analogia petenda supellectili, omnes lectos haberemus domi ad unam formam, et aut cum fulcro, aut sine eo, nec, cum ad tricliniarem gradum, item ad cubicularem : neque potius delectaremur supellectile, distincta quae esset ex ebore, aliisve rebus disparibus figuris, quam grabatis, qui ἀνὰ λόγον, ad similem formam plerumque eadem materia fiunt. Quare aut negandum nobis disparia esse iucunda ; aut quoniam necesse est confiteri, dicendum, verborum dissimilitudinem, quae sit in consuetudine, non esse vitandam. |
— 32. C’est pour cela qu’on revêt d’un vernis différent des chambres de forme pareille, et que les lits n’ont point tous la même grandeur ni la même forme. Si la similitude était une condition nécessaire d’un bel ameublement, tous les lits auraient la même forme; ils seraient tous ornés de colonnes, ou sans colonnes; les lits de table seraient de la même hauteur que les lits destinés au coucher; et la vue d’un ameublement où brille l’ivoire, et que l’art a embelli d’ornements divers, ne réjouissait pas plus nos yeux que celle de ces lits grossiers qui ont presque tous la même forme et sont faits de la même matière. C’est pourquoi, ou il faut nier que la diversité soit agréable, ou, puisqu’on ne saurait nier cette vérité, convenir que, en se complaisant dans la variété du langage, l’usage n’est point contraire à la nature. |
33. Quod si analogia sequenda est nobis : aut ea observanda est quae est in consuetudine, aut quae non est. Si ea quae est sequenda est : praeceptis nihil opus est, quod, quom consuetudinem sequemur, ea nos sequetur; si, quae non est in consuetudine, quaeremus: ut quisque duo verba in quattuor formis finxerit similiter, quamvis haec nolemus, tamen erunt sequenda, ut Iuppitri, Marspitrem, quas si quis servet analogias, pro insano sit reprehendendus. Non ergo ea est sequenda. |
33. Si nous sommes forcés d’observer l’analogie, nous avons à suivre ou celle qui est adoptée par L’usage, ou celle qui ne l’est pas. Dans le premier cas, nous n’avons pas besoin de préceptes, parce que, si nous suivons l’usage, l’analogie usuelle nous suivra d’elle-même; dans le second cas, nous sommes dans la nécessité de recourir à l’art. Supposez deux mots, comme Juppitri et Maspitrem : en dépit de votre répugnance, vous ne pouvez que suivre l’usage; car celui qui, dans ces deux mots, voudrait substituer l’analogie à l’usage, et dire Juppitri, Marspitrem, passerait à bon droit pour insensé. Il faut donc rejeter l’analogie qui n’est pas sanctionnée par l’usage. |
35. Quod si oportet ita esse, ut a similibus similiter omnia declinentur verba, sequitur, ut ab dissimilibus dissimilia debeant fingi, quod non fit: nam et ab similibus alia fiunt similia, alia dissimilia ; et ab dissimilibus partim similia, partim dissimilia. Ab similibus similia, ut a bono et malo, bonum, malum. A similibus dissimilia, ut ab lupus, lepus ; lupo; lepori. Contra ab dissimilibus dissimilia, ut Priamus, Paris : Priamo, Pari. Ab dissimilibus similia, ut Iupiter, ovis ; Iovi, ovi. |
34. S’il est vrai que des mots semblables doivent nécessairement avoir des dérivés semblables, il s’ensuit que des mots dissemblables doivent produire des dérivés dissemblables ce qui pourtant n’a pas lieu; car des mots semblables produisent des dérivés tantôt semblables, tantôt dissemblables, et réciproquement. Ainsi bonus et malus ont produit bonum et malum; mais lupus (loup) et lepus (lièvre) ont produit lupo et lepori. Ainsi Priamus et Paris ont pour datifs Priamo, Pari; et Jupiter et avis (brebis), Jovi et ovi. |
35. Eo iam magis ἀναλογικῶς non solum a similibus dissimilia finguntur, sed etiam ab isdem vocabulis dissimilia ; neque a dissimilibus similia, sed etiam eadem ab dissimilibus vocabulis fingi apparet ; quod, cum duae sint Albae, ab una dicuntur Albani, ab altera Albenses; quom trinae fuerint Athenae, ab una dicti Athenaei, ab altera Athenaeis, a tertia Athenaeopolitae. |
35. Bien plus, non seulement des mots semblables ont des dérivés dissemblables, mais les mêmes mots ont aussi des dérivés dissemblables; et non seulement des mots dissemblables ont des dérivés semblables, mais des mots dissemblables ont aussi les mêmes dérivés. Ainsi, quoique le nom d’Albe soit commun à deux villes, les habitants de l’une s’appellent Albani, et les habitants de l’autre, Albenses. Le nom d’Athènes est commun à trois villes, et cependant les habitants de ces trois villes s’appellent Athenœi, Athenœis, et Athenœopolitœ. |
36. Sic ex diversis verbis multa facta in declinando inveniuntur eadem : ut quom dico ab Saturni Lua, Luam, et ab solvendo luo, luam. Omnia fere nostra nomina virilia et muliebria multitudinis cum recto casu fiunt dissimilia, eadem in dandi: dissimilia, ut mares Terentiei, feminae Terentiae, eadem in dandi, vireis Terentieis et mulieribus Terentieis. Dissimile Plautus et Plautius, et commune, Luci Plauti et Marci Plauti. |
36. On voit donc que des mots dissemblables ont très souvent les mêmes dérivés, comme luam, par exemple, accusatif de lua (expiation des Saturnales) et futur du verbe luo (laver, expier). La plupart des noms d’hommes et de femmes sont dissemblables au nominatif pluriel, comme Terentiei, Terentiœ; et semblables au datif du même nombre pour les deux genres, comme Terentieis, Terentieis. Plautus et Plautius, dissemblables au nominatif, sont semblables au génitif, Luci Plauti et Marci Plauti. |
37. Denique si est analogia, quod in multis verbis est similitudo verborum : sequitur, quod in pluribus est dissimilitudo, ut non sit in sermone sequenda analogia. |
37. Enfin, si l’on cherche la raison de l’analogie dans le nombre des mots semblables, elle doit être considérée moins comme une règle que comme une exception, parce que le nombre des mots dissemblables est beaucoup plus grand que celui des mots semblables. |
38. Postremo, si est in oratione, aut in omnibus eius partibus est aut in aliqua ; et in omnibus non est, in aliqua esse parum est, ut album esse Aethiopam non satis est quod habet candidos dentes: non est ergo analogia. |
— 38. En effet, si l’analogie est une loi du langage, elle affecte ou le langage entier ou seulement une partie; et si elle n’affecte pas le langage entier, il importe peu qu’elle en affecte une partie, de même que la blancheur des dents d’un Ethiopien ne suffit pas pour le faire ranger dans la classe des hommes blancs. Donc l’analogie n’est point une loi du langage. |
39. Quom ab similibus verbis quae declinantur, similia fore polliceantur qui analogias esse dicunt, et cum simile tum, denique dicant esse verbo verbum, ex eodem si genere eadem figura, transitum de cassu in cassum similiter, ostendi possit : qui haec dicunt, utrumque ignorant, et in quo loco similitudo debeat esse, et quemadmodum spectari soleat, simile sit necne. Quae cum ignorant, sequitur ut quom de analogia dicere non possint, sequi non debeamus. |
39. Suivant les partisans de l’analogie, il est facile d’observer la similitude dans la dérivation; et cette similitude résulte de celle des genres, des formes et des cas. Or, ceux qui définissent ainsi l’analogie ignorent deux choses : en quoi consiste véritablement la similitude, et à quoi elle se reconnait. Donc, puisqu’ils ne peuvent nous indiquer la voie qu’il faut suivre, nous ne devons tenir aucun compte de ce qu’ils disent. |
40. Quaero enim, verbum utrum dicant vocem quae ex syllabis conficta, eam quam audimus ; an quod ea significat, quam intellegimus ; an utrumque. Si vox voci esse debet similis, nihil refert, quod significat mas an femina sit : et utrum nomen an vocabulum sit, quod illi interesse dicunt. |
— 40. Je leur demanderai, en effet, si la vertu d’un mot consiste dans le son des syllabes qui frappe l’oreille, ou dans la signification que perçoit l’intelligence, ou dans ces deux parties du mot. Si le son doit être semblable au son, il importe peu que ce qu’il signifie soit masculin ou féminin, que ce soit un nom ou un vocable, quoique, suivant mes adversaires, ces deux sortes de mots soient différentes. |
41. Sin illud quod significatur debet esse simile, Diona et Theona quos dicunt esse paene ipsi geminos, inveniuntur esse dissimiles, si alter erit puer, alter senex, aut unus albus et alter Aethiops ; item aliqua re alia dissimiles. Sin ex utraque parte debet verbum esse simile, non cito invenietur quin in altera utra re claudicet ; nec Perpenna et Alphena erit simile : quod alterum nomen virum, alterum mulierem significat. Quare quoniam, ubi similitudo esse debeat, nequeunt ostendere, impudentes sunt qui dicunt esse analogias. |
— 41. Si c’est, au contraire, dans la signification que doit exister la similitude, Diona et Theona, qui, à leurs yeux, sont presque identiques, deviennent pourtant dissemblables, si, entre autres exemples, l’un de ces noms désigne un enfant, et l’autre un vieillard; celui-ci un homme blanc, celui-là un Ethiopien. Si la similitude doit affecter et la forme et la signification du mot, on aura de la peine à trouver un exemple de cette double analogie. Ainsi Perpenna et Alphena ne la renferment pas; car Perpenna est un nom d’homme, et Alphena un nom de femme. Donc, puisqu’ils ne peuvent montrer en quoi consiste la similitude, en affirmant que les analogies existent, ils mentent évidemment. |
42. Alterum illud quod dixi, quemadmodum simile spectari oporteret, ignorare apparet ex eorum praecepto, quod dicunt, quom transierit e nominandi casibus in eos quos appellant vocandi, tum denique posse dici rectos esse similis aut dissimilis ; esset enim, ut si quis, Menaechmos geminos quom videat, dicat non posse iudicare similesne sint, nisi qui ex his sint nati, considerarit, num discrepent inter se. |
— 42. Ils ignorent également, comme je l’ai déjà dit, à quoi se reconnaît la similitude, et ils sont convaincus de leur ignorance par eux-mêmes; car ils enseignent que la similitude ou la dissimilitude des cas directs s’observe en passant du nominatif au vocatif. Ce raisonnement est de la force de celui d’un homme qui, en voyant deux jumeaux, dirait qu’il ne peut juger s’ils se ressemblent ou non, tant qu’il n’a pas vu ceux dont ils sont nés. |
43. Nihil, inquam, quo magis minusve sit simile quod conferas cum altero, ad iudicandum extrinsecus oportet sumi. Quare cum ignorent, quemadmodum similitudo debeat sumi, de analogia dicere non possunt. Haec apertius dixissem nisi brevius eo nunc mallem, quod infra sunt planius usurpanda. Quare quod ad universam naturam verborum attinet, haec attigisse modo satis est. |
— 43. Or, pour juger si deux choses que l’on compare sont plus ou moins semblables, il n’est pas nécessaire de chercher ailleurs un point de comparaison. Donc, puisqu’ils ignorent à quoi la similitude se reconnaît, ils sont incompétents sur cette matière. J’aurais traité ce point avec plus de clarté, si, ayant à y revenir ultérieurement, je n’eusse voulu avant tout être bref. Il me suffit donc d’avoir touché ce qui regarde la nature générale des mots. |
44. Quod ad partis singulas orationis, deinceps dicam ; Quoius quoniam sunt divisiones plures, nunc ponam potissimum eam qua dividitur. Oratio secunda ut natura in quattuor partis: in eam quae habet casus ; et quae habet tempora ; et quae habet neutrum ; et in qua est utrumque. Has vocant quidam appellandi, dicendi, adminiculandi, iungendi. Appellandi dicitur, ut homo et Nestor, dicendi ut scribo et lego, iungendi ut et et que : adminiculandi ut docte et commode. |
44. Je passe aux différentes parties de l’oraison; et comme les grammairiens en distinguent un plus ou moins grand nombre, j’adopterai la division la plus usuelle. L’oraison se divise naturellement en quatre sortes de mots ceux qui ont des cas, ceux qui ont des temps, ceux qui n’ont ni cas ni temps, et enfin ceux qui ont à la fois des cas et des temps. On appelle ces différents mots appellatifs, comme Nestor, homo homme) ; indicatifs, comme scribo (j’écris), lego (je lis); adminiculatifs, comme docte (savamment), commode (convenablement), conjonctifs, comme et, que. |
45. Appellandi partes sunt quattuor, e quis dicta a quibusdam provocabula, quae sunt ut quis, quae; vocabula ut scutum, gladium; nomina ut Romulus, Remus; pronomina ut hic, haec. Duo media dicuntur nominatus; prima et extrema articuli. Primum genus est infinitum, secundum ut infinitum, tertium ut finitum, quartum finitum. |
45. Les mots appellatifs sont de quatre espèces: provocables, comme qui, quœ; vocables, comme scutum (bouclier), gladius (glaive) ; noms, comme Romulus, Remus; pronoms, comme hic, haec (celui-ci, celle-ci). Les vocables et les noms sont aussi appelés nominats, et les deux autres espèces, articles. Les premiers sont indéfinis; les seconds, quasi-indéfinis; les troisièmes, quasi-définis; et les derniers, définis. |
46. Haec singulatim triplicia esse debent quod ad sexum, multitudinem, casum. Sexum, utrum virile an muliebre an neutrum sit, ut doctus, docta, doctum. Multitudinem, unum an plura significet, ut hic, hi, haec, hae. Casum, utrum recto sit ut Marcus; an obliquo ut Marco ; an commun,i ut Iovis. |
— 46. Chacune de ces espèces de mots se subdivise encore en trois parties relatives au genre, au nombre et au cas. Le genre est masculin, féminin ou neutre, comme doctus, docta, doctum; le nombre est au singulier ou pluriel, comme hic, hi; haec, hœ; le cas est, ou direct, comme Marcus; ou oblique, comme Marco; ou commun, comme Jovis. |
47. His discretis partibus singulas perspice, quo facilius nusquam esse analogias quas sequi debeamus videas. Nempe esse oportebat vocis formas ternas, ut in hoc humanus, humana, humanum ; sed habent quaedam binas, ut cervus, cerva ; quaedam singulas, ut aper, et sic multa. Non ergo est in huiuscemodi generibus analogia. |
47. Considérez maintenant chaque partie de l’oraison isolément, et vous verrez que partout les traces de l’analogie sont interrompues. Ainsi elle nous présente comme principe la triple forme du genre: humanus, humana, hunanum; puis, nous rencontrons des mots qui ne comportent que les deux premières formes, comme cervus, cerva; et enfin des mots qui n’en comportent qu’une, comme aper, etc. L’analogie ne se retrouve donc pas ici. |
48. Et in multitudine ut unum significat pater, plures patres, sic omnia debuerunt esse bina. Sed et singularia solum sunt multa, ut cicer, siser: nemo enim dicit cicera, sisera; et multitudinis sunt, ut salinae, balneae: non enim ab his singulari specie dicitur salina et balnea. Neque ab eo quod dicunt balneum habet multitudinis consuetudo: nam quod est ut praedium, balneum, debuerunt esse plura, ut praedia, balnea, quod non est: non est ergo in his quoque analogia. |
— 48. Dans le nombre, pater et patres, par exemple, nous offrent la duplicité comme une règle générale; mais cicer (pois), siser (chervis), et beaucoup d’autres, n’ont point de pluriel; salinœ (salines), balneœ (bains), etc., n’ont point de singulier. Réciproquement, balneum, usité au singulier, ne l’est point au pluriel. Ce mot, qui est de la même classe que proedium, devrait faire, au pluriel, balnea, comme prœdium fait proedia; et cependant cela n’a pas lieu. Donc, l’analogie manque encore ici. |
49. Alia casus habent et rectos et obliquos, alia rectos solum, alia modo obliquos habent: utrosque ut Iuno, Iunonis, rectos modo ut Iupiter, Maspiter, obliquos solum ut Iovis, Iovem: non ergo in his est analogia. |
— 49. Il y a des mots qui ont à la fois des cas directs et obliques, comme Juno, Junonis; il yen a d’autres qui n’ont que le cas direct, comme Jupiter, Maspiter, et d’autres qui n’ont que les cas obliques, comme Jovis, Jovem. L’analogie ne se retrouve pas non plus dans ces mots. |
50. Nunc videamus in illa quadripertita. Primum si esset analogia in infiniteis articulis, ut est quis, quem, quoius, sic diceretur qua, quam, quaius; et ut est quis, qui, sic diceretur qua quae: nam est proportione simile: ut deae bonae quae, sic dea bona qua est; et ut est quem, quis, sic quos ques. Quare quod nunc dicitur qui homines, dici oportuit ques. |
50. Recherchons-la encore dans les quatre espèces de mots que j’ai définies plus haut. D’abord, si l’analogie existait dans les articles indéfinis, de même que l’on dit quis, quem, quojus, on devrait dire qua, quam, quajus; et de même que l’on dit quis, qui, on devrait dire qua, quœ. Il y a en effet un rapport naturel entre deœ bonœ quœ sunt, et dea bona qua est, comme entre quem, quis et quos, ques; de sorte qu’on devrait dire ques homines, au lieu de qui homines, que l’usage a consacré. |
51. Praeterea ut est ab is ei, sic ab ea eae diceretur, quod nunc dicitur ei, et pronuntiaretur ut in ieis viris, sic eais mulieribus; et ut est in rectis casibus is, ea, in obliquis esset eius eaius. Nunc non modo in virili sicut in muliebri dicitur eius, sed etiam in neutris articulis, ut eius viri, eius mulieris, eius pabuli, cum discriminentur in rectis casibus is, ea, id. De hoc genere parcius tetigi, quod librarios haec spinosiora indiligentius elaturos putavi. |
— 51. De même que l’on dit is, ei, au masculin, on devrait dire ea, eœ, au féminin, au lieu de ea, ei; de même encore, au lieu de us pour les deux genres, on devrait dire iis pour le masculin, et eis pour le féminin; enfin, puisqu’on dit is, ea, au nominatif, l’analogie voudrait que le génitif féminin fût eajus; et cependant on dit ejus non seulement pour le masculin et le féminin, mais encore pour le neutre: ejus viri, ejus mulieris, ejus pabuli, quoique le nominatif ait trois formes distinctes: is, ea, id. Je n’ai fait qu’effleurer cette partie, qui est très épineuse, persuadé que les copistes la reproduiraient avec peu d’exactitude. |
52. De nominatibus qui accedunt proxime ad infinitam naturam articulorum atque appellantur vocabula, ut homo, equos, eorum declinationum genera sunt quattuor: unum nominandi, ut ab equo equile, alterum casuale, ut ab equo equom, tertium augendi, ut ab albo albius, quartum minuendi, ut a cista cistula. |
52. Je passe aux mots qui tiennent le plus de la nature indéfinie des articles, et qu’on appelle vocables, comme homo, equus. Ces mots sont susceptibles de quatre sortes de déclinaisons: nominative, comme equile (écurie), de equus (cheval); casuelle, comme equus, equum; augmentative, comme album (blanc), albius (plus blanc); diminutive, comme cistula (petit panier), de cista. |
53. Primum genus, ut dixi, id est, cum ab aliqua parte orationis declinata sunt recto casu vocabula, ut a balneis balneator. Hoc fere triplices habet radices, quod et a vocabulo oritur, ut a venatore venabulum, et a nomine, ut a Tibure Tiburs, et a verbo, ut a currendo cursor. In nullo horum analogiam servari videbis. |
— 53. La première espèce comprend les vocables, dont le nominatif dérive d’une des quatre parties de l’oraison, comme balneator (baigneur), de balneœ (bains). Cette déclinaison a ordinairement trois sources : ou un vocable, comme venator (chasseur), d’où venabulum (épieu); ou un nom, comme Tibur, d’où Tiburs (habitant de Tibur); ou un verbe, comme currere (courir), d’où cursor (coureur). L’analogie, comme vous allez le voir, n’a été observée dans aucun de ces mots. |
54. Primum cum dicatur ut ab ove et sue ovile et suile, sic a bove bovile non dicitur; et cum simile sit avis et ovis, neque dicitur ut ab ave aviarium ab ove oviarium, neque ut ab ove ovile ab ave avile; et cum debuerit esse ut a cubatione cubiculum sic a sessione sediculum, non est. |
— 54. D’abord, bien que de ovis (brebis) et de sus (porc) on ait fait ovile (bergerie) et suile (toit à porcs), on ne dit pas bovile par dérivation de bos, bovis (bœuf). Bien que avis (oiseau) et ovis se ressemblent, on n’a point formé oviarium de ovis, comme aviarium (volière) de avis, ni réciproquement avile de avis, comme ovile de ovis. De même, cubatio (action de se coucher) a produit cubiculum (chambre à coucher); et sediculum, dérivation naturelle de sessio (action de s’asseoir), n’existe pas. |
55. Quoniam taberna, ubi venit vinum, a vino vinaria, a creta cretaria, ab unguento unguentaria dicitur, ἀναλογικῶς si essent vocabula, ubi caro venit, carnaria, ubi pelles, pelliaria, ubi calcei, calcearia diceretur, non laniena ac pellesuina et sutrina. Et sicut est ab uno uni, ab tribus trini, a quattuor quadrini, sic a duobus duini, non bini diceretur; nec non ut quadrigae trigae, sic potius duigae quam bigae. Permulta sunt huiusce generis, quae quoniam admonitus perspicere potest, omitto. |
— 55. Si l’analogie s’étendait à toutes les déclinaisons, il s’ensuivrait que, de même que les boutiques où l’on vend du vin, de la craie, ou des parfums, s’appellent vinaria, de vinum; cretania, de creta; et unguentaria, de unguentum, celles où l’on vend de la viande, des peaux, ou des chaussures, devraient s’appeler carnaria, de caro, carnis; pelliania, de pellis; calcearia, de calcei, et non laniena, pellesuina et sutrina. De même encore que unus (un) a produit uni; tres (trois), trini; quatuor (quatre), quadrini, il serait plus conforme à l’analogie de dire duini, dérivé de duo (deux), au lieu de bini. Enfin, duigœ serait plus régulier que bigœ (attelage de deux chevaux), et plus analogue à quadrigœ et trigœ. Je pourrais multiplier les exemples de ce genre, mais ceux que j’ai cités suffisent pour ma démonstration. |
56. Vocabula quae ab nominibus oriuntur, si ab similibus nominibus similia esse debent, dicemus, quoniam gemina sunt Parma, Alba, Roma, ut Parmenses, Albenses, Romenses; aut quoniam est similis Roma, Nola, Parma, dicemus ut Romani, Nolani, sic Parmani; et a Pergamo, ab Ilio similiter Pergamenus Ilienus; aut ut Ilius et Ilia mas et femina, sic Pergamus et Pergama vir et mulier; et quoniam similia nomina sunt Asia, Libya, dicemus Asiaticos et Libyaticos homines. |
— 56. Si les vocables qui dérivent des noms étaient également assujettis à la similitude, on devrait dire Romenses et Albenses pour désigner les habitants de Rome et d’Albe, comme on dit Parmenses pour désigner ceux de Parme, puisque les noms de ces trois villes, Parma, Alba, Roma, sont de la même nature; ou, de même qu’on dit Romani et Nolani (habitants de Nole), on devrait dire Parmani pour désigner ceux de Parme, puisque les noms de ces trois villes, Roma, Nola, Parma, sont pareillement de même nature. Pourquoi ne dirait-on pas non plus Ilienus par dérivation d’Ilium, aussi bien que Pergamenus, dérivé de Pergamum; Pergamus et Pergama pour le masculin et le féminin, aussi bien que Ilius et Ilia ? Enfin, pourquoi ne dirait-on pas Libyatici par dérivation de Libya, avec autant de raison que Asiatici, dérivé de Asia? |
57. Quae vocabula dicuntur a verbis, funt ut a scribendo scriptor, a legendo lector, haec quoque non servare similitudinem licet videre ex his: cum similiter dicatur ut ab amando amator, ab salutando salutator, et ab cantando cantator; et cum dicatur lassus sum metendo, ferendo, ex his vocabula non reddunt proportionem, quoniam non fit ut messor, et fertor. Multa sunt item in hac specie in quibus potius consuetudinem sequimur quam rationem verborum. |
57. Quant aux vocables dérivés des verbes, comme scriptor (écrivain), de scribere (écrire); lector (lecteur), de legere (lire), même anomalie dans leur déclinaison. Ainsi amare (aimer) adonné naissance à amator; salutare (saluer), à salutator; cantare (chanter), à cantator; on dit encore lassus sum metendo, ferendo (je suis las de moissonner, de porter); et cependant l’analogie ne se retrouve pas dans les vocables dérivés de metendo et ferendo; car on ne dit pas fertor, de même qu’on dit messor (moissonneur). Je pourrais citer une infinité de mots de cette espèce, où l’usage prévaut contre l’analogie. |
58. Praeterea cum sint ab eadem origine verborum vocabula dissimilia superiorum, quod simul habent casus et tempora, quo vocantur participia, et multa sint contraria ut amo amor, ceco secor, ab amo et eiusmodi omnibus verbis oriuntur praesens et futurum ut amans et amaturus, ab eis verbis tertium quod debet fingi praeteriti, in lingua Latina reperiri non potest: non ergo est analogia. Sic ab amor, legor et eiusmodi verbis vocabulum eius generis praeteriti temporis fit, ut amatus, neque praesentis et futuri ab his fit. |
58. Il existe en outre des vocables dérivés également des verbes, mais différents des vocables dont je viens de donner des exemples, en ce qu’ils ont à la fois des cas et des temps : ce qui leur a fait donner le nom de participes. La plupart de ces vocables ont les deux natures du verbe, comme amo (j’aime) et amor (je suis aimé), seco (je coupe) et secor (je suis coupé). Or, le verbe actif amo et tous les autres verbes de cette nature ont un participe présent et un participe futur, comme amans (aimant) et amaturus (devant aimer); mais ils n’ont point de participe qui désigne le passé, ayant aimé, par exemple: ce participe n’existe pas dans la langue latine. L’analogie manque donc ici comme ailleurs. Les verbes passifs amor (je suis aimé), legor (je suis lu), et tous les autres verbes de cette nature, ont un participe passé, comme amatus (ayant été aimé), et n’ont ni participe présent ni participe futur. |
59. Non est ergo analogia, praesertim cum tantus numerus vocabulorum in eo genere interierit quod dicimus. In his verbis quae contraria non habent, ut loquor et venor, tamen dicimus loquens et venans, locuturus et venaturus, locutus et venatus, quod secundum analogias non est, quoniam dicimus loquor et venor, non loquo et veno. Unde illa erant superiora; eo minus servantur, quod ex his quae contraria verba non habent alia efficiunt terna, ut ea quae dixi, alia bina, ut ea quae dicam: currens, ambulans, cursurus, ambulaturus: tertia enim praeteriti non sunt, ut cursus sum, ambulatus sum. |
— 59. L’analogie ne se retrouve pas davantage dans les verbes qui, comme loquor (je parle), venor (je chasse), ont, dans certains modes, la signification active avec la forme passive, et dans d’autres, comme le participe présent et le participe futur, une forme et une signification analogues. Ainsi on dit loquens et venans, locuturus et venaturus : ce qui implique contradiction par rapport à loquor et venor. L’analogie est d’autant moins observée dans les verbes que j’ai cités, que, parmi ceux qui n’ont point la double nature de l’actif et du passif, les uns ont trois formes, comme ceux dont j’ai parlé, et les autres n’en ont que deux, comme currens, ambulans; cursurus, ambulaturus; quant au participe passé, il n’existe pas dans ces verbes. |
60. Ne in his quidem, quae saepius quid fieri ostendunt, servatur analogia: nam ut est a cantando cantitans, ab amando amitans non est et sic multa. Ut in his singularibus, sic in multitudinis: sicut enim cantitantes, seditantes non dicuntur. |
— 60. On chercherait aussi en vain l’analogie dans les verbes fréquentatifs; car par exemple, on dit cantilans, par dérivation de cantare, on ne dit pas amitans, dérivation non moins naturelle de amare. Cette anomalie affecte non seulement le singulier, mais encore le pluriel. Ainsi on dit cantitantes, et l’on ne dit pas seditantes. |
61. Quoniam est vocabulorum genus quod appellant compositicium et negant conferri id oportere cum simplicibus de quibus adhuc dixi, de compositis separatim dicam. Cum ab tibiis et canendo tibicines dicantur, quaerunt, si analogias sequi oporteat, cur non a cithara et psalterio et pandura dicamus citharicen et sic alia. Si ab aede et tuendo aeditumus dicatur, cur non ab atrio et tuendo potius atritumus sit quam atriensis; si ab avibus capiendis auceps dicatur, debuisse aiunt a piscibus capiendis ut aucupem sic piscipem, dici. |
61. Comme il existe une espèce de vocables qu’on appelle composés, et que, selon mes adversaires, ou ne doit pas les comparer avec les mots simples, dont je me suis seulement occupé jusqu’à présent, je discuterai cette espèce de mots isolément. Tibicines (joueurs de flûte), par exemple, est composé de tibia (flûte) et de canere (chanter, jouer de) pourquoi de cithara (luth), de psalterium (instrument à cordes), ou de pandura (id.), ne formerait-on pas citharicen, etc., si l’analogie est une loi invariable? Pourquoi, à l’imitation de oedilumus (gardien d’un temple), composé de aedes (temple) et de tueri (garder), ne dirait-on pas atritumus, par dérivation de atrium et de tueri, plutôt que atriensis (portier), que l’usage a préféré? On dit bien auceps (oiseleur), de avis (oiseau) et de capere (prendre) : pourquoi ne dirait-ou pas pisceps, de piscis (poisson) et de capere? |
62. Ubi lavetur aes, aerarias, non aerelavinas nominari; et ubi fodiatur argentum argentifodinas dici, neque ubi fodiatur ferrum ferrifodinas. Qui lapides caedunt lapicidas, qui ligna, lignicidas non dici; neque ut aurificem sic argentificem; non doctum dici indoctum, non salsum insulsum. Sic ab hoc quoque fonte quae profluant, analogiam non servare animadvertere est facile. |
— 62. Les fourneaux où l’on purifie le cuivre, ubi laveturoes, s’appellent ceraria, et cependant l’analogie exigerait œrelavinœ. On dit argentifodinœ (mine d’argent), et l’on ne dit pas ferrifodinœ pour désigner une mine de fer. Lapidicida (tailleur de pierres) est usité, et lignicida, dérivation naturelle de lignun (bois) et de caedere (couper), ne l’est pas. On dit aurifex (orfèvre), et l’on ne dit pas argentifex. De même que doctus (savant) a pour corrélatif indoctus (ignorant), salsus (piquant, spirituel) devrait avoir pour corrélatif insalsus; et cependant on dit insulsus (fade, sot). Il est facile de tirer des conséquences de ces anomalies. |
63. Reliquitur de casibus, in quo Aristarchei suos contendunt nervos. Primum si in his esset analogia, dicunt debuisse omnis nominatus et articulos habere totidem casus: nunc alios habere unum solum, ut litteras singulas omnes, alios tris, ut praedium, praedii, praedio ; alios quattuor, ut mel, mellis, melli, melle ; alios quinque, ut Quintus, Quinti, Quinto, Quintum, Quinte ; alios sex, ut unus, unius, uni, unum, une, uno: non esse ergo in casibus analogias. |
63. Il me reste à parler des cas, sur lesquels les partisans d’Aristarque insistent avec le plus d’opiniâtreté. Et d’abord, comme ils doivent le savoir, la loi de l’analogie veut que tous les noms et tous les articles aient le même nombre de cas. Or, les uns, comme les noms des lettres de l’alphabet, n’ont qu’un seul cas; les autres en ont trois, comme prœdium, prœdii, proedio ; ceux-ci en ont quatre, comme mel, mellis, melli, melle; ceux-là en ont cinq, comme quintus, quinti, quinto, quintum, quinte; enfin d’autres en ont six, comme unus, unius, uni, unum, une, uno. Où est l’analogie? |
64. Secundo quod Crates, cur quae singulos habent casus, ut litterae Graecae, non dicantur alpha, alphati, alphatos, si idem mihi respondebitur quod Crateti, non esse vocabula nostra, sed penitus barbara, quaeram, cur idem nostra nomina et Persarum et ceterorum quos vocant barbaros cum casibus dicant. |
64. Je demanderai aussi avec Cratès pourquoi, à l’exemple des Grecs, qui donnent des cas aux noms des lettres, nous ne disons pas alpha, alphati, alphatos. Si l’on me répond, comme à Cratès, que les noms de nos lettres ne sont pas latins, mais tout à fait étrangers, je demanderai à mon tour pourquoi les Grecs déciment les noms qu’ils ont empruntés aux Latins, aux Perses et aux autres peuples étrangers. |
65. Quare si essent in analogia, aut ut Poenicum et Aegyptiorum vocabula singulis casibus dicerent, aut pluribus ut Gallorum ac ceterorum; nam dicunt alauda alaudas et sic alia. Sin quod scribunt dicent, quod Poenicum sint, singulis casibus ideo eas litteras Graecas nominari: sic Graeci nostra senis casibus non quinis dicere debebant; quod cum non faciunt, non est analogia. |
— 65. Car s’ils suivaient l’analogie, ils devraient ne donner qu’un seul cas aux mots phéniciens et égyptiens, et en donner plusieurs aux mots gaulois et autres. Car on dit, par déclinaison d’alauda, alaudas; et ainsi d’autres mots. Si, d’un autre côté, mes adversaires m’objectent, ainsi qu’ils l’ont écrit, que les noms des lettres grecques ne doivent avoir qu’un seul cas, parce qu’elles viennent des Phéniciens, je leur demanderai pourquoi les Grecs ne donnent que cinq cas, au lieu de six, aux mots qu’ils nous empruntent. Or cela est une anomalie. |
66. Quae si esset, negant ullum casum duobus modis debuisse dici; quod fit contra. Nam sine reprehensione vulgo alii dicunt in singulari hac ovi et avi, alii hac ove et ave; in multitudinis hae puppis, restis et hae puppes, restes; item quod in patrico casu hoc genus dispariliter dicuntur civitatum, parentum et civitatium, parentium, in accusandi hos montes, fontes et hos montis, fontis. |
66. D’après l’analogie, les cas, suivant eux, devraient avoir une seule forme; et cependant il n’en est pas ainsi. Car l’usage permet de dire également ovi, avi, et ave, ove, à l’ablatif singulier; puppis, restis, et puppes, restes, au nominatif pluriel; civitatum, parentum, et civitatium, parentium, au génitif pluriel; montes, fontes, et montis, fontis, à l’accusatif pluriel. |
67. Item cum, si sit analogia, debeant ab similibus verbis similiter declinatis similia fieri et id non fieri ostendi possit, despiciendam eam esse rationem. Atqui ostenditur: nam qui potest similius esse quam gens, mens, dens? quom horum casus patricus et accusativus in multitudine sint dispariles: nam a primo fit gentium et gentis, utrubique ut sit I, ab secundo mentium et mentes, ut in priore solo sit I, ab tertio dentum et dentes, ut in neutro sit. |
67. Si, d’après la loi de l’analogie, des mots semblables doivent produire des dérivés semblables, et qu’on fasse voir néanmoins qu’il n’en est pas ainsi dans la réalité, il s’ensuit qu’on ne doit tenir aucun compte de cette loi. Or, on peut faire voir qu’il n’en est pas ainsi. Quoi de plus semblable, en effet, que gens, mens, dens? Cependant le génitif et l’accusatif pluriel de ces mots ne se ressemblent pas; car on dit, au génitif, gentium, mentium, dentum, et, à l’accusatif, gentis, mentes, dentes. |
68. Sic item quoniam simile est recto casu sciurus, lupus, lepus, rogant, quor non dicatur proportione sciure, lupo, lepo. Sin respondeatur similia non esse quod ea vocemus dissimiliter sure lupe lepus (sic enim respondere voluit Aristarchus Crateti: nam cum scripsisset similia esse Philomedes, Heraclides, Melicertes, dixit non esse similia: in vocando enim cum E brevi dici Philomedes, cum E longo Heraclide, cum A brevi Melicerta), in hoc dicunt Aristarchum non intellexisse quod quaeretur se non solvere. |
— 68. Pareillement, puisque sciurus (écureuil), lupus (loup) et lepus (lièvre), sont semblables au nominatif, pourquoi ne dirait-on pas au datif, d’après l’analogie, sciuro, lupo, lepo? Si l’on répond que cela tient à ce que l’on dit au vocatif sciure, lupe, lepus (car je ne fais ici que reproduire la réponse d’Aristarque à Cratès, qui prétendait que Philomedes, Heraclides, Melicertes, étaient des mots semblables, et à qui Aristarque objecta qu’ils ne l’étaient pas, parce que, au vocatif, Φιλομήδης fait Φιλόμηδες; Ἡρακλείδης fait Ἡρακλείδη; Μελικέρτης fait Μελικέρτα ; si l’on répond, dis-je, que cela tient à ce que ces mots ne sont pas semblables au vocatif, cette réponse prouve que celui qui la fait ne comprend pas ce dont il est question. |
69. Sic enim, ut quicque in obliquis casibus discrepavit, dicere potuit propter eam rem rectos casus non esse similis; quom quaeratur duo inter se similia sint necne, non debere extrinsecus adsumi cur similia sint. |
— 69. Car répondre que des mots ne sont pas semblables au nominatif parce qu’ils sont dissemblables dans les cas obliques, c’est se placer en dehors des choses que l’on compare, pour savoir si ces choses se ressemblent ou non. |
70. Item si esset analogia, similiter ut dicunt aves, oves, sues, dicerent item avium, ovium, suium. Si analogia est, inquit, cur populus dicit dii Penates, dii Consentes, cum sit ut hic reus, ferreu,s deus, sic hi rei, ferrei, dei? |
— 70. Poursuivons. Puisqu’on dit aves, oves, sues, pourquoi ne dirait-on pas ovium, avium, suium? Pourquoi dit-on dii Penates, dii Consentes, et non dei, comme rei, ferrei, puisqu’on dit au nominatif singulier deus, reus, ferreus? |
72. Item quaerunt, si sit analogia, cur appellant omnes aedem deum Consentium et non deorum Consentium? Item quor dicatur mille denarium, non mille denariorum? Est enim hoc vocabulum figura ut Vatinius, Manilius, denarius: debet igitur dici ut Vatiniorum, Maniliorum, denariorum; et non equum puplicum mille assarium esse, sed mille assariorum: ab uno enim assario multi assarii, ab eo assariorum. |
— 71. Deorum Consentium ne serait-il pas plus conforme à l’analogie que deum Consentum? denariorum, que denarium? On dit en effet denarius, comme Vatinius, Manilius : pourquoi ne dirait-on pas denariorum, comme Vatiniorurn, Maniliorum? mille assariorum, plutôt que mille assarium (mille as), prix du louage d’un cheval public? car assarius, dont le nominatif pluriel est assarii, devrait faire régulièrement assariorum. |
72. Item secundum illorum rationem debemus secundis syllabis longis Hectorem, Nestorem: est enim ut quaestor, praetor, Nestor ; quaestorem, praetorem, Nestorem ; quaestoris, praetoris, Nestoris. Et non debuit dici : quibus das, his das: est enim ut hi qui his quis, aut sicut quibus hibus. |
— 72. La seconde syllabe de Hectorem, Nestorem, accusatifs de Hector, Nestor, devrait être longue, comme dans quaestorem, praetorem, accusatifs de quœstor, praetor. Où est l’analogie entre quibus et his? Pourquoi ne dirait-on pas hibus quibus, à l’imitation de his guis, ei qui? |
73. Quom dicatur : da patri familias, si analogias sequi vellent, non debuerunt dicere hic paterfamilias, quod est ut Atiniae, Scatiniae, familiae ; sic una Atinia, Scatinia, familia. Item plures patres familias dicere non debuerunt, sed, ut Sisenna scribit, patres familiarum. |
— 73. On dit, il est vrai, patrifamiliai, mais, d’après l’analogie, on ne devrait pas dire paterfamilias, mais paterfamiliœ; car familia devrait faire au génitif familiœ, de même que Atinia, scatinia, font Atiniœ, scatiniœ. On ne devrait pas dire non plus, au pluriel, patres familias, mais, comme Sisenna l’écrit, patresfamiliarum. |
74. Neque oportebat consuetudinem natare alios dicere boum greges, alios boverum, et signa alios Ioum, alios Ioverum, cum esset ut Iovis, bovis, struis et Iovem, bovem, struem, Iovi, bovi, strui; nec, cum haec convenirent in obliquis casibus, dubitare debuerunt in rectis, in quibus nunc in consuetudine aliter dicere, pro Iovis, Iupiter, pro bovis, bos, pro strus strues. |
— 74. On a tort également d’observer l’usage, et de dire boum ou boverum, Joum ou Joverum, en parlant de troupeaux de bœufs ou de statues de Jupiter : ce qui constitue une anomalie avec Jovis, bovis, struis; Jovem, bovem, struem; Jovi, bovi, strui; et l’accord de ces mots dans les cas obliques aurait dû se retrouver dans les cas directs; tandis que l’usage, au contraire, a substitué Juppiter à Jovis, bos à bovis, strues à strus. |
75. Deinceps dicam de altero genere vocabulorum, in quo contentiones fiunt, ut album, albius, albissumum, in quo item analogias non servari apparet. Nam cum sit simile salsum caldum et dicatur ab his salsius, caldius, salsissimum caldissimum, debuit dici, quoniam simile est bonum malum, ab his bonius et malius, bonissimum et malissimum : nonne dicitur bonum, melius, optumum ? malum, peius, pessimum? |
75. Je passe à la seconde espèce de déclinaison, comme album, albius, albissimum, qui est aussi un sujet de dispute entre les grammairiens. Là, comme ailleurs, l’analogie et l’usage se contrarient. Ainsi, par exemple, salsum et caldum font salsius et caldius, salsissimum et caldissimum; et cependant bonum et malum, qui devraient faire, par analogie, bonius et malius, bonissimum et malissimum, font melius et optumum, pejus et pessimum. |
76. In aliis verbis nihil deest, ut dulcis, dulcior, dulcissimus, in aliis primum, ut peium, peius, pessimum, in aliis medium, ut caesior, caesius, caesissumus, in aliis bina sunt quae desint ab eadem voce declinata, et ea ita ut alias desint secundum et tertium, ut in hoc mane, manius, manissime, alias ut duo prima absint, ut ab optimum optius, optum, alias ut primum et tertium desit, ut a melius melum, melissumum. |
— 76. Tantôt les trois degrés se trouvent réunis : dulcis (doux), dulcior, dulcissimus. Tantôt le premier manque: pejus, pessimum. Tantôt c’est le second : coesius (bleu), coesissimus. Enfin, mane (matin), optimum (très bon), melius (meilleur), n’ont point de corrélatifs. |
77. Praeterea si dicerentur similiter, cum similia essent macer, tener, et macerrimus, tenerrimus, non discreparet in his macrior, tenerior, neque alia trisyllaba alia quadrisyllaba fierent; et si in his dominaretur similitudo, diceremus ut candidissimus, candidissima ; pauperrumus, pauperrima, sic candidus, candida ; pauper, paupera; et ut dicimus doctus docta, doctissimus doctissima, sic diceremus frugalissumus frugalissima, frugus et fruga. |
— 77. On dit macer, macerrimus; sacer, sacerrimus; tener, tenerrimus; mais l’analogie ne se retrouve plus dans le second degré: macrior et tenerior, dont l’un a trois syllabes, et l’autre quatre. On dit encore candidissimus, candidissima; pauperrumus, pauperrima; et l’on ne dit pas pauper, paupera, à l’imitation de candidus, candida. Pourquoi l’usage n’a-t-il pas adopté frugalissimus, frugalissima; frugus, fruga, conformément à doctus, docta; doctissimus, doctissima? |
78. Et si proportione essent verba, ut uno vocabulo dicimus virum et mulierem sapientem et diligentem et sapientiorem et diligentiorem, sic diceremus item, cum pervenissemus ad summum, quod nunc facimus aliter: nam virum dicimus sapientissimum et diligentissimum, feminam sapientissimam et diligentissimam. Quod ad vocabulorum huius generis exempla pertinet, multa sunt reliqua; sed ea quae dicta, ad iudicandum satis sunt, quor analogias in collatione verborum sequi non debeamus. |
— 78. Sapiens et diligens, sapientior et diligentior, se disent pour le masculin et le féminin; mais au superlatif il n’en est plus de même, et l’on dit sapientissimus, diligentissimus, pour le masculin; sapientissima, diligentissima, pour le féminin. Je pourrais multiplier les exemples; mais ceux que je viens de donner suffisent pour démontrer que l’analogie n’est point une loi dont on ne puisse se départir. |
79. Magnitudinis vocabula cum possint esse terna, ut cista, cistula, cistella, in aliis media non sunt, ut in his macer macricolus macellus, niger nigricolus nigellus. Item minima in quibusdam non sunt, ut avis avicula avicella : caput, capitulum, capitellum. In hoc genere vocabulorum quoniam multa desunt, dicendum est non esse in eo potius sequendam quam consuetudinem rationem. Quod ad vocabulorum genera quattuor pertinet, ut in hoc potius consuetudinem quam analogias dominari facile animadverti possit, dictum est. |
79. Dans les déclinaisons qui indiquent la diminution, comme cista (panier), cistula, cistelia, la similitude est également en défaut. Ainsi dans macer, macriculus, macellus; niger, nigriculus, nigellus, le second degré n’est point conforme à l’analogie. Dans avis, avicula, avicella; caput, capilulum, capitellum, même défaut de rapport entre le dernier degré et les deux autres. Les nombreuses dissimilitudes qui se rencontrent dans cette espèce de déclinaisons prouvent que, ici comme ailleurs, L’usage doit être préféré à l’analogie. C’est la conclusion générale qu’il faut tirer de tout ce que j’ai dit relativement aux quatre espèces de vocables. |
80. Sequitur de nominibus, quae differunt a vocabulis ideo quod sunt finita ac significant res proprias, ut Paris, Helena, cum vocabula sint infinita ac res communis designent, ut vir, mulier. E quibus sunt alia nomina ab nominibus, ut Ilium ab Ilo et Ilia ab Ilio : alia a vocabulo, ut ab albo Albius, ab atro Atrius. In neutris servata est analogia: nam et cum sit a Romulo Roma, proportione non est quod debuit esse. |
80. Il me reste à parler des noms, qui, comme je l’ai fait remarquer, différent des vocables, en ce qu’ils sont définis et désignent des choses propres, comme Paris, Helena, tandis que les vocables sont indéfinis et désignent des choses générales, comme vir, mulier. Les noms dérivent, ou d’autres noms, comme Ilium, de Ilus; Ilia, de Ilium; ou de vocables, comme Albius, de albus (blanc); Atrius, de ater, atri (noir). Or, cette déclinaison n’a aucun rapport avec celle de Roma, dérivée de Romulus. |
81. .... Perpenni filia, non Perpennae (Perpenna enim mulieris nomen) esse debuit et nata esse a Perpenno, quod est ut Arvernus, Percelnus, Perpennus ; Arverna, Percelna, Perpenna. Quod si Marcus Perpenna virile est nomen et analogia sequenda, Lucius Aelia et Quintus Mucia virilia nomina esse debebunt. Item quae dicunt ab Rhodo, Andro, Cyzico, Rhodius, Andrius, Cyzicenus, similiter Cyzicius dici debebat, et civis unusquisque. Nam ut.... |
— ... 81 … On devrait dire Perpernus, et non Perperna, dont la terminaison indique un nom féminin, de même qu’on dit Arvernus et Arverna, Percelnus et Percelna. Que si l’on dit Marcus Perperna, il faudrait dire, par analogie, Lucius Aelia et Quintus Mutia. Enfin, de même que l’on dit, par exemple, Rhodius, Andrius, par dérivation de Rhodos et Andros, pourquoi ne dirait-on pas Cyzicius, au lieu de Cyzicenus? car ... |
82. ... Athenaeus dicitur rhetor nomine, etsi non sit Atheniensis, in hoc ipso analogia non est : quod alii nomina habent ab oppidis ; alii aut non habent aut non ut debent habent. |
— 82 ... Athenaeus est le nom d’un rhéteur, quoique ce rhéteur ne soit pas d’Athènes, et ici l’analogie manque encore; car, parmi les noms propres, les uns sont empruntés à la ville natale; les autres n’ont pas cette origine; les autres enfin sont empruntés à des villes qui n’ont pas vu naître ceux qui les portent. |
83. Habent plerique libertini a municipio manumissi, in quo, ut societatum et fanorum servi, non servarunt proportione rationem, et Romanorum liberti debuerunt dici ut a Faventia Faventinus, ab Reate Reatinus sic a Roma Romanus. At nominentur libertini orti a publicis servis Romanenses, qui manumissi ante quam sub magistratuum nomina, qui eos liberarint, succedere coeperint. |
— 83. Dans les villes municipales, la plupart des affranchis doivent leurs noms à celui de la ville où ils ont reçu la liberté, tandis que les esclaves des collèges et des temples, après leur affranchissement, empruntent leur nom nouveau à une autre circonstance. De même qu’un affranchi de Faventia est appelé Faventius; un affranchi de Réate, Reatinus, on aurait dû appeler Romanus un affranchi de Rome; mais l’usage, qui ne tient pas compte de l’analogie, a fait appeler Romanenses les affranchis, nés d’esclaves publics, qui n’ont pas encore reçu le nom particulier que le magistrat, qui les affranchit, doit leur imposer. |
84. Hinc quoque illa nomina Lesas, Ufenas, Carrinas, Maecenas : quae cum essent ab loco, ut Urbinas (et tamen Urbinius), ab his debuerunt dici ad nostrorum nominum similitudinem... |
— 84. De là les noms de Lesas, Ufenas. Carinas, Moecenas, qui ... |
NOTES SUR LE LIVRE VIII
64. Non esse vocabula nostra, sedpenitus barbara. Denys d’Halicarnasse (i, 36), Tacite (Ann., ix, 14), Pline (Hist. Nat., vii, 56), et d’autres écrivains de l’antiquité, disent que les Romains reçurent leur alphabet, ou des Pélasges ou des Hellènes. Tous les grammairiens conviennent que ces lettres étaient au nombre de seize; mais ils ne s’accordent pas entièrement sur la désignation de ces seize caractères. Voici ceux qui paraissent avoir manqué dans cet alphabet primitif, et qui ne furent introduits que plus tard : l’R qui était remplacé par un D; le G, au lieu duquel on se servait du C, que les Romains avaient adopté à la place du kappa grec; l’X remplacé soit par un simple C, ou par CS; le Z, que suppléait CS, ou GS, ou même SS. Quant à la dénomination des lettres, il paraît que les Romains se sont toujours conformés à celle qui était usitée chez les Grecs. |