retour à l'entrée du site  

 

PHILOSTRATE

 

LE LIVRE DES TABLEAUX

 

PHILOSTRATE LE JEUNE

 

LE LIVRE DES TABLEAUX

 

CHORICIUS DE GAZA

 

DESCRIPTION D’UN TABLEAU QUI SE VOYAIT A GAZA

 

MARCUS EUGENICUS

 

LE MARTYRE DE SAINT DÉMÉTRIOS.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

PHILOSTRATE. CRITIQUE D’ART

Le livre des Tableaux.

Vers la fin du second siècle de l’ère chrétienne ou dans les premières années du IIIe, un sophiste grec, Philostrate, vint à Naples où se célébraient des jeux. Tous les cinq ans, il y avait, en effet, dans cette ville une espèce de concours, à la fois littéraire et gymnique, auquel prenait part tout ce qu’il y avait de distingué dans les cités voisines; Stace nous apprend qu’il avait lui-même disputé le prix dans ces luttes. L’institution de ces jeux était fort ancienne, et remontait jusqu’à l’arrivée des premiers colons grecs. Philostrate était descendu chez un riche particulier qui possédait une magnifique collection de tableaux. Amateur distingué, il visita avec beaucoup d’intérêt cette galerie qui, dit-il, renfermait des œuvres fort importantes. Après les avoir admirées, il eut la pensée de les décrire ; il trouvait ainsi à contenter ses goûts d’artiste et à faire briller son talent d’écrivain. C’est le recueil de ces descriptions qui compose le petit livre intitulé les Images ou Tableaux, lequel fut accueilli avec faveur par les contemporains, et vivement goûté pendant des siècles par les amateurs et les lettrés. Mais laissons Philostrate raconter lui-même dans quelles circonstances est né son livre.
« On célébrait des jeux à Naples. C’est une ville d’Italie, grecque par l’origine, la politesse et la passion des lettres. Comme je ne voulais pas déclamer en public, les jeunes gens qui fréquentaient la maison de mon hôte redoublaient leurs instances. J’habitais en dehors des murs de la ville, dans un faubourg qui s’étendait du côté de la mer. Là était un portique, exposé au Zéphire, occupant, je crois, le quatrième ou le cinquième étage et ayant la mer Tyrrhénienne pour horizon. Il resplendissait de ces beaux marbres que recherche l’opulence. Mais son principal ornement consistait dans les tableaux qui le décoraient. Ces peintures, avaient été, selon moi, choisies avec goût; et l’art d’un grand nombre de peintres y brillait. Déjà de moi-même j’avais formé le dessein de louer ces chefs-d’œuvre. Or, mon hôte avait un fils, tout jeune encore, de dix années environ, déjà curieux et avide de s’instruire. L’enfant m’observait, lorsque je parcourais tous ces tableaux, et me priait de les lui expliquer. Ne voulant pas paraître trop maladroit, je lui répondis: « Eh bien ! lorsque vos jeunes amis seront ici, nous pourrons discourir sur ces tableaux. » Ceux-ci étant venus: « Que ce jeune garçon, dis-je, pose les questions, et que son désir préside à notre entretien. Vous, suivez ces explications, et ne vous contentez pas d’approuver, mais interrogez-moi, si quelque point vous semble manquer de clarté. »
C’est ainsi que le complaisant critique, entouré de cette jeunesse curieuse et empressée, se mit à parcourir la galerie, décrivant et expliquant successivement les tableaux. Son livre ingénieux eut du succès. Aussi Philostrate trouva-t-il bientôt un imitateur dans son petit-fils que l’admiration rendit son émule. A l’exemple de son aïeul, Philostrate le Jeune composa aussi ses Tableaux et enrichit ainsi la galerie. Ce second ouvrage qui ne nous est pas arrivé complet est d’un mérite bien inférieur au premier. A notre avis, la différence est même considérable; tout dans cette œuvre décèle le copiste inhabile ; en imitant le style de son modèle, l’auteur n’a pu lui dérober son savoir et son talent. Toutefois, tel qu’il est, ce livre a encore son prix. L’ouvrage de Philostrate l’ancien comprend deux livres dont le premier contient, outre une préface, trente descriptions, et le second trente-quatre. Celui de Philostrate le jeune en renferme dix-huit. Ainsi la collection entière se compose de quatre-vingt-deux tableaux.
On comprend tout l’intérêt qui s’attache à ces deux livres que rapproche la communauté du travail puisque le disciple s’est inspiré du maître. Ils offrent d’intéressants renseignements sur la peinture antique. Ce grand art que les Polygnote, les Parrhasius et les Apelle avaient élevé si haut, qui, sans atteindre peut-être la perfection de la statuaire avait cependant produit tant d’œuvres éminentes, célébrées par des juges aussi éclairés que les anciens, ce grand art a péri, et il n’en reste plus que quelques vestiges qui, tout précieux qu’ils soient, ne nous permettent cependant pas d’en concevoir une juste idée. Dans cette disparition de tant de chefs-d’œuvre qui honoraient le génie de l’homme, de quel prix n’est pas pour nous le livre qui garde le souvenir et peut-être l’image fidèle de quelques-uns? Et quand on recueille avec un soin si religieux les moindres débris de la statuaire, si mutilés qu’ils soient, ne doit-on pas être également empressé à interroger tout ce qui nous apprend quelque chose sur la peinture ancienne? Les recherches archéologiques, si actives aujourd’hui, nous révèlent tous les jours des documents nouveaux ; mais les documents écrits sont en bien petit nombre, et parmi ceux- là l’ouvrage de Philostrate tient une place importante.
Toutefois, ce n’est pas seulement pour l’histoire et la théorie de l’art qu’il est intéressant. La critique ancienne a, dans ce livre, laissé son plus curieux monument; c’est là qu’elle apparaît avec les traits qui la rapprochent le plus de la nôtre. S’il est permis de comparer entre elles deux critiques, dont chacune appartient à un génie nécessairement bien différent, on peut dire que Philostrate rappelle sinon la verve et l’imagination, du moins l’esprit de celui qui a écrit les Salons; c’est le Diderot de l’antiquité. A ce titre seul, il doit exciter notre curiosité. Bien connu des archéologues, son livre est à peu près ignoré des artistes et du public, en France surtout. Car, en Allemagne, il a provoqué de nombreux travaux: mémoires, commentaires, discussions érudites et dissertations de tout genre. … Du reste, c’est seulement vers la fin du dernier siècle que ce livre a attiré l’attention des archéologues. Jusque là, il avait été assez négligé; du moins ne lui demandait-on pas les notions
Appendice
……… nous croyons devoir y joindre la traduction d’un choix de Tableaux. Que sont en effet les analyses sans la lumière des exemples; et comment, en particulier, apprécier la description d’un tableau, si, à défaut du tableau lui-même, on n’a pas au moins sous les yeux cette description tout entière? La tâche du traducteur, toujours délicate, présente peut-être ici des difficultés d’un ordre particulier. Tout autre ouvrage nous met directement en présence de l’auteur qui est lui-même l’interprète de ses pensées. Mais ici derrière l’écrivain se cache l’artiste, derrière la description, le tableau. C’est ce tableau qu’il s’agit de reproduire; et l’on ne peut y réussir que si l’on commence par le bien voir soi-même. Il faut donc démêler et reconnaître avec soin dans la description le détail pittoresque, c’est-à-dire tout ce qui décèle une forme, un geste, une attitude, une expres-sion, révèle un effet ou un ton, indique un plan, détache un objet, met en relief un groupe. Il faut ensuite que le style prête ses différents artifices à la restitution du tableau ainsi entrevu. La disposition et la coupe différentes d’une phrase, la place d’une épithète mise ici ou là peuvent en changer l’aspect. C’est ainsi que nous avons compris notre travail, songeant surtout aux artistes.
Nous n’avons pas voulu séparer les disciples du maître. A des tableaux choisis de Philostrate l’Ancien, nous en avons ajouté quelques autres de Philostrate le Jeune, de Choricius et de Marcus Eugénicus. La grande composition décrite par Choricius nous a paru assez curieuse pour que nous donnions le morceau tout entier. Le texte présente, il est vrai, plusieurs lacunes; mais si le tableau y a perdu quelques détails, il n’a pas souffert dans son ensemble. Nous croyons aussi devoir avertir qu’en le respectant scrupuleusement, nous avons cependant élagué quelques vaines phrases de rhéteur qui surchargeaient la description.

PHILOSTRATE L’ANCIEN

I. — COMOS
Cômos, dieu du plaisir, se tient à la porte d’une chambre nuptiale, porte dorée, à ce qu’il me semble; car, vu l’obscurité, il est difficile de la distinguer. La nuit règne, représentée non en personne, mais par ses effets. Le seuil annonce que dans leur couche reposent deux riches époux. Le dieu est venu, jeune vers les jeunes gens. C’est un délicat adolescent, à peine un éphèbe. Le visage rougi par le vin, il dort debout, cédant à l’ivresse ; il dort, le front incliné sur la poitrine, sans rien laisser voir du cou, et la main gauche appuyée sur un épieu. Cette main, comme il arrive au moment où l’on s’endort, lâche le soutien quelle croit avoir saisi; car les molles caresses du premier sommeil apportent l’oubli de la réalité; et c’est ainsi que la main droite, alanguie, laisse aussi échapper son flambeau. Mais Cômos craignant la flamme qui approche de sa cuisse porte la jambe gauche vers le côté droit, et le flambeau vers le côté gauche, éloignant la main du genou qui est saillant. L’artiste doit aux beaux jeunes hommes de représenter leur figure entière; car autrement le tableau morne ressemble au visage d’un aveugle. Toutefois, la figure de Cômos se dérobe à peu près, parce qu’elle est inclinée et enveloppée dans l’ombre que projette la tête. Le dieu avertit sans doute par là ceux qui sont jeunes de ne pas se livrer sans voile au plaisir. Le reste du corps a été étudié avec soin par l’artiste, parce que le flambeau l’éclaire tout entier et le met en pleine lumière. Louons la couronne de roses. Toutefois, ce qui mérite ici nos éloges, ce n’est pas la forme; car avec du jaune et du bleu, on peut, à l’occasion, sans un grand effort de talent, imiter les fleurs dans toute leur vérité; ce qui est admirable, c’est ce qu’il y a de délicat dans cette couronne, c’est la mollesse, c’est la fraîcheur. Vraiment, ces roses, l’artiste a su les peindre odorantes!
Que reste-t-il encore à décrire de la fête? qui? les invités. N’entendez-vous pas ce bruit de crotales, ces accents de la flûte et ces cris confus. Les torches brillent çà et là; aussi les personnages voient ce qui est à leurs pieds, et nous pouvons les voir eux-mêmes. C’est une troupe nombreuse qui s’éloigne. Ils vont tous, les jeunes femmes avec les jeunes hommes, ayant les mêmes chaussures et les robes relevées plus haut que de coutume, contrairement à ce qui convient à chaque sexe. Cômos permet en effet aux femmes de se vêtir en hommes, et aux hommes d’imiter l’habillement et la démarche de la femme. Les couronnes sont maintenant sans fraîcheur; elles ont perdu leur grâce parce que tous ont dû, dans le désordre de la marche, les fixer à leur tête. Or, la fleur, libre et fière, repousse la main qui doit la flétrir avant le temps. Il semble que la peinture soit bruyante. Oui, on entend ce battement de mains dont ne peut se passer Cômos, la droite frappant la paume de la gauche, dans un harmonieux accord, comme deux cymbales.
II. — MÉNOECÉE
Nous sommes à Thèbes. La ville est assiégée. Voici la muraille aux sept portes, l’armée de Polynice, fils d’Œdipe, et les sept bataillons. Amphiaraos s’approche avec un visage triste, et plein d’un sombre pressentiment. Les autres chefs lèvent les mains vers le ciel, témoignant par là leur crainte. Au contraire, Capanée jette un regard dédaigneux sur les remparts qui lui semblent aisés à escalader. Les traits ne partent pas encore des créneaux, les Thébains craignant d’ouvrir la lutte. Le peintre a eu une très heureuse idée. Couronnant les murs de guerriers armés, il a montré les hommes, ici, en entier, là, jusqu’aux genoux, plus loin, à mi-corps; ensuite on ne voit plus que les poitrines, puis les têtes seules, puis les casques, enfin le bout des piques. Tel est l’art des proportions, ô enfant. Il faut ainsi tromper par une perspective bien entendue le regard qui s’éloigne en accompagnant les guerriers rangés en cercle avec art. Cependant Thèbes a son devin qui est Tirésias, lequel a annoncé que Ménœcée, fils de Créon, devait mourir près de la caverne d’un dragon pour assurer à la ville sa délivrance, Il meurt donc, le jeune guerrier, à l’insu de son père, digne de pitié pour son âge et d’admiration pour son grand cœur. Voyez le tableau: le peintre l’a représenté non point pâle et délicat, mais avec l’expression résolue du lutteur et cet éclat bronzé qui plait au fils d’Ariston. Il l’a doué d’une solide poitrine; les flancs, les fesses, les cuisses ont les proportions exactes; les épaules sont robustes, le col ferme et droit, les cheveux d’une juste longueur. Debout, à l’entrée de la caverne du dragon, il tire son épée et l’a déjà plongée dans son flanc. Recueillons, ô enfant, dans un pan de notre vêtement, ce sang qui coule. L’âme va s’envoler, et bientôt vous entendrez son léger cri. Car l’âme est éprise d’un beau corps, et c’est à regret qu’elle s’en sépare. Le sang jaillit de la blessure; le jeune guerrier s’incline sur un genou, et d’un doux regard salue la mort, d’un regard qui semble appeler le sommeil.
III. — ARIADNE
Que Thésée, soit ingratitude, soit ordre de Dionysos, suivant quelques-uns, ait abandonné dans l’île sainte de Dia Ariadne endormie, c’est ce que votre nourrice vous a sans doute appris. Car, ces beaux contes, les nourrices les savent et les arrosent d’autant de larmes qu’elles veulent. Je n’ai donc pas besoin de vous dire que c’est Thésée que vous voyez sur le vaisseau et Dionysos sur le rivage, ni de tourner votre attention, comme si vous ignoriez tout, vers celle qui, étendue sur ces durs rochers, repose d’un si doux sommeil.
N’allons pas décerner à l’artiste ces vulgaires éloges qu’un autre pourrait mériter. Car il est aisé au premier venu de représenter Ariadne belle et beau Thésée. Dionysos a mille attributs pour quiconque veut l’offrir aux yeux, peintre ou statuaire; et si le moindre d’entre eux est retracé, l’artiste a saisi le dieu. Ainsi, celui-ci est annoncé par une couronne de pampres, même si la représentation en est grossière; il l’est par des cornes naissantes aux deux tempes; il l’est aussi par la présence d’une panthère. Mais ici, la passion seule révèle Bacchus. La robe brodée, les thyrses, la peau de faon, tout a été rejeté comme inopportun; point de cymbales aux mains des bacchantes, ni de flûtes aux lèvres des satyres; Pan même, pour ne pas troubler le sommeil de la jeune fille, retient ses bonds.
Cependant vêtu d’une robe de pourpre et la tête couronnée de roses, Dionysos s’avance vers Ariadne, ivre d’amour, suivant l’expression dont le poète de Téos se sert pour désigner la passion exaltée. Thésée aime aussi, mais la fumée d’Athènes; quant à Ariadne, il ne la connaît plus, il ne l’a jamais connue; il a oublié jusqu’au labyrinthe, et ne saurait seulement pas dire pourquoi il est venu en Crète; tant son regard, du haut de la proue, est occupé. Mais contemplez Ariadne, ou plutôt le sommeil. Voyez: la poitrine est nue jusqu’au milieu du corps, le cou mollement renversé, la gorge délicate. Le dessous du bras gauche est tout entier découvert, tandis que la main droite repose sur le vêtement: précaution de la pudeur. Ah ! Dionysos, quelle douce haleine ! A-t-elle le parfum de la pomme ou du raisin? Tu nous le diras, après un baiser.
IV. — MEMNON
Voici l’armée de Memnon. Les guerriers ont déposé leurs armes à terre; le plus grand d’entre eux est exposé pour recevoir les honneurs funèbres. Il a été frappé à la poitrine, sans doute par l’illustre lance d’Achille. En voyant une vaste plaine, des tentes, un camp fortifié, une ville garnie de remparts, je ne puis douter que je n’aie ici sous les yeux les Éthiopiens et Troie, et que ce ne soit le deuil de Memnon, fils de l’Aurore. Venu au secours de Troie, celui-ci a été tué par Achille. Il ne le cède à son vainqueur ni en taille ni en force. Voyez-le étendu à terre; considérez son corps puissant, ses boucles de cheveux semblables à des épis que le Nil a nourris; car si aux Égyptiens appartiennent les bouches du Nil, l’Éthiopie en possède la source; contemplez sa beauté, cette mâle vigueur qui éclate, malgré ces yeux éteints, le duvet de ces joues annonçant une jeunesse aussi vive que celle du meurtrier. Vous ne diriez pas qu’il est noir; les tons d’ébène de son visage laissent percer quelque rougeur. Quant à ces divinités portées dans l’air, c’est l’Aurore qui, pleurant son fils, obscurcit le soleil et demande à la Nuit d’envahir le camp avant l’heure pour qu’il lui soit possible d’enlever le corps de son fils comme Zeus le lui a permis. Et voyez: ce corps se dérobe déjà; car il est à l’extrémité du tableau. Où repose-t-il donc, et en quel lieu?............ Nulle part n’est le tombeau de Memnon. Mais Memnon lui-même est en Éthiopie, changé en marbre noir. Il a l’attitude d’un homme assis et le même aspect qu’il présente ici. Le soleil lance sur la statue un rayon qui semblable à un plectre touche les lèvres et en fait sortir des sons par les-quels est consolée la douleur d’une mère.
V. — ATLAS
Héraclès lutta avec Atlas, sans que cette fois Eurysthée lui eût imposé ce travail, et se montra plus capable que lui de porter le ciel. Il voyait Atlas, la tête courbée, accablé sous le faix, un genou en terre, sans pouvoir se soutenir qu’à grand-peine, tandis que lui se flattait d’être en état de soulever le ciel et de porter longtemps cette charge. Toutefois, sans manifester cette prétention, il témoigne à Atlas sa sympathie et le désir qu’il a de lui prendre son fardeau. Atlas accueillant avec plaisir Héraclès s’empresse d’accepter son offre. L’un a donc été représenté défaillant comme on peut en juger par la sueur qui ruisselle sur tout son corps et le tremblement de son bras; l’autre, au contraire, est avide du fardeau. Tout le prouve: son regard résolu, sa massue jetée à terre, ses bras qui réclament l’effort. Le clair-obscur dans Héraclès n’a rien qui soit digne d’être admiré. Car le corps de l’homme, étendu ou debout, offre une distribution normale de l’ombre, et la vérité en ceci n’exige pas un grand effort de talent. Mais Atlas atteste chez l’artiste une science profonde des ombres. Car dans son corps ramassé sur lui-même les ombres confondues se rencontrent sans obscurcir les saillies et en laissant la lumière jouer autour des creux et des enfoncements. Quant au ventre d’Atlas, tout incliné que soit celui-ci, on sent qu’il est haletant. Ce qui est dans le ciel, qu’Atlas porte, a été représenté au milieu de l’air dont tout est enveloppé. On reconnaît le Taureau et les deux Ourses telles qu’on les voit là-haut, et aussi les vents, les uns unis, les autres séparés, ceux-ci rapprochés par l’amitié, ceux-là gardant leurs différends dans le ciel. Eh bien ! Héraclès, tu vas soutenir ce fardeau, et bientôt après tu auras ce ciel même pour demeure, buvant et tenant dans tes bras la belle Hébé. Car tu l’épouseras, elle, la plus jeune et en même temps la plus ancienne des divinités, puisque c’est d’elle que toutes les autres tiennent leur jeunesse.
VI. — NARCISSE
Narcisse est représenté par la source, la source et Narcisse par le tableau. L’adolescent, qui revient de la chasse, s’est arrêté près de cette eau, y puisant une passion pour lui-même et épris de sa propre beauté. Comme vous voyez, il projette dans l’onde un brillant reflet. Voici l’antre d’Achéloos et des nymphes peint avec une parfaite vérité. Les statues sont d’un art grossier et taillées dans la pierre de l’endroit. Ici, elles sont usées par le temps, là, les enfants des bergers et des bouviers les ont mutilées, dans leur simple et naïve ignorance de la divinité. La source n’est pas sans révéler Dionysos puisque c’est pour ses bacchantes mêmes que le dieu l’a produite. Elle est toute tapissée; ce ne sont que vrilles gracieuses de vigne et de lierre, grappes de raisins, tiges flexibles qui donnent les thyrses. Les oiseaux en un chœur joyeux font entendre chacun sa chanson dans ce lieu, et de blanches fleurs croissent sur les bords, écloses tout exprès pour l’adolescent. La peinture respectant la vérité a représenté jusqu’aux gouttes de rosée roulant sur les fleurs où une abeille est posée. Est-ce une abeille déçue par le tableau, ou faut-il que nous soyons dupes nous-mêmes d’une illusion de l’art? Je ne sais. Mais laissons ce point.
Pour toi, bel adolescent, ce n’est pas une peinture qui te trompe; ce n’est pas devant des couleurs ou de la cire que tu te consumes, mais tu ignores que, victime d’une illusion, tu vois l’eau reflétant ta propre image, et tu ne dissipes pas le mensonge, comme tu le pourrais, par un geste ou une expression différente du visage ou un mouvement de main ou un changement d’attitude. Il semble que tu aies rencontré un compagnon et que tu attendes qu’il t’entretienne. Quoi? La source te parlera-t-elle un langage? Mais il est sourd à nos paroles; il est penché vers l’onde, avec toute l’attention de ses yeux et de ses oreilles. Parlons donc de lui et de la manière dont il est représenté. Il est debout, les pieds croisés l’un sur l’autre, ta main gauche appuyée sur l’épieu piqué en terre et la droite posée sur la hanche, de manière à supporter le corps et à faire saillir le flanc, la partie gauche étant inclinée. Le bras laisse paraître un vide à l’endroit où s’arrondit le coude; au poignet se dessine un pli, et la main est sillonnée par une ombre dont les traits sont obliques parce que les doigts sont re-pliés vers la paume. Le souffle qui soulève la poitrine est-il l’effet de la chasse ou de l’amour? Je l’ignore. Quant au regard, c’est celui de la passion. La vivacité naturelle en est adoucie par le désir qui y réside. Il croit peut-être que son amour lui est rendu, l’image le regardant comme il la regarde lui-même. Il y aurait beaucoup à dire de la chevelure, si nous avions rencontré le jeune homme chassant. Car dans la course elle a mille mouvements divers, surtout lorsque le souffle du vent l’agite; mais, même au repos, elle mérite qu’on en parle. Touffue, aux reflets d’or, elle a des boucles qui se pressent sur la nuque, d’autres qui se partagent aux oreilles, d’autres qui flottent sur le front, d’autres qui s’unissent au duvet des joues. Égaux sont les deux Narcisse, se renvoyant l’un à l’autre pareille image, si ce n’est que l’un est dans l’air, l’autre au fond des eaux. Car l’adolescent est debout devant l’onde qui se tient immobile ou plutôt qui le contemple comme si elle était altérée de sa beauté.
VII. — CASSANDRE
Des cadavres épars dans une salle, le sang mêlé au vin, des convives expirant sur la table du festin, ce cra-tère repoussé du pied par un homme qui palpite auprès dans les convulsions de l’agonie, une vierge en habit de prophétesse tournant son regard vers une hache qui va la frapper: tout indique l’accueil préparé par Clytemnestre à Agamemnon revenant de Troie. Le fer des assassins surprend les victimes dans une telle ivresse qu’Égisthe, lui aussi, est hardi à l’ouvrage. De son côté Clytemnestre a enveloppé perfidement Agamemnon dans les plis d’une tunique sans issue; puis, après l’avoir massacré avec cette hache à double tranchant, qui abat les grands chênes dans la forêt, elle brandit son arme toute fumante encore contre la jeune fille dont la beauté a ravi le cœur d’Agamemnon et dont les chants prophétiques rencontrent l’incrédulité.
Si nous examinons le sujet, c’est une grande tragédie, ô enfant, accomplie en bien peu de temps. Si nous considérons la peinture, mille objets frappent nos yeux. Ces flambeaux qui versent la lumière sur la scène, car il fait nuit, ces cratères qui offrent le vin et dont l’or brille plus que la flamme, ces tables chargées de mets, nourriture des héros, tout cela présente un affreux désordre. Pendant que les convives expirent, tout est foulé, brisé, lancé au loin. Les coupes échappent des mains, toutes pleines de sang. L’ivresse a paralysé tout effort. Ceux que le fer a frappés sont dans des attitudes diverses. L’un a été égorgé mangeant et buvant; à l’autre la tête a été coupée tandis qu’elle se penchait sur le cratère; la main de celui-ci a été tranchée tenant une coupe, et cet autre en tombant de son lit a entraîné avec lui la table. Cet autre enfin gît, renversé sur la tête et sur les épaules. Celui-ci ne croit point à la mort, celui-là n’a pas la force de fuir, enchaîné par le vin. Aucun des mourants n’est pâle, les visages, au sein de la mort, étant encore enluminés par l’ivresse.
Le principal personnage du drame est Agamemnon couché non dans la plaine d’Ilion, ni sur les rives du Scamandre, mais au milieu de jeunes hommes et de jeunes femmes comme un bœuf devant la crèche. Voilà ce qui lui est arrivé après tant de travaux au milieu de son repas. Mais une situation terrible rend Cassandre plus pathétique encore. Au-dessus d’elle, armée de la hache se dresse Clytemnestre, l’œil égaré, les cheveux en désordre, le bras violent; Cassandre, douce et inspirée, s’efforce d’aller tomber auprès d’Agamemnon, détachant les bandelettes qui la couvrent comme pour en parer le héros. Elle a le regard tourné vers cette hache qui la menace, et pousse un cri si douloureux qu’Agamemnon lui-même sent se troubler ce cœur où la vie expire. Aussi racontera-t-il à Ulysse dans l’assemblée des âmes cette lamentable histoire.
VIII. — LE MÉLÈS OU CRÉTHÉIS
Comment Tyro s’éprit de l’Enipée, Homère l’a conté. Il a dit et la tromperie de Poséidon et la couleur brillante de la vague qui enveloppa la couche des deux amants. Ceci est une autre fable, non thessalienne, mais ionienne.
Créthéis, l’ionienne, est amoureuse du Mélès qui sous les traits d’un adolescent s’offre tout entier aux re-gards du spectateur, le fleuve se jetant dans la mer au lieu même où il prend sa source. Elle boit, la jeune nymphe, sans avoir grand soif, elle puise de l’eau, elle parle à cette onde comme si son murmure était un lan-gage, elle y répand des larmes amoureuses; et le fleuve épris, lui aussi, d’amour, est ravi du mélange. Ce qu’il y a de charmant dans ce tableau, c’est le Mélès étendu sur un lit de safran, de lotus et de jacinthes, dans toute la joie d’une jeunesse brillante et avec la grâce d’un adolescent délicat et intelligent; car la poésie brille dans son regard. Agréable détail: il n’épanche pas un flot rapide comme ces fleuves grossiers que l’art a coutume de re-présenter impétueux; mais grattant délicatement la terre du bout des doigts, il présente la main pour recevoir l’eau qui jaillit sans bruit, doux ruisseau, aussi vrai pour notre regard que pour Créthéis, qui croit aimer le fantôme de ses rêves. Mais ce n’est pas là un songe, ô Créthéis, et ce n’est pas sur l’onde que tu graves ton amour. Car il t’aime, ce beau fleuve, oui, je le sais; et sa tendresse vous prépare à tous les deux, sous ce flot qu’il soulève, une couche nuptiale. Si tu ne veux pas m’en croire, je vais te dire l’art avec lequel est disposée cette couche, La douce brise pénètre sous l’eau; une vague s’arrondit, spacieuse et brillante, et les reflets du soleil teignent de riches couleurs l’onde suspendue. Mais pourquoi donc, ô enfant, m’arrêter? Pourquoi ne pas me laisser achever l’explication du tableau Voulez-vous que nous décrivions aussi Créthéis, puisque vous dites qu’il vous serait agréable d’entendre développer sa beauté. Eh bien, parlons d’elle.
Elle est délicate et a une grâce tout ionienne embellie par la pudeur et dont le doux éclat suffit pour parer ses joues. Ses cheveux relevés sous l’oreille sont ornés d’une bandelette de pourpre, présent de quelque néréide ou d’une naïade. Car sans doute ces divinités forment ensemble des chœurs sur les bords du fleuve dont la source est rapprochée de la mer où il se jette. Si doux et si ingénu est son regard que même les larmes ne peuvent en altérer la sérénité. Son cou est ravissant parce qu’il n’est pas paré. Les chaînes, en effet, les colliers, les pierreries sont un agréable ornement pour les femmes d’une beauté moyenne, auxquelles cette parure prête de l’éclat; mais à celles qui sont tout à fait belles ou laides elle est contraire, confondant la laideur des unes et obscurcissant la beauté des autres. Considérons les mains de la jeune fille: les doigts sont délicats, effilés, aussi blancs que le bras; et voyez comme la blancheur de ce bras paraît plus éclatante encore à travers celle du vêtement, comme ce sein brille sous l’étoffe transparente !
Pourquoi donc les Muses ici? pourquoi aux sources du Mélès? Lorsque les Athéniens conduisirent une colonie en Ionie, les Muses, sous la forme d’abeilles, guidaient les vaisseaux. Car elles saluaient avec joie l’Ionie, à cause du Mêlés aux eaux plus douces que celles du Céphise et de l’Olméios. Vous les rencontrerez donc dansant sur ces rives. Mais maintenant les Parques le voulant ainsi, elles filent la naissance d’Homère; et le Mélès par la voix de son enfant donnera au Pénée les tourbillons d’argent, au Titarèse l’onde légère et rapide; il donnera à l’Enipée le nom de divin et celui de très beau à l’Axios. Il appellera le Xanthe fils de Zeus et l’Océan père de tous les fleuves.
IX. — AJAX OU LES GYRES
Des rochers se dressent au-dessus des flots, et la vague bouillonne autour. Sur le sommet se tient un héros au regard terrible qui semble défier la mer. C’est Ajax le Locrien. Son vaisseau a été frappé par la foudre et lui-même s’est échappé du milieu des flammes. Luttant contre les vagues, il fend les unes, attire les autres ou, de sa poitrine, en soutient l’effort. Il a atteint les Gyres, rochers qui s’élèvent au milieu de la mer Égée et profère contre les dieux d’insolentes paroles. Aussi Poséidon arrive-t-il, terrible; son visage est plein de tempêtes et sa chevelure hérissée. Et cependant, devant Ilion, il a combattu avec le Locrien, dont la modération respectait alors les dieux; il lui a même communiqué la force en le touchant de son sceptre. Maintenant qu’il le voit rempli d’arrogance, il marche contre lui, armé de son trident, prêt à frapper la cime du rocher pour renverser l’impie et son orgueil.
Voilà le sujet du tableau: voici maintenant ce qu’on y voit. La vague est blanchissante et les rocs sont ron-gés, toujours battus par l’onde qui jaillit; du milieu du tillac s’élance une flamme; excitée par le vent, elle est semblable à une voile qui seconde la marche du navire. Quant à Ajax, comme s’il sortait de l’ivresse, il porte de tous côtés son regard, ne voyant ni terre ni vaisseau, ne redoutant pas même Poséidon qui vient droit à lui, mais toujours dans une attitude provocante. Car la vigueur n’a pas abandonné son bras, et son front se dresse comme pour braver Hector et les Troyens. Le dieu d’un coup de son trident va briser une partie du rocher qui entraînera Ajax. Aussi longtemps que la mer subsisteront les autres Gyres respectées de Poséidon.
X. — ANTIGONE
Ici, les autres chefs, Tydée, Capanée, Hippomédon et Parthénopée seront ensevelis par les Athéniens qui ont livré un combat pour reprendre leurs corps; mais Polynice, fils d’Œdipe, recevra la sépulture des mains de sa sœur Antigone sortie pendant la nuit des murs de la ville, malgré l’édit qui interdisait d’ensevelir ce frère et de confier son corps à la terre qu’il voulait asservir.
La plaine offre des cadavres entassés sur des cadavres, des chevaux comme ils sont tombés, des armes comme elles ont échappé à la main des combattants, enfin la boue mêlée au sang, image agréable, dit-on, à Enyo. Sous les murs de la ville sont couchés les chefs dont les corps puissants dépassent les proportions de l’homme. Parmi eux, on distingue Capanée, représenté semblable à un géant; son cadavre git, immense, frappé de la foudre dont les feux l’ont embrasé. Le corps de Polynice, égal aux autres en grandeur, a été relevé par Antigone qui va l’ensevelir près du tombeau d’Étéocle, dans la pensée de réconcilier les deux frères, autant que cela est possible encore.
Que dirons-nous, enfant, de la science de l’artiste? La lune répand sur la scène une douteuse clarté. Pleine d’épouvante, la jeune fille, qui tient son frère serré dans une forte étreinte, va commencer le chant funèbre; mais elle réprime sa voix, redoutant les oreilles des gardes qui veillent. Elle voudrait promener autour d’elle son regard inquiet; mais c’est sur son frère qu’elle le tient fixé, ployant en terre un genou.
Cette branche de grenadier, ô enfant, a poussé d’elle-même, plantée, dit-on, sur le tombeau par la main des Erynnies. Si vous en cueillez le fruit, une goutte de sang coule aussitôt. C’est aussi un étrange spectacle que celui du feu des deux bûchers. Les flammes, au lieu de se confondre, se partagent, attestant une haine irréconciliable jusqu’au sein de la mort.
XI. — LE SCAMANDRE
Savez-vous, enfant, que ceci est emprunté à Homère, ou l’ignorez- vous? Vous trouvez étrange que le feu puisse vivre dans l’eau. Voyons donc ce que cela signifie. Détournez d’abord votre regard du tableau pour considérer d’où le sujet a été tiré. Vous connaissez sans doute ce passage de l’Iliade où Homère réveille de son repos Achille qui brûle de venger Patrocle et où tous les dieux s’agitant se préparent au combat. Des différentes scènes que présente cette lutte ce tableau n’en reproduit qu’une: Héphaïstos se précipitant sur le Scamandre avec une violence indomptée. Reportez maintenant vos yeux sur la peinture: tel en est le sujet. Cette ville élevée, ces murs et ces créneaux, c’est Ilion; cette plaine est celle qui offrit un champ assez vaste pour la lutte de l’Europe contre l’Asie. Dans la plaine bouillonnent des vagues de feu, et d’autres vagues encore sur les rives du fleuve. Aussi n’y a-t-il plus d’arbres. Le feu qui enveloppe Héphaïstos flotte au-dessus des eaux, et le Fleuve lui-même, affligé, supplie le dieu. Il n’a pas été représenté avec sa chevelure, parce que la flamme l’a consumée, et Héphaïstos n’a pas été peint boiteux, à cause de sa course impétueuse. La flamme n’est pas blonde, et n’a point son aspect accoutumé. Elle a l’éclat de l’or et du soleil. Ce détail n’est plus d’Homère.
XII. — RODOGUNE
Le sang mêlant son éclat aux reflets de l’airain et de la pourpre fait briller le camp que vous voyez. Ce qui charme dans ce tableau, ce sont ces guerriers tombés en des postures diverses, ces chevaux en désordre qu’a saisis l’épouvante, l’onde troublée de ce fleuve sur les bords duquel l’action s’est passée. Ces prisonniers et ce trophée qui s’élève attestent la victoire remportée par Rodogune et les Perses sur les Arméniens. Ceux-ci ont manqué à la foi des traités; pressée de vaincre, cette reine ne s’accorda pas même le loisir de rattacher le côté droit de ses cheveux. Ne voyez-vous pas comme la victoire a relevé sa haute contenance, comme elle sent que ce beau fait sera célébré par la cithare et la flûte, partout où il y a des Grecs? L’artiste a placé près d’elle une cavale de Nisa à robe noire avec les jambes blanches, un blanc poitrail et de blancs naseaux, et sur le front une tache parfaitement ronde de même couleur. Les pierreries, les colliers, toute la parure, Rodogune l’a abandonnée à cette jument qui, triomphante, mâche superbement son frein. Elle-même est toute resplendissante de pourpre; gracieuse est la ceinture qui tient sa robe relevée au-dessus du genou; gracieux aussi est son pantalon bouffant que la navette a orné de diverses figures. De l’épaule jusqu’au coude, des agrafes, distantes l’une de l’autre, rattachent les bords du vêtement, laissant par intervalle, près des nœuds, paraître le bras; et quant à l’épaule, elle est couverte. L’aspect général n’est pas celui d’une amazone. Admirons le bouclier qui est d’une proportion si exacte pour couvrir la poitrine, et d’une force de rendu singulière. Le bras gauche, passé dans l’anneau, tient une lance, et écarte de la poitrine ce bouclier dont l’aspect extérieur offre des bords d’un beau relief. Ne voyez-vous pas là de l’or véritable et de vivantes figures? Quant au dedans, il est étoffé de pourpre, et l’éclat de cette couleur rehausse celui du bras.
Il me semble, ô enfant, que vous comprenez la beauté de cette œuvre, et que vous voulez que nous insistions encore. Eh bien, écoutez ! Rodogune offre des libations aux dieux pour son triomphe sur les Arméniens; elle est dans l’attitude de la prière. Elle demande à vaincre toujours les hommes comme elle les a vaincus aujourd’hui; car elle ne semble pas avoir le désir d’être aimée. Sa chevelure relevée d’un côté par des nœuds trahit une grâce pudique qui tempère sa fierté; mais éparse de l’autre côté, elle lui donne une expression animée et forte. Plus brillante que l’or, elle se joue ici librement; là, régulière, elle a de beaux reflets, étant ajustée avec art. Ses sourcils sont charmants parce qu’ils commencent l’un et l’autre au même point, à la nais-sance du nez; mais plus charmant encore est l’arc qu’ils dessinent. Car le sourcil ne doit pas seulement être tracé au-dessus de l’œil, mais s’arrondir avec lui. La joue recueille le désir qui jaillit des yeux, et y mêle le charme de la gaieté; car c’est sur la joue que brille le sourire. Quant aux yeux, ils sont nuancés de bleu et de noir, et le regard possède à la fois un doux éclat qui vient de la nature, la joie qui naît du triomphe et l’orgueil qu’inspire le commandement. La bouche est délicate et offre une moisson à l’amour; ravissante à baiser, et impossible à décrire. Considérez ce qu’il vous suffit de connaître. Les lèvres sont brillantes et égales, la bouche est d’une exacte proportion; elle profère une prière devant le trophée, et si nous voulons prêter l’oreille, la parole va s’en échapper.
XIII. — ANTILOQUE
Achille aimait Antioque; vous devez l’avoir reconnu dans Homère en voyant l’âge d’Antiloque qui était le plus jeune des Grecs, et ce demi-talent d’or qu’il reçoit d’Achille comme prix de la course. C’est Antiloque qui annonce à celui-ci la mort de Patrocle; Ménélas a ménagé cette consolation au héros qui en recevant la triste nouvelle repose en même temps ses yeux sur celui qu’il aime. Dans le deuil de son ami, Antiloque pleure avec lui, et lui tient les deux mains pressées pour l’empêcher de se frapper, tandis qu’Achille prend plaisir à sentir cette étreinte et à voir couler ces larmes.
Voilà les tableaux d’Homère, et voici le sujet de la peinture. Antiloque s’étant jeté au-devant de son père pour le défendre a été tué par Memnon, venu d’Éthiopie, dont l’aspect remplit les Grecs d’effroi; car avant lui l’existence des nègres n’était qu’un conte. Maîtres du corps, les Achéens pleurent Antiloque; ce sont les Atrides, c’est Ulysse et le fils de Tydée et l’un et l’autre Ajax. On reconnaît Ulysse à sa mine à la fois sévère et éveillée, Ménélas à sa douceur, Agamemnon à sa majesté. Une généreuse liberté annonce le fils de Tydée. Quant aux deux Ajax, le Télamonien se discerne à son air farouche et le Locrien à la résolution de son regard. L’armée entoure le corps du jeune héros en faisant entendre les lamentations funèbres. Les guerriers s’appuient sur leurs piques fixées en terre, les jambes croisées, et la plupart inclinant la tête sous le poids de la douleur. Quant à Achille, on le reconnaît non à sa chevelure qu’il a coupée après la mort de Patrocle, mais à sa haute mine, à sa stature élevée, et précisément à cette circonstance qu’il n’a plus de cheveux. Il gémit, penché sur la poitrine d’Antiloque, et sans doute il lui promet les honneurs du bûcher, peut-être les armes et la tête de Memnon. Oui, Memnon subira le même châtiment qu’Hector, et ainsi Antiloque ne sera pas moins bien traité que Patrocle. D’un autre côté, debout dans les rangs des Éthiopiens, Memnon apparaît, terrible, la lance au poing, vêtu d’une peau de lion, et lançant sur Achille un ironique regard. Mais revenons à Antiloque et contemplons l’adolescent, sa barbe naissante et sa longue chevelure aux reflets dorés. La jambe est fine, le corps bien pris pour la course; le sang brille comme la pourpre sur l’ivoire à l’endroit où la lance a percé la poitrine. Il est couché, le jeune guerrier, non pas triste et semblable à un mort, mais avec un visage doucement éclairé par un demi sourire. Le bonheur d’avoir sauvé son père rayonnait sans doute sur sa figure, lorsque le coup mortel l’a atteint, et l’âme, en s’envolant, a laissé sur son front, non l’empreinte de la souffrance, mais l’expression de la joie.
XIV. — LES JEUNES FILLES CHANTANT UN HYMNE
Dans un frais bosquet de myrte, de fraîches jeunes filles chantent Aphrodite éléphantine. Leur chœur est présidé par une sage maîtresse qui n’a pas toutefois dépassé la riante saison. Car elle a de la grâce, la première ride; elle tempère la gravité de l’âge mûr qu’elle annonce par le charme de la jeunesse qui brille encore. La statue de la déesse est composée de pièces d’ivoire rapportées. Aphrodite est nue, dans une gracieuse attitude. Elle ne veut pas qu’on la croie peinte, et paraît sortir du cadre pour s’offrir à la main. Voulez-vous que nous déposions notre hommage sur l’autel? Il est tout enveloppé des parfums de l’encens, du cannelier et de la myrrhe, et me semble exhaler quelque chose de Sapho. Louons l’art du peintre, parce qu’en ornant la déesse des pierres précieuses qui lui sont chères, il ne les a pas imitées avec la couleur, mais avec la lumière, et leur a donné l’éclat, comme on rend l’œil brillant par un point lumineux; ensuite parce qu’il semble qu’on entende l’hymne. Car elles chantent les jeunes filles, elles chantent, et la maîtresse, battant des mains, regarde celle qui manque à la mesure, et l’y ramène. Leur robe est légère, et rien ne gênerait leurs mouvements, si elles voulaient jouer, ni la ceinture qui presse leur taille, ni la tunique qui laisse leurs bras dégagés, ni leurs pieds nus dont elles se plaisent à fouler l’herbe molle et qui sont rafraîchis par la rosée. Le pré sur lequel se détache leur vêtement et les couleurs de leurs robes assorties avec un goût exquis, tout cela a été divinement imité. Les peintres qui manquent à l’harmonie manquent aussi à la vérité. Quant à la beauté des jeunes filles, si on la soumettait au jugement d’un Pâris ou de tout autre, il serait certes bien empêché, tant elles luttent de grâce et d’attraits, tant sont ravissants ces bras roses et ces yeux noirs, et ces joues délicates, et ces voix fraîches, et, suivant l’expression de Sapho, ce doux parler. Éros, près d’elles, accompagne leur chant. Il tient renversé son arc, dont la corde résonne comme un instrument complet et rend toutes les notes de la lyre. Les yeux du dieu sont mobiles comme s’il méditait quelque rythme. Que chantent donc les jeunes filles? Car la peinture représente aussi quelque chose de leur chant. Elles disent comment Aphrodite naquit de la mer fécondée par une émanation du ciel, et vers quelle île elle aborda, Paphos, sans doute. Oui, elles chantent la naissance de la déesse. Elles lèvent les yeux vers le ciel, parce que c’est du ciel qu’elle vint; elles tiennent leurs mains renversées parce qu’elle sortit de la mer, et leur sourire exprime la sérénité des flots.
XV. — AMYMONE
Vous avez sans doute rencontré dans Homère Poséidon s’avançant sur les flots, lorsque, parti d’Eges, il se rend auprès des Achéens, que la mer est calme et qu’elle donne au dieu pour cortège ses chevaux et ses monstres. Ceux-ci suivent et flattent leur maître comme vous le voyez dans ce tableau. Chez le poète, vous vous représentez sans doute des chevaux nés pour fouler la terre. Car il leur donne des pieds d’airain, des pieds rapides, et il les aiguillonne par le fouet. Chez le peintre, ce sont des hippocampes qui sont attelés au char et qui, le sabot plongé dans la mer, l’œil glauque, nagent semblables à des dauphins. Dans le premier, Poséidon est en grand courroux contre Zeus qui tourne les Grecs vers la fuite et dispose mal leurs affaires; dans l’autre, il est représenté le visage joyeux, l’œil brillant, tout ému de volupté. C’est qu’Amymone, fille de Danaos, venant souvent sur les bords de l’Inachos, a gagné le cœur du dieu; et celui-ci arrive pour conquérir celle qui ne sait pas encore qu’elle est aimée. L’effroi de la jeune fille, son agitation, l’urne d’or qui s’échappe de ses mains, tout indique la surprise, l’embarras, l’ignorance où elle est de ce que veut le dieu sorti soudain des flots. L’or qui mêle son éclat à l’eau rehausse par des reflets la blancheur naturelle de la jeune fille. Éloignons-nous d’elle, ô enfant. Déjà la vague se courbe pour offrir une retraite aux amants, et le flot, glauque encore et transparent, sera bientôt terni par Poséidon des couleurs de la pourpre.
XVI. — LE PRÉSENT
C’est une charmante chose que de cueillir les figues et d’en causer. En voici de noires, groupées sur des feuilles de vigne, et distillant leur suc. Elles ont été peintes avec une peau crevassée. Les unes, s’entrouvrant, laissent couler leur miel; les autres ont été fendues par la maturité. Tout auprès, une branche est jetée, qui n’est pas non plus paresseuse et dépouillée, mais qui ombrage d’autres figues, les unes encore vertes, les autres mûres et ridées, d’autres enfin entrebâillés, versant une gomme brillante. Celles du sommet de la branche, les plus savoureuses, ont été becquetées par un oiseau. Le sol est tout parsemé de noix dont les unes sont écalées, les autres encloses dans la coquille, d’autres fendues. Mais voyez encore ces poires et ces pommes, disposées les unes sur les autres, en un amas, toutes parfumées et dorées. Cette belle couleur vermeille, vous ne la diriez pas appliquée au dehors, vous croiriez qu’elle est une efflorescence du fruit. Voici encore les dons du cerisier et des grappes de raisin dans une corbeille qui a été tressée, non avec l’osier, mais avec les sarments même de la vigne. Considérez l’entrelacement des pampres, les raisins pendants, les grains dont chacun est distinct, et vous chanterez Dionysos, et vous vous écrierez en célébrant la vigne: O divine mère des grappes ! Vraiment, il semble que ces raisins soient bons à manger et gonflés de vin ! Mais voici encore un charmant détail. Sur des feuilles de figuier brille un blond rayon de miel d’où est prêt à jaillir, si vous pressez la cire, un flot limpide; puis, sur d’autres feuilles, un fromage fraîchement caillé et qui tremble encore; ensuite une terrine de lait non seulement blanc, mais brillant, tant il est lustré par la crème qui flotte à la surface.

PHILOSTRATE LE JEUNE
(petit-fils de Philostrate l’Ancien)

I. — HÉRACLÈS AU BERCEAU
Tu joues, Héraclès, tu joues, et, encore au berceau, tu te ris déjà de la peine et de l’effort. Tu tiens les deux serpents envoyés par Héra, étreignant chacun d’eux dans une main, et tu n’as pas souci de ta mère qui est là, tremblante, éperdue. Les deux monstres, languissants, déroulent à terre leurs anneaux et inclinent leur tête sur tes mains, laissant voir une partie de leurs dents qui sont aiguës et pleines de venin. Leurs crêtes, à l’approche de la mort, sont penchées et leurs yeux n’ont plus de regard; leurs écailles ont perdu leurs brillantes nuances de violet et d’or, et ces beaux reflets qui variaient selon les mouvements. Elles sont pâles, mêlant des tons livides au sang qui les souille. L’aspect d’Alcmène semble indiquer qu’elle est remise de sa première épouvante sans croire encore à ce qu’elle voit. L’effroi n’a pas permis à la jeune mère de rester dans sa couche. Elle s’est élancée sans chaussure, vêtue d’une simple tunique, les cheveux en désordre, les bras étendus, poussant un cri; et les femmes qui l’ont assistée s’entretiennent entre elles, également effrayées. Quant à ces hommes armés et à celui qui tient son épée, ce sont les premiers d’entre les Thébains qui viennent au secours d’Amphytrion, c’est Amphytrion lui-même. A la première nouvelle, celui-ci a tiré son glaive et accourt avec eux pour repousser le péril. On ne saurait dire si c’est encore la frayeur ou la joie qu’il éprouve. Sa main est prête; mais ses yeux semblent réprimer le geste de cette main. Il n’y a plus là un danger à écarter, mais un prodige qui réclame la sagesse des devins. Aussi voici, tout près, Tirésias annonçant combien sera grand celui qui est encore au berceau. On le voit, saisi de l’enthousiasme prophétique, expliquant les oracles; on voit aussi la nuit pendant laquelle tout ceci se passe, représentée sous la forme humaine, s’éclairant elle-même avec un flambeau pour que la vaillance du jeune enfant ne soit pas sans témoins.
II. — HÉRACLÉS OU ACHÉLOOS
Vous vous demandez peut-être pourquoi cette réunion étrange de personnages: un dragon qui dresse son dos taché de rouge, montrant sous une crête droite et dentelée une barbe pendante, et lançant un regard affreux bien propre à inspirer l’épouvante; un taureau courbant son front armé de cornes puissantes et de son pied creusant le sol, comme prêt à s’élancer; un monstre moitié homme, moitié animal: face de taureau, barbe épaisse et menton tout ruisselant d’eau. Ajoutez à cela une foule qui semble rassemblée pour un spectacle, au milieu, une jeune fille, sans doute une fiancée, comme sa parure semble l’indiquer, un vieillard morne, un homme jeune qui se dépouille d’une peau de lion et tient en main une massue, enfin une femme robuste qui, conformément à ce que dit la tradition sur la nourriture de l’Arcadie, est couronnée de feuilles de chêne et représente sans doute Calydon. Mais quel est donc le sujet de cette peinture? Le voici: Le fleuve Achéloos, amoureux de Déjanire, fille d’Œnée, presse le mariage, mais sans que la persuasion accompagne ses instances. Apparaissant successivement sous les diverses formes offertes ici à vos yeux, il croit effrayer Œnée. C’est celui que vous voyez affligé à la vue de sa fille qui jette sur son prétendant un regard découragé. Celle-ci a été re-présentée, non pas avec cette pudeur qui colore les joues d’une fiancée, mais toute tremblante à la pensée de l’union monstrueuse à laquelle elle est condamnée. Mais voici le vaillant Héraclès qui en quelque sorte en passant s’offre volontairement pour la lutte. Ceci n’est que le prélude; la suite, vous la voyez: considérez les adversaires aux prises; représentez-vous le commencement du combat, et ce premier assaut digne d’un héros, digne d’un dieu, puis le dénouement, lorsque le fleuve se métamorphosant en taureau s’élance sur Héraclès, que celui-ci, saisissant de sa main gauche la corne droite, enlève l’autre corne à l’aide de sa massue, que de la plaie le sang sort à flots au lieu de l’eau qui jaillissait auparavant. Cependant la victime est défaillante, tandis qu’Héraclès triomphant jette un regard sur Déjanire. Déjà il a jeté à terre sa massue, et il lui offre, comme présent d’hyménée la corne d’Achéloos.
III. — NESSOS
Ne craignez pas, mon enfant, le fleuve Evenos dont les eaux écumantes ont franchi leurs rives. Ce que vous voyez est une peinture. Considérons plutôt la scène qui s’y passe et l’art avec lequel elle a été représentée. Votre attention ne se porte-t-elle pas vers Héraclès qui s’est ainsi avancé au milieu de ce fleuve ? Le regard brillant de colère, il vise, tenant son arc; le bras gauche est tendu; le droit ramené vers la poitrine conserve au héros l’attitude de celui qui vient de lancer un trait? Et la corde? ne vous semble-t-il pas l’entendre résonner, la flèche étant lancée? Et la flèche, où va-t-elle? Voyez-vous, là-bas, ce centaure qui bondit? C’est Nessos, sans doute, qui seul, au mont Pholoé s’est dérobé au bras d’Héraclès, lorsque lui et ses compagnons attaquèrent ce héros, et que personne, excepté lui, n’échappa. Nessos transportait au delà du fleuve ceux qui avaient besoin de ce services Héraclès se présente avec sa femme Déjanire et son fils Hyllos. Comme le torrent parait infranchissable, il confie au centaure Déjanire pour qu’il lui fasse passer le fleuve; lui-même le traverse, monté sur le char avec son fils. Alors le centaure jetant sur Déjanire un regard insolent tente sur elle une criminelle entreprise au moment où il atteint le bord, Au cri qu’elle pousse, Héraclès dirige une flèche contre Nessos. Déjanire a été représentée au moment du péril, tout émue de frayeur, les bras tendus vers son époux. Nessos, qui vient d’être atteint par le trait, est palpitant; il n’a pas encore donné à Déjanire ce sang que sa vengeance réserve à celui qui l’a frappé. Quant au jeune Hyllos, il se tient sur le devant du char dont les chevaux sont maintenus immobiles par les rênes attachées au cercle de fer, il bat des mains, tout joyeux, applaudissant à un acte dont ses jeunes forces ne seraient pas encore capables.
IV. — LES DEUX JOUEURS
Ceux qui jouent ici, dans le palais de Zeus, sont, j’imagine, Eros et Ganymède, reconnaissables, l’un à sa tiare, l’autre à son arc et à ses ailes. Ils ont été représentés jouant aux osselets, le premier avec une expression d’insolence railleuse, secouant dans un pli de sa robe les osselets vainqueurs; l’autre ayant perdu un des deux osselets qui lui restaient et jetant l’autre sans espoir. La joue de celui-ci est chargée de tristesse; et son regard baissé, malgré la grâce du visage, annonce l’affliction. Ces trois déesses, debout près d’eux, n’ont pas besoin d’explication. A première vue, on reconnaît dans l’une Athéna revêtue de son armure, née, disent les poètes, avec elle; son œil bleu brille sous le casque et ses joues ont une coloration virile. L’autre dans son doux sourire nous révèle les séductions de la ceinture qui la pare; et quant à la troisième, le caractère imposant et pour ainsi dire royal de sa beauté nous avertit que c’est Héra. Que veulent-elles et quel motif les a réunies? Le navire Argo qui porte les cinquante navigateurs est entré dans les eaux du Phase, après avoir échappé aux périls du Bosphore et des Symplégades. Vous voyez le Fleuve lui-même couché au milieu d’une forêt de roseaux. Il a un visage sévère; sa chevelure est abondante, sa barbe hérissée, son œil bleu. Ses eaux non pas épanchées d’une urne, comme d’habitude, mais ruisselant de partout, nous indiquent quelle est la majesté du fleuve lorsqu’il entre dans le Pont. Or, vous avez appris sans doute des poètes qui chantent la toison d’or le but de cette expédition les vers d’Homère célèbrent aussi le fameux vaisseau. Les Argonautes sont à délibérer sur leur entreprise, et les déesses viennent prier Éros de leur prêter son assistance pour assurer le salut des navigateurs. Il ira trouver Médée, la fille d’Aeétès et aura pour récompense de son service une balle que sa mère lui montre, un des anciens jouets de Zeus. Voyez-vous l’habileté de l’artiste? Cette balle est d’or et ornée de bandes d’azur; tel est l’artifice de la couture qu’on la devine plutôt qu’on ne la voit; et lorsqu’on la lance, les reflets qui en jaillissent permettent de la comparer à l’éclat des astres. Quant à Éros, il ne voit plus les dés qu’il jette à terre pour s’attacher à la robe de sa mère, tout impatient d’accomplir sa promesse; car il ne veut pas se refuser au service qu’on lui demande.
V. — MÉDÉE EN COLCHIDE
Quelle est cette femme dont le front a un aspect sévère, et dont le sourcil indique une réflexion profonde? Sa chevelure est nouée comme celle d’une prophétesse; quant à son regard, je ne sais ce qui y brille, l’amour ou l’inspiration. L’expression de son visage a quelque chose d’indéfinissable. A ces traits vous reconnaissez une fille du Soleil c’est, sans en douter, Médée la fille d’Aeétès. Le vaisseau de Jason en quête de la toison d’or est entré dans les eaux du Phase et a pénétré jusqu’à la ville d’Aeétès. La jeune fille s’est éprise de l’étranger; une pensée inconnue s’élève dans son esprit, et dans son cœur naît un sentiment étrange; le désordre est dans ses idées, et le trouble dans son âme.
Elle est vêtue, non pas comme le requiert un sacrifice ou la société des premiers chefs, mais comme pour s’offrir aux regards de tous. La grâce anime les traits de Jason, une grâce virile. Sous un sourcil fier et qui semble défier tout ennemi brille un œil vif. Déjà un abondant duvet serpente sur sa joue et ses blonds cheveux voltigent sur son front. Il est vêtu d’une blanche tunique pressée autour de ses reins, d’une peau de lion pendante; des sandales sont attachées à ses pieds. Debout, il a pour soutien une pique. L’expression de son visage n’est ni l’orgueil, car il est empreint de modestie, ni la défiance: il est prêt à s’offrir avec assurance à la lutte. Éros, qui s’est chargé de conduire cette intrigue, se tient appuyé sur son arc, les deux pieds croisés, son flambeau tourné vers le sol, puisque le dénouement de cette histoire est encore incertain.
VI. — ARGO OU AEÉTÈS
Ce navire qui fend les eaux du fleuve battues par les rames, cette jeune fille debout à la proue près d’un guerrier, ce chantre orné d’une haute tiare qui accompagne sa voix harmonieuse avec les accents de la lyre, ce dragon qui du haut de ce chêne sacré déroule ses longs anneaux, la tête penchée vers la terre sous le poids du sommeil, reconnaissez tous ces traits: le fleuve est le Phase, la jeune fille, Médée, le guerrier, Jason. A la vue de cette lyre, de cette tiare et de celui qui en est paré, vous pensez à Orphée, fils de Calliope. Après le combat contre les taureaux, Médée, par ses charmes, a endormi le dragon. La toison du bélier a été enlevée; et voilà que les Argonautes prennent la fuite, ce que la jeune fille a accompli ayant été découvert par Aeétès et les hommes de Colchos. Que vous dirai-je de ceux qui montent le vaisseau? Vous voyez les bras des rameurs gonflés par l’effort; leur visage a l’expression d’hommes qui s’excitent. Autour de la proue du bâtiment les vagues bouillonnent, indice de l’élan rapide qui l’emporte. La figure de la jeune fille révèle toute l’inquiétude de son esprit. Ses yeux baignés de pleurs sont fixés à terre; l’effroi l’a saisie à l’idée de ce qu’elle a fait. Elle songe à l’avenir; recueillie, elle roule ses pensées, repassant tout dans son cœur, le regard immobile et tourné vers les secrets de son âme. Quant à Jason, il se tient près d’elle, armé, prêt à la défendre. Il excite par un chant les rameurs, tantôt, à ce qu’il me semble, remerciant les dieux de l’heureux succès de son entreprise, et tantôt les conjurant d’écarter tout péril. Vous voyez aussi Aeétès monté sur un quadrige. Sa taille dépasse toutes les autres; il a revêtu, je crois, les armes d’un géant si l’on en juge d’après leur proportion, car elles sont supérieures à celles que l’homme peut manier. La colère se lit sur son visage et le feu jaillit presque de ses yeux. Il élève une torche de la main, menaçant par là de brûler le navire Argo avec ceux qui le montent; sa lance repose, toute prête, appuyée contre le cercle de fer, où s’attachent les rênes. Que désirez-vous encore qu’on vous montre dans ce tableau? Les chevaux? Ils ont les naseaux ouverts, le cou dressé, les yeux ardents, surtout parce que l’élan les porte en avant, comme le montre la peinture. Pendant que le fouet d’Apsyrte, celui qui, dit-on, conduisait le char, ensanglante leurs flancs, le souffle haletant de leur poitrine et l’impétuosité des roues dont il semble que l’oreille entende le bruit, tout indique la vitesse. La poussière soulevée et la sueur ruisselante rend incertaine pour le regard la couleur des chevaux.
VII. — ACHILLE A SCYROS
Cette nymphe couronnée de joncs que vous voyez au pied de la montagne, avec ses formes robustes et son vêtement bleu, c’est Scyros appelée par le divin Sophocle l’île battue des vents. Elle tient dans ses mains un rameau d’olivier et une branche de vigne. Voici une tour au bas de la montagne. Là folâtrent les filles de Lycomède parmi lesquelles se trouve la prétendue fille de Thétis. En effet, ayant appris de son père Nérée l’arrêt des Parques qui prédisaient à son fils ou une vie obscure ou une gloire accompagnée d’une mort prompte, celle-ci tient cet enfant caché à Scyros, parmi les filles du roi Lycomède. Le secret de son sexe dérobé à toutes les autres est connu de la plus âgée qu’un furtif amour unit à lui; de cette union naîtra plus tard Pyrrhus. Mais ce n’est pas là le sujet de notre tableau. Devant la tour dont nous avons parlé est une prairie, endroit de l’île le plus propre à offrir aux jeunes filles une abondante moisson de fleurs; aussi voyez comme elles sont dispersées et occupées à cueillir. Toutes sont ravissantes. Mais si les autres ont vraiment la beauté de leur sexe, si la tendre expression du regard, l’éclat brillant des joues, la vivacité des mouvements, tout en elles annonce la femme, il en est une qui, secouant ses cheveux et mêlant à la délicatesse je ne sais quoi de fier, démasquera tout à l’heure sa vraie nature. Dépouillé de son aspect emprunté, c’est Achille qui se révélera tout entier.
En effet, le bruit de la ruse de Thétis s’étant répandu parmi les Grecs, ceux-ci ont envoyé à Scyros Ulysse et Diomède pour reconnaître ce qui se passe. Vous les voyez tous deux, l’un avec ce regard recueilli et profond qu’explique l’habitude de la ruse et de la réflexion, l’autre, prudent sans doute, mais résolu, et annonçant par son air qu’il est prêt à l’action. Et celui qui, derrière eux, fait retentir la trompette, que veut-il, et quelle est la signification du tableau? Ulysse toujours avisé et habile à poursuivre une piste cachée a imaginé cette ruse pour faire éclater le secret aux yeux de tous. Il a jeté au milieu de la prairie des corbeilles et tout ce qui peut divertir des jeunes filles, mêlant des armes à ces objets. Toutes les filles de Lycomède s’élancent alors vers ce qui plaît à leur sexe, tandis que le fils de Pélée, laissant là corbeilles et robes, se précipite sur les armes (lacune).

CHORICIUS DE GAZA

DESCRIPTION D’UN TABLEAU QUI SE VOYAIT A GAZA

Eros et ses traits volent partout; partout ils pénètrent. Zeus lui-même, lorsque Eros le veut, cesse d’être libre. Le grand dieu, le dieu suprême, dont la puissance est invincible, désire Sémélé et s’empresse autour d’Héra. Il devient taureau pour Europe et traverse la mer, conduit par Éros. Il se montre sous l’apparence de l’or, et soudain, dans Danaé, la vierge disparaît. Poséidon, quand il plaît à ce dieu, abandonne les flots pour chercher la terre. Apollon poursuit celle qui le fuit, et, vainqueur, il est vaincu à son tour, puisque sa conquête est un simple arbuste, non Daphné, une vierge. Enfin les amours se jouent aussi autour de leur mère: de là sa passion pour Adonis, et la rose qui proclame l’amour.
C’est encore ce dieu qui, comme le montre ce tableau, a dirigé ses traits contre Phèdre.
Nous sommes à Athènes. C’est le fort de l’été et le milieu du jour. La circonstance est indiquée par les choses mêmes: voyez ces chasseurs, ces vêtements légers, ces chiens. Ici, Thésée dort; mais ce n’est pas pendant la nuit que ce sommeil est survenu; car un esclave ne serait pas là, aux côtés du maître, pour écarter ce qui pourrait importuner son repos. Au milieu du palais un lit se dresse, riche et pompeux, invitant celui qui veut goûter le sommeil: il est rayé de bandes alternées, jaunes et bleues, entremêlant leurs nuances.
Le palais lui-même s’élève, appuyé sur de nombreuses colonnes et laisse pénétrer le spectateur dans un double portique. Considérez la perspective de ces colonnes qui s’enfoncent; à l’aide des couleurs l’art creusant une surface nous introduit dans le tableau. Le mur, à l’intérieur, est percé de nombreuses niches disposées, à ce qu’il semble, pour recevoir des statues. Les colonnes sont toutes blanches, mais non entièrement polies, leur partie supérieure offrant des cannelures; toutes en même temps resplendissent à leur sommet de l’éclat de l’or. L’épistyle na pas non plus été laissé sans ornement par le peintre qui y a représenté les scènes suivantes, tableaux enfermés dans le tableau.
Si votre vue a été exercée à une perception délicate, et si, dans la lumière, elle est capable de saisir de petits détails, prêtez-moi son concours, et regardez de ce côté. Voici Hippolyte chassant, entouré de ses chiens. (Le passage qui suit offre dans le texte quelques lacunes.) Il vient de percer un lion avec un épieu. L’animal n’est plus debout ; il est tombé, tout en gardant encore sa fierté. Ses pieds de devant sont tendus; il est assis sur ceux de derrière que vous voyez repliés sous le ventre. Cet aspect excite l’admiration d’un assistant qui, frappé de cette merveilleuse audace, lève les mains. Le chasseur, une jambe dressée, courbant son genou, se retourne, et tend la main droite il s’adresse aux serviteurs qui sont derrière. L’un d’eux, d’une main, emmène le cheval de son maître, et d’un geste de l’autre semble louer le courage de celui-ci. Un second porte sur ses épaules les filets à l’aide desquels on enveloppe les bêtes sauvages que recèlent les forêts et les cavernes.
Telle est la scène qui se présente à l’entrée, du côté droit; de l’autre, vous voyez le labyrinthe et Thésée prêt à combattre le Minotaure. Étrange monstre, à la fois homme et taureau, complétant les formes de l’un par celles de l’autre homme jusqu’aux épaules, taureau dans le reste du corps. Il courbe vers la terre l’une de ses cornes, et de l’autre, il veut frapper; déjà celle-ci se dresse menaçante. Voici l’entrée du labyrinthe. La fille de Minos, Ariadne, aime Thésée qui est encore un jeune et gracieux adolescent. Attendrie sur son sort, elle lui tend le fil qui, attaché à la porte et se déroulant à travers les obliques détours de la demeure, s’égarera avec lui pour guider en arrière sa main vers le seuil. Son regard, son langage, tout exprime l’amour. Avec le retour de Thésée elle attend l’hymen la vaillance du héros lui apportera en présent de noces le sang du Minotaure. Terrible tribut payé par les Athéniens ! De jeunes enfants, tristes et baignés de pleurs, sont livrés au monstre pour une mort assurée. Ariadne les regarde, elle regarde Thésée mêlé parmi eux. Saisie d’amour, elle pleure, elle est troublée; et, par un artifice, elle prépare la délivrance des malheureuses victimes.
Voilà les scènes variées qu’a tracées la main de l’artiste, riches accessoires de la composition.
C’est au milieu d’un bocage que le palais a été bâti. Les arbres, montant avec lui, le dépassent de leurs rameaux; le feuillage se montre dans l’air. Sur le toit est posé un paon. Vous diriez que l’oiseau orné de son riche plumage se retourne pour le contempler avec orgueil, et de son bec rajuste quelque détail négligé de sa parure. Peut-être aussi protège-t-il son corps contre une piqûre vers laquelle il se porte. Les plumes nombreuses, serrées, se recouvrent l’une l’autre, et des cercles y brillent de l’éclat varié des plus riches nuances. Ces ornements sont un présent de la nature qui a couronné le paon d’une beauté native. Aussi parfois, fier de ses attraits, il relève cette queue brillante, l’arrondit en présentant un creux sombre et profond, et imite ainsi la riche draperie du lit nuptial. N’oublions pas non plus ces oiseaux qui sont à l’autre extrémité, couple aimé d’Aphrodite. Vous voyez le mâle et la femelle, ravis l’un de l’autre ; l’une, regardant quelque chose, allonge la tête vers l’objet; l’autre la contemple, vaincu par un amoureux désir.
Telles sont les merveilles dont l’art du peintre a enrichi le palais. Au centre s’offre à nous Thésée, non pas combattant le Minotaure ou frappant Cercyon ou encore réprimant l’orgueil de Sinis. Non, ce sont là les sujets d’autres tableaux. Celui-ci nous présente le héros qui, cédant à la longueur du jour, s’est incliné sur le lit, y repose ses membres, et laisse passer dans le sommeil l’heure brûlante de midi. Il s’entretenait avec une femme qui se tient là, assise près de lui. C’est au milieu de la conversation que Thésée, selon toute apparence, a été surpris par le sommeil, et la parole inachevée s’est affaiblie sur ses lèvres. Aussi l’artiste voulant montrer la soudaine et secrète influence du sommeil qui ravit à elle-même la pensée et ferme les yeux, a représenté dans l’ombre un personnage ailé. Il a ceint son front d’une blanche bandelette pour annoncer le vainqueur de tous les êtres. Sur l’extrémité de ses mains posées l’une sur l’autre ce personnage a incliné son front et dort d’un doux sommeil, révélant sa nature à la fois par son attitude et par son action. S’il cache son regard, c’est pour indiquer que nul ne voit le sommeil venant à lui. Ce n’est pas sur le premier plan, mais dans l’ombre du second qu’il se tient près du lit, appuyé sur sa main, et, pour employer l’expression dont se servirait Homère, s’il était ici « debout, penché sur la tête du héros et lui murmurant quelques paroles. » Quant à Thésée, vaincu par le sommeil et la violence de la chaleur, il se montre dans une pose abandonnée (lacunes). La tunique qu’il porte a le bord enrichi d’une broderie d’or. Toute la partie du corps qui se présente dégagée offre les tons qu’on remarque chez l’homme se livrant en plein air aux rudes travaux et dont les membres reçoivent les feux du soleil. Cette vue inspire de l’aversion à Phèdre qui ne sait pas reconnaître la beauté de l’âme. Thésée repose son cou sur sa main dont les doigts sont repliés. Le pied gauche est ramené en arrière, le bas de la jambe est droit, le genou soulevé. Telle est l’attitude que dans l’ignorance de soi-même on prend naturellement pendant le sommeil.
Un serviteur voyant son maître endormi a suivi son exemple. Mais la fortune ne lui a pas accordé un riche tapis pour y reposer ses membres étendus. Le genou plié, il se tient appuyé sur une jambe tandis que l’autre est droite. Les deux mains sont posées l’une sur l’autre, le visage est penché en avant. Tout le corps incliné est maintenu par le coude gauche, et la tête, pour assurer l’équilibre, repose sur les mains. Le chasse-mouche a été placé droit afin qu’il ne tombât point par mégarde. Un des compagnons de ce serviteur craignant pour lui le danger dont le menace le réveil du maître, danger que sa paresse rend plus grave, se prépare à le tirer de son sommeil. Il ne se montre pas tout entier, mais à demi masqué par une colonne, se ménageant ainsi une fuite aisée pour se dérober au maître qui s’apercevrait de sa présence. Il a la tête penchée en avant pour voir et le bras tendu pour toucher. Afin qu’en appelant son camarade par son nom, il ne réveille pas le maître par le bruit de sa voix, il approche sa main de la main de l’autre, et lui saisissant le coude, va lui reprocher ce court instant de sommeil. Quant à celui qui est à ses pieds et dont il a peut-être à se plaindre, il le laisse au sommeil qui possède son corps tout entier. En effet celui-ci s’abandonne au repos couché tout de son long et reproduisant par une attitude contrastée la pose du maître. Il semble être chargé du soin des chiens au cou desquels il a attaché des ornements. Mais ceux-ci, profitant du repos de leur gardien, se sont querellés. Cette chienne aux mamelles traînantes et gonflées de lait paraît, quoique petite de corps, être déjà mère. Vaincue, elle s’éloigne le dos tourné et la queue repliée sous elle, fuyant le lévrier qui la poursuit. Elle est tremblante, tandis que l’autre a l’orgueil de la victoire. Quant à leur gardien qui ne s’est aperçu de rien, croisant les jambes, il s’est retourné sur le coude droit; et du bras gauche qui glisse du sommet du lit, il touche le lit même et repose au pied du maître. Ce lit brillant d’or et d’ivoire est orné d’une victoire; des figures sculptées, les ailes déployées, le soutiennent avec leur tête et les franges d’un riche tapis pendent sur les pieds.
Ainsi Thésée dort, et ses serviteurs rendent inévitable sa destinée. Mais Phèdre que voici ne goûte pas le doux sommeil. C’est l’amour qui habite son cœur. Malheureuse femme, à quoi songes-tu? Pourquoi ces impuissants efforts d’une passion infortunée? Comment persuader celui dont le cœur connaît la sagesse? Pourquoi te couvrir de honte en voulant t’approcher d’une couche sacrilège? Retourne-toi donc un instant, donne à ton époux un regard, et que ton âme cesse de condamner ce qu’elle possède pour aspirer à ce qu’elle ne peut obtenir. Oui, dans son sommeil même, respecte ton époux, et détourne ta pensée de cette image où tu fixes tes regards. Car sans doute, même en peinture, Hippolyte est fidèle à la vertu.
Mais quelle est mon illusion? Pourquoi me laisser décevoir par l’art du peintre? Je croyais avoir la vie sous les yeux, je n’ai qu’un tableau. Parlons donc de Phèdre au lieu de lui adresser la parole. Tout son extérieur respire l’amour. Voyez: son regard est humide, son esprit égaré par la passion; ses membres ont besoin de soutien. Le corps vit, mais l’âme s’en est comme envolée. La partie inférieure du siège où elle repose est couverte d’un tapis; l’autre, près de la tête, lui offre un appui et soutient le dos incliné comme sur un lit de repos. Regardez ce bras languissant, cette main qui du bout du doigt effleure il peine la joue (lacunes). Les épaules sont renversées. Le pied se rapproche du pied alangui; l’un se relève, l’autre s’étend. Des deux côtés la tunique richement drapée descend des épaules jusqu’aux pieds en plis élégants. Cette torche que tient un éros embrase le cœur de la malheureuse, jette le désordre dans tout son corps, et tourne son esprit vers des pensées criminelles. Porté dans l’air sur ses ailes, l’éros élève la main droite et montre en haut, du doigt, Hippolyte représenté dans le tableau; de l’autre main, il allume son flambeau; la vue seule d’Hippolyte lui a suffi pour enflammer le cœur tout entier de Phèdre (lacunes). Au-dessous de lui un autre éros, debout, les pieds croisés, prépare de l’encre pour tracer les lettres qui doivent révéler à Hippolyte l’amour dont il est l’objet. Il tient l’encre de la main gauche, et dans la droite que voici il porte le style pour le donner à Phèdre. Et celle-ci le prendra pour écrire : « Jusques à quand, ô Hippolyte, ta sagesse sera-t-elle inflexible? Phèdre te désire, Phèdre te veut. » Le message sera porté par quelque vieille comme celle de la tragédie, une femme accablée par les ans, une nourrice sans doute dont la tendresse ménage bien mal à propos le cœur de Phèdre. Initiée à toutes les passions qui agitent le cœur de la femme, elle sait ce qui occupe la pensée de sa maîtresse et vers qui s’envole son imagination; elle est tout entière pour l’amour dont elle connaît l’empire. Cependant elle interroge, et ses doigts semblent indiquer une question qu’elle adresse: « Quelles sont ces agitations, ma fille? Pourquoi cette cruelle angoisse? Écris donc, ne crains rien, et accepte-moi pour porter ce message. » Son langage a persuadé Phèdre; elle s’éloigne. Mais pendant qu’elle est encore sous nos yeux, considérons-la. Elle a le costume qui sied au grand âge, un vêtement gris; peut-être aussi te porte-t-elle à cause de l’infortune de sa maîtresse. Elle parle la tête baissée, comme dans une mystérieuse confidence, de peur que Thésée, dont le sommeil est peut-être simulé, ne surprenne ce qu’elle dit. Son front s’incline; sa main gauche appuyée sur la hanche affermit sa marche et l’empêche de céder au faix de l’âge. Rien dans son corps n’est nu, excepté le visage et la main qui avec l’avant-bras sort du manteau. Ses cheveux mal rattachés par un nœud lâche glissent de la tête en mèches éparses.
Puisqu’elle le veut, envoyons-la vers Hippolyte, et examinons maintenant les suivantes qu’on voit près d’elle. L’une qui ignore la passion de sa maîtresse et ses aspirations ardentes questionne tout bas celle qui est à ses côtés, joignant le front au front et de la joue effleurant la joue. On dirait qu’elle murmure doucement quelque parole et craint la punition d’une curiosité indiscrète. L’autre, qui depuis longtemps connaît tout, brave le péril pour satisfaire la curieuse, et, d’une main retenue, étendant l’index, dirige le regard de l’autre vers le tableau. Celle-ci dont les bras nus sont parés d’ornements qu’ils laissent voir, soutient son bras gauche de la main droite, porte le bout des doigts vers le menton qu’ils effleurent, et, haussant la tête, cherche à voir la peinture: peut-être son cœur surpris partage-t-il la passion de sa maîtresse!
Auprès d’elles est une autre femme d’une coiffure plus élégante, et, pour me servir de l’expression des poètes « à la blonde chevelure ». Elle apporte la parure de Phèdre renfermée dans un coffret qu’elle tient de la main gauche; de l’autre elle en dégage des bijoux d’or. Car sa maîtresse ne porte que les ornements dont on se pare à la maison: des anneaux qui enserrent les pieds et les bras, des colliers qui s’enroulent autour du cou et des pendants d’oreille. La tête de celle-ci est ceinte d’une bandelette et d’un diadème de pierres indiennes. Un escabeau supporte ses pieds tout brillants de leur beauté nue. Le cercle d’or qui les presse éclipse peu leur blancheur dont l’éclat naturel est supérieur à tout artifice.
Si vous le voulez bien, sortons maintenant du palais, et chassons avec Hippolyte, non pas certes le lièvre ou la biche ou encore le lion; car la peinture inventée pour le plaisir des yeux est éternellement immobile. Voici des montagnes et des plaines avec une grande forêt, des chasseurs et des troupeaux. Au premier rang parmi ces chasseurs se montrent Hippolyte et Daphné, tous deux à cheval, et chastes tous deux. Ils montent de fiers coursiers qui, suivant l’expression d’Homère, frappent le sol de leur sabot retentissant et s’élancent pour la chasse. Cependant la vieille s’approche (lacunes); Hippolyte apprend par les yeux ce que l’oreille ne peut entendre, et laisse échapper la tablette de ses mains; il est saisi d’horreur et consterné. Immobile devant ce spectacle, il se détourne de cet affreux objet, le repousse de la main comme un ennemi, et confie à un serviteur le soin de châtier la malheureuse; inexorable pour la vieillesse qui s’est mise au service de la débauche, sur celle qui est venue il punit celle qui l’a envoyée. Le serviteur a une courte tunique. Nourri aux côtés d’un maître chaste, il s’associe à l’indignation de celui-ci. Ferme sur ses jambes écartées, il assure son coup, et contre cette malheureuse dans laquelle il ne voit qu’une bête fauve, il excite et lance les chiens en les flattant de la main. Puis le bras droit renversé en arrière, élevant le bâton au-dessus des épaules de la victime avec l’effort du corps tout entier, il est prêt à frapper. Cependant la vieille, égarée, s’est affaissée sur ses genoux dans les angoisses de la terreur. Elle a posé sa main sur sa poitrine nue, je ne dirai pas par un sentiment de pudeur, car un honnête sentiment ne saurait accompagner une si honteuse conduite; non, elle se frappe pour déplorer son malheur: l’expérience lui a enfin enseigné ce que c’est que l’honneur. Par ce mouvement elle ex-cite la pitié. Quant à la main gauche, elle la porte, avec l’attitude de la défense, vers le coup qui va la frapper. Menacée de ce côté, elle l’est encore de l’autre par les chiennes, l’une qui, l’oreille pendante, présente, même le dos tourné, quelque chose de redoutable, l’autre déchirant à travers le vêtement la cuisse mise à nu: déjà le sang coule. Tout pâle, le visage de l’infortunée est semblable à celui d’une morte: la terreur égare sa vieillesse et ses cheveux blancs flottent détachés.
O l’excellent homme que ce serviteur dont la tête est en partie dégarnie de cheveux et qui porte sur le poing un oiseau chasseur ! L’affliction empreinte sur son visage trahit la pitié de son cœur. Il semble parler. Sans doute il accuse l’autre de trop de dureté et l’appelle barbare. Aimant mieux être frappé lui-même que de voir cette pauvre vieille périr si misérablement, il élève sa main au-devant du coup pour la protéger. Sa tunique est courte et sa chaussure monte jusqu’à mi-jambe. Heureux Hippolyte ! Que ta vertu a de spectateurs ! Je veux parler de ces serviteurs qui dressent leurs épieux. L’art a caché leurs chevaux derrière Hippolyte et Daphné et n’en a montré qu’un seul, sommairement indiqué par quelques touches.
Mais considérez maintenant Daphné; voyez comme elle détourne le visage ainsi qu’Hippolyte, comme elle rougit de honte pour son sexe en présence de l’infamie de ces deux femmes, entendant la lettre de l’une et voyant l’autre prêter son service à une honteuse passion. Elle partage le sentiment de son compagnon, et garde la même attitude devant le même spectacle. Elle est jeune, elle est délicate, elle a une virile fierté. Elle porte vers l’épaule gauche son bras droit qui se montre nu. De l’autre main elle retient les plis tombants de sa robe, et, du bout des doigts serre son épieu. Sa chevelure libre, abandonnée aux vents, erre sur ses épaules. Une branche de laurier la relève au-dessus des yeux et la laisse flotter sur le dos. Quant à Hippolyte, certes, c’est un cavalier dont la bonne grâce plaît au regard. Sa chlamyde est élégamment ajustée sur l’épaule droite. Tenant la bride de la main gauche, il réprime, à ce qu’il semble, l’élan fougueux de son coursier.
Mais, si vous le voulez bien, ne négligeons pas la montagne, qu’elle s’appelle Hymette ou Egialée. Il y a là des brebis et des chiens. Près d’eux est un vieillard, un habitant de l’Attique, sans doute le berger du troupeau. A demi-nu, il porte l’exomis. Son corps est courbé par l’Age, sa main tient un bâton. Sa carnation brune indique un long séjour au soleil. Il tend la main droite pour supplier Hippolyte. Vieux lui-même, il a pitié de la vieillesse; il craint que l’infortunée ne soit frappée avant tout secours; sa tête, son regard sont tournés vers elle. Si maintenant vous vous élevez vers le sommet de la montagne, alors des objets masqués en partie se présentent à vos yeux. Voici une biche qui n’est vue qu’à moitié, car elle s’enfonce dans la forêt. En entendant les aboiements retentissants des chiens, elle comprend qu’elle est poursuivie et se plonge dans le fourré comme dans un sûr asile; c’est un bois touffu rafraîchissant par l’ombre de ses rameaux celui que brûlent les feux du soleil. Après, se montrent des femmes de paysans et avec elles un chevrier debout. Elles n’ont pas atteint le sommet et montent encore; on ne voit qu’en partie ces figures cachées jusqu’à mi-corps: elles sont plus ou moins masquées selon le point de la montée où chacune d’elles est parvenue. Comme elle doit être essoufflée celle qui a gagné le sommet en gravissant la pente raide avec une charge sur ses épaules ! Elle porte en effet un petit enfant qui craignant de tomber s’attache de la main gauche à la tête de sa mère tandis que, de l’autre, il tient un de ces hochets qui, secoués, font du bruit. Tous sont là, sans doute, pour assister au drame. Aussi l’homme qui est avec elles montre-t-il de la main droite la vieille prête à être punie. Les deux femmes, à ce spectacle, éprouvent un sentiment mêlé de surprise et de douleur. Celle-ci effleure son menton du bout des doigts; celle-là le soutient du revers de la main. L’une n’osant regarder les hommes le visage découvert se sert de sa main en guise de voile pour le cacher; l’autre suspendant sa main à sa tunique vers l’épaule droite en laisse voir une partie et découvrirait le sein si une bandelette ne le pressait. Un cavalier et sa suite apparaissent en partie sur la montagne. Ils étaient sans doute allés lancer quelque bête fauve et tiennent leurs épieux dressés. L’incident s’étant présenté dans l’intervalle, l’un d’eux, au retour, saisi par ce spectacle inattendu, incline, tout ému, la tête sur l’épaule.
Sur la hauteur des boucs sont dressés l’un contre l’autre, debout sur leurs pieds de derrière et se menaçant de leurs cornes. Un autre saute, comme eux, et s’élevant coutre les épaules du vieux berger, manque son but. Le reste du troupeau, dispersé suivant l’habitude des chèvres, s’en va errant à travers le pâturage.
Mais puisque, suivant la fantaisie du peintre, des sujets empruntés à la guerre troyenne ont trouvé place dans cette composition, je vais par le changement du spectacle varier mes tableaux. Après être monté ici, vers la partie élevée, que votre regard considère la peinture qui est au-dessus de celle dont nous venons de parler; avec le langage peignons, nous aussi. Les Troyens et les Grecs combattent pour la possession d’Hélène et épuisent leurs forces. Déjà une lutte nouvelle se prépare; un sang généreux, si je me souviens bien des expressions des poètes, remplit les deux armées de vigueur et d’audace; ils vont fondre les uns sur les autres. On décide alors de mettre un terme à la lutte commune en confiant la décision de la querelle à deux guerriers, à Pâris et à Ménélas, l’un réclamant celle qu’il possédait légitimement, l’autre ne voulant pas céder la femme qu’il a injustement ravie. Allons, s’écrie-t-on, qu’ils tranchent la question par les armes, et que la valeur adjuge cette femme à celui qui vaincra! Il fallait qu’une trêve fut conclue pour cet objet; elle le fut, et c’est Priam à qui ses cheveux blancs méritèrent une confiance qu’on refusa à la jeunesse.
Voyez le char tramé par deux coursiers! Comme il se hâte dans sa course! Le vieillard le dirige; il a un compagnon de route, Anténor que voici, Ainsi l’a dit le poète; ainsi l’a représenté le peintre. L’attelage a donc pour fardeau deux hommes courbés par l’âge et le malheur, l’un qui a la place de devant et tient les rênes; l’autre monté à ses côtés. Devant s’avancent quelques guerriers, armés de lances, escorte du monarque.
Accompagnons sur leur char Priam et Anténor. Puis, prenant la main droite du premier, conduisons vers Agamemnon le vieux roi qui marche la tête inclinée par l’âge et le corps appuyé sur un bâton (lacunes). Le héros l’accueille avec bonté, lui tend la main et reçoit la sienne sans lui permettre de s’avancer plus loin. Ne portant aucune arme, il annonce par son extérieur la suspension de la lutte; l’épée seule qu’il a gardée, dernier gage de sûreté, il la passe à la main gauche; et, debout, repose cette main sur la poignée. Une chlamyde est jetée sur ses épaules, et une ceinture le serre à la taille. D’autres personnages sont présents: Ajax qui, imitant le geste d’Ulysse et de Diomède, tend aussi, derrière Agamemnon, la main à Priam; Nestor, la tête brillante de cheveux blancs, qui, vu à mi-corps, se tient aux côtés d’Agamemnon, prêt à lui donner un sage conseil, si l’occasion le réclame. Guerrier vaillant, Ménélas, même avant le combat, effraie le roi étranger. Il est armé de toutes pièces; il porte une lance, et a la main posée sur son bouclier; mais ce bouclier, il ne l’a pas encore saisi; cette lance, il ne l’a pas inclinée pour menacer l’ennemi. D’une main vigoureuse il la tient serrée, prêtant l’oreille et attendant de Diomède qui est près de lui, le coup de clairon, signal du combat.
Cependant la trêve est conclue, et la trompette a retenti, aiguillonnant les courages. Voici Ajax la poitrine nue jusqu’au nombril, voici Agamemnon et Nestor de Pylos et Ulysse, qui dans l’ardeur de la lutte associe son âme aux émotions du combattant. C’est ainsi que le spectateur passionné imite l’attitude du conducteur de char. Je l’entends presque qui crie: « Tue-le, tue-le, celui qui t’a ravi Hélène, celui qui nous a rendus errants! » Et Ménélas, laissant les menaces du javelot pour les coups du glaive, s’est élancé, il saisit le casque à l’épaisse crinière, et avec ce casque qu’il entraîne il emporte aussi son ennemi dans sa course, s’animant aux coups qu’il lui porte. Pâris n’est pas encore frappé, et déjà on le pleure. Voici Priam qui, suppliant, présente ses cheveux blancs, et tend le bras; il se meurtrit le visage, tandis qu’Anténor levant la main déplore, tout saisi, une telle infortune, Anténor qui est là pour empêcher le père de porter sur lui, dans l’excès de sa douleur, une main violente. O Ménélas, arrête tes coups; car dans ton ignorance, toi qui jusqu’ici as combattu Pâris, tu es prêt à percer le sein nu d’Aphrodite, oui, d’Aphrodite dont les bras enveloppent ton ennemi. Car elle est derrière lui, elle te le réclame, lui frappé et penché sur son bouclier vers le sol; de sa main droite, elle délie les cordons du casque. O Ménélas, elle te ravit la victoire, comme la femme de Sparte !
Après ce combat, une chambre nuptiale a reçu le guerrier. Près de la porte un siège est préparé pour lui. Hélène, malgré la défense d’Aphrodite, pleure sur la vie qui a été laissée à Pâris. Voyez comme dans sa douleur elle a la tête baissée vers la terre, reprochant à la déesse d’avoir ravi le guerrier à la mort. Mais celle-ci l’entraîne malgré elle et console ses larmes; elle la conduit, parée d’une légère tunique qui ne dérobe aucun des secrets de sa beauté, vers la couche nuptiale, tenant de la main gauche Pâris et, de la droite, la femme dont le cœur de celui-ci est charmé.

MARCUS EUGENICUS

LE MARTYRE DE SAINT DÉMÉTRIOS.

L’héroïsme de la piété se manifeste en traits éclatants dans ce tableau; Démétrios le martyr du Christ y est représenté. Il vient sans doute de sortir de sa prison. Assis devant cette prison, sur des degrés de pierre, comme vous le voyez, il accueille, plein de joie et de courage, ses bourreaux qui surviennent, il brûle de subir la mort pour le Christ et aspire à partager son supplice. Comme la croix lui est refusée, il saisit ce qui lui est offert, et s’enivre des délices du martyre. La main gauche appuyée avec fermeté sur la pierre où il est assis, la droite levée, il présente son flanc aux piques, heureux, vous n’en doutez pas, du nombre de ses bourreaux, et triomphant. C’est avec un visage brillant de sérénité et un regard où rayonne la grâce qu’il attend les meurtriers; il invite presque leurs lances à pénétrer tout entières dans son corps. Vous diriez qu’il reçoit ceux qui vont le couronner. Mais la beauté de son noble visage n’impose pas aux bourreaux. Furieux, dans des attitudes farouches, ils élèvent leurs bras impatients, et percent les flancs et la poitrine de la victime partout où le hasard fait tomber leurs coups. Il y en a un parmi eux qu’émeut la grâce héroïque de l’athlète; le respect entre dans son cœur et suspend sa lance qu’il ne veut pas plonger dans le flanc du bienheureux. Derrière se tient le serviteur du martyr, Lupus; saisi d’effroi, il recule devant ce spectacle et semble vouloir fuir; mais la pitié triomphe; le dévouement pour un maure relève son courage, et la douleur de son âme lui donne part à l’épreuve. Ce double sentiment de douleur mêlé d’effroi est exprimé par son geste et son attitude. D’une main il relève les bords de son vêtement comme pour se dérober tout entier et se soustraire au péril; il étend l’autre qu’il oppose dans sa frayeur à l’affreux spectacle. Mais l’expression dominante de son visage, c’est la douleur. Il semble prêt à verser des larmes. Cependant Démétrios n’attendra pas la récompense de ses nobles travaux; déjà sur sa tête est suspendue une couronne que tient la main d’un ange descendu des cieux.