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table des matières de l'œuvre DE PRISCIEN

 

PRISCIEN

 

LA PÉRIÉGÈSE

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

PRISCIEN.

LA PÉRIÉGÈSE

TRADUITE DE DENYS.

Père de la nature qui contient le monde entier, permets, roi du ciel, que je décrive la position de la terre et des eaux dont tu as livré l’empire aux mortels, et que mes vers soient dignes d’un si vaste sujet !

Je chante l’étendue de la terre, la direction des mers, et les fleuves, et les cités, et les peuples répartis dans cet univers, et je dois, en commençant, parler d’abord de l’Océan, dont les larges flots, en se repliant, environnent partout la terre, pareille à une île qui étale en tous sens ses immenses rivages. Cependant les contours de la terre ne s’arrondissent pas de manière à former de toute part un cercle régulier: ses deux rivages, comme deux bras qui s’ouvrent, s’allongent et se resserrent aux deux extrémités où le soleil accélère sa course: la terre ressemble à une fronde. Mais quoique cette masse ne forme qu’un tout compacte, les hommes l’ont divisée en trois parties. La première est la Libye; les autres sont l’Europe et l’Asie. La Libye est séparée des plages immenses de l’Europe par une ligne qui se prolonge obliquement de Gadès aux bouches du Nil, aux lieux où le territoire de Memphis s’avance sous l’axe de Borée, où la tradition a voué une île au Spartiate Canopus. Mais du côté où l’Aquilon condamne le sol à d’ingrats hivers, l’Europe est détachée de l’Asie par le Tanaïs, qui, descendant de la Sarmatie, roule ses vastes et profondes eaux à travers la Scythie, et se précipite en courant vers le Palus-Méotide. Ces deux régions sont séparées au midi par ce gouffre que les anciens ont appelé le détroit de l’Hellespont, et, plus au sud encore, elles sont bornées par les bouches du Nil. Ainsi le monde est divisé par une mer et par deux fleuves. D’autres aiment mieux diviser la terre par des limites terrestres. Sur les confins de l’Asie s’élève un promontoire aux flancs étroits, coupé par la mer Caspienne et le Pont-Euxin: c’est ce lieu qu’on désigne comme la limite qui sépare les plaines de l’Europe des champs de l’Asie. Une autre région plus étendue, qui s’avance vers l’Auster entre les plages de l’Egypte et la mer d’Arabie, forme la séparation qui détache la Libye du voisinage de l’Asie.

Telles sont les différentes divisions que les mortels ont tracées sur la terre. Cependant les vastes abîmes de l’Océan l’environnent de toute part; mais l’Océan, bien que seul et partout le même, prend plusieurs noms. Vers les contrées occidentales, on l’appelle océan Atlantique; au nord, chez l’Arimaspe toujours enflammé d’une ardeur guerrière, ou le nomme mer Paresseuse, mer Saturnienne, et encore mer Morte, parée qu’il y jouit à peine de la lumière du soleil, et qu’il n’en reçoit que de faibles et tardifs rayons, écrasé qu’il est d’épais nuages et de lourds brouillards. Aux lieux où s’élèvent les premières clartés du jour, on l’appelle océan Oriental et mer des Indes. Mais du côté où le pôle incliné reçoit le souffle brûlant de l’Auster, il prend le nom de mer d’Ethiopie et de mer Rouge, près de ces contrées désertes où le sol est dévoré par les feux du soleil. C’est ainsi que le monde entier a pour ceinture le grand Océan, non moins célèbre par ses différents noms que par l’immense étendue de son cours. Çà et là, pénétrant dans les terres, cet Océan forme plusieurs petits golfes séparés de la mer: on en compte quatre grands. Le premier, de ses larges ondes, rase l’Hespérie, et des bords de la Libye s’avance jusqu’aux côtes de la Pamphylie. Plus petit que celui-ci, mais plus grand que les autres, le second entre dans les terres Caspiennes, qui le reçoivent des vastes mers du Nord, de cet océan que Téthys possède sous le nom de Saturne: on l’appelle golfe Caspien et golfe Hyrcanien. Les deux autres viennent des mers australes: l’un, de ses flots rapides et soulevés, forme la mer Persique, placée en regard du pays où roulent les vagues Caspiennes; l’autre, en bouillonnant, bat les rivages de la Panchaïe et s’étend au midi en face du Pont-Euxin. Tels sont les plus grands et les plus renommés des golfes que forment les ondes de Téthys: il en est beaucoup d’autres, mais de moindre étendue.

Maintenant je décrirai dans mes vers les sinuosités de la mer d’Hespérie, longue tramée d’eau qui se brise en mille replis divers, tantôt pressant les terres, tantôt les environnant de ses flots, et rasant les rivages au-dessus desquels s’élèvent des montagnes et des cités. Assiste-moi, ô mon Dieu, toi qui présides à mes études et à mes travaux: commençons d’abord par les ondes Atlantiques, par ces bornes auxquelles Gadès, grâce au bienfait d’Hercule, doit sa célébrité, par cet Atlas qui, debout sur son rocher, soutient les colonnes qui portent le ciel. C’est là que, la première, roule la mer d’Ibérie dont les vastes ondes divisent l’Europe et la Libye en les baignant l’une et l’autre. De chaque côté sont les colonnes qui, tournées toutes deux vers les rivages, regardent l’une la Libye, l’autre l’Europe. Vient ensuite la mer des Gaules qui bat les rivages Celtiques; après elle, la mer qui doit son nom aux Ligures arrose ces contrées où grandirent les maîtres du monde, ces terres Latines qui, des plages boréales, s’avancent jusqu’à Leucopétra, où la rive en se recourbant resserre le détroit de Sicile. Mais l’île de Cyrnus est baignée par des eaux qui prennent son nom et se répandent entre la mer de Sardaigne et la mer Celtique. Ensuite la mer Tyrrhénienne roule ses vagues houleuses qui se dirigent vers les régions australes elle entre dans la mer de Sicile, qui se détourne vers l’Orient, et, s’étendant au loin, mouille les côtes de Pachynum, et se déploie jusqu’au roc escarpé de la Crète, qui domine l’Océan, jusqu’aux lieux où la puissante Gortyne, où Phestus s’élèvent au milieu des plaines. Ce rocher, dont la cime représente la tête d’un bélier, a reçu des Grecs à juste titre le nom de Criu metopon. La mer de Sicile s’arrête aux côtes de l’Iapygie, où se dresse le Garganus.

Là commence le cours de la vaste Adriatique, dont les flots pénètrent vers le Borée et vers le soleil couchant. Là aussi le golfe Ionien, célèbre dans l’univers, divise en deux parties deux contrées différentes, réunies pourtant sur au même point à leurs extrémités. A droite se déploie la féconde Illyrie, puis la Dalmatie, qui nourrit des peuplades guerrières. A gauche, s’avance l’isthme de l’Ausonie, dont trois mers enserrent de toutes parts les rives recourbées: la mer Tyrrhénienne, la mer de Sicile et la vaste Adriatique. Sur ces mers, dans les limites où chacune se renferme, règnent trois vents le Zéphire fouette la mer Tyrrhénienne, et l’Auster la mer de Sicile; l’Eurus oriental brise les flots de l’Adriatique qui glissent sous les rafales. En quittant la Sicile, la mer promène ses vagues soulevées jusqu’à la grande Syrte, qu’environnent les bords de la Libye; puis les pousse au loin jusqu’à la petite Syrte, et ses lames, entre ces deux écueils, se heurtent aux brisants qui mugissent.

Des confins de la Sicile, la mer de Crète se dirige vers le soleil levant, et gagne Salmonis, qui est regardée comme la limite orientale de la Crète. De Salmonis partent deux mers, immenses, aux flots noirâtres descendu de l’Ismarus, Borée les bat de sa froide haleine, en se précipitant de front sur elles des hautes régions de l’Arctos. La première, appelée mer de Pharos, baigne les flancs abaissés du mont Casius; la seconde est la mer de Sidon, qui se mêle au golfe d’Issus: ce golfe, qui s’étend vers les régions arctiques, ne suit pas longtemps une ligne droite; il se brise aux rivages des Ciliciens, tourne vers les Zéphires, et forme mille replis, comme un dragon qui glisse entre les rochers, arrachant les forêts, dévastant les montagnes. Il enferme les confins de la Pamphylie, environne les roches Chélidoniennes, et s’arrête au loin, du côté du Zéphire, devant les hauteurs de Patara. Regarde de nouveau vers les régions arctiques, et vois la mer Egée, dont les vagues bondissent au-dessus de toutes les vagues, et dont les vastes abîmes entourent les Cyclades éparses. Elle a pour limites Imbros et Ténédos, près de cette gorge étroite où se traîne l’eau de la Propontide, dominée par les plaines larges et populeuses de l’Asie, de cet isthme immense qui s’étend et se prolonge vers le Notus.

Vient ensuite le Bosphore de Thrace, l’embouchure du Pont. On dit qu’il n’y a pas dans l’univers un détroit plus resserré. Là sont les étroites Symplégades. De là se déploient à l’orient les ondes du Pont, qui dirigent leur marche oblique vers Borée et vers le soleil. De chaque côté des collines s’avancent au milieu des eaux; l’une, qui vient de l’Asie et des régions australes, se nomme Carambis; l’antre, qui se projette du côté opposé et des confins de l’Europe, s’appelle Criu metopon. Elles se correspondent, se font face, séparées par un abîme si étendu, qu’un navire ne pourrait le franchir qu’en trois jours. C’est ainsi que le Pont semble aux yeux une double mer., et qu’il imite la courbe d’un arc dont la corde est raide et tendue: sa droite représente la corde, car elle se prolonge en suivant une ligne directe que Carambis dépasse seule en montant vers le Borée; et le rivage qui enserre le Pont à gauche, décrivant deux fois un demi-cercle, dessine la courbure de l’arc. Dans cette mer, vers l’axe de l’Aquilon, se jette le Patus-Méotide, enfermé de toutes parts entre les rives des nations Scythes, qui appellent l’onde du Méotide la mère du Pont. C’est qu’en effet de cette source s’échappent ces vagues abondantes et impétueuses que le Pont roule à travers le Bosphore Cimmérien, dans ces régions glacées que les Cimmériens habitent au pied du Taurus. Telle est l’image de la mer, telle est la ligne brillante que trace l’Océan.

Je vais maintenant te décrire dans mes vers les régions de la terre, afin que tu découvres par la pensée ces contrées que ton œil ne peut apercevoir, et que, si tu les enseignes à d’autres, ou vante les lumières de ton enseignement.

La Libye, à son commencement, rétrécie en pointe par les eaux de Téthys à l’endroit où l’Océan bat de ses flots Gadès la Tyrienne, s’étend vers les régions du Notus et le soleil levant: elle présente la forme d’une table aux savants qui l’ont mesurée, et qui nous apprennent que ses bords décrivent des contours inégaux. Ses frontières ont leurs limites près des rivages de la mer Rouge, larges frontières occupées par de noires peuplades d’Ethiopiens, voisines de ces chaudes contrées qui nourrissent les Erembes et que les anciens ont comparées à la peau d’un léopard car leur sol poudreux est tacheté de sombres cités, et la sécheresse et l’humidité varient çà et là l’uniformité de leur surface immense. A l’extrémité de la Libye, au bord de l’Océan, sur ces côtes où s’élèvent les colonnes d’Hercule, habitent les peuples Mauritaniens. Après eux se répandent au loin les populations de la race Numide, et les Masésyliens, et la nation des Massyles. Ces peuples, parcourant les forêts et les plaines arides, vivent d’une âpre nourriture cruellement achetée par le meurtre des bêtes féroces: car ils ne savent pas creuser la terre avec la charrue, et dompter le bœuf laboureur au joug du chariot sonore; et ils errent comme la brute par les bois et les halliers Près de là s’étend le territoire de l’altière Carthage, dont l’origine assure une gloire éternelle aux Tyriens; là régnait l’heureuse Didon, qui vit dans la mémoire des âges, et qui n’a point perdu l’honneur malgré les fictions d’un poète. Après Carthage vient la petite Syrte, puis la grande: chassées contre ces écueils, les vagues immenses et bouillonnantes de la mer Tyrrhénienne s’amoncèlent en furie, et se retirent en laissant la grève à sec. Entre les Syrtes, est une ville qu’on nomme Néapolis; au-dessus de cette ville existe, dit-on, l’hospitalière et bienfaisante nation des Lotophages. De ces lieux on peut voir les terres aujourd’hui désertes des Nasamons, exterminés par les armes latines. Après ces peuples, les Asbystes, qui occupent des plaines au milieu des terres; puis Ammon, divinité suprême des peuplades libyennes; puis Cyrène, mère d’illustres coursiers, fondée autrefois par les habitants de la ville d’Amyclées. Ensuite, les Marmarides, qui se rapprochent des fleuves de l’Egypte; au-dessus, les Gétules, et leurs voisins des bords du Niger. A la suite s’étendent les terres Phaurusiennes; près de là, les Garamantes, qui habitent Débris, ville célèbre, supérieure à toutes les cités, grâce aux propriétés d’une source merveilleuse dont l’eau s’échauffe et bout pendant la fraîcheur et l’ombre de la nuit, mais se refroidit et se glace sous les rayons et les feux du soleil. Après tous ces peuples et les derniers sur l’extrême frontière, les Ethiopiens s’avancent jusqu’aux limites des rivages de la Libye, jusqu’à Cerné, où se brisent les vagues de la mer embrasée par un soleil ardent. Non loin sont les Blémyes et le sol brûlant de leurs collines. De cette contrée descendent les eaux du Nil, fleuve nourricier, qui, s’élançant de la Libye vers le soleil levant, reçoit des Ethiopiens le surnom de Siris, tourne ensuite vers Syène, dont les habitants l’appellent Nil, roule de là vers les régions boréales ses ondes limoneuses, féconde les grasses campagnes de la fertile Egypte, et par sept embouchures refoule la mer d’Alexandrie. Nul autre fleuve n’enrichit les sables autant que lui; nul autre, chargé de limon, n’engraisse autant les plaines qu’il embrasse. Il sépare la Libye des vastes plages de l’Asie, et leur sert de limite, à celle-ci du côté de l’orient, à celle-là du côté de l’Auster embrasé. Sur ses bords habitent ces hommes, ces sages esprits dont l’intelligence puissante sut tracer aux mortels le chemin de la vie, qui les premiers donnèrent au sol les sillons et la semence, et mesurèrent par la pensée la marche oblique du soleil.

Je vais décrire à présent dans mes vers les limites et l’aspect de cette contrée qui jouit d’une grande et glorieuse célébrité dans le monde. Sur la vaste étendue de sa surface s’étalent au loin de fertiles campagnes, car pour la richesse du sol elle surpasse les autres contrées. L’aspect de l’Egypte entière présente trois faces: ses larges rivages s’allongent vers les régions boréales; mais le pays se rétrécit en pointe à l’orient en remontant vers Syène, vers le centre partout resserré par de hautes montagnes, d’où descendent pour l’arroser les ondes du Nil. Cette partie est habitée par une nombreuse et riche population ici, les peuples qui cultivent la terre sous les remparts de Thèbes, vieille et illustre cité, qui, suivant les récits des anciens, avait cent portes, et eut pour roi Memnon, fils de l’Aurore: là, et toujours au milieu des terres, les sept villes que la renommée en parcourant le monde a rendues célèbres plus loin, toutes ces peuplades qui vivent près des bords de la vaste mer, là où les ondes limpides du Serbonis forment un lac immense. A l’ouest de ce lac sont les remparts du roi macédonien, et Pharos, et le roc élevé où repose Idothéa de Pallène. Ensuite, vers l’orient, au pied du Casius, est la ville de Péluse occupée par un peuple exercé aux fatigues de la navigation. Cependant il ne faut pas renfermer ce peuple dans les confins de la Libye, car il possède aussi la rive orientale du Nil, du Nil au bord duquel fleurit cet arbre merveilleux dont les fruits étanchent la soif et qu’on nomme adipsos.

Telle est la configuration de la Libye cette contrée est la limite qui l’enferme. Cependant elle nourrit encore d’autres nations: les unes habitent les rivages élevés de l’Océan ou l’intérieur des terres, les autres les rives délicieuses du lac Tritonis. C’est là qu’on trouve cette pierre nommée à juste titre héliotrope; car si on la plonge dans un vase d’airain rempli d’eau, elle change le reflet des rayons du soleil, et brille d’une lueur rouge couleur de sang; à nu et sortie de l’eau, son éclat plus pur réfléchit fidèlement le soleil.

Si tu veux que je t’apprenne aussi quelle est la forme de l’Europe, je vais te le dire. Elle est semblable à la Libye, mais elle incline vers le nord. Ses confins s’étendent de même et s’allongent vers l’orient. La même ligne les sépare de l’Asie l’une et l’autre: l’une regarde le Notus, et l’autre l’Aquilon. Mais si nous supposons que ces deux régions n’en font qu’une, leurs flancs ainsi réunis donneront exactement l’image d’un cône dont le sommet est à l’occident et la base à l’orient. Ainsi tu peux facilement reconnaître l’Europe. A son extrémité, près des hautes bornes d’Hercule, des peuples magnanimes, auxquels l’Ibérus a donné son nom, cultivent la plaine sur un espace immense, et touchent à l’Océan que durcit la bise boréale. Ils déterrent cet or qui procure une si noble gloire aux sages, car il ne peut les déshonorer s’il leur arrive, ni les abattre s’il leur manque. D’un côté sont les Germains guerriers et les Bretons. Au pied des forêts Hercyniennes s’étend la farouche Germanie, qui ressemble, dit-on, à la peau d’un taureau. Elle nourrit des oiseaux merveilleux dont les ailes lumineuses guident le voyageur, durant la nuit, à travers les détours des chemins qu’elles éclairent. Ensuite est le mont de Pyrrhène; puis le territoire des Celtes, qui touche aux ondes bruyantes du fleuve Éridan. C’est là que des sœurs bien aimées pleurèrent leur Phaéthon; c’est là que les Celtes recueillent l’électrum que distillent les aunes: ils le nomment succin; il a la couleur du miel ou du vin; il entraîne et attire à lui les pailles et les feuilles qui tombent.

Après eux, les Tyrrhéniens, près desquels à l’orient commencent les Alpes, d’où s’élance un torrent immense, le Rhin, qui déchire les rivages de l’Océan glacial. Près de lui jaillit la source de l’Ister, qui, dirigeant le long cours de ses eaux vers l’orient, se jette dans le Pont-Euxin, après avoir enveloppé de ses cinq bras l’île de Peucé qu’il arrose. Au nord de ce fleuve est une terre barbare qui renferme en son sein d’innombrables nations: elle a pour bornes les bouches du vaste Méotide. Là sont les Germains farouches, le Sarmate belliqueux, et les Gètes, et les rejetons de la race Bastarne, et les bataillons des Daces, et les Alains à l’âme guerrière, et les peuples de la Tauride, qui possèdent le Dromos du valeureux Achille, île étroite et longue près des bouches du Méotide. Au-dessus d’eux s’étendent les Agaves, cavaliers agiles; et la nation des Mélanchlènes aux flèches redoutables. Ensuite les Hippémolges, et les puissants Hippopodes, et le Gélon, et les Neures, et les Agathyrses bariolés, au milieu desquels s’avance et descend l’onde du Borysthène, qui se précipite dans le Pont-Euxin près de Criu metopon, en face et dans la direction de l’étroite Symplégade. Là aussi coulent l’Aldescus et le Panticapus, qui, sortis tous deux des monts Riphées, se frayent un courant divers. A l’endroit où ils se mêlent aux ondes glacées du Pont, nait l’électrum qui brille d’un éclat lumineux, pareil aux premières clartés de la lune nouvelle. Ce diamant est recueilli par les peuples voisins, les courageux Agathyrses. Telles sont les nations que laisse au nord le cours de l’Ister. Au midi de ce fleuve, habitent les Gerrhes féroces, et les belliqueux Noriciens, et les Pannoniens, et les Mysiens sortis des régions boréales de la Thrace sur leur territoire, que baigne l’eau de la mer, pousse une herbe qui, grâce à l’huile qu’elle renferme, a la puissance du feu: on la nomme médique; si on veut, quand elle s’allume, l’éteindre avec de l’eau, on alimente encore l’activité de sa flamme; la poussière, jetée dessus, peut seule étouffer ses feux. Après ces peuples, les Thraces laboureurs occupent des campagnes immenses, que rasent en roulant les flots de la Propontide qui leur servent de limites, ainsi que les gorges de l’Hellespont et les abîmes de la mer Egée. Là, sur les côtes de Pallène, naît une pierre resplendissante qu’on nomme astérie: on dit qu’elle rivalise avec les étoiles, ainsi que la lychnis, dont les rayons éclatants ressemblent à la flamme. Ces peuples bordent dans toute sa longueur les rives de l’Ister.

Jette maintenant les yeux sur les trois autres parties de l’Europe, qui apparaissent du côté où cette région se détourne vers le lever du soleil. La première est celle dont les rivages brisent les vagues de la mer d’Espagne; la seconde, celle dont les côtes refoulent la mer Tyrrhénienne; la troisième enfin, autour de laquelle la mer se promène en mille détours, nourrit les Grecs. La terre d’Ibérie touche à l’Océan occidental, aux lieux où se dresse Calpé, une des colonnes d’Hercule; au-dessus de Calpé, la riche et haute Tartessus, et les Cempses couchés au pied des monts Pyrénéens, dont la cime superbe atteint le ciel.

Mais entre les deux autres parties de l’Europe s’étend la terre d’Ausonie, que l’Apennin coupe en ligne droite par le milieu. Cette montagne, qui commence à s’élever dans la partie septentrionale des Alpes, se prolonge jusqu’au détroit de Sicile et ne se termine qu’au rivage. Le long de ses deux versants, se pressent en foule des villes, des peuples et des nations: je te les signalerai tous en peu de mots dans mes vers. D’abord les valeureux Tyrrhéniens; auprès, les Pélasges, qui, abandonnant jadis le séjour de Cyllène, leur patrie, gagnèrent de compagnie sur leurs navires les remparts tyrrhéniens. Non loin sont les Latins, qui excellent en toutes les gloires: à travers leur territoire descend vers la mer le Tibre royal, dont le cours partage Rome qu’il arrose, Rome, mère des rois et souveraine du monde. On arrive ensuite aux terres fertiles de la riche Campanie. Tu trouves là cette plage féconde en moissons, chaste asile de Parthénope, que l’Océan lui-même avait recueillie sur ses ondes. Vers le Notus, et bien loin au delà du rocher des Sirènes, coule l’onde picentine du Silarus, fleuve considérable. Dans son voisinage habitent les Lucaniens, et les colons du Bruttium. qui occupent jusqu’à Leucopétra des champs d’une longue étendue. Ensuite vers Dorée s’élève le promontoire de Zéphire, au pied duquel sont les Locriens agiles: aux anciens jours, ils abordèrent en ces lieux à la suite de leur reine, et. ils occupent la partie de l’Ausonie où roule le fleuve Alex. On découvre ensuite les remparts de Métaponte, et Crotone, ville agréable que baigne le beau fleuve Esarus. Avance encore, et tu verras le temple de Lacinium. Ensuite est Sybaris, ruinée par une divinité vengeresse pour avoir préféré le tombeau d’un mortel aux autels célestes, et osé follement usurper les solennités de Pise. Au centre et au cœur de l’Italie, sont renfermés les Samnites, ainsi que les Marses; au bord de la mer, Tarente, forte cité bâtie par les Lacons. Ensuite se déploient les champs de la Calabre. La terre d’Iapygie s’étend jusqu’au promontoire d’Hyrium, jusqu’aux lieux où l’Adriatique ramasse les larges plis de ses ondes, et pénètre dans le golfe d’Aquilée en resserrant son cours. Les hautes murailles de Tegestre sont les limites de la contrée, là où s’arrêtent fatiguées les eaux du golfe Ionien. Tels sont les peuples et les puissantes nations de l’Ausonie.

La mer se détourne ensuite et se dirige vers l’orient: elle rase en courant les terres des Liburnes, des Hylles farouches, les rivages des Bulimiens, et s’avance au loin jusque sur les côtes de l’Illyrie, où les pics Cérauniens dressent leurs cimes escarpées. On voit là un tombeau qu’on dit être celui de Cadmus et d’Harmonia car c’est là, suivant la tradition, qu’ils furent changés en serpents, dans leur vieillesse, longtemps après avoir quitté Thèbes et leur patrie. Les dieux ont placé là encore un autre prodige. Aux approches de la peste, ces deux tombeaux se heurtent, et annoncent ainsi chaque fois aux habitants les calamités les plus cruelles. Cette contrée produit une source vraiment merveilleuse, et que les anciens ont à juste titre nommée la Source sacrée. Son onde est plus froide que celle des autres fontaines: si on approche de cette eau des torches allumées, elle en éteint la flamme; elle rallume, au contraire, les flambeaux éteints qu’on lui présente.

Au-dessus de la Thrace et de l’Epire, vers l’Auster, commence le territoire de la docte Grèce. Ses côtes, très élevées, sont bordées par deux mers, la mer Egée et la mer de Sicile, agitées par deux vents contraires le Zéphire souffle sur la mer de Sicile, et l’Eurus soulève la mer Egée. Bientôt parait l’île de Pelops; île large et semblable à la feuille du platane, elle s’allonge en pointe comme la queue d’un rat figurée par cet isthme qui la rattache vers le Borée aux confins de la Hellade; mais ailleurs elle s’élargit comme une souple feuille elle a partout les flots pour ceinture. Vers le Zéphire s’ouvrent les champs de la Triphylis à travers lesquels descend un beau fleuve, l’Alphée, qui coule à l’opposé du cours messénien de l’Eurotas; quoiqu’ils naissent tous deux sur le territoire d’Aséa, le premier traverse l’Elide, et l’autre la Laconie. Au centre, et sur un large espace, habitent les Arcadiens Apidanées au pied des rocs de l’Erymanthe, aux lieux où le Mélas, le Crathis et l’Iaon promènent leurs eaux, où l’antique Ladon développe les longs replis de son cours. Là se rencontrent, dit-on, des merles blancs, rare merveille; là aussi naît cette pierre qui s’allume en touchant le feu et ne peut plus s’éteindre les Grecs lui donnent à juste titre le nom d’asbestos;[1] elle a la couleur du fer.

Auprès, est la terre des Argiens et celle des Lacons. Les Argiens sont tournés vers l’orient, et les Lacons vers l’Auster. Deux mers battent de chaque côté les flancs de l’isthme sur l’une, à l’opposé d’Éphyré, souffle le Zéphire; l’autre, fouettée par l’Eurus, et dont les eaux s’enfoncent à une immense profondeur, a reçu des Grecs l’antique nom de Saronis. Au bout de cet isthme, le territoire de l’Attique s’étend vers le lever du soleil. C’est de là que Borée enleva, dit-on, la jeune Orithyie; c’est là que le fleuve Ilissus déroule ses ondes.

La contrée voisine est la Béotie. Deux fleuves de pays ont, dit-on, des vertus toutes contraires. Leur eau change la couleur de la laine des moutons; l’un noircit les toisons blanches, l’autre blanchit les toisons noires. A la suite paraissent la Locride, les côtes de la Thessalie, et la terre des Macédoniens avec ses hauts remparts: là, et sous des rochers dont la cime touche le ciel, des cavernes conservent encore les traces d’un ancien bouleversement; car on voit dans l’intérieur des terres des huîtres desséchées dans leurs coquilles, cachées au fond de ces retraites ouvertes aux poissons par le déluge. Là aussi se trouve une pierre qui a reçu de la nature le don de concevoir et d’enfanter; on la nomme péanitès: elle donne aide et soulagement aux femmes enceintes, et facilite leur délivrance.

On aperçoit de là l’Hémus, qui élève au sein de la Thrace les rochers de son front couvert de neige auprès, s’étend vers le Zéphire la riante contrée de la fertile Dodone. Du côté du Notus, au pied des roches de l’Aracynthe, est la nation des Étoliens, dont on vante la puissance guerrière: le fleuve Achéloüs coupe par le milieu ses campagnes, et la mer de Sicile se perce un chemin entre les Echinades. Près de là est Céphalénie, où régna le prudent Ulysse. Sur les rives élevées de l’Achéloüs on découvre la galactite, si utile aux mamelles et aux nourrissons: écrasée, elle rend une liqueur blanche comme le lait. Auprès de ce fleuve, et vers le brillant lever du soleil, la Phocide immense se prolonge du côté de l’Arctos jusqu’à ce qu’elle atteigne les chauds défilés des Thermopyles et les cimes du Parnasse: le vaste courant du Céphise, descendant à grand bruit, partage en deux cette contrée, qui renferme le temple renommé d’Apollon, les murs de Delphes.

Maintenant nous allons, d’une voix soutenue, chanter les îles qui se présentent aux regards de l’homme, éparses sur toutes les mers.

La première de ces terres que partout les flots environnent, se nomme Gadès placée entre les colonnes d’Hercule, elle est habitée par des Tyriens; les anciens l’appelaient Cotinusa. Auprès d’elle sont couchées les Gymnésies, que les Romains nomment les Baléares; tout à côté la mer se brise sur les grèves d’Ébusos. Ensuite, la terre de Sardaigne, que les flots entourent aussi de toutes parts, a des sources dont l’eau présente au monde une merveille singulière. Elle guérit les yeux malades; mais si elle touche l’œil d’un parjure, coupable d’un vol infâme, elle le condamne en l’aveuglant. Non loin de cette île on découvre les rivages de Cyrnos, appelée aussi la Corse, car elle a deux noms. On dit que cette terre produit seule la catochite; c’est une pierre qui s’attache aux corps comme à la glu. Du reste, nul autre sol ne porte des forêts plus hautes et plus vigoureuses. Ensuite, les îles Eoliennes sont au nombre de sept; on les nomme Plotées, parce qu’elles laissent partout entre elles un libre passage aux vaisseaux sur leur large mer.

Après elles, se déploie la vaste étendue de la Trinacrie, dont les flancs, à leurs angles, se terminent par trois promontoires: Pachynum, qui se projette au loin; Pélore et son détroit; Lilybée, dont les âpres rochers sont la terreur des navires. Lilybée se dresse du côté du Zéphire, Pachynum à l’orient regarde l’Ausonie, et Pélore les régions boréales. La mer offre là mille dangers difficiles à vaincre; car elle est resserrée entre des rochers qu’elle brise de ses lames rapides. On dit que, détachées autrefois par la violence des eaux, ces terres s’ouvrirent de force devant les vagues envahissantes. Il y a là plusieurs merveilles célèbres dans l’univers entier. Là coule la fontaine Dianas, qui sort du marais de Camérina. Celui qui puise à cette fontaine avec des mains impures, aura la douleur de ne pouvoir mêler à cette eau le joyeux breuvage de Bacchus. Cette même terre porte l’Etna étonnante montagne dont la cime altière entretient en même temps et des flammes et des neiges durcies, sans que jamais les flammes puissent vaincre la glace, ou la glace les flammes. Là aussi, Acragas produit seul un sel merveilleux sur lequel le feu et l’eau semblent opérer des effets contraires à leur nature car la flamme le délaye, et si on le jette dans l’eau, il y pétille. Là encore est la fontaine d’Halésa, dont l’onde, toujours calme, ne se soulève qu’au son de la flûte: on dirait que, sensible à l’harmonie, elle bondit en cadence, et s’élance avec joie de ses rives débordées. On y voit aussi une pierre remarquable qu’on nomme agate: on la trouve sur les bords d’un fleuve où elle se forme; les veines de cette pierre présentent des dessins qui charment tes regards.

Au sud de la mer de Sicile, qui répand au loin ses vastes ondes, est la mer de Libye, et la grande Syrte avec son banc de sable: si tu t’avances encore, tu vois la petite Syrte au couchant auprès, brillent les îles Meninx et Cercinna, deux ports de la Libye.

Si tu pénètres dans l’Adriatique, si, tournant à gauche, tu côtoyes les rivages de la Calabre, à tes yeux se montre alors l’île qui a reçu le nom du grand Diomède: c’est là qu’autrefois ce prince victorieux s’était retiré pour fuir les trahisons d’Egialée, son infidèle épouse. La mer Ionienne, en se dirigeant vers l’orient, enveloppe les Absyrtides: c’est dans ces îles que s’arrêtèrent jadis les farouches enfants de la Colchide, las de poursuivre vainement les traces furtives de Médée. Aussitôt après, tu aperçois les hautes Liburnides, du côté du Notas; puis les rocs Cérauniens funestes aux nautoniers. Non loin de là, on découvre au large les îles d’Ambracie, et la puissante Corcyre, et l’âpre terre d’Ithaque, et toutes ces îles que forme de son limon le fleuve Acheloüs, dont les flots précipités descendent des hauteurs de Chalcis. Au nord de l’Amnisus, on en voit plusieurs autres, Égyle, Cythère, Calaurie qui fatigue le bras du laboureur, puis Carpathos, située à l’orient: près d’elle, la Crète fertile, où s’élèvent les collines ombreuses de l’Ida, qui, dit-on, voit luire le soleil avant qu’il se lève. Là pousse l’alimos; en mordant cette plante, on calme pour tout le jour les souffrances et la rage de la faim.

En face de l’Egypte est assise Rhodes, île riche, qui fait face aussi aux rochers du cap Sunium, à l’orient. Jamais les nuages n’ont dérobé à cette île la lumière du soleil, car l’astre caresse de son plus pur éclat cette terre bien-aimée. Au-dessus des Abantes, est Salamine, ainsi qu’Egine; mais Cypre, qui regarde l’orient, a pour ceinture la mer de Pamphylie. Ensuite, et en avant de la pointe de Patara, sont trois îles que la renommée célèbre sous le nom de terres Chélidoniennes. Non loin est Arados, au milieu des eaux de la Phénicie.

Sur diverses parties de la mer Egée, jusqu’à l’étroit canal d’Abydos, s’élèvent plusieurs îles, confinant, celles de droite à l’Asie, celles de gauche à l’Europe; toutes cependant se dirigent sur une longue file vers le Borée. Macris Abantias est voisine des côtes d’Europe, ainsi que la haute Scyros, et Péparéthos, et l’île sacrée de Lemnos, et la fertile Thasos, Imbros aussi, puis l’altière Samothrace, où l’on distingue le temple antique des Corybantes. Celles qui les premières touchent par un bras de mer à l’Asie, environnent Délos: on les nomme Cyclades. Aussitôt tu aperçois, comme de blanches étoiles, les Sporades, et en même temps les îles Ioniennes, parmi lesquelles Caunus et les côtes élevées de Samos et de Chios, îles célèbres et renommées: deux colonies des Éoliens, Lesbos et Ténédos leur succèdent; puis les eaux du golfe Mélas se jettent dans la mer de Hellé. Là s’ouvre une autre mer: vers le Borée bouillonnent les vagues houleuses de la Propontide, où surgit Proconèse, hérissée de marbres. Dans la partie gauche du Pont-Euxin, en face de l’embouchure du Borysthène, est une autre île qu’on nomme Leucé, parce qu’elle nourrit une foule d’oiseaux blancs comme la neige. C’est là, dit-on, que les âmes des héros couverts de gloire coulent une vie paisible, heureux privilège de la vertu. Mais si on traverse le Bosphore Cimmérien, on verra sur la droite, au sein des vastes eaux du Palus-Méotide, se dresser la lourde masse d’une île immense, d’Alopécéa; puis ensuite Phénagoré, Hermonassa, occupées autrefois par les descendants de la noble race ionienne. Telles sont les îles célèbres et renommées de la mer intérieure.

Mais les vagues repliées de Téthys enveloppent d’autres îles, dont je vais indiquer la position, le pays et le vent. Les Éthiopiens, qui aiment la justice et vivent de longs jours, habitent Érythia, près de l’Atlas: ils sont venus là autrefois des régions hyperboréennes, après le trépas de Géryon, dompté par le grand courage d’Hercule. Près de cette pointe, surnommée le promontoire Sacré, et regardée comme la tête de l’Europe, sont les Hespérides, pleines de mines d’étain et soumises à la valeureuse nation des Ibères. Près des rives de l’Océan boréal, il en est deux autres, les îles Britanniques, qui font face à l’embouchure du Rhin: car c’est là que ce fleuve, fatigué d’un long cours, perce le sein de Téthys. Nulle autre île dans l’univers ne les surpasse en étendue: là naît le gagatès, cette pierre qui brille d’un éclat noirâtre, qui s’enflamme en buvant l’eau dont on l’arrose, mais qui, chose surprenante, s’éteint dans l’huile ! Si on la frotte, elle attire, comme le succin, les feuilles légères. A peu de distance sont les bords des Petites Iles, où les femmes des Amnètes célèbrent les mystères de Bacchus, couvertes des feuilles et des fruits du lierre. Traversant ensuite la plaine que l’Océan ouvre à ton navire, tu arriveras à Thulé, où luisent nuit et jour les rayons du soleil, quand Titan sur son char monte vers l’axe du ciel, éclairant de son flambeau les régions boréales. Mais si ton vaisseau, quittant les plages du nord, te porte aux lieux où le soleil renaissant ramène ses chaudes clartés, tes yeux verront alors l’île d’Or aux entrailles fécondes. De là, tournant la proue de ton navire vers les tièdes Austers, tu arriveras à Taprobane: cette île immense engendre des éléphants qui se répandent par toute l’Asie; elle est placée sous le signe du Cancer: sur ses rivages bondissent ces énormes cétacés nourris dans les profondeurs de la mer Rouge, et pareils à des montagnes. Le long de leur dos et de leurs épaules s’étend une horrible épine, qui porte avec elle le carnage et la mort, car leur gueule féroce engloutît d’ordinaire le navire et les passagers tout ensemble: tant il est vrai que l’Océan, comme la terre, a des supplices pour ceux qui les méritent ! Si tu avances encore, si tu dépasses le promontoire de Carmanie, tu rencontreras Ogyris, qui renferme, dit-on, le tombeau du roi Érythrée, lequel donna son nom à la mer Érythréenne. On entre ensuite dans le golfe Persique, où se trouve Icaros, cette île qui, selon la tradition, a le secret de fléchir Diane.

Telles sont les grandes îles que l’onde de Téthys environne: il y en a d’autres encore dispersées dans les diverses parties du monde; plusieurs sont restées ignorées à cause de leur faible étendue: les unes sont d’un difficile accès aux durs nautoniers, les autres ont des ports commodes; mais il ne me serait pas aisé de publier tous leurs noms dans mes vers.

La même ligne qui donne à l’Europe et à la Libye, en les rapprochant, l’image d’un cône, détermine aussi les limites de l’Asie. L’Asie se rétrécit peu à peu à mesure qu’elle avance vers les régions orientales, où l’Océan baigne, dit-on, les colonnes de Bacchus, aux extrêmes confins des Indes, aux lieux où le Gange rapide arrose de ses vagues impétueuses les champs de Nyssa. Cependant elle n’est pas coupée dans son étendue comme les deux autres contrées; car un seul bras de mer les ouvre toutes deux, pénètre et glisse entre elles, et toutes deux les sépare. Mais une triple mer enfonce ses eaux dans le sein de l’Asie la mer d’Hyrcanie, la mer des Parthes et la mer des Arabes; ces deux dernières coulent vers le Notus: l’Hyrcanienne se dirige vers l’axe boréal: elle est voisine de l’Euxin, près duquel vivent plusieurs milliers de peuples répandus sur les rivages du Pont. Entre deux de ces mers un isthme étend ses campagnes. Mais une haute montagne divise l’Asie entière: elle commence au milieu des terres de la Pamphylie, et se prolonge à travers de vastes espaces jusqu’aux Indes, tantôt suivant une route oblique, tantôt courant en droite ligne: on l’a surnommée le Taurus, parce que les rocs pointus de son front menaçant et les pics aigus dont sa crête hachée çà et là se hérisse, figurent les cornes d’un taureau. De cette chaîne descendent des fleuves sans nombre et de tous les côtés, de l’Eurus, du Zéphire, du Borée, de l’Auster. Qui pourrait rappeler les noms de tous ces fleuves? La montagne elle-même n’a pas partout le même nom: à chacun de ses détours variés, son nom varie, et chacun de ses différents peuples la désigne sous une dénomination particulière. Maintenant donc je vais dire les plus célèbres des nations et des peuplades qui l’habitent. Dieu propice, inspire-moi.

Les premiers sont les Méotes, qui touchent aux eaux du Méotide; puis les farouches Sarmates, race ardente aux travaux de Mars, issue autrefois du sang généreux des Amazones. Unies aux Sarmates, après avoir quitté le Thermodon, ces héroïnes engendrèrent de robustes hommes, puissants dans les batailles: ils occupent aujourd’hui des forêts immenses à travers lesquelles roule le Tanaïs, qui refoule du vaste affluent de ses eaux les abimes du Méotide. Ce fleuve sépare de ses replis l’Asie et l’Europe du côté du Zéphire, et l’Asie à l’orient. Sa source jaillit des hautes montagnes du Caucase, et se répand à grand bruit dans les plaines de la Scythie. Malgré l’impétuosité de son cours immense, son eau pourtant se glace sous le souffle inclément de l’horrible Borée. Bien malheureux, hélas ! sont les mortels qui habitent ces contrées, condamnées à un ciel sombre, à des froids rigoureux qui tuent les troupeaux et les hommes tout ensemble, s’ils n’abandonnent à la hâte leurs campagnes aux Eurus en furie ! Ces peuples, placés sur les bords du Tanaïs et près des Sarmates, ont aussi pour voisins les Sindes et les Cimmériens.

Après eux, les Cercétiens, près desquels bouillonnent les flots soulevés du Pont-Euxin; puis les farouches Orètes; puis les Achéens, qui suivirent, après la guerre de Troie, les enseignes victorieuses du roi Ascalaphus, et, dispersés par les vents, abordèrent sur ces côtes. Ensuite les Hénioches, enfants de la Grèce, et les Zygiens, vivent rapprochés sur le même territoire. Sur les bords reculés du Pont, au delà des frontières des Tyndarides, vinrent se fixer des colons envoyés d’Egypte; ils occupent la Colchide, près des hauteurs du mont Caucase et des rives de la mer Caspienne, aux lieux où descendent les eaux rapides du Phase qui coupent les champs de Circé et se jettent dans le Pont après avoir pris naissance au sommet d’une montagne d’Arménie. Au nord de ce fleuve et vers le lever du soleil, entre l’Euxin et les rivages éloignés de la mer Caspienne, on découvre un isthme qui s’étend sur un vaste espace. Le territoire voisin est habité par les Ibères d’Orient, qui, délaissant autrefois les hautes montagnes de Pyrrhène, vinrent en ce pays apporter la guerre aux Hyrcaniens. Là, sont les Camarites, peuple cher à Bacchus: près d’eux s’agitent avec furie les flots de la mer Caspienne que la terre enferme partout de ses contours arrondis. Il n’est pas de vaisseau qui puisse en trois mois traverser l’immense largeur de cette mer. Cependant elle se rétrécit d’un côté, vers le nord, en s’allongeant pour se mêler aux vagues refoulées de Téthys. Elle produit plusieurs objets qui émerveillent les humains: je citerai surtout le cristal, pierre lourde et précieuse, et le jaspe, qui a le don de chasser les esprits malfaisants; les mânes nocturnes fuient cette pierre, qui protège nos membres. Je vais énumérer les peuples qui environnent partout les rives de cette mer je commencerai par les plages du nord, qui tournent vers le Zéphire et sont bornées par la mer Caspienne.

Les premiers sont les peuples de la Scythie, qui vivent près de la mer Saturnienne et de l’embouchure de la mer d’Hyrcanie. Au-dessus d’eux, de riches campagnes renferment des émeraudes telles que nulle autre contrée du monde n’en possède de pareilles, et des masses d’or pur. Des griffons défendent ces richesses, dont ils sont les maîtres. Mais l’indomptable amour du gain, qui ose tout braver, dirige coutre des oiseaux, hélas ! les armes des mortels, et les Arimaspes livrent bataille à ces griffons comme à des ennemis. Là aussi brille une très grande quantité de cristal. Les Huns viennent ensuite, puis les robustes riverains de la mer Caspienne, puis les Albaniens, ardents et farouches guerriers; la race des chiens de ce pays l’emporte sur toute autre espèce d’animaux: Alexandre le Grand vit un de ces chiens, qu’on lui avait envoyé, vaincre un éléphant et un lion en furie. Après eux, les Caduses cultivent d’âpres campagnes; auprès, sont les Mardes, et ensuite les peuples Hyrcaniens; puis les Apyres: là, roule le fleuve Mardus; le Dercébien et le Bactrien s’abreuvent de ses eaux qui courent à travers leurs plaines pour se jeter dans la mer d’Hyrcanie. Les Bactriens habitent dans l’intérieur des terres; ils occupent au loin des campagnes voisines du mont Paropamise; mais les Dercébiens se rapprochent des bords de la mer Caspienne. Après eux , les Massagètes, au delà du fleuve Araxe, vers l’orient: redoutables pour leur hospitalité meurtrière et leur férocité dans les combats, ils ne connaissent ni les dons de Bacchus ni les présents de Cérès; ils boivent du lait mêlé au sang de leurs chevaux. Près de là, vers le Dorée, les Chorasmes, suivis des peuples de la Sogdiane, coupée en deux par l’Oxus rapide, qui, descendu du mont Emodus, se précipite dans la mer Caspienne. Ensuite les Saces, doués d’une adresse merveilleuse à lancer la flèche, cultivent les campagnes voisines du fleuve Iaxartès. Après eux, les Tochares, les Phrures, et les Sères au nombre de plusieurs mille. Ces derniers n’ont aucun souci des troupeaux de bœufs ou des pâturages: ils se servent de vêtements tissés par eux du fil délié qu’ils tirent de certaines fleurs cueillies dans leurs plaines désertes. Enfin, à l’extrémité de la contrée, existe encore une autre peuplade scythe, près de ces régions attristées par les vents et la froidure, et toujours battues par des ouragans de neige mêlée de grêle. Tels sont les peuples et les pays qui entourent la mer Caspienne.

Maintenant regarde au delà de la Colchide et de l’onde du Phase, vers l’occident, tu verras des populations pressées sur le rivage du Pont-Euxin jusqu’aux champs de Chalcédoine que le Bosphore de Thrace étreint et serre entre des rochers. Les premiers sont les Byzères; auprès, le pays des Véchires; les Macrons viennent ensuite, ainsi que les Philyres; puis les Mossyns, qui ont pour demeures des toits de bois, car ils habitent des tours en planches: de là leur nom. Après eux, les Tibarènes, si riches en troupeaux; à côté, les Chalybes, qui cultivent d’ingrates campagnes, et s’exercent au dur labeur de travailler le fer. Les champs et le territoire qu’on découvre dans le voisinage sont occupés par les peuples Assyriens; c’est là que les larges eaux du Thermodon, fleuve chéri de Mars, traversent en quittant leur montagne d’Arménie les terres des Amazones pour descendre à la mer. En ces lieux s’arrêta jadis, fille adoptive de l’Asie, Sinope, qui donna son nom aux remparts d’une cité fameuse. Près des rives de ce fleuve, durcies par le froid, tu trouveras des masses de pur cristal, de cette pierre qui ressemble à la glace et ne brille pas d’un moindre éclat. Là resplendit encore une autre pierre, le jaspe aux reflets blanchâtres. Auprès, coule l’Iris en courant à la mer. Ensuite est le fleuve Halys, qui se dirige vers les lieux où se lève Borée, et se jette dans le Pont près des rivages de Carambis: il reçoit ses premières eaux des montagnes d’Arménie. Viennent ensuite les Paphlagoniens, les Mariandyns, et les enfants de la Bithynie qui cultivent de grasses campagnes, à travers lesquelles l’aimable Rhébas roule de si belles ondes, le Rhébas qui se précipite vers l’embouchure du Pont rapide. Tels sont les peuples qui habitent les rivages du Pont-Euxin: nous avons désigné plus haut les autres peuplades de race scythique.

Décrivons maintenant les contrées de l’Asie qui touchent à la mer, s’avancent vers les brûlantes régions de l’Auster, dépassent l’Hellespont, et s’étendent jusqu’aux rives reculées de la Syrie, jusqu’à l’Arabie, où fleurit un sol fertile. La première ville, après l’embouchure du Pont, est Chalcédoine, qui fait face aux augustes remparts de Byzance, légitime souveraine de l’empire de Rome et du monde. Après elle, la Bébrycie; puis la Mysie et ses hautes montagnes. Là, coulent en murmurant les nobles ondes du Cius; là, fut ravi, dit-on, par les Nymphes cet enfant, ce compagnon du puissant Hercule qui pleura longtemps sa triste destinée. Un large coude s’avance ensuite dans l’Hellespont, c’est la petite Phrygie; la grande est à l’intérieur des terres et voisine du fleuve Sangarius qui l’envahit de ses eaux: elle étend ses plaines fécondes vers le soleil levant. La petite est à l’occident, au pied des hauts sommets de l’Ida, aux lieux où tomba Troie, avec son grand nom et sa gloire, près des ondes du Xanthe et du Simoïs. Plus loin, le long du rivage, s’étend la terre d’Eolie, battue la première des vagues houleuses de la mer Egée. Près des flots encore, est le territoire des enfants de l’Ionie: c’est par là que descend à la mer le Méandre limoneux qui passe entre Milet et la vaste Priène. Au nord de ces peuples sont les illustres remparts de la cité d’Ephèse, que la mer entoure d’agréables rivages. On voit ensuite la terre de Méonie qui tourne vers l’orient; puis les hauteurs du Tmolus d’où s’échappe un fleuve qui roule de l’or, le Pactole. Si, au printemps, tu t’assois sur ses rives, tes sens seront charmés du doux chant des cygnes que nourrit l’herbe des bords du fleuve: car plusieurs prairies fleurissent dans les champs de l’Asie, mais surtout dans le voisinage du Méandre, près duquel roule mollement l’onde murmurante du Caïstre. Ensuite est la Lycie, que traversent les eaux du Xanthe; elle s’abaisse vers la mer, et contemple jusqu’à la Pamphylie les cornes du Taurus qu’elle appelle Cragus. Là, tu verras Aspendus, dont le fleuve Eurymédon rase les murailles, voisines de la mer. Tout auprès, sont assises les autres villes de la Pamphylie, Corycus, la chaude Pergé et la haute Phasélis. Au-dessus de ces villes, habitent au milieu des terres, vers l’orient, les Lycaoniens, race endurcie au métier des armes. Plus loin, les Pisidiens cultivent de grasses campagnes où s’élèvent Telmissus, Lyrbé, et la célèbre Selgé, une des plus belles cités fondées jadis par la race Amycléenne. Ensuite est le long golfe de Cilicie, qui tourne à l’est, et, pénétrant dans les terres, se rapproche des eaux du Pont-Euxin. Il se trouve ainsi dans la partie la plus étroite de l’Asie. Néanmoins des fleuves immenses viennent se mêler à ses ondes: le Pyramus et le Pinarus qui roulent sur de vastes espaces, et le Cydnus tortueux dont les eaux traversent Tarsos. Là s’élèvent les remparts des autres villes de la Cilicie, Lyrnessus, et Mallos voisine de la mer, et Soles placée au milieu des terres. On découvre ensuite le pays de Commagène, et les villes de Syrie rangées sur les longs replis du rivage. Car aux lieux où la cime du mont Casius se projette sur les flots, la mer tourne vers l’occident, refoulée par les plages qui se développent successivement devant elle.

Je vais te décrire à présent dans mes vers la dernière partie de l’Asie, celle qui forme le dernier côté de sa surface carrée, et prolonge la vaste étendue de son territoire vers l’orient. Je t’ai dit, tu le sais, qu’une haute montagne déroule sa chaîne immense à travers toute la contrée, et recule les limites de l’Asie jusqu’aux noirs Indiens: cette chaîne occupe le côté, du nord; le côté du couchant est borné par le Nil; celui du levant par la mer des Indes; le côté de l’Auster a la mer Ronge pour limite.

Maintenant donc, et pour que je mette fin à ce poème qui s’avance, à ces leçons qui ne t’apprennent que des faits et des vérités, jette les yeux de ce côté, sur la Syrie d’abord, sur cette partie de l’Asie où j’en suis resté. Située à l’orient, au-dessus de la mer, elle tourne vers l’Auster, et renferme plusieurs villes. Anciennement elle était connue sous le nom de Syrie creuse, parce qu’elle est au centre de hautes montagnes, et que son sol bas se trouve enfermé entre le Liban qui s’étend à l’est, et le Casius qui se dirige à l’ouest. Cette vallée nourricière est cultivée par plusieurs peuples riches, mais isolés: les uns habitent l’intérieur des terres, et ce sont là proprement les Syriens; ceux qui vivent près du rivage portent l’antique surnom de Phéniciens venus là autrefois des bords de la mer Rouge, cette nation glorieuse, qui s’honore de son noble sang chaldéen, est la seule que Dieu ait instruite de ses lois mystérieuses. La première, elle essaya la mer sur de hauts navires, elle apprit aux peuples dispersés à se rapprocher par le commerce; la première, elle donna le nombre et le nom des étoiles, et, par des signes merveilleux, sut peindre aux yeux la parole. Les Phéniciens occupent les murs d’Iopé, Gaza, Elaïs, l’antique Tyr, et les remparts de l’agréable Béryte, et Byblos voisine de la mer, et la belle Sidon, près de laquelle courent les flots limpides du Bostrenus, et la grasse Tripolis, Orthosis la ville sacrée, Laodicé placée sur un charmant rivage, et les tours de Posidium, et les délicieux vallons de Daphné. Au milieu des terres s’élèvent les murailles de l’illustre Apamée, à l’orient de laquelle roule l’Oronte, dont le cours divise par la moitié la ville d’Antiochus. Tout ce riant territoire, au sein fertile, est également convenable aux forêts, aux troupeaux, à la vigne. Arrivé aux confins de cette contrée qui se termine vers l’Auster, tu verras l’extrémité des rivages du golfe Arabique, qui passe entre la Syrie et l’Arabie auxquelles il sert de limite, et, tournant vers l’orient, atteint le pays des Elanes. Après ces peuples, l’Arabe opulent possède des champs immenses, qui, s’étendant au loin, sont bornés par le golfe Persique, et par le golfe Arabique que fouette le souffle orageux du Zéphire; car c’est l’Eurus qui, de son haleine, agite le golfe Persique. Mais la partie qui de l’Auster s’avance à l’orient est de tout côté battue par les flots de la mer Rouge. Je décrirai aussi cette contrée, j’en tracerai une légère esquisse. C’est un sol riche qui nourrit des peuplades heureuses, et qui produit des fleurs variées d’une senteur merveilleuse: l’ambre, la myrrhe et l’encens font sa gloire, ainsi que la cannelle, et les suaves parfums de la canne odorante. Cette terre féconde engendre encore le cinname si doux à respirer, et des mines d’or; aussi ses habitants se couvrent de vêtements dorés. Dans ses sables brille la molochite qui sauve les enfants, et une autre pierre, l’androdamas, qui apaise les transports de la colère. Au bas du versant du mont Liban, les premiers peuples qu’on rencontre sont les Nabathéens, qui ont la richesse et le bonheur. Après eux, les Chaulasiens, et les Agréens; puis, dans le voisinage, la Chatramide, et les Maces en regard du golfe Persique; et les Minnéens qui vivent près des bords de la mer Rouge; puis les Sabes et les Clétabènes. Tels sont les peuples de l’Arabie dont les noms sont bien connus; mais il yen a beaucoup d’autres, car la contrée est très grande.

Ai delà de ce pays, du côté du Zéphire, la race misérable et pauvre des Érembes végète au fond des cavernes: le corps noirci et brûlé des rayons du soleil, ils errent çà et là comme les bêtes, souffrants et dispersés, et bien différents des riches Arabes; mais la fortune ne peut donner à tous une part égale de bonheur.

Derrière les crêtes du Liban, vers le lever du soleil, sont les peuples de la seconde Syrie qui s’étend jusqu’à Sinope. Là, dans l’intérieur des terres, habitent les Cappadociens, et les Assyriens qui ont le Pont-Euxin pour limite aux lieux où le Thermodon refoule de ses flots les vagues de cette mer. A l’est de ce fleuve, l’Euphrate. précipite la vaste masse de ses eaux; descendu des âpres montagnes de l’Arménie, il se fraye un long chemin vers le Notus; puis, tournant à l’orient, traverse la ville de Babylone, et se jette enfin, en perçant le rivage, au sein du golfe Persique, après avoir rasé de ses dernières vagues les murs de Térédon. A l’est de l’Euphrate roule le Tigre entre ses hautes rives: nul autre fleuve ne surpasse sa marche rapide. L’intervalle qui le sépare de l’Euphrate est tel qu’en sept jours à peine un pied agile le pourrait parcourir. Il entre au milieu du lac Thonitis, et il en sort sans se corrompre de ses eaux qui le pénètrent; plus impétueux qu’elles, il s’échappe de ces ondes amères et poursuit sa course. Tout le sol enfermé entre les deux fleuves a reçu des peuples du pays le nom de Médamne, à cause de sa position au milieu de ces fleuves qui l’entourent. Il rapporte également au pâtre et au laboureur; car, sur le sein riant de cette terre, fleurissent toutes les semences: les lits de gazons et les prairies charment par leur verdure, et les grands arbres sont chargés de fruits de toute espèce. La nation brille aussi d’une gloire éclatante: car plusieurs de ses enfants, grâce au pouvoir d’une science sublime, sont semblables à Dieu, autant du moins que des mortels peuvent l’être. Non loin, sont les Arméniens, du côté de l’Aquilon; et, près d’eux, les Matiènes dont Mars connaît le courage: de hautes montagnes enferment, dans le voisinage de l’Euphrate, ces peuples non moins puissants par la richesse que par les armes. Vers les régions australes, s’élève Babylone, cette cité dont Sémiramis fonda jadis les admirables et solides remparts: dans la citadelle elle avait construit un palais tout resplendissant d’or, et paré d’ornements variés d’argent et d’ivoire. Le fertile territoire de cette ville, outre ses riches forêts de palmiers, produit le béryl, trésor plus précieux que l’or, le béryl, pierre diaphane et d’un vert bleuâtre qu’on trouve aux lieux qui conduisent aux rochers de marbre asiatique. Au-dessus de Babylone, vers le point d’où souffle la tempête , tu vois les Cisses, les Messabates et les farouches Chalonites. Si tu laisses les montagnes d’Arménie pour aller vers l’orient, tu apercevras la terre des Mèdes, au nord de laquelle sont les Gèles, les Mardes et les Atropatènes. Vers le Notus sont les campagnes occupées par les Mèdes: réfugiée dans cette contrée, Médée lui donna son nom; et c’est d’elle que les Mèdes ont appris les différents emplois du poison. L’étendue de leur territoire se divise en plusieurs parties: l’une à l’orient, produit la narcissite, qui est une pierre brune: une autre est partout couverte de forêts au sein desquelles les habitants font paître de riches troupeaux: elle atteint, vers le soleil levant, les portes Caspiennes. Ces roches élevées sont les barrières de la puissante Asie; de là, une double route se dirige vers le Borée et vers l’Auster: celle-ci mène chez les Perses, celle-là conduit en Hyrcanie.

Au pied des montagnes, derrière les portes Caspiennes, habite la belliqueuse nation des Parthes: la flèche et l’arc font sa force; elle aime à vivre de pillage et d’infâmes rapines. Voilà pourquoi sur terre la guerre agite les mortels, pourquoi la paix si désirée expire dans des flots de sang humain.

Ensuite est la Perse, entourée de hautes montagnes: la longue suite de ses rois et la richesse de ses revenus l’ont rendue florissante et maîtresse de Sardes, la cité Lydienne. Des pics élevés l’environnent de toutes parts. Elle tourne vers l’Auster, et, s’éloignant des portes Caspiennes, s’étend vers cette large mer qu’elle glorifie de son nom. Elle est habitée par trois peuples: l’un, vers les froides régions de l’Arctos, cultive un sol qu’ombragent les forêts montagneuses de la Médie; un autre vit au centre de la contrée; le troisième touche au rivage, du côté de l’Auster. Le premier est le Sabe, au centre le Pasargade, et près de lui le Tasce, dont l’arc et les flèches sont redoutables. Tels sont les peuples qui occupent le territoire ainsi divisé de la Perse. Plusieurs fleuves embellissent ses grasses campagnes. D’un côté se répand le Coros immense; de l’autre, le Choaspis. qui découle d’une source indienne, et effleure Suse de ses eaux. Sur ses rives brille l’agate éclatante, égale en pesanteur aux pierres cylindriques que roulent ses ondes. Des brises fécondes entretiennent la fertilité de cette contrée, et ses plaines sont toujours en fleur, grâce au souffle des vents favorables. De riches pierreries font aussi sa parure; mais qui pourrait dire leurs vertus diverses et leurs noms? Citerai-je la técolithe, qui, broyée et délayée en breuvage, dissout les calculs des reins, et justifie ainsi son nom de même que la myrrhite, qui exhale les doux parfums du nard? Là est l’aétite, qui rend un son bruyant, produit par l’air qu’elle renferme; elle soulage les souffrances des femmes en couches: puis la pyrite, qui brûle les doigts qui la touchent; et la blanche pierre du soleil, qui jette, comme lui, des rayons; la sélénite enfin, qui réfléchit l’image de la lune, et dont l’éclat augmente de même et diminue tour à tour.

Regarde maintenant les dernières contrées des plages de l’Asie. Près du golfe Persique, au soleil levant, les Carmanes habitent, les uns sur les rivages, les autres au milieu des terres. Après eux, les Gédroses s’étendent vers les feux de l’Aurore, au bord de l’Océan: plus près des rayons du jour, est la Scythie méridionale, voisine du fleuve Indus, qui s’élance avec vitesse au-devant de la mer Érythrée, car ses eaux rapides courent en droite ligne vers l’Auster. Il prend sa source dans les hautes montagnes du Caucase; son cours, qui se divise, entoure Patalène: ses vastes replis séparent des peuples sans nombre vers le point où les feux du soleil s’abaissent à leur déclin, les Orites, les Aribes, les Arachotes couverts de manteaux de lin, les Satraïdes, et toutes ces nations qui, sous le nom commun d’Ariènes, habitent, au pied des rocs escarpés du mont Paropamise, des terres dont le sein, hérissé d’âpres broussailles, ne s’est jamais paré de fleurs: elles ramassent sur les rivages la rouge pierre du corail, elles coupent les veines des rochers qui recèlent le brillant saphir aux teintes bleues et dorées: c’est une ressource qui fait leur bonheur.

Plus loin, le territoire de l’Inde est borné par les eaux de Téthys. Titan à son lever, jette sur cette contrée ses premiers regards. Brûlés de ces feux naissants, les peuples de l’Inde ont le teint basané, et sur leur front leur chevelure ressemble à l’hyacinthe. Les uns creusent le sol et les mines d’or; d’autres tissent de lin des vêtements légers, ou polissent les dents arrachées de la bouche des éléphants; ceux-là cherchent au bord des torrents grossis par l’orage la verte pierre du béryl, et le diamant qui étincelle, ou recueillent le jaspe qui resplendit de reflets verdâtres, et le corail qui brille de fraicheur, et la topaze séduisante, et l’améthyste inondée de teintes purpurines: car ce pays produit de grandes richesses; une longue suite de fleuves l’arrosent dans toute son étendue. Là poussent des arbres de mille espèces, et des moissons de millet; là, fleurit partout la tige précieuse de la canne érythréenne. Quelques-uns de ses habitants ont la taille si élevée, qu’ils montent des éléphants aussi facilement que des coursiers; d’autres vivent nus: ce sont des sages qui ont le don merveilleux de contempler le soleil d’un œil fixe; leur regard, leur divine intelligence pénètrent ses rayons, et leur esprit éclairé découvre les secrets de l’avenir. Là naît aussi le vert perroquet, paré de son collier de pourpre, et dont la langue imite les éclats de la parole humaine.

Je vais à présent te faire connaître les fleuves, les montagnes. la forme de cette contrée, ses habitants, ses peuplades heureuses. Sa surface entière est comprise entre trois côtés qui l’enferment, et toutes ses faces latérales présentent une ligne oblique. L’Indus gigantesque la borne à l’occident; au midi, elle a pour limite les flots de la mer Rouge, le Gange au levant, et le Caucase vers le nord. Des peuples nombreux et riches l’habitent et la cultivent, séparés par la différence de leurs noms et l’étendue de leur territoire. Les Dardanéens touchent aux rives du fleuve Indus, aux lieux où l’Acésine, échappée du flanc des rochers, se précipite et roule au sein de l’Hydaspe qui porterait une flotte. Vient ensuite un troisième fleuve, le Cophès aux ondes claires. Entre ces fleuves habitent le Taxile et le peuple Sabe. Après eux sont les Scodres, et les farouches Peucaléens, et les féroces Gargarides. Là coulent et l’Hypanis et le rapide Magarsus, qui roulent de beaux sables d’or; sortis du mont Emodus, ils entrent sur le territoire du Gange, qui se prolonge vers l’Auster jusqu’à la terre de Colis, dont les montagnes, baignant leurs pieds dans l’Océan, élèvent si haut leur cime, que l’aile agile des oiseaux n’ose l’atteindre: c’est pour cela que les Grecs donnent à ces lieux le nom d’Aornis. Là est la voie Dionysienne, qui rappelle le nom de Bacchus, auquel la victoire a dressé des colonnes en cette contrée. Là aussi est l’île de Tylos, où sont surpassées toutes les merveilles de ce vaste univers car elle garde en toute saison sa verdure; l’automne n’y dépouille jamais les branches de leurs feuilles, et les arbres de toute espèce y conservent éternellement leur parure. Là brille le diamant, qui guérit les esprits du délire, qui délivre les malheureux des ravages cachés du poison: le fer ni le feu ne peuvent le vaincre; il suffit pourtant qu’on le trempe dans du sang de bouc, mais du sang tiède, pour qu’il se brise, après avoir brisé d’abord plus d’une enclume. Placé près de l’aimant, il l’empêche d’enlever le fer par sa vertu secrète; ou si, attiré d’avance, le fer est pris à l’aimant, il l’en arrache et l’en défend avec une puissance merveilleuse. Là se trouve aussi la lychnis, dont l’éclat ressemble au feu d’une lampe: cette pierre a mérité par sa belle clarté ce nom dont elle est digne.

Tels sont les peuples dont le nom est connu dans l’univers. Quant aux autres, épars sur sa surface, quel mortel aurait le pouvoir de t’en dire le nombre, sans l’assistance du Dieu suprême qui a si bien mis en leur place et la terre et les abîmes des mers, qui a paré les célestes lambris de tant d’astres divers, qui a nuancé les campagnes de l’éclat varié d’innombrables couleurs, et qui, chez tous les peuples, a dispensé aux hommes ses bienfaits sous tant de formes?

Mais vous, réjouissez-vous à jamais, espaces de la terre, îles que la vaste mer environne, océan, golfes dont la terre hospitalière accueille en ses flancs sinueux les vagues envahissantes, fleuves, montagnes et lacs, enfermés dans l’univers ! car j’ai parcouru dans mes chants la vaste étendue des mers et la surface immense des régions de la terre. Que le père tout puissant m’accorde ses dons pour récompense !


 

NOTES SUR LA PÉRIÉGÈSE.

1.— Hunc atque hinc statuae sunt (v. 77). C’est une locution familière à Priscien, qui désigne partout, dans le cours de ce poème, les colonnes d’Hercule v. 135, 335 et 462) ou celles de Bacchus (v. 617 et 1058) par le mot sans doute à cause de l’étymologie, stare ou statuere.

2.— Cyrnus propriis pulsatur ab undis (v. 84). Wernsdorf veut que propriis undis signifie les eaux de la mer Ligustique, nommée plus haut; mais la construction de la phrase et le sens du mot propriis ne permettent guàre d’approuver cette conjecture. Si les géographes anciens ne mentionnent pas une mer de Corse, Priscien a pu cependant employer cette dénomination à l’exemple des poètes. Ovide (Fastes, liv. vi, v. 94) a dit:

Quum paenae est Corsis obruta classis aquis;

et l’auteur de l’Octavie attribuée à Sénèque (acte ii , sc. i, v. 6)

Remotus inter Corsici rupes maris.

3. — Hoc mare Gargani concludit Iapygis ora (v. 94). Voir sur les limites données, à différentes époques, à la mer Ionienne, à la mer Adriatique et à la mer Tyrrhénienne, les Aperçus chronologiques de M. Letronne dans ses Recherches géographiques et critiques sur le livre De Mensura orbis terrae de Dicuit, p. 170 et suiv.

4. — Aethiopum populos quos possidet alter (v. 169). Je lis Ethiopum populus quos possidet ater,

5. — Urbes distinguit opacas (v. 172 et suiv.). Wernsdorf, dans un Excursus, fait remarquer que Priscien a mal compris ou mal lu le texte de Denys, et qu’il attribue au pays des Erembes ce que l’auteur grec disait du sol des Ethiopiens. Mais comme je traduisais Priscien j’ai dû traduire aussi le contre-sens.

6.— Alopccea lata, Post quam, etc. (v. 564). Priscien a fait ici une double erreur, entrevue par Wernsdorf, et expliquée aussi par M. Letronne (Recherches etc., p. 155). Ce vers (Insula ... Alopecea lata) est la traduction de celui-ci

Ἄλλη ἀπειρεσίη νῆσος πέμει, ἧ ῥά τε λίμνης

où il n’est aucunement question de l’île d’Alopèce; Denys le Périégète a voulu désigner l’île de Tasman à l’embouchure du Kouban. De plus, Priscien a traduit ἧς ἔπι par post quam; ce qui est un contre-sens manifeste: car on sait que ἔπι suivi d’un génitif avec un verbe de repos, signifie très souvent in, en vers comme en prose; Priscien en pouvait trouver des exemples dans plusieurs vers de Denys, et il suffit d’ouvrir les auteurs grecs pour en rencontrer d’autres en foule.

D’après ces deux remarques, il est évident que Priscien a commis deux énormes fautes, l’une contre la géographie, l’autre contre la grammaire; celle-ci est vraiment étonnante de la part d’un grammairien aussi instruit, et elle ne peut guère être excusée qu’en supposant que le manuscrit de Denys sur lequel Priscien traduisait, altéré en cet endroit, portait ἄλλη Ἀλωπεκίη νῆσος (au lieu de ἄλλη ἀπειφεσίη νῆσος), altération d’autant plus probable que, paléographiquement parlant, il n’y a pas grande différence entre les deux mots; de sorte qu’un des premiers copistes ayant mal lu et sachant d’ailleurs qu’il y avais dans le Palus-Méotides une île d’Alopèce, a écrit ἀλωπεκίη; la construction est même très grecque. D’un autre côté, Priscien, qui savait probablement que Hermonassa et Phenagora ne pouvaient être dans l’île d’Alopèce, a cru que ἧς ἔπι était une faute, et a traduit comme s’il y avait eu ᾗ δ' ἔπι ou τῇ δ' ἔπι, mots qui signifient, en effet, postquam, et qui commencent plusieurs vers de Denys. Telle est, je crois, la cause de ces deux erreurs.

7. — Erythiam (v. 570). M. Letronne (Recherches, etc., p. 124) préfère Erytheam. “Au reste, dit-il, il s’agit ici, non de l’Erythia qui était une des îles de Gades, maintenant réunie à la partie septentrionale de l’île de Léon, mais de l’Erythia de Ptolémée, placée par ce géographe à 6° 55’ au S. du cap Cotes, et que M. Gosselin croit être l’île de Mogador, à 118 l. S. du cap Spartel.”

8. — Hyperboreis (v. 572). Camers et Wernsdorf rejettent ce mot et le remplacent par Erythrœis, d’après Pline (Hist. Nat., liv. iv, ch. 36) et Solin (Polyhist., c. xxiii), guides ordinaires de Priscien.

9. — Parnessum.... montem (v. 716). Saumaise (Pline, Exercit, p. 4) lit Parnissum, du grec Parnisoz, abrégé de Parpanisoz, pour Paropanisoz;. C’est le mont Paropamise, que Priscien appelle plus loin (v. 1005) Parpaneus mons.

10. — Asianae ad moenia petrae (v. 937). Cette pierre ou ce marbre esiatique, c’est l’ophite qui renferme le béryl. Au lieu d’Asianae, Saumaise (Pline, Exercit., p. n4s) veut qu’on lise Ophianae, et il fait remarquer l’erreur des deux traducteurs de Denys, Avienus et Priscien, qui ont rendu la phrase grecque, ἐν προβολῆς ὀφιήτιδος ἔνδοθι πέτρης, l’un par internis Ophietidis arcis in arvis, l’autre par per loca quae tendunt Ophianae ad moenia petrae. Selon lui, προβολαὶ désigne ici les éminences ou proéminences formées par les rochers d’où l’on tire l’ophite. Wernsdorf, sans désapprouver l’explication de Saumaise, trouve un moyen ingénieux de justifier Avienus et Prsden. Il fait observer que les mots arx et mœnia sont souvent employés en poésie pour désigner une cime ou une chaîne de hautes montagnes. Ainsi Manilius (liv. iv, v. 673) a dit: in coelum surgentis mœnia Tauri; et Gratius (Cynég., v. 431): Circum atrae mœnia silvae Alta premunt. J’ai traduit d’après cette complaisante interprétation, mais je crois qu’Avienus et Priscien n’y songeaient guère.

11.— Myrrhitenque (v. 984). Un manuscrit de Leyde, collationné par P. Bondam (Var. Lect., lib. ii, c. 13), porte: Myrrhitemne, et plus loin (v. 986), utilis ille.

12. — Et pretio rubrae perfloret arundinis (v. 1026). C’est la canne à sucre, originaire de l’inde; Lucain en parle quand il dit (liv. iii, v. 237)

Quique bibunt tenera dulces ab arundine succos,

“Qui boivent les doux sucs que le roseau distille”

Varron* l’avait décrite avant lui dans ces vers conservés par Isidore de Séville (Orig., liv. xvii, ch. 7):

Indica non magna minus arbore crescit arundo;

Illius e lentis premitur radicibus humor,

Dulci qui nequeat succo concedere meus.

“La canne de l’inde élève une tige non moins haute: de ses tendres racines s’exprime une liqueur qui ne le cède en rien au doux suc du miel.”

Il est à croire, dit M. Poiret (Histoire philosophique, littéraire, économique des plantes, t. Ii, p. 388) que, de temps immémorial, les peuples de l’Inde ont su profiter du riche présent que leur a fait la nature dans la canne à sucre; mais ils se sont longtemps bornés au sirop mielleux qu’elle leur fournissait, ainsi que quelques autres plantes, telles que le bambou, etc. On ignore le temps où cette plante a été introduite en Europe; ce qui paraît certain, c’est que les anciens, au rapport de Théophraste, Pline, Dioscoride, Galien, etc., en connaissaient les produits. Ce miel concret, ce saccharon de Dioscoride, que Théophraste nommait aussi miel de roseau, leur arrivait de l’Inde et de l’Arabie Heureuse, soit en extrait, soit renfermé dans les tiges; mais comme ils ne nous ont laissé aucune description de la plante qui le fournit, il est à croire qu’elle leur était inconnue: ils la regardaient seulement, avec assez de raison, et probablement d’après l’inspection des tiges, comme une sorte de roseau. Je ne vois pas sur quoi fondés, la plupart des auteurs ont prétendu que ce saccharon des anciens était le produit d’un bambou.

* Varron Atacinus, selon Is. Vossius (Observ. ad Pomp. Melam, p. 70), et Wentsdorf (Poet. lat. min., t. iv, éd. Lemaire), qui pense que ces vers faisaient partie de la Chorographie de ce poète. Je les cite d’après ses corrections, qui se rapprochent plus du texte des manuscrits que les leçons de Saumaise (Plin. Explicit., p. 716) et de Vossius.

Les critiques sont partagés sur le sens du surnom Atacinus, qui désigne le lieu de naissance de cet écrivain. Il n’est peut-être pas hors de propos de rapporter ici l’opinion d’un de nos savants les plus distingués sur cette question de géographie et d’histoire littéraire. La Chronique d’Eusèbe (ad annum iii, olymp. clxxiv) porte: P. Terentius Varro vico Atace in provincia Narbonensi nascitur. Or,ce lieu nommé Atax ou Atacinus vicus devait être, selon M. Walckenaer, la capitale des Atacini , avant Narbonne, et au temps de Varron. M. d’Anville et les autres géographes qui ont traité de la Gaule ancienne, n’ont pas fait attention à ce passage de l’ouvrage d’Eusèbe, ou ne l’ont pas connu, puisqu’ils disent à tort, d’après Porphyrion, l’ancien commentateur d’Horace, que Varron a été nommé Atacinus d’après le fleuve Atax. Il me semble que, faute d’indication plus précise qu’une légère ressemblance dans les noms, on pourrait placer l’Atacinus vicus à Aussière, non loin d’un ruisseau nommé Ausson, (lui se rend dans l’Atax, l’Aude, à moins de six mille toises, ou trois lieues, de Narbonne, vers le midi. En effet, puisque Varron, né dans l’Atacinus vicus, était aussi nommé Narbonensis, ce lieu ne doit pas dire éloigné de Narbonne, et peut-être trouvera-t-on qu’un petit lieu nommé Narbonesse, à quatorze cents toises à l’ouest d’Aussière, sert encore à appuyer cette conjecture. (M. Walckenaer, Géographie ancienne des Gaules, part. ire, ch. 6, t. ier, p. 140.)

13. — Marginibus ternis (v. 1037). Il fallait quaternis. Priscien lui-même décrit dans les vers suivants les quatre côtés de l’Inde.


 

[1] Amiante.